Nisimazine Jeudi 22 Mai 2008
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Un magazine bilingue créé par Nisi Masa, réseau européen du jeune Cinéma
A festa da menina morta Nuri Bilge Ceylan Alexandra Maria Lara
En partenariat avec
Editorial Laissez-moi réfléchir…
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Sebastiano Pucciarelli
e n’ai jamais aimé l’expression « ce film fait réfléchir », ce type de raccourci qu’on peut entendre à propos de n’importe quel film avec une problématique quelconque.
J’aime par contre quand on dit « ce film est poilant » ou « ce film fout la pétoche» et à la limite j’accepte « fait pleurer ». Cela me semble plus honnête et au final cela définit parfaitement un bon film de genre. Si vous décidez d’aller voir Le massacre des Pom Pom girls 2 de Corman (qui existe vraiment, vous pouvez le voir au Marché), vous savez à l’avance que vous serez amenés à être ou terrorisé ou mort de rire. Selon vos goûts ou peut être juste votre âge. Désolé Roger. Mais « faire » réfléchir comporte cette notion de « forcer » le spectateur à penser. La réflexion obligatoire ne peut donner naissance à un raisonnement brillant. Ces derniers jours, en voyant des films tels que Lake Tahoe, Le silence de Lorna et Snow, j’ai réalisé ce que le bon cinéma signifiait pour moi. Si cela doit être exprimé dans quelques mots : cela vous « laisse » penser. Je ne dirais même pas vous « aide » à penser – le spectateur est un partenaire respectable, pas un enfant retardé. Il s’agit juste de « permettre » l’épanouissement de tout le potentiel de l’activité humaine la plus naturelle et la plus puissante, c’est l’art subtil d’inviter le spectateur à une promenade dans les bois narratifs – une promenade qui n’est pas toujours idyllique ou sans risque, et surtout peut prendre différents chemins. Bonne marche dans les bois, donc, ami promeneur de film…
NISIMAZINE CANNES
Jeudi 22 mai 2008
Un magazine publié par l’association NISI MASA avec le soutien du programme ‘Europe for Citizens’ de l’Union Européenne et du Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. EQUIPE EDITORIALE Rédacteur en chef Matthieu Darras Secrétaires de rédaction Jude Lister, Emilie Padellec Traductions anglaises Jude Lister Traductions françaises Emilie Padellec, Julien Melebeck Ont contribué à ce numéro Maartje Alders, Chloé Averty, Esra Demirkiran, Joanna Gallardo, Zsuzsanna Kiràly, Johanna Kinnari, Mario Kozina, Julien Melebeck, Helena Mielonen, Sebastiano Pucciarelli, Andreas Schenk Photo de couverture: A festa de menina morta
NISI MASA (European Office)
10 rue de l’Echiquier, 75010, Paris, France. + 33 (0)6 32 61 70 26 europe@nisimasa.com www.nisimasa.com
Critique A festa da menina morta De Matheus Nachtergaele (Brésil)
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uelque part aux abords de la rivière d’Amazonie: un village isolé. Le vingtième anniversaire de la fête de la fille morte est sur le point d’être célébré. En attente d’une bénédiction, les habitants des villages alentours se succèdent aux pieds d’un mystérieux Saint, un jeune homme qui, il y a longtemps, a accompli un miracle en sauvant la vie de sa mère. Mais la préparation de la fête ne se déroule pas sans encombre et des conflits inattendus surgissent. Le premier long métrage de Matheus Nachtergaele explore le besoin humain de croire en quelque chose, peu importe que cette croyance soit fondée ou non. Son portrait du jeune Saint et des fidèles qui l’entourent est noir et délibérément empreint d’ironie. Ce Saint est montré comme un homosexuel efféminé obsédé par l’image que les autres ont de lui. Bien que la plupart des membres de sa communauté aient foi en ses pouvoirs, il est en réalité „impuissant“, incapable de mener à bien la moindre tâche, ne serait-ce qu’apporter un verre d’eau à sa tante assoiffée. Malgré tout, son père fait de son mieux pour tirer profit de sa réputation, transformant cette „fiesta“ religieuse en spectacle de mauvais goût; où le kitch tient le haut du pavé. La musique, les rituels et les habits de circonstances sont ainsi affublés de réclames pour telles bières. „Les temps
