n°7 - ÉTÉ 2013 n°1 - JUIN 2010
N° CPPAP : 0413 T 91309
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Le Grand dossier La transition énergétique Dossiers Zoom sur la ville de demain La sécurité industrielle dans les villes Comment mobiliser les exclus de la participation La ville fait son cinéma Portfolio Comme un arbre dans la ville...
15 €
04 • Les rendez-vous de la ville responsable
ZOOM sur La ville de demain 07 • La ville de demain, d’hier à aujourd’hui 10 • Entretien avec Frédéric LENNE 12 • Entretien avec Fanny Maestracci
LE GRAND DOSSIER : LA TRANSITION ÉNERGETIQUE 14 • La transition énergétique c’est quoi ? 18 • Un débat pour créer une loi 19 • Comment réduire les dépenses énergétiques de ma commune ? 21 • L’éolien... oui mais chez les autres ? 23 • Le traitement de la précarité énergétique, la nécessité du changement d’échelle et de l’action locale 24 • Entretien avec Michel DERDEVET 25 • Un nouveau souffle pour la géothermie en Île-de-France
Le portfolio D’HERMINE CLÉRET 27 • Comme un arbre dans la ville...
Les Cahiers de la ville responsable • Édition Etat d’Esprit • 35 boulevard de Strasbourg – 75010 Paris • Tél : 01 45 260 260 • cahiersvilleresponsable@etat-desprit.fr • Directeur de la publication : Grégoire Milot • Rédactreur en chef : Grégoire Milot • Rédacteurs : Géraldine Brochon, Laïss Barbouk, Benoît Fagnou, Lucie Gaudet, Laurent Godineau, Karen Hollington, Simon Mazajczyk, Alexandra Merlot, Grégoire Milot, Antoine Milot, Majdoline Ouldelhkim, Emilie Walker, Sophie Zamora. • Direction artistique : Laurent Beausoleil • Copyright : état d'Esprit, Fotolia • Couverture : Hermine Cléret.
Une ville durable : PRéVENIR ET AGIR 34 • Gâchis alimentaire : la prise de conscience est enclenchée 38 • Le périphérique parisien, la quarantaine verte
Une ville innovante : LES ENJEUX DE LA SéCURITE INDUSTRIELLE POUR LES VILLES 44 • La sécurité industrielle dans les villes : entre précaution et développement 48 • Interview de Jean-Luc VENTURA
Une ville en débat : TOUCHER LES BONS PUBLICS 50 • Comment mobiliser les exclus de la participation ? 55 • Interview de Sami KOUIDRI 56 • La concertation transfrontalière : entre mythe et réalité 58 • Entretien avec Tangui LEFORT
Une ville pour tous : LA VILLE sous les feux des projecteurs 60 • La ville fait son cinéma 66 • Interview de Michel GOMEZ
Une ville insolite : LA VILLE SOUS L’EAU 68 • La ville aquatique : des quartiers flottants aux villes immergées
La gestion du temps long Le monde des collectivités territoriales doit préparer son avenir. Au-delà des dépenses structurelles et fonctionnelles, les dépenses d’investissement sont essentielles pour construire l’avenir du territoire. Equipements, infrastructures, aménagement, ressources humaines... il faut, pour les élus, à la fois connaître, évaluer et décider. Or, cette démarche s’inscrit dans un calendrier souvent long. Ce nouveau numéro illustre, dans des domaines très variés, les limites des prévisions. Difficile de prévoir où les citoyens vivront et travailleront, comment ils se déplaceront, quels seront les loisirs, les activités et les services qu’ils attendront de leur ville, département ou région. Peut-on penser la ville de demain ? Beaucoup le font, la réalité est plus complexe. Il est toujours amusant de se replonger dans ce que l’on écrivait hier, pour nous parler de l’avenir de nos villes. Comme l’explique Frédéric Lenne, s’il est difficile de savoir ce que seront nos collectivités, on peut en revanche plus sûrement dire ce qu’elles ne seront pas. Notre cadre d’action évolue. Les grands débats en cours risquent d’avoir un effet direct sur de nombreux aspects de la gestion et de l’organisation du monde public. Nous pensons en particulier à la transition énergétique dont le débat national s’achève. La loi en préparation aura sans nul doute un impact sur les collectivités. A l’heure où celles-ci se mobilisent de plus en plus sur la production renouvelable et sur des choix d’aménagement, on saura mieux – a priori – qui va faire quoi, comment et avec quels financements. N’oublions pas que les dépenses énergétiques ont un poids non négligeable dans le budget des collectivités. L’investissement, c’est aussi la gestion du risque. Les maires sont directement concernés par la sécurité aussi bien des entreprises accueillies que des équipements qui assurent les missions de service public. C’est une donnée importante à intégrer dans la gestion des grands projets. L’action doit se doubler de prévention. Cela est d’autant plus nécessaire dans cette période où le principe de précaution s’impose. Mais l’avenir heureusement, c’est également le rêve. Dans des domaines très variés, nous verrons comment l’avenir se prépare. D’abord en faisant évoluer nos pratiques pour traduire dans les faits un développement durable souvent annoncé et espéré. La maîtrise des risques alimentaires en est un bon exemple. Ensuite en faisant évoluer nos méthodes. La concertation doit se traduire dans les faits par des actions directes auprès des publics plus éloignés des démarches participatives. Gouverner, c’est non seulement choisir mais aussi anticiper, financer et expliquer. Cela prend du temps. A l’heure où l’on veut que tout aille « plus vite », il est urgent de le faire partager. Les Cahiers de la ville responsable
Agenda
Les rendez-vous de la ville responsable
Evènements Les Journées européennes du patrimoine Les 14 et 15 septembre 2013 La 30e édition des Journées européennes du patrimoine se déroulera les 14 et 15 septembre 2013 et aura pour thème principal « 1913-2013 : cent ans de protection ». Organisées dans plus d’une cinquantaine de pays et régions d’Europe, ces journées du patrimoine permettent au public de découvrir des lieux qu’il fréquente peu ou qui lui sont habituellement fermés. En France, il est ainsi possible de visiter des monuments, des théâtres, des châteaux, des églises mais aussi des demeures privées, des tribunaux, des banques ou encore des hôtels de ville. Plusieurs manifestations sont organisées en parallèle, telles que des visites guidées, des concerts, des circuits, des démonstrations de savoir-faire, etc. Ce rendez-vous culturel de septembre permet également de sensibiliser le public aux enjeux de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine public et privé. Pour en savoir plus : www. journeesdupatrimoine.culture.fr
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Semaine européenne de la mobilité Du 16 au 22 septembre 2013 La Semaine européenne de la mobilité a pour ambition de nous inciter à changer nos comportements en matière de déplacements, aujourd’hui sources d’émissions de gaz à effet de serre. Organisée par le Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie et ses partenaires comme l’Ademe, elle s’adresse principalement aux collectivités locales ainsi qu’aux entreprises de transport, aux associations, etc. Cette semaine de la mobilité est organisée à partir d’un appel à projet national qui a été ouvert en juin 2013 pour que les participants proposent des évènements relatifs à la mobilité douce. Pour en savoir plus : www.agissons.developpement-durable.gouv.fr
Ecocity 2013 Nantes Du 25 au 27 septembre 2013 Cette année, la France accueille le Sommet international de la ville durable. Pour sa 10e édition, Nantes organise l’événement dans le cadre de son programme « Capitale verte européenne 2013 ». Une attention particulière sera portée à la sécurité routière et aux enjeux du développement durable. Cet événement aura pour thème « La ville comme chantier essentiel pour la réponse aux enjeux globaux de la durabilité ». Cette manifestation a pour objectif de favoriser la rencontre des décideurs locaux, territoriaux et gouvernementaux avec le monde de la recherche et la société civile. Ecocity est organisé pour former une plate-forme de discussion chargée d’accélérer le changement de la ville à l’échelle mondiale. Pour en savoir plus : www.ecocity-2013.com/fr
SALONS
Salon des maires et des collectivités locales
Waste Meetings 2013 Lyon, Espace Tête d’or Les 9 et 10 octobre 2013 Complémentaire des offres de salons traditionnels, Waste Meetings s’inscrit dans une démarche de rendez-vous d’affaires dédiés exclusivement au traitement, au recyclage et à la valorisation des déchets. Dans un contexte de ralentissement économique et d’augmentation des cours des matières premières et de l’énergie, ce salon incite les industriels et les collectivités locales à considérer leurs déchets comme une ressource à exploiter. Pour en savoir plus : www.wastemeetings.com
Batimat
Paris, Parc des Expositions - Porte de Versailles Du 19 au 21 novembre 2013 La 18e édition du Salon des maires et des collectivités locales réunira de nouveau les acteurs du marché de la commande publique ainsi que leurs partenaires institutionnels ou spécialisés. Evénement organisé par le groupe Le Moniteur en partenariat avec l’Association des Maires de France, il accueillera des centaines d’exposants répartis dans 11 zones thématiques telles que l’environnement et l’énergie, l’institutionnel, les finances et les services ou encore l’enfance, la santé et le social. Des conférences se tiendront également lors de ces trois jours et des prix seront décernés pour récompenser l’innovation et les réalisations exemplaires au sein des collectivités. Cette manifestation majeure du secteur des collectivités locales offrira aux décideurs de l’achat public des réponses et des solutions concrètes aux situations rencontrées dans l’exercice quotidien de leur mission. En parallèle se tiendra le 96e Congrès des maires et présidents de communauté de France. Pour en savoir plus : smcl.salons.groupemoniteur.fr
Pollutec Horizons Paris, Parc des Expositions Du 4 au 8 novembre 2013 La conception architecturale sera au cœur du salon international des acteurs du bâtiment. Batimat permet de découvrir les nouveautés du marché du bâtiment. C’est une vitrine pour les innovations des industriels. Plus de 3 500 exposants participent à ce rendez-vous annuel.
Paris, Parc des expositions-Villepinte Du 3 au 6 décembre 2013
Trois événements dresseront un panorama complet sur les constructions actuelles et futures : le Congrès « Architecture & Cities » accueillera plus de 30 présentations d’architectes de renommée internationale, l’espace « Batimat in situ » présentera les choix de matériaux et solutions de grands architectes, enfin l’opération « Batimat Off » proposera un parcours d’architecture dans Paris et l’Île-de-France.
Salon des éco-technologies, de l’énergie et du développement durable, Pollutec se tiendra à Paris pour cette 26e édition. Pendant quatre jours, les dernières innovations destinées à répondre aux enjeux environnementaux des villes (énergies renouvelables, traitement de l’eau, valorisation des déchets etc.) seront exposées. Si la ville et l’industrie durables demeurent des secteurs en pleine expansion, la santé durable est une nouvelle thématique qui sera abordée lors de ce salon au travers de conférences et d’espaces thématiques dédiés. De nombreux prix et trophées seront également remis comme le prix des entreprises en environnement, le prix des techniques innovantes, le prix de la jeune entreprise éco-innovante, etc. Les visiteurs de ce salon sont principalement des directeurs généraux ou de services, des chefs de projets, des consultants, des ingénieurs, des architectes, des urbanistes ou encore des paysagistes.
Pour en savoir plus : www.batimat.com
Pour en savoir plus : www.pollutec.com
Cette édition 2013 poursuivra la réflexion sur la performance énergétique et la basse consommation tout en abordant deux autres thèmes : l’accessibilité et le confort d’usage des bâtiments ainsi que la forte dimension technologique de la construction.
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agenda
Rencontres
Expositions
34e rencontre de la Fédération nationale des agences d’urbanisme
Actualité de l’architecture 2013 Amiens Du 11 au 13 septembre 2013 Comme chaque année, les 53 agences d’urbanisme - organismes publics d’étude et de réflexion sur l’aménagement et le développement des agglomérations françaises - se réuniront pour échanger sur l’avenir des territoires urbains. Cette rencontre nationale organisée par la Fnau sera consacrée aux « Campagnes urbaines ». Des ateliers et des visites de terrain permettront de faire émerger de nouvelles problématiques. Tous les responsables politiques et professionnels compétents sur le sujet sont invités à y participer. Pour en savoir plus : www.fnau.org
Savoirs et modèles de l’urbanisme et de l’architecture durables Paris, Ecole nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette Les 14 et 15 novembre 2013 Le Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme (RAMAU) organise des rencontres réunissant chercheurs, professionnels et responsables territoriaux ou administratifs sur « l’évolution des savoirs et pratiques des acteurs de l’architecture et de l’urbanisme sous l’effet de l’injonction au développement durable ». Le RAMAU est un réseau habilité par le ministère de la Culture qui tend à favoriser les échanges entre le monde de la recherche et le monde professionnel. Un appel à communication s’est achevé début juin afin de recueillir les contributions des spécialistes du sujet. Pour en savoir plus : ramau2013.sciencesconf.org
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Strasbourg, CAUE du Bas-Rhin Jusqu’au 31 juillet 2013 Le CAUE, les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre présentent 37 réalisations architecturales récentes et à venir dans le Bas-Rhin. Ces projets sont par exemple des écoles, des salles de sport ou des mairies et illustrent les nouveaux enjeux architecturaux et urbains. Après s’être tenue au CAUE, l’exposition sera itinérante dans le Bas-Rhin. Pour en savoir plus : www.caue67.com
Habiter demain, ré-inventons nos lieux de vie Paris, Cité des Sciences et de l’Industrie Jusqu’au 10 novembre 2013 Comment assurer un logement sain et confortable à une population toujours croissante tout en préservant la planète ? L’exposition « Habiter demain » aborde les défis urgents à relever tels que le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources, l’extension des villes ou les inégalités croissantes et présente les initiatives qui émergent pour penser l’habitat de demain. Elle revient ainsi sur le lien intime qui existe entre l’habitat, la ville et la société. Pour en savoir plus : www.cite-sciences.fr
Zoom
sur La ville de demain
La ville « hantée » de Sanzhi
La ville nouvelle peut-elle être la ville de demain ? Plutôt que de transformer les villes existantes, certains ont imaginé que les villes nouvelles construites ex-nihilo étaient la solution pour créer la ville telle qu’elle devrait être. Ainsi Washington a été fondée en 1880 pour éviter de choisir entre Philadelphie et Boston. Le président Kubitschek a fondé Brasilia, nouvelle capitale du Brésil, dans les années 60 pour attirer vers l’intérieur du pays la population et l’activité économique et mieux répartir les richesses. De même, les villes nouvelles en France ont été lancées dans les années 60 pour créer des bassins de vie autonomes, indépendants de Paris. Néanmoins le succès et la persistance de ces villes nouvelles sont loin d’être garantis. De telles initiatives aboutissent parfois à la création de villes fantômes. A Taïwan dans le district du Shanzi, une ville baptisée « Sanzhi Pod City » est née en 1978 et n’a jamais abrité âme qui vive. Elle devait servir de village de vacances
pour les officiers de l’armée américaine lors de leur affectation dans l’Est asiatique. Le projet fut abandonné en 1980 faute de financements et suite à plusieurs accidents mortels touchant des ouvriers lors de la construction. Depuis, Sanzhi Pod City est une ville fantôme qui accueille aujourd’hui des touristes fascinés. Au-delà de ce cas particulier, certains pays souffrent de la démesure immobilière des années 2000. Ainsi, au cours des dernières décennies, l’Espagne a lancé la construction de villes entières qui n’ont jamais été habitées. C’est le cas de la tristement célèbre Sesena la nouvelle, petite ville à 40 km de Madrid, qui devait abriter 13 500 logements dont 3 500 seulement ont été achevés. La construction a été brusquement interrompue en 2008 à la suite de l’éclatement de la bulle immobilière, laissant un paysage désolé et un projet avorté. Sesena n’est qu’un exemple parmi d’autres des rêves de construction de villes modernes qui se sont heurtés à la réalité.
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ZOOM
La ville de demain, on en parle... depuis longtemps. Avant le XXIe siècle, les scientifiques, les écrivains, les journalistes imaginaient la ville de l’an 2000. On rêve aujourd’hui de la ville de 2020 ou de 2050. Mais qu’est-ce que la ville de demain ? Pour certains, la ville idéale n’existent pas par elle-même ; il faut la construire de toute pièce. Pour d’autres, il faut plus simplement prévoir l’évolution de nos villes actuelles, anticiper les besoins futurs des populations, apporter demain des réponses à des difficultés d’aujourd’hui. Comment concevoir un développement équilibré de la cité ? Démographie, habitation, équipements, transports, énergie... Les variables à prendre en compte sont nombreuses, d’autant plus qu’il faut prévoir l’imprévisible.
Sesena, ville fantôme espagnole
La ville de demain ne se construit pas de rien. Elle ne peut obéir à des objectifs purement financiers de valorisation immobilière. Elle repose par nature sur la vie, les activités et la mobilité de ses habitants. Bien vivre, travailler, pouvoir consommer et se déplacer sont les règles essentielles de la réflexion sur les cités de demain.
Peut-on prévoir l’imprévisible ? Quand on se penche sur certaines prévisions passées, on peut s’amuser des écarts significatifs entre ce qui était annoncé et ce qui s’est produit. Ainsi en 1960, la revue scientifique « Sciences et Avenir » a publié un dossier sur « La France dans 25 ans », soit en 1985. Transport, énergie, tourisme, agriculture… tout a été analysé avec de nombreuses références scientifiques. Et pourtant ! La revue pariait sur le développement des transports aériens en France au détriment de la route et du rail : « Le Japon (…) s’apprête à lancer des trains révolutionnaires roulant à 250 km/h. Mais ceci se passe dans un pays où le réseau ferroviaire suranné doit être renouvelé rapidement. En France personne n’envisage de reconstruire de toute pièce une ligne Paris-Lyon pour le seul plaisir d’y faire rouler des trains à 250 km/h. » Et bien si justement ! Les pouvoirs publics ont pris cette décision et l’aménagement du pays a fortement été influencé par cet « effet TGV » qui a contribué au développement territorial de certaines zones.
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Et nos villes, comment étaient-elles imaginées en 1960 ? L’idée majeure présentée à l’époque reposait sur la suppression de la rue cumulant des fonctions de transit et de déplacement de proximité, d’achats… « Pourquoi ne pas supposer que avenues et rues principales, interdites à la circulation automobile seraient transformées en jardins verdoyants et fleuris avec encore quelques espaces verts supplémentaires. (…) L’accès au cœur de ces noyaux conservés (…) se ferait par quelques artères à sens unique et sans croisement, dont le débit serait considérable. » La révolution internet et plus globalement les technologies de l’information étaient envisagées, mais on n’imaginait absolument pas leur influence dans le fonctionnement de la société et leur impact sur les pratiques et les comportements. Prévoir ce qui va se produire est complexe et les prédictions sont faillibles. Comment anticiper aujourd’hui les effets de ce qui n’existera que demain ? Des hypothèses peuvent être lancées, des grandes orientations impulsées mais le temps des certitudes semble révolu. En revanche, préparer l’évolution des cités est possible et les décisions publiques jouent pour cela un rôle capital. Mais une fois encore, les décisions d’un jour ne sont pas forcément les décisions de toujours.
La ville d’aujourd’hui est déjà celle de demain Une bonne illustration des allers-retours dans les choix d’urbanisation est celle du tramway. Originaire de NewYork et de la Nouvelle-Orléans au début du XIXe siècle, il est devenu peu à peu le premier moyen de transport public urbain. Son essor a été considérable au début du XXe siècle jusque dans la période de l’entre-deuxguerres. Mais à partir des années 30, le tramway a disparu peu à peu du paysage urbain, concurrencé par le développement rapide de l’automobile qui devient accessible à tous.
Le premier tramway parisien, 1896
La voiture représente la modernité et le progrès. Sa multiplication complique la circulation des tramways qui deviennent de moins en moins fluides. Les décisions politiques vont dans le sens de cette évolution en favorisant au maximum la circulation automobile. Ainsi, les centres-villes et les artères étroites sont aménagés pour favoriser cette circulation. Le transport en commun urbain se fera désormais par autobus. Dans les années 80, retournement de situation. Le tramway devient un moyen de déplacement moderne. L’augmentation du coût de l’essence suite au choc pétrolier de 1973, rend l’utilisation de la voiture moins aisée. La multiplication des études sur l’environnement, l’importance croissante des mouvements écologiques et leur entrée en politique marque le début du rejet de la voiture comme principal moyen de transport. L’image du tramway répond désormais à la vague du développement durable qui irrigue aujourd’hui la pensée urbaine. Transport propre, silencieux, le tramway renaît comme symbole de l’attitude écologique ; un symbole on ne peut plus actuel.
