Rapport de présentation, Projet de fin d'études.

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LE RENOUVEAU DU PARC ROYAL MOTEUR D’UNE CENTRALITÉ POUR LE NORD DE TURIN

Rapport de présentation du Projet de Fin d’Études David Emilian

Domaine Territoire - automne 2017 encadré par Armelle Varcin et Jean-Marie Choquelle





TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS

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AVANT PROPOS

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INTRODUCTION

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1.  LES ENJEUX DE SCALO VANCHIGLIA 2.  3.

Turin porte entre les Alpes et le Pô Regio Parco et le système urbain turinois² Un héritage imprimé dans les Lieux Un lieu privilégié, paysage à l’échelle urbaine et régionale

RECONSTRUIRE UN PÔLE URBAIN Une centralité appuyée sur la nouvelle ligne de métro Le polycentrisme à l’échelle du quartier L’unité dans la diversité: entités et identités

15 15 19 23 27

29 31 35 39

LE PARC SCALO VANCHIGLIA: UNE TRANSITION URBAINE ET TERRITORIALE 41 Développer la transition spatiale Accroches et transitions urbaines

43 47

CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

61 5


Ci-contre: > Le Mole Antonelliana depuis l’Êglise Santa Maria du mont des Capucins.


REMERCIEMENTS

Je voudrais tout d’abord remercier Armelle Varcin pour avoir rendu possible ce travail de fin d’études. Qui aurait cru qu’une simple question allait nous porter jusqu’à ce diplôme? Je la remercie également, ainsi que Jean-Marie Choquelle pour leurs conseils avisés, leur bonne humeur et leur humour tout au long du semestre et les relectures tardives de ce rapport de présentation. Un grand merci à Armand-Noël, Frédéric et Léa pour leur soutien et leur entraide précieux et sans qui ce semestre n’aurait pas été le même. Merci aux amis qui n’étaient pas présents dans cet atelier mais qui m’ont accompagné pendant quatre ans à l’école comme dans tous les à côtés qui font la joie d’une vie d’étudiant. Merci à Clémence pour son investissement et son ardeur à la tâche qui n’ont poussé à me dépasser. Ainsi qu’à Lorraine, Emily et Grégory qui ne s’attendaient sûrement pas à passer leur semestre avec trois diplômables, et tous les étudiants de l’atelier. Enfin, je voudrais également remercier M. Astier qui ne lira sans doute pas ces lignes mais dont l’œuvre nous apporté tout au long du semestre une dose vitale de rires et de bonne humeur dans les périodes de stress et de travail intense.

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David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

Ci-contre: > Le Parco Pô, une des requalifications de friches industrielles entreprises par la ville de Turin ces dernières années.

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AVANT PROPOS

L’atelier dirigé par Armelle Varcin et Jean-Marie Choquelle m’a séduit par la méthode de travail mise en place. D’une part le travail itératif de réflexion et les aller-retours constants entre les différentes échelles de territoire, d’une portion de région à un morceau de ville, m’a permis d’appréhender le territoire turinois d’une manière globale mais aussi de projeter sur des objets d’études différents. Ainsi au cours de ce diplôme j’ai pu construire à la fois un projet de planification urbaine à la portée métropolitaine et un parc urbain, jusque dans la définition des espaces, par le modelé de terrain et les plantations. D’autre part le projet est conçu avant tout par un travail de collaboration à six étudiants, architectes et paysagistes, ce qui, pour un travail d’une telle ampleur, constitue une première pour moi et qu’il me semble pourtant important d’avoir expérimenté avant mon entrée dans la vie active. À propos de cette collaboration, le lecteur verra dans ce travail de présentation le «Je» et le «Nous» se succéder dans ma prise de parole. C’est parce qu’il me semble important de distinguer le fruit du travail collégial enrichissant nos réflexions mutuelles, de ma démarche personnelle, même si cette dernière s’en est inévitablement nourrie.

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Stura

regio parco scalo vanchiglia axe spina cimetière

centrale

monumental

Dora

centre

PĂ´

historique

collines de superga

N

0

0.5

1

2km


INTRODUCTION

La reconquête des délaissés industriels est aujourd’hui un aspect fondamental de la planification urbaine. Ces espaces laissés libres, souvent proches du cœur des agglomérations, constituent des opportunités pour limiter l’étalement urbain. L’industrie (notamment automobile) a largement contribué au développement et à la prospérité de Turin et la récession de la fin du XXe siècle a laissé une ville traumatisée, parsemée de nombreuses friches industrielles et souffrant d’une réputation peu flatteuse liée à ce déclin. Cependant elle porte également l’image d’une ville baroque à l’urbanisme exemplaire, synonyme de géométrie et de rigueur et participant à sa stature d’ancienne capitale. En 1995 un nouveau plan régulateur est adopté (le Piano Regolatore Generale, PRG). Il porte le projet de redynamiser et relancer l’image et l’économie la ville à travers la requalification des nombreuses friches apparues depuis les années 1970. Le plus gros des aménagements se concentre aux abord du boulevard Spina Centrale, longé par une voie ferrée qui doit être couverte. La variante 200 du PRG, adoptée en 2010, intègre le site de Scalo Vanchiglia, objet du présent rapport, qui était à l’origine exclu du projet car excentré par rapport à Spina Centrale. C’est le projet de ligne 2 du métro, désenclavant Scalo Vanchiglia, qui permet sa réhabilitation. Il s’agit d’une ancienne gare de fret et du tissu industriel en partie

<Page de gauche: Vue aérienne de Turin. En blanc est surligné le réseau ferré.

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quartier industriel

cimetière monumental

gare ex scalo vanchiglia

0

500 m

Ci-contre: >

David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

Vue aérienne du quartier Regio Parco et ses entités principales Ci-dessous: v Vue du Nord de Turin depuis

Dora

la basilique de Superga.

N

Le site d’étude se détache en vert au second plan.

