Le Cinquè Llac chemin magique

Page 1

échappée

Le long de la troisième étape, vue sur le joli village médiéval d’Estavill, d’où part une petite route menant au pont du Diable…

le cin què llac

Chemin magique

Imaginé par une poignée d’habitants pour mettre en valeur leur territoire, le Cinquè Llac (cinquième lac) est une boucle solidaire et durable de cinq jours entre Pallars Jussà, Pallars Sobirà et Alta Ribagorça, qui dévoile un pays catalan ensorceleur, sauvage et accueillant. / texte : MARIE ANGE LOBERA / photos : ORIOL CLAVERA /

52 / Pyrénées magazine / n°180 / / n°180 / Pyrénées magazine /

53


échappée Catalogne

C’

est avec un long bâton de noisetier que Mireia Font nous accueille à la gare ferroviaire de La Pobla de Segur. Curieuse façon de commencer notre périple pédestre que ce voyage à bord du Tren dels Llacs (train des lacs), reliant Lleida, la capitale de région, à cette bourgade prépyrénéenne. Pendant une heure et demie, sierras et canyons, forêts et cultures ont défilé sous nous yeux. Et quatre lacs aussi.Quoique artificiels, spectaculaires : Sant Llorenç de Montgai, Camarasa, Cellers et Sant Antoni… Et le cinquième ? Ah, ah… Mireia Font, notre hôte, ne dit mot. Cette archéologue de formation n’est autre que l’alma mater de cet itinéraire de 105 km qui oscille entre 500 et 1 500 m d’altitude, sillonnant une partie du Pallars Sobirà, le Pallars Jussà par la Vall Fosca et un bout de l’Alta Ribagorça. Une terra incognita sous les hautes cimes pyrénéennes,

Petite grimpée lors de la deuxième étape, passage entre Pallars Sobirà et Pallars Jussà.

Les vasques en contrebas sont reliées au village par un petit chemin (à gauche). Surplombant l’une des rares maisons du village, une cheminée aragonaise traditionnelle (à droite).

54 / Pyrénées magazine / n° 180 /

vallonnée et débordante de forêts, ponctuée de villages pittoresques à la couleur églantine, peu ou pas peuplés, reliés par des sentiers muletiers. Des montagnes au profil aimable, mais en réalité difficiles à apprivoiser, au point que les anciens, excédés, les ont fuies dans les années 1960. Mireia, elle, est revenue. Dans son village natal, Senterada, compris dans le circuit, pour rouvrir l’auberge familiale Casa Leonardo et en vivre. Mais l’affaire n’a pas été si simple. “Nous sommes dans le no man’s land catalan, les oubliés de l’Administration. Le système agropastoral, notre pilier socioéconomique effondré, comment faire revivre le territoire ?”, s’interrogeait cette jeune quadragénaire il y a à peine sept ans. Inspirée par le train des lacs, Mireia fait le lien avec une perle rare de ces contreforts des Pyrénées, naturelle et de grande valeur écologique : le lac karstique de Montcortès. Elle


déplie une carte du territoire, cherche d’anciens chemins, se nourrit des histoires locales, apprend la toponymie, questionne les éleveurs sur les drailles qui zèbrent ces montagnes, et embarque dans son aventure cinq autres hébergeurs amoureux du pays : Jaume, Joan, Laia et Miquel, Pepita et Andreu. Chacun proposant un gîte ou une auberge de charme dans l’un des six villages-étapes, tous réunis en la dynamique association Marques de Pastor. “Nous n’avons pas de grands sommets, mais un très beau territoire méconnu. Notre but est de le faire découvrir à travers un projet durable et respectueux (voir encadré) valorisant son patrimoine, qu’il soit gastronomique, architectural, naturel ou historique, précise Mireia. Par exemple, chaque tronçon est marqué par un jalon racontant une légende. L’important, c’est que chacun marche à son rythme, prenant le temps et le plaisir. A plaeret, comme on dit ici.” Le pari est osé, mais parfait pour nous, conquérants de l’inutile ! Nous prenons donc le temps. À Can Fasèrsia et au Cafè de l’Union d’abord, à La Pobla de Segur. Une fonda et un singulier bar des

Entre Beranui et Les Esglésies, les ruines du monastère de Sant Génis de Bellera (ixe siècle).

années 1870, où Laia Porta et Miquel Gordó nous font une entrée en matière à base de succulentes charcuteries locales, dont le xolís et la girella ! C’est avec ce goût du terroir en bouche et le bâton de noisetier à la main que, le lendemain, nous partons à la conquête de ce cinquième lac, sans nous soucier des bagages qui seront transportés directement à notre prochaine halte. On marche tantôt sur un ancien chemin pavé, tantôt sur des entailles à même la roche, entre garrigues et bosquets. Frôlant la crête des Rocs de Queralt, mais avec toujours en vue le col de Montsó (ou Montsor) au nord, et les falaises sur lesquelles se dresse le hameau éponyme inhabité. La vue à midi sur le bassin de Tremp et le lac de Sant Antoni, avec le Montsec pour horizon, est superbe. Puis vient le village déserté de Peracalç, surplombé par la montagne du même nom. Sculptée de roches calcaires et de marnes, celle-ci ressemble à une silhouette féminine, qui porte le surnom de Géante endormie, au vu de la taille de ses seins, que les locaux ont associés au sommet le plus élevé, le pic de l’Aigle et ses 1 315 m ! C’est par ses pieds qu’on la gravit, sur un tracé empierré de toute beauté,

