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La Princesse de Clèves (éd. Livre de Poche), Madame de La Fayette 1678
I-L’œuvre 1) L’auteur Madame de La Fayette (1634-1693 ) Née en 1654 à Paris dans une famille de petite noblesse de l'entourage de Richelieu (sa mère est fille d'un médecin du roi et son père est écuyer du roi), elle sera dame d'honneur de la reine Anne d'Autriche. Elle reçoit une éducation littéraire et fréquentera les salons en vogue. Elle se mariera avec le comte de La Fayette en 1655 et lui donnera deux fils. Elle est amie avec La Rochefoucault, la duchesse d'Orléans ainsi que Marie de Sévigné. Elle deviendra romancière française, et grande dame de son temps, auteur du célèbre roman La Princesse de Clèves. Familière des salons littéraires de la capitale, citée dans le Dictionnaire des précieuses (1660) de Somaize, Madame de La Fayette entreprend d'écrire des romans. Son oeuvre pose le problème de la condition féminine, en un temps ou mariage et amour sont rarement compatibles. La Princesse de Clèves : Ce roman est publié en 1678, sous l'anonymat. C’es l’œuvre la plus célèbre de Madame de La Fayette, très importante dans la littérature française car elle est considérée comme le chef-d'oeuvre du roman classique et pour le modèle du roman d'analyse psychologique. Écrit à la troisième personne, le récit a pour toile de fond historique la vie à la cour des Valois, dans les dernières années du règne d'Henri II. Il met en scène une jeune femme superbe et parfaite, Madame de Clèves, mariée sans amour, qui s'éprend du duc de Nemours. Ce roman qui évoque les troubles de l'amour passion ressenti par le personnage principal de l'oeuvre. On considère que La Princesse de C lèves est le premier roman d'analyse.
2) Résumé A la cour d'Henri II, à Paris, le jeune prince de Clèves rencontre Mlle de Chartres, jeune, belle et charmante ; il gagne son estime et l'épouse. Mais, peu après son mariage, la nouvelle princesse de Clèves rencontre à un bal le duc de Nemours, très séduisant et admiré par toutes les dames de la cour. Mme de Clèves commence à sentir l’attirance et l’inclination vers le duc. Après une courte retraite à la campagne, la princesse revient à Paris avec l'espoir de pouvoir maîtriser ses sentiments. Mais elle n’arrive pas à les dissimuler au duc, qui dérobe l'un de ses portraits. À l'occasion de la lecture d'une lettre galante, que la princesse croit être adressée à M. de Nemours, elle découvre les tourments de la jalousie. Persuadée des dangers de l’amour, la princesse de Clèves choisit de quitter la cour. Son mari pourtant ne comprend pas les raisons de sa fuite et elle lui fait alors l'aveu de sa passion tandis que le duc de Nemours, caché, écoute. Le duc, convaincu du fait d’être aimé, révèle imprudemment en public le secret de cette aventure et soudain c’est la cour entière qui en parle. Le mari, l’épouse et l’amant sont torturés par les soupçons et la jalousie. La princesse se retire à la campagne où elle est espionnée par un sujet du prince. M. de Nemours ne peut pas supporter l’absence de la princesse et il parvient à la revoir. M. de Clèves croit avoir été trahi par sa femme et il meurt de chagrin. La princesse finit par avouer son amour à Nemours, mais elle refuse de l'épouser même si elle est de nouveau libre et elle se retire dans une maison religieuse.
II- La forme de l’œuvre La Princesse de Clèves respecte la narration linéaire et suit un ordre chronologique. Cette œuvre est constituée par quatre récits insérés, qui pourraient éventuellement apparaître comme une survivance baroque, mais ces quatre narrations sont liées à l’intrigue principale. Le roman ne décrit même pas la vie des héros, mais plutôt le début et la fin de la passion qui dévore la princesse. Ce récit se plie à la bienséance et à la vraisemblance et donc certaines scènes respectent le goût de l’époque. La narration est imprégnée par un certain pessimisme, qui s’est fait sentir dans la société classique et qui aussi influence la perception de l’amour. L’amour suscite des questions sur la fidélité maritale, l’incertitude de l’existence ou le sens profond de la vie L’amour, ou bien la passion, n’est pas la source du bonheur ni de la vertu. Il provoque des sentiments de culpabilité qui finissent par la perte des amants ou par leur mort. La narratrice prend ses distances comme elle a appris à le faire par la rédaction des
mémoires ; elle s’y résignait à la troisième personne mais cet usage n’exclue pas le je qui authentifie le récit en son commencement dans la galerie de portraits «ceux que je vais nommer ». La Princesse de Clèves fait aussi preuve de la nouvelle façon d’écrire la fiction : l’analyse psychologique, surtout par ses monologues et les interrogations qui mènent à l’exploration profonde de la vie intérieure de l’héroïne. Dans cette nouvelle on trouve une narration historique et une fiction entremêlées. L’auteur nous propose un ancrage historique qui suit la chronologie précise des dernières années du règne d’Henri II et introduit en même temps des personnages historiques de la cour. Cependant les personnages principaux sont purement fictifs et l’action centrale est entièrement inventée de sorte que l’histoire n’est là que pour servir de cadre qui garantit la vraisemblance.
