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Mémoire de 5ème année
- Février 2016 -
Présenté par Emma Rubeillon Directeur de mémoire : Prof. Jean-François Coulais
CITTÀ & ACQUA Étude de la Vénétie et de son écosystème lagunaire 3
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J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont aidée dans la réalisation de ce mémoire. En premier lieu, je remercie Jean-François Coulais, enseignant-chercheur à l’Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Versailles, pour m'avoir accueilli au sein de son équipe, pour l'aide et le temps qu'il m'a consacré. En tant que directeur du groupe de mémoire « Ici & Ailleurs. Villes, territoires, nature », il m'a guidé dans mon travail, m'a aidé à trouver des solutions pour avancer et a toujours été très disponible. Je tiens aussi à remercier Paola Viganò, que j'ai eu la chance d'avoir comme enseignante à l'Institut Universitaire d'Architecture de Venise, qui m'a fait découvrir l'histoire de la Vénétie et qui m'a transmis sa passion pour ce territoire. De plus, je remercie Francesca Gozzi, Luca Pellizzaro et Matteo Maggiò qui, habitant la Vénétie m'ont permis d'accéder aux documents d'urbanisme de la province de Padoue et du Lido di Jesolo. Ils m'ont transmis des informations et des données précises et cruciales sur leurs villes respectives. Enfin, je remercie les ingénieurs qui m'ont permis d'accéder au chantier du projet MOSE et qui ont accepté de répondre à mes questions, ainsi que les membres du comité de défense de la Lagune de Venise «NO Grandi Navi» .
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Sommaire INTRODUCTION : La mer; attractive et fascinante mais aussi effrayante
PARTIE I L'eau: une ressource et une menace pour la Vénétie 1. Un territoire construit par l'eau
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1.1 Les transformations du territoire au fil du temps
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1.2 A travers le plan de la Vénétie
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2. Un territoire imprévisible
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2.1 Une urbanisation excessive qui fragilise le territoire
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2.2 Des risques hydrauliques aggravés par les changements climatiques
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3. Un territoire en cours d'investigation
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3.1 Veneto 2100 / Living With Water: une recherche sur le futur de la Vénétie
34
3.2 Laguna Forma Urbis 2108: des scénarios de modification de la Lagune
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3.3 Water & Asphalt: le projet de l’isotropie
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PARTIE II Une urgence; s’adapter plutôt que lutter
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1. Pourquoi réfléchir au risque hydraulique aujourd'hui?
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1.1 Une croissance accélérée de la population
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1.2 Des changements climatiques de plus en plus manifestes
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2. Une approche plus flexible pour préserver la Vénétie
55
2.1 L'alternance de solutions résilientes et résistantes
55
2.2 Une gestion participative du territoire
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2.3 Une multiplication de petites interventions ponctuelles
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3. Une intervention résiliente: l'inondation programmée du territoire
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3.1 Un territoire diffus de la basse plaine humide: le cas de la campagne de Padoue
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3.2 Un territoire côtier de la Lagune vénitienne: le cas du Lido de Jesolo
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CONCLUSION
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ANNEXES
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INTRODUCTION
La mer; attractive et fascinante mais aussi effrayante
« Elément fondateur de la cité, qu'elle soit fleuve, rivière, canal ou mer, l’eau génère la ville, lui donne sa raison d'être. » (Simenc, 1995). Le mémoire de recherche qui suit traite de la relation entre la ville et l’eau. Aujourd'hui, le succès des littoraux provient de multiples facteurs qui peuvent être économiques, sociaux, touristiques ou géopolitiques. Pourtant, s'établir face à la mer impose une crainte pour les hommes des siècles passés : ils sont devant des immensités inconnues et dangereuses. Historiquement, l’eau est intrinsèquement liée à la ville. Au Moyen Age déjà, elle fait partie de la cité, véritable lieu convivial approprié par les populations. Au cours des siècles, l'image des rivages évolue, se transforme. Les villes côtières obéissent à des impératifs : «posséder la mer», conquérir d'autres pays : les océans deviennent des facteurs de puissance et dans les sociétés mondialisées, la position d'une ville sur un littoral bien placé est un facteur de succès. Au temps des grandes découvertes, la mer fascine et est en même temps source de terreur. Toutes les légendes et croyances qui donnent aux mers une image inquiétante ne sont pas coupées du réel car elles sont en effet des espaces souvent dangereux, même au XXIème siècle. Les risques naturels existent aussi bien sur terre que sur mer mais les littoraux ont toujours été exposés à des accidents aujourd'hui « plus fréquents et plus intenses » : comme le souligne André Dauphiné 1, 53% des désastres mondiaux sont situés sur un littoral et « ce pourcentage est d'ailleurs sous estimé...]. Les rivages sont de plus en plus soumis à des risques singuliers » (2001). Les côtes sont des milieux souvent fragiles exposés à l'action de la mer qui prend des formes diverses suivant la nature des littoraux, les climats, les régions. L'accroissement démographique et les effets de l'emprise technique ont une importance désormais décisive. Cette association de facteurs naturels et humains accentue la dangerosité des côtes. D’ici 2050, 70 % de la population mondiale vivra dans des zones urbanisées. Or, les trois quarts des plus grandes villes sont situées en bord de mer, alors que le niveau des océans s’élève. Cette situation nous oblige à repenser la façon dont nous vivons avec l’eau et à définir la structure spatiale de la ville à partir de l'espace donné à l'eau.
(1) Thumerelle Pierre-Jean. André Dauphiné : Risques et catastrophes. Observer - Spatialiser - Comprendre - Gérer, Espace, populations, sociétés, 2001, vol. 19, n° 1, p. 202.
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J'ai choisi de m'intéresser au territoire de la Vénétie qui est construit par l'eau. A cette échelle, j'ai été frappée par la multiplicité des situations impliquant une gestion de l'eau sophistiquée visant à contrôler des processus naturels. Lorsqu'on parcourt le territoire, des Alpes pour arriver à la mer Adriatique, on rencontre en amont des zones sèches nécessitant un stockage et un apport de l'eau et en aval des zones humides subissant le débordement de la mer. Enfin, le système lagunaire de Venise m'a semblé être l'environnement idéal pour l'étude des systèmes hydrauliques. En effet, Venise, afin de se préserver des envahisseurs les Huns en 511, s'est isolée dans les lagunes et la mer. La mer Adriatique sera plus familière à cette cité que les plaines du Pô. Aujourd'hui, la ville est de nouveau en danger. La situation de la Lagune de Venise est si fragile que le risque d'inondation doit être réduit, pas seulement dans le but d’empêcher ou de diminuer les impacts directs mais aussi parce que les dommages pourraient être produits dans la Lagune ellemême, empirant les dégâts déjà effectués et la situation déjà critique. Si la Lagune, à cause de ces difficultés actuelles à s'adapter aux conditions futures, est la partie la plus vulnérable, l'arrière pays semble être un peu plus flexible, avec ses grades de résilience et sa capacité à retrouver des conditions stables après un événement perturbateur. Les territoires en contact avec l'eau sont toujours des environnements «extrêmes» car ils ont une importante biodiversité et sont plus fragiles. Étudier ce territoire, qui est un espace de transitions va permettre de comprendre des problèmes et des phénomènes qui semblent spécifiques à la Vénétie mais qui sont en fait applicables à d'autres endroits du Monde. En quoi les systèmes hydrauliques (notamment les anciens réseaux d'irrigation, d'adduction et de drainage) peuvent-ils constituer l'infrastructure d'un territoire entier au XXIème siècle ? A partir de l'étude du territoire de la Vénétie et de son écosystème lagunaire et des différentes recherches qui ont été menées sur le terrain, il est important de reconnaître les divers processus durant lesquels différentes formes de rationalités de l'eau ont été définies sous la forme d'infrastructures de béton. En les analysant et les critiquant, ce mémoire s'attache à démontrer comment il est aujourd'hui nécessaire d'adopter une attitude plus souple face à des risques hydrauliques grandissants.
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PARTIE I
L'eau: une ressource et une menace pour la Vénétie
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1. Un territoire construit par l'eau Traditionnellement, l'eau n'est pas un élément central en architecture et dans la réflexion urbaine. L'eau est un élément trop fluide, impalpable et en même temps trop complexe, trop difficile à manipuler. Il y est pourtant important de s'y intéresser car l'eau est un indicateur des changements environnementaux. En effet, de nombreuses études menées par des experts, mais aussi l'expérience de ces dernières années montrent à quel point les systèmes hydrauliques sont les éléments pour lesquels les changements climatiques se manifestent de façon la plus incisive et dramatique. Comme le souligne Paola Viganò «Les dangers liés aux changements climatiques ne sont pas seulement, et pas même principalement thermiques dans la nature. En effet, la plupart des dommages sont dus à l'eau ; il y en a soit trop [...] soit pas assez [...]» 2. A notre échelle, la plupart des changements climatiques les plus immédiats et évidents sont rares mais ce sont en même temps des phénomènes météorologiques très violents. Les conséquences de ces phénomènes sont des périodes de sécheresse et de tempêtes soudaines et violentes, dont les effets destructeurs sont déjà évidents aujourd'hui dans le territoire et dans les systèmes hydrauliques. C'est pour ces raisons que pour s'attaquer aux changements climatiques, il faut principalement s'intéresser aux systèmes hydrauliques. Ces différents aspects de réflexion basés sur le territoire de l'eau sont notamment visibles dans la ville diffuse du Nord-Est italien. Il s'agit de l'espace de 200kmX200km qui se situe à la limite entre le Friuli et la Vénétie et qui s'étend d'Est en Ouest entre la rivière Brenta et Tagliamento et du Nord au Sud entre les Alpes et les côtes vénitiennes. Ce territoire est à la fois paradigmatique et spécifique, emblématique de la forme diffuse et ancré au point où interagissent espaces gérés par l'eau, terrains agricoles et territoires urbanisés. A l'observation de cette région, on voit directement à quel point il s'agit d'un territoire construit par l'eau. La région de la Vénétie est l'une des plus riches en cours d’eau d'Italie. De plus, la complexité des tracés que nous appelons aujourd'hui città diffusa3 est le résultat de deux mille ans de processus de construction du territoire, du contrôle et de la gouvernance de l'eau et de ses infrastructures.
