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Recueil des disjonctions
Et de se rendre compte qu’il y a autant de récurrences et de se dire qu’en fait, je pense que chacun d’entre nous est un peu pris par une même question. En fait, tout à fait, on essaye d’affiner un même geste et, après, ça prend plein de formes, plein de rebonds et de virages. Mais, mais finalement, on se rend compte… Alors, moi, je ne sais pas quelle est ma question. Attention hein, je ne vais pas te la dire, mais… (rires).
[00:08:22] — Blandine
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[00:09:06] Juin 2022 — Cadrer le vent
Ivan Solano. Alors pour ça, j’ai une petite anecdote, mais je vais faire mon papi… qui… qui commence en Hongrie dans un cours avec Kurtag, György, le père… dans lequel c’était la première fois que j’allais jouer les sonates de Brahms avec un pianiste. Et donc voilà, je me lance là-dedans… à… à jouer. Et, c’était le début de la master-classe, donc j’ai le droit de jouer tout le premier mouvement en entier… et, à la fin, il me dit : « ben écoute » — c’était une master-classe internationale — il me dit : « si ça te dérange pas, je te raconte une histoire en hongrois… ça te dérange pas de traduire en Anglais pour que tout le monde puisse comprendre, d’accord ? » Et donc il me raconte l’histoire de ce petit ver de terre, qui sort de son trou après la pluie. Donc il regarde tout autour et, soudain, il voit un autre ver de terre. Et il enlève son chapeau : « Bonjour madame ». Il y a un autre ver de terre qui répond : « T’es con, tu étais en train de répondre à ta propre queue ».
[00:00:00 .240] — Ivan Solano
J’arrive par le sentier de la montagne. Ah ! ceci est exquis. Une violette.
[00:01:34 .00] — Hildegard Von Bingen, O virga ac diadema, Voiges of Angels/ Voices of AscensionDenis Keene Cond.
[00:01:43.710] — Roland Barthes, La préparation du roman. Séance du 24 février 1979.
Mon travail c’est de percevoir des choses et de les distiller dans… dans la musique que je fais en tant que clarinettiste ou en tant que compositeur ou en tant que chercheur. Je crois que ce serait plutôt ça mon travail. C’est pas un travail de traduction, c’est pas un travail de translation, c’est pas… C’est vraiment presque pas un travail. C’est… c’est un jeu, un plaisir de… de récupérer les sensations et de les transformer en quelque chose qui peut être vécu par quelqu’un d’autre, dans une autre forme.
[00:01:50.250] — Ivan
La cueillir ? Quel dommage !
La laisser ? Quel dommage !
Ah ! cette violette.
En fait, ça dépend. Ça fait un « tilt » sur la relation qu’on doit avoir en fait, que je pense qu’on doit avoir avec le son, avec notre instrument, avec la musique, avec la respiration. Et cette anecdote vient se relier avec la façon d’enseigner de Kurtag, la musique de chambre — parce qu’’il n’enseigne pas la composition — qui est que, heu, ben il y avait des fois, tu arrivais en cours, tu prenais la clarinette, le pianiste était là, tu allais souffler dans ton instrument, on te dit Non !
Comment ça non ? Non ! T’es pas prêt. Pardon ?
Non, t’es pas prêt ! OK d’accord. Encore. Tu respires un grand coup, tu prends ta clarinette. Tu respires
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[00:02:44.010] — encore… Non. Voilà, ça, ça pouvait aller… je sais pas moi, dans 20 minutes. Jusqu’au moment où, à un moment donné, par miracle, tu arrivais à sonner l’instrument et à jouer cette première note de la partition. Et il t’arrêtait juste après pour te dire non, c’est toujours pas ça. Donc là, j’ai commencé à.. Ben, je crois que ça a macéré pendant des années, ça s’est… il y a bien 30 ans de ça. Mais c’est un peu le début de cette pensée-là qui est reliée à ce que j’appelle le geste moteur, qui est le fait de… de penser que… il doit y avoir une mise en situation, si on peut le dire avec des mots très simples, qui nous permet de raisonner, de résonner, de rentrer en résonance avec la musique qu’on va interpréter ou avec la musique qu’on va composer, ou avec la musique qu’on va écouter.
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C’est ce qui fait tilt dans mon mental, dans mon esprit, et c’est de cela que je voudrais parler maintenant.
