Nisimazine 2 Dimanche 18 Mai 2008
Un magazine Créé par Nisi Masa, Réseau européen du jeune cinéma
Tony Manero CinemasturbationS Bouli Lanners
NISIMAZINE CANNES
Dimanche 18 mai 2008
Editorial Sebastiano Pucciarelli
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ls sont jeunes… et écrivent dangereusement. Ça pourrait ressembler à la phrase d’accroche de Bonnie and Clyde (1967 : si proche mais si loin de nous).
Si vous me le demandez, ce magazine essaie lui aussi de prendre des risques. Non seulement parce que les rédacteurs de cette gazette bilingue sont originaires de huit pays différents (imaginez un peu les maux de tête linguistiques de nos réunions éditoriales matinales…), mais aussi parce que leur moteur commun est d’être guidés par la passion, le désir contagieux de partager autour d’un film – et d’expériences de vie. J’espère que vous pouvez ressentir cela à la lecture de ces pages. Que de l’encre va coller à vos doigts et affectera votre façon d’appréhender les films dont nous parlons. Peut-être même votre décision de quoi regarder aujourd’hui. A dire vrai, Bonnie and Clyde fut le premier film que j’ai vu au festival, lors d’une projection sur la plage. Avec en cadeau les lumières de la rue, des cris et de la musique des bars environnants. Pas vraiment l’atmosphère sacrée régnant dans les salles du Palais, mais le film était tellement plein de vie qu’après quelques minutes j’étais complètement accroché à l’histoire. Pas étonnant que durant la scène finale, lorsque notre couple favori de criminels romantiques est pris au piège et massacré par la police, le son d’une sirène faisait écho sur la Croisette. La vie doit prendre son inspiration de quelque part…
Un magazine publié par l’association NISI MASA avec le soutien du programme ‘Europe for Citizens’ de l’Union Européenne et du Ministère de la Jeunesse et des Sports. EQUIPE EDITORIALE Rédacteur en chef Matthieu Darras Secrétaires de rédaction Jude Lister, Emilie Padellec Traductions anglaises Jude Lister Traductions françaises et maquette Emilie Padellec Ont contribué à ce numéro Esra Demirkiran, Johanna Kinnari, Mario Kozina, Julien Melebeck, Helena Mielonen, Marta Musso, Sebastiano Pucciarelli, Silvia Taborelli Photo de couverture: Tony Manero de Pablo Larrain
NISI MASA (European Office) 10 rue de l’Echiquier, 75010, Paris, France. + 33 (0)6 32 61 70 26 europe@nisimasa.com www.nisimasa.com
Film du jour Tony Manero De Pablo Larrain (Chilie-Argentine) La narration naturaliste ajoutée aux mouvements de caméra à la main suivant les pérégrinations de Raul, invitent les spectateurs à entrer en intimité avec lui. Néanmoins ses pulsions inhumaines empêchent toute empathie. Inconfortable situation que celle de partager le point de vue de quelqu’un de si détestable. Ce lien ambigu rappelle notre rapport possible à la Rosetta des Frères Dardenne, ou chez De Niro et Scorsese, à Travis (Taxi Driver, 1976). Acteur principal et co-auteur du scénario très subtil du film, Alfredo Castro porte véritablement l’histoire sur ses épaules. Son air impassible en fait une sorte d’Al Pacino vieilli et minable. Tout au long du film, Raul fait preuve d’une sorte d’autisme existentiel et relationnel – ne souriant jamais, il n’est secoué d’émotions © www.thebluehourmovie.com qu’à la vue de son idole ou à l’écoute de tubes romantiques latino-américains. aul, la quarantaine, est taciturne et peu démonstratif. Le seul trait distinctif qui en fait quelqu’un d’atypique est son obsession pour Les choses se compliquent encore plus pour le film Saturday Night Fever et Tony Manero (John Travolta). Entre Raul rayon relations sexuelles. Pas d’amour deux répétitions des chorégraphies du film avec sa troupe, Raul ne cesse ni de tendresse, encore moins de passion. Les de voir et de revoir ledit film. A la recherche d’un costume blanc, il doit se baisers sont rares ; les actes sexuels eux, restent teindre les cheveux blancs. Tout ça parce qu’il veut devenir le sosie chilien inachevés. Son impuissance et son incapacité à officiel de Tony Manero, via un concours organisé par la TV locale. se connecter aux autres semblent symboliser le pays même où il vit. Car voici le tour de force Malgré les apparences, le second long métrage du Chilien Pablo Larrain du film : dérouler un brillant discours politique n’est pas l’histoire d’une rédemption réussie grâce à la dance, ni une par le truchement d’une histoire quasi anodine, comédie satirique. en ne quittant jamais des yeux ce personnage si trivial et fascinant à la fois. Tony Manero n’est pas le rêve américain. Plutôt, le cauchemar sud-américain Tony Manero est de la même veine que Taxi Non seulement l’intrigue se déroule en 1978, l’une des années les plus Driver : du grand cinéma politique qui n’en a sanglantes du régime de Pinochet au Chili, mais notre homme est brutal pas l’air. et sans pitié, déterminé. Il ferait n’importe quoi pour se procurer une Sebastiano Pucciarelli piste de dance en verre identique à celle vue sous les pieds de Travolta.