changent“ déclame l’un des personnages, „même les Pentecôtiers ne pensent plus que s’enrichir est un péché“. Le ton cynique du film est souligné par le fait que le père partage le lit de son fils – et ce n’est pas là qu’une question de manque d’espace... Cette promiscuité physique, s’impose comme un trait comme hérité des attributs de la „Sainte © Alexandre Baxter Famille“, et pourrait faire référence à l’iconographie chrétienne, tandis que les motifs de l’inceste et de l’homosexualité viennent s’entrelacer pour former une sorte de symbole de non-reproductibilité, d’égoïsme et de maltraitance consentante. „Le jour est une illusion“, chantent-ils. Le silence de la Fille Morte cette année a peu de poids pour eux : la seule chose qui leur importe est de croire en quelque chose, même si c’est un mensonge. Le style de Nachtergaele tire souvent sur le grotesque et la performance outrancière des acteurs est parfois irritante. Malheureusement, les mêmes défauts viennent s’appliquer à certaines décisions prises quant à la représentation des personnages et au développement de l’intrigue. Cependant, le point de vue ironique du film sur le besoin de croyance des hommes montre qu’A festa da menina morta est tout de même efficace et suscite bien des réflexions. Mario Kozina
Critique Shultes
De Bakur Bakuradze (Russie)
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e premier long métrage de Bakur Bakuradze, présenté à la Quinzaine, est un drame mettant en scène un pickpocket solitaire nommé Lyosha Shultes. Il vit en Russie, dans une ville délabrée. Sa vie quotidienne est une lente répétition des mêmes faits: attendre un énième nouveau job, regarder la TV, fumer, faire son jogging… Il semble anesthésié, faisant le minimum syndical pour gagner sa vie. C’est seulement à la fin du film qu’il nous est possible de découvrir les causes de ce comportement distant et solitaire. Un an auparavant, Lyosha et sa petite amie ont
été victimes d’un accident de la route; accident qui a coûté la vie à la jeune fille, et suite auquel Lyosha a souffert d’un traumatisme crânien, affectant sa mémoire. La mort récente de sa mère est un autre mauvais coup du sort – un événement qu’il s’efforce cette fois d’oublier. Alors que le puzzle donnant sens à la personnalité et à l’histoire de Lyosha est imprécis et par endroits incomplet, sa détresse émotionnelle est rendue dans toute son intensité, et la cinématographie réussit à transmettre sa lutte intérieure dans toute sa profondeur. Zsuzsanna Kiràly
Critique Knitting
De Yin Lichuan (Chine)
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Tes pieds sont gras”, “Ta cuisine est immangeable”, “T’es décérébrée, ma parole ». A la moindre occasion, Haiti prend un malin plaisir à critiquer Daping. Daping elle, veut tout simplement être avec Chen Jin, un jeune homme accro au loto, allant là où le vent le porte. Knitting, film de l’écrivain-poète Yin Lichuan, qui nous livre ici son second long métrage, est une histoire d’amour triangulaire, donc conflictuelle, ayant pour cadre une métropole gigantesque de la Chine d’aujourd’hui. Un jour, © «Land of Plenty» by Win Wenders (2004) Haili, une ex-(connaissance) de Chen Jin, inconnue de Daping, débarque dans leur appartement et vient brouilleur leur relation délicate. Naïve, cherchant
à exister à travers le regard des autres, Daping réalise difficilement qu’elle ne devrait compter que sur elle-même. Un peu plus âgée qu’elle, Haili, endurcie par moult déceptions, a appris à survivre seule. Sa méthode ? Marcher sur les pieds des autres pour parvenir à ses fins la première. Bataillant pour attirer l’attention de Chen, les deux femmes se tiennent tête, trop égoïste ou effrayée à l’idée de regarder l’autre comme une alliée et non plus comme une adversaire. Les gros plans intenses se mêlent aux vues des paysages urbains. Tout ce qui se situe à distance à l’air impressionnant de beauté. En revanche, tout ce qui est filmé de près est soit en construction soit en décrépitude, symbolisant l’état fragile des relations entretenues par les personnages. Lorsque Chen Jin s’évapore dans la nature, Daping, enceinte, se retrouve au plus bas. Reste Haili à ses côtés, prête à l’aider. Toutes deux vulnérables, elles découvrent qu’elles ont plus à s’offrir l’une l’autre que ce qu’elles attendaient de recevoir de la part de Chen Jin. Le film explore le cœur même des relations entre femmes : la jalousie des corps, les compétitions sans repos dès qu’un mâle est dans les parages, l’inaltérable envie d’amour. Au final, les deux jeunes femmes comprennent qu’elles sont sur un pied d’égalité, aussi fortes et pleines de ressources.
