SINGAPour N˚7 – MAI | JUILLET 2016
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Edito
Changer Singapour, changer le monde ui sont les jeunes Singapouriens ? Quels rêves ont-ils ? Comment envisagent-ils les enjeux du présent et leur avenir ? Etonnamment, les études disponibles sur la génération des 18-35 ans à Singapour sont assez rares et en disent plus sur les motivations de leurs commanditaires – banques, cabinets de recrutement, gouvernement… – que sur les intéressés eux-mêmes. Tout au plus pourrait-on faire des jeunes Singapouriens un portrait en creux à partir des questions auxquelles les instituts de sondages les confrontent : les jeunes Singapouriens ont-ils vocation à être des « game changers » ? quelle est leur propension à épargner ? Comment perçoivent-ils les étrangers ? L’argent fait-il encore leur bonheur ? En quoi la famille et la communauté participent-elles à leur équilibre ? En 2013, le Premier ministre de Singapour donnait un accent lyrique à son appel à la jeunesse, l’invitant à mettre son idéalisme, son énergie et sa passion au service du changement et de
la construction du futur. Tout au long de l’année du Jubilé, dont le dernier acte a été l’organisation d’élections générales, le discours public s’est attaché à mettre en scène le passage de témoin entre les pionniers et la génération qui aura pour mission de prolonger leur œuvre au cours des 50 prochaines années. Que feront-ils de cet héritage ? On les invite à embrasser le changement pour tenir compte des évolutions technologiques, de l’état de la planète et des réalités internationales. Pour autant seront-ils tentés d’embrasser toutes les valeurs qui ont fondé le succès de Singapour ? Ou bien se feront-ils les thuriféraires de nouvelles tendances – économie de partage, investissement dans la culture et dans l’humain ? L’autre question concerne la nature même de cet héritage. Richesse ou charge ? La réponse n’est pas si nette lorsqu’on prend en compte l’environnement dans lequel les jeunes Singapouriens devront construire leurs projets d’avenir : coût de la vie, urbanisation et densité
de la population croissante, baisse des mariages et transformations des liens de solidarité. Malgré son titre au singulier, Une jeunesse singapourienne se présente comme un caléidoscope, un « portrait chinois » dans lequel on s’est attaché à découvrir les différents visages de cette jeunesse selon qu’elle rêve de carrière professionnelle, d’engagement au service de la cité ou de la planète en général, de création artistique ou de réussite sportive… Les jeunes y sont bloggeurs, informaticiens, artistes, entrepreneurs de la nouvelle économie, créateurs d’ONG ou de business sociaux. A rebours de l’idée d’une jeunesse dorée, peu imaginative et allergique au risque, ces portraits donnent à voir des jeunes qui vivent avec la globalisation, la technologie, les enjeux sociaux et environnementaux, et les hoquets de l’économie. L’équipe de l’édition Singapour www.lepetitjournal.com/singapour singapour@lepetitjournal.com
© Carole Caliman
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Showhome, 20 Malcolm Road, Singapour, 308259 - Ouvert tous les jours Entrepôt Showroom, 159 Sin Ming Road, Singapour 575625 - Sur rendez-vous Téléphone : +65 6235 1905 ou +65 9858 6889 Email : info@chinacollection.com.sg
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Numéro 7
Mai | Juillet 2016
SINGAPour
Sommaire
« You are our future. You are idealistic, full of energy and passion. Go forth, change Singapore, change the world, for the better. »
© Carole Caliman
Prime Minister Lee Kuan Yew, 2013
8 / Dossier : Une Jeunesse Singapourienne
3 Edito
© The Dorsal Effect
6 Fil Rouge
38 / Kathy Xu, The Dorsal Effect
Les évènements marquants des derniers mois sur lepetitjournal.com de Singapour
8 Dossier
© Ken Kwek
Une jeunesse singapourienne
44 / Portrait : Ken Kwek
26
Les Français à Singapour
26 • 3 Français en terra barramundi 32 • Un Français sous les drapeaux
34 Photo-reportage Haw Par Villa
MCI (P) 064/05/2016 Editeur Fil Rouge Pte. Ltd / Directeurs de la publication Bertrand Fouquoire, Elodie Imbert, Christine Leleux / Rédacteur en chef Bertrand Fouquoire / Rédaction Clémentine de Beaupuy, Cécile Brosolo, Raphaëlle Choël, Cécile David, Bertrand Fouquoire, Véronique Helft Malz, Tom Tiger, Marion Zipfel / Agenda Maud Wind / Conception, Graphisme Elodie Imbert / Publicité et promotion Christine Leleux / Nathalie Swyngedauw Trésorerie Nathalie Swyngedauw / Impression IPrint Express Photos couverture © Carole Caliman Photos remerciements spéciaux à Carole Caliman et Elie Cortine
Tirage à 4000 exemplaires
38
Singapour Autrement
38 • Kathy Xu, The Dorsal Effect 42 • Business Solidaire
44 Culture
Portrait : Ken Kwek
48 Agenda, sélection de la rédaction Evénements à ne pas manquer
50 Escapade Gourmande
Apéritif dînatoire et cuisines du monde
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Fil rouge
© Carole Caliman
L’hôtel Raffles dans le giron d’ACCOR Les amateurs du Singapore Sling, qui fut en son temps une création de l’hôtel Raffles, ne bouderont pas leur plaisir que leur boisson favorite soit bientôt servie dans un hôtel français. Que les puristes se rassurent, rien ne change, si ce n’est l’emblématique hôtel Raffles lui-même. Celui-ci fait partie des enseignes Fairmont, Raffles et Swisshotel que vient d’acheter Accor pour la modique somme de 2,6 mil-
liards d’euros. Avec cette transaction, le groupe hôtelier français consolide sa présence internationale et s’invite dans le segment de l’hôtellerie haut de gamme et très haut de gamme, où il se hisse, d’un coup, au 5ème rang mondial. La transaction ne deviendra effective qu’en juin 2016, après accord des autorités de la concurrence.
Sciences Po crée un double diplôme avec NUS C’est officiel : l’Université Nationale de Singapour (NUS) et Sciences Po ont signé, en février, un protocole d’accord concernant la mise en place d’un double diplôme entre les deux institutions. Dans le cadre de ce cursus, les étudiants, sélectionnés conjointement par les deux institutions, passent deux ans en France, dans l’un des 3 campus de Sciences Po – Le Havre, Menton et Reims – où les enseignements sont
dispensés en anglais, et deux ans à Singapour. A l’issue de ce cursus, ils obtiennent le diplôme des deux institutions. Une opportunité qui ne devrait pas seulement séduire les jeunes Français et les jeunes Singapouriens, mais également les étudiants étrangers, nombreux de part et d’autres.
© Bertrand Fouquoire
Singapour, ville la plus chère du monde Pour la troisième année consécutive, Singapour conserve sa couronne de ville la plus chère du monde, dans le classement établi par The Economist Intelligence Unit. Si l’écart avec Zurich et Hong Kong, ses suivantes immédiates, s’amenuise, la cité-Etat caracole en tête du classement, loin devant des concurrentes sérieuses telles que Paris, Londres, New York et Los Angeles, respectivement à la
5ème, 6ème, 7ème et 8ème place. Les points forts de Singapour, au moins dans une perspective où le coût élevé de la vie serait vertu : le prix des automobiles, soutenu par le dispositif du COE (Certificate Of Entitlement) ; le coût de l’électricité et de l’eau et celui des vêtements.
© Wikipedia
Singapore Airlines en pince pour l’A350
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10 ans qu’elle l’attendait. La compagnie Singapore Airlines a accueilli en grande pompe son premier Airbus A350, le 16ème de ce type à rentrer en service dans le monde. Pouvant transporter jusqu’à 300 passagers, le nouvel appareil a été configuré pour Singapore Airlines dans une version de 253 sièges (42 en Business Class, 24 en Premium Economy et 187 en classe économique). Il est réputé consommer
25 % de carburant en moins par rapport aux autres appareils de la catégorie et vient, côté passager, avec un nouveau système de divertissement. Son exploitation limitée dans un premier temps à des vols régionaux en Asie, sera ensuite étendue à la desserte d’Amsterdam et Düsseldorf.
© Nuyou
La fausse retraite de Rebecca Lim L’actrice Rebecca Lim a fait les frais sur internet d’une campagne de publicité organisée par NTUC. Actrice de télévision, Rebecca Lim est l’une des plus brillantes stars singapouriennes du moment. Ce qui a déclenché l’ire de ses fans dans les forums ? Le 12 février 2016, Rebecca Lim a posté un message sur son compte Instagram dans lequel elle annonçait qu’elle prenait sa retraite. Le soir même, elle
postait une autre vidéo expliquant que le message n’était pas à prendre au pied de la lettre mais qu’il s’agissait essentiellement de sensibiliser les jeunes Singapouriens à la nécessité de préparer leur retraite. Encore sous le choc de la fausse annonce et révoltés par le procédé, les jeunes fans n’ont, semble-t-il, pas apprécié.
© Giancarlo Brosolo
La National Gallery fait bouger les cadres Reframing Modernism, l’exposition organisée en collaboration avec le centre Pompidou à Paris, du 31 mars au 17 juillet à la Singapore National Gallery, présente une éclatante confrontation des « modernes » en Europe avec les peintres de l’époque en Asie du Sud-Est. Une révélation : l’occasion parmi les œuvres des 40 artistes représentés de juger des influences et des correspondances qui d’un continent
à l’autre unissent les artistes dans un mouvement comparable, dans le choix des sujets ou des styles. L’opportunité de découvrir les œuvres somptueuses des artistes d’Asie du Sud-Est : Georgette Chen, Nguyen Gia Tri, Hernando Ocampo…
© Carole Caliman
Grosses chaleurs 2015, année record pour le globe où la température a atteint son plus haut niveau depuis 137 ans, est entrée dans les annales de Singapour comme l’une des années les plus chaudes depuis 1869. Avec une température moyenne de 28,3°, elle se situe au même niveau que les deux années records de 1997 et 1998. Préoccupant : le rythme du réchauffement depuis 1948 – 0,25° en moyenne par décennie – est deux
fois plus important que celui constaté globalement (+ 0,12°). Pour le service météo de Singapour les causes de ce réchauffement ne sont pas seulement explicables par l’effet de serre mais sont aussi à rechercher dans la substitution du béton aux espaces verts liée à l’urbanisation.
© Carole Caliman
Le programme Merlion a 10 ans La coopération scientifique entre la France et Singapour se porte bien. En témoignent l’installation à Singapour, en 2014, du bureau régional pour l’Asean du CNRS, l’accord conclu la même année entre l’Agence Nationale de la Recherche (en France) et la National Research Foundation (à Singapour), et les presque 180 projets soutenus dans le cadre du programme Merlion. Piloté par l’Institut Français,
le programme Merlion, qui est une déclinaison, à Singapour, des partenariats Hubert Curien, soutient les projets de recherche impliquant des laboratoires français et singapourien, en finançant les déplacements de chercheurs et d’étudiants entre les deux pays. Créé en 2006, le programme Merlion fête cette année son dixième anniversaire.