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Critique Slepe lasky
Jude Lister
De Juraj Lehotsky (Slovaquie)
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n dit que l’amour est aveugle … mais que dire de l’amour des aveugles? Comment aimer quelqu’un sans jamais avoir vu la couleur de ses cheveux ou l’infime cicatrice barrant son front ? L’amour est-il une alchimie requérant une dimension visuelle? Blind Loves explore la vie quotidienne d’aveugles via l’angle de leurs relations amoureuses. Bien qu’ils n’aient pas l’usage de la vue, leurs autres sens sont souvent exacerbés. Peter est ainsi capable de deviner la performance d’un skieur à la TV en calculant le nombre de secondes pendant lesquelles il n’y a pas de son. Miro lui, que sa petite amie taquine pour qu’il se présente au prix Nobel ou au Guinness Book des Records, est capable de traquer et d’écraser jusqu’à 11 mouches d’affilée. Leurs histoires à tous révèlent les tracas qu’ils doivent surmonter pour le bien de leur amour ou passion. Des conflits se terminant de manière heureuse. Bien que l’idée de départ du film ainsi que son enjeu soient puissants, l’univers créé par la réalisatrice Juraj Lehotský manque de crédibilité.
Peut-être est-ce pourquoi le film échoue à ouvrir de nouvelles perspectives au-delà du sujet choisi – l’une de mes principales attentes face à un documentaire. Bien sûr, être sensible à l’égard des personnes souffrant de déficiences est important ; mais l’amour – qu’il soit reçu ou donné – n’est pas toujours aussi rose que le film en donne l’impression. Esra Demirkiran
Critique Home
D’Ursula Meier (Suisse)
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n est au début de l’été. Une famille un peu bohème vit dans maison plantée à quelques mètres d’une autoroute en construction dont les travaux de raccordement ont toujours été ajournés. Le havre de paix aux allures post nucléaires prend fin le jour où l’autoroute rentre enfin en fonction, s’impose, tranchant le paysage par son flux et son bruit assourdissant. Aliénant… Comme un cancer, le flux automobile détruit petit à petit la cellule familiale complètement déroutée. Le propos s’inscrit directement en critique du monde contemporain. La voiture, le déplacement désincarné, face au modèle sécuritaire du tiercé gagnant : couple, enfants, maison. Le rêve de sédentarité de la famille brisé par celui de déplacement des autres. La migration, le droit du sol. Les thèmes circulent parfaitement. Ursula Meier réussit avec un souci du détail à construire © «Land of Plenty» by Win Wenders (2004) des situations et des personnages originaux et attachants. Le cadre et la lumière complètent l’atmosphère. Le son lui, devient l’ennemi. S’immisce par tous les trous, prend les personnages au piège en créant une sorte de thriller sonore. Meier fait le juste choix de rester sur ce décor en permanence, laissant le monde extérieur hors du champ.