Maartje Alders
Interview avec:
Nuri Bilge Ceylan
Réalisateur de Les 3 Singes(Turquie)
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????
e scénario de Three Monkeys est le fruit de votre collaboration avec votre femme Ebru Ceylan et Ercan Kesal, l’un des acteurs du film. Comment s’est passé cette phase d’écriture à trois ? Lorsqu’Ebru et moi avons entendu parler de l’histoire du sacrifice d’un père, nous avons voulu en faire un film. Ensemble nous avons développé cette histoire et l’idée a évolué. Lorsqu’Ercan s’est impliqué, nous avons modifié le scénario selon ses apports.
Le film traite d’une solidarité cachée et métaphorique entre les hommes – père et fils, employé et patron… Que diriez-vous des femmes ? La famille du film est isolée du reste du monde. Cette solidarité entre le père et le fils est vraie, bien que dans le film elle ne soit pas explicite car ils restent réservés l’un envers l’autre. Bien que nous n’ayons pas montré la femme avec ses amis, quelques informations les concernant sont distillées, pour qu’elle n’apparaisse pas seule. Nous n’avons pas créé délibérément ce type de personnage féminin. Dans certains cas, vos personnages sont
davantage porteurs de sentiments ; comme cette femme.
Ce film dénonce-t-il le manque de communication ? Selon moi, le manque de communication est la fatalité de l’humanité. Beaucoup de personnes bavardes n’expriment jamais de choses essentielles. Chacun d’entre nous est éduquer pour se protéger, et cacher ses impuissances. Les 3 singes se concentre davantage sur la façon dont une personne va réagir face à des situations critiques ou inattendues (ex : comment réagit un homme apprenant l’infidélité de sa femme). Nous ne pourrons jamais prévoir le cours des choses et il y aura toujours des émotions étranges, complexes, incompréhensibles à l’interieur des hommes. Distance, Les Climats et aujourd’hui Les 3 singes : des histoires urbaines. A quel point les villes, et particulièrement Istanbul, sont importantes dans vos films ? Je suis un homme pragmatique. Je fais des films selon les conditions extérieures disponibles. Le décor d’Istanbul n’est pas forcément l’idéal pour mes films. Esra Demirkiran
1 livre/1 film Graffiti Dans Graffiti (la nouvelle), un homme tombe amoureux d’une femme, sans jamais l’avoir vue. Dans une ville sans nom où des milices policières veillent à l’absence totale de libertés, elle et lui dessinent à même les murs, bravant les interdits. Deux êtres innocents dont les bouches de craie crient leur espoir par dessins abstraits interposés. Un soir, pour elle, ça tourne mal : fourgon, prison, torture. L’autre s’enivre, griffonne, attend. Sa liberté retrouvée, elle guérit ses blessures dans l’écriture. Et sur le papier, leurs voix, leur « tu », fusionnent enfin.
L
a première publication de la nouvelle de Julio Cortazar, Graffiti, coïncida avec celle du catalogue de l’exposition consacrée à Antoni Tàpies à Barcelone, en 1978. L’écrivain, né en 1914 en Belgique de parents argentins, rédigea en effet Graffiti à partir de dessins de Tàpies, peintre catalan affectionnant les graphies abstraites. Intégrée plus tard au recueil Nous l’aimons tant, Glenda (1980), Graffiti fait l’objet en 1999 d’une première adaptation cinématographique. Alexandre Aja s’en inspire pour son long métrage Furia, un film d’anticipation où jouent Stanislas Mehrar et Marion Cotillard. Le jeune Géorgien Vano Burdili nous en propose une nouvelle version, en format court à la Semaine.