(2) Viganò P., 2009, Paesaggi dell'aqua/ Landscapes of water, Risma, Pordenone (3) La città diffusa ou ville diffuse du Nord-Est italien est l'étalement urbain résultant de la construction intégrale du territoire commencé par la centuriation romaine, à partir du travail de canalisation de la République Vénitienne et continué par l'assèchement de la terre commencé au vingtième siècle. L'organisation du système hydraulique, les interventions sur le territoire agricole, la distribution des petits villages concentrés et dispersés, en disent long sur ce processus.
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EAU ET SYSTÈME OROGRAPHIQUE DU TERRITOIRE DE LA VÉNÉTIE 50
100 km
Sources: D'après P.Viganò et L.Fabian, 2010. Sources de donnée : IUAV, Province de la Vénétie et de la région Friuli Venezia. PTCR 2009. Land Mosaics. RTT Forman
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1.1 Les transformations du territoire au fil du temps D'un point de vue très simplifié, on peut dissocier trois importantes phases de rationalisation 4 du territoire en tenant compte de ses caractéristiques géologiques, topographiques et hydrogéologiques. Cela nous amène à diviser la plaine en trois bandes du Nord au Sud: la plaine sèche de graviers traversée par les rivières alpines; la plaine moyenne humide qui suit la ligne printanière; et la plaine la plus basse liée à la Lagune. 1.1.1 La Centuriation romaine : Un maillage orthonormé
La première importante rationalisation a été la Centuriation romaine. Commencé au deuxième siècle avant Jésus Christ, il a été développé simultanément comme un système de drainage, une subdivision en plot et une infrastructure routière. Tout au long de la plaine humide, la Centuriation a différentes morphologies de mailles pour s'adapter aux pentes qui permettent à l'eau 5 de suivre le terrain imperméable. 1.1.2 Une rectification des rivières
Au XVIème siècle, la deuxième étape de la rationalisation de l'eau 4, la division des rivières entrant dans la Lagune, a été commencée par la République Vénitienne, dans le but d'éviter le remplissage de la surface d'eau protectrice avec du sable et des graviers apportés par les montagnes du Nord. Les rivières ont été déplacées à l'Est et à l'Ouest de la Lagune et des nouveaux canaux ont été construits dans un incroyable effort qui est à l'origine de la nouvelle science de l'hydrologie. Ce moment marque aussi l'entrée de Venise dans une nouvelle phase de globalisation, plus importante dans les landes et l'agriculture que dans le commerce maritime. 1.1.3 L'assèchement du territoire
Dans les années 1930, pendant la période fasciste, de grands travaux d'assèchement ont été initiés sur l'espace bas et humide autour de la lagune avec des procédures de polarisation. La maille continue a été transformée en des infrastructures de canaux en béton, un réseau dans lequel la relation entre la végétation et l'eau a été perdu, et l'accessibilité aux champs cultivés a été limitée.
(4) Le terme « rationalisation » est utilisé ici dans le sens où la société a décidé qu'à un moment spécifique de l'histoire, un certain certain type de modification territoriale était nécessaire et a commencé un processus d'amélioration. (5) L“eau” englobe à la fois les flux naturels et artificiels, les dispositifs d'assèchement et d'irrigation et les systèmes de drainage.
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RATIONALISATION DU SYSTÈME HYDRAULIQUE 100 km
50
Sources: D'après P.Viganò et L.Fabian, 2010. Sources de données: IUAV, province de la Vénétie et de la région Friuli Venezia. PTCR 2009. Land Mosaics. RTT Forman
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Cette transformation a aussi été la conséquence d'un projet plus large d'industrialisation: une nouvelle alliance entre les grosses industries, qui avaient besoin d’électricité et de puissance pour développer un nouveau pôle pétro-chimique à Porto Marghera, et les agriculteurs de la plaine sèche. De gros barrages ont été construits dans les montagnes nécessitant d' importants travaux d'ingénieur, et une partie de l'eau a été donnée à la nouvelle agriculture industrielle qui s'est développée sur le «désert de graviers» -la plaine sèche-, privant le fleuve Piave de presque toute son eau. Toutes ces interventions ont changé radicalement le caractère physique et écologique du paysage. La création de nouveaux espaces pour favoriser l'agriculture industrielle a engendré le développement de systèmes complexes de digues, fossés et station de pompage. Les canaux bordés d'arbres ont disparu ou seulement quelques fragments ont subsisté et les nouvelles infrastructures de béton ont réduit la richesse de l'agriculture et la biodiversité de l'espace avec une simplification radicale des associations traditionnelles. La comparaison des deux types de maillage, d'une part orthonormé et de l'autre sinueux et complexe, sur une carte contemporaine, montre le conflit entre les deux différentes idées de l'utilisation rationnelle de l'eau. Sur le site, le contraste est encore plus frappant ; on découvre la relation conflictuelle entre ces deux modes d'utilisation de l'eau et la difficulté à les faire cohabiter. Au cours de ces dernières années, il s'est aussi organisé un paysage de maisons et d'industries le long des routes. Ces éléments permettent de révéler les conditions dans lesquelles la nouvelle économie de petites et moyennes entreprises ont commencé à voir le jour le long du réseau. L’intérêt de ce territoire réside dans l'importante variété de situations qui en découlent. Entre les premiers reliefs et la mer, on rencontre la plaine sèche en amont dont le sol est constitué de graviers et la plaine humide en aval, qui a un sol en argile. Alors que le principal problème de la plaine basse et humide moyenne est d'évacuer l'eau, il est dans la plaine sèche de l'apporter et de la garder pour améliorer l'irrigation, évitant son infiltration immédiate dans le sol.
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SYSTÈME HYDRAULIQUE ET PERMÉABILITÉ DES SOLS 50
100 km
Sources : Carte élaborée par P.Viganò et L.Fabian. Sources de données : Agence de Protection de l'Environnement de la Vénétie (PPA) 2006. PTCR 2009 (Vénétie)
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1.2 Au fil des plaines de la Vénétie L'eau peut jouer un rôle structural et structurant ; le long des plaines, où l'on rencontre différentes conditions géologiques6, la plaine sèche, la plaine moyenne humide et la plaine basse ont été les points de départ pour une réflexion sur les différentes formes d'une rationalisation de l'eau et de nouvelles règles de construction territoriales, qui renforce souvent les caractéristiques isotopiques du territoire. Si nous considérons une coupe transversale du nord au sud, passant à travers le territoire entre le Piave et la Livenza, on peut croiser des situations différentes; environnement naturel de lagunes, rivières, zones humides, zones de transition. Les trois conditions géologiques principales constituent un champ d'exemples dans lequel les scénarios de transformation peuvent être imaginés suivant un processus d'ajustement qui expérimente les systèmes différents de défense contre des inondations, leur intégration possible avec d'autres fonctions, leur réversibilité ou stabilité, les techniques de construction, leurs types, échelles et dimensions. Entre les montagnes et la lagune, une séquence d'actions possibles peuvent être définies qui construisent un projet de territoire basé sur les éléments résilients des conditions isotopiques, mais aussi capable de sélectionner quelques opportunités de résistance. En effet, cette région est constituée d'une plaine inclinée vers le cours inférieur du Pô à l’Ouest, vers l’Adriatique à l'Est, et divisée, de part et d’autre d’une zone de résurgences, en une haute plaine sèche, aux sols souvent médiocres, et une basse plaine humide, fertile, mais où la maîtrise des eaux est difficilement acquise.
(6) La Vénétie est composée de trois systèmes alluviaux : ceux de l’Adige, du Brenta et du Piave. En plus de cette tripartition en unités similaires, il existe une distinction très marquée entre une haute plaine à dominante sablo-caillouteuse, sèche et naturellement très drainante et une basse plaine, humide et à dominante argileuse.
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Lagune de Venise. Février 2015. Photographies réalisées par l'auteure, prises dans les zones marécageuses de la Lagune de Venise, aux environs de l'île La Certosa
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1.2.1 Les côtes Nord de Venise et sa Lagune
La Lagune de Venise avec ses 550 km2 est la plus grande zone humide de la Méditerranée. Elle est séparée de la mer par un cordon littoral qui s'étend sur 60 km à partir de l'embouchure de l'Adige jusqu'au fleuve Piave, interrompu par trois ouvertures: les bouches du Lido, de Malamocco et de Chioggia. Elle est constituée de plus de 50 îles, d'environ 40 km2 de bancs de sable naturels et d'un réseau de canaux de 1500 km qui assure la propagation de la marée. La profondeur moyenne de la Lagune est de 1,2 m. Le bassin de drainage est la partie du continent qui décharge l'eau de pluie dans la Lagune et les rivières. Il a une superficie d'environ 2000 km2. Il est traversé par un réseau hydraulique de plus de 2500 km. Ainsi, environ 2,5 millions de m3 d'eau par jour et environ 30 000 m3 de sédiments par an se déversent dans la Lagune à travers 27 embouchures. Le volume moyen quotidien échangé entre l'eau de la Lagune et l'eau de la mer est de 400 millions de m3. La Lagune vénitienne est un environnement complexe en état d'instabilité précaire. La balance hydrologique entre la Lagune et le bassin de drainage évolue constamment. La morphologie de la Lagune peut être maintenue seulement grâce à l'équilibre entre les sédiments apportés par les rivières et ceux transportés par le courant de la mer. L'intervention humaine peut résoudre et réguler cette morphologie. Alors que dans les années 1960 la Lagune était en danger de disparition à cause d'un important envasement, la situation a été sauvée grâce à des travaux de détournement des rivières. Aujourd'hui, le bassin est peu à peu transformé en golf. Le mouvement des vagues, l'érosion continuelle du fond de la Lagune due au passage des grands bateaux de croisière ont accentué la libération rapide des sédiments dans la mer, la suppression progressive des bancs de sable et de la variété de la morphologie du fond de la Lagune. Si ce processus continue encore longtemps, la «barena» 7 et la morphologie typique de la Lagune va disparaî tre en 2050. En effet, le niveau de la mer s'élève et déjà certains espaces de ce territoire sont situés en dessous du niveau de la mer. La côte souffre d'érosion et la menace des inondations empire constamment. Les changements climatiques pourraient causer une augmentation du niveau de la mer de 108 cm en 2100.