250

(auteur inconnu) pô

dora

mt musinè

rivoli

1150 m

centre

vallée

historique

de suse cimetière monumental scalo vanchiglia

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mt rochemelon

3538m

stura


désaffecté qui lui était associé, au Nord-Est de la ville, au cœur du quartier de Regio Parco1. Ce site est riche de contraintes. Les cours d’eau qui entourent le quartier, en particulier la rivière Dora, rendent difficile son accès depuis le centre historique. La faible intégration urbaine du Pô contribue à isoler Regio Parco du reste de la ville. De plus le cimetière Monumentale, d’une superficie de 60ha à laquelle il faut ajouter une zone non constructible de 150m autour de son périmètre, en occupe la partie centrale. Le site de Scalo Vanchiglia, déterminant dans les enjeux territoriaux qu’il porte, doit se faire la vitrine d’un tel dynamisme. La nouvelle ligne de métro est pour nous l’opportunité de le réintégrer dans le système urbain turinois, et de revitaliser l’ensemble des quartiers Nord de la ville en y créant une nouvelle centralité. Fabriquer l’espace public: lieu de transitions, lieu d’urbanités Pour construire cette nouvelle portion de ville de 250ha de manière cohérente dans le cadre d’un travail de groupe² une étroite collaboration est nécessaire entre projet architectural et projet de paysage. La définition des enjeux du site développés dans la première partie ainsi que la démarche générale autour de la question de centralité expliquée dans un second temps ont donc été élaborées en groupe. La qualification des espaces publics tient un rôle majeur dans la cohérence d’ensemble, a fortiori lorsque le cœur du nouveau quartier sera un espace vide, occupé par un cimetière et un parc. C’est l’objet de la dernière partie de ce rapport où je développerai comment ce nouveau parc, tout en ayant son existence propre, pourra jouer un rôle de transition entre les entités urbaines et accompagner les déplacements afin d’intégrer pleinement le parc à l’échelle du quartier et du territoire de Turin.

1: La délimitation officielle du quartier Regio Parco faisant abstraction d’une part importante de son héritage historique, et pour des raisons de simplification, nous avons redessiné le périmètre du quartier dans le cadre de notre intervention. Cf. Page de gauche. 2: Le projet est élaboré en groupes composés de 4 étudiants en architecture et deux étudiants en paysage

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mt

Musinè

basilique de Superga

Regio Parco St

a ur

Scalo Vanchiglia

Alpes (mt rochemelon 3538m)

Musinè 1150m Pô

mt

Vallée de Suse

0 0.1 0.2

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Superga 670m

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territoire

1.  LES ENJEUX DE SCALO VANCHIGLIA

Le diagnostic présenté ici vise a explorer les différentes échelles territoriales qui agissent sur notre site de projet. Pour chaque échelle, le territoire piémontais, la ville de Turin et le quartier Regio Parco, j’ai choisi d’exposer par une approche thématique les éléments qui nous ont permis d’élaborer notre projet, afin d’en extraire les enjeux. Ce travail d’imbrication des échelles est une composante essentielle de l’atelier, pour être capable d’appréhender le territoire1 dans son ensemble.

1: j’entends ici territoire

d’une part au sens d’espace

TURIN PORTE ENTRE LES ALPES ET LE PÔ

géographique «socialisé» et de

La région du Piémont se caractérise par la relation privilégiée entre les Alpes et la plaine du Pô. Turin illustre parfaitement cette inter-relation entre les deux grandes entités géographiques, tant dans sa dimension symbolique, comme capitale de la région, que par son implantation et son histoire. C’est cette inter-relation que j’explore dans cette partie du développement.

permet de le penser et d’autre

Un paysage de montagne en toile de fond

en haut:

Les Alpes forment un arc montagneux enserrant le territoire piémontais à l’Ouest et au Nord. La chaine forme la toile de fond du paysage turinois et dialogue avec les collines qui se dressent le long du Pô à l’Est de la ville. Aujourd’hui frontière naturelle entre l’Italie et la France, cet arc constituait autrefois le cœur du Duché de Savoie, avec Turin pour capitale. Ce rapport privilégié

la construction intellectuelle qui part comme support d’une identité. D’après Lévy et Lussault, Dictionnaire de la Géographie, 2003 < Page de gauche Les Alpes et Superga en arrière plan de la ville. Au Parco Pô (gauche) et à Scalo Vanchiglia (droite) en bas:

Turin et ses environs, un territoire caractérisé et contraint par ses entités géographiques

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Ci contre: > La relation du tissu urbain avec le Pô, axe structurant de la ville. Ci dessous: v à gauche: La Piazza Vittorio Veneto vue depuis les marches de l’église Gran Madre de Dio de l’autre

David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

côté du Pô (© Gianni Careddu) à droite: L’église Gran Madre de Dio dans l’axe de la perspective de Via Pô, depuis la Piazza del Castello (© Alessandro Ricci)

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territoire

à la montagne a permis à la ville d’organiser les Jeux Olympiques d’hiver de 2006. Il est aujourd’hui encore visible dans le grand axe de la vallée de Susa reliant Turin à Lyon via le tunnel de Fréjus (ouvert en 1871) ou la route des cols. C’est également de cette vallée que s’écoule la rivière Dora, qui a constitué un atout majeur pour la prospérité de la ville. La rivière traverse la partie Nord de Turin pour se jeter dans le Pô, constituant la limite Sud du site de Scalo Vanchiglia et lui donnant un statut de confluence. Le Pô, porteur de cohérence territoriale Située au point de resserrement entre les alpes et les collines, Turin est également la porte d’entrée dans la plaine du Pô. Le régime torrentiel du fleuve en a limité l’intégration urbaine, notamment en terme d’usages liés à l’eau, et le Pô a joué jusqu’à maintenant un rôle de limite pour le développement urbain de Turin. Pourtant, en tant que fleuve il s’agit d’un élément fort de l’identité paysagère de la ville et il a largement influencé sa morphologie urbaine. De nombreuses voies structurantes pour la ville sont issues des franchissements du fleuve. Chaque pont est accompagné de places et/ou de monuments sur chaque rive, l’exemple le plus parlant étant le pont Vittorio Emanuele I, cadré par l’église Gran Madre de Dio et la place Vittorio Veneto d’où part l’avenue Pô. Le fleuve a le potentiel pour être d’une part un vecteur d’urbanité pour la ville et d’autre part un ancrage majeur entre Turin et sa région. Un emplacement stratégique L’implantation de la ville a cet endroit a répondu à un impératif militaire de contrôler le franchissement des Alpes, et ce dès l’époque romaine. La route des cols de la vallée de Susa était également la principale route commerciale entre la France et le Nord de l’Italie. C’est cette position, à l’articulation entre plaine et montagne, qui a permis à la ville de rayonner économiquement et militairement sur la région piémontaise et de devenir le siège du pouvoir du Duché de Savoie en 1563 et la première capitale 17


David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

Morphogenèse de la ville de Turin : la persistance de la trame romaine. (d’après Philippe Graf) Ci-dessus: ^ De gauche à droite les étapes successives de l’évolution de la ville en: 1568 1620 1706 Ci-contre: > 1856 avec la limite d’octroi de la ville 1945 Aujourd’hui

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territoire

de l’Italie unifiée de 1861 à 1865. Aujourd’hui, la confluence de la Dora et du Pô marque encore le point central de cette articulation et le basculement de l’axe alpin de la Dora vers la plaine fluviale du Pô.