Tels des rats en cage, Marthe (Isabelle Huppert), Michel (Olivier Gourmet), Judith, Marion et Julien sont réduits à traverser l’autoroute par un étroit tunnel réservé au passage des animaux sauvages. La réalisatrice suisse gère son propos en gardant l’histoire proche de ses personnages. On regrettera cependant que l’intrigue s’essoufflant, elle s’accélère ensuite de façon elliptique et nous fait quitter le rythme oppressant du film. Alors que la logique appelait à une fin radicale, la réalisatrice préfère une sorte d’allégorie en demi-teinte qui éteint mollement une histoire dont on espérait un dénouement plus explosif. Julien Melebeck
Interview with:
Albert Serra
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on Quichotte en catalan d’abord, et maintenant une version particulière de l’Adoration des Rois Mages. Comment décririez-vous votre cinéma ? Je dirais que c’est un cinéma lyrique et sophistiqué dans la forme, mais très populaire dans le fond.
Cette année, Albert Serra est le seul réalisateur espagnol sélectionné à Cannes. Après Honor de Cavalleria (2006), il présente son deuxième film, El Cant del Ocells, toujours à la Quinzaine. La nouvelle route suivie est celle des Rois Mages en quête du Messie.Un cinéaste à la jonction entre cinéma primitif et postmoderne.
Pourquoi détournez-vous ainsi les mythes? Par nonconformisme ? Révolte ? Recherche ? Je ne détourne rien. Ces mythes sont seulement des points de départ pour réaliser des films qui leur sont autonomes. La relation de fidélité que les images maintiennent avec le mythe tel qu’on le connaît dans notre imaginaire m’importe peu. À part ses sujets atypiques, votre cinéma présente d’autres particularités, notamment techniques : filmer en vidéo
ou avec des acteurs nonprofessionnels. Pourquoi de tels choix ? Parce que c’est plus facile et plus amusant : on tourne dans des extérieurs isolés, avec des amis acteurs et techniciens de langue catalane, comme moi, sans subir des heures d’attente, sans contrainte de scénario. En en mot, sans obligation… Vous considérez-vous cinéphile ? Quel sont vos sources ? Oui, je me considère cinéphile, même si j’ai été plus influencé par la vie elle-même, la littérature et la critique de cinéma. Le cinéma, je le trouve superficiel.
Pensez-vous déjà à votre prochain film ? Oui, malheureusement… C’est mon travail, je n’ai pas le choix. Bien que, si un jour j’ai assez d’argent pour me tenir à flots sans travailler, je quitterai le cinéma, immédiatement. Mercedes Cubría
1 book, 1 film Gomorra
‘’Cosa Nostra’’, mais plutôt une structure antiétatique révolutionnaire. Le nouveau modèle gagnant est de l’ordre du système financier global: confection et vente de vêtements de luxe, recyclage de déchets toxiques, constructions immobilières. Des activités beaucoup plus lucratives que le business illicite habituel. Saviano décrit ces activités comme l’expression la plus avancée du capitalisme. Depuis des années, nous savons comment les grandes entreprises agissent comme des familles mafieuses afin d’étendre et de protéger leurs affaires. Personne cependant n’avait jamais affirmé l’inverse d’une façon aussi convaincante et documentée. Au vu de sa capacité à décrire avec perspicacité les multiples facettes de ce type d’activités semi illégales Gomorra est une véritable peinture socio-économique de notre époque.