Dans son moyen métrage, Vano Burdili met en scène une jeune peintre-photographe et un jeune écrivain acculés au silence dans une ville grise sous haute surveillance. Les craies enfantines sont devenues des bombes de peinture achetées au marché noir. Visuellement et sonorement, l’absurdité de la mécanique dictatoriale est forte. Leur urgence à peindre sur les murs, leur désir commun, sont de même palpables à l’écran, sur fond de free jazz et de bande-son bruitiste. La transposition est au final inventive, même si la fièvre poétique habitant la nouvelle n’est pas pleinement ressuscitée. Emilie Padellec
Into the festival NISI MASA European network of young cinema
7th European contest
for short film scripts Theme 2008
Photos © Lasse Lecklin
ESCAPE For people aged 18-28 Deadline 31 July 2008 -----------------------------------------------------------------------------------
An initiative organised in 19 countries of Europe -----------------------------------------------------------------------------------
More information: www.nisimasa-scriptcontest.eu
Portrait Alexandra Maria Lara
Une actrice dévouée aux sommets
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es origines de Alexandra Maria Lara, récemment nominée comme l’une des plus importante actrices allemandes de niveau international, sont à l’image de l’histoire des migrations européennes. Née en 1978 à Bucharest, Alexandra n’était encore qu’une petite fille quand ses parents ont fui le régime Ceauşescu en 1983 pour s’installer en Allemagne, d’abord à Fribourg dans le Sud-Ouest et ensuite à Berlin où ils vivent toujours. A 4 ans, rapidement intégrée, Alexandra s’est toujours sentie bien accueillie en Allemagne, tout autant que sa maman linguiste et son père,Valentin Plătăreanu, ancien vice-directeur du Théâtre National de Bucharest (c’est lui qui a installé l’école de théâtre à Charlottenburg (Berlin) dans laquelle sa fille ira plus tard prendre des cours après son diplôme d’études supérieures). Bien qu’elle revendique ses origines, Alexandra se sent de plus en plus allemande et reconnaît la chance qu’elle a eu d’avoir grandi dans la liberté. « Peu importe ce qui m’arrivera ou à ma future carrière, Berlin sera toujours mon chez moi ».
© www.global-metropolis.net
À 11 ans déjà elle fait sa première apparition à la télévision. A 16 ans, elle tient le rôle principal dans Mensch, Pia! et modifie alors son nom de Plătăreanu en Lara. Elle a ensuite joué dans différentes séries télé comme Der Tunnel et Napoléon avant le tournant de 2004 où elle obtient le rôle de Traudi Junge, la secrétaire d’Hitler (Bruno Ganz) dans La chute. Grâce au succès du film, sa carrière prend une ampleur internationale et entérine son passage de la télévision au cinema. Depuis les demandes pleuvent et sa popularité ne fait qu’augmenter. Malgré cela, elle insiste pour dire qu’elle est ouverte à toute proposition de rôles petits ou grands, pour la TV ou le cinéma. Ces dernières années on l’a vue dans des films allemands comme Vom Suchen und Finden der Liebe (Helmut Dietl) et Der Fischer und seine
Acting devotedly to the top
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he origins of Alexandra Maria Lara - recently named one of the most important German actresses on an international level - form a familiarsounding European migration story. Born in 1978 in Bucharest, Alexandra was just a little girl when she and her parents fled from the Ceauşescu regime in 1983, going on to settle in Germany - first in Freiburg in the South-West, and afterwards in Berlin, where all three of them still live. As a four-year-old, Alexandra was quickly integrated and always felt welcome in Germany, as did her mother, a linguist, and her father Valentin Plătăreanu, former Vice-Director of the state theatre in Bucharest (it was he who installed the theatre school in Charlottenburg, Berlin, where his daughter would later take courses after obtaining her high-school diploma). Although she appreciates her origins, Alexandra feels German through and through, and is thankful that she had the chance to live a free childhood. She states that “no matter what happens to me and my career in the future, Berlin is always going to be my hometown”. It was at the early age of 11 that she got her first role on TV. At 16, she played the main character in Mensch, Pia! and changed her last name from Plătăreanu to Lara. Various TV productions such as Der Tunnel and Napoleon followed, before the big breakthrough in 2004 when she played Traudl Junge, the secretary of Hitler (played by Bruno Ganz) in The Downfall. The wide success of the film made her internationally known and marked an important move from TV to cinema. From then on the amount of offers and her level of fame rose constantly. Nevertheless, she emphasises that she always wants to be open to every kind of role, be they small or major, in TV or in cinema. In the past few years she has been cast in German films such as Vom Suchen und Finden der Liebe (Helmut Dietl) and Der Fischer und seine Frau (Doris