La ville durable Partant du constat que la ville d’aujourd’hui est déjà la ville de demain, de nombreuses initiatives cherchent à faire évoluer la vie urbaine dès maintenant et de façon durable. Dans cette dynamique, Grenoble veut être « le catalyseur d’un développement urbain durable ». Sur d’anciennes
friches, la ville souhaite construire une « écocité », laboratoire habité visant au développement d’un habitat innovant : performance énergétique des bâtiments, modes de déplacement, nouveaux services pour les habitants, présence de la nature dans la ville, etc. A Loos-en-Gohelle, au cœur du bassin minier, la construction de la ville de demain doit reposer sur ses fondements historiques et sur ses habitants. Pour Jean-François Caron, son maire écologiste, il faut appliquer à l’échelle locale un développement durable « perçu comme du bon sens, pas comme une idéologie ». C’est pourquoi il a non seulement participé à la transformation des vestiges de l’activité minière en patrimoine reconnu, généralisé l’écoconstruction, instauré un système de récupération des eaux de pluie sur les bâtiments publics, mais il l’a fait en concertation avec les habitants. Au XIXe siècle, 80 % de la population française vivait à la campagne, aujourd’hui c’est l’inverse nous sommes à 80 % citadins. Est-ce que ce sera toujours le cas dans un siècle ? Comment prévoir aujourd’hui nos besoins de demain ? Comment anticiper les déplacements, les activités, les constructions de demain ? La ville de demain se prépare. L’information, la mobilisation et l’échange avec les habitants actuels et futurs sont les meilleurs moyens de faire partager un projet de ville mais aussi de l’améliorer en intégrant leurs usages et leurs idées. Géraldine Brochon
L’immeuble intelligent à la Zac de Grenoble. Photo de Jean-Gabriel Barthélemy
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ZOOM
Système de récupération des eaux de pluie.
entretien avec
FRédÉric lenne, fondateur et président d’Esprit urbain
Construire une ville bienveillante Il a dirigé les rédactions du département Architecture et Urbanisme du groupe Moniteur. Il a notamment créé les Défis de la Ville en partenariat avec la Cité de l’architecture et du patrimoine.
Les Cahiers de la Ville Responsable : Comment voyez-vous la ville de demain ? Frédéric Lenne : Difficile de dire à quoi elle ressemblera. L’expérience montre à quel point les prévisionnistes se trompent, ici comme ailleurs. En revanche, on peut dire ce que la ville de demain doit être et ce qu’elle ne doit pas être, en s’appuyant sur les caractéristiques actuelles de nos villes. Très clairement, la ville de demain ne doit pas être une ville étalée. Des limites à l’urbanisation doivent être fixées et cela relève d’une volonté politique qui n’existe malheureusement pas ou très peu. On consomme 1,5 département tous les 10 ans, l’étalement urbain est une terrible réalité. Cela met en évidence une urgente nécessité d’action de la part des pouvoirs publics. Un autre danger guette les grandes capitales : celui de devenir des villes musées, uniquement des lieux touristiques. Si, par exemple, les étudiants sont déplacés du centre vers des périphéries lointaines, c’est tout un pan entier de la vie urbaine qui disparaît. L’autre risque à éviter est de faire d’une ville, une ville spécialisée. Le problème majeur de ce type de villes, caractéristique de l’époque industrielle, c’est que, si dans un premier temps elles peuvent connaître une période florissante, le risque est réel que tout s’écroule d’un seul coup. On l’a vu avec les mono activités de certaines villes minières, par exemple. La ville de demain ne doit pas non plus être une ville générique. Or, certains pays en développement en prennent le chemin. En Chine par exemple, de nombreuses tours sortent de terre depuis des années. Ces immeubles placés côte à côte ne forment que de nouveaux quartiers dortoirs. Remplacer l’étalement urbain par une densité de la hauteur n’est guère une panacée. Ces différents aspects doivent être pris en compte dans l’élaboration des villes de demain. Ils le sont mais insuffisamment et trop peu de décisions vont dans le sens d’une correction des effets pervers de certaines formes d’urbanisation.
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CVR : Quels sont les axes de développement suivis ? FL : Certaines idéologies actuelles sont favorables à d’autres types de ville : la ville sécuritaire et la ville écologique. Or, les deux sont une grave erreur. La ville sécuritaire fait écho aux « gated communities » américaines. La résidentialisation en Europe prend parfois des formes qui y ressemblent. Créer dans la ville des zones privatisées et surveillées constitue la mort de la ville. La ville et ses espaces sont publics. La ville est faite de lieux partagés, de lieux de croisements et de sociabilité. La ville vit d’échanges culturels et sociaux. Si son rôle mute vers celui d’une ville ségrégative, elle perdra son essence. Au risque d’étonner, voire de me montrer à contrecourant, je dirais aussi que la ville écologique, dont on perçoit bien sûr tout l’intérêt, peut ne pas être un progrès satisfaisant. Les écoquartiers sont catastrophiques s’ils offrent des espaces sans âme, s’ils bâtissent des villes superficielles, brillantes et lisses. Or, la ville existe aussi par ses vices et n’a pas vocation à être toujours propre. La ville n’existe que dotée d’une âme c’est à dire d’une spécificité, de traits caractéristiques qui constituent son identité. Enfin, s’il faut une âme à la ville, je doute que l’urbanisme parvienne à la créer uniquement au travers du commerce.
CVR : Quelle voie faut-il suivre ? FL : Les urbanistes ont à inventer une ville bienveillante. Pour ce faire, ils doivent aller au-delà des attentions qu’ils portent à la conception de leurs projets. C’est très compliqué de mettre en pratique des attentions et des intentions pour la ville et ses habitants. Il est également impératif que la ville maîtrise son développement et surtout qu’elle soit multiculturelle. C’est à ces conditions que la ville de demain - qui existe pleinement aujourd’hui - sera un véritable progrès. Son élaboration doit donc être pensée, réfléchie, afin d’intégrer tous ces éléments.
Parler de la ville de demain, c’est aussi tenter d’intégrer des innovations technologiques qui changent la donne dans l’aménagement et le fonctionnement de nos collectivités. Les nouvelles technologies façonnent de nouveaux usages de la ville à l’image de la vie nocturne qui s’est développée grâce à l’éclairage public au gaz apparu au début du XIXe siècle. L’innovation contribue aux transformations du cadre des villes et de la vie citadine. Plus récemment, l’avènement des bus à haut niveau de service (BHNS) a apporté du confort aux usagers grâce aux dispositifs d’information voyageurs qui donnent des précisions sur les horaires de passage, les arrêts desservis, etc. Cette recherche d’innovation est largement partagée par les acteurs publics. Des centres de ressource comme « Ville innovation » associe des experts, des chercheurs pour réfléchir à l’innovation dans les villes. Ses territoires de réflexion recouvrent les systèmes urbains cognitifs ou l’histoire des liens entre villes et innovations (www.villes-innovations.com). Un site comme www.innovcity.fr recense l’ensemble des innovations que l’on trouve dans les collectivités. De la jungle des applications transport pour les Smartphones jusqu’aux détecteurs innovants qui sécurisent la traversée de cyclistes, on découvre tout sur tout dans les domaines les plus variés (culture, éducation, environnement, urbanisme, social...). L’innovation se trouve également dans le suivi que l’on peut faire de l’actualité des collectivités. Les nouvelles technologies, par exemple, peuvent être utilisées dans le cadre de concertations comme ce fut le cas à Amiens. En septembre 2012, Amiens Métropole a proposé aux habitants de jouer à un « serious game » sur Internet dans lequel ils pouvaient choisir les caractéristiques de la piscine prévue pour 2015.
Cette recherche d’innovation est largement partagée par les acteurs publics.
Autre illustration, les Think tanks du monde public réfléchissent à ces thèmes. Ainsi, la Fondation Jean Jaurès vient de mettre en place un Observatoire de l’innovation locale qui vise « à valoriser les initiatives des territoires qui participent à faire émerger une France durable, solidaire et citoyenne ». Des expositions et forums existent également pour présenter les trouvailles des uns et les initiatives des autres pour construire une ville innovante. L’exposition Lyon City Design est intéressante, car elle ouvre ses portes à des artistes designers qui exposent leurs créations dans la ville. L’objet du salon est l’environnement urbain sous toutes ses formes : la signalétique, le mobilier urbain, les nouvelles mobilités, l’ambiance sonore, les espaces verts… Les innovations présentées sont généralement très futuristes. Elles sont le plus souvent à l’état de projet. La plupart sont perçues comme des « gadgets ».
Navia, une navette 100 % électrique et autopilotée (Lyon city design)
Sylvie Maréchal a par exemple créé un « arbre de lumière », un lampadaire moderne à LED fabriqué en France. Au-delà de son aspect décoratif et fonctionnel d’éclairage, ce lampadaire doit créer des espaces de convivialité dans la rue en mettant à disposition des passants un lieu qui abrite, « puisqu’abriter c’est rassembler ». La réflexion sur cette ville de demain doit intégrer ces multiples projets qui ne passeront pas facilement du stade du prototype à une réalisation partagée. Majdoline Ouldelhkim
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ZOOM
Focus
LA TECHNOLOGIE FAÇONNE LA VILLE DE DEMAIN
entretien avec
Fanny Maestracci A l’initiative du service innovation de Suez environnement, un concours d’idées a été proposé aux territoires pour « imaginer leur ville de demain ». Dans ce cadre, des habitants sont mobilisés pour réfléchir et construire ce qui peut, ce qui doit changer dans leur ville. Histoire de faire un rêve. Rencontre avec Fanny Maestracci, chef de projet innovation chez Suez Environnement.
Les Cahiers de la Ville Responsable : Quel est le point de départ de ce concours d’idées ? Fanny Maestracci : Le concours d’idées a été pensé pour alimenter notre réflexion sur les villes. L’idée était de faire émerger un sujet par ville, les sujets des concours étant élaborés avec les collectivités. Mon travail consiste à trouver des outils dits d’openinnovation et des méthodes pour travailler différemment avec les habitants.
Etape « sprint innovation », projet de Courbevoie
CVR : L’innovation est-elle possible dans les villes ? FM : Oui bien sûr. Cela illustre une sensibilité récente, une double volonté de travailler différemment et de regarder les nouvelles idées émergentes. La question centrale était de savoir comment disposer d’une vision globale des déchets et de l’eau dans la ville. Le concours a été un outil de mise en œuvre de cette volonté.
tectes). Ensuite, nous avons proposé une démarche très ouverte aux collectivités. Nous en avons discuté ensemble pour tomber d’accord sur un sujet. Par exemple, dans le Nord c’est la problématique du lien social qui est ressortie, alors qu’à Courbevoie c’est celle des dépôts sauvages. Chaque ville a ses propres besoins.
CVR : Quelles ont été les étapes du concours ? FM : Tout d’abord il faut défricher le territoire, connaître ses besoins, ses problématiques. Nous avons fait travailler des étudiants locaux, pour deux raisons : ils sont bien placés pour connaître les problématiques de leur ville et en tant que futurs habitants, ce sont les premiers concernés. Nous avons souhaité croiser les disciplines (ingénieurs, urbanistes, archi-
CVR : Comment se déroule un concours ? FM : L’étape cruciale est celle du sprint-innovation, c’est-à-dire l’étape de création où les participants sont enfermés pendant 3 jours pour élaborer leur projet qu’ils présentent ensuite à un jury. Le principe est de les faire passer progressivement d’idées classiques qui viennent le premier jour, à un concept directeur puis enfin à l’élaboration d’idées originales. Nous les accompagnons pour les aider à aboutir.
Des regards croisés sur la cité
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QUAND LES IDÉES VIENNENT DES HABITANTS
CVR : Y a-t-il des projets étudiés ou en phase de création qui découlent de ces concours ? FM : Sur les dépôts sauvages de Courbevoie, le projet gagnant imaginait une plate-forme numérique mettant en contact les acteurs pour optimiser la gestion des déchets des entreprises et des particuliers. L’objectif est de valoriser le déchet par l’échange entre les habitants. L’application mobile est en cours de réalisation et elle est financée par Suez. Les étudiants produisent une vision dont on extrait des choses concrètes.
Une loi visant à préparer la transition vers un système énergétique plus sobre est en préparation. Des bonnes pratiques en matière d’économie d’énergie à un véritable changement de paradigme et de modèle de société, le spectre des actions envisageables est large. Notre grand dossier décrypte les questions clés que pose la transition énergétique. Les collectivités sont appelées à être au cœur de cette transition : elles ont un rôle moteur auprès des ménages dans la lutte contre la précarité énergétique. C’est aussi un enjeu important pour elles, puisque la consommation d’énergie représente une part importante de leur budget de fonctionnement. Quel sera leur rôle dans la mise en œuvre de la transition ? La production d’énergies renouvelables est un objectif crucial en matière énergétique. Panorama des enjeux à travers un exemple : l’énergie éolienne.
13 GRAND DOSSIER
La transition énergétiquE
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LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, C’EST QUOI ? Comment consommer moins d’énergie ? Quelle énergie utiliser et favoriser ? Comment développer l’utilisation d’énergies renouvelables ? Comment assurer le respect des engagements internationaux de la France en matière de réduction de gaz à effet de serre ? Quelle stratégie de développement industriel et territorial pour les nouvelles filières ? Comment intégrer dans la réflexion les nouveaux types de consommation énergétique ? Et enfin, qui va payer l’investissement et la production de cette énergie ? Ces questions sont au cœur de la réflexion portée par l’État sur la transition énergétique et qui arrive devant le Parlement.
La transition énergétique : que nous prépare la loi ? Avant toute chose, il y a une volonté politique : poursuivre l’engagement initié par le Grenelle de l’environnement et inscrire dans les faits les engagements internationaux pris par la France, pour accompagner une politique résolument orientée vers le développement durable. Le gouvernement veut inscrire dans la loi, des obligations, un accompagnement pour faire évoluer les comportements de chacun. La transition énergétique a pour objectif de favoriser le passage d’un système énergétique basé sur des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon, nucléaire…) à un mix énergétique incluant une forte part d’énergies renouvelables issues de l’électricité (l’éolien, le photovoltaïque, l’hydraulique) ou de la chaleur (la biomasse,
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la géothermie). Six ans après le Grenelle de l’environnement, il s’agit de passer une étape, d’évaluer les actions engagées et de renforcer l’engagement de l’État dans ce domaine. La transition énergétique suppose un choix en matière d’énergies renouvelables mais aussi une maîtrise des consommations, afin de tendre le plus possible vers une sobriété énergétique. Pour cela, des réflexions sont menées, notamment sur la gouvernance de la gestion énergétique, dans laquelle les collectivités ont un rôle clé à jouer. Il faut agir aussi bien sur l’efficacité énergétique en optimisant nos modes de consommation (amélioration des consommations énergétiques des véhicules, meilleure isolation des habitations...) et sur notre sobriété énergétique à travers une maîtrise de nos consommations (baisser la température de son logement, se déplacer à vélo...).
L’objectif est de sortir du tout pétrole dans les transports
© Osvaldo Gago
La transition énergétique passe-t-elle par une refonte du système de gouvernance actuel ?
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La question de la gouvernance est une question centrale de la transition énergétique car elle remet en cause le système actuel. Celui-ci repose sur deux opérateurs majeurs. EDF, qui produit 90 % de l’énergie électrique dans notre pays, et GDF-Suez, qui joue un rôle essentiel dans l’approvisionnement et la distribution gazière. Ces deux opérateurs ont des obligations de service public en matière de transport et de distribution (ERDF pour la distribution d’électricité et GRT gaz et GRDF pour le transport et la distribution du gaz). L’évolution préparée implique de passer d’une production centralisée à une production décentralisée, afin de produire l’énergie selon le besoin local mais aussi pour intégrer au mieux les énergies renouvelables. La question est alors de savoir s’il existe une marge de manœuvre sur le plan local, pour élaborer un système énergétique sobre et efficace. On attend pour cela l’Acte III de la décentralisation qui pourrait donner un cadre à l’action des collectivités territoriales dans ce domaine. Comment celles-ci vont-elles pouvoir agir pour favoriser la production d’énergies renouvelables sur leur territoire ? Pourraient-elles faire évoluer leurs pratiques et leur territoire pour maîtriser la consommation énergétique ? La production décentralisée implique que la gestion énergétique se fasse par une multitude de petites entités sur le territoire. Les communes, les syndicats, les sociétés d’économie mixte, des entreprises privées, les consommateurs eux-mêmes… L’objectif est de répondre au mieux aux besoins des consommateurs, en optimisant les ressources énergétiques locales. Mais quelle sera la répartition des rôles, quelle gouvernance du nouveau système, quelles compétences pour les collectivités ? Comment organiser la décentralisation de la gestion énergétique au vu du millefeuille territorial qui existe en France ? Comment poursuivre l’égalité tarifaire alors que les coûts de production sont différents d’un site à l’autre ? Ces questions sont en débat afin de définir au mieux le rôle que les collectivités devront jouer.
GRAND DOSSIER
A l’heure des préoccupations climatiques et énergétiques, les pouvoirs publics se mobilisent pour faire évoluer les modes de production et de consommation de l’énergie. L’objectif annoncé est de faire de la France, la nation de l’excellence environnementale. D’autres l’ont fait avant nous, en particulier en Europe du Nord (Danemark, Suède…), il s’agit de rattraper notre retard. Pour cela, la feuille de route est la suivante : • Sortir du tout pétrole pour les transports ; • Sortir du tout nucléaire dans l’électricité : faire passer la part du nucléaire de 75 % à 50 % en 2025 ; • Aller vers plus d’efficacité et de sobriété énergétiques. Cette ambition a été présentée lors de la Conférence environnementale de septembre 2012, qui a eu pour but de dessiner les contours de cette transition énergétique et de donner le cadre et les modalités du débat national qui va aboutir à un projet de loi. Plusieurs collèges et parties prenantes ont été associés à cette conférence et l’ont été tout au long du débat pour l’élaboration du projet de loi : les institutions et les élus, les entreprises, les syndicats, les associations environnementales mais aussi les experts et les citoyens. La transition énergétique souhaitée par le gouvernement et les collèges associés se base notamment sur le fameux objectif pour 2020 de 3 X 20, commun à tous les pays de l’Union Européenne : • Faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 20 %. • Réduire de 20 % les émissions de CO2 des pays de l’UE. • Accroître l’efficacité énergétique de 20 % d’ici à 2020.
A l’heure des préoccupations climatiques et énergétiques, les pouvoirs publics se mobilisent pour faire évoluer les modes de production et de consommation de l’énergie.
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Le grand dossIer - LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Un objectif politique
Les incitations nécessaires
Quelles sources énergétiques durables ?
Quels choix pour la production énergétique ? Ce mix si souvent annoncé passe par une évolution des choix de production de l’énergie. La réduction de la part de l’électricité d’origine nucléaire est annoncée comme préambule. Très bien, mais comment la remplacer ? Les centrales à charbon ne sont guère écologiquement responsables. Les réseaux de chaleur alimentés en biomasse ou en géothermie sont prisés mais supposent des investissements importants. Le développement des énergies renouvelables est attendu, mais lesquelles ? Le développement des éoliennes pose des questions d’acceptation par la population, d’installation et d’investissement. L’ouverture à la concurrence de l’énergie hydraulique, longtemps annoncée est toujours attendue. Les blocages politiques à l’égard du gaz de schiste sont évidents. Les Etats-Unis n’ont pas cette attitude. Ce pays, hier lourdement importateur de gaz sera demain un exportateur majeur. Les choix réalisés ont des effets significatifs sur le coût de l’énergie et donc sur notre compétitivité, sur notre indépendance et sur notre environnement. La question essentielle reste les difficultés techniques de stockage de l’électricité produite. L’énergie durable est souvent intermittente. Si la chaleur renouvelable est facilement utilisable, le soleil, le vent ne sont jamais assurés. L’énergie photovoltaïque ou éolienne doit être utilisée immédiatement. Cela renforce le poids essentiel du transport d’électricité entre les zones qui produisent et celles qui consomment.
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Une fois les choix réalisés, il faut les mettre en œuvre et les accompagner. L’évolution des consommations de chacun passe par des incitations, des investissements pour encourager l’évolution des comportements. La tarification progressive est un axe proposé. Plus l’on consomme, plus le kilowatt-heure est cher. On voit la difficulté de mise en œuvre de cette idée qui nécessite une tarification individuelle peu courante. Le Conseil d’Etat a recalé cette mesure prévue par la loi en raison de la complexité de sa mise en application. Allons-nous vers une fiscalité écologique de l’énergie ? Cela semble logique et efficace. Les nouveaux modes de production passent par des investissements lourds pour définir, construire, exploiter et mettre en place certains réseaux de distribution. De même l’efficacité énergétique dans les bâtiments, par exemple, a un coût au mieux considérable au pire prohibitif. La loi devrait annoncer des ressources complémentaires dans ce domaine : taxes sur le diesel, le carbone ou plus largement sur la consommation énergétique.
Quel financement ? Comme toujours, la question est de savoir qui va payer : le contribuable à travers un alourdissement de l’impôt, l’usager/consommateur à travers des taxes complémentaires sur la consommation énergétique ? Les principes fiscaux et financiers de cette transition énergétique ne sont pas encore définis et font l’objet de pourparlers. « Le groupe de travail sur la fiscalité écologique, annoncé lors de la Conférence environnementale, conduira ses travaux dans la perspective de la mise en place d’une recette d’au moins 3 milliards d’euros d’ici à 2016 », a déclaré le Premier Ministre lors de la conférence environnementale. Dans le cadre du débat organisé par la Région Île-de-France sur ce thème, certains acteurs ont mené une réflexion sur le sujet du financement, en imaginant des solutions. Par exemple, le CPE (contrat de performance énergétique) ou encore l’idée innovante du CEP (Conseil en énergie partagé) ont aussi été abordés. La question de la constitution d’une épargne pour le financement de ces travaux a également été évoquée. Plus généralement, il est important de noter qu’il existe des logiques de financement différentes suivant les usagers et les propriétaires des bâtiments (collectivités, copropriétés, bailleurs sociaux, entreprises, propriétaires privés...).
Il n’y a donc peut-être pas de solution unique, et il serait plus pertinent d’adapter les solutions à chaque usage. Les experts des questions énergétiques ont également émis l’idée d’un guichet unique qui permettrait de professionnaliser la démarche. D’autres suggestions ont été abordées, comme le fait de créer un bonus/malus sur la taxe foncière, ou encore la possibilité d’utiliser l’argent dépensé dans le développement des réseaux (dû à l’augmentation de nos besoins en ressources énergétiques), en le croisant avec la nécessité d’améliorer l’efficacité énergétique du bâti.