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UNE JEUNESSE L’héritage pas si simple de la génération post-Lee Kuan Yew Les jeunes Singapouriens sont-ils heureux ? Un sondage Ipsos réalisé en 2013 indiquait qu’ils le seraient à 86 %. C’est une bonne nouvelle ; même si on peine à croire que la question du bonheur, forcément contextuelle, puisse tenir en une seule question. S’agissant de contexte, la jeunesse singapourienne doit gérer les aspects positifs et les élements plus encombrants de l’héritage des 50 glorieuses, avec son cortège de valeurs – discipline, travail, abnégation… –, qui pourrait la faire passer pour une jeunesse dorée et oublieuse des efforts des pionniers, au moment où elle doit affirmer sa différence pour affronter ses propres défis et difficultés.
C
e qu’il faut sans doute rappeler, c’est qu’avant d’être de jeunes Singapouriens, les intéressés sont d’abord des jeunes. Ils font partie de cette génération Y qu’on a décrite ailleurs, globalement, comme individualiste, instable, rebelle à la hiérarchie, travailleuse mais à son rythme, soucieuse d’équilibre entre travail et vie personnelle, matérialiste et hyper connectée. Une génération en quête de sens, qui revendique son droit au bonheur, est sensible aux problématiques liées à l’environnement et met l’humain au cœur de son approche. Que dit-on généralement des jeunes Singapouriens ? Qu’ils sont hyper-connectés. Qu’ils auraient grandi dans un univers confortable et protégé, choyés par leurs parents, formés dans le moule
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d’un système d’éducation exigeant et hautement compétitif mais favorisant peu la créativité. Qu’ils seraient anxieux par rapport à l’avenir, auraient du mal à se rencontrer et seraient davantage soucieux de leur carrière et de leur train de vie, que de se marier et fonder une famille. Generation Strawberry Commençons par reconnaître que les jeunes Singapouriens ne peuvent être rangés dans une seule catégorie. Tous ne sont pas issus de milieux favorisés. Tous n’ont pas fait des études supérieures et ne sont pas allés étudier à l’étranger. Tous ne rêvent pas d’une carrière dans la finance, dans la fonction publique ou dans le domaine de la santé. Certains ont l’esprit d’aventure et rêvent d’étranger, de start-up ou de carrière artistique, d’autres ont
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Dossier plus de difficultés à sortir de leur zone de confort. Certains ne portent aucun intérêt à la chose publique, d’autres au contraire s’engagent dans l’associatif et l’entreprenariat social ou veulent faire de la politique. De quelle situation les jeunes Singapouriens héritent-ils ? On a beau jeu d’en faire les héritiers un peu passifs du travail réalisé par leurs parents et par les pionniers pendant les 50 glorieuses de Singapour, de 1965 à 2015. Dans une interview accordée en janvier 2014 à The Independent, Donald Low, Doyen associé à la Lee Kuan Yew School of Public Policy, confie que les transformations importantes de l’environnement dans lequel les jeunes sont appelés à vivre n’incitent pas à l’optimisme. Le contrat social de Singapour, rappelle-t-il, est fondé sur 2 éléments : le logement et l’emploi. Dans les deux cas, la situation se présente de manière beaucoup moins favorable pour ceux qui ont entre 18 et 35 ans aujourd’hui. Le prix des logements augmente sensiblement plus rapidement que celui des revenus. « Je pense que ce sera très difficile pour un diplômé de Polytechnic, qui commence à travailler aujourd’hui, de devenir propriétaire du même type de logement que celui que ses parents ont pu acquérir vers 30-40 ans ». L’emploi, à Singapour comme ailleurs est caractérisé par un risque de polarisation. En clair, les nouvelles technologies offriront des opportunités à ceux qui, les maîtrisant parfaitement, sauront en tirer un avantage concurrentiel dans leur profession. En bas de la structure des emplois, ceux qui ne peuvent être automatisés demeureront. Entre les deux, les emplois vont subir de profondes transformations et les opportunités se réduire. « Entre les préoccupations liées au coût du logement, les objectifs de carrière et le souhait de fonder une famille », dit-il encore, « il n’est pas surprenant que beaucoup de jeunes Singapouriens
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repoussent le troisième. Bien sûr, toutes les études commandées par le gouvernement vous diront que les jeunes Singapouriens veulent se marier et avoir des enfants. Mais c’est confondre ses souhaits avec la réalité ». Travailler dur et avec discipline Héritage encore, les jeunes Singapouriens ont été nourris du narratif de Singapour, à l’école et, tout au long de l’année 2015, à l’occasion du Jubilé de Singapour. Un narratif qu’Eddie Teo, Chairman de la Public Service Commission, résumait dans un article du Straits Times en 2015, de la manière suivante : « comment Singapour a dû, malgré elle, surmonter les affres de la séparation d’avec la Malaisie et faire face à de nombreux défis ; combien elle est vulnérable, comme nation, étant donnés sa taille et ses voisins ; comment nous devons continuer d’être exceptionnels pour continuer de prospérer; comment chacun doit travailler dur et avec discipline parce qu’on ne peut compter sur personne pour gagner sa vie ; comment les avantages sociaux ne doivent pas remettre en cause notre éthique du travail ». Pour l’intéressé, les jeunes Singapouriens, dont il est amené chaque année à rencontrer un certain nombre dans le cadre de l’attribution des bourses du gouvernement, ont beaucoup de qualités. Ils travaillent, savent rester humbles et aident les défavorisés. Ils sont critiques vis à vis du système éducatif qui leur semble accorder trop d’importance aux résultats académiques et pas assez, par exemple, à d’autres domaines tels que le sport ou les arts ; ce qui lui paraît une posture généreuse, compte tenu du fait que les jeunes qu’il rencontre font a priori partie de ceux qui ont le mieux réussi. En revanche, estime-til, ils doivent se débarrasser des attitudes de « Kiasu » (peur de l’échec) et de « Kiasi » (timidité). Ils ne doivent pas avoir peur de prendre des risques
Pour Eddie Teo, les jeunes ont beaucoup de qualités, mais ils doivent se débarrasser des attitudes de Kiasu (peur de l’échec) et de Kiasi (timidité)
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et être plus créatifs. Ils n’ont qu’une faible connaissance de l’histoire de Singapour. Ils s’intéressent peu à l’actualité et, quand ils le font, s’intéressent davantage à l’actualité globale qu’à celle de la région. Les plus favorisés, qui ont eu la possibilité de voyager, connaissent bien, selon lui, Londres ou Sydney, mais ne sont jamais allés à Rangoon ou Phnom Penh. Talentueuse, la génération post Lee Kuan Yew, ne partage pas forcément toutes les valeurs de ce dernier. Dans la perspective du Grand homme, le citoyen idéal est quelqu’un de pragmatique, responsable, frugal, travailleur, bien élevé, orienté vers la famille et privilégiant la société avant soi-même. Autant de valeurs qu’on retrouve en filigrane dans toute une littérature – études, reportages ou programmes – consacrée à la jeunesse. Eddie Teo rapporte une anecdote qui en dit long sur le décalage entre les générations : lors d’une visite de Lee Kuan Yew en Australie, celui-ci avait souhaité rencontrer d’anciens Singapouriens ayant choisi de s’installer en Australie pour comprendre ce qui les avait poussés à s’exiler. Lorsque l’un des participants lui a expliqué qu’il pouvait ainsi travailler à mi-temps et aller à la pêche l’après-midi, il est littéralement tombé de sa chaise.
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Bertrand Fouquoire
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Dossier
Qu’est-ce qui fait courir les jeunes Singapouriens ? Portraits croisés d’une militante, d’une bloggeuse et d’un codeur surdoué Lastrina, Uli et Nigel sont trois jeunes Singapouriens talentueux. La première se bat pour préserver la planète, la seconde est une bloggeuse influente, le dernier est un accro du développement informatique. Trois personnalités différentes, un même désir : agir, laisser une trace, réussir. Ci-contre : Lastrina lors de la Cop21
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En bas, de gauche à droite : Ulimali, Nigel et Lastrina
astrina, Uli et Nigel ne s’arrêtent jamais. L’un des combats actuels de la jeune militante écologique, c’est la réduction du nombre de sacs plastique, encore distribués gratuitement en caisse. « On n’a pas besoin d’attendre que le gouvernement lance une mesure. Il faut juste encourager les Singapouriens à prendre conscience de leurs actes. » De manière plus générale, elle veut inciter la population à agir au quotidien par des gestes simples, comme réduire le temps passé sous la douche ou éteindre, plutôt que mettre en veille, les appareils électriques. On la verrait bien faire de la politique. « Je me sens bien dans la société civile. Mais depuis le discours que j’ai fait à Paris, je pense qu’il peut être intéressant de s’investir à un autre niveau. » Elle nous confie avoir été approchée, avec une amie militante, pour faire partie du ministère de l’environnement afin de partager leurs idées avec les parlementaires. « Je n’ai pas forcément envie d’être une femme politique mais au moins de côtoyer ce milieu pour faire bouger les choses. »
De haut en bas : Ulimali, de par ses goûts éclectiques et son intérêt tout particulier pour la mode est “citée dans les magazines feminins et a remporté le prix du meilleur blog de mode en 2015 « Le gouvernement aide beaucoup les start-up » souligne Nigel
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© Infocomm Development Authority of Singapore (IDA)
Singapour mon amour Pour Nigel, Uli et Lastrina, Singapour est plutôt un environnement favorable pour mettre en œuvre leurs projets. « Le gouvernement aide beaucoup les startup », souligne Nigel, qui espère créer un jour son entreprise. Uli apprécie le fait que la ville soit « très sûre » et qu’hommes et femmes soient sur un même pied d’égalité. « Il n’y a pas vraiment de discrimination. Quand j’entends parler de ce genre de problème ailleurs, j’ai du mal à comprendre comment c’est possible. » Ils sont fiers de leur pays. Lastrina
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Dossier estime que le gouvernement agit énormément au niveau écologique ; Uli observe que de réels efforts sont faits pour améliorer l’offre culturelle : « Il y a encore des progrès à faire, notamment du côté de la scène underground, mais ça avance ! ». Tous les trois n’en restent pas moins lucides. « On regorge de talents dans la mode. Mais j’ai l’impression que les étudiants manquent de confiance en eux », reconnaît Uli. « On n’a pas le courage que des jeunes d’autres pays ont. Les gens disent souvent qu’on est privilégiés parce qu’on n’est pas exposés à la pauvreté et parce que le système éducatif est très protecteur. C’est vrai. » Elle évoque une obsession de la réussite. « On s’effondre
complètement si on échoue ici. » Nigel acquiesce. « Les études prennent trop de place. Moi j’arrive à coder en parallèle, mais la majorité des jeunes ne pensent qu’à étudier. » Rêve d’étranger ? Nigel fantasme sur la Silicon Valley mais n’envisage pas de partir pour le moment. Lastrina aimerait se poser à Singapour avant d’aller « peut-être » vivre ailleurs, après 30 ans. Elle a récemment eu un coup de cœur pour Istanbul, dont elle a aimé le mélange entre culture européenne et asiatique, la proximité entre la ville et les espaces naturels. Uli, elle, est tombée amoureuse de l’Allemagne l’année dernière. Elle a trouvé le pays inspirant, sur le plan humain
et artistique. « Ils ne cachent pas le côté sombre de leur histoire. Je les ai trouvés très honnêtes par rapport à tout ça. » Elle a également été marquée par la grande liberté d’expression dont jouissent les Allemands. « Dans un parc à Berlin, j’ai vu des mecs débarquer avec des tatouages et des piercings partout. Ils écoutaient de la musique techno super fort. Ça m’a fait flipper ! Puis j’ai réalisé que des enfants jouaient autour d’eux. En fait, il n’y avait aucun problème. J’ai trouvé ça tellement cool ! » La jeune femme lève les yeux, fait sautiller ses genoux. « Je veux trop y retourner ! Pourquoi pas pour y travailler. Un jour. Plus tard. J’aimerais bien me marier avant. » Cécile David
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Nigel
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Si Nigel passe lui aussi la plus grande partie de son temps libre penché sur son clavier, ce n’est ni pour publier des photos ni pour raconter ses voyages. Ce qui le passionne, lui, c’est le code. Il le fait avec succès. Du haut de ses presque 16 ans, le lycéen de la Dunman High School a déjà créé six applications pour smartphone, dont la plupart sont disponibles sur Apple Store et/ou Google Play. Celle dont il est le plus fier ? « Ikit. Parce que c’est mon plus grand succès pour
l’instant. » Le codage n’est-il pas une activité rébarbative pour un jeune de 15 ans ? « Ce n’est pas facile pour tout le monde mais si tu es fait pour ça, ce n’est pas si compliqué ». « Il faut être patient. Tu peux passer des heures et des heures sur un bug. » Une persévérance qui paie. Le jeune homme a remporté il y a deux ans la National Software Competition, l’i.Code, et s’est vu décerner l’année dernière le prix du projet étudiant le plus innovant au SiTF Awards.