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Matteo Garrone
omorra n’est plus seulement un livre, du moins en Italie. Publié en avril 2006 par Roberto Saviano, un jeune écrivain alors inconnu, il a été depuis adapté en pièce de théâtre et en chanson hip-hop. C’est aujourd’hui, un film. Mais la preuve définitive de ce succès est venue de la contre-attaque lancée par les criminels dépeints de manière exhaustive par Saviano dans son roman-reportage de 300 pages. Une guerre ouverte a été déclarée contre lui : depuis plus d’un an à présent, il vit sous haute protection. Le livre dévoile les nouvelles stratégies économiques des clans criminels basés dans la région de Naples, la vieille camorra ayant été refondue dans la Sistema. Plus de romantisme criminel ni d’idéologie façon
Into the festival
Les films de Scorsese Godfellas et Casino ont été les seules analyses de fond de ce type – à la fois sur un plan humain et économique – à être portées à l’écran. Mais de telles histoires peuvent difficilement être extraites de leur terre natale pour atterrir à New York ou Las Vegas. C’est donc là un sacré défi pour Matteo Garrone. Mais ce territoire brutalisé peut justement s’avérer le parfait point de départ pour un réalisateur qui a déjà réussi à capter l’esprit de notre époque en filmant les lieux réels. Pleinement confiant dans le pouvoir du récit cinématographique, Garrone sera-t-il capable de transférer dans ses images la même que celle des mots de Saviano ? Sebastiano Pucciarelli
Coin du court Ahendu nde sapukai De Pablo Lamar (Argentine~Paraguay)
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e court métrage dirigé par un jeune réalisateur nous offre une expérience poétique, une contemplation intense impliquant « un homme, une colline, une cabane ». Tel est le synopsis certes minimal, mais précis, du film. Tourné dans la ville de Sapucai (Paraguay), le film est constitué d’une seule prise, fixe et continue, révélant davantage une atmosphère qu’une intrigue. Un décrochage efficace unifie dans le plan les quelques éléments et mouvements du film, et l’ambiance sonore (due principalement aux crickets) est complétée par une chanson de Daniela Jahari – unique élément de musique Le film montre la beauté de l’obscurité, et donne au noir une qualité off. Les personnages sont réduits à leurs contours, des sensorielle fascinante. Ce plan fixe s’attarde sur un horizon, dont on silhouettes vues à distance. Tous ces éléments donnent ne peut se soustraire avant l’obscurcissement final. au film une tonalité documentaire. Le titre original est en Guarani, la seconde langue en usage au En 12 minutes, Pablo Lamar donne vie à une sorte de Paraguay. Le réalisateur est né à Asunción en 1984, et étudie à peinture mouvante qui explore l’état d’esprit que l’on peut présent à l’Université de Cinéma de Buenos Aires. Il s’agit de son ressentir face au passage de la vie à la mort. Interviewé, premier court, et heureux hasard, du seul film paraguayen présenté il avoue ne pas vouloir livrer de réel message mais de cette année à Cannes. Au nom de notre magazine promouvant le proposer simplement une expérience visuelle. jeune cinéma, nous lui souhaitons bonne chance. Silvia Taborelli
© Photo / Johanna Kinnari
Photo du jour
Entrée interdite. Reste le son s’échappant de la salle de projection.
Work in progress CinémasturbationS
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Au niveau diégétique, la masturbation est surtout symptomatique de l’état du personnage pratiquant. Plaisir solitaire qui peut être associé à l’expérience de paradis chimiques de type non sociaux (héroïne, médicaments, l’alcoolisme pathologique…), la branlette est en quelque sorte la drogue du pauvre. Le nirvana à portée de main. Telle la dope, la masturbation au cinéma fustige des personnages mal dans leur peau. L’autoassouvissement du désir est la plupart du temps considéré négativement comme quelque chose d’inabouti, de bâclé, d’insatisfaisant. Le branleur est donc un personnage en frustration comme l’est le gros Tobbias de Soi Cowboy, européen vivant en Thaïlande avec sa petite femme locale enceinte. Malgré ses envies pressantes boostées au Viagra, la jeune Thaï évite ses tentatives, contraignant le gros lard à se satisfaire tristement à la main. Le personnage n’est pas nécessairement conscient de sa frustration. Une scène de Young Man Falling, moyen de Martin de Thurah (Danemark) est intéressante à ce niveau. Un jeune ado, forcément adepte de la chose, se retrouve avec une fille dans son lit qui en dormant pose sa main au niveau de son pénis. Plutôt que de retirer son bras ou de la réveiller doucement pour passer à autre chose, le garçon place la main de la fille dans son slip mais pratique lui-même le mouvement ad hoc. Hélas pour lui, la femme-objet ne dormait pas vraiment et, au réveil, lui fait payer cash ce qu’elle considère comme une majeure humiliation. L’ado considérait sa branlette comme un acte en soi, complet et satisfaisant juste agrémenté de la présence inerte de la main de la fille. C’est elle qui lui révèle le côté sordide de son acte et le pousse à sortir de cette introspection pour évoluer vers
© Johanna Kinnari
l y a dans l’acte masturbatoire à l’instar de l’acte sexuel un lien évident avec l’art cinématographique. D’abord par le mouvement répétitif qu’il implique conduisant plus ou moins rapidement vers un point ‘climaxial’ provoquant la petite mort, la fin du film. Qu’est ce qui différentie l’usage de la branlette de la baise « classique » au cinéma ? L’acte, éminemment individuel, ne suppose aucun autre regard, même pas celui du partenaire. Montré il prend ses sources dans l’acte voyeuriste premier que suppose le cinéma. Il reste que la plupart du temps, l’acte est plus ou moins caché, suggéré par ses effets collatéraux : main qui descend sous la ceinture, drap de lit qui bougeotte au niveau du pubis, mouvement du poignet. Dans La Sangre brota, un des personnages se branle dans un parc public mais masque son mouvement sous un journal. Il reste toujours une pudeur qui maintient l’acte caché, tabou, condamnable. C’est bien connu, « ça rend sourd ! ».