REGIO PARCO ET LE SYSTÈME URBAIN TURINOIS² Trame urbaine La ville de Turin est extrêmement dessinée. Son cœur historique date de l’époque romaine, il est donc conçu sur le principe d’une trame orthogonale simple, axée sur le cardo et le decumanus. La ville a construit une partie de son identité par la persistance de ce système. Le motif de la trame orthogonale a été repris dans les premières extensions de la ville. Jusqu’à la fin de la Renaissance la ville évolue sur elle même dans l’enceinte romaine, avec une déformation mineure de la trame d’origine pendant l’époque médiévale. La construction de la citadelle et les agrandissements successifs de l’enceinte de la ville entre la seconde moitié du XVIe siècle et la fin du XVIIe lui ont permis de tripler sa surface en conservant l’orientation de la trame, à l’exception de l’axe de la via Pô reliant la Piazza Castello à la porte du Pô au Sud-Est et précurseur de la forme adoptée à partir du XIXe siècle. L’abattement des remparts et la destruction de la citadelle sur ordre des Français en 1800 permettent à la ville de s’ouvrir. Le tramage régulier commence alors à se déformer et à se complexifier, à la fois sous l’influence du territoire de la ville (le Pô, la Dora, le relief) et celle du nouveau paradigme de l’industrie et de la voie ferrée. Ainsi la limite d’octroi du plan régulateur de 1853 est transformée en boulevard d’où partent des avenues organisant Turin et son territoire. Regio Parco est alors au contact de l’entrée de la ville. Son urbanisation tardive (postérieure à 1945) et sa proximité à

2: D’après Philippe Graf, «Turin, exemple et modèle d’une centralité urbaine planifiée selon les canons évolutifs du classicisme», Rives méditerranéennes n°26, 2007

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Venaria R eale

R egio Parco S uperga

rivoli

Villa regina Palazzo di Miraflores

Castello Valentino

Chiesa Santa Maria

Ci-contre: > Le polycentrisme turinois à l’époque moderne, la Couronne

David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

des délices, symbole de pouvoir

N

S uperga

Palazzina di Caccia di Stupinigi

et outil de la construction urbaine et territoriale.

S pina 4

(d’après un schéma de Philippe Graf) Ci-contre: > La nouvelle logique polycentrique de la ville appuyée sur le réseau ferré

gare porta susa

métropolitain et la requalification des friches industrielles.

centre historique

(d’après un schéma de Frederica Regazzoni)

S pina 1

Centralité Pôle secondaire voie ferrée métro tramway

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mirafiori lingotto

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territoire

l’ancienne limite d’octroi font que s’y confrontent trames régulière et déformée. Polycentrisme et couronne des délices Tout au long de l’époque moderne, parallèlement aux extensions successives de la ville, les Ducs de Savoie se sont attelés à asseoir le pouvoir politique de la nouvelle capitale de Savoie au sein de son territoire. Ainsi, le projet de nouveau palais ducal initié en 1584 sous la direction de l’architecte Vitozzi pose les bases d’une nouvelle stratégie de développement territorial, rayonnant sur le territoire piémontais. Par l’acquisition et la construction de domaines de chasse, de palais et d’édifices religieux tout autour de la ville, qui sont autant de délices pour la noblesse, le Duché construit une couronne de pouvoir symbolique où chaque élément est une centralité politique secondaire renforçant le centre principal, siège du pouvoir. La couronne de délices était connectée à Turin par des axes périurbains qui formeront les avenues structurantes de la ville tout au long de son développement. Le quartier Regio Parco tient son nom de l’un de ces palais, aujourd’hui disparu3, auquel était associé un «parc royal» installé entre le Pô, la Dora et la Stura. Suite à cette disparition, l’implantation de la manufacture royale de tabac en 1758 puis de la gare de Scalo Vanchiglia en 1926 ont transformé ce centre politique en un pôle industriel. Aujourd’hui la couronne des délices a marqué durablement la forme urbaine de Turin mais a perdu son sens. L’ère industrielle, en cernant le centre historique d’une ceinture mono-fonctionnelle dédiée à l’industrie, a coupé sa relation avec les centralités secondaires de la périphérie. Le PRG de 1995 cherche en revanche a restaurer une forme de polycentrisme au sein de la ville par la requalification des délaissés industriels en nouveaux pôles d’urbanité, dont la mise en réseau est appuyée par la trame urbaine et les transports en commun.

3: Le Castello de Viboconne construit en 1568 fut détruit par les français lors du siège de Turin de 1706.

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Ci-contre: > Le cimetière de Turin s’imprime

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dans la ville au delà de son périmètre et appuie la direction de la ville vers le Pô

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UN HÉRITAGE IMPRIMÉ DANS LES LIEUX Cimetière monumental Le Cimitero Monumentale joue aujourd’hui un rôle central dans le quartier de Regio Parco. Même si c’est à l’origine le Corso Regio Parco qui a donné la direction dominante du quartier, depuis la ville vers le Pô, la disparition du château, pôle d’attraction à l’extrémité de cet axe lui a fait perdre son sens. C’est maintenant le cimetière, imposant par ses 60 hectares et dont les limites, matérialisées par un mur opaque de 3m, sont très présentes dans l’espace urbain qui matérialise la direction centre ville-fleuve. La structure interne du cimetière renforce cette direction reprise par les axes principaux, dont celui issu de l’entrée monumentale qui prolonge l’avenue Catania. Au delà de ses limites, le cimetière s’imprime dans l’espace urbain par le périmètre sanitaire imposé par la réglementation. Il est interdit de construire des bâtiments de vie, logements ou bureaux, sur une bande de 150 mètres de large autour du cimetière, pour une surface totale de 128 ha. Dans le cas d’un cimetière placé au cœur d’un site en reconversion, cette mesure réglementaire est une réelle contrainte urbanistique mais elle offre également un grand potentiel d’espace public à l’abri de la pression foncière. Gare de fret et tissu industriel La morphologie urbaine du quartier Regio Parco se trouve en décalage par rapport la forme traditionnelle de Turin. Le système d’avenues et de places rayonnantes mis en place à l’époque baroque prend ici le pas sur la trame régulière, probablement en raison de l’absence d’urbanisation sur le site à cette époque. Il en résulte un quartier à la trame complexe, basée sur des diagonales rayonnant depuis l’avenue Via Bologna. La vocation industrielle du quartier a également créé des unités d’îlots beaucoup plus grandes que dans le reste de la ville. Enfin, le tracé ferroviaire reliant 23


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Ci-dessus: ^ Le tissu industriel, l’ancienne gare et le cimetière morcellent le cœur de Regio Parco. La traversée Nord-Sud est pratiquement impossible et seules trois voies permettent la traversée Est-Ouest. Ci-contre: > Plan topographique du terrain naturel. Les courbes sont équidistantes de 1m. De +25 à 0m avec le Pô comme référence. On remarquera la différence de niveau avec l’extérieur au Nord du cimetière et la digue bordant le Pô.