Les innovations possibles La transition énergétique, c’est aussi l’innovation. Les initiatives sont nombreuses pour consommer moins mais aussi produire plus. Le développement des hydroliennes est ainsi peu connu. Le principe est d’utiliser les courants marins pour faire tourner des turbines et produire ainsi de l’énergie. Le site de Cherbourg est en pointe dans ce domaine en raison des forts courants dans ce secteur. L’innovation se retrouve également dans le système de gestion et de conseil de l’énergie : les smarts grids ou réseaux d’électricité intelligents. D’un point de vue technique, il s’agit d’assurer un meilleur contrôle et une optimisation des points de consommation et d’offrir des services à valeur ajoutée. C’est rendu possible par le couplage des technologies informatiques et électriques (par exemple insérer une carte SIM dans un compteur électrique). Cela pourrait s’apparenter à
l’utilisation des box pour les télécoms. On propose alors un service payant et rentable puisqu’il permet de réguler les dépenses et donc la facture énergétique des foyers. Cette innovation va de pair avec le développement des compteurs intelligents. Notons qu’en France, nous n’en sommes encore qu’au stade de prototype. En revanche, en Italie par exemple, plusieurs millions de compteurs intelligents ont déjà été installés. Enfin, l’innovation se retrouve également dans la modernisation de nos équipements énergétiques. Les nouvelles générations de réseau de chaleur permettent de valoriser pleinement la biomasse, la géothermie et l’énergie des déchets qui sont incinérés.
Les enjeux pour les collectivités locales Ce débat est essentiel pour les villes. L’énergie a un coût significatif pour les collectivités : l’éclairage, le chauffage des bâtiments publics sont des postes de dépenses importantes. Les axes retenus par l’État vont s’accompagner d’incitations fiscales qui auront un rôle non négligeable pour les communes. De plus, les collectivités ont un rôle essentiel dans l’aménagement de leur territoire. La création d’un quartier peut s’accompagner de choix énergétiques décisifs pour la transition énergétique (raccordement à un réseau de chaleur, critères de construction, équipement dans les transports publics...). Emilie Walker
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Le développement des éoliennes, un axe important de la transition énergétique
Un débat pour créer une loi Le gouvernement a inscrit sa démarche dans un débat national. L’objectif est de recueillir les contributions de tous les acteurs et territoires. Ces contributions sont répertoriées dans une synthèse finale et servent de base à l’élaboration de la loi sur la transition énergétique.
UN DÉBAT RÉGIONALISÉ POUR ÊTRE AU PLUS PROCHE DES BESOINS LOCAUX L’État a choisi d’impliquer les régions en apportant un éclairage régional au débat national afin d’être plus proche des préoccupations locales des territoires. Les démarches engagées ont été très variées. Des conférences, des débats territorialisés, des ateliers, un espace web,... autant d’outils qui ont permis à chacun de s’exprimer. En revanche, la mise en œuvre de ces débats a été très différente selon les régions. Certaines Régions comme l’Île-de-France ont engagé un programme de rencontres territorialisées et thématiques qui ont permis d’associer l’ensemble des parties prenantes du débat.
DES ANTAGONISMES FORTS, UN CLIMAT SEREIN Le débat a mobilisé... ceux qui ont déjà une opinion sur le sujet. Il a peu touché le grand public. Les 40 contributeurs au débat via un « cahier d’acteurs » ont repris et développé leurs positions. Les antagonismes les plus forts ont été exprimés par les deux associations Negawatt et Negatep. Elles sont aussi actives qu’irréconciliables. Pour l’une la transition passe par la suppression de l’électricité nucléaire à moyen terme, pour l’autre la réduction des gaz à effet de serre ne peut venir que de la suppression de l’énergie fossile (charbon, pétrole...) et donc du développement de la production d’électricité... nucléaire. Comment trancher ? Comment choisir ? Querelles d’experts environnementaux, enjeux économiques pour des filières industrielles... les conséquences des choix publics qui vont être faits sont importantes.
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Répartition de l’énergie consommée en France Charbon 3,3%
8,5% Énergies renouvelables et déchets
22,4% Électricité Pétrole 44,9 % 20,9% Gaz
Source: Chiffres-clés de l’énergie, édition 2011, MEDDTL
UN DOMAINE D’APPLICATION TRÈS (TROP) LARGE ? Le débat a également révélé l’ampleur des thèmes liés à la transition énergétique. Plus de 700 contributions sont affichées sur le site dédié. Un débat trop large n’est pas un débat. La diminution des trajets domicile/ travail, le développement du télétravail, l’avenir du gaz de schiste, la fiscalité écologique de l’énergie, la réduction de la consommation de chacun, l’avenir de nos centrales nucléaires et les éoliennes dont la durée de vie est limitée, la vérité sur les financements publics de l’énergie... autant de sujets de fond et d’avis divergents. Ce débat national n’a pas été un débat grand public. Les citoyens n’ont pas profité de ce rendez-vous pour s’informer sur les éléments du débat. La décision créera inévitablement des déceptions.
L’avenir du nucléaire est au cœur du débat
© gui yong nian
Comment réduire les dépenses énergétiques de ma commune ?
Un projet de territoire au-delà d’un engagement politique
intensités lumineuses peut être une solution intermédiaire. Par exemple, la ville de Besançon a réduit son éclairage public à partir de 18 h entraînant une économie significative.
Sur cet aspect sociétal et environnemental qu’est la maîtrise de l’énergie, il est important de baser la démarche dans la durée pour le territoire. Le but n’est pas d’attendre un retour sur investissement dans le temps politique c’est-à-dire durant un mandat, mais d’inscrire le projet dans le temps, pour l’avenir du territoire. Il faut penser le retour sur investissement sur le long terme.
Le chauffage : limiter la déperdition de chaleur et d’énergie dans le bâti communal
L’éclairage est une part significative des dépenses énergétiques
L’éclairage public : des leviers simples et pratiques Les petites communes sont souvent à l’initiative d’actions intéressantes. De nombreux leviers dépendent de démarches simples à mettre en place. Ainsi, l’éclairage public représente en moyenne 20 % des dépenses énergétiques d’une commune et il est facile, grâce à de petites astuces et de bons réflexes, de réduire ce pourcentage. Prenons quelques exemples : certaines communes programment l’éclairage sur une plage horaire limitée de la tombée de la nuit jusqu’à 1h du matin. Le pilotage avec horloge astronomique est également une solution intelligente, permettant une économie d’énergie non négligeable. Une baisse des
Le chauffage est un domaine énergivore par excellence. Il est possible de réduire cette dépense tout simplement. L’adaptation du temps de chauffage aux horaires d’occupation des locaux est une solution simple et économe. Par ailleurs, il est important de penser au calorifugeage des tuyaux de canalisation de chauffage notamment, ainsi qu’à l’isolation des bâtiments. Ces travaux permettent de réaliser des économies d’énergie en évitant les déperditions de chaleur ou le recours à la climatisation. Si cela s’impose, il peut être plus avantageux de miser sur une rénovation thermique globale des bâtiments qui le nécessitent. Ces démarches sont très efficaces mais l’économie réalisée s’inscrit forcément dans le temps. Les acteurs de la transition énergétique ont d’ailleurs émis l’idée de créer un plan épargne spécial pour encourager ce type de travaux. Pour finir, il peut s’avérer nécessaire de revoir les contrats de fourniture d’électricité voire même d’eau et de gaz. Il peut être intéressant d’effectuer un bilan des dépenses et des besoins réels, et de revoir ces contrats afin de les adapter aux besoins réels et se limiter à la puissance nécessaire Et comme toujours, une maintenance régulière des systèmes de chauffage, régulation, isolation, est indispensable afin d’éviter toute déperdition énergétique. Lucie Gaudet
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L’énergie tient une place importante dans les dépenses des collectivités territoriales. Leur consommation d’énergie représente une dépense annuelle globale d’environ 1,85 milliard d’euros, soit en moyenne 30 € par habitant. Les trois postes de consommation énergétique des communes sont : les véhicules municipaux (environ 10 %), l’éclairage public (environ 20 %) et enfin le bâti public, plus grosse dépense énergétique d’une commune (plus de 70 %). Quelques bonnes pratiques et astuces éco responsables ont été mises en place pour réduire ces dépenses énergétiques, par des communes grandes ou petites, avec ou sans importants moyens financiers.
Focus
Le Conseil en Énergie Partagé : un outil à destination des communes Qu’est ce qu’un CEP ? Le Conseil en énergie partagé est un outil mis en place par l’ADEME, à destination des petites communes. Un conseiller technique spécialisé en économie d’énergie est proposé aux collectivités qui le souhaitent. Il a pour mission de donner un conseil personnalisé aux communes trop modestes pour avoir une personne dédiée aux questions d’énergie (moins de 10 000 habitants). Il apporte des conseils, réfléchit avec la collectivité sur la stratégie, les pistes d’amélioration. L’objectif est de lui permettre de faire des choix pertinents en matière d’énergie, (bâtiments, éclairage public, véhicules communaux notamment). Il intervient alors pour plusieurs communes via les communautés de communes, intercommunalités et il les aide à monter les dossiers de consultations d’entreprises, et à choisir les bons fournisseurs. En général, sa mission se compose de plusieurs étapes clés : • Il effectue un suivi et diagnostic des consommations (visites des bâtiments, étude des contrats...) pour proposer un plan d’actions.
• Il donne des conseils d’investissements en fonction du coût global des opérations estimées. • Il anime et sensibilise des usagers des bâtiments. • Il accompagne des projets d’aménagement urbain. La structure qui finance le conseiller peut être : • un groupement de communes (les communautés de communes et les syndicats mixtes des Parcs Naturels Régionaux), • un CAUE, • une association spécialisée dans le domaine (type Agence Locale de l’Energie), • un syndicat d’électrification ou d’énergie. Dans les Ardennes, le CEP a permis à ses bénéficiaires de faire des économies d’environ 10 à 20 % sur leurs consommations actuelles, selon l’Agence Locale de l’Energie. > Pour plus d’information sur le CEP, ou télécharger le dossier de candidature, rendez-vous sur le site internet de l’ADEME : www.ademe.fr ou sur le site de l’ARENE Île-de-France www.areneidf.org
LE BÂTIMENT, PRINCIPAL LEVIER DE RÉDUCTION DES DÉPENSES ÉNERGÉTIQUES D’UNE COMMUNE Le bâti communal est le poste de dépense le plus énergivore. Il représente les trois quarts de la consommation d’énergie des collectivités. Il existe de multiples astuces faciles à mettre en place. Là où il y a le plus de dépenses, il y a aussi le plus d’économies possibles.
ORGANISER LA FORME URBAINE De nombreuses astuces d’aménagement permettent de réduire les dépenses énergétiques des bâtiments en tirant profit de leur environnement (ombrage l’été, air, ensoleillement...). On peut pour cela maximiser l’ensoleillement pour limiter l’éclairage artificiel qui coûte, rapprocher les bâtiments pour éviter les pertes de chaleur, planter des arbres proches des façades pour créer de l’ombrage l’été et éviter la climatisation énergivore, inclure des fontaines à eau dans le paysage urbain pour créer une ambiance saine et fraîche.
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RÉNOVER OU CONSTRUIRE ÉCORESPONSABLE L’isolation est aussi une solution indispensable pour éviter le transfert de chaleur entre l’intérieur et l’extérieur. Par exemple, l’utilisation des façades végétalisées, la conception de sas ou de véranda notamment permettent de limiter cette perte de chaleur. Et pour finir, le remplacement lorsque nécessaire du système de chauffage permet d’introduire une programmation des appareils électriques en fonction des tarifications horaires, ce qui permet d’acheter de l’énergie quand elle est moins chère. Il existe aujourd’hui des labels (BBC, HQE, RT2010…) qui, si on veut les obtenir, nécessitent la construction de bâtiments éco responsables et permettent de réduire la consommation de ce bâti communal.
Une source d’énergie qui fait débat
Remise au cœur des réflexions politiques par les engagements de l’État et les débats sur la transition énergétique, l’énergie éolienne n’en demeure pas moins au cœur de divergences importantes. Solution miracle pour les uns, responsable de tous les maux pour les autres : les prises de positions tranchées sur le sujet ne manquent pas. Mais qu’en est-il aujourd’hui de la réalité des chiffres et des apports de l’éolien ? Peut-on raisonnablement espérer une contribution substantielle de ce moyen de production dans le mix énergétique français ? Quels sont les apports et les limites de ce mode de production ?
L’énergie éolienne, mode d’emploi
Un mode de production en débat
Comment ça marche ? Le fonctionnement des éoliennes repose sur un mécanisme relativement simple : les pales des éoliennes sont mises en mouvement par l’action du vent et font à leur tour tourner un générateur. Celui-ci transforme l’énergie mécanique du vent en énergie électrique qui, une fois passée par un transformateur, peut être acheminée vers le réseau électrique.
Les avantages d’une énergie propre Le double avantage de l’éolien est de permettre à la fois l’économie d’énergie fossile, mais également de proposer un mode de production d’électricité sans CO2 (hors fabrication et maintenance des machines). Toutefois, en dépit d’un véritable intérêt en matière de développement durable, l’éolien reste un mode de production largement critiqué.
Le parc actuel en France Si un appel d’offres a été lancé à l’été 2011 par l’État afin de développer l’éolien en mer (voir notre encadré), le parc éolien français actuel est exclusivement terrestre. Les derniers chiffres disponibles à ce sujet font état de 3 700 machines installées fin 2011 en France métropolitaine et de 450 machines dans les DOM-TOM pour 650 parcs et une puissance raccordée de 6 750 MW.
Des contraintes physiques Si le gisement d’énergie de l’éolienne (le vent) paraît infini, l’éolien ne représente pas une énergie concentrée, au sens où il nécessite une place importante pour produire une énergie significative. Ainsi, comme l’indique le rapport « Eolien et photovoltaïque : enjeux énergétiques, industriels et sociétaux », remis en septembre 2012 à la ministre de l’Ecologie et au ministre du Redressement productif : « Un parc éolien fournissant la même énergie qu’un réacteur nucléaire moyen occuperait 400 km2 ». La contrainte de place est donc réelle. De plus, les éoliennes ne peuvent être implantées n’importe où. L’implantation doit prendre en compte les contraintes géographiques : privilégier les zones où le vent est satisfaisant, éviter les sites protégés, respecter les servitudes techniques, prendre en compte le coût du foncier et le coût du raccordement au réseau électrique.
Les objectifs 2020 Pour répondre aux objectifs de la transition énergétique, l’État a fixé un objectif national de production de 25 000 mégawatts pour le parc éolien total, dont 6 000 en mer, et ce dès 2020. L’objectif ambitieux étant de parvenir à une production via l’énergie éolienne de 10 % de la consommation d’électricité française (contre un peu plus de 2 % en 2011).
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L’éolien... oui mais chez les autres ?
Des inquiétudes et oppositions Le rapport consacré aux énergie éoliennes et photovoltaïques évoqué plus haut est clair sur ce point : « La question déterminante est d’ordre sociétal : quelle proportion de leur territoire les Français accepteront-ils de voir affectée aux fermes éoliennes ? » Si un grand nombre de citoyens et d’élus se disent favorables aux énergies renouvelables en général et à l’énergie éolienne en particulier, les candidats à l’implantation d’éoliennes à proximité de leur maison ou sur leurs côtes sont en revanche moins nombreux ; une illustration classique du désormais célèbre syndrome NIMBY. Les inquiétudes écologiques représentent également un axe important d’opposition aux projets éoliens : effets sur les flux migratoires des oiseaux, pollution visuelle, ombre et bruit pour les habitations riveraines. Les arguments avancés par les associations d’opposants ne manquent pas.
De même, la question du recyclage des éoliennes, une fois la période d’exploitation terminée, reste un réel sujet de préoccupation pour beaucoup. Si le coût de démantèlement des éoliennes est relativement simple à estimer, contrairement par exemple au nucléaire, il faut en revanche l’anticiper et s’assurer que les conditions de recyclage seront satisfaisantes. Enfin, l’efficacité de l’éolienne est régulièrement pointée du doigt. D’une part le rapport entre la puissance installée et la production effective d’énergie est beaucoup moins satisfaisante que pour d’autres sources d’énergie, le nucléaire en tête. D’autre part la question de l’intermittence est une limite forte de ce moyen de production. En effet, le vent, par nature incontrôlable et irrégulier, ne permet par une production d’énergie continue. Cela représente une difficulté non négligeable pour disposer d’énergie au moment où la demande est forte, notamment lorsqu’on connaît les difficultés de stockage de l’électricité. Simon Mazajczyk
L’éolienne en mer, une solution satisfaisante ? Un dynamique lancée par l’État Afin de développer la filière éolienne en France et d’augmenter sa place dans le mix énergétique national, l’État a lancé en juillet 2011 un appel d’offres avec pour objectif la production de 3 000 mégawatts. Quatre projets ont été attribués, à Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Nazaire et Saint-Brieuc. Un nouvel appel d’offres portant sur deux sites situés au large du Tréport (Seine-Maritime) et entre les îles d’Yeu et de Noirmoutier (Pays de la Loire) a été lancé début 2013. Une solution aux problèmes exposés ? L’éolien en mer semble permettre de dépasser un certain nombre de contraintes présentées plus haut. D’abord concernant le bruit et l’emprise au sol qui sont moins contraignants en mer, ensuite concernant l’efficacité des installations, il est possible d’installer en mer des éoliennes plus grandes. De plus, la quantité de vent plus importante assure un fonctionnement plus régulier. Enfin, ces installations de taille doivent permettre de développer une filière industrielle et un savoirfaire en France : deux usines pour la construction des éoliennes devraient être installées à SaintNazaire et deux autres à Cherbourg.
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Des interrogations qui demeurent Un certain nombre d’interrogations demeurent, même à plusieurs kilomètres des côtes. Quelles sont les conséquences pour la pêche, les activités nautiques mais également le tourisme ? Quelles conséquences visuelles sur le littoral ? Quels sont les impacts sur terre pour réaliser le raccordement au réseau électrique ? Quelles sont les conséquences sur la faune et la flore marines ? Les oppositions aux projets offshore existent également. Le collectif PULSE, Pour Un Littoral Sans Eoliennes, se mobilise contre ces investissements. Quatre débats publics simultanés Pour soulever l’ensemble de ces questions et permettre aux différentes parties prenantes de s’exprimer sur le sujet, la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), saisie par les attributaires des marchés lancés par l’État, a décidé d’organiser des débats publics pour chacun des parcs éoliens retenus. De nombreuses réunions publiques sont donc organisées et des supports d’information sont mis à la disposition de chacun pour prendre connaissance des projets et donner son avis. A la suite de ces débats, un bilan sera rendu public par la CNDP dans un délai de 2 mois, et les maîtres d’ouvrage prendront une décision sur les suites qu’ils entendent donner à leurs projets respectifs.
Le traitement de la précarité énergétique : la nécessité du changement d’échelle et de l’action locale Ce phénomène a pris de l’ampleur depuis 2008 avec la conjonction de plusieurs facteurs dont la crise économique, la hausse du prix des énergies et du coût du foncier. Il concernerait aujourd’hui 3,4 millions de ménages, soit 1 sur 9. Ce sujet préoccupe les Français, puisqu’en 2013, 8 foyers sur 10 déclarent que leurs consommations d’énergie constituent pour eux un sujet de préoccupation important (70 % en 2010)1. En premier lieu, ce sont les milieux ruraux et les petites agglomérations, où le coût résidentiel est le plus important2, qui sont les plus touchés : 37 % des ménages ruraux se restreignent sur le chauffage et le carburant3. Face à l’ampleur du phénomène, les pouvoirs publics ont mis en place une boîte à outils diversifiés aujourd’hui insuffisante pour traiter cette problématique : • Le traitement social de la précarité énergétique vient essentiellement soutenir les ménages dans le règlement de leurs impayés et non dans la réhabilitation de leur logement, repoussant à plus tard l’amélioration de leur confort et la réduction pérenne de leurs factures. Ce sont alors les collectivités locales, en particulier les conseils généraux et les communes qui doivent supporter financièrement le coût du traitement social de la précarité énergétique. • Ensuite, les programmes de soutien à la réhabilitation du bâti ne parviennent pas à atteindre un rythme qui permettrait de résorber le phénomène. Lancé il y a deux ans, le programme « Habiter Mieux » de l’ANAH présente un bilan insuffisant au regard des objectifs fixés et des enjeux de la précarité énergétique. Fin 2012, 19 500 logements seulement avaient bénéficié du programme, encore loin de l’objectif des 300 000 logements en 2017. Les ménages les plus exposés peinent à accéder aux systèmes d’aides ou d’incitation. Par ailleurs, les dispositifs existants mobilisent difficilement la cible des propriétaires bailleurs.