une relation normale, c’est à dire amoureuse dans ce cas-ci. Dans Tony Manero, Raul qui se prend pour le John Travolta de Saturday Night Fever, est un personnage que rien n’émeut si ce n’est ce qui tourne autour de son idole. Quand vers la fin du film les choses prennent une tournure plutôt chaude avec sa jeune partenaire, son érection n’est pas au rendez-vous et le couple finit par se masturber chacun de son côté, fébrilement, sans se toucher. Ce duo manophilique fustige à nouveau l’incapacité de Raul, et du branleur en général, à avoir une relation à l’autre, au monde réel et soulignant au passage la pulsion sexuelle animale si
forte qu’elle doit être assouvie mécaniquement, égoïstement. Si la masturbation est une pathologie, elle est aussi le symptôme d’une société individualiste qui ne propose qu’une idée figée d’un plaisir qui n’est valable que partagé. Ce sens unique, sans issue, quasi unilatéralement alloué à la masturbation au cinéma semble occulter l’aspect sympathique et relaxant de sa pratique. Après tout comme a dit Woody Allen « Ne te moque pas de la masturbation ! C’est faire l’amour avec quelqu’un qu’on aime ». Pour autant qu’on l’aime… Julien Melebeck
Bouli Lanners
Portrait Mystic communism and off-the-wall realism
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© Johanna Kinnari
n the 70s, every weekend the parents of little Philippe ‘Bouli’ Lanners made the trip between Calamine, a small village in the region of Liège, and Bastogne, in the Province of Luxembourg, to pay a visit to family. Nose pressed up to the window, Bouli began already to lose himself in the sight of the Ardennes’ landscape moving by. He loves travelling shots; “they are never gratuitous, always intimately linked to the duration”. They are also a way to create intense images of Walloon landscapes, far from the gloomy industrial views generally associated with Belgian cinema. Far from portraying the surroundings through sordid realism, Bouli has a will to give back to the Belgian countryside its beauty and mystery. He loves old cars and driving around for miles; to write, find locations, enjoy himself, cruise for the sake of cruising; to be in motion, listening to a good helping of Milkshakes. To be free. Bouli lives on a houseboat on the quay of the Meuse in Liège, in order to be able to leave whenever he wants. But the houseboat remains well anchored, and Bouli hasn’t set foot on a plane since 1994. The idea of travelling is enough for him. A self-taught painter, he flitted between different jobs in the cinema industry before giving in to his passion for storytelling. He jumped aboard the ‘Snuls’, a group of comedians who started off on the young Canal+ Belgium in 1989. The humour was unclassifiable, and incomprehensible beyond Belgian borders; comical poetic surrealism was submerged in toilet humour sketches. Legendary. A school which Bouli claimed as his own by continuing to work with his collaborators from that period. We remember the extraordinary “out of body experiences”, wherein, via superimposed images, Bouli doubled over to do an irresistibly funny little dance.