III- Une Passion Amoureuse tragique En France, sous le règne principalement d’Henri II, une passion brûlante va naître entre deux jeunes personnes issues de la haute noblesse : la Princesse de Cléves et Mo nsieur de Nemours. La première, d’une beauté rare et éblouissante, élevée à bonne distance des moeurs dissolues de la Cour, respectueuse de la vertu, n’a jamais connu la moindre inclinaison de coeur même à l’égard de son mari pourtant honnête homme. Le second, Monsieur de Nemours, gentilhomme investi d’un grand prestige sur le plan diplomatique apparait inversement comme un séducteur impénitent. Leur rencontre aura lieu au cours d’un bal somptueux où leur mise en présence fortuite fera forte impression sur l’auditoire mais également sur euxmêmes: «M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. » (1ère partie, page 152) Dès lors, va s’installer entre eux une savante mise en scène destinée pour Monsieur de Nemours, à faire savoir à son aimée la passion dévorante qui l’anime et inversement pour la Princesse de Clèves. à porter à l’attention de ce dernier qu’elle ne veut pas céder à l’appel de la déraison et de l’inconvenance. Elle cherchera ainsi toutes les occasions pour se soustraire aux ardeurs de Monsieur de Nemours La Princesse de Clèves dispose de ressources qui vont se révéler infinies pour mettre de la distance entre cette pas sion et elle-même : les leçons de morale de sa mère décédée, les égards dus à son propre époux. Mais les échappatoires ne sont qu’un leurre, elle sent qu’elle est dépassée par la force de ce sentiment et dans le secret de son âme, elle s’y abandonne avec volupté. « Mme de Cléves prit un flambeau et s’en alla, proche d’une grande table, vis à vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M.de Nemours ; elle s’assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner. » (quatrième partie, page 281). Ce sentiment vécu à distance occasionnera néanmoins beaucoup de tourments dans le coeur de la jeune femme : elle sera amenée à souffrir de la jalousie et de l’absence. Devant cette passion dévorante, la Princesse de Clèves sera amenée à faire une confidence à son époux mais loin de la protéger, cette révélation aura des conséquences funestes frappées par des regrets .
La Princesse de Clèves devenue veuve est enfin libre de décider de son destin. Elle voit Monsieur de Nemours saisir l’occasion de faire de celle qu’il adore son épouse. Elle considère que les passions n’existent que parce qu’elles sont contrariées. Adoptant ce point de vue résolument pessimiste, elle choisira une mise à distance définitive qui lui permettra de se protéger de toutes formes de souffrance. Pour éclairer Monsieur de Nemours, elle lui dessine l’avenir commun qui s’offrirait à eux : « Vous avez déjâ eu plusieurs passions, vous en auriez encore ; je ne ferai plus votre bonheur je vous verrais pour une autre comme vous auriez été pour moi. J’en aurais une douleur mortelle et je ne serais pas même assurée de n’avoir point le malheur de la jalousie. (...) on fait des reproches à un amant; mais en fait-on à un mari quand on n’a qu’à lui reprocher de n’avoir plus d’amour?» (. page 307). Le roman est dominé par une vue pessimiste du monde, une négation de la possibilité d'atteindre le bonheur. C'est un monde d'ambition, de galanterie,de conflits, d'intrigues, de passions amoureuses, d'ennui, et d'oisiveté. On cherche surtout à s'élever, à plaire, à servir ou à nuire. La cour est pleine d'agitation, de désordre, de jalousie, de désir d'élévation et de grandeur. Les apparences ne sont pas la vérité. Madame de Chartres qui fait l'éducation de sa fille lui représente la cour comme un lieu où le bonheur est impossible. Sa vision de l'amour est très pessimiste. Elle est influencée par le Jansénisme. En effet, contrairement aux idées de la Renaissance où le bonheur est associé à la vie, à la nature, à la jeunesse, à la beauté et à l'amour, le 17ème siècle, fortement influencé par la religion catholique, voit en l'amour une passion qui, loin de mener au bonheur, détruit l'individu et mène à la mort.