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la gare au réseau ferré général de la ville a laissé une empreinte remarquable puisqu’il s’agit d’un des rares tracés courbes de la ville qui n’a pas été imposé par un élément naturel. Les industries se sont adossées à la gare Scalo Vanchiglia et au faisceau ferroviaire pour des questions de logistique, ce qui laisse à l’heure actuelle un système d’impasses donnant sur une friche infranchissable tout au long de la limite Nord du cimetière. La question de l’accessibilité sera donc d’une grande importance dans les objectifs à remplir. Le modelé de terrain de la partie Nord a été induit par la gare de fret et son faisceau ferroviaire qui nécessitaient une assiette régulière continue, ce qui a entraîné une différence de niveau entre l’intérieur du cimetière monumental et la plateforme industrielle qui le borde. Cette différence de niveau est la plus forte à l’angle Nord du cimetière, où ce dernier s’enfonce d’une hauteur de l’ordre de 3 mètres. Cette forme urbaine particulière témoigne de l’héritage industriel du site et contribue à la construction de son identité. Un site marqué par les cours d’eau Le système hydrographique du territoire a largement marqué le quartier de Regio Parco, délimité au Sud par la Dora, à l’Est par le Pô et au Nord par la rivière Stura. Le régime hydrologique du Pô, soumis aux influences de la fonte des neiges et des précipitations fréquentes en piémont, en fait un fleuve sujet aux crues soudaines, à la fois printanières et automnales. Afin de se prémunir contre les aléas d’inondations, le fleuve a été endigué, en particulier au niveau de Regio Parco, où le terrain naturel est relativement bas. Le système de digues, hautes et densément plantées, isole le fleuve dans un fuseau et interdit une relation directe à l’eau depuis le centre ville tout en ménageant une promenade continue sur sa berge, toujours isolée de l’eau par la végétation. Ces ouvrages, bien que nécessaires, peuvent être 25


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Ci-contre: > La digue longeant le Pô, une promenade linéaire longeant le fleuve mais mise à distance de l’eau par la végétation. Depuis le parc le fleuve est complètement masqué. (© Maxime Koscielny))

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territoire

intégrés au paysage urbain avec plus de douceur pour faire du Pô un lieu d’urbanité. La Dora, également sujette aux crues avec un régime torrentiel puisqu’elle est directement issue des alpes, a été mieux maîtrisée et utilisée par les turinois qui l’ont associée à un réseau de canaux, dénommés bealera. D’abord utilisés pour l’irrigation des cultures, ces bealera ont ensuite été mises à contribution pour une exploitation industrielle. Le tracé d’un de ces canaux, aujourd’hui tari, est encore visible. Il longe le Corso Regio Parco, entre le cimetière et la gare désaffectée. Cette position, en contrebas de la partie Nord du quartier, est propice à la récupération des eaux de ruissellement de tout le secteur. Et offre une nouvelle variation dans les reliefs du site.

UN LIEU PRIVILÉGIÉ, PAYSAGE À L’ÉCHELLE URBAINE ET RÉGIONALE Cette analyse aux à l’échelle régionale, urbaine et locale des caractéristiques du site de Scalo Vanchiglia nous confirme qu’il s’agit d’un lieu central du territoire auquel participent les grands éléments géographiques de Turin. Le basculement entre les Alpes et la plaine du Pô se cristallise à la confluence avec la Dora, donnant à Turin une symbolique forte. Le quartier Regio Parco et en particulier le site de Scalo Vanchiglia, sont porteurs d’une mémoire urbaine riche et d’un potentiel de centralité important pour la ville dont l’organisation historique et actuelle reposent sur la notion de polycentrisme en réseau. C’est ce principe que j’explore dans la suite de mon travail.

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centralité

2.

RECONSTRUIRE UN PÔLE URBAIN

Le projet urbain, construit en collaboration avec des étudiants en architecture et en paysage, s’inscrit dans la continuité de la logique urbaine turinoise, dont un des principes fondateurs est le polycentrisme. Dans l’objectif de redynamiser le Nord de Turin, l’idée de reconstruire une centralité urbaine sur les lieux qui ont d’abord été un centre de pouvoir politique puis un pôle de production industrielle (et donc de pouvoir économique) nous a paru en cohérence avec le mode de construction de la ville. Cette partie de mon travail explore dans un premier temps les questions relatives à la notion de centralité afin de les mettre en application dans le cadre du projet collectif. J’en présenterai ensuite les principes fondateurs qui me permettrons de développer plus avant une réflexion personnelle autour des espaces publics du quartier.

< Page de gauche: Schéma de projet. Regio Parco, un nouveau pôle urbain (en rouge) et son aire d’influence .

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proximité diversité

densité centralité polarité

nodalité

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mobilité

accessibilité

Centralité

Ci-dessus: ^ Notions autour de la centralité. mind mapping d’après un schéma de Beaucire et Desjardins «interdépendance» «fait partie de» «est la condition de» «a une influence sur»

«[…] capacité de polarisation de l’espace et d’attractivité d’un lieu qui concentre acteurs, fonctions et objets de société […] renvoie à la capacité d’un lieu qui concentre hommes et activités à polariser un espace plus ou moins vaste» Lévy et Lussault, 2003 p.139 «la centralité repose sur la diversité et l’abondance des hommes qui font société et celles des fonctions qui font l’économie» Beaucire et Desjardins, 2014

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centralité

UNE CENTRALITÉ APPUYÉE SUR LA NOUVELLE LIGNE DE MÉTRO Quelle centralité? Pour Francis Beaucire et Xavier Desjardins, la notion de centre englobe les notions de nœud et de pôle.1 Le nœud est formé par la convergence, l’entrecroisement des voies de communications. Il se rapporte de fait aux questions de maillage, de réseau viaire et d’accessibilité. Plus le nombre et la variété de réseaux est grande, plus le nœud est important. L’exemple le plus parlant étant celui de la gare. La polarité est une notion connexe à cette idée de nœud et intimement liée à la question de l’attractivité. Pour Beaucire et Desjardins, l’importance d’un pôle se mesure à la quantité de flux qui le traversent. C’est pour moi une caractéristique qui qualifie davantage le nœud, quand la polarité s’explique plutôt par la qualité des flux qu’elle génère: quels sont les services et les usages qui attirent les personnes en ce lieu? En fonction de ces services ou usages, chaque pôle a une aire d’influence délimitée: la rue, le quartier, la ville, la métropole... À la dimension spatiale vient s’ajouter la dimension temporelle: chaque pôle dispose de sa temporalité propre: un quartier commerçant fonctionne sur un cycle hebdomadaire régulier, avec des périodes d’affluences en fin de journée et les week-ends, en fonctions des horaires de travail de la plupart des clients. À l’inverse, un palais des congrès ou une salle de concert sont des pôles fonctionnant avec des évènements ponctuels, répartis sur un cycle saisonnier en fonction de leur programmation. Ils accueillent un grand nombre de visiteurs dans une période très courte. La centralité quant-à elle repose d’une part sur la concordance des deux concepts évoqués plus haut, mais également sur des questions de densité et de diversité, à la fois des flux et