Le communiste mystique au réalisme décalé
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ans les 70, les parents du petit Philippe ‘Bouli’ Lanners faisaient tous les week-ends, le trajet entre la Calamine, petit village de la région liégeoise, et Bastogne, dans la Province du Luxembourg, pour rendre visite à la famille. Le nez à la fenêtre petit Bouli perdait déjà son regard dans le paysage ardennais en mouvement. Le travelling, il adore ça, « ce n’est jamais gratuit le travelling, c’est quelque chose d’intimement lié à la durée ». C’est aussi une manière de rendre par une image intense des paysages wallons, loin des vues industrielles glauquissimes associées en général au cinéma belge. Loin du misérabilisme ambiant, il y a chez Bouli une volonté de rendre à la campagne belge d’où il vient sa beauté et son mystère. Il adore les vieilles voitures et faire des kilomètres pour écrire, pour trouver des décors, pour le plaisir, rouler pour rouler, être dans le mouvement, avec un bon morceau des Milkshakes dans les oreilles, libre.
C’est comme ça qu’il passe pour la première fois devant la caméra pour réaliser ensuite deux courts métrage fort primés Travellinckx et Muno, un premier long Ultranova (primé à Berlin), pour enfin se retrouver au Festival de Cannes de France avec Eldorado, son dernier film présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Bouli c’est aussi un acteur à la filmographie impressionnante. Il est entraîneur d’ouverture de porte dans Les convoyeurs attendent de Benoît Mariage, fils de bonne famille bourgeoise dans Bunker Paradise de Stefan Liberski, chanteur finlandais dans Aaltra de Kervern et Delépine, bandit amateur dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit sans oublier le roi de Grèce dans Astérix aux jeux olympiques, sur le tournage duquel Bouli a piqué la chaise de tournage d’Alain Delon pour la faire jouer un rôle cocasse dans Eldorado. Tous ses rôles restent tendres et attachants, à l’image de lui-même.
Bouli vit sur une péniche sur un quai de Meuse à Liège, pour pouvoir partir quand il le voudrait. Mais la péniche reste bien amarrée et Bouli ne prend plus l’avion depuis 1994. L’idée de voyage lui suffit. Peintre autodidacte, il a papillonné par tous les métiers du cinéma avant de céder à sa passion de raconter des histoires. Il est embarqué dans la bande des ‘’Snuls’’, une bande de comiques ayant débuté sur la toute jeune chaîne Canal + Belgique en 1989. Un humour inclassable, incompréhensible au-delà des frontières belges où le surréalisme poétique rigolo se noye dans des sketches bien pipi caca. Un mythe. Une école dont Bouli se revendique ouvertement en continuant à travailler avec ses collaborateurs de l’époque. On se souvient des extraordinaires « quittages de corps » où, par surimpression d’images, Bouli se dédoublait pour effectuer une petite danse irrésistible.
Proposer au public du vrai cinéma, avec une belle image, une musique qui sonne, une fin ouverte et de bons dialogues, être dans le cœur de l’homme est le sacerdoce de Bouli Lanners. C’est le cas d’Eldorado avec ses ciels denses, bleu gris, l’orange du soleil, des clairs obscurs proches de l’empire des lumières de Magritte dans ce paysage presque sauvage sublimé par une bande son puissante et inspirée. Le road-movie au réalisme décalé est empreint de divin et d’un fond moral issu de la base de la chrétienté que revendique Bouli. Il faut aider son prochain, être solidaire de l’être humain, lutter contre la déliquescence de la société par une sorte de « communisme mystique ». La solidarité et le divin.
En 2000, il crée avec quelques compères le ‘‘Festival du film lourd et d’essai’’ qui deviendra ‘’Le festival de Kanne de Belgique’’ à Kanne, petite ville du nord du pays. Comme la sélection de films du festival est un peu maigre, Bouli décide de faire des petits films pour la compléter.
Et tant pis si Marx et Jean-Paul II se retournent dans leurs tombes. Blam ! Bouli est content d’avoir fait le film qu’il voulait faire, d’avoir trouvé son Eldorado, de s’être fait plaisir. Bouli sourit. Et tiens c’est vrai qu’il a un air d’un Jésus content en plus massif, avec l’œil pétillant et le sourire en plus. Alleluia donc, camarade !