Ulimali
terre, la jeune femme termine ses études en « fashion media » à Lassalle. À 22 ans, elle espère trouver « un bon poste dans la publicité ». La publicité ? On pensait que son truc à elle c’était la mode. Sourire d’Uli : « la mode est juste un hobby. J’ai toujours été intéressée par le storytelling et par l’univers de la pub. La mode est un moyen simple de raconter une histoire. » © ULIMALI
Inspirante, Uli l’est aussi grâce à son blog : Ulimali. Elle y parle de mode mais aussi de « dark music » et des bizarreries qu’elle collectionne. « J’adore tout ce qui est étrange, même si c’est moche ! J’aime quand une chose est unique ». Cette authenticité plaît. Uli est citée dans les magazines féminins et a remporté le prix du meilleur blog de mode à l’occasion des Singapore Blogs Awards 2015. Rêveuse mais les pieds sur
Lastrina j’apprenais à la connaître en me baladant dehors. Ce n’est que plus tard, lors de mon premier stage, que j’ai pris conscience des problèmes liés au réchauffement climatique ». Lastrina est actuellement chef de projet pour Stratcon, une société spécialisée dans les énergies renouvelables. Engagée dans 4 associations, elle pense, vit, respire environnement. En décembre, elle s’est fait remarquér, à l’échelle internationale, en prononçant un discours poignant lors de la Cop21 à Paris. Avec 3 camarades, elle vient de créer Singapore Youth for Climate Change (SYCA).
© Cécile David
On retrouve Lastrina, 27 ans, à la sortie du métro Jurong East, son quartier. Les hautes tours de béton et un immense centre commercial côtoient le lac des environs, les jardins (japonais et chinois) et un vaste terrain de golf. Son truc à elle, c’est l’environnement. Enfant, elle a été bercée par les histoires que lui racontait son père, plongeur dans la construction sous-marine, son oncle, qui travaillait sur les bateaux, et son grand-père, ancien capitaine de navire. Très tôt aussi, elle s’intéresse aux espaces verts qui l’entourent. « J’explorais la nature et
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Dossier
Portrait : Sarah Choo Artiste talentueuse et déterminée A 23 ans seulement, Sarah Choo a été lauréate du prix l’ICON Martell Cordon Bleu et a reçu le prix d’excellence Kwek Leng Joo. Jeune et talentueuse, la jeune photographe gère sa carrière d’artiste comme une entrepreneuse. Elle exporte le jeune art singapourien dans des expos photos à Londres, un festival de Cinéma à Santa-Fe ou une exposition collective à Paris.
© Sarah Choo
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En vignette : Sarah Choo Ses photos (ci-dessus un extrait de sa série sur la famille) sont traitées comme des peintures
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e travail de Sarah Choo séduit par son approche multidisciplinaire. Ses photos sont traitées comme des peintures où la mise en scène et la maîtrise de la lumière servent à sublimer la solitude des personnages. Vous avez été remarquée très jeune pour votre travail de photographe et avez reçu de nombreux prix, comment avez-vous géré cette notoriété ? Je pense que ces récompenses sont le résultat d’un long processus
et de beaucoup de travail. Cela peut paraître étrange vu mon âge, mais je voulais absolument faire une carrière artistique et gagner ma vie avec mes créations. Dès mes 16 ans, j’ai pris ma carrière très au sérieux. Beaucoup de mes amis trouvaient que j’en faisais trop mais je voulais réussir. J’ai approché de nombreuses galeries, telle que Chan Hampe Galleries au Raffles hôtel, où l’on me disait de prendre mon temps. Mais je voulais exposer et me confronter à la réalité. Je ne crois pas que
l’on naisse artiste. J’ai beaucoup travaillé pour cela. Je suis assez perfectionniste. Je conçois l’art à la fois comme une discipline à laquelle je me plie et comme une passion. Ces prix m’ont permis d’acquérir une visibilité et d’être aujourd’hui approchée pour de nombreux projets. Quels sont vos projets artistiques aujourd’hui ? Je suis anxieuse de caractère, j’ai besoin d’avoir plusieurs projets en cours. A Londres, j’ai changé et j’ai progressé dans mon travail. Par exemple, dans la série que j’avais réalisée sur ma famille,
les photographies étaient très dirigées, comme pour une scène de théâtre. Aujourd’hui, je laisse plus de place à la spontanéité. Mon travail est plus apaisé. Et puis j’ai de la chance. Depuis mon retour à Singapour, de nombreux projets se sont ouverts, parmi lesquels la réalisation d’une installation vidéo que je réalise avec un groupe de musique alternatif que j’ai rencontré lors de mon année dans la capitale anglaise. Cette installation sera d’abord montrée à Londres, dans un hôtel, puis je l’espère à Singapour.
Je vais également participer à une exposition collective à Objectives Gallery et travaille sur une exposition personnelle, en juin à HongKong, dans une galerie du PMQ building, nouveau centre de création dédié à l’art et au design. Enfin, je prépare ma première exposition en solo à Londres pour juin 2017… J’aime le fait d’avoir de nombreux projets et d’utiliser les mediums qui conviennent le mieux pour m’exprimer : la vidéo, la photographie, des installations, la peinture. Quelles sont vos motivations en tant qu’artiste ?
Je crois que comme tous les artistes, les musiciens, les écrivains, les designers, je suis victime d’obsessions. Quand j’ai quelque chose en moi, je n’arrive pas à penser à autre chose. C’est de cette obsession que je tire ma motivation. Comment vous voyez-vous évoluer en tant qu’artiste dans quelques années ? Depuis mon enfance, je me fixe des buts à atteindre. Pour la journée, la semaine, l’année qui vient. A chaque fois, je fais un bilan de
ce que j’ai accompli. Il y a 5 ans par exemple, mon objectif était d’étudier et de faire une exposition solo à l’étranger. Je m’étais fixée des buts intermédiaires : approcher 2 galeries par semaine, aller à des événements culturels 2 fois par mois. Je pars du principe que l’on obtient dans la vie, ce qu’on a le courage de demander. Dans cinq ans, je serais très honorée de représenter Singapour à la Biennale de Venise. J’aimerais aussi continuer à enseigner l’art à l’école, comme je le fais actuellement à la Nanyang Girl’s High School. J’apprends à mes élèves que la création artistique
demande de l’effort et du travail et que, pour réussir à faire ce que l’on veut, il faut accepter l’échec. J’aimerais créer des programmes artistiques qui aient de l’impact sur les plus jeunes. Au-delà des enjeux de carrière, à quoi rêvez-vous ? Au-delà de mes ambitions artistiques, je rêve d’avoir plus de temps pour penser, parler, rencontrer des gens et surtout d’apprendre toujours. Clémentine de Beaupuy
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Les entrepreneurs de la nouvelle vogue Les jeunes Singapouriens, tentés par la nouvelle économie Au confort d’une carrière professionnelle traditionnelle en entreprise ou dans le service public, les jeunes Singapouriens, qu’on disait allergiques au risque, sont de plus en plus nombreux à choisir l’aventure entrepreneuriale.
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swald Yeo, Seah Ying Cong et Looi Qin En se sont rencontrés sur les bancs d’un lycée d’élite à Singapour avant d’être admis dans les meilleures universités américaines. Leur futur aurait été tout tracé s’ils n’avaient pas décidé, à 19 ans, de se consacrer d’abord à leur projet de start-up. De quoi donner des sueurs froides à leurs parents. « Dans le contexte d’une culture asiatique conservatrice, nous avons eu une forte pression de la part de nos familles et de la société » expliquait Oswald Leo au Straits Times en 2015. Leur idée : créer une plate-forme pour connecter des jeunes qui cherchent des stages et les entreprises. En y ajoutant des solutions innovantes comme la possibilité de réaliser des tests de compatibilités de personnalités. Baptisée Glints, la startup est très vite repérée par JFDI (Joyful Frog Digital Incubator), le principal incubateur de l’île. Le trio lève 475 000 S$ en fonds d’amorçage.