(7) Les barene sont les zones mixtes de bancs de sable recouverts de hautes herbes, de marécages, typiques de la Lagune de Venise. Elles sont périodiquement inondées par les marées
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La basse plaine humide. Mai 2010. Photographies d'un territoire de plaines humides de la VĂŠnĂŠtie, aux environs de Montegrotto Terme, dans la campagne de Padoue
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1.2.2 La basse plaine humide
La principale caractéristique de la plaine humide est l'imperméabilité de son sol. Ce territoire est le résultat de l'espace reconquit de la Lagune. La gestion de l'eau se fait principalement à travers un système de puits qui accélèrent la salinisation des eaux souterraines; le système de drainage comprend des canaux qui conduisent l'eau en excès dans la mer. La plaine humide présente d'importants risques d’inondation. Cette situation a été aggravée à cause des changements climatiques qui ont provoqué une élévation du niveau de la mer. En raison de sa position, ce territoire est directement lié avec la plaine sèche et les côtes. Les zones humides sont étroitement liées au cycle hydrologique car elles absorbent l'excès des eaux pluviales pour ensuite libérer progressivement l'eau retenue. Elles se caractérisent aussi par leur capacité à structurer et à maintenir leur intégrité biologique: leurs limites dynamiques sont des «centres de biodiversité» où la fluctuation du niveau de l'eau détermine une marge écotonale8 qui accueille des espèces animales et végétales aquatiques et terrestres. Le terme de zones
humides est très large et comprend une grande variété d'environnements. D'après la définition donnée par la Convention de Ramsar9 pour la protection et la conservation de ces zones, elles regroupent: «les espaces de marais, les marécages, les plans d'eau, naturels ou artificiels, permanents ou temporaires, avec de l'eau stagnante ou courante, salée ou douce, y compris les zones maritimes, dont la profondeur n'excède pas six mètres à marée basse». Donc ce sont des lieux où s'établit une union particulière entre la terre et l'eau.
(8) Zone de séparation entre deux écosystèmes (ensemble des éléments vivants et non vivants qui constituent un milieu naturel et interagissent les uns avec les autres. (9) La Convention de Ramsar est le plus ancien de tous les accords modernes mondiaux et intergouvernementaux sur l’environnement. Adoptée dans la ville iranienne de Ramsar en 1971, elle est entrée en vigueur en 1975. Elle a pour mission «La conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides par des actions locales, régionales et nationales et par la coopération internationale, en tant que contribution à la réalisation du développement durable dans le Monde ».
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La haute plaine sèche. Nov. 2015 Photographies d'un territoire de plaines sèches de la Vénétie, aux environs de Castelfranco di Veneto, près de Bassano del Grappa
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1.2.3 La haute plaine sèche
La modernisation industrielle de l'architecture a été décrite comme une méthode d'utilisation des sols pour transformer le pétrole et le gaz en nourriture (Peak Everything, R. Heinberg, 2007)
Aujourd'hui, avec l'imminent déclin des ressources énergétiques, la Vénétie offre un canevas idéal pour répondre à ce problème avec une ré-ruralisation plus accrue ; réduisant la production agricole intensive avec des cercles plus réduits de transportation, et moins de consommation énergétique et de fertilisation. Les changements climatiques impliquent que le système hydraulique de la Vénétie doit subir des modifications drastiques. Il est donc nécessaire de combiner l'eau et les potentialités de la ville diffuse. En suivant cette idée, le système hydraulique doit d'abord être écologique. D'importantes interventions sont menées à l'échelle du territoire pour répondre aux fluctuations du système hydraulique ; de larges espaces de stockage pour les périodes de sécheresse et des bacs de rétention et des structures d'infiltrations pour les éventuelles inondations. Cependant, la structure socio-économique de la région est composée de petites entreprises et de la possession des terres principalement par des propriétés privées. Les entreprises d'extraction extraient plus de 6,000,000m³ de graviers par an dans la plaine sèche. Deux méthodes sont employées; l'extraction en surface et en profondeur. Ces carrières représentent une opportunité idéale pour créer des espaces de stockage de l'eau et d'infiltration. La plaine sèche est aujourd'hui un élément sous-évalué dans le territoire. Elle est considérée comme un territoire non-productif et éparpillé où la seule valeur économique est l'extraction de pierre.
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100 km
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Sources : Carte élaborée par P. Viganò et L. Fabian. Sources de données : Province de Vénétie et Friuli Venezia (cartes régionales). PPA 2006. PTCR 2009 (Vénétie)
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2. Un territoire imprévisible 2.1 Une urbanisation excessive qui fragilise le territoire 2.1.1 Une urbanisation effrénée et mal adaptée aux conditions naturelles des territoires
Depuis quelques temps, la plupart des pays européens œuvrent pour limiter la fragilisation du sol liée à une urbanisation excessive, étendue et dispersée des territoires. En effet, ce phénomène est susceptible d’amplifier les risques naturels, notamment hydrogéologiques 10. L'Italie11 connaît actuellement un contexte de décentralisation de l’urbanisme et en l’absence d’une législation nationale en la matière, plusieurs régions ont pris des initiatives réglementaires et opérationnelles. Concernant la région de la Vénétie, la loi régionale n°11 de 2004 énonce que «l’utilisation de nouvelles ressources territoriales est consentie lorsqu’il n’existe pas d’autres alternatives à la réorganisation et la requalification du tissu urbain existant». De même, l’un des objectifs majeurs du Plan territorial régional de coordination (PTRC) adopté en 2009 est de freiner l’urbanisation et de protéger les sols les plus vulnérables. Toutefois, malgré ces évolutions, l’urbanisation s’est poursuivie en Vénétie de manière indifférenciée, y compris dans des secteurs à risques. Il existe un réel décalage entre les intentions de la planification et la réalité des évolutions territoriales. 2.1.2 Le rapport entre la «consommation de sol» et les risques naturels
Si l’étalement urbain européen des dernières décennies a été bien étudié (Richardson 2004; Barattucci 2006). Concernant la dispersion urbaine, dans un rapport de l’Agence Européenne de l’Environnement (EEA 2006), l’urbanisation continue est présentée comme la cause majeure de la «consommation» des sols et des paysages, mais aussi de la perte de biodiversité et de perméabilité.
(10) Le risque hydrogéologique renvoie à la possibilité de catastrophes naturelles provoquées par l’instabilité des terrains et des cours d’eau, du fait de conditions climatiques particulières. (11) L’Italie est l’un des pays d’Europe où le risque hydrogéologique est très élevé, du fait de ses caractéristiques géomorphologiques et hydrographiques et de l’urbanisation massive des dernières décennies.
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En Italie, lors de la fin du XXe siècle, l’urbanisation diffuse et dispersée autour des centres urbains a souvent entraîné une fragilisation importantes des ressources naturelles. L’une des répercussions possibles de cette urbanisation est l’augmentation des risques hydrogéologiques par l’imperméabilisation du sol. Si, dans la plupart des cas, les éboulements et les inondations sont dus à des causes naturelles, ils sont néanmoins fréquemment amplifiés par une urbanisation excessive. En effet, la multiplication de constructions modifient la perméabilité du sol, empêchent l’écoulement des eaux et amplifient les inondations dues surtout aux crues des fleuves. Les risques naturels liés à une urbanisation diffuse et dispersée sont bien connus et plusieurs recherches italiennes sur la «consommation de sol»12. (Pileri 2009 ; Gardi 2013) ont mis en évidence la vulnérabilité de cette ressource, qui a fait l’objet de transformations radicales depuis les années 1950. 2.1.3 L’urbanisation italienne de la seconde moitié du XXe siècle
Tout au long du XXe siècle les lois nationales se sont succédées pour tenter de réglementer l’utilisation du sol par des plans communaux ( Piano regolatore generale). En réalité, ces documents se sont rapidement révélés insuffisants pour encadrer les dynamiques d’urbanisation. Dans tout le pays, une urbanisation massive a colonisé les plaines agricoles, les côtes, les collines, provoquant des déséquilibres écologiques importants, qui se manifestent à partir des années 1960: éboulements, Acqua Alta , crues...13. En 1967, la loi n° 765 apporte une première réponse en réglementant de façon plus restrictive l’activité de construction. Au cours de cette période, les promoteurs bénéficient d’une grande complaisance des autorités et parviennent à bâtir plus de six millions de pièces de nouveaux logements. Suite à cette frénésie immobilière, un décret interministériel (n°1444/1968) introduit de nouvelles règles en matière de construction et de quantité minimale de services et équipements collectifs à prévoir dans chaque zone urbaine. Malgré ces avancées, ce texte ne parvient pas à empêcher la poursuite d’une urbanisation de plus en plus diffuse et dispersée, qui est souvent étroitement liée à différentes formes d' abusivismo edilizio14 (De Lucia 2013). (12) L’expression consumo di suolo est utilisée en Italie depuis les années 1980. Cette expression désigne l’artificialisation des sols agricoles ou naturels. (13)Ces catastrophes naturelles ont été amplifiées par l’urbanisation incontrôlée, mais on ne peut pas dire, bien sûr, que celle-ci en soit soit l'unique cause. (14) L’expression abusivismo edilizio désigne le fait de bâtir des constructions irrégulières
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Depuis la fin des années 1980, certaines lois nationales ont spécifiquement concerné la «défense du sol» et la prévention des « risques hydrogéologiques ». De même, l’objectif de limiter l’urbanisation est présent dans plusieurs Plans Territoriaux de Coordination Provinciale (PTCP) et dans certains Plans régionaux. Toutefois, l’urbanisation des campagnes italiennes s’est poursuivie à un rythme élevé. Au-delà de l’inadéquation des lois ou des documents d’urbanisme, le problème italien est donc aussi lié au faible respect de ces dispositifs et à un certain nombre de mauvaises habitudes bien enracinées. 2.1.4 Une urbanisation dispersée, caractéristique de la città diffusa en Vénétie
En Italie, c’est surtout à partir des années 1980 que les recherches ont mis en évidence la transformation profonde du territoire agricole par l’urbanisation. En particulier, la recherche It.Urb, coordonnée par l’urbaniste Giovanni Astengo, a eu pour objectif de saisir « l’état de l’urbanisation en Italie » après les transformations intenses opérées depuis les années 1950. Elle montre dans quelle mesure la «consommation de sol» a été déterminée par la croissance urbaine, en caractérisant les divers degrés de «dispersion et compacité» de l’urbanisation. Parmi les cas étudiés par It.Urb, la région de la Vénétie se distingue par l’importance de la consommation de sol par l’urbanisation. Celle-ci a pris une ampleur particulière dans deux aires métropolitaines : autour de Vérone et dans l’aire centrale comprise entre Venise, Padoue, Trévise et Castelfranco. L’expression città
diffusa15 (Indovina 1990 ; Secchi 1992) est inventée précisément pour définir les transformations observées dans ce dernier territoire. Même si au cours de ces dernières années, la ville diffuse a pris des formes plus denses, elle est encore caractérisée par la dissémination de maisons, de hangars ou de centres commerciaux à l’échelle de vastes territoires. Au-delà du cas spécifique de l’aire centrale, c’est l’ensemble du territoire régional qui, au cours des dernières années, a été concerné par une urbanisation diffuse et dispersée ayant engendré la transformation du sol agricole et une imperméabilisation massive. La Vénétie l’une des régions italiennes où le risque hydraulique est le plus élevé16.