In 2000, he created the ‘Festival lourd et d’essai’ (a play on the French term for art house film, art et essai – lourd meaning ‘heavy’) with some accomplices. It would then become the ‘Festival de Kanne’ (a small town in the north of Belgium). As the festival selection was a bit thin, Bouli decided to make films to add to it. This is how he featured in front of a camera for the first time, then going on to direct two multi award-winning shorts Travellinckx and Muno, and a first feature, Ultranova (awarded at Berlin), only to find himself now at the Cannes Film Festival with Eldorado, his latest film, presented in the Director’s Fortnight. Bouli is also an actor with an impressive filmography. He was a door-opening instructor in Les convoyeurs attendent by Benoît Mariage, the son of a respectable middleclass family in Bunker Paradise by Stefan Liberski, a Finnish singer in Aaltra by Kervem and Delepine, and an amateur bandit, in J’ai toujours rêvé d’être un gangster by Samuel Benchetrit - without forgetting the King of Greece in Astérix aux jeux olympiques, during the shooting of which Bouli stole Alain Delon’s chair, later giving it a comical role in Eldorado. All of his characters are tender and engaging, just like he himself. Offering real, authentic cinema to the public, with beautiful images, well-chosen music, an open ending and great dialogues; being in the heart of men is the priesthood of Bouli Lanners. This is certainly the case for Eldorado, with its dense, blue-grey skies, orange sun and chiaroscuro similar to Magritte’s Empire des Lumières in an almost savage landscape sublimated by a powerful and inspired soundtrack. This road movie with an off-the-wall realism is the imprint of the divine and moral foundation, originating from Christianity, which Bouli asserts. One must help one’s neighbour, show solidarity towards one’s fellow human beings, fight against the decay of society by way of a kind of “mystic communism”. Unity and the divine. Too bad if Marx and Jean-Paul are turning in their graves. Bam! Bouli is happy to have made the movie that he wanted to make, to have found his Eldorado, and to have enjoyed himself. Bouli smiles… and yes, it’s true that he has the air of an enormous smiley Jesus, with his sparkling eyes and smile. Halleluiah, comrade! Julien Melebeck
Reportage Chengdu
Q
uelque chose cloche avec l’expression: “Et si les murs pouvaient parler”. C’est faux car cela présume que les murs soient silencieux. Ils ne le sont pourtant pas, surtout dans les films de Jia Zhangke. Qu’il s’agit des murs factices des copies de lieux touristiques étrangers célèbres (The World, 2004) ou de ceux du petit village de Fengjie voués à une démolition prochaine, ces murs ont en effet beaucoup à dire, brouillant les frontières entre espace public et privé, individuel et global, intime et politique.
L’histoire du film suit trois femmes sur trois périodes différentes – de 1950 à nos jours, en passant par les années 1970.
L’exploitation des lieux dans les films de Jia Zhangke est aussi innovante que leur narration et le développement des personnages. Leur esthétique visuelle (ex : l’utilisation d’une caméra digital dans Still Life) renforce quant à elle le réalisme des mondes fictionnels dépeints. La tonalité documentaire que l’on peut ressentir dans ses films est par ailleurs renforcée par le choix même des lieux filmés. Et son dernier long métrage le prouve à nouveau. Er shi si cheng ji© «Land a pour toile de fond la fermeture d’une of Plenty» by Win Wenders (2004) usine située à Chengdu. 20 000 ouvriers viennent de perdre brutalement leur travail, tandis que l’usine elle-même va être démolie pour laisser place à un complexe d’appartements de luxe, appelé « 24 CITY ».
Ils sont au générique... Alessandro Bertolazzi
Maquilleur de Monica Belluci sur le tournage de Sangue Pazzo
Filmer cette ville en particulier n’est pas un choix accidentel. Chengdu est une ville de province située dans le sud est de la République populaire de Chine. Construite sur la plaine fertile de Chengdu, le nom chinois de cette ville : Tinarfuzhi guo, signifie, une fois traduit, « pays paradisiaque » ou « terre d’abondance ». Son climat humide, ses hivers courts et ses longs étés aux températures tempérées ont fait de Chengdu l’un des centres économiques, culturels et industriels de la Chine contemporaine. Foyer de plusieurs branches économiques telles l’électronique, la technologie militaire et la médecine, sa croissance économique a attiré de nombreuses sociétés nationales et internationales. Cependant, il y a de tristes revers à cette prospérité – la fermeture d’usines, la perte de milliers d’emplois. Les trois différentes périodes évoquées dans le film de Jia Zhangke, témoignent de l’aspect à la fois historique et individuel de ce contexte sombre, empêchant ainsi ces histoires de disparaître. Les murs de l’ancienne usine ont beau avoir été remplacés, ils ont toujours beaucoup de choses à dire. Mario Kozina
?????