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1000 jeunes pousses En un peu moins d’une décennie, Singapour a vu son tissu de start-ups se développer considérablement. Il y aurait aujourd’hui plus d’un millier de jeunes pousses, soit 2 fois plus qu’il y
a 5 ans. Le gouvernement, via l’Infocomm Development Authority (IDA) s’y emploie. L’IDA a récemment mis en place un fonds doté de 180 millions pour stimuler l’émergence et la croissance de start-ups singapouriennes. Au total, plus de 10 milliards ont été injectés pour doper la scène Tech, instaurant tout un dispositif d’aides, de subventions et déroulant le tapis rouge aux investisseurs. Les grands acteurs du capital-risque, l’américain Sequoia, ou les japonais Softbank, Rakuten Ventures ou Gree, en quête de pépites locales, se sont installés dans la cité-Etat. Ils y sont désormais en concurrence avec des fonds singapouriens comme Monk’s Hill ou RedDot Ventures. Success stories Singapour n’est pas encore la Silicon Valley, mais l’effervescence de la scène Tech suscite des vocations. Les premières « success stories » servent de modèles aux suivants. C’est le cas de Zopim spécialisée dans la messagerie instantanée. Créée il y a 6 ans par 3 étudiants de NUS elle a été acquise 30 millions de dollars par l’américain Zendesk en 2014. Il y a aussi Luxola, un site d’e-commerce de cosmétiques en Asie, racheté par LVMH, ou encore Viki, un spécialiste du streaming vidéo, passé dans l’escarcelle du géant japonais Rakuten pour 200 millions de dollars. La cité-Etat peut se targuer d’avoir engendré en un temps record quelques licornes comme Grabtaxi, le concurrent asiatique d’Uber, Garena Online, une plateforme de jeux en ligne, Propertyguru, dans l’immobilier qui vient de lever plus de 129 millions, ou encore le supermarché en ligne Redmart. Vogue du partage La nouvelle économie est notamment portée par l’économie de partage. Ce nouveau paradigme, popularisé au niveau mondial par des entreprises comme Uber ou Airbnb, renvoit à un mode de consommation fondé sur l’échange, le partage et la location plutôt que sur
Créé en 2012 sur le modèle de Airbnb, Pandabed propose plus de 10000 hébergements en Asie
la possession. A Singapour, le phénomène est encore récent mais il commence à faire des émules. Lorsqu’elle a été créée, il y a un an, l’association de l’économie de partage ne regroupait que 6 start-ups. Eugene Tan, son président, veut sensibiliser la population au concept du partage. A Singapour, où seuls 9 habitants sur 100 possèdent une voiture en raison de son coût exorbitant, les services de covoiturage tels que ceux d’Icarsclub et ses 6500 utilisateurs, ont le vent en poupe. Sur le
modèle d’Airbnb, PandaBed, créé en 2012, propose plus de 10 000 hébergements en Asie. D’autres start-up comme RentTycoon, Leendy ou Carousell proposent de la location, de la vente ou de l’achat d’objets de seconde main. Pour ses partisans, l’économie de partage apporte des solutions aux défis environnementaux ou à des problèmes de société. Pour le gouvernement, elle pose aussi des questions concernant la réglementation de ces nouvelles activités.
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Dossier Comment concilier par exemple une loi interdisant de louer son logement pour une courte durée avec le succès de site comme Airbnb ? Jusqu’à présent l’autorité de régulation du territoire et des transports interdisait à un conducteur d’accepter une rémunération en échange d’un trajet. Mais avec l’essor des sites de covoiturage, l’autorité s’est adaptée et a autorisé une compensation ne devant pas excéder les coûts du trajet, à savoir le prix de l’essence et le péage. « Ce n’est pas une problématique propre à Singapour explique April Rhinne. Toutes les villes doivent s’adapter à ces incertitudes et à ces défis législatifs ». Singapour, bientôt une « sharing» nation ?
En 2015, le trio a levé 475000$ en fonds d’amorçage
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Marion Zipfel
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La fabrique des Zuckerberg singapouriens
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Pour combler son retard dans la formation de développeurs, Singapour a fait venir Make School des Etats-Unis. L’école de San Francisco lance en juin 2016 un « summer program » pilote de 7 semaines pour apprendre la programmation iOS et le lancement d’applications.
Elle prévoit d’autres programmes pour les développeurs plus expérimentés. Selon Tri5Ventures qui soutient Make School dans la cité-Etat, ce type de formation serait d’une « importance stratégique nationale ».
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Les « célibattantes singapouriennes » Ces jeunes femmes qui font carrière, en politique et en entreprise La génération des jeunes femmes singapouriennes vit-elle sa première vraie crise d’adolescence ? La disparition en 2015 de Lee Kuan Yew, figure tutélaire et structurante, pèrefondateur de la Nation a marqué une étape fondamentale dans l’évolution de la cité-Etat et a généré des conséquences sur l’évolution des jeunes femmes de cette génération. Le point à partir de l’exemple de deux jeunes femmes, Tin Pei Ling et Janet Neo, qui font carrière, chacune dans leur domaine, sans complexe et avec détermination.
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u’est-ce qui caractérise les jeunes Singapouriennes aujourd’hui ? Même s’il est difficile de généraliser et d’envisager l’analyse d’une classe d’âge dans sa globalité, il est possible de dégager un certain nombre de traits communs : elles font, en général, de brillantes études universitaires, se marient tard (64,2 % des femmes âgées de 25 à 29 ans (2014), font peu d’enfants ; le taux de fécondité, 1,19 en 2015, est l’un des plus faibles au monde) et ont un style de vie qui accorde une large place à la consommation. Par rapport aux générations précédentes, elles évoluent dans une société plus individualiste et sont moins imprégnées des valeurs asiatiques traditionnelles. Elles ont la réputation d’être « gâtées », mais peut-on leur reprocher de profiter des acquis du passé ?
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Tin Pei Ling, députée à 28 ans Si toutes les jeunes Singapouriennes ne se reconnaissent pas forcément dans la personnalité de Tin Pei ling, elle est, à maints égards,
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Parce qu’elles ont obtenu le droit de vote en même temps que les hommes, les femmes singapouriennes n’ont pas fait de la parité un enjeu essentiel ; Tin Pei Ling, plus jeune députée en 2011, et Halimah Yaacob, speaker of parliament, témoignent du fait que les femmes, même sous représentées sont influentes au parlement
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représentative de sa génération : par sa détermination à faire carrière en politique comme par son style de vie. Cette ancienne associée d’Ernst & Young, qui vient d’être réélue au Parlement en 2015, était devenue, à 28 ans, la plus jeune députée, lorsqu’elle avait rejoint pour la première fois les bancs du Parlement en 2011. Côté cour, celui de la carrière politique, Tin Pei Ling a démontré une forte volonté dans sa quête de réussite professionnelle. A l’image de beaucoup de jeunes femmes de sa génération, talentueuses et diplômées, cette diplômée de NUS a profité pleinement de l’éducation à la singapourienne, qui valorise l’excellence. Son ambition politique a pu s’exprimer d’autant mieux qu’elle n’a pas été perturbée par des questions relatives au genre. L’une des caractéristiques de Singapour est que les femmes, dès l’indépendance, y ont obtenu le droit de vote en même temps que les hommes. De ce fait elles ont eu une expérience sensiblement différente de celle des Européennes, pour qui l’obtention du droit de vote fut le résultat de luttes acharnées. La parité politique n’étant pas perçue comme une revendication essentielle, les jeunes femmes singapouriennes ne sont pas très sensibles à la sous-représentation des femmes au sein du pouvoir exécutif ou au Parlement. Cette sous-représentation au Parlement est d’ailleurs toute relative par comparaison à la moyenne mondiale et c’est d’ailleurs une femme, Halimah Yacob, qui en est actuellement à la tête. Tin Pei Ling, pour revenir à elle, est représentative des jeunes Singapouriennes par sa volonté de réussir dans la sphère publique - majoritairement masculine-, et dans la relation professionnelle décomplexée qu’elle entretient avec les hommes ; deux éléments qui sont la marque de cette jeune génération féminine.
Côté jardin, celui du style de vie, l’attirance de Tin Pei Ling pour les produits de luxe et les marques trendy, est une caractéristique qu’elle partage avec de nombreuses femmes de sa génération, même si les intéressées peuvent s’en défausser au point que la jeune députée a été parfois violemment critiquée sur les réseaux sociaux. Tin Pei Ling est aussi très présente sur la toile ; un aspect qui est une clef essentielle pour comprendre l’ouverture d’esprit des jeunes Singapouriennes. Rien ne peut être comme par le passé dès lors que l’on est constamment soumis à un flux d’informations de tous ordres. Janet Neo, jeune talent de demain Dans un autre domaine, celui de l’entreprise, c’est une autre jeune Singapourienne, Janet Neo, 32
ans, en charge du développement durable chez Fuji Xerox Asia Pacific, qui a été récemment distinguée. Lors de la dernière édition du Women’s Forum à Deauville en 2015, en concurrence avec de nombreuses candidates triées sur le volet en provenance des quatre coins du monde, cette diplômée de NUS et de Stanford fut la seule jeune femme asiatique a être récompensée au titre des jeunes talents de demain. Singapour fut donc mis à l’honneur grâce à sa jeune génération de femmes. Notons que Janet Neo brillante et célibataire représente magnifiquement toute cette jeune génération. Une crise d’adolescence pour cette jeunesse féminine ? Pas si terrible que cela en vérité ! Véronique Helft-Malz
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Le business des sites de rencontre Cœurs trop timides ou trop occupés C’est un fait : les Singapouriens se marient moins et, quand ils se marient, le font de plus en plus tard. Loin d’être l’indice d’une moindre envie de construire une vie à deux, la situation traduirait la difficulté à concilier carrière professionnelle et recherche de l’âme sœur. Une situation qui fait le bonheur des agences matrimoniales.
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elon le Département des Statistiques, environ 1 million de résidents à Singapour, en 2014, étaient célibataires, soit 25 % de plus qu’il y a 10 ans. Sur la même période, l’âge médian du premier mariage est passé de 26,6 à 28,1 ans chez les femmes et de 29,1 à 30,2 ans chez les hommes. Pour Paulin Straughan, sociologue à la National University of Singapore (NUS), citée par le Straits Times en 2015, cette situation est liée à plusieurs facteurs : la priorité à la carrière, l’allongement des études et les critères de sélection du partenaire de plus en plus stricts. Pour autant, selon une étude (Marriage and Parenthood Study) réalisée en 2012, 83 % des célibataires cherchent à se marier. C’est aussi la conclusion d’un sondage réalisé par Lunch Actually, qui se présente comme la première agence de « lunch dating » en Asie. Pour sa cofondatrice Violet Lim, même si la façon de penser de la nouvelle génération est moins traditionnelle et plus moderne, les jeunes Singapouriens ont toujours le même désir de trouver leur partenaire pour la vie. Dans la culture asiatique, il est mal perçu de ne pas se marier et de ne pas perpétuer la lignée. Si la pression parentale est moins forte qu’en Chine, où une femme de 30 ans non mariée est désignée par le terme péjoratif
Mieux vaut être seul que mal accompagné Malgré ces offres, le nombre de célibataires continue d’augmenter. Une interview conduite par Life (Straits Times)
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Alex Tam (Gai Gai) et Violet Lim (Lunch Actually). Les deux agences multiplient les services pour ajouter du fun aux rencontres matrimoniales
explique que cette tendance serait due à l’attitude ambivalente des jeunes vis-àvis de la relation amoureuse, à la restriction de leurs cercles sociaux, à un mode de vie de plus en plus autonome ou encore au décalage entre leurs attentes et la réalité. La recherche en ligne et la succession de « premiers rendez-vous » qui en découle peut paraître épuisante. Certains abandonnent au bout de quelques mois. Un premier échec peut être ressenti comme décourageant et influer de manière négative sur l’estime de soi. Les attentes élevées sont sources de déception, si bien que nombreux préfèrent s’en tenir à l’adage “mieux vaut être seul que
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Le business des rencontres Cette situation fait le bonheur des sites de rencontre et des agences matrimoniales. Les agences hors-ligne, telles que GaiGai ou Lunch Actually, restent populaires. Elles offrent de nouveaux services, à l’instar de GaiGai où l’accent est mis, explique Alex Tam, sur la personnalisation de l’expérience, l’accessibilité et le côté « fun », avec des activités allant du sport (bubble football, kayak) au dîner classique en passant par l’atelier cuisine ou la dégustation de vin. Les clients de GaiGai sont représentatifs de cette nouvelle génération à la recherche du grand amour : 32 ans en moyenne, 80 % de diplômés de l’enseignement supérieur. Chez Lunch Actually, on propose des services de coaching. L’agence rencontre chaque prétendant avant de lui proposer des rendez-vous afin d’assurer la qualité et la sécurité des rencontres. Les matchs sont réalisés « à la main ». Familiers des nouvelles technologies, les jeunes Singapouriens utilisent de plus en plus les applications en ligne telles que Tinder, moins stigmatisées qu’auparavant. Mais ils restent, en général, très discrets, en comparaison avec les jeunes Américains qui n’hésitent pas à partager leurs profils Facebook ou LinkedIn sur les sites de rencontre. Certains rechignent à donner leur nom ou à parler de ce qu’ils font dans la vie. Une réticence qu’a bien intégré Lunch Actually, qui dans ses arguments de vente met en avant la confidentialité.