(15) L'expression città diffusa signifie ville diffuse e t est caractérisée par l’absence de centralités. Les polarités secondaires qui émergent ne sont pas structurantes dans le cas italien. (16) D’après les données de l’Union d'Assainissement de la Vénétie, les superficies artificialisées ont augmenté de 27 % entre 1983 et 2006, de telle sorte que 70 000 hectares de territoire urbanisé sont aujourd’hui classés à risque d’inondation.
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50
100 km
Sources: D'après P. Viganò et L. Fabian, 2010. Sources de données: IUAV, Plan de protection de l'eau (OCDE) 2006 . 4ème rapport d'évaluation du GIEC de 2014
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2.2 Des risques hydrauliques aggravés par les changements climatiques 2.2.1 Des risques hydrogéologiques et la nécessité d'une restructuration du territoire
Si le changement climatique joue sans doute un rôle important dans l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des aléas naturels, il ne faut pas sous-estimer celui de la dégradation anthropique 17 des sols, ainsi que la faible efficacité de la gestion politique 18 de l’urbanisation continue du territoire. Après plus de soixante ans de «consommation» excessive du sol par l’urbanisation, on peut légitimement se demander quels effets ont eu les lois et les documents d’urbanisme de la seconde moitié du XXe siècle en matière de limitation des risques hydrogéologiques et de fragilisation du sol. 2.2.2 Les conséquences des mutations de l'environnement
En parallèle avec le processus global d'urbanisation, les résultats des changements climatiques génèrent des périodes d'inondations et de sécheresse de plus fréquentes et intenses. Les territoires où ces phénomènes sont les plus visibles sont les côtes, les plaines inondables et les alentours des rivières. Caractérisée par une forte production dans zones inondables, la région de la Vénétie n'est pas une exception. Dans ce territoire de haute densité, l'impact de l'environnement a des effets de plus en plus dévastateurs. En effet, le caractère dispersé de son urbanisation, la «città diffusa», génère une utilisation de l'eau qui provoque des périodes d'inondation, de sécheresse et de pollution. En Vénétie, de sérieuses inondations ayant créé des dommages ont eu lieu en 2006 et en 2007 et en 2010, A l'inverse, pendant l'été 2012, à cause des trop faibles précipitations, la Vénétie a du faire face à un déficit d'eau de près de 35% en dessous du taux saisonnier. D'une part, la sécheresse a aggravé les conditions d'une économie agricultrice déjà vulnérable, d'autre part elle a provoqué une réduction de l'énergie de production des ressources hydroélectrique de 40%.
(17) Le mot "anthropique" est un adjectif utilisé depuis le début du XXe siècle pour désigner ce qui est dû à l'action de l'homme. (18) Les politiques urbanistiques de la Vénétie restent aujourd’hui marquées par la contradiction. Ainsi, malgré la loi n° 11/2004 et le Plan régional adopté en 2009, qui prétendent freiner l’urbanisation du territoire, le gouvernement régional a approuvé le Piano
casa en décembre 2013. Cette dernière loi, très critiquée, y compris par l’Institut National d’Urbanisme (INU), permet d’augmenter le volume et la superficie des constructions existantes (et donc l’impermé abilisation des sols), et de déroger aux prescriptions des documents d’urbanisme.
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2.2.3 Le phénomène de l'«Aqua Alta»19 à Venise
La ville de Venise, centre historique à immense valeur artistique, subit elle aussi les conséquences de cette urbanisation excessive du territoire régional : au cours des dernières années, le phénomène de l’ Acqua
Alta s’est répété beaucoup plus fréquemment, entraînant des dégâts sur le patrimoine architectural et artistique. Venise, dépendante de son écosystème, devient d'autant plus vulnérable. Venise est une ville et un port maritime protégée par un cordon littoral. Elle est formée par un ensemble d’îlots, reliés entre eux par 400 ponts. Les canaux font fonction de route, et les divers bateaux sont l'unique moyen de transport avec la marche à pied. Venise est menacée car elle subit chaque année des périodes d'Acqua Alta. Ces Acque Alte se sont aggravées avec l'abaissement du niveau de la ville par rapport au niveau de la mer à la suite de l'affaissement du sous-sol instable. Il a été aussi accentué par le pompage de la nappe phréatique dans la zone industrielle de Mestre-Marghera et par la construction du nouveau port. • L'Aqua Alta de 1966 Début novembre 1966, toutes les conditions sont présentes pour provoquer une montée des eaux dans la Lagune, inondant Venise. A la marée océanique viennent se superposer des conditions météorologiques défavorables: basse pression atmosphérique, sirocco poussant les eaux du large à la côte, fortes pluies et une oscillation des eaux du bassin de l'Adriatique liée aux passages des perturbations. Cette montée des eaux atteignit une hauteur record de 1,94 m plongeant la place Saint-Marc sous 1,20m d'eau. Tout fut submergé, causant des dégâts économiques et artistiques considérables. De nombreuses études ont été menées pour décrire et comprendre tous les problèmes de la ville et de sa Lagune : pollutions de l'air et des eaux, assainissement des canaux, transformation de Venise en ville-musée, dynamique et écologie des eaux lagunaires, détérioration des fondations et des façades de la ville, affaissement du sol, ... et bien sûr les Acque Alte. Aucune autre ville n'aura été examinée avec autant de minutie et avec autant de moyens.
(19) Ce phénomène de pic de marée particulièrement prononcé, provoque la submersion d'une partie plus ou moins grande de Venise. Il est fréquent durant l'automne et le printemps, quand la marée haute arrive à recouvrir une bonne partie de la ville rendant difficile les déplacements dans les rues.
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3. Un territoire en cours d'investigation Ces inondations dramatiques ou ces sécheresses extrêmes montrent l'urgence d'étudier la relation entre l'urbanisation et les dysfonctionnement de l'eau dans un des plus territoires italien les plus productifs. 3.1 MOSE : des barrières mobiles pour éviter les inondations
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3.1.1 Les éléments de construction et de fonctionnement
Le Projet MOSE21 est un ouvrage commencé en 2003 qui prévoit un système intégré de défense des eaux formé de rangées d'écluses mobiles escamotables installées dans le fond des entrées qui permettent temporellement de séparer la Lagune de Venise de la mer Adriatique durant les phénomènes d'Aqua Alta dépassant un niveau établi (110 cm). Le projet MOSE se compose de 4 barrières constituées de 78 écluses mutuellement indépendantes. Ces obstacles sont placés aux entrées du Lido, de Malamocco et de Chioggia. MOSE est conçu pour protéger Venise et sa lagune de hautes marées jusqu'à 3 mètres et une élévation du niveau de jusqu'à 60 centimètres de la mer dans les 100 prochaines années. Le coût du projet a été évalué à 5,5 millions d'euros et les travaux devraient être terminés en 2016. (20)Le projet MOSE. Sources: site Internet du Consortium Venezia Nuova. Axonométrie d'une vanne mobile représentant le fonction -nement du projet MOSE, 2014-2015 (21) Acronyme de MOdulo Sperimentale Elettromeccanico, «module expérimental électromécanique»
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• Emplacement Ces obstacles sont placées aux différentes entrées de la Lagune. Deux barrières à l'embouchure du Lido sont composées respectivement de 21 écluses dans le canal Nord et de 20 dans le canal Sud. Aux entrées du Lido et à Chioggia, des petits ports et des canaux de navigation sont prévus pour permettre l'accueil et de transit des bateaux de plaisance, les véhicules d'urgence et des navires lorsque les écluses seront en fonctionnement. A l'embouchure de Malamocco, a été construit un canal de navigation pour le transit des navires, afin d'assurer le fonctionnement du port avec les écluses en fonctionnement. Celui ci, à l'abri du récif extérieur qui crée un bassin d'eau calme à l'abri de la houle, est située sur la rive Sud de l'embouchure et a une longueur d'environ 370 m et une largeur de 48 m.
• Configuration Au repos, les écluses sont pleines d'eau et sont complètement invisibles. En cas de marées particulièrement fortes qui pourraient causer des inondations, de l'air comprimé est insufflé dans les vannes, ce qui vide l'eau qu'elles contiennent. Ainsi, peu à peu, l'eau sort les écluses qui se redressent jusqu'à ce qu'elles émergent et bloquent le flux de la marée montante dans la Lagune. Elles restent en place pendant la durée de l'Acqua Alta, puis, lorsque la marée descend, elles sont à nouveau remplies d'eau et se remettent en place. Les écluses ont différentes longueurs et sont proportionnelles à la profondeur de l'embouchure où elles sont installées (Lido et Malamocco 18,6: Chioggia 29,6 m) et elles sont d’épaisseur variable (Lido: 3,6 m, Chioggia: 5 m). Le temps moyen de fermeture des embouchures du port est d'environ entre 4/5 heures. Les caissons de logements sont les éléments qui forment la base des barrières de défense: abritant les écluses mobiles et les installations qui permettent leur fonctionnement. Ils sont reliés par des tunnels qui permettent les inspections techniques.