Dörrie), as well as international productions such as Control (Anton Corbijn), Youth Without Youth (Francis Ford Coppola), and The City Of Your Final Destination (James Ivory). She is currently working on Der Baader Meinhof Komplex (Uli Edel), The Dust of Time (Theodoros Angelopoulos) and The Reader (Stephen Daldry). Something of an amazing film list for a 29-year-old actress… This year Alexandra Maria Lara is returning to the Cannes Festival as member of the Feature Film Jury, where Control was presented last year. There are many reasons for this success story - talent, hard work and modesty being the main ones. Her supportive parents, and of course the good luck of being spotted that early on for TV films, have also played an important role. The special quality of Lara’s performances is to be found in her understated facial expressions and gestures, and her tranquil, sometimes a little startled, disbelieving gaze. She is mainly engaged in strong female characters who are loyal, independent, optimistic and passionate (good examples being Annik Honoré, the lover of singer Ian Curtis in Control, or the successful Annette, who despite all her realism truly believes in fate and love in Nackt), but she plays all of these characters in a light and modest way, without confirming female character stereotypes. Her subtle method, concentrated on small details and emotions, demonstrates the strength of every personality she plays. Her beauty and dark brown eyes are certainly striking, and she gives every figure a certain kind of amiable charm. Nevertheless, in order not to be typecast and bring out other qualities, it would be exciting to see her in a darker, rougher role - daring to look drawn by life, wasted. There is no doubt that, given the opportunity, she would outperform here too.
Frau (Doris Dörrie) mais aussi internationaux comme Control (Anton Corbijn), L’homme sans âge (Francis Ford Coppola), et The City Of Your Final Destination (James Ivory). Prochainement on la verra dans Le complexe Baader Meinhof (Uli Edel), The Dust of Time (Theodoros Angelopoulos) et Le liseur (Stephen Daldry). Un rôle plutôt étonnant pour une actrice de 29 ans… Cette année Alexandra Maria Lara revient à Cannes comme jury pour la competition officielle où Contrôle était présenté l’année dernière. Il y a plusieurs raisons à cette success story dont les principales sont le talent, le travail et la modestie. A cela il faut ajouter le soutien de ses parents et bien sûr la chance d’avoir été choisie très jeune pour des séries télé. Ses atouts : des gestes grâcieux, une expression de visage subtile associée à un incroyable regard intense, tranquille et quelque fois un peu surprenant. Elle joue la plupart du temps des rôles de femmes à caractère fort, loyales, indépendantes, optimistes et passionnéees (un bon exemple est Annik Honoré, la maîtresse du chanteur Ian Curtis dans Control, ou Annette, la femme d’affaire, qui malgré son pragmatisme, croit vraiment au destin et à l’amour dans Nackt). Mais elle interprète toujours ses personnages avec fraicheur et modestie, sans tomber dans les stéréotypes féminins. Sa méthode soignée, concentrée sur les petits details, les petites émotions, révèle la force des personnages auxquels elle donne vie. Sa beauté, avec ses yeux bruns foncés, est indiscutable. Alexandra Maria donne à ses personage une forme de charme attachant. Cependant, pour ne pas être coincée dans un type de rôle et révéler de nouvelles qualités, il serait intéressant de la voir dans un rôle plus noir, plus dur, pour lequel elle aie le courage de paraître dépressive ou ravagée par la vie. Il n’y a pas de doute que si elle en a l’opportunité, elle livrera une prestation inoubliable.
Zsuzsanna Kiràly
Reportage I Cannes Get No
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Moteur. N’ayant pas le permis, c’est le cousin qui les conduit à Cannes depuis Namur (Belgique), 18 heures de route à du 90 km/h dans une vieille R5. Par trois fois la douane française les arrête sur le trajet. Xavier Diskeuve, réalisateur belge de courts métrages a réuni ses deux comédiens fétiches, Nicolas Buysse (Walter Molitor), François Maniquet (le cousin Jacques) et une équipe légère de 4 personnes pour tourner en trois jours à deux caméras I Cannes Get No, un court métrage de 10 000 euros récupérés sur les bénefs de ses précédents films. Sur une base écrite vient se greffer l’impro des deux zozos tout droit sorti d’un Strip Tease. L’attroupement que génère leur tournage est amusant, tout le monde essayant de savoir de quelle star il s’agit. Les comédiens se connaissent bien et maîtrisent leurs personnages, Walter, grande gueule complètement beauf et Jacques le cousin neuneu. Une scène s’improvise où Jacques s’appuie de dos contre une colonne publicitaire tournante de la Croisette. La tête de Droopy qu’il tire et le mouvement « massant » de la colonne créent un effet comique à la Tati des plus réussis. Toute l’équipe se marre. Nicolas Buysse, cherche de l’eau, pour une fois il fait chaud sur la Croisette. Hier il a joué la scène où son personnage tente le tout pour le tout en déclamant une tirade de Cyrano en pleine Croisette, attirant d’un coup 200 curieux.