• Enfin, la problématique des transports et du foncier est peu traitée, alors même que le budget transport est crucial pour les ménages les plus en difficulté. Trois conditions au moins, devront alors être satisfaites pour entamer la résorption de la précarité énergétique : • en premier lieu un changement de paradigme en limitant le ciblage trop précis des bénéficiaires, qui amène aujourd’hui des coûts trop importants pour des solutions sur-mesure là où le changement d’échelle est de toute façon nécessaire dans l’habitat, • ensuite un effort sur les politiques d’aménagement et d’offre foncière offrant aux habitants et aux actifs des alternatives quant à leurs modes de transport, • et enfin une redistribution des compétences pour que les territoires concernés puissent se saisir des enjeux de mobilité. Les lois sur la transition énergétique et la décentralisation sont l’occasion de remettre l’ouvrage sur le métier. Laurent Godineau, Directeur Territorial, Explicit, Cabinet d’expertise Energie-Climat
6ème baromètre annuel Energie-Info sur l’ouverture des marchés, Médiateur national de l’énergie, CRE Voir à ce propos : IDDRI – Policy Brief n°02/2013 3 Observatoire du consommateur d’énergie CREDOC-GDFSUEZ 2012 1 2
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En janvier 2010, le comité stratégique du Plan Bâtiment Grenelle définissait la précarité énergétique comme étant le résultat de la combinaison de trois facteurs : des ménages vulnérables par la faiblesse de leurs revenus, la mauvaise qualité thermique des logements occupés et le coût de l’énergie.
entretien avec
Michel Derdevet, Secrétaire général et membre du directoire d’ERDF
La transition énergétique : une feuille de route utile et partagée ERDF est le partenaire de référence dans la distribution d’électricité. Il a participé au débat national sur la transition énergétique en s’impliquant dans le collège des entreprises et en réalisant un cahier d’acteurs. L’évolution préparée le touche directement. Sa position est importante à connaître pour les décideurs publics.
Les Cahiers de la Ville Responsable : Quels sont, selon vous, les principaux enjeux du débat sur la transition énergétique ? Michel Derdevet : Tout dépend des pays et des continents. Aux Etats-Unis, l’objectif est de réduire la dépendance pétrolière en déployant à grande échelle de nouvelles technologies de forage pour produire, à des coûts compétitifs, des huiles et gaz de schistes garants d’une indépendance énergétique retrouvée. Au niveau global, si l’on considère que l’émergence de systèmes énergétiques bas carbone doit être la priorité pour notre planète, et si l’on revient à la France, la transition énergétique pourrait se traduire par un « bouquet » énergétique intégrant une production décarbonée, le nucléaire, incluant plus d’énergies renouvelables et faisant moins appel à des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) importées, qui grèvent lourdement notre balance extérieure. Mais ces choix relèvent du gouvernement et du Parlement. L’enjeu du débat est d’avoir des orientations claires et motivantes. Une feuille de route pour les acteurs, partenaires et utilisateurs de l’énergie. CVR : Quelle peut-être la place des collectivités dans ce schéma ? MD : Elle est désormais centrale. On quitte l’époque où tout était décidé par le haut. La transition énergétique s’engage positivement « par le bas », au plus près des citoyens/consommateurs/acteurs. De nombreuses collectivités cherchent à promouvoir des productions renouvelables (solaire, hydraulique, biomasse, biogaz, éolien…), des pratiques intelligentes pour réguler la demande et une mobilisation de l’épargne locale avec parfois une appropriation collective par des sociétés publiques locales. Il faut écouter et encourager ces démarches. Les élus veulent participer plus et mieux à l’aménagement des territoires, influer sur les choix énergétiques locaux et lutter activement contre la précarité énergétique. Nous pouvons/devons les
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accompagner dans cette mutation qu’ils appellent de leurs voeux. CVR : Que pensez-vous de l’évolution de la gouvernance de la politique énergétique dont on parle beaucoup ? MD : La gouvernance territoriale de la distribution d’électricité doit favoriser un équilibre entre des compétences territoriales et nationales. S’il ne fait aucun doute que l’organisation actuelle peut évoluer, elle doit veiller aussi à conforter le principe de solidarité entre les territoires et à préserver la performance actuelle du système électrique. Plus qu’une opposition, stérile, entre «modèle» centralisé v/s décentralisé, il faut surtout revenir aux «fondamentaux» et à l’utilité du réseau comme moyen d’échange privilégié et de solidarité entre territoires inégaux, tant dans leur géographie que dans leur structure. L’augmentation des énergies renouvelables dans le mix énergétique français va donc impliquer le développement et le renforcement des réseaux électriques, de distribution comme de transport, à la fois pour gérer les équilibres entre territoires et pour garantir un niveau de qualité, notamment de tension, performant. Tout cela nécessitera aussi, à l’évidence, de renforcer les investissements dédiés aux infrastructures énergétiques. CVR : Qu’attendez-vous des suites du débat sur la transition énergétique ? MD : Au-delà du débat, notre pays devra sans doute engager une plus grande participation et une meilleure information du public sur les sujets énergétiques. Apportant sa « pierre » à l’édifice, ERDF sera demain en mesure, grâce au compteur Linky, de fournir plus de données aux collectivités territoriales et aux EPCI pour enrichir leurs politiques locales de transition énergétique. Propos recueillis par Grégoire Milot
Un nouveau souffle pour la géothermie en Île-de-France
Centrale géothermique de Sucy
Le rôle moteur du SIPPPEREC Partenaire public des collectivités territoriales en Îlede-France, le SIPPEREC, Syndicat Intercommunal de la Périphérie de Paris pour l’Électricité et les Réseaux de Communication, conseille les collectivités adhérentes souhaitant développer une politique locale dans le domaine des énergies renouvelables. Les communes d’Arcueil et de Gentilly ont décidé de transférer au SIPPEREC leurs compétences en matière de mise en œuvre d’actions et d’installations de production et de distribution d’énergie géothermique. « Les études réalisées avec les villes d’Arcueil et Gentilly sur le projet ont confirmé la faisabilité technique et financière. Nous espérons pouvoir ainsi développer d’autres projets franciliens de géothermie afin d’utiliser pleinement cette chaleur présente dans nos sols. Les collectivités locales ont en effet un rôle central à jouer pour développer les énergies renouvelables qui sont des ressources locales. Elles sont les mieux placées pour savoir comment les utiliser au bénéfice de leurs habitants. C’est le cas ici où pour Arcueil et Gentilly, ce projet est aussi un projet social, au cœur d’une opération ANRU où les logements sociaux seront les premiers bénéficiaires de ce réseau de chaleur » explique Catherine Peyge, Présidente du SIPPEREC.
© thduvivier - photothèque Cofely
Un projet ambitieux Les bénéfices attendus de ce futur réseau commun aux deux communes sont multiples : Une dimension environnementale prioritaire Une étude sur le projet Arcueil-Gentilly estime qu’environ 14 600 tonnes de CO2 seront économisées chaque année. Pour avoir un ordre d’idée, il s’agit de l’équivalent des émissions de 8 000 véhicules en une année. Des effets positifs d’un point de vue économique et social La raréfaction des énergies fossiles provoquant actuellement une envolée des prix de l’énergie, ce projet doit garantir une maîtrise des coûts et donc des factures de chauffage sur le moyen et long terme pour les usagers. C’est un moyen de lutter notamment contre la précarité énergétique, en stabilisant le coût des charges liées au chauffage.
Les collectivités locales ont en effet un rôle central à jouer pour développer les énergies renouvelables qui sont des ressources locales.
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Le grand dossIer - LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Le Val-de-Marne, premier département français en matière d’installations de géothermie, conforte sa position de leader national au travers du projet de forage de deux nouveaux puits qui serviront à alimenter un nouveau réseau de chaleur commun aux communes d’Arcueil et de Gentilly. Ce projet s’inscrit pleinement dans le cadre de la transition énergétique et des objectifs fixés en matière d’énergies renouvelables.
Le projet en chiffres : • 32 millions d’euros d’investissement • Deux forages de 1 600 mètres de profondeur • 13 km de réseau et 86 sous-stations • Environ 10 000 équivalent-logements alimentés en chauffage et eau chaude sanitaire • Une mise en service prévue pour juin 2015
L’attribution d’une délégation de service public Le 28 mars 2013, la délégation de service public lancée par le SIPPEREC a été attribuée à Cofely Réseaux Île-de-France pour une durée de 30 ans. Cette filiale de GDF-Suez, spécialiste des réseaux de chaleur et de froid, possède aujourd’hui une large expérience dans le département, par le biais de plusieurs opérations déjà lancées à Champigny sur Marne, Thiais et Sucy-en-Brie. « Il s’agit d’un projet qui nous tient particulièrement à cœur. Il répond à une ambition à la fois environnementale et économique pour les villes concernées, et participe à la relance de la géothermie en Île-de-France, nous sommes ravis d’y être associés », explique Damien Terouanne, directeur général de Cofely Réseaux. La société Argéo, spécialement créée par Cofely Réseaux au niveau local pour ce projet, sera en charge de la construction et de l’exploitation de la centrale et du réseau de chaleur développés.
Circuit hydraulique de la centrale géothermique Géothilys de Thiais
© photothèque Cofely
De nouvelles perspectives pour la Région Île-de-France ? Cette opération d’ampleur est la première création de géothermie profonde au Dogger (un gisement d’eau chaude situé à 1,6 km de profondeur) en Île-de-France depuis une trentaine d’années. Elle s’inscrit notamment dans le cadre du programme de relance de la géothermie, initié par la Région Île-de-France dans le Schéma Régional Climat Air Énergie (SRCAE). Trente-trois installations de géothermie existent aujourd’hui dans la région et l’objectif affiché de l’Ademe et du conseil régional d’Île-de-France est de doubler ce nombre d’ici à 2020. Ce projet apparaît ainsi comme un nouvel élan pour atteindre cet objectif. Emilie Walker, Simon Mazajczyk
Mât de forage
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© photothèque Cofely
Ce projet répond à une ambition à la fois environnementale et économique pour les villes concernées.
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Le portfolio d’Hermine Cléret
« Comme un arbre dans la ville, Je suis né dans le béton, Coincé entre deux maisons, Sans abri, sans domicile, Comme un arbre dans la ville... » On a tous en tête, les paroles de cette chanson de Maxime le Forestier. Comment vont nos arbres dans la ville ?
‘‘ Ce sujet des arbres dans la ville me renvoie autant d’émerveillements que de doutes. C’est un sujet impossible à circonscrire et à ordonner, un sujet rebelle. Un simple coup de vent, un changement de saison, un seul instant qui passe et tout peut se refaire. L’arbre dans la cité peut s’incliner, se plier aux exigences du béton et du bitume, il peut aller jusqu’à donner l’illusion d’être invisible pour mieux laisser voir tout ce qui n’est pas lui... Et il peut réapparaître, imposer sa propre architecture, remettre un peu de tordu devant des façades trop lisses, dessiner quelques courbes sur des lignes trop droites, donner un peu d’air...’’
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La ville durable associe aussi bien la prévention que l’action. La prévention, car dans de nombreux domaines, la préservation des ressources passe par une meilleure utilisation des ressources existantes. C’est en particulier le cas pour les aliments. Le gâchis alimentaire est une réalité que certains gèrent intelligemment pour essayer de mieux partager ce qui trop souvent, est jeté. La forêt linéaire est une démarche intéressante. Elle vise à réintroduire de la forêt dans la ville. Vaste programme !
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PRÉVENIR et AGIR
Gâchis alimentaire : la prise de conscience est enclenchée Chaque année, plus d’un tiers de la production mondiale destinée à la consommation humaine est “gâché”, alors qu’un milliard d’hommes et de femmes souffre de malnutrition. Les chiffres sont plus qu’éloquents ; le gaspillage alimentaire est devenu un enjeu majeur de notre société contemporaine aussi bien pour les gouvernements que pour les consommateurs. Focus sur ce fléau économique et social et sur les initiatives pour le réduire.
Le gâchis alimentaire, qu’est-ce que c’est ? D’après le rapport “Global food losses and food waste1” de l’organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le gâchis alimentaire recouvre l’ensemble des produits qui, destinés à l’alimentation humaine, sont jetés ou perdus tout au long de la chaîne d’approvisionnement (des producteurs de matières premières jusqu’au consommateur final en passant par les intermédiaires : transporteurs, distributeurs). Parmi les aliments détruits, deux tiers sont des fruits et légumes, des aliments non consommés ou encore des restes de repas, alors qu’un tiers concerne les produits emballés. On différencie principalement deux types de “gâchis” : les pertes alimentaires et le gaspillage alimentaire.
• Les pertes alimentaires sont les pertes directement liées à la production lors de la récolte, des stades de transformation, du transport ou encore du stockage. Lors des récoltes, les fruits et légumes sont en effet triés suivant leur aspect physique et ceux qui ne correspondent pas à la norme (maturité, forme...) sont jetés ou utilisés à d’autres fins, pour alimenter le bétail par exemple. De même, lors de leur acheminement, les fruits et légumes subissant des dommages sont jetés. En fait, les produits qui ne respectent pas scrupuleusement le cahier des charges des hypermarchés de la grande distribution (distincts selon les habitudes de consommation de chaque pays) sont refusés à l’entrée sans tenir compte de leur qualité. • Le gaspillage alimentaire représente les pertes dues à la consommation finale donc directement liées au comportement des consommateurs et des hypermarchés : soit les produits sont achetés et non consommés par leur détenteur, soit les produits ne sont pas achetés et donc jetés. La date de péremption en est la cause première, liée à un surplus de produits ou une mauvaise gestion du réfrigérateur par les Français.
Le « poids » du gaspillage alimentaire par habitant et par an : • Amérique du Nord : 110 kg • France/Europe : 90 kg • Amérique Latine : 25 kg • Asie du sud et du sud-est : 15 kg • Afrique subsaharienne : 5 kg
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« Pertes et gaspillage alimentaire dans le monde » présenté en mai 2011, dans le cadre du congrès international « Save Food », à Düsseldorf, par l’Institut Suédois pour la Recherche sur l’Alimentation et la biotechnologie (SIK) pour la FAO.
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À qui la faute ?
L’Europe sensibilise D’après la Commission Européenne, 89 millions de tonnes de nourriture destinés à la consommation humaine sont jetés chaque année. L’Europe entend bien lutter contre le gaspillage alimentaire et, pour ce faire, elle s’est fixée l’objectif ambitieux de le diminuer de moitié d’ici 2025. Campagne de sensibilisation (déclinée sur le plan européen et national), cours d’éducation alimentaire (principalement dans les écoles), modification des étiquetages des produits, soutien à la redistribution des invendus... l’Europe veut mettre l’accent
sur l’information afin de sensibiliser aux bons réflexes. Elle a d’ailleurs proclamé l’année 2014, “année européenne contre le gaspillage alimentaire”. La France mobilise Sur le plan national, le ministre délégué en charge de l’agroalimentaire a dévoilé une série d’opérations pilotes destinées à des publics distincts (citoyens, association, grande distribution). Parmi celles-ci, un axe majeur est destiné à la mobilisation des territoires. Sur la base du volontariat, les villes doivent s’engager à lutter contre le gaspillage alimentaire. La ville et la communauté d’agglomération de Tours, notamment, ont répondu présent
Les cantines sont un lieu privilégié de réduction du gaspillage alimentaire 2
© Ritter, Steffen
Etude TNS Sofres publiée le 24 octobre 2012 : « Les Français et le gaspillage alimentaire » disponible sur www.tns-sofres.com
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Les consommateurs autant que les distributeurs ont leur part de responsabilité. Le cercle vicieux de nos modes de consommation alimente ce gaspillage : les rayons des supermarchés constamment réapprovisionnés, une offre pléthorique de produits, des pratiques commerciales encourageant l’achat... Autant de causes qui ont profondément modifié notre rapport à la nourriture. Certes nous gaspillons, c’est un fait, mais sommesnous sensibles ou au contraire indifférents à ce phénomène ? D’après une étude TNS Sofres2, 54 % des Français expriment la nécessité de réduire quotidiennement ce gaspillage. Une majorité d’entre eux (76 %) estime même que la problématique est peu présentée et donc peu connue. Face à cette prise de conscience, quelles sont les initiatives ? Tour d’horizon...
à l’appel et décidé d’organiser un système de ramassage. Des « camionnettes de l’aide alimentaire » sont ainsi chargées de récupérer les denrées alimentaires non utilisées par les habitants. L’objectif est de créer une dynamique et d’inciter les territoires à reproduire ce modèle. Les collectivités se responsabilisent Les collectivités sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à franchir le pas et à adopter des mesures visant à lutter contre le gaspillage alimentaire. La restauration collective constitue une part importante du problème au sein des territoires. Si le mot « cantine » évoque encore quelque chose, vous vous souviendrez sans difficulté de ces assiettes bien garnies souvent difficiles à finir et dont une bonne partie du contenu se voit souvent destinée à la poubelle, malgré le courage et la détermination du personnel. Soucieux d’agir, des territoires ont fait preuve d’imagination ou tout simplement de pragmatisme. • La communauté de communes Plaine-de-Courance, dans la région Poitou-Charentes, souhaite montrer l’exemple en matière de réduction des déchets dans ses cinq centres de loisirs. Objectif de ces derniers : impliquer les jeunes générations dans la gestion des déchets. Pour ce faire, un poulailler a été installé au sein des centres. Concrètement, lorsque les enfants ont fini de manger, ils effectuent leur tri en séparant les déchets dans deux bacs distincts : un bac classique et un autre biodégradable destiné à alimenter les poules. Ensuite, ils s’occupent de les nourrir. Cette organisation crée une réelle implication dans le processus de gestion des déchets dès le plus jeune âge. Ces gestes répétés quotidiennement permettent une véritable prise de conscience par le biais d’actions concrètes. Dans la même lignée d’objectifs, un système de préinscription à la cantine a été instauré permettant d’améliorer l’évaluation et la gestion des quantités. • De son côté, le Conseil général de Dordogne a décidé d’introduire des produits biologiques et locaux au sein des cantines des collèges. Deux plate-formes ont été mises en place. Elles
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permettent une meilleure communication entre les producteurs et les acheteurs. Ainsi, ils déterminent ensemble les quantités nécessaires avant même que les produits soient cultivés. Une relation gagnante puisque les deux protagonistes minimisent leurs pertes. Pour compléter ce dispositif, un système de compostage a été introduit au sein de ces mêmes établissements. • En Gironde, c’est la cuisine mobile de banque alimentaire qui sillonne le département afin d’apprendre aux habitants à cuisiner des aliments non consommés. Ce camion a différentes fonctions, d’une part, récupérer les produits non utilisés auprès des grandes surfaces et les redistribuer auprès des associations et, d’autre part, apprendre à les cuisiner. Ce dispositif permet d’apprendre à mijoter des plats savoureux en se servant des restes du frigo. Elle laisse de côté les recettes toutes faites et préfère faire appel à la créativité du groupe. Et le mouvement fait tâche d’huile… Les collectivités locales ne sont plus aujourd’hui les seules à s’engager sur ce terrain. • L’initiative du Britannique Tristram Stuart, “Le banquet des 5 000”, est sans doute celle qui a été la plus médiatisée et la plus fédératrice. Parti en guerre contre le gaspillage alimentaire, l’homme multiplie depuis quelques années des actions de sensibilisation diverses : des reportages, un best-seller “Waste”... Ce combat lui a
valu une reconnaissance en 2011 : le prix Sophie, récompense internationale pour l’environnement et le développement. Plus récemment, afin d’accélérer la prise de conscience du public, il a lancé l’idée d’un curry géant réalisé et servi gratuitement à l’Hôtel de ville de Paris. L’expérience, déjà menée en 2009 sur la célèbre place londonienne Trafalgar Square, a rencontré un franc succès. Les fruits et légumes utilisés pour la recette ne correspondaient pourtant pas aux normes et étaient destinés à être jetés. Ils ont été récupérés auprès de producteurs. « Une carotte peut être tordue et bonne, comme la peau de la pomme de terre n’a pas à être cosmétiquement parfaite », a-t-il expliqué lors de l’événement. Résultat : 1,2 tonne de fruits et légumes et 6 000 portions de curry préparées !
consommateur peut accéder aux listes de marchandises concernées selon les grandes surfaces, leurs emplacements géographiques ou encore le type de produit.
• Autre piste possible : obtenir des produits à moindre coût et permettre aux grandes surfaces d’éviter le gaspillage. Créé par des étudiants, le site “ZéroGachis” le fait, en regroupant des réductions sur des produits bientôt périmés dans les commerces au sein d’un périmètre défini. Avant de prendre son caddy, le
Même si la prise de conscience semble bien amorcée, il ne faut pas considérer à travers ces différents exemples, que le gâchis alimentaire est une affaire réglée. Il demeure un problème social et mondial dont seul un travail de longue haleine pourra venir à bout. Ce travail s’appelle la transformation des consommateurs en “consommacteurs”. Sophie Zamora
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• Une association a aussi pris à cœur cette problématique. Disco Soupe : un nom accrocheur, une combi• Enfin, les commerces s’attaquent au problème. naison qui évoque à la fois une ambiance musicale A Nozay par exemple, petite ville d’environ singulière et une dégustation culinaire. Saupoudrez 3 000 habitants située à une trentaine de minutes le tout d’un zeste de bonne humeur et vous obtiende Nantes, un magasin Super U a décidé de montrer drez des sessions collectives où les fruits et les le chemin. Au détour d’une rue, plusieurs choses légumes invendus sont épluchés par tous les attirent l’attention : des caddies pédagogiques, un participants et donnent lieu pavillon de compostage, un jardin à un festin partagé.Un tel partagé. Nous sommes bien en banquet n’aurait probablement présence d’une enseigne qui a Ce travail s’appelle la pas lieu si ces événements ne transformation des consommateurs choisi d’agir. Son système s’artidisposaient pas d’un réseau de en ‘‘consommacteurs’’. cule autour de plusieurs actions. partenaires solide. Aussi rajouLes biodéchets sont compostés tons dans la boucle Guayapi, en interne et par les employés, Retour à la terre du réseau Biocoop ou encore les les produits non consommés sont placés dans collectivités locales qui permettent à ces animades caddies pédagogiques et stockés pendant tions de voir le jour. En 2013, ces événements vont 6 jours afin d’évaluer l’importance et les causes s’étendre dans 13 villes avec toujours la même devise : du gâchis pour contribuer à sa diminution, « La convivialité contre le gâchis, la gratuité du le bâtiment est conçu selon les critères de haute recyclage et le plaisir du disco ! » A vos agendas ! qualité environnementale... Pionnière au sein des magasins U, ce commerce fait figure d’exemple en intégrant, dans sa gestion, une démarche de développement durable.