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Embouchures de la Lagune et projet MOSE. Sources : site Internet du Consortium Venezia Nuova. Vues aériennes dues plateformes créées pour le projet, 2014-2015
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3.1.2 Un projet d'une ampleur colossale qui pourrait être nuisible à l'environnement
Le résultat d’ensemble est que le projet MOSE se présente comme une construction inadaptée, très coûteuse et nuisible pour l’environnement. En effet, avec sa structure entièrement submergée, ce projet, tel qu'il est conçu actuellement, est non seulement très lourd, compliqué et très cher (de construction comme d'entretien), mais également nuisible ou peu efficace à court terme, à moyen et à long terme. Le court terme comprend surtout la longue période de travaux pendant laquelle les impacts sur l'environnement vont être très lourds (vase dragués aux entrées lagunaires, bétonnages systématiques, création d'une île artificielle en béton). Le trafic portuaire sera également pénalisé au cours de cette longue période de construction. Sur le moyen terme, les déséquilibres sédimentologiques et hydrodynamiques actuels seront maintenus ou aggravés, avec une accélération de la transformation de la partie centrale de la lagune en un bras de mer. Sur le long terme, enfin, si une augmentation du niveau de la mer devait se produire, comme le prévoient les modèles climatiques, les écluses du MOSE pourraient peut-être contribuer à éviter quelques aque alte, mais, avec l'allongement des périodes de fermeture, elles seraient incapables d'éviter des inondations de plusieurs dizaines d'heures dans les parties les plus basses de la ville de Venise, surtout lorsque l’élévation du niveau marin aura dépassé une trentaine de centimètres. Or, puisque l’élévation du niveau de la mer à la fin de ce siècle devrait être comprise entre 50 et 140 cm, avec 90 cm comme valeur la plus plausible, cela risque de se produire dans quelques décennies seulement. De plus, le projet est source de nombreux scandales. Par exemple, l’arrestation en octobre 2013, de l'un des grands parrains de la mafia apporte la preuve que les travaux du MOSE ont été la cible de Cosa Nostra.22 Ainsi on a découvert que les charnières sur lesquelles pivoteront les fameuses vannes n’ont pas été fabriquées dans l’acier qui était indiqué sur la cahier des charges. Au lieu de l'acier moulées, ce sont des charnières en acier soudé qui ont été livrées. Or, les soudures constitue un point faible de l’acier car elles peuvent provoquer une rupture des charnières ce qui provoquerait un désastre. Une révision du projet MOSE paraît donc nécessaire. L’une des possibilités pour cela serait de s’orienter vers des interventions diffuses, plus douces et de gérer en amont les problématiques liées à l'eau. En effet, en essayant de s'opposer, de résister à la Nature, le système aura sans doute à terme des répercussions néfastes et irréversibles pour l'environnement. Nous verrons dans la deuxième partie qu'il est nécessaire de traiter le problème à sa source, l'élargir le champ de vision des opérations et de favoriser l'adaptation à la Nature. (22) La Cosa Nostra est le nom de la mafia sicilienne qui détiendrait environ 8 % du PIB italien
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Veneto 2100 – Living With Water. Sources : Photographie de la 42éme biennale d'Architecture de Rotterdam, 2006 et vue aérienne de Castelfranco Veneto. Latitude
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3.2 Veneto 2100 / Living With Water : une recherche sur le futur de la Vénétie Une recherche de Enrico Anguillari (urbaniste), Valentina Bonifacio (anthropologiste), Latitude Platform (coordinateur/ urbaniste) et Studio Iknoki /Unité de crise (design visuel)
En 2012, lors de la Biennale d'Architecture de Rotterdam organisée par Adriaan Geuze, de nombreux architectes, urbanistes et ingénieurs se sont retrouvés autour du thème de l'eau. Dans cette exposition intitulée «The Flood», l'idée principale était le rôle de ces acteurs dans le contrôle de l'eau. Elle était vue comme un ennemi à combattre grâce au travail des ingénieurs. Cependant, il est impossible de maîtriser totalement la Nature. Cette volonté de contrôle a créé dans l'histoire de nombreux échecs et elle a été l'attitude dominante des modernistes après la seconde guerre mondiale (Tjallingii, 2012). Au la fin de cette Biennale, la recherche Veneto 2100 - Living With Water a été sélectionnée. L'idée est de redonner à la rivière Piave sa qualité de fleuve. Les plaines sèches sont sous la menace d'une augmentation perpétuelle des risques d'inondations dues à la fois à l'étalement urbain des dernières années et aux fluctuations dramatiques des rivières pendant les saisons de pluie. L'activité agricole du territoire dépend aussi des nombreuses déviations du Piave qui est déjà en danger à cause de l'exploitation en amont. Le projet Veneto 2100 propose de donner à la rivière plus d'espace et de réduire son assèchement causé par les autres systèmes hydrauliques. En 2100, le fleuve Piave pourrait accroître périodiquement et gagner du terrain face de la plaine sèche. Bancs de sable, marécages, prairies et autres espaces inondables offrent une variété de conditions pour vivre ou cultiver des terres en répondant au rythme du fleuve. Les forêts colonisent les espaces de plaines sèches qui n'ont pas été impactés par la dynamique du flux de la rivière. Les rivières traversant les zones urbanisées sont des ressources précieuses pour recueillir l'eau et irriguer le peu de champs agricoles subsistants. Ce qui rend les inondations récentes les plus dévastatrices sont les effets combinés du contrôle humain dans les différentes parties des vallées : déforestation, augmentation des surfaces pavées et la canalisation des ruisseaux. La solution est-elle d'avoir un contrôle plus important ? Contenu entre des digues plus hautes, les inondations seraient plus hautes et les rivières déborderaient plus rapidement créant de plus hautes montées en aval. La population derrière les digues «sûres» se préoccuperait moins du danger et serait plus vulnérable en cas d’événement extrême imprévu. Le risque d'un tel événement serait plus important à cause de la complexité du territoire urbanisé et de l'incertitude des changements climatiques.
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3.3 Laguna Forma Urbis 2108: des scénarios de modification de la Lagune Une recherche de Elisa Brusegan, Emanuele Dal Zot, Giulia Grobbo, Nicola Maniero
3.3.1 La Lagune : l'élément structurant de la région du la Vénétie
Ce projet de développement durable date de 2008 et est basé sur une série de scénarios qui s'étendent sur une période de cent ans, au sujet de Venise, sa Lagune et les bassins de drainage qui parcourent la Lagune. La Lagune et les côtes de la Vénétie ont besoin d'une transformation stratégique, en particulier en prévision du changement climatique. La stratégie de ce projet consiste à permettre à la lagune de retrouver son rôle central, de la voir comme un élément sur lequel se base la structure de la région de la Vénétie. Le projet commence par une prise de position simple qui envisage à la fois un choix précis de la morphologie du bassin de la lagune (barene ou golf), une utilisation intensive du bassin en accord avec la morphologie de la lagune ainsi que des solutions à court et à long terme en réponse aux changements climatiques et la gestion du système hydraulique. La morphologie des limites définie trois catégories de scénarios : - La limite entre la mer et la Lagune est localisée hors du bassin: la restitution de la morphologie de l’écosystème de la lagune (barene) à l'intérieur du bassin. - La limite est à l'intérieur du bassin : le bassin de la lagune est divisé en deux parties avec une morphologie homogène (lagons et baies) à travers des digues qui pourraient permettre au réseau de se connecter au système de transport public. - La limite est déplacée jusqu'à ce qu'elle disparaisse et que la Lagune soit traitée comme la mer. Les voies du Golf renforce les connexions à la mer et les rives de la Lagune endossent un nouveau rôle.
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2.2 Scénarios de transformations morphologiques de la Lagune Le projet propose six scénarios : deux pour la première catégorie (Ile d'Asole et canaux de Pétroli), trois pour la deuxième catégorie (Deux Lagunes, Deux Lagunes + et Golfe de ChioMa) et un pour la troisième catégorie ( Golfe de Venise). • « Isole Asole »
Ce scénario est caractérisé par la restitution complète de l'habitat autour du bassin de la Lagune. Afin de rendre ce scénario possible, est envisagé le détournement de certaines rivières pour augmenter la quantité de sédiments déposés dans le bassin, et la construction de trois îles artificielles dans les embouchures qui mènent l'eau de la Lagune à la mer. • « Canale dei Petroli »
Dans ce scénario, la morphologie globale de la lagune est maintenue par la sélection des espaces é troits de haute navigabilité. Par exemple, Chioggia est entouré de rives qui séparent le port de la Lagune. L'idée est de couper la Lagune en deux par un canal, obtenu par deux digues parallèles, cela permettrait aux bateaux de naviguer de Porto Marghera à la Lagune à de la mer Adriatique sans g énérer de vagues. Tout au long de ces digues, une voie ferrée permettrait la circulation de marchandises et le transport public. • «DueLagune», «DueLagune+» et «golfe de ChioMa»
Ces scénarios sont caractérisés par des digues qui diviseraient le bassin en des espaces morphologiques distincts. Suivant la position de ces digues, les espaces des voies d'eau (comme la morphologie du golf) et les zones protégées (comme la morphologie lagunaire) changent. Les espaces protégés par les digues dans le projet « Due Lagune » coïncide avec les espaces qui ont jusqu'à maintenant préservé la morphologie de la Lagune actuelle.