Interview - Au générique:
© Photo Johanna Kinnari
imanche, 18 mai. Santiags, mal rasé, lunettes noires, Walter Molitor mouille sa chemise sur la Croisette distribuant ses CV aux paparazzis, suivi docilement par son cousin Jacques en K-Way. Acteur Walter vient faire des contacts sur la croisette, bilingue, il peut faire des cascades.
« C’était assez troublant pour moi car c’est une sorte de mise en abîme, étant moi-même comédien pas très connu ». La fine équipe a bénéficié de l’aide des gens sur place comme la permission de tourner sur le yacht Arte et de leur emprunter leurs smokings. Le projet est avant tout une façon pour Xavier Diskeuve qui n’a plus tourné depuis 2005 de se remettre dans l’énergie d’un tournage, de s’exercer en expérimentant gaiement avec son équipe. « On commençait à un peu oublier nos rêves et cela nous a réveillé ». Il développe pour le moment un long métrage sur les apparitions de la Vierge dans une petite ville de Belgique avec François Maniquet dans le rôle principal. En attendant parmi l’équipe, il est question de savoir qui va se taper le chemin de retour dans la R5.
Wild Bunch Distribution
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Julien Melebeck
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uel est l’enjeu pour Wild Bunch Distribution à Cannes ? A.J. : C’est un événement très important pour promouvoir nos films. Mais tout ne se joue pas ici. En 2007 We Own the Night, le film de James Gray, dont nous présentons son nouvel opus cet année Two Lovers, n’a pas reçu un accueil enthousiaste de la part de la critique. Certains ont ensuite changé franchement d’avis lors de la sortie en France. Au-delà des médias, comment préparez-vous ici l’exploitation des films ? N.C. : Nous enchaînons les rendez-vous avec les exploitants français afin de leur montrer nos nouveautés. Ils viennent faire leur marché pour leur salles de cinéma. Wild Bunch Distribution est une société française de distribution de films, qui présente 4 films en sélection officielle cannoise. Nathalie Cieutat, programmatrice et Anne Jacquelin assistante communication, nous parle de leur travail. --Photo au-dessus: Nathalie, Anne et Charles Vannier
Le nouveau documentaire d’Emir Kusturica sur un mythe du ballon rond, que vous distribuez, est un véritable événement sur la Croisette… A.J. : Maradona par Kusturica concentre beaucoup d’attention puisqu’il réunit deux stars dont la présence à Cannes était très attendue . Mais il ne faut pas croire que la promotion du film soit facile. Il faut gérer toute cette attente. Propos recueillis par Joanna Gallardo
Work in progress
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Marcher en musique: liberté?