Le périphérique parisien, la quarantaine verte Imaginer une balade le long du périphérique parisien semble désormais possible puisque les contours de cette véritable barrière entre Paris et la banlieue sont en train d’être remodelés. A l’heure où le Nouveau Grand Paris et le Schéma directeur 2030 envisagent un développement durable de la Région Île-de-France, comment concevoir que la métropole parisienne reste ainsi ceinturée par ce symbole de la pollution et du « tout-voiture » ?
Une forêt aux abords du périphérique parisien
1,1 million de véhicules circulent chaque jour sur les 35 km de long et les 40 m de large de cet axe urbain le plus fréquenté d’Europe, produisant une moyenne de 108 microgrammes d’azote par mètre cube d’air* (la valeur limite est de 40 μg/m3). C’est dire si le chemin sera long avant de rendre les abords du périphérique agréables. Le 25 avril dernier, le périphérique a fêté ses 40 ans : cet anniversaire a été l’occasion d’inaugurer un jardin sur la porte de Vanves (XIVème arrondissement) offrant une jonction jusqu’alors inexistante entre Paris et Malakoff. Le secteur de la Porte des Lilas a, quant à lui, amorcé le changement dès 2010. D’autres projets visant à diminuer la « fracture territoriale » sont aujourd’hui en cours de réalisation ou à l’étude. * chiffres d’Airparif, association de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France.
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© Agence TER
Parmi ceux-ci, dans le nord de Paris, un projet d’une autre envergure est en train de voir le jour : Paris Nord Est, le plus vaste projet d’aménagement lancé par la Ville de Paris. Celui-ci ne prévoit pas de couvrir les voies, principalement pour des questions de coût et de pente mais aussi parce que les bénéfices pour la qualité de l’air ne sont pas certains. Avec ce projet, la Ville de Paris, en collaboration avec les villes de Saint-Denis, d’Aubervilliers et de Pantin, souhaite s’inscrire dans une démarche de développement durable. Au sein de ce territoire de 200 hectares, allant de la Porte de la Chapelle à la Porte de la Villette et découpé en plusieurs zones d’aménagement, la forêt linéaire est en train de naître. Actuellement en cours de plantation, cette « promenade urbaine » deviendra d’ici 2030, une vraie forêt, de part et d’autre du périphérique.
comment miser sur le passé industriel pour valoriser les abords du périphérique ? Le territoire sur lequel est implanté le projet Paris Nord Est est marqué par la prépondérance des réseaux ferroviaires et routiers, qui se sont développés autour des gares dès le XIXe siècle, des anciens entrepôts et des abattoirs de la Villette. Au cours du temps, ce secteur industriel s’est transformé en quartier populaire atteignant environ 13 000 habitants aujourd’hui. Le principal objectif de ce grand projet de renouvellement urbain (GPRU) est de « créer une ville dans la ville » offrant une mixité d’usages - transports, logements, activités, bureaux, commerces - et laissant la part belle aux espaces verts. Implantée au sein du projet Paris Nord Est, la forêt linéaire représente un axe majeur de requalification de ce territoire. Une forêt au nord de la ZAC Claude Bernard La ZAC Claude Bernard, d’une superficie de 14,6 hectares entre le canal Saint Denis et la porte d’Aubervilliers, est un des 9 secteurs composant le projet Paris Nord Est. À terme, elle comprendra
@ Agence Arpentère
50 000 m2 d’espaces verts, dont la forêt linéaire, qui sera créée sur un peu moins d’un kilomètre de part et d’autre du périphérique. Cette dernière se décompose en plusieurs tronçons qui seront réalisés à des échéances variables. Côté Aubervilliers, 8 000 m2 pour une réserve naturelle, 13 000 m2 pour la forêt linéaire du Parc du Millénaire et 7 000 m2 pour les allées plantées sont envisagés. Côté Paris, 11 000 m2 sont prévus pour le mail Emile Bollaert et 11 500 m2 de forêt linéaire sont actuellement en cours de réalisation sur la parcelle Claude Bernard, entre le canal Saint-Denis et le mail Emile Bollaert. Ce tronçon, en cours de création, est réalisé sur une longueur de 350 mètres le long du périphérique. Cordon de verdure entre les Maréchaux et le périphérique, il constituera un mur antibruit et antipollution qui pourra accueillir les premiers promeneurs dès le printemps 2014. Outre les facteurs d’amélioration de la qualité de l’air et de gestion du climat urbain, la forêt linéaire permettra d’accroître la qualité de vie des riverains des abords du périphérique. À terme, le projet Paris Nord Est, ainsi que les autres projets amorcés à la limite de Paris, permettront aux franciliens de mieux se déplacer et de se réapproprier les espaces hostiles entourant Paris.
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La promenade dans la futaie de chênes
Focus
Paris Nord Est, Un projet divisé en 9 secteurs d’aménagement Localisé entre les XVIIIème et XIXème arrondissements, le projet Paris Nord Est est composé de 9 secteurs d’aménagement distincts : • Porte de la Chapelle - Condorcet : zone de connexions routières, ce secteur de 17,8 ha pourrait accueillir à terme un nouveau campus francilien (Paris I). • Chapelle International : un quartier de 4,6 ha entouré par les voies ferroviaires partant de la gare du Nord et les immeubles de la rue de la Chapelle et du boulevard Ney. Il y est prévu l’implantation d’habitations du fait de son calme. • Gare des Mines - Fillettes : sur cette zone d’environ 22 ha, située dans le XVIIIème arrondissement, sur les communes de Saint Denis et d’Aubervilliers, la couverture partielle du périphérique et la création d’une zone d’habitat, d’équipements et d’emploi sont prévues. • Chapelle Charbon-Hebert : ce secteur de 25,3 ha prévoit la création d’une promenade paysagère entre la rue de la Chapelle et le cours d’Aubervilliers. • Porte d’Aubervilliers : un nouveau mail permettra à tous de circuler et de faire le lien avec les communes limitrophes. • ZAC Claude Bernard : Ce sera le premier quartier mixte sur une zone de 14,6 ha intégrant le 1er tronçon de la forêt linéaire. • Macdonald-Evangile : ce secteur de 27,2 ha est principalement marqué par la présence de l’entrepôt Macdonald qui sera reconverti et du pôle multimodal Triangle Eole – Evangile qui intègre la future gare Rosa Parks. • Porte de la Villette : principal lien entre Paris, Aubervilliers et Pantin, ce secteur sera requalifié. • La Halle aux cuirs : ce secteur de 4 ha, situé au sud du faisceau ferroviaire, est en cours d’étude. Le projet Paris Nord-Est comprend également la requalification de quatre axes majeurs Nord-Sud qui sont des liaisons entre Paris et les communes riveraines. Le projet Paris Nord Est
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LES ENJEUX PAYSAGERS ET ENVIRONNEMENTAUX DE LA FORÊT LINéAIRE La forêt linéaire est une forme de forêt urbaine comme il en existe dans plusieurs grandes villes comme Londres, Bruxelles ou encore Stockholm. La création d’une forêt urbaine présente de nombreux atouts en terme d’écologie et de biodiversité, mais elle doit aussi se confronter aux difficultés d’un milieu peu propice au développement d’espèces animales ou végétales. Un temps d’évolution lent entre la plantation et l’obtention d’une vraie forêt La création du boisement constituant la forêt nécessite la plantation de plusieurs espèces d’arbres et de végétaux. Mais, si les promeneurs pourront se balader sur le territoire de la forêt dès 2014, cette dernière n’arrivera à maturité qu’aux alentours de 2030. Ainsi, le temps de plantation laissera la place à un temps d’installation du boisement puisque ce dernier ne prendra toute son ampleur qu’après 15 à 20 ans. Des toises d’une hauteur de 10 mètres serviront de repère pour suivre la croissance des différentes variétés d’arbres de la forêt. Créer de la biodiversité dans un espace très urbanisé La création d’une forêt urbaine nécessite la planification de la plantation, de l’entretien et de la conservation des différentes espèces. En effet, le milieu urbain expose la flore à des contraintes spécifiques liées à la pollution (eau, air, ozone), une faune appauvrie, la forte fréquentation humaine, un micro-climat déshydratant, la surexposition à la lumière... Les espèces animales sont également soumises à ces conditions difficiles. Le développement des végétaux et la protection de la faune seront notamment favorisés par la plantation
@ Agence Arpentère
de ronces, constituant elles-mêmes un lieu de vie. La variété des ambiances forestières, créée par les différentes espèces et espaces imaginés au sein de la forêt, et le mode de gestion raisonné permettront à la forêt linéaire de devenir un réservoir écologique qui pourra être rapidement colonisé par la faune et la flore. Les Parisiens pourront ainsi déambuler, sans la détériorer, dans une forêt dont les rythmes de plantation seront calqués sur des modes de plantation et de gestion des forêts classiques. Dans son organisation, la forêt présentera une densité progressive depuis le mail Bollaert où de larges espaces de prairie arborée seront ponctués de bosquets jusqu’au canal Saint Denis où un taillis dense prendra place sur la plus petite largeur de la forêt en passant par la futaie. Le talus du périphérique sera également densément planté afin de limiter les nuisances sonores et les pollutions atmosphériques issues du flux automobile. Un projet qui favorisera la perméabilité des sols et garantira une bonne gestion des eaux Le maintien de la perméabilité des sols présente un atout écologique car il permettra d’alimenter les végétaux avec les eaux de pluie mais également de garantir l’évaporation naturelle du sol. Le projet prévoit donc de maintenir cette perméabilité et de gérer la circulation et la collecte des eaux sur l’ensemble du territoire de la forêt. Les matériaux utilisés pour réaliser le revêtement de la forêt linéaire ont été choisis pour leur caractère naturel, historique et leur perméabilité qui garantira la filtration des eaux. Aux abords de la forêt, le pavé classique des chaussées parisiennes sera utilisé pour la rue Emile Bollaert qui bordera la forêt au sud. Sur les sections piétonnières à faible circulation, les joints de ces pavés seront remplis de terre et de sable afin de permettre la colonisation de l’herbe et de retenir une partie des eaux de pluies.
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La forêt linéaire entre la rue Emile Bollaert et le périphérique
© Agence Arpentère
Le chemin dans le taillis dense
A l’intérieur de la forêt, du macadam à l’eau, alliant pierre et sable, sera employé : cette ancienne technique d’empierrement des chaussées, qui utilise des pierres de tailles différentes, lui confère un caractère naturel. Par ailleurs, les eaux de ruissellement excédentaires seront redirigées vers les espaces plantés afin d’alimenter les végétaux. Un ouvrage de rétention des eaux pluviales permettra également la récupération des eaux de pluies de la ZAC Claude Bernard et de la forêt n’ayant pas été absorbées par le sol. Les eaux polluées issues des voiries seront quant à elles traitées par des filtres à sable. Une forêt urbaine favorisant l’accès du public La principale vocation du projet reste d’offrir aux Parisiens un lieu de promenade dans les bois. Afin d’accueillir le public, la forêt linéaire sera donc agrémentée de mobilier urbain. A cet effet, le bois sera utilisé pour sa bonne résistance et sa bonne intégration dans la forêt. Les potelets, les poteaux de clôture et les plates-formes de pause et d’assise seront donc réalisés en chêne brut. Les assises seront des troncs couchés provenant du bois de Vincennes ou de Boulogne. Les mâts de l’éclairage suspendu, également réalisés en bois, se fondront dans l’environnement boisé. Afin de respecter le cadre de vie de la faune et la flore et d’économiser l’énergie, seul le chemin principal sera éclairé. Comme cette forêt parisienne, d’autres projets de forêts urbaines voient le jour en France. Certains sont élaborés
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de manière collaborative avec la population. C’est le cas du projet de territoire ‘‘Demain ma Ville 2030’’, en cours de conception dans l’agglomération nantaise, qui prévoit la création de 3 forêts urbaines. Ne plus penser à l’échelle de la ville mais de l’agglomération implique une continuité des éléments constitutifs du paysage sur un territoire plus étendu : continuité de l’habitat, du mobilier urbain, des espaces verts... Cette continuité, contribuant à la notion d’entité paysagère, se traduit par une identité paysagère commune à l’agglomération. La forêt linéaire peut ainsi, dans la métropole parisienne comme dans l’agglomération nantaise, être réalisée sur plusieurs communes, sans faire cas des limites routières, et offrir aux populations un plus grand accès aux espaces naturels. Alexandra Merlot Benoît Fagnou, Paysagiste d.p.l.g – Agence Arpentère L’agence Arpentère est le maître d’œuvre de la Ville de Paris pour la réalisation du 1er tronçon de la forêt linéaire.
en savoir plus Sur la forêt linéaire et le projet Paris Nord Est : • Le site du projet : www.paris-nord-est.paris.fr • Le site de la ville de Paris : www.paris.fr • Le site de la société d’économie mixte de la Ville de Paris en charge de 6 projets d’aménagement : www.semavip.fr
L’innovation, c’est aussi la prévention des risques. Nous nous penchons aujourd’hui sur ce thème souvent peu traité par les collectivités au-delà des règles dictées par les Plans de Prévention des Risques Technologiques. Celles-ci se rassurent en se disant qu’elles ne sont pas responsables des équipements construits et exploités par d’autres. Le drame d’AZF à Toulouse montre que les conséquences sont telles, qu’il faut tout à la fois prévoir et prévenir. D’autant plus, nous le verrons, que bon nombre d’équipements sont construits pour les villes et les agglomérations.
43 UNE VILLE INNOVANTE
LES ENJEUX DE la sécurité industrielle pour les villes
La sécurité industrielle dans les villes : entre précaution et développement La catastrophe de l’explosion du site d’AZF à Toulouse en 2001 a mis en relief les risques industriels dans les villes. Les effets ont été dramatiques : 30 morts, plus de 2 200 blessés, 3 300 accidents du travail, 30 000 logements détruits ou endommagés, 192 bâtiments communaux touchés, 50 entreprises anéanties et 400 gravement sinistrées. L’industrie pétrolière ou chimique est directement concernée, mais les risques touchent aussi des secteurs de la vie municipale : traitement de l’eau, incinération des déchets. Entre le principe de précaution, la nécessité d’équiper sa collectivité et d’accueillir des entreprises, les choix publics sont souvent complexes.
La place de l’industrie dans les villes
Les pompiers au cœur de la gestion des risques industriels
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L’industrie, par nature à risque, a-t-elle sa place dans nos villes ou à leur périphérie ? Comme pour tout équipement, parc éolien, centre de traitement des ordures ménagères, station d’épuration mais aussi entreprise industrielle, tout le monde y est favorable... chez les autres. Le célèbre phénomène NIMBY est au cœur du sujet. Les mairies sont partagées. Une usine, un équipement, ce sont d’abord des ressources induites et de l’emploi. Ces deux éléments sont essentiels pour une ville et ses habitants. Mais parallèlement, il faut maîtriser les risques et intégrer certaines nuisances, redoutées ou réelles. Trafic, odeur, bruit, nuisance visuelle... ces aspects peuvent se maîtriser. L’élu doit donc jongler entre les finances locales et les réactions de ses électeurs. D’autant plus que les villes ont un rôle non négligeable. Le conseil municipal doit rendre un avis en cas d’implantation d’une activité ou sur le fonctionnement d’une installation. Ces décisions sur les dossiers de demande d’autorisation d’exploiter sont complexes à prendre. Elles supposent bien souvent des compétences techniques, environnementales et économiques et du temps pour les instruire en détail. Ce que n’ont pas forcément les collectivités. Les enjeux sont importants. On connaît les moyens financiers dont disposent les collectivités qui accueillent des zones industrielles. Depuis les villes minières d’hier jusqu’aux sites industriels d’aujourd’hui, celles-ci ont des équipements, des services et proposent des aides qui sont précieuses pour une population souvent ouvrière. Un exemple d’actualité : Arfons, commune de 189 habitants dans le Massif central a vu son budget bondir de 400 000 € à 2,3 millions d’€ grâce à l’implan-
Le drame de Toulouse
Une catastrophe, une loi Comme souvent, l’État réagit promptement à l’issue d’une crise pour faire évoluer le dispositif législatif pour prévenir, responsabiliser et limiter, autant que faire se peut, le renouvellement de ce type d’accident. La triste expérience de l’accident de Toulouse a mis en relief des faiblesses qui peuvent être traitées en amont. L’explosion a en effet anéanti l’ensemble des dispositifs prévus : les sirènes d’alerte ont été soufflées, les réseaux fixes et mobiles ont été anéantis ou saturés, la circulation et les transports ont été bloqués. Dix jours après les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, les rumeurs les plus folles ont rapidement circulé sur l’origine et les risques de l’explosion. L’accident a révélé le manque d’information de la population, des acteurs de la sécurité de la collectivité et le manque de moyens des opérateurs mobilisés sur le terrain. Au niveau national, deux jours seulement après l’explosion, le ministre de l’Environnement, Yves Cochet,
indiquait son souhait de voir évoluer la réglementation : « Cette proximité entre les sites industriels et les populations pose le problème de fond. Nous avons identifié les points noirs. Ils sont 680 ». Quelques jours plus tard, une semaine exactement après le 21 septembre, Lionel Jospin confirmait la volonté du gouvernement de produire une nouvelle loi sur la maîtrise des risques industriels. Les deux éléments centraux de celle-ci ont été la création de Comités Locaux d’Information et de Concertation et la mise en place de Plans de Prévention du Risque Technologique. Le premier point répond au besoin d’information de la population. Il vise à informer et impliquer les salariés des sites concernés, les populations riveraines et le secteur associatif dans les processus de décision et la conduite de l’action publique. On retrouve ici les enjeux de l’information et de la concertation en amont avec les parties prenantes du territoire concerné. Le second, les Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) constituent un nouvel outil pour la maîtrise de l’urbanisation autour des sites Seveso, conçu dans le but de limiter les constructions aux abords des sites à risques.
Une concertation renforcée La mise en place des CLIC, est un bon moyen d’associer la population à la mise en place de mesures parfois contraignantes. C’est aussi une opportunité pour faire évoluer et converger les pratiques administratives, associatives, industrielles, politiques, syndicales et territoriales. L’objectif étant de maîtriser les risques, de les contrôler et, progressivement, de réduire autant que possible les dangers à la source. Or une politique de prévention passe par certaines formes de contraintes. Les limites de construction aux abords des sites à risque en sont de bons exemples. Sur le papier, tout le
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une ville innovante
tation d’un parc éolien. Le maire a lancé un concours d’idées pour trouver des moyens... de dépenser l’argent de cette manne. D’un autre côté un accident, même minime, a des conséquences importantes : des risques humains pour les salariés mais aussi pour les habitants de proximité ; des risques économiques car, un accident industriel c’est souvent l’outil de production, mais aussi les routes ou les voies de chemin de fer voisines qui sont endommagées. Enfin, les risques sont surtout environnementaux : destruction de la faune et de la flore, pollution de l’air, des sols et de la nappe phréatique. L’accident de Toulouse a fait évoluer ou a renforcé le cadre législatif en imposant plus d’obligations mais en donnant également plus de moyens à la puissance publique pour encadrer les choses.
Site classé SEVESO 2
monde est pour. Mais quand cela empêche la construction d’un équipement pour une ville, l’agrandissement d’une maison pour un particulier ou la revente d’un terrain pour un propriétaire, il vaut mieux que la mesure soit expliquée, comprise et acceptée.
© Magnus Manske
Une maîtrise de l’urbanisme
Un autre axe qui touche directement les maires est le contrôle du foncier. Les PPRT sont des instruments de maîtrise des constructions. Ces plans offrent de nouvelles possibilités d’action sur l’urbanisation exisOn retrouve ainsi des dispositifs que connaissent les tante et sur l’urbanisation future. Le plan, qui vaut servivilles comme le SPPPI (Secrétariat Permanent pour la tude d’utilité publique, peut ainsi définir des zones où la Prévention des Pollutions Industrielles). Ils ont été créés construction est interdite, des zones où la construction dans certaines zones industrielles denses, notamment est autorisée sous condition et des zones où les collecautour des usines Seveso. Ces structures réunissent tivités locales peuvent instaurer un droit de préemption. toutes les parties prenantes : industriels, services de Dans les situations où les mesures de réduction du l’État, élus et collectivités locales, risque d’un établissement s’avèrent associations de défense de l’enviinsuffisantes au regard de la vulnéUn autre axe qui touche rabilité des populations environronnement, experts scientifiques, syndicats. Leur secrétariat est directement les maires est le nantes, le règlement du PPRT peut assuré par les DREAL. L’objectif contrôle du foncier. également définir, au sein de ces est de réunir ces acteurs autour zones, des secteurs dans lesquels de la table pour définir ensemble il est possible de déclarer d’utilité les études, les actions, les mesures à prendre afin de publique l’expropriation d’habitations. La réussite du réduire la pollution et minimiser les risques industriels. PPRT réside dans l’art d’accommoder les exigences de sécurité avec les impératifs de développement. Une fois Cette démarche participative permet d’associer les encore, dans ce domaine les élus sont partagés entre populations concernées pour permettre de choisir, la nécessité d’accompagner le développement de leur de comprendre, d’accepter et de relayer les mesures collectivité et la maîtrise des risques qu’ils font prendre prises par la puissance publique. à leurs habitants. D’autant plus qu’ils ne sont pas juridiquement exempts de responsabilité.