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de « leftover woman », elle reste forte à Singapour. Plus indépendants et occidentalisés, les jeunes Singapouriens ont une vision idéalisée de la relation amoureuse. La pratique du mariage arrangé par la famille est rare, mais il est courant, indique Alex Tam, cofondateur de l’agence de rencontre GaiGai, qu’il soit contacté par des parents inquiets de ne pas voir leur enfant trouver un partenaire.
mal accompagné”. Enfin, il y a les aspects pratiques : avoir une bonne situation matérielle est souvent une condition sine qua non avant d’établir une relation. Toujours selon Life, les femmes mettraient en premier le critère de la stabilité, tandis que les hommes se concentreraient sur l’apparence et la capacité de la femme à être mère. Enfin, à force d’attendre, de plus en plus de personnes s’habitueraient tellement au célibat qu’elles ne sauraient plus s’adapter à un mode de vie à deux. Tom Tiger
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Les Français à Singapour
3 Français en terra barramundi Visite guidée de la ferme aquacole barramundi Asia Barramundi Asia, fondée par le Hollandais Joep Staarman, se distingue par sa pratique d’un élevage respectueux de l’environnement et de l’animal, en l’occurrence le barramundi, ou Asian Sea Bass, un poisson omnivore à chair blanche très apprécié notamment en Asie du Sud-Est et en Australie. Visite guidée de cette ferme, gérée par 3 Français : Loic Monteil, Emmanuel de Braux et Bruno Gillet.
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la différence des autres fermes de Singapour, situées vers Changi et Pulau Ubin, Barramundi Asia est la seule ferme installée au sud, au large, dans le Singapore Straits près de Pulau Semakau. Cette situation privilégiée lui permet, loin des autres fermes, de disposer d’un espace de 7,5 hectares en pleine mer (10 terrains de football) pour une production annuelle de 500 tonnes de poissons, avec une perspective à 3000 tonnes d’ici à 2020. Alevinage et grossissement L’élevage commence à la nurserie sur l’île de Semakau, où Loïc Monteil et son équipe veillent sur près de 80 000 alevins, qui pèsent à peine 1 gramme lorsqu’ils arrivent, importés par avion d’Australie. L’endroit est sous haute surveillance, fermé aux visiteurs pour raisons de confidentialité et d’hygiène. « Le défi majeur pour l’alevinage est la lutte contre les maladies. Cela nécessite une grande propreté des bassins, la surveillance des alevins, si fragiles, et leur vaccination manuelle afin de les protéger sans recourir aux antibiotiques par la suite », explique Loïc. Après 3 mois à la nurserie, environ 50 000 alevins ont atteint environ 20 cm et 100 g et sont transférés vers la ferme en mer. L’équipe d’Emmanuel de Braux prend alors le relai pendant 18 mois pour la phase la plus longue et la plus coûteuse de l’élevage : le « grossissement » des poissons jusqu’à 4 kg. Les cages de différentes dimensions, dont les plus grandes ont un diamètre de 26 mètres, accueillent les poissons en fonction de leur taille. « La qualité des eaux et le choix de l’alimentation, explique
La situation de la ferme Barramundi Asia, au large près de Pulau Semakau, est idéale selon ses fondateurs qui soulignent l’intérêt des courants forts et réguliers traversant la zone
© Barramundi Asia
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Les Français à Singapour La livraison des barramundis intervient au maximum 48h après la pêche. Un gage de fraicheur par rapport à l’activité des chalutiers dont les poissons peuvent passer jusqu’à 10 jours sous la glace
Emmanuel, sont des facteurs clés de l’aquaculture qui vont conditionner la productivité, la qualité du produit final et l’impact environnemental. La situation de la ferme dans le Singapore Straits est idéale car des courants forts et réguliers traversent la zone et apportent des eaux claires et riches en oxygène. De plus, la température de l’eau est stable entre 28 et 30°C, ce qui permet une croissance ininterrompue des poissons toute l’année. Les barramundis sont nourris en moyenne 2 fois par jour à l’aide de granules issus de sources nutritionnelles durables et composés à 70 % de protéines d’origine végétale et 30 % de farines de poissons, et de l’huile de saumon pour un poisson gras et sain ».
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De la pêche à l’assiette Les barrramundis sont pêchés sur commande pour garantir leur fraîcheur. « Nous livrons les poissons sous 48 h, car l’origine n’est pas le seul point qui compte, la fraîcheur est primordiale. Sur un chalut, le poisson peut passer 10 jours sous glace avant d’arriver au port, puis 2 à 3 jours de transport pour arriver sur les étals des poissonniers », commente Bruno Gillet, directeur des opérations. Le barramundi est commercialisé sous la marque « Kühlbarra », pour un marché local et international : la moitié de la production est exportée vers l’Australie et les Etats-Unis. « Il y a, conclut Bruno, un potentiel énorme pour l’élevage à Singapour, et l’avenir de Barramundi Asia est extrêmement prometteur ».
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Cécile Brosolo
Les Français à Singapour Une passion française
Bruno Gillet (milieu) vit à Singapour depuis une vingtaine d’années. Chef cuisinier de métier, il a débuté sa carrière sur le Queen Elisabeth 2 et a ainsi voyagé à travers le monde. Après avoir été chef au Hollandse Club et à Alkaff
Mansion, il a travaillé pour Fassler Gourmet, spécialiste des produits de la mer et du poisson fumé à Singapour. Fort de cette expérience, il a rejoint l’équipe de Barramundi Asia pour développer la chaîne de distribution. Loïc Monteil (à droite) est originaire de Charentes, où ses parents sont viticulteurs et trufficulteurs. Après des études en aquaculture, il a d’abord travaillé en France, notamment dans l’élevage d’ormeaux, avant de voyager en Asie, aux Philippines et en Australie, pour différentes expériences en écloserie et nurserie. Passionné des mers et océans, il a été séduit par la cité-Etat où il a rejoint l’équipe de Barramundi Asia, en tant que Nursery Manager.
Eaux sous surveillance La qualité des eaux autour de la ferme est surveillée en permanence par un organisme indépendant, le Danish Micrological Institute, mandaté par le gouvernement singapourien. Des mesures du taux d’oxygène, de la température, de la salinité et des taux de particules en suspension sont effectuées toutes les 10 minutes. De plus, des contrôles
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sanitaires réglementaires sont effectués par les agences gouvernementales singapouriennes pour l’environnement (National Environnent Agency - NEA) et pour l’agroalimentaire (Agri-Food & Veterinary Authority - AVA), qui effectuent des prélèvements d’eau de mer, de poissons et de granules d’alimentation 4 fois par an.
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Emmanuel de Braux (à gauche), Farm Manager, est né à Singapour où il a passé son enfance. Après des études supérieures en biologie sous-marine en Australie, et une première expérience dans l’élevage de saumons en Norvège, il est revenu à Singapour il y a 2 ans. Pour ce plongeur enthousiaste, amoureux de la nature et des grands espaces, manager la ferme en pleine mer est un vrai métier-passion.
Les Français à Singapour
Un Français sous les drapeaux Le témoignage de Maximilien Nabarro A Singapour, le Service National concerne tous les jeunes hommes singapouriens et PR, à partir de 16 ans et demi. Parmi les appelés du contingent figurent régulièrement de jeunes Français, dont les parents ont obtenu le statut Permanent Resident. Témoignage de l’un d’entre eux.
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ouvez-vous nous présenter votre parcours? J’ai 21 ans aujourd’hui. Je suis né à Paris. Je suis arrivé à Singapour en famille à l‘âge de 5 ans, après un premier aller-retour lorsque j’avais 1 an. J’ai fait toutes mes études dans un lycée international ici. Mes parents étant PR, j’ai effectué mon service national obligatoire de 2 ans. J’ai quitté l’armée singapourienne en décembre 2015. Je voulais prolonger et rester encore à l’armée quelques mois, mais il n’y avait plus de place pour moi. Aujourd’hui, j’ai trouvé un job en attendant de commencer mes études en Angleterre.
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Souvenir en photo d’une expérience peu ordinaire : « Au début j’étais très réticent. Au final, j’ai appris plein de choses… »
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A quel moment avez-vous compris que vous étiez concerné par le Service National à Singapour? Nous aurions eu une discussion sur le sujet, mes parents, mon frère, qui est actuellement en train de faire son service, et moi, au moment où mes parents ont fait un dépôt de statut de PR. J’avais alors 10/11 ans. Honnêtement, je n’en ai aucun souvenir ! A 16 ans, j’ai eu un premier contact avec le Service National. Comme tous les jeunes Singapouriens, j’ai passé des tests médicaux et de niveau scolaire. Et puis, j’ai eu 18 ans… Dans
Et après les classes ? A l’issue de ces classes et en fonction de mes résultats, j’ai été affecté vers l’école de Sergents, puis deux mois plus tard à celle des Officiers. Dans ce cadre là, je suis parti en entraînement à Brunei et à Taïwan. Les entraînements peuvent aussi avoir lieu en Thaïlande et Australie, ce qui n’a pas été mon cas. Quel bilan faites-vous de ces 2 années? Au début j’étais très réticent. Et puis, au final, j’ai appris plein de choses. Déjà sur moi même : j’ai appris à connaître mes limites à la fois physiques et mentales. J’ai également rencontré des jeunes de mon âge que je ne côtoyais pas. ça a été une expérience humaine forte. Et puis, dans mon cheminement professionnel, j’ai l’impression d’avoir acquis des compétences, notamment dans ma capacité à encadrer des hommes. J’ai adoré cette expérience qui m’a marqué et m’a fait découvrir Singapour différemment.