ouvenez-vous de cette époque heureuse où écouter de la musique en marchant était encore un plaisir tout neuf. De cette magie des ‘clics’ de walkmans, tellement ‘cheap’ mais inoubliables, du plaisir à voir se dérouler la bande de vos K7, grâce à leur face visible. Rappelez-vous les bracelets plastiques de couleurs, les coupes de cheveux uniques, etc… A cette époque, le monde, à peine sorti des mouvements libertaires des années 1970, se dirigeait malheureusement vers une ère plus futile : une ère dominée par le néo-conservatisme et l’apolitisme de masse de la jeunesse. Un temps émaillé de produits commerciaux certes plus diversifiés, mais plus triviaux. Chose peu surprenante : faire état des tendances d’une époque à travers ses produits artistiques et culturels nous donne une très bonne idée de la réalité du moment. Le cru 2008 du festival de Cannes a accueilli dans sa sélection de nombreux films rythmés par des chansons pop des années 1980. Dans Tony Manero, un film dont le personnage se passe en boucle de manière obsessive le film La fièvre du samedi soir, nous avons le droit à d’inoubliables scènes de dance dans la pure tradition des années soixante dix. Raul veut gagner un concours télé devant primer le sosie de Manero. A part regarder La fièvre et répéter les dialogues du film avec un accent anglais accidenté, il ne cesse d’écouter des tubes latinos des années 1980. Pour beaucoup, la musique produite à cette période est forcément marquée par le sceau du kitsch – entendu ici dans le sens de mauvais goût, mais aussi en référence à une certaine idée d’état inachevé et brut. Malgré leur pouvoir séducteur, les émotions transmises par ces musiques au spectateur sont comme fausses et trompeuses… Dans l’une des séquences du documentaire animé Valse avec Bashir, des soldats israéliens écoutent des hits pops des années quatre-vingt. Dans le cas présent, l’histoire elle-même se passe à cette époque là, en plein conflit entre Israël et le Liban. N’ayant pour la plupart pas la moindre idée de la raison de leur implication dans la guerre au Liban, ces soldats se divertissent en dansant au son de ces tubes, tout en agitant leurs armes. La structure des ces chansons pop des années quatre-vingt était quelque part similaire à l’inconscience de ces soldats, animés qu’ils étaient par des sentiments futiles et éphémères, se préoccupant peu de l’état du monde alentour… Ces chansons demandent peu d’efforts à l’auditeur. « Consommez vite et demandez-en toujours plus »; tel pourrait être leur slogan commercial. A l’inverse, voici ce que met en lumière La valse avec Bashir : la guerre a justement besoin d’être questionnée.
Tony Manero
Ces soldats – enfants des années 1980 – n’en avaient pas encore conscience. Dans le film bosniaque Snow, l’un des personnages féminins, vendeuse de conserves faites maison, écoute aux côtés d’un camionneur la chanson italienne Libertà (1988) alors qu’ils discutent ensemble des personnes tuées pendant la guerre. Cette chanson évoque au même moment l’importance de l’unité : « Liberté, tu fais pleurer tant de gens, mais sans toi, la solitude règne ». Ici, le sens implicite de la musique utilisée prend un tout autre sens – premièrement, car la lutte pour la liberté est intemporelle, et deuxièmement, parce qu’il révèle que cette nouvelle décennie n’a pas apporté plus de liberté qu’auparavant. C’est crucial de noter comment les années ’80 ont engendré
une génération qui exprimait ses idées non plus avec des mots mais avec des couleurs, des accessoires tape-à-l’oeil et kitsch. Malgré cette tendance dominante, ces années connurent aussi leurs mouvements de jeunes impliqués dans la lutte des drois de l’homme. A cette époque où MTV est né (1981) et la culture américaine pop est montée en puissance avec pour toile de fond politique la chute du mur de Berlin (1989), il semble tout de même que le monde est accouché d’une nouvelle jeunesse, de moins en moins politisée. Les Smurfs, Voltron, Karaté Kid, les VHS, Terminator, Elm Street, Ronald Reagan, Retour vers le futur, Madonna… Cet éclectisme en matière de produits culturels signifiait-il plus de libertés, ou n’était-ce qu’un mirage multicolore où les goûts et les règles du monde étaient décidés d’avance ? Esra Demirkiran
Le coin du court Beyond the Mexique Bay De Jean-Marc Rousseau Ruiz (France)
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a semaine de la critique propose pour sa clôture le film mexicain Desierto Adentro, précédé du court-métrage Beyond the Mexican Bay de JeanMarc Rousseau Ruiz. Le désert est donc à l’honneur de cette séance entière. Dans ce film court et dépouillé, où l’amour est impuissant à protéger de la mort, le désert est plus qu’un simple cadre. Il est d’abord ce qui permet la brève rencontre d’un homme et d’une femme: « On m’a dit que vous pouviez m’emmener dans le désert », demande cet européen fatigué à une belle jeune femme mexicaine, occupée à vendre des bijoux sur le marché. La jeune femme guide cet homme silencieux et discret dans le désert et tente, malgré la différence des langues, de parler avec lui. Qu’elles soient triviales ou contraire plus graves, les émotions humaines tendent à parler d’elles-mêmes. Ainsi ces deux personnages qui évoluent côte à côte parviendront-ils à échanger l’essentiel, à parler de leur passé, de leur expérience de la mort et de la perte. Leur rencontre éphémère ne pourra pourtant changer la destinée inéluctable de cet homme dont le calme apparent ne cache au fond qu’une grande tristesse.