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La responsabilité des élus Dans ce domaine des risques industriels, la responsabilité civile mais aussi pénale des élus, peut être engagée. Le maire doit respecter les principes de l’article L 221-6 du Code Pénal qui traite des fautes par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence. Au-delà de cette responsabilité classique, la jurisprudence fait apparaître trois principaux cas de responsabilité pour la commune : les carences de signalisation et d’information, l’absence ou l’insuffisance de travaux susceptibles de prévenir ou d’atténuer les effets d’un risque majeur et l’absence ou l’insuffisance de mesures de contrôle. Ces dispositifs touchent en premier lieu les risques naturels. L’objectif étant d’ouvrir une responsabilité et donc une indemnisation des personnes touchées. Ce qui concerne les risques d’inondation, d’avalanche ou de tornade peut également s’appliquer aux risques industriels. Notons également que depuis 1990, les maires ont la responsabilité de mettre en œuvre les actions d’information préventives face aux risques majeurs susceptibles d’affecter leur territoire. Or, dans les faits, seulement 20 % des 27 000 communes qui sont réglementairement concernées par cette obligation ont réalisé ce Document d’Information Communal sur les Risques Majeurs (DICRIM).
© Etat d’Esprit
Réunion d’information sur le risque en Loire moyenne
La prise en compte par les villes de l’ensemble des risques qui touchent leur collectivité est une obligation qui fait évoluer leur comportement. Cela passe par des initiatives comme, par exemple, l’information des populations concernées mais aussi par une réflexion sur les moyens à prendre pour intégrer dans la mise en place de leurs équipements à risques des compétences et un suivi pour prévenir afin de ne pas avoir à guérir. Emilie Walker
La communauté d’agglomération havraise (Codah – 300 000 habitants) s’est dotée de la compétence d’information sur les risques majeurs. Cela s’explique en particulier par l’importance d’entreprises à risques dans le domaine pétrolier. L’estuaire de la Seine est le deuxième pôle français pour le pétrole et la chimie avec 35 établissements à risque, dont 19 classés Seveso. Cette compétence intègre l’information préventive des habitants, le recensement des risques et l’élaboration de documents réglementaires comme les plans de secours ou de sauvegarde. Le dispositif baptisé Cignale met d’abord en réseau 22 sirènes implantées sur le territoire de l’agglomération qui peut s’étendre aux 49 autres présentes dans les communes de l’estuaire.
Cette centralisation permet un déclenchement synchronisé depuis un seul et même lieu de toutes les alarmes connectées. Autre mission : le choix d’emplacement pour l’installation de nouvelles sirènes. Pour cela, le personnel de Cignale dispose d’un logiciel de modélisation acoustique pour optimiser la couverture sonore du territoire. Il est capable d’évaluer la diffusion du signal émis par la sirène et détermine les obstacles qui pourraient empêcher la bonne propagation du son, comme une route très fréquentée ou un obstacle naturel. Notons que cet outil est ouvert et partagé par l’ensemble des acteurs économiques et sociaux de l’agglomération. Ce peut être une usine, un lycée ou tout autre équipement.
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une ville innovante
Cignale : un système d’alerte et d’information de l’agglomération havraise
Jean-Luc Ventura, Interview
Directeur France, Degrémont
Comment partager la préoccupation de la sécurité industrielle avec les collectivités ? Filiale de Suez Environnement, Degrémont est le spécialiste mondial du traitement de l’eau depuis plus de 70 ans. Production d’eau potable ou d’eau de process, dessalement, traitement des eaux usées, recyclage, traitement des boues... les installations de Degrémont équipent à ce jour plus de 80 capitales à travers le monde. Cette expérience permet à l’entreprise de conseiller ses clients municipaux et industriels sur les solutions les plus fiables sur la qualité et la sécurité des installations. Les Cahiers de la Ville Responsable : Vos métiers de traitement de l’eau intègrent-ils la notion de risque industriel ? Jean-Luc Ventura : Les ouvrages de traitement de l’eau et de la biomasse sont rentrés dans ce champ. Des accidents ont eu lieu, comme dans l’atelier de compression de biogaz de l’usine d’épuration de Valenton. Par les procédés mis en œuvre et la taille des ouvrages, ces installations comportent un potentiel de risque qui nécessite d’être pleinement maîtrisé sur le plan industriel. CVR : Quelle démarche vous semble la plus adaptée pour traiter ces risques ? J.-L.V : Tandis que les autorités publiques renforcent leurs contrôles et leurs prescriptions, les maîtres d’ouvrages et les concepteurs de ces installations doivent inventer de nouvelles méthodes de collaboration. En effet, les méthodes utilisées sont essentiellement axées vers les réductions des défaillances techniques au sens de leur disponibilité. Elles n’intégrent pas systématiquement l’ensemble des dangers potentiels.
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mont, en tant que partenaire stratégique de l’industrie pétrochimique, lui permet de disposer et de proposer des solutions maîtrisées en la matière. CVR : Est-ce que cela fait évoluer vos rapports avec les collectivités ? J.-L.V : Cette démarche de prévention des risques doit être intégrée dans l’ensemble des marchés, de la conception à l’exploitation et la maintenance. En effet, s’il faut systématiquement engager dès la genèse une analyse des risques du site et des procédés, il sera indispensable de prévoir et de mettre en place dans la phase d’exploitation un Système de Gestion de la Sécurité. Cela fait évoluer de manière significative les standards techniques utilisés : méthodologie, tuyauteries, réseau électrique, système de sécurité, contrôle commande… Cela a un impact significatif sur le budget et le planning du projet. Dans les secteurs de la chimie et la pétrochimie, la part liée à la gestion du risque industriel représente 20 % du coût d’investissement.
CVR : Comment faire ?
CVR : Comment faire pour mettre chacun sur un pied d’égalité et choisir « la meilleure solution » ?
J.-L.V : Nos expériences menées sur les quatre plus grandes usines d’assainissement de France (Achères, Valenton, Marseille et Strasbourg) mettent en évidence la nécessité d’assurer un couplage avec des bureaux d’études spécialisés pour élaborer les solutions pertinentes. Cela nous a permis d’adapter les méthodologies issues des industries à risques et d’élaborer des standards techniques fiabilisés conduisant par exemple à la dissociation des systèmes de contrôle commande et des systèmes de sécurité. La place de Degré-
J.-L.V : Une réflexion doit être portée sur les marchés. Différentes pistes doivent être étudiées et mises en œuvre : un CCTG (Cahier des Clauses Techniques Générales) commun à toute la profession pour les installations à risques, l’intégration responsable de lignes spécifiques dans les fiches de prix, l’adaptation des marchés d’exploitation pour permettre de réaliser les modifications incrémentales des systèmes de sécurité résultant de la gestion du retour d’expérience ou de leurs obsolescences.
La concertation passe par l’information et le dialogue. Cette démarche se heurte souvent à des barrières. On souhaite toucher tous les habitants directement concernés par le projet débattu. Mais trop souvent « ce sont toujours les mêmes » qui participent. Le monde public se bat pour mobiliser les exclus de la participation. Autre barrière, celle de la langue et du territoire. Quand il faut sur un projet transfrontalier débattre avec deux populations, deux langues et deux systèmes de référence, il faut trouver de nouvelles solutions.
49 UNE VILLE EN DÉBAT
Toucher les bons publics
Comment mobiliser les exclus de la participation ? Le lancement d’une démarche de concertation s’accompagne d’une question classique : comment mobiliser « ceux qui ne s’expriment pas » ? C’est une forte demande des villes lors du lancement de leur démarche participative. Barrière de la langue, désocialisation, faible intérêt pour les projets publics, absence de temps... les réserves sont fortes. La principale raison est le peu de mobilisation sur le projet débattu et le manque de visibilité de l’intérêt de la participation.
Quels publics s’impliquent peu dans la participation ? L’expérience des rencontres publiques montre assez qu’on croise peu de jeunes, très peu d’immigrés, un public avant tout masculin, retraité et lettré. Très souvent les villes réfléchissent aux moyens de toucher des publics plus éloignés. Revue de détails de ces différentes cibles :
Les jeunes : la question de l’intégration Lesquels ? Lycéens, étudiants, jeunes salariés ? Leur profil est différent et donc les moyens de les mobiliser également. Leur faible mobilisation est souvent liée à leur faible implication dans la vie de leur cité. Les choses évoluent rapidement quand ils travaillent et qu’ils paient des impôts dans leur collectivité. L’expérience montre que cette cible a une vision moins globale de la vie en société.
Les salariés : quel temps pour concerter ? La difficulté tient d’abord au manque de temps. Même si les réunions publiques n’ont pas lieu, en règle générale, durant les heures de travail, le fait de ressortir en semaine pour échanger durant trois heures un soir sur un aspect de la vie collective n’est pas une chose aisée pour bon nombre de salariés.
Les responsables économiques : quel effet sur leur activité ? Les commerçants, artisans, chefs d’entreprise sont également des publics difficiles à mobiliser. D’abord, car ils ne sont pas quantitativement très nombreux, mais surtout par manque de temps. Leur participation sera plus facile quand le thème débattu a une influence directe sur leur activité ou sur leur cadre de vie. Cette mobilisation plus individualiste est tout aussi légitime que d’autres.
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Les publics non insérés socialement Les décideurs publics se posent régulièrement la question de la mobilisation des exclus, des personnes peu ou mal insérées socialement. Barrière culturelle, réticences sociales, manque d’expérience de la prise de parole en public… les raisons sont nombreuses pour expliquer ces réserves. La participation ne doit pas se limiter aux citoyens éclairés qui ont du temps, qui se sont renseignés sur le projet et qui ont les moyens de présenter leur avis.
Les usagers d’un service public La concertation sur des projets d’aménagement d’infrastructures de transport vise souvent à toucher les usagers d’une route ou d’un transport en commun. Là encore, il faut étudier le contexte et apporter une dose de créativité pour trouver les moyens d’associer un public qui, par nature, n’est pas fixe. Affichage sur la route ou dans les transports en commun, abonnés d’une route ou d’une ligne, enquête dans les bus et métros, mise en place d’un espace accueil/information à l’entrée du site, diffusion de l’information dans les parkings de proximité...
Comment prendre les moyens de les toucher ? Quelques étapes peuvent être étudiées pour faciliter le contact avec ces différents publics.
Un bon positionnement Les études qualitatives sont très instructives sur la mauvaise compréhension de certaines démarches participatives lancées par les élus. Qu’est-ce qu’un « débat public » ? « C’est une rencontre réservée aux élus, cela ne nous concerne pas. ». Qu’est-ce qu’une démarche participative ? « Un endroit où il faut payer ». La volonté publique se heurte parfois à des décalages
Un public majoritairement agé, masculin et lettré
S’appuyer sur des réseaux associatifs En fonction des publics éloignés que l’on souhaite mobiliser, il faut rencontrer et s’appuyer sur les associations et réseaux existants. Ce sont eux qui ont la légitimité, les contacts et la possibilité d’informer et de mobiliser par leurs réseaux, les publics souhaités. Associations, collectivités associées au projet, syndicats professionnels, conseils de quartier... il faut recenser et mobiliser ces publics pour en faire des relais efficaces de l’information sur la concertation engagée.
Utiliser des invitations personnalisées Les études réalisées montrent l’importance des courriers nominatifs reçus par la Poste. Une lettre est même plus efficace qu’un carton car elle montre « l’engagement » du maire et de la ville dans la démarche. En utilisant le fichier électoral, la ville peut envoyer un courrier d’invitation à chacun des habitants. C’est le mode d’invitation qui a le meilleur taux de retour. C’est également le plus coûteux et le plus difficile à organiser.
S’appuyer sur la communication en ligne Excellent complément des dispositifs classiques pour informer sur les projets municipaux, Internet permet également l’interaction avec les publics de la ville participative. La démocratisation de l’accès à Internet en haut débit offre une opportunité de diversifier les moyens de toucher les personnes concernées par les projets. La plupart des outils présentés se révèlent faciles à appréhender et peu coûteux pour la collectivité, dans la mesure où ils ne requièrent pas ou peu de développement Web pour les présenter. Une large majorité des mairies est aujourd’hui visible sur Internet grâce à un site ou un blog, et parfois même sur les réseaux sociaux (Twitter ou Facebook). Ces outils sont également de bons relais d’information sur les projets et les modalités de concertation. Deux types d’espaces peuvent être mis à la disposition des citoyens sur un projet de ville : • Les espaces dits 1.0 : ce sont les espaces où l’internaute est passif, car ils ne lui permettent pas de faire part de son avis sur le projet ou de poser une question. Ces espaces ont pour unique fonction d’informer sur le projet : sites simples, réalisation de pages Wikipedia…
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une ville en débat
de compréhension. Les mots, l’accroche, le positionnement de la démarche sont donc des éléments importants pour faciliter la mobilisation des citoyens.
• Les espaces dits 2.0 : ce sont les espaces où l’interaction est possible avec l’internaute. Ils nécessitent la mise en place d’une modération : forums, pages Facebook, blogs avec espace de commentaires, compte Twitter… Certains sites permettent également l’interactivité, le community manager conservant le choix d’afficher ou non les commentaires des internautes. Ces différents espaces offrent la possibilité de proposer du contenu en téléchargement : documents d’information sur le projet, comptes-rendus des réunions publiques, bilan de la concertation. Ce contenu peut également être relayé par les partenaires du projet (institutionnels, associations…) ou encore les journalistes et les blogueurs spécialisés qu’il convient d’associer à la stratégie de communication en ligne.
Un stand itinérant La réalisation d’un stand itinérant permet d’avoir une vitrine qui reprend l’objet de la concertation, son identité visuelle. Distribution de documents, échanges et présentation du projet, cahiers participatifs… la ville pourra présenter son projet, illustrer son engagement et donner les moyens aux habitants de s’exprimer et de témoigner. Il faut pour cela étudier les lieux, les occasions qui permettent de rencontrer les habitants. Centres commerciaux, marchés, forum des associations, centre-ville… les occasions sont nombreuses pour rencontrer ses administrés.
Une clef de la mobilisation des habitants : aller à leur rencontre La participation des citoyens n’est pas naturelle. Les réunions d’étude qualitative le montrent. S’informer, s’impliquer, comprendre un projet, se déplacer, participer, formuler une position ne sont pas des choses simples pour la plupart des habitants. Le meilleur moyen de faire participer « le citoyen de base » est d’aller à sa rencontre. Si l’habitant ne vient pas vers vous, il faut aller vers lui.
Les rencontres de quartier permettent de toucher une population plus large
La Ville de Malakoff concerte sur son PLU La mairie de Malakoff prépare l’élaboration de son Plan Local d’Urbanisme. La ville souhaite dans ce cadre associer le plus largement sa population. Des rencontres sont organisées avec les agents municipaux pour leur présenter l’objectif, la démarche et répondre à leurs questions. Parallèlement, une série de réunions publiques et d’ateliers de travail sont proposés aux habitants. Mais la mobilisation est difficile et le public reste très « classique » : les responsables associatifs, les publics déjà engagés dans la vie municipale. Le maire ne retrouve pas l’ensemble des strates d’une popula-
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tion historiquement ouvrière avec une forte composante de population étrangère. Pour y remédier, la mairie a décidé de présenter le projet et d’échanger avec la population sur les marchés et dans les lieux de rencontre de la ville. Les élus ont ainsi profité du vide-grenier pour installer un stand sur le PLU de Malakoff. Avec cette démarche active, autour d’un questionnaire reprenant les évolutions possibles et attendues des règles de construction de la ville, des publics très peu mobilisés ont pu participer et s’exprimer.
Une Maison de projet
Aller chercher les citoyens chez eux
Une Maison de projet est un espace permanent, mis en place pendant la concertation. Il a l’avantage d’être stable et visible et donc a priori, plus facilement identifié. Cet espace regroupe le plus souvent : • L’exposition présentant le projet, son contexte et les questions en suspens ; • Les supports d’information et de communication ; • Un film de présentation ; • La maquette du projet. Ce support est important dans la visualisation d’un projet sur son site ; • Un registre d’expression. Une permanence régulière doit être tenue pour assurer le dialogue avec les habitants et présenter le projet. Il faut des permanents formés qui puissent apporter des réponses claires et pertinentes aux visiteurs.
L’idée est séduisante, mais comment l’appliquer ? C’est la démarche retenue par le Conseil général de la Gironde pour débattre de la mobilité dans le département. Des bus sont partis de sites répartis sur l’ensemble du département pour mieux diversifier la participation des habitants. Le trajet en bus a été un moment d’information, d’animation et d’échanges.
Inviter les habitants à prendre un café pour échanger sur un projet est une démarche qui mobilise plus facilement du monde. L’idée est d’inviter les habitants autour de quelques tables dans un café, bien situé par rapport au projet débattu. Dialogue informel, questions/ réponses dans un cadre quotidien, cette initiative fonctionne bien. Il faut prévoir tout de même, le coût des boissons de chacun.
La balade urbaine est une «promenade», une visite de certains endroits de la ville que les élus souhaitent faire évoluer. Il s’agit d’aller «sur le terrain», parfois avec des spécialistes ou des responsables du projet, qui peuvent alors présenter in situ les enjeux d’un projet aux habitants. L’un des grands avantages de ces balades urbaines est qu’elles permettent d’avoir une vision plus concrète, pour des citoyens ne possédant pas une connaissance approfondie des effets d’un projet sur son environnement. Création d’une route, élargissement de la chaussée, suppression de places de parking au profit d’une piste cyclable… c’est en voyant le projet sur place que l’on peut mieux le comprendre, l’apprécier, réagir et participer. Un autre atout de la balade urbaine est le fait qu’elle est plus conviviale, plus ludique qu’une réunion publique.
Malakoff s’engage pour toucher tous les publics : un stand itinérant dans un vide grenier
© État d’Esprit
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une ville en débat
Un café participatif
Une balade urbaine
Utiliser les supports de communication classiques Des supports de communication plus classiques sont également utilisés pour informer la population ou présenter le projet en débat.
La publicité • La publicité commerciale est peu utilisée dans le montage de démarches participatives. D’abord pour des raisons financières, car l’achat d’espace a un coût qui peut largement peser dans le budget d’une concertation. De plus, on est dans une démarche publique d’information et d’échange qui ne doit pas se positionner comme un « coup de pub ». Ce n’est pas l’esprit de la concertation. Dans les faits, l’achat d’espace publicitaire se retrouve dans quelques cas :
Construire une ville participative en 10 questions La participation est au cœur de l’action publique des villes et des territoires. Obligation légale, utilité politique, bonne conscience citoyenne… les élus engagent des dispositifs participatifs souvent complexes. Est-ce utile et efficace ? Sous la IVe République, pour évacuer un problème, on « créait une commission ». Aujourd’hui, on « lance une large concertation ». Comment la définir et la mettre en œuvre ? Quelle méthode suivre pour présenter son projet, le faire évoluer pour aboutir à un cadre compris, accepté et porté par la population concernée ? « Construire une ville participative en 10 questions » est un mode d’emploi de la concertation publique.
Informations : www.territorial.fr
Une vidéo est bon moyen de présenter un projet dans son cadre
• La publicité d’annonce : il s’agit, à travers un encart publicitaire, d’annoncer le lancement de la concertation, ses dates, l’adresse du site internet mais aussi les dates des réunions publiques. • La publicité de partenariat : l’idée est d’associer la presse locale au débat engagé. Articles thématiques, interviews, annonce du processus… l’objectif est de s’appuyer sur les médias locaux pour informer, participer et, pourquoi pas, animer certaines rencontres. Cela peut passer par des relations presse. Mais au regard de la situation économique de la presse écrite locale, on peut utilement étudier un partenariat qui passe par une contrepartie financière. • La publicité de crise : l’achat d’espace publicitaire permet de diffuser rapidement une information. Cela peut être utile par exemple, pour annoncer une réunion complémentaire ou un changement de date ou de lieu de celle-ci.