1: «Centralité. Polarité, Nodalité». 2014 Article de F. Beaucire et X. Desjardins disponible en ligne sur http://www.citego.org/bdf_ fiche-document-123_fr.html

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Ci-dessus: ^ Le parc Martin Luther King a Paris présente une qualité

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d’espaces publics qui contribue à son succès. Il est investi par les usagers et devient un repère du quartier. (©Cyrille Weinner) Ci-contre: > Schéma de projet à l’échelle urbaine: désenclaver le quartier Regio Parco par la création de la ligne 2 du métro et création d’une nouvelle centralité en réseau avec les autres. Centralité Pôle secondaire voie ferrée métro tramway nouvelle ligne de métro

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des fonctions, comme l’écrivent Lévy et Lussault ou Beaucire et Desjardin. Dans les fonctions, Bourdin distingue deux types2. Les fonctions «banales», associées aux usages quotidiens (équipements de proximité et petits commerces par exemple) sont indispensables afin d’ancrer la centralité au niveau local. À ces fonctions de proximité vient se superposer une fonction qu’on peut qualifier de «dominante». C’est elle qui permet la polarité à une échelle métropolitaine, et qui fait que l’on parlera d’un centre politique, économique ou culturel par exemple. Pour finir, il nous faut faire le lien entre l’aspect immatériel de ces définitions et la question architecturale et paysagère. La question de la qualité des espaces construits et publics est primordiale dans la constitution d’une centralité. L’aménité des lieux, la qualité architecturale et spatiale, la mise en scène d’ouvrages et d’espaces symboliques sont autant d’éléments qui permettent d’une part aux usagers d’appréhender la centralité par le biais de leur perception, et d’autre part à la ville de construire la base d’un rayonnement à une échelle plus large, par l’image et la réputation. Par écho, la construction d’une image forte participe à renforcer l’identité d’une ville et d’un territoire et le sentiment d’appartenance de ses citoyens. Une nouvelle centralité en réseau avec celles existantes Pour créer une nouvelle centralité sur le site de Scalo Vanchiglia il nous a fallu dans un premier temps développer les réseaux de communication du quartier. En premier lieu, c’est la ligne 2 du métro qui nous a servi de base pour développer ce réseau. Le passage de la ligne en lieu et place de l’ancienne gare permet de désenclaver le quartier et de le connecter aux centralités existantes ou en projet au sein de la ville grâce à l’implantation de trois stations, espacées d’environ 600m chacune. Cette extension du réseau des transports en commun au quartier Regio Parco est indispensable car malgré sa proximité au centre-ville il n’est pour l’instant pas desservi.

2: Bourdin dans l’ouvrage collectif du Certu Centralités dans la ville en mutation, 2003

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Ci-dessus: ^ La reprise et le prolongement des tracés existants permettent une densification du réseau des circulations de surface en plus de l’installation de la ligne de métro Ci-contre: > Schéma d’intentions générales à l’échelle du quartier. Au nord le foyer de la centralité principale s’étend au bord du parc le long de la ligne de métro. Au sud des pôles secondaires en forment le pendant, connectés grâce à l’ouverture centrale du cimetière. L’ensemble du projet appuie la direction Sud-Ouest/NordEst, entre la ville et le Pô

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centralité

Afin que le nouveau quartier puisse rayonner et s’intégrer au reste de la ville, la reprise et le prolongement des tracés structurants de Regio Parco a été l’une des premières étapes dans la conception du projet urbain. Comme je l’ai évoqué en première partie, la particularité de ces tracés par rapport au tissu traditionnel de la ville contribue à renforcer l’identité propre du quartier Regio Parco. Nous avons pris le parti de transformer le Corso Regio Parco, circulant entre l’ancienne gare et le côté Nord du cimetière, en un axe de promenade piétonne, associé au parc de Scalo Vanchiglia et au cimetière. En effet, le terrain étant non constructible au bord du corso, nous avons dévié la circulation plus au Nord, le long du nouveau front bâti et de la future ligne de métro. C’est au sein de ce front bâti que viendront s’implanter les programmes les plus attractifs du quartier de type commercial et culturel. Ainsi placés à proximité directe des trois stations de métro, des espaces publics du parc et mis en scène par une architecture monumentale, en rupture avec le tissu traditionnel, ces nouveaux programmes contribueront eux aussi à affirmer la nouvelle identité du quartier. Toujours dans la volonté de resserrer le maillage du quartier et d’y faciliter la circulation, il nous est apparu nécessaire d’ouvrir le cimetière de façon permanente au niveau de son allée centrale, permettant ainsi de faire communiquer les parties Nord et Sud du quartier. C’est également un moyen de faire participer le cimetière aux espaces publics et à la ville.

LE POLYCENTRISME À L’ÉCHELLE DU QUARTIER Hiérarchiser les polarités du quartier Le périmètre d’intervention faisant environ 250 hectares il nous a fallut, au sein du quartier, hiérarchiser le degré de polarité de chaque entité. Ce travail nous a permis d’affecter les différents espaces du quartier avec davantage de précision. Alors que la

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David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

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Ci-contre: > L’analogie entre le territoire turinois et le quartier de Regio Parco comme outil de conception de la centralité. Plans et coupes schématiques.

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centralité

bande construite au Nord-Ouest du cimetière est la plus propice à accueillir le cœur de la centralité grâce à sa situation et à son accessibilité, la bande sud-est, plus isolée entre le Pô la Dora et le cimetière, a une vocation plus calme. Elle s’ancre dans une logique tournée vers la Dora: des programmes universitaires y viennent faire écho à la faculté récemment construite sur la rive sud du cours d’eau et la situation isolée de la confluence est mise à profit pour implanter un quartier résidentiel. Au Nord, le long de l’axe de Via Bologna, des logements permettent de faire la transition avec le quartier Barriera de Milano. S’inscrire dans le territoire Parallèlement s’est posée la question de l’inscription du projet dans son territoire. La notion de centralité implique une relation directe à ce qui l’entoure, au delà de la simple continuité du réseau de communication. Nous avons déjà présenté les caractéristiques territoriales les plus fortes du site. Comment, maintenant, les convoquer dans la construction d’un projet cohérent? La confluence de la Dora et du Pô nous permet de considérer le site de Regio Parco comme un lieu charnière entre le paysage alpin et la plaine du Pô, dont les collines de Superga forment le dernier verrou avant de s’ouvrir largement à l’Est. Cette situation particulière est l’opportunité de marquer ce basculement par analogie. Ainsi la morphologie du quartier se fait l’écho de la morphologie du territoire. Les deux bandes construites, au NordOuest et au Sud-Est, enserrent une large portion d’espace public englobant le cimetière. Cette morphologie permet à la ville à la fois de «s’adosser» à son relief et de s’ouvrir au Nord sur le fleuve et la plaine.

