L’AGROPASTORALISME EN CAUSSES ET CÉVENNES: LE RÔLE DU PAYSAGE PATRIMONIALISÉ DANS LA CONSTRUCTION D’UNE IDENTITÉ TERRITORIALE
David Emilian Encadré par Céline Barrère EnsapLille // Séminaire Territorialités, architecture et Paysage // 2017-2018
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SOMMAIRE AVANT PROPOS
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INTRODUCTION 9 1 - ÉTAT DES LIEUX DES TERRITOIRES DES CAUSSES ET CÉVENNES
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A - le paysage, socle du territoire
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B - Expérience de terrain, lire et comprendre le paysage grâce à l’arpentage
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C - l’interlieu comme espace d’appréhension du territoire
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2 - LES CAUSSES ET CÉVENNES INSTITUTIONNALISÉS
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A - préexistence du parc national des cévennes
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B - le rôle de l’eicc dans le renforcement et le maintient de ce territoire.
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3 - LA REPRÉSENTATION CULTURELLE DE L’AGROPASTORALISME, PORTEUSE D’UNE IDENTITÉ PARTAGÉE
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A - causses et cévennes, entre tradition et renouveau rural
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B - des identités et représentations aux éléments partagés
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CONCLUSION 84 SOURCES DOCUMENTAIRES
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Corpus
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Bibliographie thématique
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Travaux complémentaires
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ANNEXES 94
Double page: Figure 1. Les escarpements rocheux du Causse Méjean vus depuis le massif du Mont Aigoual, dominant le sillon qui marque la transition entre les grands Causses et les Cévennes -David Emilian, novembre 2017
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AVANT PROPOS Les Causses et Cévennes ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco1 le 29 juin 2011 au titre des «paysages culturels évolutifs vivants» de l’agropastoralisme méditerranéen2. J’étais à l’époque très surpris en apprenant cette nouvelle: les paysages de mon quotidien étaient élevés au même rang patrimonial que le Mont St Michel, le Château de Versailles ou les vestiges de la Rome antique. Aujourd’hui en Master de Paysage, mes outils et connaissances de paysagiste me permettent d’ores et déjà d’appréhender plus facilement les concepts et les enjeux propres à la patrimonialisation d’un paysage «culturel». Six ans après l’inscription des Causses et Cévennes, j’ai donc voulu dans un premier temps m’intéresser aux effets de cette récente valorisation : dans un territoire où les activités agricoles3 et touristiques4 sont primordiales, une telle labellisation semblait 1 United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization 2 Dossier de Candidature au Patrimoine Mondial de l’Unesco Causses & Cévennes, 2011, p. 95 3 Rapport Agri’scopie 2017 édité par la chambre d’agriculture Occitanie et CERFRANCE consulté sur http://www.occitanie.chambre-agriculture.fr/productions-techniques/agricultureregionale/, le03/12/2017 4 Rapport Les chiffres clés du tourisme et des loisirs en Occitanie/ PyrénéesMéditerranée consulté sur https://www.laregion.fr/IMG/pdf/oc-17-05-tour-chiffrescles-36p-a4. pdf, le 03/12/2017
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encline a en modifier les dynamiques. La première entrée dans ce travail de recherche avait donc pour but de mettre en avant les éventuelles évolutions de ce territoire et des paysages qui lui sont associés, de déterminer quelle est leur teneur, économique, sociale, politique, physique? Et dans quelle mesure ces changements ont-ils eu lieu? Il m’est vite apparu que cet axe de recherche serait très périlleux, d’une part en raison de la largeur du sujet, et également parce que mes premières investigations m’ont révélé un processus beaucoup plus lent et diffus que ce que à quoi je m’attendais, et donc beaucoup plus difficile à cerner et à documenter. Par ailleurs, en commençant mes recherches, je me suis vite rendu compte qu’au delà de la dénomination qui donne déjà un indice sur la dualité du territoire (Causses ET Cévennes), la labellisation rassemble bel et bien deux entités distinctes sous la même inscription. J’ai alors réorienté mon questionnement sur le processus de cette inscription. Dans l’objectif de créer un nouveau territoire à partir de ceux des Causses et des Cévennes il a fallu construire ou reconstruire une identité commune, sur la base du paysage de l’agropastoralisme. A quel point cette identité est-elle artificielle? Et a fortiori, qu’en est-il de la territorialité qu’elle est censée déterminer?
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Figure 2. Un exemple typique de l’agropastoralisme tel que pratiqué dans la région des Grands Causses: les troupeaux pâturent les parcours conduits par les éleveurs -David Emilian, novembre 2017
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INTRODUCTION Définition du cadre théorique Avant de développer notre exploration du sujet plus avant, il nous faut nous atteler à définir et cadrer les termes et les concepts essentiels à la suite de ce travail. L’agropastoralisme désigne un mode de production associant l’élevage (souvent extensif) de plein air, utilisant des espaces de pâture (prés, pacages, landes, etc.) à une agriculture fourragère afin de compléter l’alimentation du bétail, notamment en période hivernale. Il arrive que la forêt soit également utilisée, on parle alors de système agro-sylvo-pastoral. L’agropastoralisme méditerranéen s’est spécialisé dans l’élevage ovin, et le pâturage de milieux ouverts tels que les landes, prairies et estives. Comme toute activité agricole, les systèmes agropastoraux agissent sur leur milieu physique, et produisent des paysages caractéristiques. Nous entendons ici par paysage le sens donné par la Convention Européenne du Paysage : «‘‘paysage’’ désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs inter-relations»1.
1 STE n°176 Convention Européenne du Paysage, Florence, 20/10/2000 Art.1-a
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Dans cette définition est effectivement présente la question des interactions entre activités humaines, dans le cas qui nous intéresse l’agropastoralisme, et milieu naturel pour créer des situations uniques. Le paysage serait donc d’une part une construction humaine, répondant à des conditions naturelles et sociales particulières, et d’autre part une perception de cette construction, impliquant une subjectivité à l’échelle de l’individu et/ou de la population. Ici, le rôle prépondérant joué par la société humaine tant dans la construction que dans la perception d’un paysage, en fait indéniablement un objet culturel. De plus, cette définition s’apparente beaucoup à celle du «paysage culturel» utilisée par l’Unesco depuis 1992: «Les paysages culturels sont des biens culturels et représentent les « œuvres conjuguées de l’homme et de la nature » mentionnées à l’article 1 de la Convention. Ils illustrent l’évolution de la société humaine et son établissement au cours du temps, sous l’influence des contraintes physiques et/ou des possibilités présentées par leur environnement naturel et des forces sociales, économiques et culturelles successives, externes aussi bien qu’internes.»2
Là aussi est mis l’accent sur le résultat des interactions entre activités humaines et milieux naturels particuliers («œuvres conjuguées»). Les notions de perception et même de représentation sont présentes à travers l’«illustration» de l’évolution de la société. C’est également dans ce sens que va John B. Jackson pour qui tout paysage est le fruit, dans une certaine mesure, de «l’intrication entre les activités humaines 10
2 Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial. Consultable sur http://whc.unesco.org/fr/orientations/. Version du 12/072017Annexe 3, §6 p.85.
et les réalités naturelles»3. La grande proximité de ces trois définitions vis à vis de la nature culturelle du paysage nous pousse à affirmer que le terme de «paysage culturel» constitue pratiquement un pléonasme. Il permet cependant d’éviter la confusion commune avec un «paysage naturel», objet où l’homme ne serait pas acteur et qui contredirait la définition de J. B. Jackson et de la Convention Européenne. De fait cette catégorie n’existe pas au sein de l’Unesco et correspond aux catégories «forêts» et «mers et côtes», biens effectivement naturels mais excluant de facto le terme de paysage dans leur dénomination. En France métropolitaine la confusion est d’autant plus facile à faire que les espaces communément considérés comme naturels, tels que les forêts et les campagnes sont en fait pour la plupart largement anthropisés. Pour reprendre le cas de l’Unesco, 7 sites sont aujourd’hui inscrits sur la liste du patrimoine mondial au titre des paysages culturels, contre un seul au titre des mers et côtes (le Golfe de Porto au Nord de la Corse) et aucun au titre des forêts.(fig. 3) La particularité des paysages inscrits au patrimoine mondial, n’est donc pas tant leur caractéristique culturelle, dont on vient d’établir qu’elle est inhérente à l’objet paysage mais bien leur «valeur universelle exceptionnelle et [...] leur représentativité en terme de région géoculturelle clairement définie et [...] leur capacité à illustrer les éléments culturels essentiels et distincts de telles régions.»4 Autrement dit leur aptitude à représenter ce qui serait l’essence de la culture qui a contribué à les façonner. 3 «En fait, l’intrication entre les activités humaines et les réalités naturelles est ce qui constitue un paysage.» BESSE J.M., THIBERGIEN G. «L’expérience du paysage» in JACKSON J.B. A la découverte du paysage vernaculaire, Actes Sud / ENSP, 2003. p.12 4 Op. cit. Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial. Annexe 3, §7 p.86
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Ci-contre: Figure 3. Sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des paysages exceptionnels en France métropolitaine. Sur huit sites, deux seulement sont inscrits sur des critères de paysages naturels, dont un mixte. SOURCE: site internet de l’Unesco, fr.unesco.org
Légende: paysages culturels paysages naturels paysages mixtes
Classiquement, la culture se définit par complémentarité à la nature pour expliquer les faits sociaux et la construction des paysages5. Lévy et Lussault la définissent aussi comme «l’ensemble des productions idéelles disponibles dans une réalité sociale donnée»6, c’est à dire à la fois un système de valeurs, de représentations et de patrimoine permettant un sentiment d’appartenance voire une identification à un groupe social donné.
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5 DUNLOP, Jérôme. «Culture», Les 100 mots de la Géographie, Clamecy, France. PUF «Que Sais-je», 2016 3e édition pp.35-36 6 LEVY, Jacques «Culture» in LEVY Jacques, LUSSAULT Michel. Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des Sociétés, Tours, France. Belin, 2003. p.216
Nous pouvons alors établir un parallèle avec la question de l’identité. Pour Brunet et Ferras7, l’identité désigne la singularité d’un objet ou d’un individu, bien que déterminée sur des critères d’appartenance collective. C’est la capacité d’un individu à s’identifier à un groupe social donné tout en se distinguant des autres groupes, sur la base de critères culturels, et territoriaux. La notion d’identité est donc intimement liée à celles de culture et de territoire, c’est à dire dans une certaine mesure, au paysage lorsqu’il est témoin d’une forte relation avec la culture locale. C’est dans ce sens que va Anne Sgard en définissant le «paysage identitaire» comme une relation mutuelle entre un paysage donné et un groupe social particulier. Le paysage y est fondateur de la formation du groupe, et ce dernier se retrouve, s’identifie, dans « son » paysage8. Selon elle, c’est l’itération constante entre représentation idéelle et relation matérielle au paysage qui permet la construction du paysage identitaire et, à long terme, d’un territoire défini par son identité. Dans ce sens, la définition de paysage identitaire correspondrait en fait à celle d’un paysage culturel à la valeur exceptionnelle, dans la capacité qu’on lui donne à incarner l’essence d’une culture (d’une identité) locale. Dans le cas qui nous intéresse, les pratiques culturales et les modes de production agricole associés à l’agropastoralisme entretiennent en effet une étroite relation avec les composantes à la fois matérielles et idéelles des paysages caussenards et cévenols. La patrimonialisation d’un tel paysage se placerait 7 BRUNET Roger, avec FERRAS et THERY, «Identité», Les Mots de la Géographie, dictionnaire critique, Montpellier-Paris, France. RECLUS-La Documentation Française, 1993 3e édition. pp.266-7 8 SGARD, Anne. 1997. Qu’est-ce qu’un paysage identitaire ?, Valence, France. La passe du vent, 1999. pp.23-34
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dans une logique de prolongement de l’identification à un paysage, dans la mesure où le paysage en question acquiert auprès de ses habitants une valeur, en tant que témoin de leur identité9, à transmettre, non seulement aux générations suivantes mais également aux groupes sociaux extérieurs. Et là nous pensons notamment au développement du tourisme patrimonial. La construction d’un paysage identitaire et, dans une certaine mesure, sa patrimonialisation prennent tout leur sens quand il s’agit d’un paysage «essentiellement évolutif vivant», qui représenterait l’essence de la définition de l’Unesco donnée plus haut: [Le paysage essentiellement évolutif] résulte d’une exigence à l’origine sociale, économique, administrative et/ou religieuse et a atteint sa forme actuelle par association et en réponse à son environnement naturel. Ces paysages reflètent ce processus évolutif dans leur forme et leur composition. [...] Un paysage vivant est un paysage qui conserve un rôle social actif dans la société contemporaine, étroitement associé au mode de vie traditionnel et dans lequel le processus évolutif continue. En même temps, il montre des preuves manifestes de son évolution au cours des temps.10
En effet, c’est alors le paysage du quotidien, vécu par ses habitants et, dans le cas de l’agropastoralisme, des modes de
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9 RAUTENBERG, Michel et al. «Introduction», Campagnes de tous nos désirs, Paris, France. Maison des Sciences de l’Homme, 2000. p.5 10 Op. cit. Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial. Annexe 3, §10-ii p.86
production traditionnels (au sens des arts et techniques) qui se trouvent valorisés. Les dynamiques humaines et naturelles contemporaines du territoire y sont donc associées, par opposition aux jardins et parcs historiques tels que les jardins de Versailles ou aux vestiges de paysages «reliques» qui n’ont plus de rôle actif au sein des groupes sociaux actuels. Un tel rôle permet un plus grand investissement dans l’identification et la valorisation du paysage par ses habitants, grâce à une meilleure appropriation, notamment par le tourisme.