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3.4 Water& Asphalt: le projet de l’isotropie La métaphore de l'éponge est proposée par Paola Viganò pour comprendre ce qui se joue en Vénétie: «Les déplacements dans de nombreux territoires contemporains peuvent plus selon elle être conceptualisés uniquement selon le modèle hydraulique des tubes rigides, avec un diamètre, un débit, une entrée et une sortie donnés, mais plutôt à la manière dont les fluides s'infiltrent dans une éponge, où les flux s'autorégulent, sans se perdre ni l'obstruer ; les territoires se caractérisant alors par une surface de pénétration, une porosité et une capacité d'absorption données. » 23 Lorsqu'elle évoque le territoire de la Vénétie, elle explique que «la vue en coupe montre les relations entre les problèmes de la Lagune et les quantités d’eau importantes susceptibles de provenir des montagnes et des glaciers». Selon elle, «il est aujourd’hui nécessaire de repenser cette coupe. La coupe qui montre les relations entre les montagnes et la Lagune constitue l’échelle à laquelle il faut se placer pour imaginer le projet de la ville diffuse». Dans la plaine sèche, par exemple, le scénario qu'elle élabore propose de réutiliser des lieux concernés par l’excavation de gravier pour faire des bassins de rétention des eaux en prévention de crues. Les lieux ainsi transformés deviennent immédiatement des espaces publics. Il est souvent reproché à la ville diffuse d’être dénuée d’espace public. Ces bassins de stockage pourraient devenir des points de référence. Dans la plaine humide, son projet prévoit de rouvrir complètement le territoire à l’eau. Ces territoires sont en partie habités, ce qui nécessite la mise en place de digues. Il s’agit ainsi de travailler avec l’idée de résistance. Dès lors, l’équilibre entre résistance et résilience relève d’une décision politique. Dans la ville diffuse, l’idée est également que chaque maison peut résoudre ses problèmes liés à l’eau à l’échelle de chaque parcelle. Cela renvoie au rôle de l’individu pour la collectivité. L’espace de prise de responsabilité de l’individu reste entier. Pour Paola Viganò, la coupe entre les montagnes et la Lagune doit être redéfinie pour résoudre les problèmes liés aux risques et produire des espaces intéressants. Cela revient à reformuler les règles de construction du territoire en fonction d’objectifs différents de ceux du passé.
(23) cf P. Viganò, «La Ville poreuse : un projet pour le grand Paris et la métropole de l'après-Kyoto» (p. 29)
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PARTIE II -
Une urgence; s’adapter plutôt que lutter
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Carte élaborée par P. Viganò et L. Fabian. Sources de données: Province de Vénétie et Friuli Venezia. PPA, PTCR 2009 (plan de coordination territoriale de la Vénétie)
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1. Pourquoi réfléchir au risque hydraulique aujourd'hui? Après des siècles de gestion et de transformation du territoire de la Vénétie nous pouvons observer des catastrophes plus en plus fréquentes liées à une mauvaise gestion de l'eau et à l'instabilité hydrogéologique. La perte de conscience des rythmes de la nature, et de sa force, à la fois rassurante et dévastatrice, a mené progressivement les populations à s'accaparer les espaces proches de l'eau. En s'appropriant ces territoires à risque, elles ont confié passivement leur sécurité et celle de leurs biens à des systèmes de défense des eaux d'une fiabilité assez incertaine comme des digues ou autre. Les phénomènes d'urbanisation dans les zones des plaines inondables ne sont pas toujours suffisamment contrôlés, la réalisation des espaces industriels et artisanaux, la recherche de nouvelles zones agricoles, et en général les phénomènes accentués de l’entropie qui a caractérisé les dernières quarante années ont contribué à la déstabilisation des conditions naturelles de nombreuses rivières et de nombreux fleuves. De nombreuses villes, des grandes agglomérations urbaines aux petits villages à densité moyenne, sont concernées par les risques d'inondation. Les inondations dans les zones urbaines se développent différemment suivant la topographie de la ville et doivent donc être traités avec des moyens différents de gestion hydraulique. Nous ne pouvons pas ignorer la connaissance de l'histoire du territoire qui a généré l'évolution et la protection du territoire. Des travaux hydrauliques (assèchement, déviation de fleuves,...) ont été effectués sur territoire tout au long de l'époque moderne et contemporaine. Par exemple, la mise en valeur des terres du delta du Pô, «comporte peut être le système hydrographique le plus complexe en Europe»2. La présence de nombreux fleuves, rivières et affluents dans ce territoire l'expose à de grandes inondations, en cas de pluie prolongée.
(1) Voir carte des risques hydrauliques (2) Conseil de l'Europe -Commission permanente – Voir article 15 du Règlement doc. 105424 mai 2005, La protection des deltas
européens
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AUGMENTATION DU NIVEAU DE LA MER
Sources: Carte élaborée par l'auteure. Sources de données: Carte Technique Régionale (CTR), couverture des sols; Corine Land Cover; EEA (courbe de niveau de 5m)
LÉGENDE -20
0
+3
-10
+1
+4
-1
+2
+5
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L'urbanisation de la plaine basse et humide a entraîné la réalisation de digues massives le long des cours d'eau, afin de limiter leur débordement. Avec ces constructions, d'une part, les charges hydrauliques ont augmenté, tandis que d'autre part, la compensation de la subsistance naturelle apportée par les sédiments a diminué. Par conséquent, il est souvent nécessaire de dompter le fleuve afin de l'empêcher d'atteindre la nouvelle urbanisation dans son processus de déviation géo-morphologique naturelle. Cela a entraîné une diminution de la quantité de sédiments dans les fleuves, un affaiblissement de la capacité de rétention des crues et une augmentation des pics de crues vers la vallée. A tout cela, il se superpose une gestion du territoire indifférente du risque d'inondation, qui a généré la mise en place des activités et des centres urbains dans les zones à risque d'inondation, ou qui a trouvé dans les systèmes de défense des eaux la possibilité de récupérer des zones précieuses pour la nouvelle urbanisation. À ce stade, nous pouvons dire que les principales causes qui provoquent des inondations sont: : • L'augmentation des précipitations en raison des changements climatiques; • La négligence du territoire par l'homme à travers l'étalement urbain, le long de la rivière, ce qui conduit à une augmentation constante des espaces récupérés de l'assèchement du territoire. Ainsi, augmentent la vulnérabilité aux inondations et, par conséquent, les dommages sociaux et économiques que les inondations peuvent causer.
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1.1 Une croissance accélérée de la population 1.1.1 La croissance de la population mondiale
Le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat 3 (GIEC) prévoit une augmentation de la température globale entre 2,4 et 2,8 ° C d'ici 2100, ces chiffres sont suffisants pour repenser l'ensemble de la géographie physique du monde, et, par conséquent, la répartition humaine. Au début du siècle dernier, la population mondiale comptait environ 1,6 milliards de personnes, aujourd'hui, nous atteignons les 6,6 milliards. Cette croissance rapide de la population a provoqué une augmentation de l'urbanisation à des dimensions jusqu'alors inconnues. Ce phénomène est extrêmement important du point de vue environnemental, puisque comme toute croissance urbaine, il représente une perte de forêts, de bois et de champs, qui sont remplacés par du béton, de l'asphalte et d'autres éléments artificiels, qui contribuent à créer des déséquilibres écologiques, ce qui entraîne souvent des conséquences catastrophiques. Un autre résultat problématique de la p ression urbaine sur les terres agricoles périurbaines est le manque de contrôle sur l'exploitation de terrains libres. En effet, c e t urbanisme abusif a souvent conduit à la mise au point de noyaux d'urbanisation dans les zones historiquement exposées aux risques naturels, telles que les zones à proximité des berges de la rivière ou les zones basses 1.1.2 La croissance démographique de la Vénétie
Les villes les plus peuplées du territoire sont Venise, Padoue, Vérone, Trévise et Vicence qui constituent aussi géographiquement, le cœur du Nord-est de la Vénétie. Il est important de noter que, dans ces régions, la proportion de la population vivant à l'extérieur des centres est particulièrement significative: particulièrement à Trévise, Padoue et Rovigo. La croissance urbaine s'est développée principalement entre les provinces de la Vénétie; le record en termes d'habitations par kilomètre carré est à Padoue suivie de Trévise. Dans la province de Padoue, par exemple, le plan d'urbanisme prévoit de nouvelles zones urbaines de 3545 habitants(+ 33,9%) et de nouvelles zones de production de 3.258ha (+ 61%). Cela laisse imaginer le pire concernant les problèmes hydrauliques futurs de la plaine humide. La ville et la région semblent, jusqu'ici, antagonistes; pas d'objectifs communs d'organisation, mais chacun à leur propre compte, à la recherche d'un nouvel équilibre. (3) Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 en vue de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade.