Le paysage du désert est ici tour à tour le lieu dont on a rêvé, le lieu où l’on a perdu ceux qu’on aime et enfin, le lieu où l’on vient mourir. La séquence finale, seul moment de lyrisme de ce road-movie contemplatif, prend ainsi la dimension d’une fuite éperdue devant la mort, sans doute perdue d’avance, mais pourtant nécessaire. Ce n’est qu’alors que le film, d’une sobriété extrême, prend sens et trouve son aboutissement. Ses maladresses techniques, notamment l’image inégale, deviennent alors touchantes et sa sobriété extrême lui donne la dimension d’une fable sur l’existence humaine en fuite devant la mort. Chloé Averty
© Photo de Carlos Val Naval
photo du jour
Maradona et le “Non-Sweating Orchestra”!
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artie intégrante du programme des ’60 à Cannes’, un atelier vidéo d’un jour est proposé aux jeunes participants originaires de l’Europe entière. Chaque jour, une équipe internationale réalise un court métrage en rapport avec l’un des films projetés dans le cadre de la Semaine de la Critique, de la Quinzaine des Réalisateurs et d’Un Certain Regard. Les jeunes cinéphiles visionnent le film en question avant de mener une interview avec le réalisateur puis d’exprimer leur opinion face caméra et de façon créative. Participer à la création de ces courts métrages n’est pas seulement une expérience ludique et pédagogique, mais aussi une opportunité formidable de rencontrer des réalisateurs professionnels et de mieux connaître leurs approches. Une fois réunis ensemble, la douzaine de ces courts donnera un riche aperçu du programme 2008 du festival de Cannes. Opportunité en or également de montrer les divers regards posés par la nouvelle génération sur le cinéma actuel. Les films peuvent être consultés en ligne sur le site internet officiel du Prix de la Jeunesse et sur le site de France 5.
Trois questions à
Helena Mielonen
Brigitte Faure
Par Andreas Schenk
Directrice de production française, Brigitte Faure à intégrer l’univers de l’audiovisuel après une formation en école de commerce. Elle a travaillé entre-autres avec Patrice Leconte (L’homme du train) et dernièrement, avec Anne Fontaine (Nouvelle Chance).
A
près toutes ces années de métier, vous ne semblez pas avoir perdu votre motivation. Qu’est ce qui vous pousse à poursuivre? A côté des aspects artistiques, c’est surtout la diversité des personnalités et des avis qu’on peut rencontrer sur un plateau de tournage. C’est aussi le professionnalisme et la passion qui animent ce domaine que j’adore. Les membres d’une équipe peuvent même être parfois si motivés qu’ils acceptent des travailler malgré des salaires précaires. L’une des tâches qui me tient à cœur est de m’assurer des bonnes conditions de travail de tout le monde pour le bien de leurs projets. Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes? Je veux leur passer le goût du cinéma, la passion et toute l’énergie nécessaires à ces métiers. Il ne faut surtout pas qu’ils s’arrêtent avant d’atteindre leur but. Parfois, tomber peut faire mal, mais on apprend avec le temps. Quelle(s) démarche(s) leur conseillezvous de suivre? De faire des stages. Les grandes écoles de cinéma offrent d’ailleurs de bonnes chances pour ouvrir des portes. Ces établissements permettent aussi de rencontrer d’autres jeunes cinéphiles et de créer et d’étendre facilement ses réseaux.
petites & grandes arnaques
Les filles de feu Jean-Sébastien Chauvin
N
ous ne pousserons pas de cris d’orgasme ni d’angoisse comme les deux héroïnes de Les filles de feu. Pourtant, nous nous retenons de frémir... de consternation. Qu’a souhaité évoquer JeanSébastien Chauvin dans ce film : le mystère du désir féminin lesbien, la fulgurance des pulsions? Le réalisateur semble dépassé par son sujet, malgré ses tentatives de représenter le visage féminin comme motif du désir. Visiblement, JeanSébastien Chauvin est fasciné par les paysages saphiques, tandis que le spectateur cherche ce qui se cache au-delà. A l’horizon, rien n’arrive. Il n’y a pas de fumée… sans feu. Joanna Gallardo
© Photo Johanna Kinnari
Prix de la Jeunesse: Ateliers Vidéo
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