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La Gazette de Stockholm Accueil #Été 2015

LE FABULEUX DESTIN DE DORITA

Nous nous sommes données rendez-vous au café Delikatessingen de Stora Essingen pour rencontrer Dorita, une des grandes figures de Stockholm Accueil depuis sa création, installée depuis plus de cinquante ans en Suède, afin qu’elle nous raconte son histoire et ses impressions suédoises. C’est une grande femme, dynamique et pétillante, extrêmement attachante.

POURQUOI ES-TU VENUE T’INSTALLER EN SUÈDE ? Je suis Espagnole, née au Portugal, j’allais à l’école française où j’apprenais également l’anglais. Donc, à l’âge de vingt ans, je parlais déjà quatre langues et j’ai alors décidé d’apprendre l’italien en plus. Pour la petite histoire, j’étais déjà étudiante en médecine et à une personne qui me demandait quelle serait la prochaine langue, j’avais répondu : « Un jour j’obtiendrai le prix Nobel de médecine et lors de la cérémonie de remise des prix, je tiens à faire mon discours en suédois. » Je n’ai pas obtenu le Nobel, mais je me suis mariée avec un Suédois et je suis venue m’installer avec lui à Stockholm en 1963 où je suis devenue psychiatre et c’est donc bien le suédois qui est devenu ma cinquième langue. De plus, j’étais complexée par ma taille, j’étais toujours la plus grande des filles et parfois des garçons aussi. Alors je rêvais de rencontrer un homme grand.

QUELLES ONT ÉTÉ TES PREMIÈRES IMPRESSIONS ? Je me souviens que la nourriture n’était pas fameuse, il n’y avait pas de choix. Par contre je n’ai pas souffert du climat. Le manque de lumière ne m’a jamais gêné, peut-être parce que j’avais eu l’habitude de travailler en radiothérapie dans des lieux où il n’y a pas de lumière naturelle. Au début, j’étais étonnée par les femmes à l’arrêt de bus qui font le « lézard » au moindre rayon de soleil : cela me faisait rire mais maintenant je fais comme elles ! J’ai aussi apprécié de pouvoir faire et dire ce que je voulais librement sans avoir peur d’être jugée par le "qu’en dira-t-on".

QU’EST CE QUI A CHANGÉ EN BIEN OU EN MAL DEPUIS QUE TU VIS EN SUÈDE? Je ne vois pas de très grands changements parce que j’ai une grande capacité d’adaptation, ce qui fait que je n’ai ni de grandes joies ni de grandes peines. Ma mère me disait que j’étais plus suédoise que les Suédois et je me rends compte en effet que je suis une personne très "lagom" (expression suédoise intraduisible qui signifie être mesuré, ni trop ni pas assez, c’est le juste milieu).

QUEL EST TON RESTAURANT PRÉFÉRÉ? Quand veux fêter un anniversaire par exemple, je vais à l’Operakällaren, c’est un grand classique de la cuisine suédoise, au décor somptueux fait de chandeliers et de miroirs dans un bâtiment adossé à l’Opéra et qui bénéficie d’une vue magnifique sur le palais royal.

QUEL EST LE PLAT SUÉDOIS QUE TU PRÉFÈRES ? J’aime beaucoup le jambon de Noël (le skinka), les harengs et le saumon gravad lax. Le mieux selon moi pour ne pas grossir… C’est de bien choisir ses parents ! (Je crois beaucoup à l’influence de nos gènes). Il convient aussi de manger de tout avec modération. On en revient au "lagom" !

“LE MIEUX À MON AVIS EST D'APPRENDRE LA LANGUE DU PAYS, CELA PERMET UNE INTÉGRATION PLUS FACILE !”

QUELS SONT LES ENDROITS QUE TU PRÉFÈRES POUR TE PROMENER ? J’aime emmener mes visiteurs à Uppsala, visiter l’université qui est très ancienne et réputée en particulier un vieux théâtre d’anatomie au Gustavianum. J‘aime bien Gamla Stan (la vieille ville), il y beaucoup de bons restaurants dans ce quartier. Je recommande aussi de faire le tour des châteaux royaux autour du lac Mälaren.