C’est-à-dire ça fait tilt. Ça veut dire que le bon haïku ou le haïku que j’estime bon, déclenche en moi comme seul commentaire possible : C’est ça ! Oui, c’est ça, c’est bien ça ! Tilt, c’est « C’est ça ».
J’ai des moments, il y a des choses que je réécoute selon le moment, il y a des moments, tu te réveilles un matin, tu sais que tu ne pourras pas écouter une seule soprano produire une note parce que tu auras envie de te défenestrer… D’autres moments dans lesquels tu
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Recueil des disjonctions supportes pas la musique au piano et, inversement, et à des jours dans lesquels tu mets un CD dans ton lecteur de CD et tu dis : ah c’est ça de quoi j’ai besoin. La cueillir ? Quel dommage ! La laisser ? Quel dommage ! Ah ! cette violette.
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[00:06:13 .610] — Scott walker,
Naturellement, le « tilt », le « c’est ça » est antiinterprétatif. C’est-à-dire que ce qui fait tilt dans le langage normalement bloque l’interprétation à mon avis. Dire « ah ! la violette » signifie qu’il n’y a rien à dire de la violette, c’est-à-dire que l’être de la violette repousse tout adjectif. C’est là un phénomène qui me paraît très antipathique à la mentalité occidentale qui veut toujours interpréter avec plus ou moins de bonheur. Il y a des moments dans lesquels un concert n’est pas top. On se dit : « Il était pas… mmh ». Moi je pense, je crois penser que la question là, c’est parce que le geste moteur de l’interprète n’est pas assez rentré en résonance. Il n’est pas assez présent avec la musique qu’il est en train de jouer. Le groupe, ça peut être Metallica comme ça peut être San severino.
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[00:07:35.320] — Ivan
Qui n’est pas en résonance non plus, ou suffisamment en résonance avec le lieu dans lequel il interprète, qui n’est pas en résonance avec le public qui vient écouter. Et ça, bien sûr, c’est des paramètres qu’on ne peut pas contrôler. Mais c’est des paramètres… ce paramètre qui est pour moi le geste moteur qui est en sorte de dire… En fait si tu le vois du point de vue de l’interprète, si tu le vois du point de vue de l’auditeur. Pourquoi pas se dire: «Ah quand je vais à un concert de Metallica...» Bon, je m’habille pas pareil que si j’avais un concert de Prince par exemple. Peut être que je m’habille pareil, mais mon état d’esprit n’est pas le même. Tu sais que tu vas pas écouter pareil la cinquième de Beethoven que Prodigy. On n’a pas le même esprit, on va dire, mais sans aller toucher à cette chose, cette chose indicible qui est de l’ordre de la création et que tout le monde aime bien et aime bien mystifier. Allons sur cet endroit dans lequel il y a quelque chose qui nous fait rentrer en résonance avec quelque chose d’autre. Par exemple, dans mon cas, Nirvana, quand j’avais seize ans.
Bertrand Chavarria-Aldrete
Je suis quelqu’un qui est né à deux endroits en même temps. Donc, en fait… C’est une drôle d’histoire, je suis né à Lyon, en France, et à Monterrey, au Mexique, en même temps. Enfin, légalement, après, physiquement, je pense à Lyon, je pense. Mais mon grand-père a eu l’audace de pouvoir m’enregistrer à la même heure, même jour, mais à Monterrey. Ben, voilà quoi, on avait oublié qu’il y avait ces documents-là. Il y a quelques années, on s’est rendu compte que ça existait… Ce document, enfin cet acte de naissance mexicain où Bertrand Chavarria-Aldrete était né aussi au Mexique.
[00:00:00.000] — Emerson, Lake and Palmer, Tarkus, 1971
[00:00:18.300] — Bertrand Chavarria-Aldrete
[00:00:33.000] — Bertrand
[00:01:07.731] — Emerson, Lake and Palmer, Pictures At An Exhibition, 1971
Je pense que je travaille surtout dans l’in-identité, en fait, je ne veux pas… plutôt le contraire. J’ai pas envie de ça quoi. Et je me souviens, à une époque, j’avais plein de gens à côté de moi, enfin proches de moi, qui se faisaient des tatouages. Et, en fait, j’ai jamais eu envie, parce que je sens que, à un moment donné, je vais le faire et je vais évoluer et ça veut plus rien dire quoi. C’est un peu bizarre de marquer un point, enfin de tracer quelque chose, une pensée… même si c’est
[00:01:33.900] — Bertrand
[00:01:07.731] — Boucle à partir de Tarkus
Recueil des disjonctions une pensée dont je pense qu’elle peut tenir jusqu’à la fin de ma vie… Si ça se trouve, la semaine d’après, elle est plus là quoi. Bon, c’est un peu complexe donc…
En fait, je suis tout le temps en train de changer, et je sais pas si c’est à cause de ça… C’est aussi parce qu’on a beaucoup voyagé quand j’étais petit donc… voilà quoi ! J’ai tout le temps été un peu dans deux lieux en même temps finalement, maintenant que je me rends compte, je suis toujours à cheval entre deux pays ou entre deux villes… bizarrement.