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Lozère
Gard Aveyron
Légende: Zone cœur Zone périphérique Limite départementale Ville porte Autre ville N
Hérault 16
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Une première approche du terrain d’études Le périmètre d’inscription à l’Unesco du site des Causses et des Cévennes est à cheval sur quatre départements de la région Occitanie: l’Aveyron, le Gard, l’Hérault et la Lozère (fig. 4). Il comprend une surface inscrite de 302 319 ha, entourée d’une zone tampon de 312 425 ha. Le nom désigné pour l’inscription du site indique d’ores et déjà une dualité dans sa composition. En effet les Causses et les Cévennes forment deux entités géographiques bien distinctes. A l’Est, les Cévennes forment un massif schisteux de vallées parallèles étroites descendant d’Ouest en Est vers la plaine languedocienne. A l’Ouest, les plateaux calcaires des Grands Causses présentent de grandes étendues découpées par des vallées encaissées bordées de falaises (les Gorges). La séparation entre les deux se fait par la présence d’une crête montagneuse à dominante granitique reliant le massif du Mont Lozère au Nord (culminant à 1699m) à celui du Mont Aigoual au Sud (1567m). Cette crête est également la ligne de partage des eaux entre Méditerranée et Atlantique.(fig. 5)
Page de gauche: Figure 4. Carte de présentation du site des Causses et Cévennes inscrit au titre de l’agropastoralisme. SOURCE: IGN/ Jacques SGARD
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LĂŠgende: Calcaire Schiste Granit Ligne de partage des eaux Ville porte Autre ville 0
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N
Ajoutons que les Cévennes sont de tradition protestante et les Causses, de tradition catholique. Ces deux entités se distinguent donc par beaucoup d’aspects, notamment géographiques. Pourtant les marques de l’agropastoralisme présentes au sein de chacune ont poussé le comité de l’Unesco à appuyer une candidature unique. Dès lors il fallait également trouver ce qui fait l’unité de ce (ces ?) territoire(s) Le bien a été inscrit en 2011 après révision du dossier de candidature, notamment par le paysagiste Jacques Sgard. Dans un entretien11, J. Sgard met notamment en lumière les difficultés liées à la distinction entre les Causses et les Cévennes dans le paysage géographique, mais aussi par rapport à la question de l’appartenance à une seule et même entité (le bien a inscrire), qui semblait forcée, en raison des divergences traditionnelles et culturelles entre Caussenards et Cévenols. J. Sgard fait alors émerger une troisième entité qu’il qualifie d’«interlieu» géographique et composée de la crête granitique Nord-Sud des hautes Cévennes et de la vallée profonde qui la borde à l’ouest, séparant les deux entités. Par le terme «interlieu» J. Sgard désigne en fait ici ce qui constituerait à la fois une interface d’échanges entre Causses et Cévennes et un espace à part entière, lieu de transition spatiale entre les deux entités(fig. 6). Ce nouvel élément de paysage, pouvait alors devenir le cœur du bien à inscrire et effacer les litiges.
11 SGARD Jacques, interviewé par DELBAERE Denis. «La Montée», Les Carnets du paysage n°22 La Montagne, pp. 146-153. 2012.
Page de gauche: Figure 5. Les Causses et Cévennes sont avant tout des entités géologiques bien déterminées, avec d’un côté les Grands Causses calcaires et de l’autre les Cévennes schisteuses. Au centre, la barrière des Cévennes reliant les massifs granitiques du Mt Aigoual et du Mt Lozère voit une alternance entre granits, calcaires et schistes grâce au jeu de l’érosion. C’est sa ligne de crête qui marque la ligne de partage des eaux entre Atlantique et Méditerranée. SOURCES: IGN/ AVECC
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Ci-contre: Figure 6. Plan et coupe schématiques (dessinés par J. SGARD) de l’interlieu Causses-Cévennes. En haut: deux entités contrastées. Au milieu: l’interlieu central et sa capacité à construire une lecture paysagère cohérente du territoire. En bas: coupe représentant de gauche à droite les plateaux Caussenards, le sillon puis la crête nord-sud d’où partent les vallées cévenoles. D’après J. SGARD et D. DELBAERE SOURCE: Les Carnets du Paysage n°22
Du terrain à la problématique Dans ce contexte, tant les difficultés rencontrées pour mener à bien la candidature que la solution apportée par J. Sgard soulèvent une série de questions. Quel a été le rôle des pratiques agro-pastorales dans la construction de l’entité «Causses et Cévennes» alors même que les paysages de ces deux entités sont très contrastés? Existe-t-il une réelle cohérence dans le dessin de ce nouveau territoire? À quelle réalité sociale la dualité entre Causses et Cévennes correspondt-elle? Ces différentes questions peuvent être rassemblées dans la problématique suivante:
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En quoi les paysages de l’agropastoralisme construisent-ils un territoire et une identité assez forts pour dépasser la distinction entre Causses et Cévennes? L’hypothèse de réponse principale se présente comme suit: Les pratiques agropastorales et les traces qu’elles laissent dans le paysage délimiteraient une zone géographique cohérente se superposant aux Causses et aux Cévennes. Il est possible de la décomposer en deux hypothèses secondaires s’articulant aux notions de territoire et d’identité: Le périmètre d’inscription à l’Unesco, associé à la structure existante du Parc National des Cévennes (PNC), légitimerait davantage une territorialité s’étendant de part et d’autre de la limite Causses/Cévennes. Les pratiques sociales associées à l’agropastoralisme porteraient des valeurs suffisamment fortes pour donner une cohérence aux paysages des Causses et Cévennes, à travers la définition d’une identité commune. La suite de ce travail s’organisera autour de ces trois hypothèses. Dans un premier temps, nous procéderons à un état des lieux du territoire des Causses et Cévennes, géographique, institutionnel et social. Cette partie introductive sera nécessaire à l’appréhension des dynamiques sociales et paysagères qui animent et régissent le territoire, et en particulier celles de l’agropastoralisme. Cette partie traitera également de la démarche d’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco et de son cheminement, en mettant notamment à l’épreuve la question de l’interlieu mis en avant par J. Sgard. Ainsi, nous apporterons 21
les premiers éléments de réponse à notre hypothèse principale. Une seconde partie sera donc consacrée à notre seconde hypothèse. Nous y traiterons du rôle prépondérant des institutions territoriales dans la construction et la gestion des Causses et Cévennes, que ça soit le PNC, créé en 1970, ou l’Entente Interdépartementale Causses et Cévennes (EICC) créée en 2012 des suites de l’inscription à l’Unesco. Nous nous interrogerons également sur l’adéquation entre les limites spatiales produites par les différentes institutions et représentations culturelles du territoire et le territoire dessiné par l’agropastoralisme, dont nous auront contribué a éclaircir les caractéristiques en première partie. Enfin, la dernière partie du raisonnement s’attachera a explorer les implications de la troisième hypothèse. Nous y verrons le rôle que jouent l’agropastoralisme et ses représentations culturelles dans l’appréhension des territoires des Causses et des Cévennes par leurs habitants, comme deux entités distinctes mais indissociables. En effet, nous verrons que malgré la distinction claire entre Causses et Cévennes, une vision commune des deux territoires de part et d’autre rend possible dans une certaine mesure l’hypothèse d’un sentiment d’appartenance global, notamment lié aux pratiques agricoles. Du questionnement à la recherche, construction d’une méthode. Notre démarche se décompose en trois parties. Confortés par la lecture de A. Sgard12, il nous semble important d’aborder le territoire des Causses et Cévennes de plusieurs manières.
12 SGARD, Anne. 1997. Qu’est-ce qu’un paysage identitaire ?, Valence, France. La passe du vent, pp.23-34, 1999
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Par sa dimension physique, en mobilisant les outils de l’analyse paysagère lors d’arpentages de terrain (croquis, photos, coupes et plans...). Ce travail d’arpentage sera complété par une analyse cartographique portant sur les données IGN et les cartes produites dans le cadre du dossier de candidature à l’Unesco. Ce travail nous permettra d’identifier des éléments de réponse à la première hypothèse ainsi qu’à une partie de la seconde. Par sa dimension institutionnelle, en interrogeant par entretiens individuels les acteurs construisant l’identité territoriale a posteriori: le PNC, le PNR des Grands Causses, l’établissement public en charge de la gestion du bien : Entente Interdépartementale Causses et Cévennes (EICC). Ce sont des acteurs que nous définissons alors comme «secondaires». Ce second aspect devra apporter principalement des éléments sur la seconde hypothèse, mais pourra étayer les deux autres. Et enfin par sa dimension sociale, en interrogeant cette fois les agriculteurs/éleveurs, qui façonnent le territoire qu’ils habitent avec leurs pratiques. Ce sont donc des acteurs «primaires» du territoire. La production de cartes mentales du territoire nous semble être une entrée pertinente pour mettre en regard les différentes représentations idéelles que ces acteurs ont de leur territoire, tout en procédant également à des entretiens individuels. L’exploration de cet aspect sera complétée par l’analyse du dossier de candidature et la constitution d’une revue de presse. Ce dernier volet s’axe donc plutôt sur la résolution de la troisième hypothèse, bien qu’il puisse également contribuer à éclaircir la première.
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1 - ÉTAT DES LIEUX DES TERRITOIRES
DES CAUSSES ET CÉVENNES
Une première approche du terrain à travers le prisme de la recherche à été faite du 31 octobre au 3 novembre 2017, elle a pris la forme d’une randonnée à pieds, sur une portion se voulant caractéristique des paysages inscrits. Mon choix s’est donc porté sur une portion du GR60/61, qui s’avère être une des drailles de transhumance menant historiquement de la plaine du Languedoc aux pâturages d’estive du Mont Aigoual, des Causses (Méjean et Sauveterre en l’occurrence) et de l’Aubrac. Le départ s’est effectué depuis le col du Mercou, dans le Gard, situé sur la limite entre la zone tampon à l’est et la zone inscrite à l’ouest. L’arrivée a été fixée à Ste-Enimie (Lozère), Ce tracé de soixante-dix kilomètres traverse donc de Sud-Est en NordOuest les trois grandes entités constituant le bien inscrit : les Cévennes, les Causses et « l’interlieu » séparant les deux, ici marqué par la portion entre le sommet de l’Aigoual et le Col de Perjuret marquant l’entrée sur le Causse Méjean. Le village de Ste-Enimie se situe à 7km (à vol d’oiseau) de la limite Nord-Ouest du site inscrit, pour des raisons pratiques il était plus simple d’arrêter ici le parcours. Le sens du parcours se veut identique à celui de la transhumance montant des plaines languedociennes vers les estives cévenoles et caussenardes, et plus largement de tout pâturage: de bas en haut.(fig.7)
Page de gauche: Figure 7. Itinéraire de l’arpentage à pied réalisé du 31/10 au 3/11/2017, partant du col du Mercou dans le Gard à Ste-Enimie en Lozère, le long des GR 61, 6 et 60, constituant une «coupe transversale» des paysages inscrits. SOURCE: IGN
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Parallèlement, la lecture de l’entretien de J. Sgard m’a poussé à chercher une appréhension plus globale du territoire à travers le parcours (en voiture cette fois) de la ligne de crête des hautes Cévennes qu’il qualifie d’interlieu, entre les monts Aigoual, au Sud, et Lozère, au Nord. Ce trajet a été effectué le 6 avril 2018. (fig. 8)
Ces deux approches, réalisées à deux stades différents de l’avancement de ce travail, m’a permis d’appréhender un terrain d’études familier sous un œil nouveau et de compléter la vision du territoire construite à la fois par mon expérience personnelle en tant qu’habitant de ce territoire et par les nombreuses données géographiques apportées par le dossier de candidature au patrimoine mondial de l’Unesco Causses & Cévennes. L’objet de cette première partie est d’élaborer une synthèse de ces données récoltées afin de mieux appréhender les éléments majeurs de ce territoire.