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David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

Ci-contre: > Plan masse d’esquisse collectif document original au 1/2000e

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centralité

L’UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ: ENTITÉS ET IDENTITÉS Sur la base du principe de centralité, qui s’appuie sur la mise en réseau des espaces urbains et le développement de polarités, nous avons élaboré un projet urbain en adéquation avec le territoire turinois. À ce stade les grandes orientations formelles ont été posées et c’est sur ces bases que chaque étudiant du groupe de travail approfondira une partie du quartier. Les architectes précisent le projet architectural et les paysagistes les espaces publics, tout en gardant un travail collaboratif. La position centrale des espaces publics majeurs du quartier (le parc Scalo Vanchiglia et le cimetière monumental) leur confère un rôle à la fois de fédération des différentes entités et de redistribution des flux dans le reste du quartier. Les espaces publics deviennent alors des transitions spatiales, pour le quartier mais également entre Turin et son territoire comme nous avons pu le voir. De la même manière que le projet architectural, ils doivent participer à forger l’identité et le paysage du nouveau quartier.

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transition

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LE PARC SCALO VANCHIGLIA: UNE TRANSITION URBAINE ET TERRITORIALE

Dans le prolongement de notre réflexion commune sur la création d’une nouvelle centralité, les espaces publics centraux du quartier tiennent un rôle capital dans le projet collectif. Comme évoqué précédemment, ils ont vocation à matérialiser la mise en réseau des différentes polarités du quartier et le passage d’une entité à l’autre. Tout comme ils doivent accueillir les usages urbains qui feront du quartier une centralité. Dans cette dernière partie, j’explore donc la question de la transition spatiale en regard du projet de paysage sur le parc Scalo Vanchiglia. Les enchaînements d’espaces, les limites entre les entités urbaines et les articulations entre les échelles sont autant d’éléments qui se rapportent à la notion de transition.

< Page de gauche: maquette de projet au 1/2000e.

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David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

« On distinguerait ainsi l’espace positif, espace contenu, au champs visuel limité, avec un foyer, un centre, et l’espace négatif, espace qui nous reste, une fois que l’espace positif a chargé la scène spatiale ; c’est l’espace au champ visuel illimité, sans foyer interne. » Jean Cousin, 1980 p.45 «En Occident, [...] d’une manière générale, le vide a une valeur négative, il est le rien, l’inattribué, l’inachevé, l’absence de concret ou de matière, le néant, sans temps, sans mouvement, le neutre. Ci-dessus: ^ Le modelé de terrain (élévation + dépression) permet la création d’un espace «positif» (© Jean Cousin)

En Asie, le vide est considéré comme plein, dynamique et agissant, car il est le lieu par excellence où s’opèrent les transformations. Le vide ne se contente pas d’être une absence de constructions, il est ce qui permet, autorise, accepte les constructions» Serge Renaudie, 2011 p.37

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transition

DÉVELOPPER LA TRANSITION SPATIALE Dans mes recherches je n’ai pas trouvé d’écrits théoriques sur la question de la transition spatiale de la part de paysagistes. Je me suis donc appuyé sur l’ouvrage de l’architecte Jean Cousin L’espace vivant 1, dans lequel il explore la variété des configurations spatiales et de la relation entre différents espaces, afin d’en adapter le propos aux problématiques de l’espace public. De la question architecturale à la question de paysage Cousin catégorise deux types d’espaces: les espaces «positifs» et «négatifs» (voir ci-contre) Appliquée à l’architecture la distinction est plutôt simple: généralement l’espace intérieur est positif et l’extérieur négatif. Parois et plafonds sont des éléments forts de délimitation. En paysage en revanche la question se complexifie et le manichéisme positif/négatif est insuffisant. Si un modelé de terrain important peut produire un sentiment comparable à celui provoqué par un mur, la diversité des dispositifs de pente (talus, pentes douces, soutènements...) Et de différence de niveaux entre deux espaces offre une grande variété de situations complexes. De la même manière, entre un rideau de végétation dense et opaque et un espace complètement ouvert, il existe une multitude d’intermédiaires qui nuancent la limite entre espace « positif » et « négatif ». C’est pourquoi il me semble plus approprié dans ce cadre de parler d’un degré de publicité, de l’espace le plus intime, auquel on peut identifier sa sphère personnelle, à celui le plus public, dont l’échelle ou le contexte urbain empêchent l’appropriation de l’individu. Le vide comme articulation Dans La ville par le vide , le paysagiste Serge Renaudie compare les conceptions occidentales et orientales du vide dans la ville (voir ci-contre) . Pour lui, le vide de l’espace urbain le plus public n’aurait pas vocation à accueillir l’intimité des citoyens mais plutôt la vie 2

1: L’espace vivant, Jean Cousin, éditions du Moniteur, Paris, 1980. 2: La ville par le vide, Serge Renaudie, Movitcity édition, Paris, 2011

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de la cité, ses dynamiques et ses interactions. Le «négatif» de l’individu devient le «positif» du collectif, investi par les foules et leur dynamique. C’est donc le lieu privilégié de la centralité. Dans le projet de Regio Parco, nous avons installé de tels espaces aux points de rencontre entre les grandes entités du quartier et de la ville. Au Nord du parc, le long de la ligne de métro, nous mettons en contact la densité et la diversité d’usages de la bande construite (centre commercial, bureaux, équipements culturels, habitations) avec les espaces ouverts du parc et leurs promeneurs, et les entrées du cimetière où se rendent des visiteurs en recueillement ou en deuil. S’y ajoutent grâce au métro des liaisons (indirectes mais bien réelles) avec le reste de la ville et ses autres centralités. Les espaces publics sont partie intégrante de toutes ces entités à la fois et les articulent les unes avec les autres. David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

Cousin définit des espaces statiques et dynamiques, selon qu’ils invitent ou non les usagers au mouvement. Concrètement, plus un espace est borné, délimité, plus il sera perçu comme statique et inversement. Un espace intime, a priori statique, peut devenir dynamique si la morphologie en renforce une ou plusieurs directions données. Une place par exemple, peut être dynamique si l’on se trouve dans le prolongement d’un axe important, ou statique si on se trouve au contraire en retrait de celui-ci. Places et parcs endossent cette double affectation. Les usagers y dessinent des sous-espaces qui s’interpénètrent et s’enchaînent les uns avec les autres. Enchaînements d’espaces Toujours d’après Cousin, la relation spatiale entre deux espaces dépend de la distance qui les sépare, de l’ouverture de leur frontière commune, et de la continuité entre l’un et l’autre. Pour simplifier, Cousin décline ces transitions en quatre types principaux, basés sur la continuité visuelle et physique entre les deux espaces. 44 domaine d’études territoire automne 2017