Je ne crois pas qu’il y ait d’identité culturelle proprement dite. Pourquoi ? Parce que nous confondons deux choses. [dans] L’identification du sujet, il y a un processus légitime qui est que le sujet, nous, chacun, se constitue par identification… au père ou à je ne sais qui d’autre. Donc il y a un processus subjectif d’identification, mais il y a autre chose qui est ici [c’est] qu’il y aurait une identité objective de la culture. Et je ne crois pas, pour des raisons très simples, c’est pour deux raisons. La première, c’est qu’une culture change, si elle ne change pas, elle meurt, elle est en mutation. C’est ce qui la maintient en vie. La culture est une création collective. Or l’identité est toujours singulière. Donc, pour ces raisons simples, je ne crois pas que l’identité culturelle… et bien parce que « identité » fait couple avec « différence ». Et je ne conçois pas les cultures en termes de différences ou de caractéristiques. On pourrait dire que voilà la culture française, c’est comme
[00:02:46.340] — François Jullien (La Grande table (2ème partie), France Culture, 12.10.2016) si… la culture, telle autre culture c’est autrement, etc. Définir les cultures, pourquoi ? Alors c’est pour ça que je propose de remplacer le terme de différence par « écart ». Écart, c’est-à-dire… la différence entre différence et écart : la différence en fait range les cultures selon des caractéristiques, l’écart ouvre une séparation mais qui maintient en regard, qui met en tension. Et ça qui me paraît pouvoir mettre en œuvre ce qui a été dit à l’instant, c’est comment produire du commun à partir des écarts. C’est ça qui est l’enjeu politique aujourd’hui.
[00:04:12 .400] — Bertrand
C’est un peu… c’est un jeu de mots finalement, parce que cette non-identité, comme quand j’essaie de la travailler dans ma poésie… C’est une poésie qui est onomatopéique, c’est un peu une poésie un peu expérimentale, qui ne se traduit pas, qui est comme ça, qui sort quoi, que c’est la volonté pure des organes propres, des Limbes… Et donc, en fait, cette volonté là, reste dans la non-traduction. On reste un peu dans un objet pur quoi. Il n’a pas besoin d’être traduit. C’est un peu comme de l’art finalement. Quelque part, il [l’objet d’art] n’a pas besoin d’être traduit et c’est un objet qui est là, dans l’ouvert, qui se propose, qui s’ouvre et qui est là quoi. Et, en fait, le fait de ne pas vouloir partager ce que ces mots-là, ce que ces phrases là, ce que ces poèmes-là veulent dire, laisse quand même une trace… oui, voilà, une trace c’est ça qui est drôle, une trace de non-identité. Dans la
[00:05:19 .958] — ELpH vs
1995
Recueil des disjonctions recherche que je fais, de m’effacer un peu et de ne pas… de laisser l’objet là, comme ça quoi. De ne pas être en train d’intervenir à chaque fois. Donc, en fait, le fait que ces objets-là n’aient pas besoin d’être traduis, pour moi c’est parfait, c’est comme ça qu’il faut que ce soit.
Mallarmé avait un projet qu’il formule ainsi dans un de ses textes. Il voulait créer, dit-il, un mot total, neuf, étranger à la langue. Cela ne vous étonnera pas d’apprendre que des étrangers, et en particulier des étrangères comme moi, ont été fascinés par le texte de Mallarmé. Mais cette étrangeté, en fait, n’est pas extérieure à la langue. C’est une inquiétante étrangeté qui est familière, qui est au creux de la langue, qui est, ce qu’il va appeler ailleurs, son mystère, son secret.