/ n° 180 / Pyrénées magazine /

55


échappée Catalogne Récompense de la dernière étape, le cinquième lac, Estany de Montcortès. Un des deux seuls lacs d’origine non glaciaire des Pyrénées, il est classé Natura 2000 depuis 1997.

56 / Pyrénées magazine / n° 180 /



échappée Catalogne

Une traversée solidaire Restauration du patrimoine et protection de l’environnement Parmi les objectifs du Cinquè Llac, il y a celui de préserver et valoriser son patrimoine pastoral. C’est pourquoi 10 % du prix du package est réinvesti dans la restauration de murets, chemins et cabanes en pierre sèche. “Suma’t i involucra’t” (participe et engagetoi) est une autre action récemment mise en place. Il s’agit de quantifier le CO2 émis par chaque randonneur depuis son arrivée sur place (les hébergeurs y participent également). Le résultat, converti en monnaie, devient un don (volontaire) servant à la création de microréserves de faune ou de flore ou à l’amélioration de la gestion des forêts. Les participants, en contrepartie, reçoivent les newsletters sur l’avancement de leur œuvre… pour la bonne cause environnementale ! 4

Pratique

:

Troisième étape

Le pack pour réaliser la traversée comprend le billet aller-retour en train depuis Lleida jusqu’à La Pobla de Segur, six nuitées en pension complète, six pique-niques, un road book (existe en français), une carte Alpina 1 : 25 000, l’assurance, et un cadeau en fin de parcours. Bagages pris en charge entre les hébergements. Période recommandée : automne et printemps, bien que le circuit soit praticable toute l’année et libre d’accès.

Bienvenue et hébergement à Can Fasèrsia. n www.canfasersia.com n

Jour 2, étape 1 :

De La Pobla de Segur à Peramea. Dénivelé : 1 127 m. Distance : 19,5 km. Durée : 6 h 15. Hébergement : Casa Parramón, à Peramea. n www.casaparramon.net n

L’Aquelarre de Serraspina Coll Clot d’Andel

P S

El pont del diable

Casa Leonardo

Casa Parramón Estany de Montcortès 2 Coll de Mentui Montcortès Peramea

5

La Geganta Adormida

N

Peracalç

P J

S

1

L P  S Casa Fasèrsia Pantà de Sant Antoni

Casa Churchill Claverol Pont de Claverol

Jour 3, étape 2 :

De Peramea à Beranui. Dénivelé : 1 191 m. Distance : 14,6 km. Durée : 5 h. Hébergement : Can Macianet, à Beranui. n www.casamacianet.com n

Jour 1 :

La Casa Encantada

Casa Macianet

Beranui

Senterada

L’itinéraire

Départ et arrivée à La Pobla de Segur, 105 km et 6 084 m de dénivelé. Fractionné en 5 étapes (compter une semaine), sans difficultés techniques, il parcourt des sentiers muletiers (62 %), des pistes (26 %) et des routes (12 %). Signalétique propre ou bande jaune.

58 / Pyrénées magazine / n° 180 /

A R

n

n

3

Coll de Fades

Coll de Llevata

À partir de 597 € par personne. www.elcinquellac.com Réservations avec Pirineu Emoció : Tél. : (00 34) 973 681 518. n www.pirineuemocio n

Les Esglésies

Les Esglésies Casa Battle

Jour 4, étape 3 :

De Beranui à Les Esglésies. Dénivelé : 985 m. Distance : 23 km. Durée : 6 h 30. Hébergement : Casa Batlle, à Les Esglésies. n www.casabatlle.com

Jour 5, étape 4 :

De Les Esglésies à Senterada. Dénivelé : 1 320 m. Distance : 25,2 km. Durée : 7 h 30. Hébergement : Casa Leonardo, à Senterada. n www.casaleonardo.net n

Jour 6, étape 5 :

n De Senterada à Claverol (La Pobla de Segur). Dénivelé : 1 461 m. Distance : 23 km. Durée : 6 h 45. Hébergement : Casa Churchill, à Claverol. n www.casachurchill.cat

Jour 7 :

Dernière marque au fer et remise de la houlette de berger. Retour à Lleida.