-pouvoir franchir sans voir -pouvoir voir mais pas franchir -ne pouvoir ni voir ni franchir Le premier cas est le plus courant dans l’espace public. Il peut s’agir d’une simple variation de matérialité du sol ou d’un changement de niveau dans les cas de transitions les plus faibles. Dans ce cas, la largeur de la connexion et la différence de niveau déterminent si il s’agit d’une simple liaison (connexion étroite et/ ou grande différence de niveau) ou d’une participation entre les deux espaces (connexion large et/ou faible différence de niveau). La situation intermédiaire peut être qualifiée d’interpénétration (par exemple si la différence de niveau est équivalente à la hauteur des yeux). La transition faible peut également être marquée par des «passages» qui sont des transitions entre deux espaces bornés différemment (passage d’un espace fermé à un espace ouvert par exemple) ou un simple resserrement de l’espace.

< Ci-contre:

transition

-pouvoir franchir et voir

Typologies de transitions

simples entre deux espaces. En fonction de la largeur de la connexion: liaison, interpénétration, participation. En fonction de la hauteur de franchissement:

au dessus du regard, liaison; en dessous du regard, participation Clôture et fossé: possibilité de voir mais pas de franchir d’un espace à l’autre. Ces dispositifs sont fréquents dans l’espace urbain.

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David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

Ci-dessus: ^ Extrait du plan topographique de projet. Courbes équidistantes de 1m. Limite entre les plateformes haute et basse. Ci-contre: > Extrait de maquette de travail au 1/2000e. Le parvis central du parc Scalo Vanchiglia. Espace de transition entre le pôle Nord du quartier et le cimetière. Au centre la folie architecturale qui acceuillera la station de métro.

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transition

ACCROCHES ET TRANSITIONS URBAINES Ville et cimetière: entre animation et recueillement La première transition urbaine a traiter, la plus importante, est le passage de la ville au cimetière. Sur les 3,6 km de limite entourant le cimetière, la moitié est en contact direct avec le parc de Scalo Vanchiglia. Tout l’enjeu de cette partie du projet est de réussir à faire participer le cimetière à la ville tout en conservant l’intimité du cimetière Le modelé de terrain a joué un rôle primordial dans ma conception de cette transition. Comme expliqué en première partie, le sol du cimetière et celui de Scalo Vanchiglia se séparent progressivement une différence de niveau de 3m au Nord-Est, le cimetière accompagnant la descente naturelle vers le Pô alors que Scalo Vanchiglia se compose d’une assiette continue en pente très faible due aux voies ferrées et aux industries. J’ai donc voulu accentuer cette démarcation entre l’espace bas du cimetière et celui de la bande Nord du quartier, plus haut. En déblayant la partie du parc en contact avec le cimetière et en remblayant la partie en contact avec la ville, je crée une limite topographique forte séparant le parc en son milieu. De part et d’autre de cette limite, le parc se divise donc en deux sous espaces de transition, l’un avec une relation privilégiée à la ville et l’autre au cimetière, qui se prolonge à l’Est vers le Pô. Les zones de contact, définies aux emplacements des stations de métro forment des transitions de participation entre haut et bas. A ces occasions, le niveau haut prend de l’ampleur pour dessiner des espaces de parvis communs aux entrées du cimetière, à la ville et au métro, avec une vocation fortement publique. Ces parvis, conçus en collaboration avec les deux étudiants (architecte et paysagiste) développant respectivement la centralité Nord et le cimetière, sont marqués par l’implantation de folies architecturales à l’écart du front bâti, accueillant les stations de 47


vers la bande nord

partie haute

David Emilian – rapport de présentation du Projet de Fin d’Études

vers la bande nord

partie basse

partie haute

vers le cimetière

partie basse

Coupes schématiques de la limite topographique traversant le parc de Scalo Vanchiglia. En haut: ^ Limite haute, du côté Pô Au milieu: > Limite basse, du côté du centre-ville. En bas: v Coupe en long du parvis central connectant le cimetière au nouveau quartier et au métro.

vers la bande nord

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parvis central


transition

vers le cimetière

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parvis du cimetière

vers le sud du quartier

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vers le parc

espace tampon

cimetière

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En haut: ^ Coupe schématique de la limite Nord du cimetière. Le mur ajouré, la promenade du corso Regio Parco et le canal forment une transition avec le parc Au milieu: > Jeux de lumière au MuceM (© Guillaume Horcajuelo) et mur ajouré dans un parc à Aschaffenbourg en Bavière (© Angela Bezzenburger) En bas: v Coupe schématique de la limite Est du cimetière. les usagers sont mis à distance et isolés par le canal mais la vue est dégagée sur le parc, ouvert jusqu’au Pô, et permet aux deux espaces de participer l’un à l’autre

cimetière

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canal

promenade et voie


transition

métro et des programmes de type loisirs et culturels. Le plus important correspond à la station de métro centrale. Il lie le cœur du quartier avec l’axe du cimetière que nous avons décidé d’ouvrir au public en permanence afin de connecter la partie Sud du quartier par une liaison piétonne. Les visiteurs du cimetière arrivant par le métro passent ainsi de l’espace public du parvis haut à l’intimité nécessaire au recueillement par deux espaces de transition: le parvis bas et l’axe interne au cimetière. Le parvis central articule la nouvelle avenue plantée qui longe le front bâti nord, et le Corso Regio Parco, devenu une promenade plantée piétonne longeant le mur d’enceinte du cimetière. Ce mur sera ajouré afin de rendre plus perméable la limite franche de l’enceinte et de créer un jeu de lumières sur la promenade. Le long de la promenade, du coté parc, l’ancien canal est réhabilité et remis en eau. Il constitue une transition supplémentaire entre espace urbain et espace de recueillement et marque la direction du Pô. Nous le détournons vers le Sud à l’angle du cimetière pour remplacer le mur Est en tant que limite. Le canal, large de 7m et franchissable par des passerelles au niveau des accès, procure une mise à distance suffisante tout en permettant une continuité visuelle et une interpénétration entre l’espace du parc et celui du cimetière. Ce dernier se prolonge donc jusqu’à la berge.

vers le pô

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Stratégie végétale. En haut: ^ Recadrer l’axe principal du cimetière grâce aux plantations. La bande Nord du parc de Scalo Vanchiglia participe à l’espace du cimetière et inversement. Ci-contre: > Accentuer l’interpénétration des deux entités en reprenant leurs typologies respectives. On retrouvera dans les plantations du parc les tracés rectilignes du cimetière et dans les plantations du cimetière les tracés complexes du parc.