Page de gauche: Figure 8. Itinéraire de l’arpentage en voiture réalisé le 6 avril 2018, partant du col du col de Finiels sur le Mont Lozère à Meyrueis au pied du Mont Aigoual, le long de la barrière des Cévennes, longeant ainsi la partie haute de l’interlieu, permettant une meilleure appréhension du territoire. SOURCE: IGN
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Légende: Causses nus Causses boisés Basses Cévennes Hautes Cévennes Gorges Partage des eaux Limite d’influence climatique N 0
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- LE PAYSAGE, SOCLE DU TERRITOIRE 1.les causses et cévennes, une géographie contrastée(fig.9)
Les Grands Causses sont un des ensembles karstiques1 les plus grands d’Europe. Du Nord au Sud, les plus importants sont le causse de Sauveterre (~600km²), le causse Méjean (~340km²), le causse Noir (~200km²), et le causse du Larzac (~1000km²). La caractéristique la plus visible de cette région est le fort contraste entre les plateaux, situés en moyenne à une altitude comprise entre 700 et 1200 mètres et les gorges qui les délimitent2, dont le fond de vallée très encaissé est situé de 300 à 500 mètres plus bas. Les plateaux, de nature calcaire, sont par conséquent plutôt arides avec un sol assez pauvre, souvent superficiel, et subissent des conditions climatiques contrastées, tant au niveau des températures que des précipitations. Sauveterre et Méjean sont soumis à un climat montagnard et enregistrent plus de trois mois de gel par an, alors que plus au Sud, les causses Noir et du Larzac se trouvent à la rencontre des influences océaniques méditerranéennes et continentales. Dans les deux cas, les étés sont chauds, voire caniculaires. A l’Ouest, les causses sont majoritairement boisés, de pins sylvestres au Nord, progressivement remplacés par le chêne pubescent dans les zones les plus méridionales. La partie Est des causses est elle majoritairement composée de prairies steppiques et de landes à buis et genévriers, avec des boisements ponctuels de pin noir implantés au XXe siècle.(fig. 10)
1 Région calcaire dont la géomorphologie est fortement liée à l’érosion hydrochimique, en surface et souterraine. 2 Du Nord au Sud, le Lot, le Tarn, la Jonte et la Dourbie
Page de gauche: Figure 9. Carte de synthèse des principales entités paysagères des Causses et Cévennes avec leurs influences climatiques, dessinant un territoire contrasté. SOURCES: IGN, AVECC, CORINE Land Cover
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Ci-contre, de haut en bas: Figure 10. Le Causse Nu, à proximité de Gally sur le Causse Méjean. Figure 11. Les basses Cévennes, au col du Mercou. Figure 12. Hautes Cévennes, au nord du Mont Aigoual. -David Emilian, novembre 2017
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Les Cévennes se composent également de deux éléments caractéristiques. Les basses Cévennes sont un massif schisteux constitué d’une série de vallées parallèles encaissées orientées Est-Ouest et qui s’ouvrent sur la plaine languedocienne à l’Est. Elles se développent sur un intervalle de 250 à 1000 mètres d’altitude avec un relief accidenté qui exacerbe le climat méditerranéen et notamment les précipitations (épisodes cévenols). En raison du relief, l’étagement de la végétation est très marqué, passant d’un paysage de chênaie verte au plus bas, à une dominante de châtaigneraies entre 400 et 800 mètres puis de hêtres et de lande à bruyère au delà, en fonction de l’exposition.(fig. 11) Les hautes Cévennes englobent les massifs Granitiques du Mont Lozère au Nord, culminant à 1699m et du Mont Aigoual au Sud, dont le sommet est à 1567m ainsi que la barrière des Cévennes, crête montagneuse à dominante calcaire et schisteuse qui relie les deux massifs et à partir de laquelle partent les vallées des basses Cévennes à l’Est. Les deux monts présentent les conditions climatiques les plus difficiles avec des précipitations importantes3, des vents violents et des températures très basses en hiver. La végétation alterne entre les boisements de résineux de type épicéas, les hêtraies et les prairies d’alpage et landes à bruyères. En complément de la figure 9 présentée p.28 et qui synthétise les 5 grands types de paysages rencontrés sur les Causses et Cévennes, l’Annexe n°14 présente une vision plus précise de la couverture végétale issue des données satellite CORINE Land Cover de 2013.
3 Moyenne annuelle supérieure à 2300mm sur le Mont Aigoual 4 Annexe 1, voir pp. I-II
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Ci-dessous: Figures 13 à 15. De gauche à droite, l’ager, le saltus et la sylva -David Emilian, novembre 2017
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La proximité de ces nombreuses situations climatiques et géomorphologiques, ajoutée à la violence des reliefs, composent un territoire physiquement contrasté qui offre à l’œil une variété de paysages grandioses et une richesse de milieux importantes et concentrées sur un territoire relativement réduit. 2. l’empreinte de l’agropastoralisme Les traces d’une activité agropastorale dans la région remontent à la révolution Néolithique, vers 6000 av. JC et cette activité s’est maintenue jusqu’à nos jours, avec une apogée au milieu du XIXe siècle. Le territoire s’organise alors en trois composantes complémentaires correspondant au modèle agronomique latin. l’ager, zone cultivée, le saltus, espaces ouverts de parcours et la sylva, la forêt.(fig. 13, 14, 15) Ces trois espaces interdépendants ont fluctué en fonction du peuplement des campagnes et donc de la pression humaine et animale. La forêt, à l’origine dominante sur le territoire des Causses et Cévennes, bien qu’hétérogène en raison des conditions difficiles évoquées plus haut (sols pauvres et superficiels, relief accidenté et climat rude...), a progressivement régressé au profit du saltus, voire de l’ager en fonction des pressions démographiques et de pâturage. Ainsi au milieu du XIXe, le territoire des causses et Cévennes, et notamment les massifs du Mont Aigoual et du Mont Lozère, lieux d’estive privilégiés, se trouvent complètement dénudés, entraînant même des déséquilibres notamment dus au ruissellement des eaux de pluie.5-6 La politique de reboisement 5 BUCHERT Julien, voir Annexe 5, pp. XV-XXII 6 CEN L-R (coord.) Terres pastorales. Diversité et valeurs des milieux ouverts méditerranéens. Ouvrage réalisé dans le cadre du LIFE + Mil’Ouv. Portugal. Co-édition CEN L-R / Rouergue, 2017. p13
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menée à partir de 1860, conjointe au déclin progressif du pastoralisme permet de rétablir un équilibre.7 Parallèlement, les pratiques agropastorales ont également contribué à créer, sur les causses comme en Cévennes, un Ci-dessous: Figures 16 à 18. Ouvrages architecturaux en relation avec l’agropastoralisme. De gauche à droite: Les vestiges d’une jasse en bordure du chemin à proximité de Bonperrier. L’ancienne structure en pierre sèche de la draille descendant du Causse Méjean à Ste-Enimie afin de permettre le passage du troupeau dans la pente abrupte. Le pont moutonnier du col de l’Asclier permettant aux troupeaux transhumants de passer au dessus du passage étroit qu’il enjambe. -David Emilian, novembre 2017
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réseau dense d’ouvrages architecturaux à base de pierres sèches, présentes en abondance. Les pentes abruptes des Cévennes sont terrassées afin d’être rendues cultivables, les drailles, chemins utilisés par le bétail pour la transhumance ou les déplacements quotidiens, sont matérialisées par des murets ou des calades au sol dans les terrains accidentés et les lieux de pâturages sont habillés de cabanes pastorales et de parcs de fumature, en murets de pierre sèche également.(fig. 16, 17, 18) Les drailles forment un réseau dense dont les principaux axes sont aujourd’hui encore présents sous la forme de chemins de randonnée8
7 Op cit. CEN L-R (coord.) pp. 13-17 8 GR6, GR60, GR61...
B - EXPÉRIENCE DE TERRAIN, LIRE ET COMPRENDRE LE PAYSAGE GRÂCE À L’ARPENTAGE
Cette partie s’est construite en relation étroite avec le compte rendu d’exploration de terrain disponible en Annexe n°2 et dans une certaine mesure avec la carte TOP 75 «Cévennes Gorges du Tarn» support de réflexion pour la construction du parcours, reproduite en Annexe n°39 1. La structure du territoire(fig. 19) Des basses Cévennes aux Gorges du Tarn, j’ai pu identifier plusieurs séquences paysagères et différents types de transitions spatiales entre chaque séquence. Ces séquences correspondent aux grands ensembles définis dans le dossier de candidature à l’Unesco qui distingue basses Cévennes, hautes Cévennes, Causses nus, Causses boisés et Gorges. Si ces entités sont globalement clairement définissables et reconnaissables, l’exploration du terrain nous apporte complexité et nuance dans l’enchaînement de ces séquences. Ainsi, si à notre départ du col du Mercou il était simple d’associer la crête (le serre) et le fond de vallée au sein d’une seule et même entité, à l’influence méditerranéenne forte, dès que nous avons atteint des altitudes plus élevées, de l’ordre des 800m, la distinction s’est faite de façon de plus en plus prononcée et fut particulièrement flagrante au moment de regagner le fond de vallée vers Mas Corbière depuis le col de l’Asclier. Cette distinction naissante jouant un rôle de transition avec les hautes Cévennes où les serres affichent un paysage quasiment montagnard alors que les hautes vallées perçoivent des influences méditerranéennes de plus en plus dégradées. 9 Annexes 2 et 3, voir pp. III à X et XI
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Ci contre: Figure 19. coupes schématiques expliquant les différentes entités paysagère traversées et le passage de l’une à l’autre. De haut en bas: - système serre/vallée dans les basses Cévennes, unité de l’ensemble. -système serre/vallée à l’amorce des hautes Cévennes, une plus grande complexité arrive avec l’altitude aux alentours de 800m, le contraste s’estompe dans les vallées les plus hautes. -passage des basses cévennes au massif de l’Aigoual le long des crêtes, la progression est plus douce. -passage du massif de l’Aigoual au Causse Méjean par les cols de Fourques et de Perjuret. pas de grands changements topographiques à cet endroit mais deux types de paysages différents. -à gauche, passage du massif de l’Aigoual au Causse en coupant dans le sillon, limite topographique très marquée -à droite, passage d’un causse à l’autre par les gorges, une limite forte qui sépare deux entités semblables. -David Emilian, août 2018
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En revanche dans le sens du parcours, l’enchaînement le long des serres entre Cévennes basses, Cévennes Hautes et massif de l’Aigoual se fait de façon beaucoup plus douce au gré de la montée progressive vers le sommet. À l’inverse, la transition du côté nord-ouest se fait de façon bien plus abrupte entre le massif du mont Aigoual, qui descend progressivement jusqu’à environ 1000m, et les causses, en particulier celui du Méjean. Le sillon de l’interlieu, associé aux escarpements rocheux ceinturant les causses assure une transition spectaculaire et brutale, appuyée par le changement de roche mère qui passe d’une alternance de schistes et granites, toujours acides, à une roche calcaire fortement alcaline caractéristique des plateaux karstiques. Ce changement de sol entraine un changement radical de la morphologie des paysages et des types de végétation rencontrés, le tout en l’espace d’à peine quelques kilomètres, au niveau des cols de Fourques et de Perjuret. Ces cols et le kilomètre qui les séparent constituent les points les plus élevés du sillon de l’interlieu puisque de là partent les vallées qui dessinent au Nord et au Sud les bords du Causse Méjean et rejoignent le Tarnon et la Jonte un peu plus loin. Ce contraste fort se retrouve également lors du passage d’un causse à l’autre, à plus forte raison puisqu’il faut obligatoirement descendre au fond des gorges pour ce faire. La transition entre les Causses nus et boisés, si elle a pu être clairement délimitée par le passé, est aujourd’hui assez diffuse, en raison de la fermeture de plus en plus grande des milieux à proximité des boisements existants, brouillant ainsi les zones limitrophes. 37
2. Les pratiques agropastorales Sur l’ensemble du tracé parcouru, les traces d’une activité pastorale ancienne sont décelables, dans les paysages, les structures artificielles ou la toponymie. Cependant, l’agropastoralisme se manifeste différemment en fonction des séquences traversées. Dans les basses Cévennes, les drailles sont toujours utilisées et constituent un des témoignages les plus visibles en randonnée puisqu’elles sont également devenu des itinéraires de marche. Les exploitations locales sont davantage tournées vers le fond de vallée où elles occupent les micros espaces dégagés, comme à Mas Corbière. Avec l’arrivée d’espaces dégagés plus nombreux en altitude vers l’Ouest, les pratiques de transhumance et de pastoralisme sédentaire10 se rejoignent le long des serres et sur les flancs dénudés. Sur les massifs de l’Aigoual, du Mont Lozère et la Barrière des Cévennes de grands espaces ouverts en altitude sont dédiés au pâturage, à la fois sédentaire et transhumant et les exploitations sont de taille plus importantes, et davantage tournées vers l’élevage. On y trouve un mélange de bovins et d’ovins. Sur les Grands Causses, les exploitations sont également assez fréquentes et avec des cheptels conséquents adaptés aux grandes surfaces de parcours disponibles. Les pratiques liées à la transhumance ont disparu au profit d’un agropastoralisme local, exploitant les terres les plus fertiles en fond de doline ou en plaine pour l’agriculture et les terres arides en pâturage sédentaire. 38
10 Le mot sédentaire est ici utilisé par opposition au terme de transhumance. Les troupeaux pâturent en fait des parcours différents au cours de l’année, dans des parcs clôturés ou grâce à la garde, mais toujours à proximité du siège de l’exploitation; d’où le terme «sédentaire».