IV- L’Evocation de la Princesse de Clèves : Madame de Lafayette ne révèle en effet pas tout de suite le nom de l’héroïne du roman. Le lecteur la découvre à travers le regard intrigué et admiratif des courtisans. Tout est mis en oeuvre pour retarder son apparition et susciter l’intérêt • La formule impersonnelle ( « Il parut alors une beauté à la cour ») qui donne à cet extrait la tournure d’un conte de fée • L’article indéfini « un » (« beauté », « beauté parfaite ») qui prolonge le mystère sur son identité. • La convergence de tous les regards vers l’ héroïne « qui attira les yeux de tout le monde, « elle donna de l’admiration ». • Afin de faire durer l’attente, Madame de la Fayette ménage une pause dans le récit pour revenir sur le passé et l’éducation de la jeune fille. L’héroïne n’est nommée directement qu’à la fin du texte (« .il fut surpris de la grande beauté de Mademoiselle de Chartres »). Madame de la Fayette met ainsi son héroïne en valeur, dévoilant petit à petit ses multiples qualités. La Princesse de Clèves est présentée comme un modèle de perfection. Elle est désignée la première fois par une métonymie (« une beauté ») qui la consacre d’emblée comme une incarnation de la beauté.
Mile de Chartres apparaît d’autant plus exceptionnelle et distinguée qu’elle se fait remarquer dans un lieu d’exception, la cour. Elle « attira les yeux de tout le monde dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes » On relève des hyperboles et des superlatifs « une beauté parfaite« « la grande beauté « un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle » caractéristiques du registre épidictique. Son statut social également exceptionnel, fait d’elle une personne distinguée On apprend qu’elle est de la même maison que le vidame de Chartres et «des plus grandes héritières de France , « un des plus grands partis qu’il y eût en France » (superlatifs) Il faut noter que le portrait de Mile de Chartres demeure abstrait aucune précision n’est donnée quant à ses traits Sa beauté est davantage suggérée que décrite « la blancheur de son teint que l’on n’a jamais vu qu’à elle », « ses traits étaient réguliers « son visage et sa personne étaient plein de grâce et de charmes » Le personnage principal du roman est le parfait symbole de la sincérité et de la vertu. Sa mère l'a élevée selon de rigoureuses règles morales. La Princesse est très proche de sa mère, qu'elle admire et qu'elle craint à la fois. Elle va lui demander conseil concernant sa passion et suivra ses recommandations, conformes à la morale et aux bienséances. Elle prouvera sa sincérité en avouant à son mari la passion qu'elle éprouve pour le duc de Nemours. Il sera question d’une passion destructrice puisqu'elle causera la mort de sa mère puis celle du Prince. Enfin, elle prouvera sa vertu lorsqu'après la mort de son mari, elle refusera les avances de Nemours et s'éloignera de la vie de cour afin de ne plus souffrir de sa passion. On peut également voir cela comme une émancipation : elle se refuse à être victime de sa passion, à être soumise à ses sentiments. Madame de Chartres transmet à sa fille une vision pessimiste de l’amour Sa démonstration repose en effet sur une concession subtile concernant les plaisirs de l’amour afin de rendre ses critiques réalistes et acceptables soulignés par l’antithèse agréable et dangereux : « Elle lui montrait ce qu’il y a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux ». Or, alors que les plaisirs de l’amour sont évoqués succinctement, Madame de Chartres s’attarde sur les souffrances de la passion. Elle lui énumère les vices des hommes, dépeignant ainsi un monde cruel où l’amour ne mène qu’à la souffrance: « le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements. Madame de Chartres oppose alors la vertu et I amour Elle dresse deux tableaux antithétiques alors que l’amour mène aux « malheurs domestiques ». la vertu donne de « l’éclat » et de « l’élévation ». Amour et vertu sont dépeints comme deux forces antithétiques ne pouvant être conciliées que dans l’amour conjugal « qui peut faire le bonheur d’une femme » Cette éducation rigoriste et moraliste révèle les sympathies jansénistes de Madame de la Fayette et reprend des débats fréquents concernant l’amour dans les salons du XVllème siècle.