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1.2 Des changements climatiques de plus en plus manifestes 1.2.1 Un accroissement des événements climatiques extrêmes dans le Monde
Auparavant, pour décrire l'augmentation de la température moyenne sur la Terre on parlait de «réchauffement de la planète». Cependant, cette expression ne transmet pas tous les effets que ce «réchauffement» implique: les ouragans, les inondations, la sécheresse et les vagues de chaleur. Actuellement, on utilise plutôt le terme «changements climatiques», qui décrit à la fois le réchauffement et les conséquences qui lui sont relatives. Nous pouvons donc dire que le climat n'est pas constant, mais varie dans le temps, c'est à dire qu'il se caractérise par une variabilité climatique typique. Mais quand le climat change trop rapidement, on parle de «changement climatique». Ce terme indique des altérations climatiques induites par les activités entropiques, c'est à dire causées par l'homme. Le cadre décrit jusqu'ici montre une planète en phase de réchauffement moyen, bien que certains aspects importants du climat ne semblent pas avoir été changés subitement et le réchauffement ne semblent impliquer l'ensemble de la planète. Déjà dans le rapport de 1996 du GIEC émerge l'augmentation lente et continue de la température sur la planète, la croissance continue de la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère et de la nécessité d'importantes réductions de leurs émissions. Celui de 2001 confirme et renforce les précédentes conclusions, notant que le changement climatique a effectivement lieu. Il est très probable, également, que la forte concentration de gaz à effet de serre va accélérer la vitesse du changement climatique. Les projections scientifiques indiquent une augmentation de la température de 0,6 à 2,5 °C au cours des 50 prochaines années et 1.4 à 5.8 °C au cours des 100 prochaines années. L'augmentation de la température comporte celui de l'évaporation et des précipitations moyennes. Les principaux modèles climatologiques sont unanimes dans la prédiction du changement climatique, en plus précisément du réchauffement à l'échelle mondiale. Dans une étude subséquente du GIEC en 2007, il est admis que le réchauffement du système climatique est sans équivoque, selon les observations de l'augmentation des températures moyennes de l'air et des océans, de la diminution du volume des glaciers et l'élévation du niveau moyen de la mer. En 2015, la NASA revoit encore ses estimations : le niveau marin a gagné 8 cm (en moyenne géographique) de 1992 à 2015 (et localement jusqu'à 22.9 cm), ce qui fait envisager en 2100 une hausse d'au moins 90 cm et plus probablement environ 1 mètre 4. (4) NASA (2015) NASA Science Zeros in on Ocean Rise : How Much? How Soon? ; NASA, 26 aout 2015 p.15-174
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RISQUE HYDRAULIQUE
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100 km
Sources: Carte élaborée par l'auteure. Sources de données: CTR Consortium de Bonification de la Vénétie, carte de couverture des sols; Plan de tutelle de l'eau (PTA)
LÉGENDE Zone urbanisée
Risque hydraulique
Dispositifs de pompage de l'eau
Zone de drainage mécanique
Superficie émergée
Réseau hydrographique secondaire
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1.2.2 Des conséquences alarmantes sur un territoire fragile comme la Vénétie
En Italie, selon l'analyse de l'ISAC-CNR 5, depuis un siècle, a eu lieu une modeste réduction de la quantité de pluie (environ 5% de moins) cependant, le nombre de jours de pluie, en ce qui concerne l'intensité des précipitations, semble être en augmentation au niveau de la localisation des épisodes violents. L'augmentation des températures entraîne également la réduction des glaciers alpins, qui, de 1850 à aujourd'hui ont diminué de 55%. De plus, la période de fonte des premières neiges au printemps étant plus précoce, cela conduit à une altération des régimes d'écoulement des cours d'eau: la plupart s'écoulent entre la fin de l'hiver et le début du printemps et à des périodes sèches plus prolongées en été. Au cours des 40 dernières années, la Vénétie a enregistré: • Une augmentation progressive des températures; les températures maximales tendent à une augmentation générale, plus fréquemment au début de l'automne et l'hiver. Les températures minimales ont aussi généralement tendance à augmenter dans presque tous les mois de l'année; • Une diminution des précipitations annuelles, plus évidente dans les zones de montagne et surtout en hiver. Les périodes de pluies sont plus souvent de courte durée, de façon plus intense. Si ces tendances sont confirmées par l'avenir, il pourrait y avoir d'importantes conséquences pour l'écosystème. Parmi les plus significatives: •
Précipitations intenses: des événements pluvieux plus intenses avec l'accentuation probable des
glissements de terrain • Extension de l'été jusqu'à la première partie de l'automne, qui pourrait conduire à une augmentation du nombre d'épisodes de pluies brefs et intenses; l'automne, déjà caractérisé par des périodes de fortes pluies, parfois d'inondations, pourrait voir ces phénomènes exceptionnels augmenter. • Hivers secs et chauds: diminution des chutes de neige, avec en conséquence une réduction des glaciers alpins, ce qui pourrait être critique pour la disponibilité de l'eau pendant la saison froide.
(5) L'Institut des sciences de l'atmosphère et du climat (CNR-ISAC) vise à une compréhension scientifique de l'atmosphère et de ses processus, au moyen d'une approche multidisciplinaire qui combine les compétences scientifiques et technologiques en météorologie
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1.2.3 L'inondation du 31 Octobre au 2 Novembre 2010
Lors de l’hiver 2010, averses, éboulements et effondrements ont entraîné des crues catastrophiques ayant dévasté une large part du territoire régional: 140 km2 ont été inondés. Le bilan de ces inondations a été particulièrement lourd: trois morts, beaucoup de blessés, 500 000 habitants dont les logements ont été endommagés, des petites communes isolées, des centaines de millions d’euros de dégâts. L'eau et la boue ont envahi les rues, les places, les parkings souterrains, les maisons, les fermes, les champs...L’alerte à l’inondation a été à nouveau déclenchée ces deux derniers hivers (2013 et 2014), mais les dégâts n’ont pas atteint les niveaux de 2010. L'inondation a été causée par une perturbation d'origine atlantique qui a généré un flux intense, persistant, chaud et humide, le Sirocco provoquant une fonte de la neige en altitude. Cela a conduit à de nombreuses précipitations dans la région et surtout dans les régions pré-alpines. La principale cause de cette inondation était donc principalement la pluie persistante tombée dans un court laps de temps compris entre 24 et 48 heures. Au niveau du fleuve du Bacchiglione par exemple, la fonte rapide des neiges des montagnes a provoqué une augmentation du niveau de l'eau du lit du fleuve entraînant la rupture des digues en aval inondant de nombreuses régions de plaines humides. Aggravant une situation hydraulique déjà critique, de fortes pluies se sont abattues sur la plaine basse et humide de Padoue et ont mis en crise la gestion de la crue et la capacité d'évacuation de l'eau en excès. Que ce serait il passé si les territoires du réseau hydrographique secondaire, plutôt que d'aggraver la situation hydraulique, avaient réussi à faire évacuer l'eau en excès et à laminer6 une partie de l'eau provenant du réseau hydraulique principal? Dans ce mémoire à caractère démonstratif, je vais réfléchir sur le réseau hydraulique secondaire en imaginant ce qui se passerait si on utilisait une partie des terres agricoles du tissu péri-urbain, afin de fournir un espace pour l'inondation programmée.
(6) Le phénomène de laminage des crues est la transformation de l'onde de crue entre un point amont et un point aval d'un cours d'eau. Il a pour effet de diminuer le débit de l'eau en répartissant le volume de la crue dans le temps grâce au stockage temporaire d’une partie du volume de la crue dans le lit majeur d'un cours d'eau (laminage naturel) ou dans la retenue d'un barrage (laminage artificiel).
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2. Une approche plus flexible pour préserver la Vénétie 2.1 L' alternance de solutions résilientes et résistantes
Aujourd'hui, face à des changements climatiques ayant des conséquences de plus en plus dévastatrices, il est important remettre en cause les attitudes de planification actuelles et de se poser certaines questions; Comment vivre avec l'eau ? Doit on apprendre à coexister avec les risques hydrauliques, développer une faç on de vivre, un modèle urbain plus flexible ? Il est temps d'abandonner la volonté de contrôler la Nature et de favoriser l’interaction avec le territoire et ses habitants, la préservation et les usages des ressources territoriales collectives. « Alors que trouver des solutions à ces problèmes devient de plus en plus urgent, le système de planification actuel semble être inadéquat pour pallier à toutes ces vulnérabilités » (Secchi, Vigano,2011)7 .
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PrĂŠvision des changements climatiques - 2100 -
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2.1.1 Les mesures d'atténuation et d'adaptation
Il est possible d'identifier deux réponses aux changements climatiques: d'une part, l'atténuation, qui consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre et d'autre part, l'adaptation aux impacts des changements climatiques. L'atténuation est la prévention des effets indirects, car il vise à diminuer les risques de catastrophes et traite des causes anthropologiques du réchauffement climatique alors que l'adaptation naturelle entraine la prévention directe des conséquences des changements climatiques à court et moyen terme. La définition officielle des deux stratégies peut être trouvé dans le troisième rapport d'évaluation sur les changements climatiques présenté par GIEC. L'atténuation y est définie comme « Un ajustement en réponse des effets climatiques actuels ou anticipé visant à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre». Pour résumer, les pays les plus industrialisés sont déjà en train d'adopter des politiques d'atténuation, mais les mesures en cours ne mèneront pas à la stabilisation. Nous avons déjà observé les premiers impacts du changement climatique. Des mesures d'adaptation et d'atténuation sont essentielles et la synergie entre ces deux efforts détermine le niveau d'impact des changements climatiques . Plus l’atténuation sera efficace, moins l’adaptation sera coûteuse : mais quoi qu’il advienne il faudra forcément s’adapter car on observe déjà des changements climatiques aujourd'hui. Le troisième rapport d'évaluation du climat a souligné la nécessité d'étudier la balance entre les modèles d'adaptation et d'atténuation. Comment pouvons-nous combiner adaptation et atténuation pour former une réponse optimale aux changements climatiques? Qui décide, et sur quelles bases? Quand est-il préférable de choisir entre l'atténuation et l'adaptation? Quel est leur coût par rapport à leur efficacité? D'après l'étude sur la corrélation entre les deux actions : • Au profit global de l'atténuation, l'adaptation, et les projets à l'échelle du système régional sont positifs. • Les effets de l'atténuation seront visibles seulement dans quelques décennies, alors que l'adaptation est immédiatement efficace et permet de réduire la vulnérabilité. La meilleure combinaison et la synergie des deux stratégies dépend de plusieurs facteurs et chaque territoire a des vulnérabilités différentes. La vulnérabilité de tout système écologique est déterminé par son exposition et la sensibilité au climat et à sa capacité d'adaptation.
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Stratégie de résistance
Stratégie de résilience : adapter le sol
Stratégie de résilience : adapter le bâti
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2.1.2 La résistance et la résilience d'un territoire
A partir des années 1970, deux grands principes ont été établis dans les sciences de l'environnement et de l'écologie afin de caractériser la capacité d'un système à faire face à une menace potentielle : l'approche résistante et l'approche résiliente. La première, la plus ancienne, s'exprime par la capacité d'un système à s'opposer, à résister aux changements ; la seconde en revanche apparue plus tard indique la capacité d'un système à se déformer suivant une pression externe et à retrouver son état original quand les conditions environnementales le permettent. En l'appliquant à l’ingénierie hydraulique et aux problèmes d'inondations, le modèle résistant est bien représenté par les digues, les barrages, et par tous les procédés qui s'opposent aux risques hydrauliques de faç on rigide. Le modèle résilient en revanche est identifiable dans les zones humides et plus généralement dans tous les projets qui, en donnant plus d'espace à l'eau, préparent à un programme d'inondation et au rétablissement de l'équilibre à la fin du phénomène. La réponse aux conséquences potentielles du changement climatique ne peuvent exister sans la combinaison parfaite de politiques et de projets qui soient résistant ou résilients 8 suivant le cas. L'expérience montre qu'il est nécessaire d'alterner ces approches, en particulier dans les espaces de basse plaines humides, dans la lagune et le long des côtes.