Lors de mon arpentage, j’ai également pu remarquer l’apparition de détails liés à de nouvelles variables dans le système agropastoral. D’une part, la diminution de la pression de pâturage sur certains parcours contribue à leur fermeture progressive. Cette diminution s’explique déjà par la diminution du nombre d’exploitations, et donc du cheptel total, même si les exploitations restantes ont gagné en taille. Dans une certaine mesure cette évolution s’explique aussi ces dernières années (depuis 2014 environ) par le retour du loup qui a forcé les agriculteurs à modifier leurs pratiques, et notamment à diminuer le temps de présence du bétail sur les parcours afin de privilégier une présence humaine. Le Plan Loup, mis en œuvre par le gouvernement, permet également aux éleveurs, par le biais de subventions, d’améliorer la protection de leurs troupeaux en embauchant des bergers, en achetant des chiens de protection et en modernisant et multipliant leurs clôtures. Ainsi il n’est pas rare de croiser des panneaux d’information et de sensibilisation à destination des randonneurs à proximité des parcs pâturés(fig. 20, 21, 22). Parallèlement, le PNC a lancé différentes initiatives pour valoriser le pastoralisme et notamment l’édification de cabanes pastorales sur les zones d’estive des Monts Lozère et Aigoual pour accueillir les bergers transhumants dans de meilleures conditions.(fig. 23)
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Ci-contre: Figure 20. Panneau de sensibilisation s’adressant aux randonneurs propriétaires de chiens à Bonperrier au bord du GR 6. -David Emilian, novembre 2017 Page de Droite en haut: Figures 21 et 22. Panneaux de sensibilisation s’adressant aux randonneurs vis à vis des chiens de protection de troupeaux, sur le GR 60, respectivement au sud de Gally et au nord du Plos des Conques, sur le Causse Méjean. -David Emilian, novembre 2017 En bas: Figure 23. Cabane pastorale construite par le PNC sur le site d’estive de Massevaques, dans le massif de l’Aigoual. -David Emilian, avril 2018
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Légende: Calcaire Schiste Granit Ligne de partage des eaux Sillon de l’interlieu Hautes Cévennes Falaises des bords de Causses Causse résiduel inclus dans l’interlieu Foyer de population de l’interlieu
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C - L’INTERLIEU COMME ESPACE D’APPRÉHENSION DU TERRITOIRE
Comme évoqué en introduction, le paysagiste Jacques Sgard s’est emparé du territoire à inscrire au patrimoine mondial par le biais de ce qu’il nomme «l’interlieu» entre les causses et les Cévennes11 et qui correspond en fait au système composé des vallées du Tarnon et de la Jonte, de la crête des hautes Cévennes qui la borde à l’Est (connectant les massifs du Mont Lozère et du Mont Aigoual), et délimité à l’Ouest par les bords des causses.(fig. 24) 1. une rupture monumentale... J. Sgard présente cette limite avant tout comme une limite géographique. En effet, c’est le long de ce sillon que s’opèrent les plus grands changements du territoire: la ligne de crête des hautes Cévennes marque la ligne de partage des eaux entre mer Méditerranée et océan Atlantique. Le fond de vallée marque la limite entre roche calcaire et schiste, et donc entre deux formations végétales très différentes, et les typologies de plateaux et de vallées encaissées. Visuellement, la transition est brutale, par son côté monumental et contrasté entre les deux versants. «Alors c’est vrai que c’est une transition violente !» — Eric Dessoliers, chargé de mission Paysage et Urbanisme au PNC12 11 Op. cit. SGARD, Jacques. 12 Propos recueillis lors d’un entretien avec M. DESSOLIERS le 30/03/2018, voir Annexe 6, pp. XXIII-XXVIII
Ci-contre: Figure 24. L’interlieu entre Causses et Cévennes. Cette carte reprend les principaux éléments géographiques constituant l’espace de transition entre Causses et Cévennes. Les principaux massifs, le changement de roche mère et les foyers d’habitation. SOURCE: AVECC/ Jacques SGARD/ IGN
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Morgane Costes Marre, directrice de l’EICC, reconnaît volontiers le rôle tenu par ce basculement du paysage dans la compréhension du territoire: «C’est vrai que c’est une réalité, par exemple quand on reçoit du monde, des gens qui veulent voir cette ambivalence, il suffit de monter au relais au dessus du Col de la Pierre Plate13 et c’est vrai que quand on y est on voit vraiment que la vallée est la jonction des [Causses et Cévennes].» 14
En effet, longer la ligne de crête des hautes Cévennes m’a permis, au gré des points de vue s’offrant successivement à l’Est et à l’Ouest de saisir les principales caractéristiques des deux entités: les étendues dégagées des causses, délimités par les escarpements rocheux des gorges pour les causses(fig. 25) et la succession des vallées encaissées s’ouvrant vers la plaine du Languedoc pour les Cévennes.(fig. 26) Parallèlement, la proximité des paysages du Mont Lozère et du Mont Aigoual, et le fait de dominer régulièrement les deux versants permet de renforcer l’hypothèse que ces espaces forment une entité à part entière. Cette limite géographique et visuelle est également une limite entre deux populations se revendiquant de cultures différentes, à la fois dans leurs pratiques de l’agropastoralisme et dans leurs identités15. Les acteurs interrogés s’accordent sur cette question, tant les agriculteurs caussenards et cévenols que les techniciens du PNC:16 13 Col marquant l’entrée du Causse Méjean à l’aplomb de Florac et faisant face aux Cévennes, N.D.A. 14 Propos recueillis lors d’un entretien avec Mme COSTES, le 03/04/2018 15 Cet aspect est développé dans la dernière partie de ce travail. 16 Entretiens en annexes 5 à 10 à partir des pages XV
Page de gauche: Figures 25 et 26. L’interlieu entre Causses et Cévennes. En haut: vue du sillon de l’interlieu depuis le massif de l’Aigoual en direction de Meyrueis. -David Emilian, novembre 2017 En bas: Le développement des vallées cévenoles vers l’Est depuis le col des Faïsses sur la Can de l’Hospitalet. -David Emilian, avril 2018
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Mais, tu peux pas effacer des siècles de destins, de climats, de cultes, d’économies différents. T’imagines, tu prends deux familles, une qui habite sur le Causse avec ses conditions climatiques, une qui vit dans les Cévennes méridionales, 5 siècles plus tard c’est des gens très différents, [...] ils jouent pas aux mêmes jeux, ils n’ont pas les mêmes façons de faire… — Eric Dessoliers
Cependant, «l’interlieu» ne doit pas être perçu comme une limite absolue. En effet, la portion de territoire qu’il constitue est liée aux causses comme aux Cévennes. D’une part dans ses composantes géographiques, car on peut y observer les trois types rocheux typiques du territoire (calcaire, schiste et granite) se côtoyer le long de la crête et d’autre part parce que la limite entre deux populations évoquée plus haut permet tout de même les échanges. 2. ...dessinant une limite perméable
Page de droite: Figure 27. Les communes appartenant à l’interlieu participent à connecter Causses et Cévennes par leur limites administratives qui s’affranchissent des limites géomorphologiques. SOURCES: IGN
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Ces échanges, articulés autour du «sillon» des vallées du Tarnon et de la Jonte, constituent d’après Eric Dessoliers le «cœur social» du PNC, et par extension le cœur social du bien Unesco. Cette fonction se lit dans le tracé des limites communales le long de l’interlieu. En effet les communes de Meyrueis, Gatuzières, et Vebron, ainsi que dans un certaine mesure Rousses et Fraissinet-de-Fourques, étendent leurs territoires de part et d’autre de la vallée sur les causses et la crête des hautes Cévennes, dessinant un territoire qui tient plus compte du bassin de vie que des limites géomorphologiques. Cette logique ancienne de complémentarité entre plateaux,
Légende: Ligne de partage des eaux Sillon de l’interlieu Hautes Cévennes Limite communale Limite communale commune nouvelle Foyer de population de l’interlieu
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vallée et Cévennes trouve également son écho dans les récentes réformes territoriales et la création des communes nouvelles de Florac Trois Rivières et de Cans et Cévennes17 en 2016. Dans son récit de voyage Voyage à travers les Cévennes avec un âne18 Robert Louis Stevenson décrit la ville de Florac à travers les mots d’un jeune pasteur: «La population de Florac est en partie protestante, en partie catholique et la différence des croyances religieuses se double ordinairement de celle des opinions politiques; malgré cela les gens vivent en excellents termes, se fréquentent et se rendent service en bons voisins»
Cette anecdote illustre, au delà de la bonne entente entre habitants de confessions différentes, le rôle de point de rencontre culturelle et de mélange tenu par la ville de Florac au XIXe siècle entre caussenards et cévenols. Aujourd’hui la question religieuse est reléguée au second plan mais pour Eric Dessoliers il s’agit toujours d’un endroit «... où les gens se parlent, où la cohabitation entre les chasseurs cévenols et les punks est possible!»19 Et, pour Diane Lamy, Florac reste un lieu de rencontres et de commerce, où Caussenards comme Cévenols se rendent pour faire leurs courses, leurs commissions et se rencontrent20. 17 Can signifiant plateau rocheux, causse en occitan. 18 STEVENSON Robert-Louis, Voyage à travers les Cévennes avec un âne, adapté en France par A. MOULHARAC, 1901. p.42 19 Eric DESSOLIERS 30/03/2018, voir annexe 6 20 Entretien avec la famille LAMY, agriculteurs à St Germain de Calberte, réalisé le 04/04/2018, voir annexe 10
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Conclusion partie 1: un territoire composite Les causses et Cévennes forment un territoire contrasté à tous les niveaux. Qu’il s’agisse du socle géomorphologique de la région ou des différences de culture entre les deux entités principales, il est tentant de considérer causses et Cévennes comme appartenant à deux territoires entièrement différents, simplement juxtaposés. Cependant, ces deux espaces partagent de nombreux éléments. Tout d’abord, la rigueur du territoire, bien que due à des facteurs différents sur les causses et dans les Cévennes, associée au caractère spectaculaire des paysages de part et d’autre, contribuent à dessiner un espace hétérogène mais néanmoins cohérent. De plus les deux régions sont fédérées autour de pratiques semblables, portées par l’agropastoralisme. Cette valorisation d’un territoire rigoureux grâce à une agriculture extensive adaptée a également façonné les paysages, en augmentant le «caractère exceptionnel» qui a mené à leur inscription à l’Unesco. Pour Jacques Sgard, et le travail d’entretiens et d’arpentage effectué tend à nous faire adhérer à cette idée, le caractère exceptionnel de ces paysages, et nous pouvons même parler ici de territoire, se concentre autour de «l’interlieu» faisant la transition entre les Grands Causses et les Cévennes. Cet espace de transition géographique brutale accueille le cœur socioculturel du territoire et constitue le siège des échanges entre les entités caussenardes et cévenoles.