QUE PENSES-TU DE L’ASSOCIATION STOCKHOLM ACCUEIL ? QU’EST-CE QU’ELLE T’APPORTE ? Je peux dire que Stockholm Accueil m’a apporté cinquante pour cent de ma qualité de vie ! Avant ma retraite j’étais très absorbée par mon travail et ma famille et n’ai pas côtoyé de francophones pendant les trente-cinq ans de ma vie professionnelle en Suède. Ma retraite a coïncidé avec les débuts de Stockholm Accueil,quelle chance j’ai eue ! Cela m’a permis de rencontrer des amies francophones, je suis rentrée dans le groupe "de fil en aiguilles". Nous faisions principalement du patchwork mais c’était surtout pour papoter et c’était très sympathique ! Puis j’ai intégré le groupe " les bonnes tables". Stockholm Accueil et moi, c’est une grande histoire d’amour. Les jeunes femmes sont, je trouve, de plus en plus jeunes (alors qu’elles ont toujours à peu près le même âge en arrivant en Suède, mais c’est moi qui vieillis ! ).

AS-TU DES CONSEILS À DONNER À DES FRANÇAIS QUI VIENNENT S’INSTALLER EN SUÈDE POUR UNE BONNE INTÉGRATION ? Le mieux à mon avis est d’apprendre la langue du pays, cela permet une intégration plus facile, mais c’est difficile et si on ne reste que quelques années, ça ne vaut pas forcément le coup. Aujourd'hui la connaissance de l’anglais aide beaucoup. Au 16 début, beaucoup de Françaises arrivaient ici sans parler anglais non plus, c était plus difficile pour l’intégration. Pour se plaire en Suède, il faut aimer le froid, même si il n’y a pas de raison d’avoir froid ici. Les équipements et les maisons sont prévus pour et c’est un froid sec et sans vent. J’ai par exemple beaucoup plus froid à Lisbonne qu’à Stockholm !

QUE PENSES-TU DU SYSTÈME MÉDICAL SUÉDOIS ? EST-IL SELON TOI PERFORMANT ? Je pense que le système de santé suédois est performant car, en médecine, il faut toujours regarder ce que ça coûte, et distinguer les soins curatifs des soins esthétiques. Il seratoujours illusoire, selon moi, d’avoir suffisamment de médecins pour tous. Il faut dire que j'ai la chance d’avoir une bonne santé et que j’ai rencontré dans ma carrière de radiologue beaucoup de cas de cancers, cela influence forcément mon point de vue.

QUEL EST TON SECRET POUR RESTER JEUNE ET DYNAMIQUE ? Je suis très indépendante. L’indépendance force à faire les choses soi-même, et c’est ce qui maintient jeune. De plus, j’ai confiance en moi et en mes capacités, et puis je parle beaucoup quand j’en ai l’occasion, comme aujourd'hui avec vous : j’en profite, merci à vous ! Accueil permet de parler d’égal à égal, c’est ça qui est bien dans l’association : le contact entre les générations. Et puis un dernier conseil pour rester jeune, je pense à me remémorer souvent de bons souvenirs.

ENVISAGES-TU DE RESTER TOUTE TA VIE EN SUÈDE ? Oui, j’habite au sud de Stora Essingen et je resterai en Suède. Je pense souvent à la mort, mais je suis peut-être influencée par mon métier. Pour moi, la mort est une solution, ça n’est pas quelque chose de terrible. La qualité de vie est pour moi plus importante que la vie à tout prix. Comme mon fils, et bien qu’athée, je suis très attirée par tout ce qui touche à l’origine de la vie, la théorie de l’évolution. Je regarde de nombreux reportages sur la BBC et je vais à des conférences, je ne m’ennuie jamais !

Laurence Beysecker et Virginie Ferraton

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