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Je pense que je ne cherche que ça, en fait… J’ai envie de jouer la pièce, sans être là quoi. J’ai envie de… que la pièce par exemple est là, je suis en train de jouer cette pièce mais je ne suis pas là. C’est un dispositif, tu vois donc, où je n’interviens pas pour la création… Tu vois… même un enregistrement, malheureusement, il faut que ce soit moi qui fait l’enregistrement. Donc voilà, donc c’est moi qui fais, qui joue. Et donc là, je suis en train de jouer, de faire la performance qu’on appelle de la pièce, mais sans être là quoi. Performance, ça veut dire prendre forme,
[00:06:37.120] — Bertrand
Antonin Artaud, Sort, 8 mai 1939, crayon, encre violette et crayons de couleur, papier brûlé, 21×13.5cm, coll. part. (adressé au Dr Léon Fouks) ça vient du latin performare, donc ça prend, ça prend la forme. Et donc pour moi, la performance physique des instruments comme ça, ça reste un peu… c’est comme ça, mais il faut que je sois là tout le temps. C’est ça qui me dérange quelque part.
Enfin si on a la racine étymologique de inform, ça veut dire introduire une forme. Donc c’est pas, c’est pas amorphe, c’est informer. Donc, en fait, quand on informe quelque chose, c’est que quand on la… qu’on la… on la laisse dans l’espace, on ouvre une information, enfin on laisse cette information dans l’ouvert quoi, enfin l’ouvert un peu à la Heidegger comme ça. En fait, moi je travaille beaucoup avec ces jeux de mots, en fait, entre performance, performer, performance, transformance, informance. Donc c’est trois, trois… c’est la forme dans différents états, tu vois. En fait, on a l’information, on a la transformation, et on a la… la… la… la… la performance quoi. Donc « informe, performe, transforme », c’est, c’est triptyque un peu… heu… comment dire… transducteur de l’information, tu vois… une même source… par exemple, la musique, quelque part c’est un peu ça : on reçoit le texte, on reçoit l’information, et on s’habille, tu vois, comme un musicien, on s’habille avec la partition et après on la montre. C’est ce cercle-là dont j’ai beaucoup parlé hier dans ma conférence. C’est ça quoi. On reçoit l’information, on s’habille, enfin on reçoit les codes, les codes vestimentaires, tu vois… Et après on se montre. C’est un peu ça le truc. C’est ça qui me
Recueil des disjonctions dérange. Il y dit, entre autres, que la destruction a été sa Béatrice, ou bien que lorsqu’il creusait le vers, il a rencontré le néant. Par ailleurs, il va parler de ce moment comme d’un gouffre central et de son souci de donner le signe de ce gouffre central d’une grande impossibilité spirituelle, dit-il, qui n’a rien à voir avec l’impuissance créatrice, comme on l’a souvent dit. Mais avec quelque chose que beaucoup de gens éprouvent et qui est cette perte du sens.
[00:09:46.700] — Julia Kristeva, Littérature et psychanalyse, Centre Audiovisuel de Paris, Octobre 1997
C’est des paramètres très importants comment… comment on traduit cette information, comment cette information se traduit dans le corps… et peut-être c’est ça la magie de la musique, l’interprétation de la musique, la magie… que j’adore. C’est ça, comment ce code-là s’adapte dans mon corps, dans le corps du voisin ou dans le corps de l’autre ? C’est ça qui est magnifique. Mais pour moi ce n’était pas assez, c’est pour ça que je suis allé ailleurs. Mais cette magie de voir comment ces codes-là se transforment en gestes, en muscles, en sensations, en gestes… en pensée aussi, en façon d’essayer de faire des choses que peut-être on n’arrive pas techniquement… Tu vois, le travail technique, tout ça. Donc, il y a plein de choses qui sont très intéressantes dans le travail musical. Et donc ce qui est important, c’est de savoir comment le corps
[00:10:20 .480] — Bertrand + 2 Morton Feldman superposé
[00:10:20 .480] — Morton Feldman, Projection 1, for solo cello, 1950. interprétation de Hervé rémond (2019) + interprétation de Taco Kooistra (2011) réagit avec cette information-là. Et voir de quelle façon ça reste le plus naturel possible. Quand on fait une pièce, on a envie que ce soit naturel, on n’a pas envie que ce soit comme une lecture, comme quand on lit un poème : « Oui, bla, bla. » On veut que ce soit fluide, qu’on habite le texte, qu’on soit complètement habité par le texte, qu’on soit vraiment habillé… c’est comme un acteur, c’est pareil quoi. Et l’autre fois, j’étais en train de penser, c’est marrant, on dirait que tous les interprètes et acteurs en fait, finalement on s’aime pas quoi. Mais c’est vrai, moi je m’aime pas quoi. Et je pense qu’il y a ça quoi. Et donc, on s’aime tellement pas qu’on essaie d’habiter d’autres pensées… dans l’interprétation tu vois… ou avec des personnages, les acteurs, par exemple, ils aiment s’habiller d’autres personnes afin d’être mieux quoi. Je pense qu’il y a un peu ça. Mais après il y a aussi cet aspect « non identitaire » quelque part. Tu vois, quand on est interprète, on a toujours la non-identité, on est tout le temps en train d’habiter d’autres mondes, mais pas le nôtre. Après le contexte de compositeur, c’est complètement la double face dans mon cas, mais ça m’a pris du temps avant de reprendre la composition. J’étais complètement nié à un moment donné et je ne voulais pas composer.