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A la lumière de ces éléments, il nous est d’ores et déjà possible d’affirmer que bien que l’agropastoralisme constitue un élément incontournable dans la définition d’un territoire unique rassemblant causses et Cévennes, il n’est pas le seul et les composantes socioculturelles, ainsi que les paysages, bien que contrastés, semblent esquisser un territoire composite organisé autour de l’interlieu.
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Légende: PNR des Grands Causses PNC - Aire d’adhésion optimale (2011) PNC - Aire d’adhésion (2018) PNC - Zone Cœur N
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2 - LES CAUSSES ET CÉVENNES INSTITUTIONNALISÉS
A ce stade, notre appréhension des causses et Cévennes nous a permis de déterminer la pertinence d’un territoire composite englobant ces deux entités, sur la base des pratiques agropastorales, des paysages et des dynamiques sociales à l’œuvre. L’objet de cette partie est maintenant d’explorer les différentes institutions qui donnent corps à ce territoire. Tout d’abord le PNC, dont la création il y a près de 50 ans concorde avec le début de la période de redynamisation du territoire, et dans un second temps l’Entente Interdépartementale Causses et Cévennes (EICC), créée en 2012 dans le cadre de l’inscription des causses et Cévennes à la liste du patrimoine mondial. Pour des raisons pratiques, notamment de temps, nous laisserons de côté le PNR des Grands Causses occupant la partie Sud du bien, qui joue un rôle moins important, puisque d’une part il ne concerne que les causses, à l’inverse du PNC qui s’étend sur les 2 entités et d’autre part, la plus grande partie de son périmètre se situe en dehors du bien Unesco.(fig. 28)
Page de gauche: Figure 28. Le PNC et le PNR des Grands Causses en regard du périmètre inscrit à l’Unesco. SOURCES: IGN, PNC, AVECC
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1960 - Première esquisse des limites du parc, plus ouvert sur les Cévennes ardéchoises et moins sur les Causses.
1970 - Le parc à sa création, la zone Cœur n’a pas évolué depuis, la zone périphérique englobe une partie des Causses et de l’Ardèche
> 2012 - Aire optimale d’adhésion avant la consultation de 2013 auprès des communes pour valider leur adhésion à la charte.
2014 - après la première vague d’adhésion, la plupart des communes des Causses n’ont pas signé la charte
2017 - après la seconde vague d’adhésion les «trous» sont moins nombreux.
Ci-contre: Figure 29. L’évolution du Parc National des Cévennes, des premières réflexions à aujourd’hui SOURCES: PNC/ Karine LARISSA BASSET
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A - PRÉEXISTENCE DU PARC NATIONAL DES CÉVENNES
Le Parc National des Cévennes a été créé en 1970 et joue depuis un rôle majeur dans le territoire des causses et Cévennes. En tant que structure de protection de la nature, il a depuis sa création été confronté à la problématique de gérer un territoire habité de manière significative, ce qui en fait une exception en France métropolitaine1. Cette spécificité fait que le Parc s’engage également dans une démarche de protection du patrimoine et des modes de vie, et notamment de l’agropastoralisme. 1. les circonstances présidant à la création du parc : une première étape vers la valorisation du territoire
L’idée de la création d’une réserve naturelle dans les Cévennes remonte à la première publication en France de l’ouvrage de Robert Louis Stevenson en 1895 et à la popularisation de la région par ce biais. Cette idée est successivement reprise plusieurs fois dans la première moitié du XXe siècle et notamment par le géographe, géologue et spéléologue Edouard-Alfred Martel en 1913.2 En 1955, sont créées presque simultanément deux associations qui se prononcent pour la création d’un Parc dans les Cévennes. D’un côté la «Confrérie des Amis des Sources» se forme en opposition aux projets d’aménagements hydroélectriques d’EDF, allant dans le sens d’un aménagement du territoire basé sur la rentabilité et le progressisme. Ce groupe réclame en revanche 1 Environ 67000 habitants, source: site internet du Parc. http://www.cevennes-parcnational.fr/fr/ le-parc-national-des-cevennes/un-territoire-reconnu 2 GUERRINI, Marie-Claude. « Le Parc National des Cévennes », Strates [En ligne], 8 | 1995, mis en ligne le 20/12/2005, Consulté le 30/09/2016. URL : http://strates.revues.org/1033. p.3
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la création d’un parc décrit en ces termes: « Une zone de sérénité et d’équilibre où le chercheur, qu’il soit artiste, scientifique, philosophe ou économiste trouverait enfin l’ambiance parfaite pour ses projets favoris. Reboisement, aménagement sylvopastoral, rénovation de l’élevage n’excluent ni la dimension naturaliste, ni la dimension culturelle »3
Les Amis des Sources voient dans ce projet de parc «l’occasion d’édifier un territoire qui échappe à l’évolution générale de la société moderne, fondé sur une redéfinition des rapports entre les êtres humains et la nature»4, s’inscrivant dans une philosophie humaniste et chrétienne qui fait écho à la tradition protestante des Cévennes. De l’autre côté, l’Association du Parc Cévennes-Lozère, plutôt centrée sur la portion lozérienne du territoire, comme son nom l’indique, défend justement une vision plus «aménagiste» du territoire basée sur le développement du tourisme et de la foresterie et la conservation et l’encouragement de l’agropastoralisme dans les zones où il a le plus d’avenir5 comme solution à la crise territoriale causée par l’exode rural. À la suite de la décision du conseil général de Lozère en faveur de la création du parc en 1956, les deux associations se regroupent en 1957 sous le nom de l’Association du Parc
3 Op cit. GUERRINI. p.4 4 BASSET, Karine-Larissa. « Formes, acteurs et enjeux de la participation dans la genèse du Parc national des Cévennes (1950-1970) », Revue de Géographie Alpine [En ligne], 98-1 | 2010, mis en ligne le 29/03/2010, consulté le 05/10/2016. URL : http://rga.revues.org/1090. p.44 5 Notamment sur les causses, où les exploitations sont plus importantes.
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National Culturel des Cévennes (APNCC)6. La présence du terme «culturel» dans le nom de l’association, démontre la volonté de ses membres de créer non seulement une institution de protection de l’environnement mais également de protection et de conservation des modes de vie et du patrimoine propres aux Cévennes. D’autre part, la dénomination de «Cévennes» laisse de côté l’ensemble des grands causses, malgré la volonté d’en inclure une portion (minoritaire, il est vrai) dans le parc dès les premières réflexions. Cet «oubli» peut probablement s’expliquer par la notoriété acquise par les Cévennes auprès de l’imaginaire collectif suite à la publication de l’ouvrage de Stevenson, constituant en quelque sorte une «image de marque» pour la région. Eric Dessoliers et Julien Buchert7 soulèvent également que «Cévennes» est d’une part un terme très fédérateur, notamment grâce à Stevenson, et possède une délimitation géographique assez floue, s’agissant d’un terme aussi bien culturel que géographique.8 l’APNCC agira en groupe de lobbying lors de l’élaboration de la Loi sur les Parcs de 1960 et de son décret d’application de 1961 afin de conserver l’aspect culturel des Parcs Nationaux, avec un succès mitigé: si la loi est assez souple sur le sujet, le décret d’application se trouve être beaucoup plus répressif et conservateur en regard des activités humaines au sein des parcs. Ainsi, le processus de création du parc des Cévennes est largement retardé par la nécessité de convaincre à la fois l’administration du caractère particulier des Cévennes, et la population, désormais sceptique, sur la nécessité de la création d’un parc pour relancer le territoire. En 1967, une mission 6 BASSET, Ibid. p.43 7 Chargé de mission Pastoralisme au sein du PNC 8 Entretiens réalisés les 29 et 30/03/2018, voir annexes 5 et 6
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ministérielle pour la création du parc est finalement créée mais la maladresse de la communication auprès de la population et la méconnaissance du territoire créent encore une fois des remous: le parti-pris est revenu à la création d’un parc national «classique», excluant à terme à peu près toute activité humaine pérenne au sein de la zone cœur et orienté exclusivement sur la protection de la nature.9 Finalement, le Parc National des Cévennes est créé par décret le 2 septembre 1970 avec deux changements majeurs dans son orientation par rapport à 1967: d’une part, l’objet de la protection n’est plus «la nature» mais plutôt les sites et le patrimoine propre à la culture locale, en accord avec les défenseurs d’un parc culturel, et d’autre part, un élargissement de la zone périphérique, passant d’une vision strictement conservatrice à un projet de développement territorial plus global.10 Ainsi, avant même sa création, le Parc National des Cévennes a été projeté comme un outil de développement, de valorisation et de conservation du territoire et de ses composantes, tant naturelles qu’humaines, dans une mission en définitive très proche des objectifs actuels de l’Unesco. 2. une structure entre régulation et développement du territoire Le statut particulier du PNC en regard de l’activité humaine au sein de la zone cœur, si il constitue une grande opportunité pour le territoire, pose également des complications pour la mission de protection de l’environnement du parc. Sur le 9 Op cit. GUERRINI. p.5 10 Op cit. BASSET. p51
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terrain, le rôle premier des gardes du Parc en zone cœur est un rôle de police et de prévention, ce qui entraine des tensions notamment avec les agriculteurs. Pour Julien Buchert, qui par sa fonction est souvent amené a travailler avec les agriculteurs du parc, résume: «quand le réglementaire est au milieu ils nous perçoivent souvent comme des empêcheurs de tourner en rond, des gens qui peuvent leur mettre un PV, c’est bête mais voilà.»11 Pour Hugues Pratlong, éleveur du Causse Méjean, le clivage va même plus loin, même si la communication avec les gardes n’est pas des plus faciles12. Pour lui, la vision du territoire portée par le PNC manque de l’approche agronomique et économique nécessaire à une bonne entente avec les agriculteurs qui vivent du territoire. Cette approche agronomique, centrée sur la mise en valeur du pastoralisme, est pourtant la mission portée par Julien Buchert au sein du PNC. En définitive le PNC semble cristalliser autour de sa fonction de police des craintes et des rancœurs qui ne sont pas forcément de son ressort. Julien Buchert évoque par exemple la question du loup, dont les nombreuses attaques sur le Causse Méjean en 2012, concourantes à la campagne d’adhésion des communes de la zone périphérique, ont pour lui participé au désengagement des communes du causse. Globalement, ce rôle de police, nécessaire du point de vue environnemental, semble être perçu comme une entrave à l’exercice de
11 PRATLONG Hugues, Entretien du 29/03/2018 voir annexe 9 12 «...je suis d’office tendu quand je vois un garde, alors qu’il faudrait pas! (rires) [...] Quand ce garde m’a dit qu’il était pas là pour être ami avec les agriculteurs, mais qu’il était la police de l’environnement, moi ça m’avait choqué» Ibid.
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l’agropastoralisme et plus largement des activités humaines. Parallèlement, et de manière paradoxale, le PNC s’investit largement dans le développement du territoire et de l’activité pastorale, qui est une des conditions sine qua non du maintient des espaces ouverts et de leurs cortèges floristiques et faunistiques qui sont un des objets majeurs de la protection du parc. Que cela soit, dans l’aire d’adhésion, un rôle de conseil auprès des élus pour l’élaboration des documents d’urbanisme, assuré par Eric Dessoliers, ou dans la zone cœur, par le soutien et le développement du pastoralisme. Ce dernier se matérialise, outre l’accompagnement des éleveurs dans la gestion de leur activité pastorale, par une politique d’acquisition foncière dans les zones d’estive en cœur de parc13 et de construction de cabanes pastorales à destination des bergers transhumants, comme évoqué en partie 1. Pour Eric Dessoliers, cette action caractérise la volonté forte du parc de pérenniser l’activité pastorale sur son territoire14. La mise en valeur des paysages via les documents d’urbanisme et des activités humaines traditionnelles de la région grâce au soutien du pastoralisme contribuent à ancrer le PNC dans son territoire et renforcent l’image de ce territoire en tant que paysage culturel exceptionnel.