Une vidéo de présentation Une vidéo permet en quelques minutes de présenter un projet dans son contexte géographique et d’accompagner cette présentation de témoignages qui illustreront les objectifs poursuivis par la ville et les attentes du terrain. Le principal atout est de pouvoir maîtriser précisément le discours des parties prenantes du projet mais aussi de partenaires et d’opposants. Une fois encore la crédibilité de cette vidéo de présentation passera par l’intégration de points de vue différents de ceux de la Ville. Ce support n’est pas souvent utilisé, souvent pour des raisons de coûts. Aujourd’hui l’évolution des techniques fait que l’on peut soit le réaliser en interne soit le faire pour quelques milliers d’euros. L’imagination et la méthode sont indispensables pour trouver les meilleurs moyens d’associer toute la population à une démarche participative. Grégoire Milot Auteur de ‘‘Construire une ville participative en 10 questions’’
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Sami Kouidri,
Responsable de la Mission Démocratie Locale de la Ville de Paris
Les Cahiers de la Ville Responsable : La mobilisation des exclus de la participation est-il un axe important de la Mission Démocratie Locale de la Ville de Paris ? Sami Kouidri : La Ville de Paris a mis en place la Mission Démocratie Locale (Direction des Usagers, des Citoyens et des Territoires) pour développer et structurer les démarches participatives. L’ambition des élus est de favoriser l’échange avec les habitants et les usagers afin d’améliorer la décision publique. Cette démarche se retrouve aussi bien dans l’accompagnement de grands projets structurants (Berges de Seine, Place de la République,…) que sur des enjeux plus locaux d’animation de proximité et de lien social. En revanche, malgré cette volonté de faire que « tous les Parisiens » soient « invités à s’impliquer dans la vie participative » consacrée par la clef 2 de la charte parisienne de la participation, on constate que des publics demeurent en marge de ces processus de concertation. C’est donc un axe important de notre travail et il engage l’ensemble des agents de la Ville. CVR : Comment faites-vous pour toucher ces publics plus éloignés ? SK : Parce que ces publics sont divers et les raisons de leur non participation nombreuses, nous agissons sur plusieurs leviers à la fois. Nous nous efforçons d’abord de rendre la participation plus accessible, tant dans son contenu que dans les formats proposés. Nous utilisons des techniques d’animation plus dynamiques telles que les focus-groupes, les ateliers participatifs, les World cafés ou les forums ouverts afin d’introduire une dimension coopérative, voire ludique. Nous déployons également des outils numériques pour permettre à ceux qui ne peuvent physiquement être présents de pouvoir prendre part aux concertations par le biais de forums contributifs en ligne. Ce fût par exemple le cas dans la concertation sur
le changement des rythmes éducatifs ou les états généraux de la nuit. Nous sommes sans cesse en recherche de solutions nouvelles pour renforcer le cercle de ceux qui prennent part à la démocratie locale parisienne. Pour ce faire, nous interrogeons les intéressés eux-mêmes comme récemment dans le cadre du processus d’évaluation de la démarche participative de la Ville de Paris mené sous l’égide de la Commission Parisienne du Débat Public que la Ville a mise en place. Nous avons par exemple, interrogé les Parisiens qui se rendent dans les centres sociaux en lien avec les travailleurs sociaux. CVR : Comment faire évoluer les choses ? SK : Derrière la volonté de la Ville, il y a la formation des acteurs. Nous proposons à tous nos collègues des formations sur un, deux ou trois jours pour les sensibiliser et les mettre en situation d’organiser et de suivre une concertation. A travers un rappel des réglementations existantes, des expériences de la Ville et d’autres collectivités, nous leur donnons des outils pour initier, accompagner ou participer à des concertations locales. Cela ne suffit pas, donc nous proposons également de former les citoyens eux-mêmes dans le cadre de l’Université Populaire de la Citoyenneté Active. Nous souhaitons leur donner les clefs de « compréhension » de la ville pour mieux s’y engager. Nous contribuons ainsi au renforcement de leur capacité à agir dans la cité par une offre de formation gratuite et accessible y compris sur le plan pédagogique dans des domaines aussi variés que l’urbanisme, l’architecture, la vie associative, la communication, le fonctionnement de la Ville de Paris,... Nous évaluons annuellement le dispositif et renouvelons le contenu de l’offre à l’aune des besoins qui émergent. Ce sont plus de 150 agents et 1 500 citoyens qui sont annuellement formés pour partager une culture commune de la concertation.
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une ville en débat
Interview
Une mobilisation nécessaire de l’ensemble des agents de la Ville
La concertation transfrontalière : entre mythe et réalité La concertation entre deux territoires est-elle possible ? Barrière de la langue, différences culturelles, questions administratives, contraintes juridiques, échéances électorales… Les obstacles à franchir sont nombreux. Quelques collectivités et autorités locales ont cependant réussi à relever le défi, la preuve par l’exemple.
De la coopération... Depuis les années 1980, on entend beaucoup parler de la coopération transfrontalière. Son acte fondateur, la Convention de Madrid1, signée par les États membres du Conseil de l’Europe, en donne la définition officielle : « est considérée comme coopération transfrontalière (...) toute concertation visant à renforcer et à développer les rapports de voisinage entre collectivités ou autorités territoriales relevant de deux ou plusieurs parties contractantes, ainsi que la conclusion des accords et des arrangements utiles à cette fin. » Objectif final : répondre aux besoins et aux attentes des populations de part et d’autre des frontières en termes de déplacement, de logement, d’emploi, d’éducation, de loisirs, de santé, de protection de l’environnement. Et de fait, dans bon nombre de ces bassins de vie transfrontaliers, l’habitant type travaille dans une commune, réside dans une autre, sollicite les services d’une troisième pour ses loisirs ou ses achats. Ces « transfrontaliers » profitent ainsi naturellement des avantages que procure chaque territoire pour l’exercice d’une activité donnée. C’est sur la base de ces échanges, que s’est construit tout un ensemble de structures transfrontalières : Eurodistrict, Eurorégion, Eurométropole, Eurocité, Région Métropolitaine, Conférence... sans oublier le GECT2 (Groupement Européen de Coopération Territoriale). 1 2
Leurs dénominations et leurs statuts juridiques sont variés à l’extrême, du « simple » accord de coopération au groupement doté d’une véritable personnalité juridique (GECT). La majorité de ces structures sont soutenues financièrement par l’Europe : programmes Interreg et fonds de cohésion.
... À la concertation Certaines entités transfrontalières particulièrement dynamiques en matière de coopération le sont également en matière de concertation. C’est le cas de la Région Métropolitaine Trinationale du Rhin Supérieur (France/Suisse/Allemagne) et de l’Eurométropole Lille Kortrijk - Tournai (France / Belgique). La Région Métropolitaine Trinationale du Rhin Supérieur (2008) Elle regroupe quatre territoires : l’Alsace, la Suisse du Nord-Ouest, le Pays de Bade et le Palatinat du Sud. Avec ses six millions d’habitants (dont trois millions d’actifs), une superficie de 21 500 km², 1 817 communes et un PIB de 202,5 Md€ (2009), elle se présente comme l’un des territoires parmi les plus dynamiques et les plus prospères d’Europe. Son mode de gouvernance est fondé sur la concertation et s’appuie sur une démarche ascendante impliquant les représentants de quatre
Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (Madrid, 21.V.1980). Règlement (CE) n° 1082/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relatif à un groupement européen de coopération territoriale (GECT).
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grands piliers (politique, économique, scientifique et universitaire) et enfin la société civile. Entre 2010 et 2011, cinq cents personnes toutes nationalités confondues ont participé aux trois forums citoyens organisés à Strasbourg, Karlsruhe et Bâle. De véritables perspectives s’en sont dégagées en termes d’identité et de valeurs d’une part, de besoin et de profit que la population souhaite tirer de la Région Métropolitaine Trinationale d’autre part. L’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai (2008) Elle rassemble plus de deux millions d’habitants belges (Flamands et Wallons) et français et 147 communes sur un territoire de 3 500 km². Elle s’étend autour de la métropole lilloise en France et des villes de Courtrai et Tournai en Belgique. Ce GECT se présente comme une plate-forme de concertation et de coordination, avant action, pour ses quatorze institutions fondatrices (préfecture, région, provinces, département, communauté d’agglomération…) et ses autres partenaires. L’Eurométropole a ainsi non seulement pu rendre un avis officiel sur le projet de PDU (Plan de Déplacements Urbains) mais également sur le diagnostic du SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) de Lille Métropole en 2011. Il s’agissait alors d’une première. Un forum composé de quatre-vingt représentants de la société
civile a été mis en place en 2009. Il a pour mission de contribuer à tous les enjeux de l’Eurométropole en termes de mobilité, d’économie, d’enseignement et d’aménagement territorial. La barrière de la langue n’est pas une frontière. Les initiatives accompagnées par l’Union Européenne montrent que la coopération transfrontalière est une réalité. L’objectif est de s’appuyer sur ces expériences pour favoriser cette culture transfrontalière. Karen Hollington
Dans bon nombre de ces bassins de vie transfrontaliers, l’habitant type travaille dans une commune, réside dans une autre, sollicite les services d’une troisième pour ses loisirs ou ses achats.
Du 24 mars au 1er mai 2012, les 915 000 habitants de l’agglomération franco-valdo-genevoise étaient appelés à participer à une démarche unique et importante pour l’agglomération : lui choisir un nom. Ils ont été plus de 5 000 à s’exprimer. Désormais, grâce à eux, l’agglomération s’appelle « Grand Genève ». Un petit air de consultation « à la suisse » qui permet aux habitants de l’agglomération de mieux s’approprier leur nouveau territoire transfrontalier. © Grand Genève - Agglomération franco-valdo-genevoise
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une ville en débat
Focus
Quand le Grand Genève choisi son nom
entretien avec
Tangui Lefort, Chargé de mission ressources en eau au Parc Naturel Régional Scarpe-Escaut
Vers une gestion de l’eau sans frontière Les Cahiers de la Ville Responsable : Comment est né le Parc naturel transfrontalier du Hainaut ? Tangui Lefort : La création du Parc naturel transfrontalier du Hainaut remonte à 1983. Situé sur une zone périurbaine fortement peuplée, à cheval entre la Région Wallonne et la Région Nord-Pas-de-Calais, il est un véritable poumon vert pour nos deux territoires. C’est tout naturellement que les deux parcs situés de part et d’autre de la frontière, le Parc naturel régional Scarpe-Escaut (FR) et le Parc naturel des Plaines de l’Escaut (B), se sont rapprochés pour préserver ce tissu naturel sensible. Concrètement, la gouvernance du parc transfrontalier se fait au travers de bureaux communs sur des problématiques partagées : gestion des milieux naturels, préservation du paysage et de l’agriculture, développement d’un tourisme durable… Le champ est vaste. L’objectif à terme est bien d’évoluer vers une structure commune, où les deux parcs ne feraient plus qu’un. CVR : Sur la question de la gestion de l’eau, la concertation transfrontalière est-elle une réalité ? TL : Le Parc transfrontalier du Hainaut est traversé par deux cours d’eau principaux, l’Escaut et la Scarpe. La problématique de bassin versant de part et d’autre de la frontière en fait un sujet évident sur lequel concerter. Le programme Interreg y a fortement contribué en donnant les moyens à l’ensemble des acteurs concernés de se mettre autour de la table. Objectif final : pouvoir mener des actions pertinentes et
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pragmatiques pour améliorer l’état de nos cours d’eau tant d’un point de vue hydraulique qu’écologique. Le rôle des chargés de mission des deux parcs est d’accompagner les maîtres d’ouvrage en ce sens : le Syndicat mixte d’aménagement hydraulique des vallées de la Scarpe et du Bas Escaut côté français et la Province de Hainaut côté belge. Cette concertation a permis d’élaborer un diagnostic partagé sur lequel s’est construit notre plan de gestion cours d’eau commun (2012). De façon plus informelle, les techniciens belges et français ont pris l’habitude ces 10 dernières années d’échanger et de se retrouver sur le terrain. Nous ne sommes plus dans une logique de compétition comme cela pouvait être le cas il y a 20 ans. Il n’est pas rare qu’un technicien français aille donner un coup de main côté belge et inversement. Les actions concrètes encore à mener se feront d’autant plus facilement que ce partenariat est mis en place sur des bases solides. Propos recueillis par Karen Hollington
Diagnostic concerté le long de l’Elnon, été 2009
© T. Lefort, PNR SE
Le tournage de films pour la télévision et le cinéma est un bon moyen de découvrir de multiples facettes des collectivités. En questionnant les liens entre ville et cinéma, notre article revient sur les liens qui unissent aujourd’hui collectivités et 7e art.
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La ville sous les feux des projecteurs
La ville fait son cinéma Le cinéma a toujours accordé une place particulière à la ville. Photogénie, lumière, atmosphère... Il existe une relation quasi amoureuse entre la cité et la caméra. De cette belle entente sont d’ailleurs nés nombre d’institutions et d’événements qui promeuvent et développent le 7e art à travers la ville. En France, Paris détient la palme des villes les plus représentées à l’écran. La capitale jouit par ailleurs d’une grande diversité de structures facilitant cette représentation. Mais à leur tour, les autres collectivités veulent exister et se hisser en haut de l’affiche. Depuis ses origines, le cinéma s’est approprié l’espace urbain pour produire ses œuvres. Terrain privilégié des réalisateurs, la ville attire et inspire. Plus qu’un simple décor, elle est un pilier des tournages à part entière, magnifiée ou volontairement amochée selon la façon dont les cinéastes souhaitent la restituer à l’écran. Les grandes capitales et les métropoles d’envergure mondiale ont ainsi reçu nombre d’hommages à travers la caméra. Parmi elles, Londres, Paris, New-York, Tokyo, Mexico, Shanghai, Los Angeles, Téhéran tiennent la vedette. Mais bien d’autres villes ont également été mises à l’honneur par le 7e art, tantôt pour valoriser leurs hauts lieux, tantôt pour montrer leurs bas-fonds.
Si le cinéma a permis aux spectateurs de visiter des villes dans lesquelles ils n’avaient jamais mis les pieds, il a également influencé ces dernières, leur évolution, leur transformation au fil du temps. De nombreux tournages mettant la ville en scène ont en effet eu des incidences sur l’aménagement de l’espace. Et beaucoup de professionnels (urbanistes, paysagistes, architectes...) font volontiers référence au cinéma dans leurs pratiques. Ils considèrent notamment que l’architecture et le cinéma ont beaucoup de points communs : l’image évidemment, mais aussi le cadrage, la lumière, le montage ou encore le rythme. Jusque dans le cadre pédagogique, le cinéma est utilisé par les ensei-
Image du film « King Kong » de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack (1933) – New York
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Les Parapluies de Cherbourg (1964), Cherbourg
Le territoire français très prisé Parmi les résultats de cette union symbolique et heureuse : en France, le nombre de productions tournées dans les villes ne cesse d’augmenter. Un pic a été atteint en 2010, avec pas moins de 261 films agréés. Ce chiffre peut s’expliquer en partie par la décision du ministère des Affaires étrangères en 2009, de faire bénéficier les sociétés de production cinématographique étrangères d’un abattement fiscal de 20% pour tourner sur le sol français. Par ailleurs, la production cinématographique est devenue depuis quelques années un bon moyen de donner une meilleure visibilité à un territoire. De nombreuses villes françaises se mettent ainsi en avant par la réalisation de longs et courts métrages, à travers le petit comme le grand écran ou encore par le biais d’événements culturels consacrés au cinéma. La ville de Cherbourg est systématiquement associée à ses « parapluies », par exemple. Dans ce contexte, chaque région s’est dotée d’une commission du film, c’est-à-dire d’un établissement public chargé de valoriser la filière cinématographique et de faciliter l’installation des tournages sur son territoire. Un réseau de 40 commissions locales est aujourd’hui répertorié sur le sol français. Ce réseau est organisé par l’action de la commission nationale « Film France », elle-même soutenue par le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC). Si les régions sont aujourd’hui « armées », toutes n’ont cependant pas le même poids ni la même importance selon le territoire et l’étendue de sa politique cinématographique. Au sein des régions, le nombre de commissions varie fortement et va d’un seul établissement régional à des missions cinéma communales en passant l’échelon départemental.
Le cinéma crée des modes... éphémères Le succès du film de Dany Boon Bienvenue chez les Chtis est indéniable au regard des 20 480 000 entrées enregistrées en 2008. Outre la commune de Bergues qui a largement profité des retombées médiatiques du film en mettant notamment en place un « Ch’ti tour » pour découvrir les lieux du tournage, c’est toute la région du Nord-Pasde-Calais qui a bénéficié de la réussite du film. Si la presse n’a pas toujours été unanime à propos
de Bienvenue chez les Chtis, elle a néanmoins concédé que cette comédie populaire disposait de tous les atouts pour « faire aimer le Nord » (Nice Matin) : ses habitants, son authenticité, son art de vivre, sa gastronomie, etc. Mais l’engouement fut de courte durée et, la crise aidant, l’Office du tourisme du Nord-Pas-de-Calais qualifia la saison 2009 de « difficile », le taux d’occupation des hôtels chutant de 5 points entre 2008 et 2009.
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une ville pour tous
gnants en architecture pour expliquer les concepts de « l’espace », du « territoire », de la « ville », de « l’urbain » à une époque ou pour une culture donnée. De très nombreux ouvrages et événements ont mis à l’honneur cette relation étroite et fructueuse entre l’activité cinématographique et le territoire urbain. Des chercheurs universitaires se sont également penchés sur le sujet d’un point de vue sociologique. Parmi eux, le sociologue Fabio La Rocca, enseignant à l’Université Paris Descartes, a publié un article sur l’esthétique de la ville et le cinéma, approfondissant leurs rapports. En 2012, le festival ‘‘Ville et Cinéma’’ voit le jour pour explorer les rapports entre dévellopement urbain et 7e art. Lors de sa première édition, ce sont les métropoles qui ont été le sujet des rencontres, des débats et des projections. « Le cinéma et la ville » n’est décidément pas un thème vide de sens et de réflexions... Il est le résultat d’une histoire partagée, d’intérêts communs. Les deux sont intimement liés et s’enrichissent mutuellement, comme dans les plus belles histoires... de cinéma.
Paris et l’Île-de-France crèvent l’écran La plus importante commission du film en France, en terme d’activité, est celle d’Île-de-France, fondée en 2004 à l’initiative de la Région dans le cadre de sa politique culturelle. Bénéficiant du rayonnement déjà établi de la région francilienne, la commission a reçu environ 1 500 demandes de tournage depuis 2008 sans compter ceux prenant place à Paris intramuros. La France jouit d’une renommée internationale en matière de production cinématographique et Paris, en tant que capitale et centre historique de premier plan, récolte la plupart des lauriers. La Grande vadrouille, Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain... Paris reste aujourd’hui l’une des villes les plus filmées au monde. Elle est la muse de nombreux de réalisateurs français et étrangers. Les chiffres attestent de ce succès « parisien » au sens large : plus de 90 % de l’activité se déroule sur le territoire francilien, qui compte près de 400 sociétés de production et accueille la quasi-totalité des sociétés de diffusion. Au total, plus de 115 000 emplois sont concentrés dans la région Île-de-France. Pour ce qui concerne Paris exclusivement, 988 films de toute nature ont été tournés sur ses pavés en 2012, ce qui représente une hausse de 5% par rapport à l’année précédente.
Pourquoi un tel succès ? La plupart des réalisateurs interrogés sur leur expérience de tournage dans la capitale ont coutume de parler de la « qualité filmique » de Paris. Au-delà de la beauté de la ville, sa force cinématographique viendrait du fait qu’elle est hautement reconnaissable. En effet, un plan suffit à dresser le décor et à faire comprendre aux spectateurs où la scène se situe. Sans parler des monuments parisiens célèbres que sont la Tour Eiffel ou la place de l’Étoile, Paris est singulière par son architecture, ses rues, ses immeubles, son métro... Cette spécificité, propre aux grandes métropoles historiques, est l’une des raisons de son succès auprès des cinéastes professionnels et amateurs. Paris est en outre très appréciée des réalisateurs du monde entier. La ville accueille chaque année en moyenne entre 20 et 30 tournages étrangers, selon une géographie qui suit l’évolution des équilibres planétaires. Il existe en la matière de grandes cinématographies dominantes, en particulier américaines. Mais les pays émergents prennent peu à peu le relais : Brésil, Inde, Chine... Comment expliquer l’engouement du cinéma américain pour la capitale française ? Les raisons sont évidemment esthétiques, mais aussi plus pragmatiques : administratives et financières. En effet, Paris a compris son intérêt à faciliter l’accès des tournages sur son territoire, à réduire au minimum les procédures d’auto-
Tournage du film « Midnight in Paris » de Woody Allen (2011) - Quais de Seine de Paris
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Rodeo Drive s’élèvent à plusieurs dizaines de milliers de dollars, incluant le coûteux permis nécessaire pour tourner à Berverly Hills, sans compter ceux souvent réclamés par les commerçants eux mêmes. Prenant le contre-pied de cette politique, Paris a adopté celle d’un soutien en faveur de l’activité cinématographique. Avec la Mission Cinéma, créée en 2002 par la ville de Paris, la capitale témoigne de son grand intérêt pour le cinéma et l’ensemble de la profession. Tournage de « Ainsi soient-ils » salons de l’Hôtel de Ville de Paris
© Mairie de Paris
risation qui y sont rattachées ainsi qu’à maintenir un prix compétitif malgré sa renommée mondiale. De ce fait, les productions américaines ont tendance à favoriser les tournages outre-Atlantique. Paris se révèle être une destination plus rentable et plus facile d’accès que beaucoup d’autres. Los Angeles est, par exemple, une ville hors de prix pour qui veut l’immortaliser sur pellicule. Quelques images du célèbre quartier commerçant
Le Sud de la France fait recette César du meilleur second site - après Paris - la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est également très appréciée par les producteurs pour les tournages. Les couleurs de la méditerranée inspirent en particulier les réalisateurs de séries télévisées. L’exemple récent du feuilleton « Plus belle la vie » est à cet égard symptomatique. Il représente la réussite d’une production qui a placé un territoire phare de la région PACA sous les
Le cinéma, acteur du renouveau urbain en cette année culturelle marseillaise. Au-delà de cette activité artistique, la Friche est un pôle d’emplois important grâce à sa salle de spectacle, son studio de répétition, son restaurant-librairie ou ses bureaux. Le cinéma a donc permis le renouveau de ce quartier industriel du 3e arrondissement de Marseille, au risque de le rendre méconnaissable. La production cinématographique et audiovisuelle est donc un secteur dynamique qui peut être à l’origine de transformations territoriales et socioéconomiques d’importance. La Cité du cinéma, inaugurée en septembre 2012 à Saint-Denis, participe également au processus de revalorisation de la ville et plus globalement, de la Seine-Saint-Denis. L’ancienne centrale thermique réhabilitée par Luc Besson en cathédrale du cinéma abrite 23 000 m2 de bureaux, 11 000 m2 d’activités de production cinématographique, 10 000 m2 de plateaux de tournage et 8 000 m2 sont occupés par l’Ecole nationale supérieure du cinéma Louis-Lumière. Outre des emplois pour les professionnels de l’audiovisuel, la Cité du cinéma a également créé de nombreux emplois de service.