Des limites qui nous conduisent à la dépersonnalisation.
Là où il n’y a plus de moi, où il n’y a peut être même pas de sujet et où le psychique bascule dans le
[00:12:37.910] — Julia Kristeva, Littérature et psychanalyse, Centre Audiovisuel de Paris, Octobre 1997
Recueil des disjonctions physique, dans le corporel et peut-être au-delà, où le subjectif bascule dans l’être, dans une dimension qui n’est pas la dimension de l’humain. Tu vois, je pense qu’avant j’étais trop conscient de moi-même, je voulais pas être jugé ou être, tu vois, comme ça. J’étais trop habité par le contexte historique. Maintenant plus du tout, enfin j’y crois plus maintenant. En plus on laisse aucune trace dans le monde qu’on vit, puis il suffit que de faire, quoi ! Il y a tellement d’informations, tellement de choses qui se passent en même temps… tellement de guerres qui sont en même temps. Il y a tellement des morts et des suicides, et des trucs et des merdes… et que tout ce qu’on fait c’est complètement intraçable quoi. Donc en fait, laisser un point dans l’histoire, tout ça, les trucs qu’on pensait quand on était jeune, tout ça… Il faut complètement oublier et je pense que… Je pense qu’il y aura peut être, qu’il y aura d’autres… d’autres paramètres historiques… Dont on connait pas, en ce moment, qui vont se développer… mais heureusement qu’on ne les connaît pas, donc on agit et on est, on est, on est, on est. Et donc, mais on n’a pas à se soucier des paramètres historiques. Comment laisser une trace ? Je pense que c’est le problème des musiciens finalement, et des artistes. Il y a cette idée-là, vouloir laisser une trace… Je pense qu’ils faut vraiment pas s’en soucier même si tu fais tous les efforts du monde, dans le monde qu’on vit, c’est complètement une banalité quoi. Tout ça, c’est… Je pense qu’il faut faire des choses et puis voilà quoi, essayer de ne pas crever et faire des choses.
[00:14:26] Septembre 2022 — Essayer de ne pas crever
Recueil des disjonctions
Megumi Okuda. Je sais pas, j’ai dû beaucoup m’adapter au pays où j’étais pour dire OK, il faut parler comme eux, il faut s’exprimer un peu comme eux, mais j’ai toujours eu cette sensation de, finalement, l’intégrité ou la totalité de moi, je ne sais pas si en fait ça se voit ou ça se comprend, ou ça se transmet. C’est un peu fou ce que je dis, mais c’est… c’est vrai. Même avec mes amis roumains — mes meilleurs amis sont des Roumains, quelques amis, oui — et j’ai quand même mal parfois à avoir, en fait à communiquer. Et du coup, ce que j’ai commencé à faire, c’est de faire des sons… c’est vraiment comme des… on vient à une… On dirait qu’on est des… des singes, des gorilles, des animaux.
[00:00:00] — Pink Floyd, Several Species of Small Furry Animals Gathered Together in a Cave and Grooving with a Pict (Roger Waters), Ummagumma, 1969
[00:00:11.240] — Megumi Okuda
Mais du coup, parfois, je ne dis pas que ça me convient pas, je fais un son et il commence. Enfin, il comprend. Mais donc je suis un peu comme un bébé finalement.
[00:00:48] — Dieter Schnebel, Maulwerke and early recording, 1988-1999
[00:01:21] — Pink Floyd, Several Species of Small Furry Animals Gathered Together in a Cave and Grooving with a Pict (Roger Waters), Ummagumma, 1969
[00 : 01:38] — Megumi — Dieter Schnebel, Maulwerke and early recording, 1988-1999
Que le transfert c’est l’amour. Purement et simplement. Alors pourquoi est-ce qu’on aime un être pareil ? Je laisse pour l’instant la question en suspens. J’en ai donné une formule et c’est à propos du transfert que j’ai parlé… dans des termes… qui sont… pleins de pièges… comme d’habitude, comme dans tout ce que je dis bien sûr.