13 Zones situées dans les prairies d’altitude des massifs de l’Aigoual, du Mt Lozère et des Hautes Cévennes 14 «Pour moi il n’y a pas d’acte plus fort, à part acheter un troupeau et s’en occuper, pour soutenir l’activité pastorale.», DESSOLIERS Eric, 30/03/2018. Voir annexe 7
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B - LE RÔLE DE L’EICC DANS LE RENFORCEMENT ET LE MAINTIENT DE CE TERRITOIRE. 1. une institution récente L’Entente Interdépartementale Causses et Cévennes, créée le 11 avril 2012 sous l’impulsion des quatre départements concernés par l’inscription à l’Unesco constitue l’organe technique chargé de la gestion du bien Unesco. Sa relative nouveauté à l’échelle du territoire (pour rappel le PNC a été créé en 1970) en fait un acteur encore méconnu du territoire. Philippe Clément, par exemple, éleveur sur le Causse Méjean et cultivateur dans les Cévennes est dubitatif: «Et puis en plus [l’inscription à l’Unesco] ne se traduit pas véritablement par des actions de terrain, c’est beaucoup de l’image, de la communication, bon c’est bien, il en faut. Après au niveau des actions je suis pas sûr qu’il y ait les moyens derrière pour faire quoi que ce soit.»15
Si il est vrai que l’Entente a peu de moyens humains16, elle a néanmoins mis en place différentes actions et s’est notamment engagée auprès de la PAC17 pour conserver l’allocation d’aides sur toutes les parcelles pâturées, y compris celles de sous bois qui constituent le plus gros des pâturages cévenols. Cette action, bien que vitale pour une grande partie des exploitations
15 Entretien avec Philippe CLÉMENT réalisé le 03/04/2018, voir annexe 8 16 Elle se compose actuellement de 6 personnes 17 Politique Agricole Commune, organe de l’Union Européenne dont les aides financières sont souvent vitales aux exploitations agricoles
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du bien18, notamment en Cévennes, n’était pas connue des agriculteurs interrogés, ou dans le cas de la famille Lamy, pas reconnue comme décisive dans la décision de la PAC d’accorder un statut exceptionnel à la zone Unesco19. Il faut cependant nuancer ce constat, car pour Morgane CostesMarre, qui constatait effectivement un manque d’appropriation de l’inscription de la part des agriculteurs, l’engagement de l’Entente auprès de la PAC a été le déclencheur pour une meilleure approbation du monde agricole20 2. quel champ d’action ? un rôle de coordination Plus généralement, le manque de visibilité de l’EICC au niveau de la population s’explique aussi par sa mission. En effet, l’Entente a avant tout un rôle de coordination auprès des institutions territoriales préexistantes, le PNC, évidemment mais aussi les Opérations Grands Sites des Gorges du Tarn, du Cirque de Navacelles et de Saint Guilhem le Désert, ainsi que le PNR des Grands Causses. Ces espaces classés faisant déjà l’objet de plans de gestions particuliers, l’Entente joue un rôle de supra gestionnaire, s’assurant que les actions et plans de l’ensemble de ces acteurs aillent bien dans le sens de la conservation du bien.21 Morgane Costes-Marre nous explique d’ailleurs que le plan de gestion du bien élaboré pour la période 2015-2021, le premier pour l’EICC, a été construit avec les gestionnaires cités plus haut dans ce but.
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18 «Ça représentait des centaines d’exploitations qui menaçaient de mettre la clé sous la porte» Morgane COSTES-MARRE, directrice de l’EICC, dans un entretien réalisé le 03/04/2018, voir annexe 7 19 «C’est surtout parce qu’on a manifesté !!» Gérard LAMY, 04/04/2018, voir annexe 10 20 Morgane COSTE-MARRE, 03/04/2018, voir annexe 7 21 Ibid.
En revanche, c’est bien ce rôle de coordination des différents gestionnaires du territoire qui contribue, en fixant l’objectif commun de valorisation et de conservation des paysages agropastoraux, à véritablement renforcer l’unité du territoire nouvellement créé par l’inscription à l’Unesco.
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3 - LA REPRÉSENTATION CULTURELLE DE
L’AGROPASTORALISME, PORTEUSE D’UNE IDENTITÉ PARTAGÉE
Si il est désormais clair que causses et Cévennes peuvent être considérés comme un territoire cohérent articulé autour de ses paysages, de sa culture agropastorale et de ses institutions patrimoniales, la question son identité reste a aborder. Pour rappel, les éléments historiques et culturels propres à chaque région évoqués en première partie dessinent deux identités qui sont au premier abord bien distinctes. Les propos de Jacques Sgard dans les Cahiers du Paysage n° 22 et ceux des différentes personnes interrogées tendent à confirmer cette hypothèse. Néanmoins, ces deux identités partagent un certain nombre d’éléments, notamment liés à l’agropastoralisme, que nous allons détailler dans ce chapitre. Les acteurs interrogés partagent également une vision commune de leur territoire.
Page de gauche: Figure 30. «Carte postale», un troupeau pâture sur le Causse Méjean avec en arrière plan le massif de l’Aigoual. -David Emilian, novembre 2017
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A - CAUSSES ET CÉVENNES, ENTRE TRADITION ET RENOUVEAU RURAL 1. dans les cévennes Les Cévennes s’inscrivent dans une longue tradition de «résistance», ou en tout cas de contestation de l’ordre établi. Haut lieu du protestantisme, la culture protestante était d’ailleurs l’objet de la première candidature au patrimoine mondial de l’Unesco.1 Comme le montre l’intervention du président Nicolas Sarkozy le 4 octobre 20112, à Alès, cet esprit de résistance et de défense de la «liberté de conscience face à l’autoritarisme»3 est encore largement ancré dans l’image associée aux Cévennes, au point que le président, venu à l’origine afin de célébrer l’inscription du territoire à l’Unesco a préférer saluer la mémoire des Camisards et des résistants de la seconde guerre mondiale, qui constituent des références plus identifiables pour la majorité des Français4. Cet esprit de contestation trouve une certaine continuité à partir de la fin des années 60 avec l’arrivée d’une première vague de néo-ruraux, principalement des «hippies» issus du mouvement de mai 68, qui s’installent en nombre dans les
1 COSTES MARRE Morgane, voir annexe 6 2 DEVAILLY, Anne. Le Monde en ligne, «Nicolas Sarkozy rend hommage au protestantisme cévenol», 05.10.2011 3 Ibid. DEVAILLY 4 Dans le contexte de la fin de l’année 2011 et de la campagne présidentielle approchant, il semble logique que le président se soit emparé de ce sujet à la portée plus large.
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vallées cévenoles, porteurs d’une utopie altermondialiste5. Ces premiers arrivants, davantage attirés par le vide humain résultant d’un exode rural massif que par la société rurale ont tendance à vivre en communautés et s’intègrent peu à la population locale restante, qui par ailleurs adhérant encore largement aux valeurs protestantes voit d’un œil dubitatif voire hostile ces nouveaux venus6. À partir de 1975, les vagues suivantes et ceux des premiers arrivants qui se sont installés durablement commencent à s’investir dans la vie locale. Le modèle de communauté s’essoufflant et la population désormais plutôt constituée de cellules familiales contribuent à ce glissement, par la scolarisation des enfants, la nécessité d’un revenu stable, etc.7,8. L’affluence des néo-ruraux marque également un renouvellement de l’activité agropastorale dans la région, portée à la fois par les nouveaux arrivants reprenant des exploitations abandonnées et par le «retour au pays» des enfants de paysans locaux qui s’installent dans l’exploitation familiale. La population cévenole est encore aujourd’hui fortement marquée par ces vagues d’installation successives qui, bien qu’elles revêtent des formes différentes, portent toutes les
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5 Bien que le terme soit en général utilisé pour désigner des mouvements postérieurs aux années 1980, il nous semble néanmoins adapté pour décrire les motivations post soixante-huitardes dont il est question ici: rejet du libéralisme, préoccupations écologistes, contestation de l’appareil politique... 6 CLAVAIROLLE, Françoise. «De la contestation à la participation : les néo-ruraux et la politique (Cévennes)» in BERTHELEU H., BOURDARIAS F. Les constructions locales du politique, Presses Universitaires François Rabelais, Tours, 2008. pp.97-114 7 Op cit. CLAIVAROLLE 8 ROUVIERE, Catherine. «Migrations utopiques et révolutions silencieuses néorurales depuis les années 1960» in Cahiers d’histoire n°133: Partir en communauté. 2016. pp.127-146
valeurs d’un retour à un mode de vie plus «proche de la nature» et plus «sain» en opposition à la vie urbaine. 2. sur les grands causses Les conditions de vie difficiles des causses ont maintenu une population de faible densité, historiquement liée au pastoralisme. Les vallées, plus abritées, ont elles concentré les foyers d’urbanisation et d’activités humaines. Le territoire des causses s’est donc organisé selon cette dichotomie plateauxvallées encore d’actualité aujourd’hui: les plateaux conservent une forte dominance agricole tournée vers l’élevage, alors que les vallées ont développé un tourisme saisonnier important tirant parti du territoire (sports de pleine nature, randonnée, tourisme rural) et abritent les services de proximité (magasins, services éducatifs et administratifs). À l’inverse des Cévennes, les causses sont historiquement de tradition catholique, et portent de nombreuses traces du passage des ordres Templiers et Hospitaliers qui, à l’instar des protestants en Cévennes, ont fait l’objet d’un premier dossier de candidature à l’Unesco avant la constitution du dossier commun Causses & Cévennes9. Cette influence a fortement contribué à développer l’activité pastorale dans la région10. La région des grands causses fut elle aussi touchée par une forte déprise agricole et humaine au XXe siècle, qui s’est prolongée plus tardivement que dans les Cévennes11, probablement en raison du plus fort isolement des plateaux et du climat plus rude. 9 COSTES MARRE Morgane, 03/04/2018, voir annexe 7 10 Dossier de Candidature au Patrimoine Mondial de l’Unesco Causses & Cévennes, 2011. pp83-84 11 CLÉMENT Philippe, voir annexe 8
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Le causse du Larzac a également été le théâtre d’une mobilisation importante des agriculteurs de 1971 à 1981 avec la contestation du projet d’extension du camp militaire du Larzac, qui imposait l’expropriation de 14 000ha de terres agricoles et pâturées. Le mouvement de contestation, initialement porté par la population locale (paysans «ancestraux» et jeunes installés, institutions catholiques locales), est rapidement rejoint par nombre de militants issus notamment des néo-ruraux arrivés dans la région. Cette décennie contribue à modifier le paysage social du Larzac en confrontant les locaux, chrétiens pratiquants et plutôt conservateurs, à la génération post mai 68 affiliée à la gauche altermondialiste. On trouve parmi ces nouveaux arrivants des personnalités telles que José Bové qui deviendra par la suite une figure importante du mouvement altermondialiste français, et un acteur important de la région par son engagement au niveau local.