Clémentine de Beaupuy
Page précédente : le centre de formation militaire à Pulau Tekong Ci-contre le bâtiment de l’école des cadets
© Wiki.org
Comment se sont déroulés les premiers mois ? Dans ma lettre officielle, j’étais affecté aux Forces Armées. Je n’ai pas eu le choix du corps dans lequel j’allais effectuer mon service. Au début, tous les appelés de l’armée font leurs classes sur l’île de Tekong, la BMT, Basic Military Training. Je n’avais pas passé le test physique, le National Physical Fitness Award (NAFTA) en amont comme certains camarades singapouriens qui permet de réduire les mois. En général, ce test est proposé en école locale. J’ai donc fait 4 mois. Etant sportif, je n’ai pas trop souffert. C’est durant cette période que je me suis forgé de vraies amitiés.
A l’issue de votre service, avez-vous déposé une demande de nationalité ? Non, je ne l’ai pas fait. Je pensais que c’était automatique après avoir fait le Service National. En fait, je dois la demander. Pour l’instant, je pars en Europe faire mes études. Je verrai à mon retour. Et puis, j’ai toujours les 10 cycles à faire dans l’armée. Je suis réserviste jusqu’à mes 40 ans…
Le service national à Singapour
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mon cas, j’ai mis 6 mois à recevoir ma lettre d’affectation. Beaucoup de mes amis l’ont reçue tout de suite après la fin du lycée. Pas moi. L’attente a été longue. Quand je suis parti, je ne savais pas à quoi m’attendre. N’étant pas dans une école locale, je n’avais pas d’exemple de camarades étant déjà au Service National
D’une durée de 2 ans, le Service National, qui peut être accompli au sein de l’Armée, de la Police ou des Forces de Défense civile, concerne l’ensemble des jeunes Singapouriens mais aussi les jeunes hommes dont les parents ont obtenu le statut de Permanent Resident dès l’âge de 18 ans. Les jeunes appelés effectuent ce service immédiatement après la fin de leurs études secondaires et avant d’entreprendre, le cas échéant, des études supérieures. Aucune statistique officielle n’est disponible sur le sujet. Selon le ministre de la Défense, Ng Eng Hen, 8800 jeunes PR auraient fait leur Service National entre 2008 et 2011.
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Photo Reportage Photos / Elie Cortine
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ans le paysage de Singapour, la Haw Par Villa intrigue par sa singularité. Située au sud de l’île, à mi-chemin entre Sentosa et Jurong, elle est, à deux pas des Studios Universal, le témoin d’une autre époque des parcs à thème. Très kitsch et un peu négligée, elle offre aux visiteurs qui s’y aventurent une plongée dans le passé peuplé de 1000 statues de bouddhas, dragons et figures légendaires, de toutes tailles et de toutes extravagances, rarement paisibles et souvent dérangeantes. A quoi pensait le plus âgé des deux frères Haw et Par, quand fortune faite avec le baume qui porte son nom (Haw en chinois signifie Tigre), il décide en 1937, 11 ans après avoir relocalisé l’entreprise familiale à Singapour, d’y faire construire la villa Haw Par pour son frère ? S’il voulait en faire un paradis pour les enfants, il l’imaginait sans doute à haute dimension pédagogique sur les valeurs traditionnelles chinoises, n’hésitant pas à faire représenter dans ce qui était à l’époque la queue d’un dragon, 10 terrifiantes stations de l’Enfer propres assurément à faire rentrer dans le droit chemin plusieurs générations de jeunes Singapouriens. A dire vrai, la période faste de ce qui se nommait le jardin du baume du tigre au moment de sa création ne dura guère que jusqu’au moment de l’invasion japonaise. Les deux frères Aw se réfugièrent l’un en Birmanie, l’autre à Hong-Kong. Lorsque Aw Boon Haw revint à Singapour après la guerre, il trouva le parc dans un piètre état. Le lieu depuis lors a fait l’objet de plusieurs rénovations et de plusieurs tentatives de relance, notamment après sa reprise en 1988 par le Singapore Tourism Board. S’il a sans doute impressionné l’imaginaire de chaque Singapourien, il reste, avec son enfer, sa voiture léopard, ses singes, son crabe à tête humaine et ses sirènes une étrangeté qui ravit d’abord par son caractère nostalgique.
Singapour Autrement
Kathy Xu, The Dorsal Effect Développer l’éco-tourisme à Lombok pour protéger les requins Ancienne institutrice, Kathy Xu, 32 ans, a tout arrêté pour fonder The Dorsal Effect, une entreprise sociale dont le but est de lutter contre le shark finning en offrant aux pêcheurs une alternative par l’éco-tourisme. L’aventure a commencé en 2013 dans le village de Tanjung Luar à Lombok, connu pour son marché aux requins. Echange avec une passionnée qui ne ménage pas ses efforts pour protéger l’environnement.
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Kathy Xu
ans quelle circonstance vous êtes-vous lancée dans l’aventure de Dorsal Effect ? C’est parti d’une expérience merveilleuse, celle de nager un jour à côté d’un requin baleine et d’une autre, choquante, lorsque j’ai découvert comment, sur le marché de Tanjung Luar à Lombok, les requins étaient découpés à la machette pour servir les amateurs d’ailerons de requins. 100 millions de requins sont ainsi tués chaque année. A Singapour, je me suis d’abord engagée dans l’association Shark savers puis j’ai eu cette idée de développer sur place une activité d’éco-tourisme qui permettrait de proposer aux pêcheurs de vivre du tourisme plutôt que de la pêche aux requins. Comment ce projet initial d’écotourisme s’est-il développé ? Nous organisons en moyenne une excursion par mois. C’est ce qui nous permet d’exister encore aujourd’hui et de faire travailler à
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plein temps un pêcheur, Suhardi, Le marché dont le salaire est assuré intégrale- des requins de Tanjung Luar ment par le projet et qui, ce faisant, à Lombok ; a abandonné la pêche au requin les requins y – lors d’une campagne de pêche sont dépecés à même le sol et au requin, qui dure 3 semaines, les précieuses un pêcheur peut espérer gagner nageoires cauenviron 100 USD si la pêche est dales envoyées en Chine « bonne ». Pour chaque sortie d’une journée, The Dorsal Effect verse 150 USD au pêcheur. C’est une première victoire, mais l’activité d’écotourisme aujourd’hui n’est pas suffisante pour assurer la pérennité de l’entreprise et proposer à tous les pêcheurs du village, une vraie alternative économique qui leur ferait abandonner la pêche aux requins. Parallèlement à l’éco-tourisme, j’ai travaillé avec des écoles singapouriennes pour mettre en œuvre des programmes d’éducation environnementale. En novembre 2014, nous avons ainsi accueilli à Lombok un groupe de 25 élèves de la SST (School of Science and Technology) sur le thème de la conservation marine. Ce premier groupe ayant été un succès, nous en avons accueilli un second, de la même école, l’année suivante. En 2016, nous accueillerons deux grands groupes d’étudiants de NUS (National University of Singapore) et SMU (Singapore Management University). Cette nouvelle orien- en mer à la journée pour découtation est prometteuse pour l’ave- vrir les paysages du littoral de nir. Non seulement elle apporte de Lombok et l’écosystème marin. l’activité, mais J’ai un interelle permet aus« Je veux vivre dans un locuteur sur si de sensibiliplace, Agus, monde où les générations qui s’occupe ser les jeunes générations à la futures pourront encore de la logistique protection des voir des requins vivants e t j ’ e s s a y e océans et des dans les océans. » d’être présente requins. à chaque fois. Nous avons besoin d’un miniComment ça se passe sur place, mum de 4 personnes pour pouconcrètement ? voir assurer une sortie, et nous Chaque tour comprend le trans- mettons à disposition le nombre port aller/retour depuis le lieu de bateaux nécessaires en foncd’hébergement, une excursion tion de la taille du groupe, avec
un maximum de 6 personnes par bateau. Qu’est-ce qui vous motive ? Je suis toujours motivée et heureuse de faire quelque chose pour un monde meilleur. Je veux vivre dans un monde où les générations futures pourront encore voir des requins vivants dans les océans. Ce n’est pas toujours facile et c’est parfois frustrant de constater que l’activité ne se développe pas suffisamment, mais ma volonté est intacte, et l’expérience reste passionnante malgré les difficultés. Il y a aussi les réactions
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Singapour Autrement positives des touristes et des étudiants qui sont venus, qui ont vraiment appris et ressenti quelque chose. Cela me donne de l’énergie pour poursuivre. Ma plus grande joie, c’est de voir comment ce pêcheur, Suhardi, est devenu conscient de la nécessité de protéger les requins et l’écosystème marin. Quels sont vos projets pour l’avenir ? J’ai cette grande utopie d’arrêter la pêche des requins partout dans le monde. Je suis en train de monter le même type de projet à
Taïwan, qui est le quatrième pays au monde, après l’Indonésie, l’Inde et l’Espagne, à exterminer les requins pour en prélever les ailerons. En Indonésie, mon projet est de continuer de développer l’éco-tourisme à Lombok tout en montant des programmes de conservation marine avec les écoles locales, pour sensibiliser les nouvelles générations. Je rêve aussi de travailler avec le gouvernement indonésien pour la création d’espaces protégés et de parcs marins supplémentaires. Cécile Brosolo
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© The Dorsal Effect
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L’association Dorsal Effect accueille des groupes d’étudiants sur le thème de la conservation marine
Singapour Autrement
Business Solidaire De plus en plus de jeunes Singapouriens séduits par l’entrepreneuriat social
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Loin des clichés, une nouvelle génération d’entrepreneurs, s’inscrivant dans les pas d’une poignée de pionniers, fait d’emblée le choix de modèles économiques dont le cœur est l’impact sociétal ou environnemental et le profit un moyen. Tour d’horizon de cette « sociale tendance », en pleine émergence à Singapour, avec le soutient de l’Etat et de grandes entreprises.
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a réinsertion par la restauration Il est midi. Dans la cuisine de l’un des restaurants de la chaine Eighteen Chefs, le fondateur Benny Teo, 54 ans, s’active. Il jette un œil sur les casseroles et prodigue quelques conseils à ses commis. En salle, une clientèle
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jeune s’attable aux sons des derniers tubes du moment. « Je viens ici car ce n’est pas cher et que la nourriture est bonne, c’est aussi une alternative à ma cuisine locale » explique Alfin, 19 ans. De la bonne cuisine, des prix abordables, c’est la recette gagnante de Benny Teo qui a ouvert en janvier dernier son 10e restaurant. Mais cette success story a une saveur particulière. Ancien toxicomane, Benny Teo a passé plusieurs années en prison avant de monter son premier restaurant en 2007 avec l’idée de faciliter la réinsertion des anciens détenus. 6 ans plus tard, ces derniers représentent 20% des équipes. Pas question cependant d’exploiter cet engagement social comme un élément de marketing. « Nous devons réussir économiquement pour pouvoir embaucher davantage et aider plus de gens, c’est ma priorité » explique Benny Teo. Car la clé de l’entreprise sociale consiste à être économiquement rentable pour être socialement profitable.