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une ville pour tous
Les studios de cinéma permettent de créer l’illusion du dépaysement, de valoriser une ville tout en tournant dans une autre. Face aux divers aléas d’un décor naturel, bon nombre d’œuvres audiovisuelles se réfugient dans des studios. Ceux-ci accueillent de nombreuses entreprises qui participent au développement économique d’une ville, voire même d’un quartier. L’un des exemples les plus fameux est le studio de la Belle de Mai, lieu du tournage de la série « Plus belle la vie » ainsi que de nombreux films. Quartier populaire du cœur de Marseille, la Belle de Mai s’est mué en friche industrielle en 1990, lorsque la manufacture de tabac a fermé. Ces 120 000 m2 ont été reconverti en 2004 en un Pôle Média par la ville de Marseille en partenariat avec l’Europe, l’État, la Région PACA, le Département des Bouches-du-Rhône, la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole et l’EPA Euroméditerranée. La Belle de Mai n’est pas seulement un lieu de tournages, c’est aussi une véritable pépinière d’entreprises spécialisées dans le multimédia et l’audiovisuel qui ont créé plus de 600 emplois en deux ans. A proximité du Pôle Média, la Friche de la Belle de Mai est un lieu de création contemporaine et accueille de nombreuses manifestations
L’attirance des réalisateurs pour l’Aquitaine n’est pas récente et une grande diversité de films tournés depuis les années 1990 en témoigne. Révélée par des films grand public comme Les Visiteurs (1993), Brice de Nice (2005), Camping (2006) ou encore plus récemment, Les petits mouchoirs (2010), ou des films d’auteurs à l’instar de Plein sud (2008) ou Nuage (2007), l’Aquitaine est une terre de cinéma. Quartier du Panier – Port de Marseille
feux des projecteurs. Tournée à Marseille et diffusée depuis 2004 par une des plus importantes chaînes de télévision françaises (France 3), cette série télévisée a connu des débuts difficiles mais a rapidement trouvé son public, jusqu’à atteindre une audience de plus de 5 millions de téléspectateurs. Au passage, le quartier du Mistral – inspiré du quartier du Panier, le plus vieux de Marseille - est aujourd’hui devenu un studio très fréquenté par les touristes français. Mais surtout, la série a rapporté à la cité phocéenne pas moins de 20 millions d’euros hors retombées touristiques. Outre Marseille, qui a par ailleurs réussi son pari de devenir la capitale culturelle européenne de l’année 2013, une autre ville de la région PACA a su briller depuis de nombreuses années grâce à son image culturelle et cinématographique de marque. Il s’agit évidemment de Cannes, berceau d’un festival de renommée internationale depuis 1946. Créé pour rivaliser avec l’événement concurrent qu’est la Mostra de Venise, le festival de Cannes est hyper-médiatisé, suivi tous les ans par un public considérable et s’impose comme le rendez-vous incontournable des professionnels du cinéma. L’année passée, le festival a fêté ses 65 ans. Depuis sa création, sa vocation première est restée intacte : révéler et mettre en valeur des œuvres pour servir l’évolution du cinéma, développer l’industrie du film et célébrer le 7e art à travers le monde. Au-delà de son caractère mondain et médiatique, le festival de Cannes reste fondamentalement un événement culturel et cinématographique majeur sur la scène internationale. La ville qui l’accueille représente l’un de ses principaux partenaires et soutiens financiers, de même que la région PACA et le conseil général des Alpes Maritimes. Le sud-ouest participe également au rayonnement cinématographique français. La région Aquitaine est en effet la troisième région la plus prisée par les réalisateurs pour leurs lieux de tournages. En 2010, elle a enregistré 740 jours de tournages pour 25 films tournés, dont 239 jours pour 8 longs métrages et 501 jours pour 17 fictions TV, soit une augmentation de 70 % par rapport à 2009.
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Beaucoup d’appelés...
Les petits mouchoirs (2010), Cap Ferret
Les exemples de Paris, Marseille et Cannes mis à part, force est toutefois de constater que les productions françaises ont du mal à se déconcentrer et que leur délocalisation est encore lente. Les collectivités locales elles-mêmes s’efforcent d’attirer les tournages sur leur territoire afin d’exporter leur image à l’intérieur et même hors de l’Hexagone. Mais dans ce domaine comme sur le champ économique, la compétition est rude. Le bonheur est dans le pré sorti en 1995 a ainsi été un vrai levier de promotion du département du Gers. Il a fait la renommée du département en y faisant tourner une palette d’acteurs connus du public. Grâce aux recettes du film, son immense succès à sa sortie en salles et sa promotion sur les grandes chaînes nationales par la suite, le Gers a acquis une certaine notoriété auprès des Français qui identifient aujourd’hui ses paysages et ses différentes spécialités locales. Support de divertissement, le cinéma peut également être un outil de promotion d’un territoire. Les films peuvent nous faire rêver, ils peuvent aussi nous faire découvrir et aimer un lieu, une ville, un territoire. La promotion territoriale, économique ou touristique peuvent ainsi en profiter. Laïss Barkouk
Cécilia Hornus
Blanche Marci dans Plus belle la vie Le 2 juin dernier, France 3 a diffusé le 2 000 e épisode de la série quotidienne Plus belle la vie. Depuis 2004, 5 à 6 millions de téléspectateurs regardent tous les soirs les péripéties des habitants d’un quartier imaginaire de Marseille, le Mistral. Voyons quels sont les liens entre Marseille et la série, comment l’un profite de l’autre et... inversement. Les Cahiers de la Ville Responsable : Pourquoi le feuilleton Plus belle la vie a-t-il choisi Marseille ? Cécilia Hornus : Cela tient d’abord au profil de la ville. C’est un carrefour et un port. Il y a un brassage ethnique qui donne beaucoup de variété aux personnages qu’on peut accueillir dans la série. De plus, le beau temps est important parce qu’on joue en extérieur une semaine sur deux. Enfin, la qualité des studios, des équipements et de l’espace nous permet d’assurer un tournage quotidien. CVR : Qu’apporte votre série à Marseille ? C.H : En termes d’image et de notoriété, c’est important. L’émission est diffusée dans plus de 10 pays et sur TV5 monde. On montre la ville sous un angle très positif. On voit de belles vues, la corniche, la mer, les vieux quartiers comme celui du Panier. C’est un feuilleton qui se déroule à Marseille mais qui n’est pas marseillais. C’est important, car on ne voulait pas non plus rentrer dans le côté pagnolade. Mais bon, il y a quand même des personnages emblématiques comme
Roland qui a un écho chez les Marseillais. Et puis il y a l’emploi. Les 2/3 des employés du feuilleton sont de la région. La production, les techniciens, les cadreurs, les maquilleurs, les coiffeurs sont pour la majeure partie de Marseille et des environs. CVR : Les collectivités locales aident-elles de la série ? C.H : Il y a eu au début des aides de la Région PACA, mais je ne sais pas dans quelle mesure ça continue. Aujourd’hui, la ville nous aide, par exemple, en facilitant les autorisations municipales de tournage en extérieur dont nous avons régulièrement besoin. CVR : Marseille profite pleinement de Plus belle la vie. C.H : Marseille est vue par des millions de téléspectateurs tous les soirs, on ne peut pas l’oublier. Il y a des parcours, une boutique « Plus belle la vie » dans la ville. Les Marseillais sont fiers de leur ville et donc fiers de la série. Propos recueillis par Antoine Milot
Quand les collectivités viennent en aide aux cinéastes Afin d’encourager la production cinématographique et audiovisuelle, les collectivités territoriales proposent des financements aux auteurs et producteurs. Les aides sont nombreuses et accordées par tous les échelons territoriaux. A titre d’exemple, la région PACA peut accorder jusqu’à 152 000 € pour la production de longs
métrages de fiction et jusqu’à 54 000 € pour les téléfilms. Le département des Bouches-du-Rhône intervient lors de la diffusion des œuvres tandis que la Mission cinéma de la Ville de Marseille met à disposition une salle de casting, assiste les équipes pour obtenir des autorisations de tournage, participe au repérage des décors, etc.
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une ville pour tous
Interview
Plus belle la ville
Interview
Michel Gomez, Délégué général à la Mission Cinéma (Ville de Paris) Michel Gomez est économiste, enseignant-chercheur à l’université Paris Dauphine. Administrateur de la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes en 1988, il fut employé par la société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs, l’ARP, dans les années 1990. En 2008, il a rejoint la « Mission Cinéma » de la capitale en tant que délégué général.
Les Cahiers de la Ville Responsable : Quelles sont les missions principales de la Mission Cinéma ?
CVR : Un article du Point fait état de 988 tournages à Paris en 2012, soit une augmentation de 5 % par rapport à 2011. Pourquoi cette hausse ?
Michel Gomez : La Mission Cinéma a été créée par Bertrand Delanoë à son arrivée, car la politique en matière cinématographique à Paris était alors un peu dispersée dans différents lieux et directions de la ville. La Mission a une activité très transversale. On la définit souvent en disant qu’elle va de la création à la diffusion. En fait, les deux grands piliers en sont les tournages et les salles de cinéma. Tournages : nous en comptons près de 1 000 par an, or c’est de l’activité et de l’emploi. Salles de cinéma : nous les soutenons et contribuons à leur développement et leur implantation. Outre ces deux volets, nous nous occupons du Forum des images qui est financé par la Ville.
MG : Paris accueille différents types de tournages : des longs métrages de cinéma, des fictions, des publicités, des films d’écoles, des courts métrages… Nous avons eu une bonne année en 2012, mais enregistré malgré tout une légère baisse des fictions télé qui a été compensée par une augmentation des tournages publicitaires. L’important, c’est le nombre de jours de tournage par an. Nous en sommes environ à 3 500 jours. Entre 10 et 15 tournages ont lieu chaque jour à Paris.
CVR : La Mission Cinéma se limite-t-elle à une logique de soutien ou participe-t-elle aussi à la création culturelle ? MG : Un outil a été créé : le fonds de soutien aux courts métrages. Il s’intègre dans un dispositif mis en place par le CNC au niveau national, qui s’appelle « 1 euro pour 2 euros ». Traduction, quand une collectivité met 2 euros dans un film, le CNC met 1 euro. Dans ce cadre, la mairie de Paris réserve 300 000 euros par an, ce qui nous permet d’aider entre 10 et 15 projets de courts métrages.
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CVR : Quels sont, en général, les retours des réalisateurs qui ont tourné à Paris ? MG : Notre politique en matière d’attractivité du territoire, c’est de démontrer que tout est possible. S’il n’est pas facile de tourner à Paris, nous créons toutes les conditions pour que les productions puissent faire ce qu’elles veulent. Il est important de collecter les avis des réalisateurs après tournage. Cela permet de valoriser le fait que leur liberté d’action a été totale, même si nous le savons déjà. Paris est une ville compliquée, une ville dense, mais une ville accueillante. Le nombre des tournages en atteste !
Demain, bon nombre de nos villes seront à l’eau. Le réchauffement climatique et la montée des eaux vont avoir des conséquences significatives sur les espaces urbains. Comment s’y préparer ? Comment prévenir ce risque et assurer la sécurité des personnes et des équipements. Certains s’y préparent.
67 UNE VILLE INSOLITE
La ville sous l’eau
La ville aquatique : des quartiers flottants aux villes immergées 70 % de la planète est couverte d’eau. Si le fond des océans reste encore aujourd’hui largement méconnu, leur surface est désormais au cœur de projets qui dessinent les villes de demain. Si la science-fiction s’est saisie de cette idée depuis bien longtemps, la conception de villes aquatiques est à présent envisagée par des ingénieurs, des architectes, des entreprises et des gouvernements. Ils y voient de nouvelles opportunités de développement urbain ou économique ou des réponses aux défis que le réchauffement climatique devrait nous imposer dans les siècles prochains. Ainsi les exemples se multiplient dans le monde entier : le long des côtes du Japon, des PaysBas, de la Thaïlande, des Etats-Unis, des Maldives… Les projets de villes en pleine mer ne sont plus de simples déclinaisons des polders artificiels bien connus aux Pays-Bas, et qui ont fait la renommée plus récente de Dubaï. Ils vont bien plus loin en imaginant des concepts audacieux : ville-bateau, quartiers flottants sans ancrage marin mais reliés à la terre par des ponts et même constructions autonomes non reliées aux côtes.
cées du monde avec un enfoncement de un à deux centimètres chaque année. Elle pourrait ainsi être complètement enlisée d’ici 2050. La capitale thaïlandaise doit également faire face au risque inondation, conséquence de choix urbains désastreux. Le centre économique du pays, autrefois surnommé la Venise de l’Orient, a été développé en comblant ses canaux pour construire des gratte-ciel et faire la place au tout-voiture. Les populations les plus pauvres y survivent dans des bidonvilles extrêmement fragiles. Les terribles inondations que la ville a connues en octobre 2012 ont ainsi coûté la vie à cinq cents personnes et leur impact sur l’économie du pays se fait encore sentir aujourd’hui. Réfléchissant à une solution pour Bangkok, le cabinet d’architectes S+PBA a imaginé une ville flottante baptisée « Wetropolis, A Post Diluvian Future ». Il l’a conçue en imaginant l’adaptation moderne de l’habitat traditionnel de certaines régions thaïlandaises, sur pilotis ou dans des grandes barques.
S’adapter au changement climatique Exemple emblématique, Venise est depuis longtemps confrontée aux inondations et à un enfoncement régulier. Depuis le début des années 2000, la communauté internationale réalise que de plus en plus de pays côtiers sont menacés par le réchauffement climatique. Ce phénomène devrait entraîner, selon le Conseil national de la recherche américain, une montée des eaux de huit à vingt-trois centimètres d’ici 2030, par rapport au niveau de 2000, de dix-huit à quarantehuit centimètres d’ici 2050, et de cinquante centimètres à 1,40 mètre d’ici 2100. Le risque de submersion de zones urbanisées accueil lant d’importantes populations est donc aujourd’hui une réalité qui touche aussi bien des pays riches que des pays pauvres. Déjà fragiles face aux catastrophes naturelles, tsunamis, ouragans et autres typhons, ces pays doivent trouver de nouvelles solutions pour protéger les populations de leurs zones les plus exposées. Ainsi l’ONU estime que Bangkok, construite sur des terrains marécageux, est une des villes les plus mena-
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Wetropolis, a post diluvianfuture
© S+PBA
Dans le même esprit, au Japon, autre pays en première ligne face aux risques littoraux, l’entreprise de travaux publics Shimizu travaille sur un projet titanesque : Green Float. Avant même le terrible tsunami de mars 2011, elle imagine des structures flottantes circulaires d’une base de trois kilomètres de diamètre surplombées par une tour évasée de près de mille mètres de haut. Ces cellules seraient conçues pour fonctionner en autarcie tout en étant capables de se regrouper pour
former des entités plus importantes pour commercer, faciliter les échanges culturels, permettre aux habitants de se mélanger, etc. Localisées dans les eaux équatoriales, elles profiteraient de leur chaleur mais l’altitude des tours permettrait de bénéficier également d’une certaine fraîcheur.
Pallier le manque de terres constructibles Certains pays, comme les Pays-Bas, sont également confrontés au manque de terres constructibles. L’architecte belge Vincent Callebaut a ainsi conçu le projet Lilypad : une ville flottante circulaire capable d’accueillir cinquante mille habitants. Autosuffisante en énergie grâce à des panneaux solaires, des éoliennes et l’utilisation de la marée, elle couvrirait elle-même les besoins alimentaires de ses habitants avec, selon son concepteur, « des champs d’aquaculture et des corridors biotiques sur et sous la coque » et un lagon d’eau douce recyclant les eaux de pluie et lestant la ville. Il imagine que ses villes flottantes puissent servir à étendre le territoire de villes ou de pays à court de terrains urbanisables.
des ghettos de luxe Certains pays développent des concepts similaires mais avec des visées bien différentes. Leurs projets ne répondent pas à une nécessité vitale mais à la recherche d’idées permettant de se démarquer sur un
marché immobilier globalisé, dans l’espoir d’attirer les populations fortunées. C’est le modèle adopté par les Dubaïotes avec leurs « îles palmier » habitées par les riches émirs et les expatriés européens venus participer à la croissance de l’émirat. Aux Etats-Unis, le Seasteading Institute et Peter Thiel, co-fondateur de Paypal, élaborent le projet Blueseed. Leur objectif est de créer une Sillicon Valley sur les flots, une ville-bateau destinée à de jeunes entrepreneurs. Naviguant dans les eaux internationales, à proximité des côtes californiennes, elle ne relèverait d’aucun Etat. Aucun visa demandé, donc, pour les postulants. Pour 1 600 dollars par mois, ses occupants auraient accès à des logements, des espaces de travail et des espaces de détente. Selon le site Internet du projet, près de sept cents personnes, de plus de cinquante nationalités différentes, se sont montrées intéressées par ce projet « utopiste cherchant à développer des communautés permanentes et autonomes dans l’océan pour expérimenter divers systèmes sociaux, politiques et légaux innovants » (Seasteading Institute). Certains estiment cependant qu’il s’agit en fait surtout d’un moyen d’échapper au Trésor public américain... Le projet pourrait voir le jour d’ici peu. Ces projets visent plutôt à proposer des résidences de luxe à de riches habitants en quête de nouvelles expériences, sécurisées, sur le modèle des gated-communities (lotissements fermés dont l’accès est fortement restreint et surveillé, très présents aux Etats-Unis notamment).
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une ville insolite
Projet Lilypad, Vincent Callebaut
Et demain, la ville sous-marine ? Dans le futur, des cités pourraient être construites sous les eaux, notamment en cas de catastrophe écologique de grande échelle qui rendrait la vie terrestre difficile ou impossible (forte montée des eaux, augmentation de la température, atmosphère irrespirable...). Ces cités fonctionneraient avec l’énergie hydrolienne, récupéreraient leur oxygène de la culture d’algues. Leurs habitants se nourriraient des produits de la mer et du plancton… Il existe déjà des projets de constructions sousmarines. Ainsi à Alexandrie, en Egypte, l’architecte français Jacques Rougerie a été mandaté pour concevoir un musée d’archéologie sous-marine immergé dans la partie Est de la baie. Les visiteurs pourront y observer en direct le travail des archéologues sous-marins. Proche de Jacques-Yves Cousteau, Jacques Rougerie a lié sa carrière d’architecte à la mer puis à l’espace. Il explore les possibilités d’habitat sous-marin en reliant l’exploration des océans à la conquête spatiale,
Projet Sea Orbiter
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collaborant avec la NASA au programme Seaspace notamment. Ce projet doit permettre de préparer les astronautes aux conditions de vie dans l’espace. Jacques Rougerie participe aussi à l’aventure Sea Orbiter, une station d’étude de la mer naviguant tel un bateau, équipé des meilleures technologies. Chacun de ces projets un peu fous repose sur une idée commune : la mer est un « territoire » plein de promesses pour les hommes du XXIe siècle, à la fois en quête de nouvelles sources d’énergies renouvelables et de nouveaux espaces pour vivre, sinon se réfugier. Leur concrétisation repose néanmoins sur des avancées technologiques majeures qui n’existent qu’à l’état d’idées aujourd’hui : les matériaux résistant à une immersion complète et permanente mais aussi à des tempêtes, l’exploitation efficace des algues et du plancton, etc. La perspective d’aller implanter des villes sur ou dans l’eau pose par ailleurs à ce jour plus de questions qu’elle n’en résout : • Questions en matière d’impact écologique d’abord : à quoi bon laisser l’humanité continuer à jouer aux apprentis-sorciers avec la planète si c’est pour simplement déplacer et donc perpétuer les problèmes ? On voit bien aujourd’hui combien les écosystèmes côtiers sont en danger, menacés directement ou indirectement par les activités humaines. Alors comment imaginer que les polders dubaïotes soient une solution de long terme ? • Questions de gouvernance ensuite : les hommes s’adapteront-ils facilement à ces nouveaux milieux régis par des règles de vie collective nécessairement différentes ? • Questions de faisabilité financière enfin : si ce type de projet est difficile à estimer, et leurs concepteurs n’en sont d’ailleurs pas là, on peut d’ores et déjà se demander comment des pays pauvres pourront investir dans des villes aquatiques ? Alors oui, ces projets sont peut-être une réponse possible pour les villes mal conçues et où, en quelque sorte, le mal est déjà fait… Mais dans ce cas, le temps presse. Aux Maldives, par exemple, dont certaines îles sont grignotées inexorablement par les flots et sujettes à des violentes submersions, nul ne pourra attendre plusieurs décennies la mise en œuvre réelle de ces constructions. Géraldine Brochon
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