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B - DES IDENTITÉS ET REPRÉSENTATIONS AUX ÉLÉMENTS PARTAGÉS
1. une construction du paysage identitaire Les Causses et Cévennes comportent deux types d’éléments que l’on peu associer à une typologie de paysage identitaire tel que défini par Anne Sgard12. Tout d’abord, ceux que l’on peut associer aux «paysages naturels», à la géomorphologie de la région, et que Eric Dessoliers considère comme constituant l’essence du parc national: «...ce qui est généreux c’est ce qui nous est donné à voir, le paysage dans le sens esthétique, subjectif du terme. On contemple. Et c’est peut être ça le truc du parc en fait, un territoire remarquable par son esthétique. [...] Et ça c’est dû à un rendu visuel extraordinaire.»13
Les plus identifiables de ces éléments sont les Gorges du Tarn et de la Jonte, et les vallées cévenoles archétypales. Les premières comme les secondes se situent plutôt dans la zone d’adhésion du PNC que dans la zone cœur, à l’exception de la crête des hautes Cévennes d’où naissent les vallées cévenoles. Cette situation peut s’expliquer notamment par le fait que ces gorges et vallées sont également les foyers de population principaux du territoire. La seconde catégorie regroupe les éléments de paysage directement associés à l’activité agropastorale. D’une part les espaces maintenus ouverts par le pâturage du bétail et notamment les causses nus qui constituent un paysage 12 Op cit. SGARD, A. 13 DESSOLIERS Eric, 30/03/2018, voir annexe 6
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de prairie steppique unique, et d’autre part l’ensemble des ouvrages architecturaux liés à l’agropastoralisme: hameaux («mas»), clapas, enclos et murets de pierre sèche, lavognes, cazelles et jasses sur les causses, hameaux, calades (drailles) et terrasses dans les Cévennes. Ces ouvrages sont listés dans le dossier de candidature à l’Unesco14 sous le thème «Attributs révélant une pratique et une exploitation agropastorale du territoire». L’existence d’un vocabulaire spécifique local, souvent dérivé de l’occitan, pour désigner ces ouvrages nous indique un fort ancrage de ces pratiques au territoire. Les agriculteurs et acteurs interrogés sont également conscients du rôle primordial de l’exercice de l’agropastoralisme dans le façonnage et la conservation de ces paysages porteurs d’identité, indépendamment de l’inscription à l’Unesco. Pour Hugues Pratlong, récemment installé, cette prise de conscience est plutôt liée aux changements de pratiques induits par le retour des loups dans la région, qui l’a forcé a modifier ses méthodes de pâturage, entraînant un début de fermeture de certaines de ses parcelles. Pour Gérard et Sabine Lamy, ainsi que Philippe Clément, plus âgés, cela semble inhérent à la pratique de leur métier. «Nous ça faisait longtemps qu’on avait compris...»15 «Je suis très conscient et depuis longtemps qu’on vit dans un pays formidable et magnifique et avec des intérêts très divers...»16
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14 Dossier de Candidature au Patrimoine Mondial de l’Unesco Causses & Cévennes, 2011. pp.51-60 15 LAMY Sabine, 04/04/2018, voir annexe 10 16 CLÉMENT Philippe, 03/04/2018, voir annexe 8
2. systèmes de valeurs Suite aux entretiens menés, et en complément de mon expérience en tant qu’habitant du territoire, nous pouvons également nous interroger sur l’existence de systèmes de valeurs, communs ou non, propres aux habitants des causses et Cévennes, les valeurs étant primordiales dans le sentiment d’appartenance. De manière générale, les habitants et plus particulièrement les éleveurs agropastoraux partagent un certain nombre d’idées liées à leur mode de vie plutôt isolé et hérités dans une certaine mesure des valeurs apportées par les premières vagues de néo-ruraux de la fin du XXe siècle. En relation directe avec l’agropastoralisme et la richesse écologique de la région, la question de la gestion et protection de l’environnement est importante, et n’est pas la plus consensuelle. Dans un contexte national où les dérives de l’agriculture intensive sont de plus en plus montrées du doigt, et où le loup est de plus en plus présent, les éleveurs des Causses et Cévennes, autrefois symboles d’un mode de vie écologique et proche de la nature (l’engagement de José Bové auprès du parti d’Europe Ecologie en est un bon exemple) se trouvent aujourd’hui plutôt isolés et critiqués par l’opinion. Pourtant, l’agropastoralisme constitue une solution de gestion du territoire durable et favorisant la biodiversité, chose dont les éleveurs ont pleine conscience et qu’ils défendent. «[...] on est pas dans un modèle agricole intensif qui induit beaucoup de dérives, [...] Donc partant de là on valorise au mieux le pâturage et ça pour moi ça a un grand sens écologique, et même économique.»17 17 PRATLONG Hugues, 04/04/2018, voir annexe 9
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Ce point de vue est souvent incompris des touristes urbains, davantage sensibilisés à un discours écologiste plus dur et avec un œil extérieur. Pour Sabine Lamy, l’inscription à l’Unesco est ainsi devenu un outil de médiation pour faire valoir sa perspective. Les valeurs d’entraide et de solidarité entre habitants sont mises en exergue par l’isolement relatif de la région et la rudesse du climat. Ces valeurs sont logiquement associées à un idéal plutôt altermondialiste, subsistant de la période des premiers néoruraux tant dans les Cévennes que sur le Larzac. Le documentaire Nos terres inconnues - Dans les Cévennes avec Malik Bentalha18, présenté par Frédéric Lopez, est une machine bien rodée dont l’angle d’attaque est justement de mettre en avant de telles valeurs et certaines séquences19 jouent parfaitement ce rôle. Si le trait est forcé dans le documentaire, il n’en reflète pas moins une certaine réalité. Il est néanmoins intéressant de noter que l’arrivée d’étrangers, notamment sur le Causse Méjean qui est le plus isolé géographiquement parlant et toujours assez conservateur, a également reçu un accueil souvent froid voire hostile de la part de certains natifs, rendant l’intégration totale parfois compliquée. Philippe Clément, pourtant originaire de Lozère, se fait le témoin de ces tensions:
18 STINE Pierre (réal.) Lopez Frédéric (anim.). Nos terres inconnues - Dans les Cévennes avec Malik Bentalha. France 2, 10/04/2018. 1h46min URL: https://www.youtube.com/ watch?v=RKjqv50VL9M 19 De 17min30s à 18min15s, de 1h15min00s à 1h17min55s et de 1h34min00s à 1h35min35s, minutage d’après la version mise en ligne sur Youtube.
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«[...] ça fait déjà 15 ans et, même si je me sens très bien sur le Causse, je sais bien que je suis pas à 100% caussenard! On me l’a dit d’ailleurs déjà... Assez méchamment d’ailleurs. [...]»20
Le nombre toujours plus grand de néo-ruraux, s’installant en agriculture ou non, contrebalance cependant cette tendance et, en effet, Philippe Clément poursuit: «Non mais l’ambiance est quand même très bonne sur le causse, on a pas mal de contacts, plutôt d’ailleurs avec des gens qui sont arrivés comme nous, un peu dans la deuxième vague on va dire, mais malgré ça il n’y a pas d’animosité avec personne.»21
3. types de représentations. Au delà des valeurs, la question de la représentation dans la définition d’une identité est également un critère majeur. Les agriculteurs et habitants des Causses et des Cévennes partagent-ils une représentation commune de leur territoire? De ce qui les rassemble? Quelle vision ont-ils des institutions locales, celles qui sont justement posées en garantes du patrimoine et de l’identité locale? Pour dégager des pistes de réponses à la première question, un travail de cartographie avec les paysans interviewés à été réalisé en parallèle des entretiens. Il leur a été demandé dans un premier temps de schématiser les Causses et Cévennes sur une feuille blanche22 puis sur un fond de plan IGN figurant le périmètre inscrit à l’Unesco, de signifier successivement 20 CLÉMENT Philippe, 03/04/2018, voir annexe 8 21 Ibid. 22 Annexe 11, pp. XLVII à LI
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l’emplacement de leur exploitation, leur bassin de vie, leur territoire et enfin la limite entre les Causses et les Cévennes.23 Les figures 31 et 32 présentent une synthèse de ces exercices en compilant les 5 cartes produites, d’abord en ce qui concerne la limite Causses/Cévennes puis avec les questions de territorialité. La figure 31 ci-contre indique une certaine unité dans la visualisation de la limite entre Ispagnac et Meyrueis, en suivant peu ou prou le bord est du Causse Méjean, excepté pour Diane Lamy qui opte pour la synthèse en traçant un trait droit et Gérard Lamy qui choisit d’exclure la Can de l’Hospitalet des Cévennes puisqu’il s’agit en effet d’un Causse résiduel calcaire. Au Nord Hugues Pratlong limite les Cévennes au sommet du Mont Lozère alors que Gérard Lamy et Philippe Clément poussent jusqu’au Bleymard comme pour inclure les Cévennes ardéchoises qui se poursuivent effectivement plus au Nord-Est. Il est intéressant de noter que Hugues Pratlong et Sabine Lamy
Page de droite: Figure 31. Synthèse des exercices de carte mentale avec les agriculteurs sur leur représentation de la limite entre Causses et Cévennes. Fond de plan IGN
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définissent plutôt la limite de ce qui ne leur appartient pas (respectivement les Cévennes et les Causses) quand Philippe Clément, qui a des attaches dans les deux entités prend soin de les délimiter toutes deux. Diane Lamy, en effectuant ce geste de synthèse semble montrer qu’elle ne s’embarrasse pas de quelque chose d’aussi trivial qu’une limite spatiale et son schéma des Causses et Cévennes qui englobe les deux entités sous le même ensemble tend vers la même conclusion.
23 Les 5 originaux sont reproduits en Annexe 12, pp. LII à LVIII
Légende: Siège de l’exploitation Limite Causses/ Cévennes Hugues Pratlong Philippe Clément Sabine Lamy Diane Lamy Gérard Lamy 0
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Légende: Siège de l’exploitation Bassin de vie Territoire Hugues Pratlong Philippe Clément Sabine Lamy Diane Lamy Gérard Lamy 0
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5
10km
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C’est également Diane qui dessine le territoire le plus «transfrontalier» en incluant une bonne partie du Causse Méjean, de même que son père.(fig. 32) Cette seconde carte nous indique également que Florac, considéré comme le «cœur social» du parc des Cévennes et du bien Unesco figure en effet dans le bassin de vie de tous à l’exception de Hugues Pratlong qui l’inclut tout de même au sein de son territoire. Situé plus à l’Ouest et étant tourné vers l’Aveyron (Requista), où il a fait ses études et d’où vient sa compagne, il est naturellement plutôt tourné vers Meyrueis et Millau pour assurer les services de proximité. De la même manière, Diane Lamy réside encore une partie du temps dans la région d’Alès où elle suit sa formation, ce qui explique l’ampleur de leurs bassins de vie et territoires. Nous notons également l’attraction des trois villes portes du bien Unesco Millau, Mende et Alès, preuve qu’elles jouent un rôle actif dans la vie du bien, et pas seulement un rôle d’accueil touristique. Enfin, à l’instar de la ville de Florac, le sillon de l’interlieu est également un dénominateur commun entre les 5 périmètres définissant les territoires de chacun. Si les personnes interrogées et en particulier les agriculteurs sont catégoriques sur la différence entre Causses et Cévennes (et par la même occasion entre Caussenards et Cévenols) et peinent à trouver des points communs avec leurs homologues, la forte identité du Parc National et l’agropastoralisme fortement ancré des deux côtés comme un mode de vie partagé semblent être des arguments suffisants pour rassembler Causses et Cévennes sous un même label. Pourtant le Parc des Cévennes,
Page de gauche: Figure 32. Synthèse des exercices de carte mentale avec les agriculteurs sur la représentation de leur bassin de vie et de leur territoire. Fond de plan IGN
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malgré son identité et son image de marque fortes, suscite toujours une certaine défiance ou au moins de l’indifférence notamment de la part des éleveurs Caussenards interrogés24 (à noter toutefois qu’ils sont en dehors de l’aire d’adhésion comme de la zone cœur). Il est possible qu’en dépit de ces quelques réticences, le Parc ait ouvert la voie à l’inscription à l’Unesco dans les inconscients. «On est sur des zones qui gardent à peu près les mêmes mentalités.»25 «[...] on est quand même dans la même vision de l’agriculture, en général?»26 «Pour moi c’est pertinent parce que y a l’entité Parc qui est forte quand même, et je vois pas comment on aurais pu faire un truc «que» Causse, sans inclure le Parc. Et puis le pastoralisme c’est aussi fort quand même sur les crêtes cévenoles.»27
Malgré tout, le projet Unesco, porté à la base par un comité scientifique, technocratique et politique28 suscite toujours peu d’enthousiasme auprès des éleveurs qui peinent à y voir leurs intérêts.