n


ancienne porte d’accès du Pallars Jussà au Sobirà, et où la ramonde des Pyrénées s’épanouit à profusion… Sur l’autre versant, c’est la plaine de Corts qui se déploie. Belle mosaïque de champs céréaliers non irrigués, de fourrages et de pâtures, bordée de petites zones forestières et au cœur de laquelle brille le lac de Montcortès. Sans nous retarder, puisque notre route se dirige vers le village de Peramea, nous tombons sur un chantier d’apprentis maçons qui s’affairent sur une murette couleur grenat. “Je suis embauché pendant une semaine par l’association Marques de Pastor, explique Josep Segarra, berger et spécialiste de la pierre sèche, à la tête d’une équipe de six hommes. Je forme des volontaires, en même temps que nous réhabilitons les sentiers reliant les villages, et désormais le Cinquè Llac.” Après quelques échanges et une agréable marche sur une draille pavée, nous parvenons à l’ancienne ville close de Peramea, notre point de chute de la journée. C’est Jaume Montaner, hôte de la Casa Parramón, qui nous ouvre les portes de ce bijou classé, bâti à partir de conglomérats volcaniques. Il nous raconte aussi sa demeure du xve siècle (la nôtre pour une nuit), et nous fait déguster fromages et plats typiques, comme les côtelettes de l’ovella xisqueta, race ovine locale et fierté du pays. Claudi et Rafa, randonneurs que l’on croise sur place, apprécient “ces détails qui font la différence”. Ils évoquent aussi ce moment où, pour

attester de notre passage, on marque au fer le sceau de l’hébergement sur le bâton de noisetier (à chaque étape), ou la carmanyola, cette gamelle en aluminium vintage garnie d’un repas catalan fait maison, enveloppée dans une étoffe, et qu’on réutilise le lendemain pour éviter les déchets ! Et le chemin dans tout ça ? “C’est une surprise constante, témoigne le biologiste Mike Lockwood, croisé le lendemain sur une sente. On traverse des forêts à multiples essences. On passe très vite d’une zone méditerranéenne à une autre plus alpine où l’on peut apprécier des espèces remarquables de haute montagne comme le muflier mou, fleur rupicole des parois calcaires, ou découvrir au détour d’un chemin une petite tourbière karstique aux abords tapissés d’orchis incarnats”, se réjouit-il avant de s’éloigner à la suite d’un papillon. En effet, le trajet est prometteur. À l’ombre d’un bois de hêtres mousseux, puis le long de la vallée d’Ancs et de son torrent qu’il faut franchir avant de s’élancer vers les pâturages, Serraspina et le col du Clot d’Andol, autrefois lieu emblématique de sorcellerie. Malgré ses modestes 1 537 m, le pouvoir incantatoire de Serraspina opère toujours, par sa perspective sur le Montsent del Pallars et les premiers pics du Parc national d’Aigüestortes qui, au nord, couronnent la profonde et mal nommée Vall Fosca (“vallée sombre”). Car c’est depuis cette vallée que l’Espagne s’illumina pour la première

Malgré ses modestes 1 537 m, le pouvoir incantatoire de Serraspina opère toujours

À la Casa Leonardo, l’auberge familiale qu’elle a reprise, Mireia Font détaille avec un groupe l’étape du lendemain, qui terminera la boucle.

/ n° 180 / Pyrénées magazine /

59


échappée Catalogne

fois en 1914, grâce à la centrale hydroélectrique de Capdella ! Si la grande industrie modifia alors la vie de la vallée, la nature a depuis repris ses droits et une douce léthargie s’est emparée des dix-huit hameaux qui s’égrainent sur son relief boisé. Comme à Beranui, la prochaine halte. Huit maisonnettes et quatre habitants en haut d’une petite colline. Là-bas, on croise à nouveau Rafa et Claudi, accompagnés de cinq autres marcheurs. Parmi eux, Montse, qui plébiscite “la diversité de paysages sur une même journée et l’impression de solitude malgré un territoire profondément humanisé”. Cette Barcelonaise a dévoré le road book fourni au départ de la randonnée. “On y trouve un topo précis mais aussi un tas d’informations écrites par des locaux sur l’histoire, les traditions, la géologie, etc. Pour peu qu’on s’intéresse à la culture, on y trouve son compte !” Et c’est

60 / Pyrénées magazine / n° 180 /

Le village de Peramea, dont on distingue à gauche la tour de Colomers et quelques ruines des fortifications médiévales. Ci-dessous, le village abandonné de La Bastida.

là toute l’originalité de cette traversée que d’apprendre sur cette région insolite par la marche, sur des drailles millénaires, au pied de bourgs fortifiés ou des ruines du monastère de Sant Genís, en franchissant le vertigineux ravin de Grau par le pont du Diable, à la cimenterie fantôme de Xerallo ou au dolmen de la Maison enchantée. Ce ne sera que sur le dernier tronçon que le cinquième lac, Montcortès, se révélera, délicieux, ourlé de roseaux et peupliers, animé par le frissonnement des odonates et d’oiseaux aquatiques. Le bleu profond de ses eaux en souvenir, nous couronnerons enfin la crête du Gélat et finirons notre périple, avec le crochet culminant sur notre bâton de noisetier. Une vraie houlette, en honneur de ces authentiques montagnes catalanes et de ses bergers.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.