GiveAsia, plateforme solidaire Impossible de parler des entrepreneurs sociaux sans évoquer Aseem K. Thakur et Yu Ming Pong. Ces deux diplômés de NUS ont développé en 2009 Give Asia une plateforme permettant de faire des dons et de lever des fonds pour des associations ou des projets solidaires. C’est sur GiveAsia par exemple que le marathon de Singapour organise les levées de fonds pour les associations caritatives ou qu’ont été récoltés récemment 47000 dollars pour aider les familles de deux employés de la compagnie de bus SMRT tués dans un accident du travail. Singapour compte aujourd’hui quelques 300 entreprises dites sociales. Un chiffre qui a triplé en 7 ans. Selon une étude réalisée par NUS en 2013, plus d’un tiers des entreprises sociales de Singapour participent à l’insertion de personnes marginalisées : personnes handicapées, anciens détenus, femmes isolées mais aussi jeunes en difficulté. En plein essor également, dans un pays ou le vieillissement de
© Food For Thought
Benny Teo a passé plusieurs années en prison avant de monter son premier restaurant, en 2007, avec l’idée de faciliter la réinsertion des anciens détenus
© Giveasia.com
A l’image de Benny Teo, Singapour a vu émerger depuis une dizaine d’années une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux. Parmi les pionniers figurent Kuik Shiao-Tin, Tong Yee et Elizabeth Kon. Ils se sont rencontrés sur les bancs de l’université et ont créé, en 2002, un centre de soutien scolaire pour aider les étudiants, dont beaucoup ignoraient presque tout de leur environnement, à passer le « General paper. Partis avec 20 élèves, ils en ont désormais 900. Depuis, ils ont créé The Thought Collective, un collectif qui réunit 4 autres entreprises sociales, dont la chaine de restaurant Food for Thought.
la population est parmi les plus rapides au monde : les services aux personnes âgées. Un fonds de 50Millions S$ Pour accompagner l’essor du secteur, le gouvernement a lancé en mai dernier le Singapore Centre for Social Enterprise connu sous le nom de Raise. Une sorte de guichet unique pour les entrepreneurs sociaux. Raise dispose d’un budget de 30 millions $ sur 5 ans. Baptisé VentureForGood, le système de subventions allouées par Raise permet d’accompagner l’entrepreneur aux différents stades de son projet. Banques et incubateurs sont aussi présents. DBS, la principale banque de l’île, a
lancé en 2014 un fonds doté de 50 millions S$ destiné à soutenir les entreprises à Singapour et en Asie. En partenariat avec NUS, la banque organise également le Social Venture Challenge, une compétition destinée à identifier et aider de nouveaux projets. Récemment installé à Singapour, l’incubateur israélien Tech for Good accompagne les entreprises utilisant les nouvelles technologies pour répondre à des problèmes sociaux, avec l’ambition, selon son co-fondateur Yoav Elgrichi, de « faire de Singapour le hub régional de la technologie sociale ». Le rêve singapourien de smart nation pourrait bien aussi être social ! Marion Zipfel
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Culture
Portrait : Ken Kwek Cinéaste turbulent et surdoué
© Ken Kwek
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Le réalisateur du film Unlucky Plaza entretient avec la cité-Etat une relation où se mêlent tendresse, agacement et critique : 3 ingrédients qui, traités sur le mode humoristique, sont au cœur de son inspiration. Retour avec l’intéressé sur son parcours de cinéaste, et sur le regard qu’il porte sur les jeunes Singapouriens.
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Ci-dessus : Ken Kwek côté caméra, avec Guo Liang alias Baby bear
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Comment avez-vous appris le métier de cinéaste ? J’ai réalisé un master en écriture de scénario à la New York University. Cependant, écrire de grandes histoires est quelque chose qui ne s’apprend pas à l’université. Cela s’apprend au contact des réalités. L’humour et la comédie, qui sont mes styles préférés, ne sont pas des choses qui s’enseignent. J’ai réalisé
© Ken Kwek
© Ken Kwek
omment s’est déroulé le début de votre carrière professionnelle, lorsque vous êtes revenu à Singapour après vos études à Cambridge ? Après mes études, j’ai fait pendant une période toute une série de petits boulots dans le cinéma en Grande-Bretagne. A mon retour à Singapour, j’ai rejoint le service politique du Straits Times. Mais j’ai eu rapidement le sentiment d’avoir fait le tour du sujet et n’étais pas satisfait de la manière dont fonctionnait la presse. Après 3 années passées au Straits Times, j’ai décidé d’aller vers le cinéma parce que c’était un moyen d’écrire sur la société en racontant des histoires. J’ai commencé par travailler comme scénariste et j’ai, à ce titre, collaboré au scénario de The Blue Mansion, de Glen Goei (sorti en 2009). The Blue Mansion était une allégorie de la société asiatique. Cela parle d’un homme qui, une fois décédé, apprend essentiellement comment il a détruit les rêves de chacun de ses enfants. L’un des ses fils est homosexuel et ne parvient pas à faire son coming out. L’autre fils voulait être musicien, mais son père l’en a empêché. Dans la société singapourienne, la carrière d’artiste n’était pas considérée comme une carrière sérieuse. mon premier film – Sex.Violence. FamilyValues. C’était essentiellement une satire de la manière dont la TV était encadrée par le gouvernement. Quand vous regardez la télévision singapourienne, c’est drôle de voir que ce ne sont que les mauvais garçons qui fument des cigarettes. Les jeunes respectent les anciens. Personne ne dit de gros mots.
Ci-dessus, côté festival en compagnie d’ Alec Baldwin et d’Epy Quizon, l’interprète principal de Unlucky Plaza
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Culture Pendant le tournage de Unlucky Plaza
© Ken Kwek
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Au maquillage : Judee Tan
J’ai imaginé ce que serait une télévision dont on aurait enlevé le couvercle. Vous y verriez un Singapour qui ne serait ni meilleur ni pire que la situation actuelle. Les choses ne sont pas blanches ou noires, il y a de multiples variations de gris. Le film traitait, sur le mode de la comédie et de la satire, des thèmes comme la pornographie, le racisme, la rébellion des adolescents… Mais votre film a été classé R21 ? C’est essentiellement sur des arguments de racisme que s’est appuyée la commission qui a censuré mon film. Il y a une petite partie du film qui a fait
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l’essentiel de la controverse. C’était tellement évident que je me sentais idiot de devoir l’expliquer. Ce qui me navre c’est que c’est le public, à travers les lettres adressées à la MDA, qui est à l’origine de l’interdiction du film. Un public qui a été habitué à regarder des programmes TV aseptisés et qui s’est révélé incapable de comprendre qu’il s’agissait d’humour. Il y a eu des débats au parlement. La Media Development Authority a justifié sa position en disant que si des gens sont offensés, cela ne doit pas être autorisé, même s’il s’agit d’une satire. Mon film a été classé R21 et j’ai été mis
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en demeure de faire un certain nombre de coupes. Comment les choses se sont-elles passées pour Unlucky Plaza ? Le tournage d’Unlucky plaza a été beaucoup plus facile. Parce que je disposais d’un budget plus confortable et que je pouvais m’appuyer sur une meilleure équipe. J’ai réalisé deux films et écrit une douzaine de scénarii. Mais les opportunités sont limitées de faire du cinéma lorsqu’on veut traiter de sujets sensibles en utilisant la comédie. J’ai eu beaucoup de mal à obtenir des financements publics car l’administration craignait que Unlucky Plaza prête autant à la controverse que mon film précédent. Le film a été classé M18 à Singapour, ce qui a pour effet d’interdire de faire de la publicité sur le film et de montrer un trailer lors des séances de cinéma. Personne ne voulait interviewer les acteurs, Adrian Pang, Judee Tan et Epy Quizon. Le film a eu beaucoup de succès aux Etats-Unis. A Singapour, il a bénéficié de bonnes critiques mais a été peu distribué et a finalement connu un succès moyen. Travaillez-vous sur de nouveaux projets ? Je prépare un nouveau film qui se déroulera, une fois encore, à Singapour. Cela devrait tenir de la comédie dramatique. Le scénario est écrit. Le producteur est en train de chercher des investisseurs. J’ai trouvé de bons partenaires. On devrait commencer le tournage à la fin de l’année et sortir le film l’année prochaine. Cela parlera des dangers des media sociaux et de l’extrémisme. Quel regard portez-vous sur les jeunes Singapouriens ? C’est la génération qu’on appelle Millenial. Je souscris au fait
© Carole Caliman
Cette jeunesse singapourienne est-elle pour vous une source d’inspiration ? Elle l’est évidemment. Elle sera au cœur de mon prochain film qui parlera des media sociaux. Les jeunes sont par définition sauvages. Ils sont plein d’idéalisme et très impactés par la technologie. Mais la technologie va dans le sens d’un raccourcissement de l’attention. C’est vrai aussi des trentenaires. Tout est tronqué. Tout est à portée d’un clic. Avant le numérique, les photos étaient rares. Vous gardiez précieusement la photo de votre fiancée. Aujourd’hui, vous êtes
© Image Flow
qu’on ne peut en parler de manière monolithique. Il n’est pas surprenant que la génération de leurs parents, qui a vécu dans un environnement aseptisé, ait un impact sur eux. Au théâtre, il y a énormément de jeunes artistes de grand talent. De même dans le secteur de la littérature. Ce n’est pas le cas dans les domaines du cinéma et de la politique. On est toujours dans une culture où les gens ont été habitués à dire « oui », alors que je pense qu’il est important aussi de savoir dire « non ». La génération à laquelle j’appartiens (les plus de 30 ans) est dans une position intermédiaire entre l’environnement dans lequel ont grandi nos parents et celui que connaissent les jeunes d’aujourd’hui. Peutêtre la difficulté pour les jeunes Singapouriens est-elle qu’ils ont trop de choix. Pour nous, c’était plus simple : nous savions ce que nous avions le droit de faire et ce qui était interdit. Je vois qu’il y a beaucoup de jeunes qui s’engagent dans des causes, par exemple dans le mouvement gay. Beaucoup poursuivent leurs rêves. C’est positif.
inondés par ces photos au point de ne pas savoir qu’en faire. C’est aussi la « strawberry generation ». Quand nous allions au concert pour voir un groupe de rock, si survenait une averse, elle n’empêchait pas que le concert continue, elle faisait partie de l’expérience. Aujourd’hui, si une goutte tombe, c’est la panique. Propos recueillis par Bertrand Fouquoire
La jeunesse singapourienne sera au coeur du prochain film de Ken Kwek qui parlera des média sociaux
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Agenda
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Sélection de la rédaction
23 - 31 MAI 23 28
SINGAPOUR ET L’EAU
28 29
SCHUBERT: THE PIANO TRIOS
24 31
9 MOIS FERMES UNE NOUVELLE AMIE
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GOA : ROME IN THE TROPICS
5 31
URBAN FORK
TCHAIKOVSKY TONIGHT!