24 Le sujet est abordé plusieurs fois dans les entretiens avec MM. PRATLONG et CLÉMENT, en annexes 8 et 9 25 PRATLONG Hugues, 04/04/2018, voir Annexe 9 26 LAMY Diane, 04/04/2018, voir Annexe 10 27 CLÉMENT Philippe, 03/04/2018, voir annexe 8 28 COSTES-MARRE Morgane, 03/04/2018, voir Annexe 7
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CONCLUSION Ce travail de recherche puise avant tout sa source dans son terrain. Appuyer une candidature commune des Causses et Cévennes au patrimoine mondial de l’Unesco était une démarche compliquée étant donné tout ce qui sépare les deux territoires. Pourtant le pari réussi en 2011 avec l’aide du paysagiste Jacques Sgard et les Grands Causses comme les Cévennes, malgré leurs différences, font désormais partie de la liste des biens inscrits au patrimoine de l’humanité, au titre des paysages culturels de l’agropastoralisme méditerranéen. Cela implique que des points de convergences suffisants aient été trouvés entre les deux territoires. Identifier ces convergences, à même de créer un territoire et une identité uniques dépassant la distinction initiale entre Causses et Cévennes est précisément l’objet de ce mémoire. Afin d’esquisser des éléments de réponses trois hypothèses ont été émises. Les paysages produits par l’agropastoralisme permettraient de délimiter une zone géographique cohérente englobant Causses et Cévennes. Dans le même temps les structures territoriales en place telles que le PNC et l’établissement public en charge du bien Unesco, l’EICC, légitimeraient une territorialité s’étendant de part et d’autre 83
des Causses et Cévennes. Enfin, les pratiques sociales et les valeurs liées à l’agropastoralisme dans les deux régions seraient suffisamment semblables et fortes pour définir une identité commune aux Causses et aux Cévennes. Nous avons pu voir en première partie à quel point les paysages des Causses et Cévennes sont contrastés mais, au delà des apparences ils présentent également un certain nombre de caractéristiques qui les rapprochent. La première est évidemment la richesse des empreintes laissées par l’agropastoralisme, tant grâce aux pratiques actuelles qu’aux vestiges d’époques plus anciennes. De manière moins évidente, les deux territoires partagent également leur rigueur et l’aspect spectaculaire de leurs paysages, en particulier dans l’espace de la rencontre entre les Grands Causses et les Cévennes. Cet espace appelé Interlieu par Jacques Sgard englobe le sillon des vallées du Tarnon et de la Jonte, cœur social des deux régions, et la barrière des Hautes Cévennes reliant les massifs de l’Aigoual et du Mont Lozère, qui abrite le cœur écologique du bien, et constitue le plus gros de la zone Cœur du Parc des Cévennes. Ainsi, Causses et Cévennes s’adossent à la même colonne vertébrale, siège ancestral de tous les échanges entre les deux territoires. Cet interlieu agissant comme le dénominateur commun des deux entités contribue de fait à les rapprocher. Nous avons étudié le rôle primordial joué par le Parc National des Cévennes qui possède une identité forte. Cette identité est portée par une image travaillée et près de 50 ans d’existence 84
qui lui ont permis de s’implanter fermement dans les esprits en dépit des tensions avec certains agriculteurs. Ces derniers reconnaissent malgré tout volontiers l’importance du rôle du Parc, notamment en matière de protection de l’environnement, et ses actions en faveur du pastoralisme sont de plus en plus nombreuses. D’autre part, l’EICC, qui n’a été créée qu’en 2012 et dont l’action de terrain est limitée, peine à convaincre les habitants et à faire connaître son action du grand public puisqu’elle se concentre davantage sur un rôle de coordination des différentes structures patrimoniales. C’est donc plutôt le PNC qui tient un rôle fédérateur en rassemblant sous l’entité «Parc» les territoires des Causses nus et des massifs des hautes Cévennes en zone Cœur, ainsi que des communes des deux territoires en zone d’adhésion. Cependant, la dénomination de Parc des Cévennes laisse de fait de côté la partie appartenant aux Causses et il est possible que le rapprochement entre les deux territoires eut été plus facile si un nom plus fédérateur tel que celui retenu pour l’Unesco avait été choisi. Enfin, en se penchant sur les questions plutôt sociologiques liées à l’identité, aux valeurs et à la représentation du territoire, nous avons pu établir que les Causses et Cévennes présentent des paysages identitaires, liés d’une part aux formations géographiques emblématiques comme les falaises des Gorges du Tarn et de la Jonte et d’autre part aux pratiques agropastorales laissant des empreintes durables dans le paysage. Ces paysages identitaire sont propres à construire une 85
identité commune autour des Causses et Cévennes. Cévenols et Caussenards partagent aussi un certain nombre de valeurs et de pratiques, notamment en lien avec le pastoralisme. Quant à la représentation de leur territoire, elle reste malgré tout très segmentée entre Causses et Cévennes et c’est encore une fois l’interlieu et en particulier la ville de Florac qui jouent le rôle de dénominateurs communs entre les deux entités. De fait, le discours de Jacques Sgard articulant Causses et Cévennes autour de l’interlieu, qui pouvait sembler au premier abord être un outil plutôt politique pour appuyer la candidature, trouve en réalité une forte résonance avec le territoire et ses habitants. C’est également cette portion de territoire qui semble cristalliser le mieux les entités des Causses et Cévennes en une seule, donnant à l’ensemble une certaine cohérence. Ainsi si les deux territoires ne participent pas à proprement parler de la même identité territoriale, ils partagent suffisamment d’éléments culturels et spatiaux pour former un système cohérent articulé autour de l’interlieu. Si le rôle de l’agropastoralisme dans la définition de ce système est indéniable, de même que celui du Parc National des Cévennes, l’inscription à l’Unesco et la reconnaissance patrimoniale qui l’accompagne sont encore trop récentes pour avoir joué un rôle décisif, d’autant que les habitants peinent encore à se l’approprier. Le premier Janvier 2017 a été actée la création de la communauté de communes Gorges, Causses, Cévennes, qui résulte de la fusion des communautés de communes 86
des Gorges du Tarn et des Grands Causses, de Florac Sud Lozère et de la Vallée de la Jonte. Le siège de cette nouvelle intercommunalité se situe à Florac, et il peut être tentant d’y voir une volonté politique d’asseoir l’union entre Causses et Cévennes. Quoi qu’il en soit, les conditions semblent réunies pour que ce rapprochement soit de plus en plus effectif dans les années à venir, ce qui conforterait les agriculteurs tenants de l’agropastoralisme pour faire valoir leur patrimoine et leurs traditions.
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SOURCES DOCUMENTAIRES
CORPUS – Dossier de Candidature au Patrimoine Mondial de l’Unesco Causses & Cévennes, 2011 composé de: - le dossier de candidature proprement dit. 183 pages cette partie du dossier présente une analyse exhaustive du territoire des Causses et Cévennes, composée de cartes thématisées, accompagnées de textes et d’inventaires. Dans le cadre de l’exploitation de ce document je m’intéresserai en particulier aux sections 2, 3, 4 et 5 qui constituent la plus grande partie du contenu. -résumé analytique de 9 pages brève synthèse de la partie précédente, pas d’exploitation prévue. -annexes 3154 pages cadre légal, Codes du patrimoine, de l’environnement, etc. peu intéressant dans le cadre de la recherche, pas d’exploitation prévue. – Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, 12/07/2017 et en particulier l’Annexe 3, définissant le cadre pour l’inscription des paysages culturels sur la Liste.
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– Compte rendu du premier arpentage de terrain, du 31/10 au 03/11/2017. Annexe n°2
– Cartes IGN correspondant au parcours du premier arpentage de terrain du 31/10 au 03/11/2017. Carte IGN TOP 75, n°11 Cévennes Gorges du Tarn, 1/75 000e. France, IGN, 2016. Annexe n°3 Carte IGN TOP 25, n°2640 OT Gorges du Tarn et de la Jonte, Causse Méjean, Parc National des Cévennes, 1/25 000e. France, IGN, 1999. Carte IGN TOP 25, n°2641 ET Mont Aigoual, Le Vigan, Parc National des Cévennes, 1/25 000e. France, IGN, 2007. Carte IGN TOP 25, n°2741 ET St-Hippolyte-du-Fort, Anduze, StJean-du-Gard, 1/25 000e. France, IGN, 2008. – Entretiens avec des techniciens du PNC, la directrice de l’EICC et des agriculteurs. Annexes n°5 à 10 – Cartes mentales produites par des agriculteurs. Annexes n°11 et 12
Documentaires: Nos
terres
inconnues
-
«Dans
les
Cévennes
avec
Malik
Bentalha». série documentaire créée par Frédéric LOPEZ et Ismaël KHELIFA, réalisé par Pierre STINE. Fr, 2018, 105 min. URL: https://www.youtube.com/watch?v=RKjqv50VL9M
Dictionnaires et outils de définition : DUNLOP, Jérôme. Les 100 mots de la Géographie, Clamecy, France. PUF «Que Sais-je», 2016 3e édition LEVY Jacques, LUSSAULT Michel. Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des Sociétés, Tours. Belin, 2003. BRUNET Roger, avec FERRAS et THERY, Les Mots de la Géographie, dictionnaire critique, Montpellier-Paris. RECLUS-La Documentation Française, 1993 3e édition
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BIBLIOGRAPHIE THÉMATIQUE Identités, territoires et paysages : AVANZA Martina, LAFERTÉ Gilles « Dépasser la « construction des identités » ? Identification, image sociale, appartenance », Genèses 2005/4 (no 61), pp. 134-152. BAUDIN Gérard, BONNIN Philippe. Faire territoire, France, Éditions Recherche, 2009 BOURDIEU, Pierre. « L’identité et la représentation. Éléments pour une réflexion critique sur l’idée de région », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 35, 1980. pp. 63-72. BRINCKERHOFF JACKSON, John. A la découverte du paysage vernaculaire , trad. de l’américain par CARRERE Xavier, Actes Sud / ENSP, 2003. CAVAZZA, Stefano. « Territoire et identité », Études rurales, n° 163164, 2003. pp.109-131. SGARD, Anne. 1997. Qu’est-ce qu’un paysage identitaire ?, Valence, France. La passe du vent, 1999. pp.23-34.
Patrimoine : RAUTENBERG Michel, André MICOUD, Laurence BÉRARD et Philippe MARCHENAY. Campagnes de tous nos désirs. Patrimoine et nouveaux usages sociaux. Paris, MSH. 2000.
Causses et Cévennes / pastoralisme: BASSET, Karine-Larissa. « Formes, acteurs et enjeux de la participation dans la genèse du Parc national des Cévennes (19501970) », Revue de Géographie Alpine [En ligne], 98-1 | 2010, mis en
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ligne le 29/03/2010, consulté le 05/10/2016. URL : http://rga.revues. org/1090. pp. 41-53 CEN L-R (coord.) Terres pastorales. Diversité et valeurs des milieux ouverts méditerranéens. Ouvrage réalisé dans le cadre du LIFE + Mil’Ouv. Portugal. Co-édition CEN L-R / Rouergue, 2017. 160p GUERRINI, Marie-Claude. « Le Parc National des Cévennes », Strates [En ligne], 8 | 1995, mis en ligne le 20/12/2005, Consulté le 30/09/2016. URL : http://strates.revues.org/1033. 20p. SGARD Jacques, interviewé par DELBAERE Denis . «La Montée» Les Carnets du paysage n°22 La Montagne, 2012. pp. 146-153.
TRAVAUX COMPLÉMENTAIRES Théâtre LEMONNIER, Brunelle. Ecriture et mise en scène. Gardarem - ou la brebis qui refusait qu’on lui coupât les poils, 2017. Captation d’octobre 2017 disponible à cette adresse: https://www.youtube.com/watch?v=zurxTVEiYBg
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LIX
La région des Causses et Cévennes ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité en 2011, au titre des paysages culturels de l’agropastoralisme méditerranéen. Cette récente valorisation du territoire et de sa culture résulte en fait d’une démarche beaucoup plus ancienne, qui a notamment contribué à la création du Parc National des Cévennes en 1970. Malgré une proximité géographique directe et des modes de vie similaires, Causses et Cévennes sont souvent décrits comme deux régions que tout oppose, tant au niveau de la géographie, du paysage, qu’au niveau social. La patrimonialisation d’un tel territoire, divisé en deux, a nécessité la (re)construction d’une identité territoriale commune, sur la base des paysages et modes de vie liés à la pratique ancestrale de l’agropastoralisme. Cette identité renouvelée est-elle assez forte pour dépasser le clivage entre Causses et Cévennes? Agropastoralisme – Paysage – Patrimoine – Identité – Territoire Causses & Cévennes The Causses and Cévennes region has been registered on the World Heritage List in 2011, for the mediterranean agropastoralism cultural landscape. This recent valorization of the territory and its culture actually results from an older endeavour, which contributed to creating the Cévennes National Park in 1970. Although they are on direct geographical proximity, and share similar ways of life, Causses and Cévennes are often described as two regions that everything opposes, socially, géographically and on a landscape criteria as well. Making this territory, split in half, into a world heritage required the construction of a shared territorial identity, based on the landscapes and way of life inherited from the traditionnal practice of agropastoralism. Is this renewed identity strong enough to overcome the clivage between Causses and Cévennes?