Si quelqu’un mérite le titre d’ « artiste » dans le milieu du maquillage, c’est bien Alessandro Bertolazzi, qui a travaillé avec des grands noms comme Tom Hanks, Gérard Depardieu et Penelope Cruz.
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ans Sangue Pazzo, le nouveau film de Marco Tullio Giordana sur l’actrice fasciste Luisa Ferida, vous étiez en charge du maquillage de Monica Belluci. La difficulté a vraiment été de saisir le lien entre le fait d’être femme et actrice en période fasciste. J’ai fait cinq mois de recherches. Ensuite, pour fondre le visage de Monica dans celui de Luisa, j’ai décidé de suivre cette piste : d’Ava Gardner à Monica en passant par Luisa. Une erreur habituelle est d’être trop iconographique. Le mieux est au contraire d’adapter les traits naturels de l’acteur à ceux du personnage. De toute façon, Marco ne voulait pas tourner de biopic. Quel aspect du film vous a le plus stimulé? Pour moi ces années représentent le glamour absolu. A l’écran le maquillage réalisé parait extrêmement moderne, mais c’est aussi parce que nous somme encore très inspirés par l’Hollywood des années 30. Dans une scène en particulier vous pouvez vraiment ressentir cet ‘effet masque’ : lorsque Monica se déleste du glamour pour redevenir une femme certes simple, mais toujours très belle.
www.alessandrobertolazzi.it Marta Musso
Le Prix de la Jeunesse
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haque année non seulement les ‘60 à Cannes’ ont l’opportunité de découvrir tout un panel de films présentés au festival mais ils peuvent avoir un aperçu détaillé des différents domaines de l’industrie du cinéma. Une série de rencontres professionnelles avec des personnalités et experts connus leur est en effet proposée. Le programme de l’édition 2008 du Prix de
Trois questions à
la jeunesse (parrainée par - Michel Dubois (directeur Luc Besson) comprend les 5 de production de Entre les Murs, un film en compétition rencontres suivantes : à Cannes en 2008), Christophe Rossignon - Philippe Rouyer (critique de (producteur des films La film, auteur et réalisateur de Haine, Irréversible, ou plus films documentaires) récemment Je vais bien ne t’en On le voit, ces rencontres professionnelles offriront fais pas), - Nicolas Naegelen (ingénieur encore cette année à ces jeunes du son ayant travaillé, entre cinéphiles un très large aperçu autres, sur Les Choristes), du monde du 7° art. - Philippe Reilhac (directeur du festival des 3 Continents à Helena Mielonen Nantes),
Stanislas Berton
Stanislas, 23 ans, vient de terminer ses études à Sup de Co Reims. Originaire de Lorraine, il hésite encore entre métiers créatifs et marketing. Cinéphile et passionné par les nouvelles technologies, il est l’auteur du site de critiques : http://du-cotede-chez-stan.com.
E
tudiant en école de commerce, quelles sont tes activités en lien avec le cinéma? Je suis très cinéphile, et écris entre autres des scénarios - de manière autodidacte.
Quelle est à tes yeux l’importance des prix décernés par les ‘60 à Cannes’? Ces prix, qui en général correspondent à des véritables coups de cœur, permettent de valoriser le regard des jeunes, ce qui est rare. Ils ont une vraie valeur, et devraient avoir le plus de visibilité possible. C’est d’ailleurs grâce à une critique écrite sur La visite de la fanfare que j’ai été sélectionné dans le Jury-Jeunes cette année ! J’en suis évidemment très honoré et très heureux.
© Photo by Johanna Kinnari
Vous êtes 7 jeunes aux horizons divers. Facile de concilier cette mosaïque de points de vue? Nous n’avons vu que quelques films pour le moment mais déjà nos différentes sensibilités s’expriment. Cinéma d’action, d’émotions ou plus cérébral… Personnellement, j’ai besoin d’intensité. J’aime les films chamboulants, qui attrapent à bras le corps la réalité.
c’est un choix
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Une banque aux côtés des associations et entreprises culturelles
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