9 10
RAGA DANCE INDIA
JACQUES BREL IS ALIVE AND WELL AND LIVING IN PARIS
10 11
THE PAINTERS: HERO
23
VAN CLEEF & ARPELS: THE ART OF SCIENCE OF GEMS
Exposition des plus belles photos du concours photo de LePetitjournal.com/Singapour • Objectifs Gallery
Des films en français tous les mardis à l’Alliance Française, 20h00
27 29
FESTIVAL DU FILM D’ANIMATION FRANCAIS 5ème Editon Projection de films d’animations à découvrir pour les adultes et les plus jeunes • Alliance Française
Les morceaux les plus célèbres de Schubert dans son répertoire de musique de chambre • Esplanade Recital Studio
Chaque lundi en anglais, conférence gratuite autour de l’histoire, l’art, la religion, la philosophie et la culture de la région • Asian Civilisations Museum
Philippe Diversy et le photographe Bob Lee s’intéressent aux grands ensembles construits à Singapour dans les années 60/80 et les rendent à leurs architectes • The Projector
1er - 15 JUIN 4
26 mai
4
juin
7 14
The Philharmonic Singapore Orchestra interprète entre autre la 4ème symphonie de Tchaikovsky • Victoria Concert Hall
Voyage au cœur des émotions de Brel, version très actualisée de ce spectacle off-Broadway • SOTA Drama Theatre
LES SOUVENIRS JE VAIS BIEN NE T’EN FAIS PAS Des films en français tous les mardis à l’Alliance Française, 20h00
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avril
14 août
Des danseurs indiens renommés présentent leurs meilleurs chorégraphies • Esplanade Recital Studio
Danse, comédie, effets spéciaux et… art graphique sur la même scène • Resort World Theatre
Avec la participation du musée Français d’Histoire Naturelle, une exposition étincelante . Plus de 450 pièces de joailleries y sont présentées • ArtScience Museum
16 - 30 JUIN 16 19
BEER FEST
16
NEIL ZAZA LIVE IN SINGAPORE
22 9
juillet
23 26
23RD SINGAPORE INTERNATIONAL PIANO FESTIVAL 2016
Le célèbre guitariste américain qui joue sur des guitares Cort ou Kiesel en concert à Singapour • Esplanade Recital Studio
24 26
BAYBEATS
SINGAPORE INTERNATIONAL FESTIVAL OF ARTS 2016 The O.P.E.N
31
LES MISÉRABLES
Festival international de la bière. Plus de 400 bières et cidres à découvrir, goûter et apprécier • Marina Promenade
Un festival d’art international : concerts, expositions, théâtre...
mai
17
juillet
Quatre pianistes de renommée internationale interprètent Chopin, Beethoven, Shubert et d’autres magnifiques symphonies • Victoria Concert Hall
Festival annuel de musique alternative • Esplanade
Comédie musicale adaptée du roman de Victor Hugo, produite par Cameron Mackintosh
L’Agenda en temps réel
JUILLET - SEPTEMBRE 3
juillet
3
juillet
LUCERNE SYMPHONY ORCHESTRA La plus vieille compagnie orchestrale de Suisse à Singapour • Esplanade Concert Hall
SINGTEL – SINGAPORE CANCER SOCIETY RACE AGAINST CANCER
Une course pour la bonne cause, choisissez votre parcours 5, 10 et 15km. Fermeture des inscriptions le 30 mai • East Coast Park
23 31
juillet
SINGAPORE GARDEN FESTIVAL
Un festival spectaculaire de jardins et créations florales exceptionnelles • Gardens by the Bay
30 31
SUCCESS 2016: NICK VUJICIC LIVE
juillet
Nick, l’homme sans bras, ni jambe revient pour une conférence de deux jours. Une belle leçon de vie • Singapore Expo Hall 3A
19
SINGAPORE NIGHT FESTIVAL
août
27 août
Des animations artistiques, des concerts nocturnes qui illuminent la ville • Brah Basah, Bugis Heritage
16
GRAND PRIX
sept
18 sept
Le grand prix annuel en plein centre ville qui fait vibrer Singapour avec des concerts et animations • Marina Bay Street Circuit
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Escapade gourmande
Cat and the Fiddle
&
Apéritif dînatoire
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Cuisines du monde
Envie de se faire plaisir en quelques clics ? Terrines, rillettes et charcuterie, plats japonais ou italiens, soupes, cupcakes et cheesecakes colorés… Voici quelques petites adresses pour vous faire saliver sans quitter votre canapé !
Makisan
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asse-Croûte, plaisirs campagnards gourmands On ne présente plus Patrick Heuberger, l’ancien chef du Bistrot du Sommelier qui a ouvert sa propre enseigne et propose lui aussi de savoureuses terrines, mais aussi de divins pâtés et autres délices de notre terroir. Foie gras, jambon, rillettes de porc, homard ou harengs, saucisse blanche à l’ail, andouillette ou pâté de tête, Patrick travaille avec le cœur et ça se voit ! Outre sa sélection de charcuterie, le menu propose également des plats à réchauffer ou quelques
douceurs comme la crème au chocolat, sa mémorable gaufre au caramel ou de véritables pruneaux à l’Armagnac. On passe commande en ligne et on reçoit son colis livré avec soin dans une gourmande boîte de dégustation. Uogashi, un japonais premium et abordable Une nouvelle adresse dans le quartier gourmand de Joo Chiat qui propose une large gamme de plats japonais à emporter ou à se faire livrer. Ici, on mise sur la qualité et la fraîcheur des ingrédients, la technicité des découpes et la minutie
des préparations. Importé de Thaïlande, le poisson est archi-frais et parfaitement mis en scène par le talentueux chef septuagénaire japonais Hiroki Saito, et ses quatre décennies d’expérience. Sa mission : proposer des plats de grande qualité à un prix abordable (à partir de 10 S$), sans lésiner sur le service. Au menu, un assortiment de sushis et de sashimis variés, un riz à l’anguille aromatique et réconfortant, une salade fraîche de poissons crus, un revigorant tonkatsu et un délicieux nabe qui rappelle avec authenticité les tables familiales japonaises. Omedeto pour ce premier take
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Escapade gourmande
Nazias Cupcakes
Soup Stock
Casse-Croûte
away / delivery premium, tenu par un vrai chef japonais. Makisan, des sushirolls sur-mesure Une initiative gourmande et originale avec ce service de sushi personnalisé à commander sur Internet. Option algue nori ou feuille de tofu, riz brun, ou nature et des ingrédients à choisir parmi une cinquantaine pour remplir son rouleau : saumon, crabe, anguille, champignons, ou maïs ; quinoa, graines, avocat, poulet teryaki et une dizaine de sauces au choix, les combinaisons possibles sont infinies et permettent d’explorer des saveurs inattendues. Et si l’offre est trop large ou que l’on s’y perd, on peut commander des créations signatures testées et approuvées comme le « salmon say », le keep on shrimpin’ ou le child’s play, toutes bien dosées et équilibrées. Les salades se déclinent de la même façon et permettent de s’offrir sa création
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personnelle ou de se régaler des recettes pré-testées. Rouleaux et salades à partir de 7.90 S$, on note le packaging ludique et branché qu’on a envie de garder ! 2 Alt Pizza, finesse réconfortante Autre formule pour les amateurs de pizzas et de salades fraîches, cette nouvelle adresse du quartier d’East Coast, petite sœur de ses établissements de Suntec et de Robertson Quay qui propose également un service livraison. Ici, la pâte se veut fine et délicate et les garnitures réconfortantes. Hormis les pizzas DIY à confectionner selon ses goûts, la spécialité de la maison est la Hangover (saucisse de porc au fenouil, salami et oignons caramélisés), mais la plus délicate reste la Truffle Shuffle qui, sur une sauce blanche, marie parfaitement les champignons et l’huile de truffe. Les pizzas commencent à 15 S$ et l’aromatique et croquante Kale & Green Apple
salad saupoudrée de féta et de graines de courge est à 12 S$. D’autres spécialités sont également au menu, comme les ailes de poulet sauce BBQ ou au bleu (13 S$) ou les décadents pizza doughnuts à tremper dans le Nutella pour le dessert (8 S$). Soup Stock Tokyo, des potages gourmands Des soupes, des soupes et rien que des soupes, ou presque… Hormis deux curry sets de poulet ou ratatouille, ici la spécialité ce sont les repas à base de soupes ; des potages tous aussi délicieux les uns que les autres : champignons, maïs crémeux, bisque de crabe d’Hokkaido, minestrone italienne ou maquereau à la bonite, ici les saveurs se déclinent à l’infini selon l’humeur du chef. Des créations à déguster sur place (menus soupe et riz à partir de 10.80 S$, menu curry rice et soupe 16.80 S$), à acheter
Escapade gourmande
Casse-Croûte
surgelées à emporter, ou à se faire livrer gratuitement à partir de 50 S$. Une alternative aussi saine que gourmande pour un repas équilibré aux milles saveurs venues du Japon. Qualité irréprochable et offre variée qui satisfera autant les petits que les grands ! Cupcakes de Niza, douceurs romantiques L’adorable Niza propose des créations sur-mesure pour les anniversaires ou une sélection à choisir parmi sa large gamme de cookies et cupcakes aussi colorés que gourmands : chocolat, red velvet ou vanille, option légos comestibles ou bonbons fleurs, version personnalisée avec le nom de chaque convive sur son gâteau, il y en a pour tous les goûts. A partir de 2.50 S$, pick up sur East Coast. Cat & The Fiddle, quand le cheesecake est un concept Si votre péché mignon, ce sont les desserts et les cheesecakes en particulier, alors voici une adresse qui devrait vous plaire. La compagnie propose une large gamme de parfums variés à partir de 38.90 S$, mais surtout une formule
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maligne, la Fickle Feline, sorte de cheesecake arc-en-ciel qui permet de goûter à dix parfums différents. Une tranche de cheesecake à la fraise, une au caramel au beurre salé, aux Oreo cookies, au lychee & martini, à la mangue & vodka, à la piña colada, au tiramisu, café, thé au lait ou milo… Vous pourrez goûter de tout
et ensuite commander le gâteau de votre parfum préféré. Pour la Saint-Valentin, la Queen of hearts (26.90 S$) à la fraise par exemple devrait en faire fondre plus d’un… Livraison à partir de 6.90 S$ pour ces généreuses gourmandises. Raphaëlle Choël
Les Adresses Casse-Croûte
Blk 8 Jalan Lempeng, #02-02 Park West Condo., The Club House
HP 9630 4526
Uogashi
430 Joo Chiat Rd
HP 6348 6698
Makisan
21 McCallum St
HP 6634 0922
Alt Pizza
#01-02, 1 Keong Saik Rd
HP 6338 8035
Soup Stock
9 Raffles Boulevard, #01-40 Millenia Walk
HP 6338 7578
Nazias Cupcakes
8 Jalan Klapa
HP 6731 7173
Cat and the Fiddle
390 Orchard Rd, Palais Renaissance #B1-08/11
HP 6734 2700