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transition

Renforcer la connexion entre ville et Pô Le principe général pour les plantations dans le nouveau quartier a été de valoriser l’axe ville/Pô. Au niveau des espaces publics centraux cette volonté vient s’ajouter à la question de la participation des espaces du cimetière au reste de la ville évoquée plus haut. Ainsi, pour recentrer la symétrie de l’axe majeur du cimetière (reliant la ville au Pô), nous l’avons recadrée par un travail sur la strate arborée ; en installant une bande végétale dense de part et d’autre de la structure historique, au Nord au niveau du parc de Scalo Vanchiglia et au Sud sur les parcelles encore inoccupées du cimetière. Ainsi la direction ville/Pô est renforcée. Pour intensifier la relation entre l’extérieur et l’intérieur du cimetière, la bande Nord sera séquencée par des ouvertures dans le mail de la strate arborée prolongeant les lignes génératrices du cimetière et, à l’inverse, la bande Sud reprendra la logique des tracés du parc pour créer des ouvertures orientées différemment. Enfin, la densité des plantations dans la bande du parc de Scalo Vanchiglia diminue à l’approche du Pô. Cette gradation permet, par contraste, de donner plus de valeur aux espaces vides à proximité du tissu historique dense et d’ouvrir progressivement le parc sur les grands espaces à proximité du Pô. L’axe de symétrie centrale du cimetière est souligné par un double alignement qui se prolonge jusqu’à la berge et le mail accompagnant la promenade de la berge est interrompu pour dégager l’accès au fleuve. Dans le prolongement du travail de modelé de terrain réalisé dans la partie linéaire du parc, j’ai retravaillé les abords du Pô avec un dispositif de pentes et contre-pentes permettant d’intégrer les ouvrages d’endiguement du fleuve au modelé de terrain.

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En haut: ^ Stratégie végétale. Ouvrir progressivement les espaces de la bande Nord du parc en se rapprochant du Pô. La densité des plantations vers la ville en valorise les espaces ouverts. Ci-contre: > Schéma de projet de l’organisation générale des circulations dans le parc. Une attention particulière est donnée pour valoriser la direction EstOuest aux extrémités du parc. Au centre, la connexion entre Nord et Sud est dominante pour favoriser les circulations internes au quartier.

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transition Rapport à l’eau En haut: ^ Coupe schématique montrant l’intégration des ouvrages d’endiguement du Pô. < Ci-contre: Extrait du plan topographique. Courbes équidistantes de 1m. Intégration de la digue du Pô grâce au modelé de terrain. N

L’éminence offre un point de vue en hauteur vers l’autre rive et la confluence en aval.

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En haut: ^ Plan topographique du

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projet. Le modelé de terrain général déploie une série de promontoires servant de belvédères sur le parc et de banquettes ensoleillées. Ci-contre: > A grande échelle, le projet offre des points de vue sur le territoire de Turin et met en scène les Alpes,, Superga et le reste de la ville. Page de droite: > Coupe schématique du promontoire central, accompagné d’un belvédère. La station de métro qui lui fait face dispose également d’un toit terrasse.

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Du paysage urbain au paysage lointain Le Pô constitue une limite importante à la ville de Turin mais comme évoqué en première partie, il a aussi le potentiel pour être un vecteur d’urbanité et une liaison avec le territoire piémontais. En renforçant la connexion entre le centre ville et le fleuve, une de nos ambitions est d’ouvrir les usagers du parc à un territoire d’une autre échelle grâce au développement des circulations douces métropolitaines et régionales liées au Pô. Cet enjeu d’articulation au territoire se traduit par un autre aspect du travail du sol au sein du parc. Des éminences sont créées le long de la ligne de démarcation entre niveau haut et bas dans la bande Nord du parc et au bord du Pô. Du côté de la bande Nord, ces promontoires sont jumelés aux folies architecturales du parc et le plus grand, situé au centre, contribue à cadrer un côté du parvis. En plus de renforcer la transition entre espaces hauts et bas, les promontoires offrent aux usagers qui les gravissent une situation de belvédère et mettent en scène des points de vue sur le cimetière, la ville et le relief piémontais. Ainsi les Alpes et les collines de Superga ne constituent-elles plus seulement une toile de fond mais participent à la ville.

folie station de métro

parvis

belvédère

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Ci-contre: > Photo de la maquette de travail au 2000e. «appuyer la direction ville/Pô»

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CONCLUSION

Avec la centralité comme leitmotiv, le projet de requalification de l’ancienne gare Scalo Vanchiglia et, plus largement, le projet urbain à l’échelle du quartier de Regio Parco s’inscrivent dans une démarche métropolitaine engagée par Turin depuis 1995 avec le plan régulateur de la ville. Notre volonté de développer le polycentrisme comme principe fondateur du projet urbain s’est ancrée dans l’histoire de la construction de la ville et la variété des enjeux soulevés par le site d’étude nous a permis de la mettre en œuvre. Toujours dans ce cadre, la nécessité de lier les différentes entités du quartier pour affirmer une unité d’ensemble m’a poussé à développer, à titre personnel, une réflexion sur la transition spatiale dans l’espace public. Cette réflexion appliquée au parc de Scalo Vanchiglia, central dans le nouveau quartier de Regio Parco, m’a permis de mettre en place des dispositifs de transition pour faire participer le parc aux entités qui le bordent. Ce travail d’interpénétration du parc entre cimetière, ville et Pô est toujours en cours. Il se poursuivra, en collaboration avec les étudiants en architecture et paysage participant au projet, pour enrichir Turin d’une nouvelle portion de ville.

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BIBLIOGRAPHIE

SUR TURIN ET SON HISTOIRE GRAF Phillipe, «Turin, exemple et modèle d’une centralité urbaine planifiée selon les canons évolutifs du classicisme», Rives méditerranéennes n°26, 2007 REGAZZONI Frederica, Au delà des friches industrielles. Centralités en réseau et durabilité. Le cas de Turin, Université de Lausanne, 2010

SUR LA CENTRALITÉ BEAUCIRE F. et DESJARDINS X. «Centralité. Polarité, Nodalité». 2014 article en ligne disponible sur http://www.citego.org/ bdf_fiche-document-123_fr.html REGAZZONI Frederica, op. cit.

SUR LA TRANSITION SPATIALE COUSIN Jean, L’espace vivant, éditions du Moniteur, Paris, 1980. RENAUDIE Serge, La ville par le vide, Movitcity édition, Paris, 2011

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turin

- friche industrielle - projet urbain - parc - centralitĂŠ - transition spatiale - territoire

David Emilian 2018


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