Pourquoi dirais-je autre chose que ce dont il s’agit, justement ? Dans ce qu’il en est de l’inconscient. À savoir que le langage, ça n’a jamais, ça ne donne jamais, ça ne permet jamais de formuler quelque chose qui a… quatre, dix, vingt-cinq sens. Le sujet supposé savoir.
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— Jacques Lacan, Conférence à l’université de Louvain, 1972
Recueil des disjonctions
C’est comme parce qu’il est parlant qu’il est « être », puisqu’il n’y a d’être que dans le langage. Alors, le parlant… le parlant, vous l’êtes tous, enfin du moins je le suppose… le parlant que vous êtes tous se croit être, dans bien des cas, en tout cas dans celui-là, il suffit de se croire pour être en quelque façon. Le minimum qu’on puisse dire, c’est que tout ce qui s’édifie entre ces animaux dits humains est construit, fabriqué, fondé sur le langage.
[00:04:32.560]
Tu sais, j’ai jamais eu une connexion très proche avec les mots. Par exemple, quand je lis quelque chose.
J’arrive pas à imaginer ce que ça veut dire. Il faut commencer à vraiment… à lire en fait, avec ma voix forte pour peut être comprendre un truc. Et c’est juste très très facile de dire OK, on lit un livre et il y a une chambre et une table longue, carrée ou je ne sais pas quoi. Il y a trois chaises, je peux pas imaginer. C’est très difficile pour moi d’arriver à imaginer ce que les mots veulent dire. Donc, je pense que ça veut dire que pour moi… j’ai très mal à m’exprimer aussi. Avec les mots. Que même si c’est un langage que tout le monde parle, c’est la façon où on peut communiquer. Mais j’ai très mal. Donc je pense que ce mélange des… des mots un peu qui sont pas des vrais mots que j’utilise pour fabriquer une phrase, c’est aussi la limite que j’ai avec les mots, c’est que je peux pas utiliser… J’évite d’utiliser le texte par exemple, parce que je ne peux pas m’approcher en fait de dire que j’ai
[00:07:07] — Dieter Schnebel, Maulwerke and early recording, 1988-1999 bien compris. La poésie, pour moi c’est… c’est très difficile à arriver à vraiment prendre et de comprendre ce que ça veut dire. Donc oui, c’est une limite que j’ai, mais j’aimerais exprimer quand même quelque chose. J’aimerais dire quelque chose, mais j’y j’arrive pas. Donc par exemple, pour ce projet avec mes jouets, c’est un peu pareil, mais ici ils essayent de dire quelque chose et on ne comprend pas tout à fait. Par contre, l’intonation ou le registre de la voix peut quand même exprimer une émotion et je pense que je… donc je vais en fait… j’essaie de faire… j’essaie de communiquer une émotion plutôt que quelque chose de très précis.
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J’aime bien… j’aime pas du tout en fait les interviews ou je sais pas ce que les gens vont demander, parce que j’aime bien ce côté de me présenter comme un être quand même bien complet et intelligent. Et tu ne m’as pas du tout aidé, je te jure, tu m’as pas du tout aidé.
[00:09:15]
References
Amon Tobin, Verbal, 2002 21
Andy Warhol, Sleep, 1963 13
Antonin Artaud, Sort, 8 mai 1939 14
Dieter Schnebel, Maulwerke and early recording, 1988-1999 20
ELpH vs Coil, Worship The Glitch, 1995 13
Emerson, Lake and Palmer, Pictures At An Exhibition, 1971 11
Emerson, Lake and Palmer, Tarkus, 1971 11
Gabriel Orozco, Dog Circle, 1995 7
Hildegard Von Bingen, O virga ac diadema 7
Jacques Lacan, Conférence à l’université de Louvain, 1972 21
Jean Rouch, Portrait de Raymond Depardon, 1983 3
Joseph Beuys, Felt Suit, 1970 15
Joseph Beuys, The Chief-Chant Fluxus, 1963 9
Julia Kristeva, Littérature et psychanalyse, Centre Audiovisuel de Paris, Octobre 1997 16
Luciano Berio, Sequenza III, 1966 21