Le personnage éponyme est passionné par le duc de Nemours, lequel est aussi amoureux d’elle, cependant Mme de Clèves est mariée. Mme de Clèves qui est vertueuse et a reçu une éducation particulière et exceptionnelle est incapable de s’incorporer dans une aventure amoureuse avec M. de Nemours à cause de sa lucidité qui lui empêche de
montrer son inclination. C’est donc un combat, entre l’amour et la vertu, entre la passion et la raison, qui dominera Mme de Clèves jusqu’à la fin du roman ou elle renoncera à cette passion. Cette passion sera toujours croissante, l’intensité est de plus en plus forte et le combat aussi. Elle sent qu’elle doit une grande fidélité à son mari car M de Clèves est un homme fidèle, vertueux et en plus éperdument amoureux d’elle.
V- Un roman d’analyse psychologique
Les romans d’analyse s’attachent d’ordinaire à peindre les hommes, leurs mœurs, leurs sentiments, selon une double perspective psychologique et sociologique. Ils renoncent aux grandes euphories romanesques, et s’attachent à une réalité plus humaine. Dans ce genre s’illustre Mme de Lafayette, avec son récit, La Princesse de Clèves (1678), dont la passion malheureuse est évoquée avec une sobriété émouvante.
Ce roman est considéré comme le premier roman d'analyse psychologique. En effet, il se consacre essentiellement à l'exploration des sentiments des personnages (ceux de la Princesse de Clèves, de son mari et du duc de Nemours), des sentiments d'amour, de vertu, de désir, de renoncement. L'amour est omniprésent dans le roman. Tous les personnages sont amoureux ou courtisés. La vision qui s'en dégage est celle de la Préciosité : l'amour conduit inévitablement à la souffrance même s'il peut contenir du bonheur. La jalousie apparaît ici comme une des horreurs de la passion, une marque de folie. Le roman a également des vertus historiques : présentation de la cour d'Henri II, habitudes de la cour. L’écriture analytique implique que l’écrivain s’écarte du mouvement du récit. Ce qui compte chez Madame de La Fayette c’est la description des lieux, du décor et de l’apparence, surtout physique, des personnages. La Princesse de Clèves commence par une description de la cour de Henri II qui nous offre une variété des substantifs et adjectifs abstraits comme : magnificence, nature, plaisir, beauté, politesse, beau, grand, incomparable, parfait. L’auteur décrit la cour disant que : « La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second.[…] Jamais la cour n’a eu tant de belles personnes et d’hommes admirablement bien faits. » (P. de C., pp. 21, 22) Les verbes que Madame de La Fayette utilise sont aussi vagues : être, sembler, faire, paraître. « Aussi la langue de Mme de La Fayette, par ailleurs si discrète, si nuancée, abonde-t-elle en hyperboles lorsqu’il s’agit de qualifier les sentiments ou les actions de ses héros. Dans cet univers extrême, tout est admirable, considérable, extraordinaire, infini, parfait, surprenant. » Dans certains passages Madame de La Fayette est obligée de quitter l’abstraction et donc elle s’échappe vers la généralisation des observations concrètes. Elle se sert donc de l’adverbe comme ou du démonstratif qui donne un effet de la distance « Madame de Clèves était un peu négligée, comme une personne qui s'était trouvée mal ; […] » (P. de C., p. 51), « […] et sitôt qu'elle ne fut plus soutenue par cette joie que donne la présence de ce que l'on aime, elle revint comme d'un songe ; […] » (P. de C., p. 107). Pour que Madame de
La Fayette puisse se concentrer sur l’analyse objective, elle utilise également le discours indirect. Même si le vocabulaire de Madame de La Fayette est assez vague et abstrait le lecteur sait imaginer concrètement l’espace où l’action se déroule comme s’il était au théâtre et regardait la scène. Nous pouvons citer ici le passage du portrait dérobé qui illustre bien la description détaillée de la pièce où cette scène a lieu : « Mme la dauphine était assise sur le lit et parlait bas à M me de Clèves, qui était debout devant elle. Mme de Clèves aperçut par un des rideaux, qui n’était qu’à demi fermé, M. de Nemours, le dos contre la table, qui était au pied du lit, et elle vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement quelque chose sur cette table. Elle n’eut pas de peine à deviner que c’était son portrait, […]. » (P. de C., p. 80) Cette scène est remarquable également par le fait que l’auteur présente au lecteur une introduction de la scène en lui bien décrivant les décors de l’action. L’action elle -même se passe sans mots comme si le lecteur était dans la pièce et faisait partie de la scène. Le lecteur ainsi partage les regards échangés entre la princesse de Clèves et le duc de Guise et les regards dans cette scène semblent être plus significatifs que les paroles.