(8) Holling C.S., 1973, « Resilience and stability of ecological System », Annual Review of Ecology and Systematics, Vol 4 :1-23
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Prise de conscience individuelle. Sources: Resilience in Ecology and Urban Design. Bernardo Secchi, Paola Viganò et Êtudiants; Biennale d'architecture de Venise 2006
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2.2 Une gestion participative du territoire 2.2.1 Une participation active des habitants
De nombreuses débats ont été menés et tous convergent vers ce même point : les solutions générales du problème n'existent pas (ni à une échelle globale, ni locale). Les réponses aux problèmes environnementaux, l'approvisionnement en eau et la protection contre les inondations, impliquent que les grandes infrastructures hydrauliques mises en place doivent être combinées à une politique de sensibilisation individuelle, à un changement radical de notre style de vie et à nos habitudes. Étant donné que l'eau est une ressource et un bien collectif, il est possible d'aboutir à une réduction radicale des ressources d'eau dans l'environnement domestique par une mobilisation individuelle. La création capillaire d'une série de dispositifs de réseaux domestiques pourraient collecter et stocker l'eau de pluie dans le but de satisfaire la demande en période de sécheresse; la création de petites dépressions dans le sol reliées aux habitations pourraient absorber l'impact des violentes tempêtes; l'utilisation de micro-turbines hydroélectriques9 dans les canaux pourraient fournir dans chaque habitation de l'énergie durable; de petits systèmes de phytoépuration10 pourraient permettre la réutilisation des eaux usées pour l'irrigation et pour l'utilisation domestique.
(9) Une micro-turbine hydraulique est une machine tournante qui produit une énergie mécanique à partir d'eau en mouvement (cours d'eau ou marée) (10) La phytoépuration est un système de traitement des eaux utilisant des plantes, des substrats et des macro-organismes au sein d'une zone humide artificielle
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RISQUES HYDRAULIQUES
Consortium de Bonification du Delta du Pô 25
50 km
Sources: Carte élaborée par l'auteure. Janvier 2016. Sources de données: CTR Consortium de Bonification - Delta du Pô, carte des risques hydrauliques de la Vénétie
LÉGENDE Eau
Risque hydraulique moyen
Courbes de niveau
Risque hydraulique élevé
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2.2.2 Une influence décisive des pouvoirs locaux et des aspects sociaux
Il existe un rapport paradigmatique entre la vulnérabilité hydrologique et la perception du problème par les habitants. D'un côté, les terres situées entre le Lessini et les plaines de la rivière Adige (entre Vérone, Vicence), représentent la perte des relations historiques entre les règlements et l'économie. Monteforte d'Alpone a été l'un des territoires le plus touché par l'inondation de 2010. Pendant des années, le problème a été sous-estimé par les institutions, affaiblissant progressivement la perception du risque par la population D'un autre côté, au niveau du Delta du Pô (entre Rovigo et Ferrara), la fragilité du territoire, qui est presque entièrement sous le niveau de la mer, signifie que la société locale vit avec les efforts nécessaires pour contrer les risques auxquels ils sont exposés. 2.2.3 La gestion en amont d'un fleuve: le contrat d’embouchure 11 du delta du Pô
Tout d'abord, le delta du Pô est un territoire très vulnérable. Le territoire change continuellement de par son rapport aux différentes eaux (superficielles internes, comme les branches fluviales ; de transition 12 ou de contact, comme les eaux de l'embouchure ; des lagunes, des poches d'eau, de la côte et de la mer) et de par le rapport existant entre ces eaux et la terre. Cette situation évolutive s'adapte mal aux politiques qui prévoient de longues périodes de définition et de réalisation. De plus le delta «hérite» de tout ce qui se passe en amont de son territoire, dans la zone la plus peuplée et industrialisée du territoire italien. Il se trouve par conséquent intrinsèquement lié au bassin du Pô, bien que son territoire soit toutefois touché par des problématiques hydrauliques totalement différentes et uniques. Enfin, il existe des conflits dus aux différentes utilisations de l'eau et de la terre, conflits qui ont marqué l'histoire même récente du territoire du delta et qui ont développé une forte défiance envers tout nouveau projet qui se base sur la collaboration nécessaire entre différents acteurs. Ainsi, l'expérience du processus de construction du parc régional du delta du Pô représente un passé tout à fait négatif pour le territoire. Les rapports conflictuels entre les acteurs en jeu, très durs par le passé, ne se sont pas encore apaisés. Dans ce contexte, le Consorzio di Bonifica Delta del Pô (consortium de bonification) propose de créer un «contrat d’embouchure».
(11) L’embouchure est une zone distincte du reste du territoire, dans laquelle les dynamiques hydrauliques entre eaux internes (fleuves), eaux de transition ( fleuve, lagune et mer) et eaux externes (côtières-marines) diffèrent de celles du bassin en amont (12) Les "eaux de transition" sont des masses d'eaux de surface à proximité des embouchures de rivières, qui sont partiellement salines en raison de leur proximité d'eaux côtières, mais qui sont fondamentalement influencées par des courants d'eau douce .
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RÉSEAU HYDROLOGIQUE
Consortium de Bonification du Delta du Pô 25
50 km
Consortium du delta du Pô
Sources: Carte élaborée par l'auteure. Janvier 2016. Sources de données: CTR Consortium de Bonification - Delta du Pô, Fond de carte de Google Earth (Nov. 2015)
+1 -2/-4
eaux superficielles internes Fleuves, réseaux d'irrigation mineur, réseau de drainage...
-2
0
eaux de transition Bassins de pisciculture, lagune, poches d'eau
0
eaux maritimes-côtières Mer
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Le consortium de bonification du delta du Pô, un acteur technique, est l'acteur de la gestion du territoire le plus proche de la population. Il s'agit de l'acteur qui a la connaissance technique la plus consolidée pour gérer la relation entre les différents types d'eaux en question (intérieures, de transition et extérieures). C'est enfin l'acteur qui veille au bon fonctionnement hydraulique du territoire. Le fait de ne pas être un acteur politique, considérant le nouveau rôle que le consortium assurerait sur le territoire par effet de la coordination du contrat d'embouchure, lance un défi complexe. Le consortium devient le candidat qui met en scène de futurs scénarios d'«eau et terre» dans le delta. On peut se demander quelle sera la réaction des acteurs politiques comme les provinces et la région déchus du rôle de coordination des contrats de rivière qu'ils assumaient traditionnellement. Le contrat d’embouchure, en cours d’élaboration depuis le début de l'année 2015, rappelle le bien plus connu contrat de rivière, qui trouve son origine dans la directive cadre de l’eau 2000/60/CE) 13. La directive encadre, au niveau européen, «une gouvernance vertueuse de l'eau qui a comme principe de considérer l’eau comme le patrimoine d’un territoire, plus que comme une ressource en soi». Ainsi, dans la perspective de construire une «culture de l’eau», et non seulement de planifier la gestion d’une ressource, la directive fait appel à l’implication et à la participation d’une pluralité d’acteurs. Les objectifs que les contrats de rivières se fixent visent l’amélioration de la qualité environnementale, de la sécurité, de l’utilisabilité des eaux et de leurs environnements, ainsi que l’inversion des processus de dégradation environnementale et territoriale et la diminution conséquente du risque hydrogéologique. Ainsi, nous assistons dans le delta du Pô à une sorte de redéfinition « en chantier » de la manière de penser les projets territoriaux : la conception de l’espace, les formes d’action et les lignes que ces actions projettent sur la terre. Les maillages politiques et administratifs rencontrent des difficultés évidentes pour retenir – du fait de leur rigidité – ce qui circule dans les flux de la globalisation. Suivre l'évolution de ce projet pourrait ainsi s'avérer très intéressant, non seulement pour comprendre les impacts qu’il pourrait avoir sur le territoire local, mais aussi en tant que laboratoire au travers duquel on pourrait lire les processus actifs sur d’autres échelles. (13) La directive n° 2000/60/CE du 23/10/00 établi un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau. Elle a pour objet d'établir un cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines. (14) Les "eaux côtières" sont les eaux de surface situées en deçà d'une ligne dont tout point est situé à une distance d'un mille marin au-delà du point le plus proche de la ligne de base servant pour la mesure de la largeur des eaux territoriales et qui s'étendent, le cas échéant, jusqu'à la limite extérieure d'une eau de transition
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RISQUES CÔTIERS
50
100 km
Sources : Carte élaborée par l'auteure. Sources de données: Consortium de bonification - Vénétie : carte technique, couverture des sols; Plan de tutelle de l'eau (PTA)
LÉGENDE Ligne de 5m Territoires sous le niveau de la mer Cours d'eau principaux
Risque de salinisation élevé
Surfaces émergées
Risque de salinisation moyen
Zones urbanisés
Risque de salinisation limité
Réseau hydrographique mineur
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2.3 Une multiplication de petites interventions ponctuelles Même s'il est impossible d'apporter la solution parfaite à ce problème, il est nécessaire d'adopter une attitude sectorielle et point par point pour préserver ce territoire. • Concernant la Lagune, on pourrait envisager de permettre aux zones basses asséchées d’être inondées à nouveau, d'utiliser les digues existantes comme une ligne déjà constituée en support aux nouvelles interventions, qui s'ouvrent en cas de besoin, dans le but d'organiser une transition fluide et de retrouver l'état de lagune. • Dans la plaine moyenne et imperméable, là où la pente est souvent insuffisante pour drainer l'eau de pluie, une attention à chaque goutte est nécessaire. L'eau doit être stockée sur place grâce à des systèmes de stockage et de réutilisation. Ces scénarios anticipent les stratégies qui pourraient redéfinir la structure du territoire et le système écologique. Ils exploitent les conditions isotopiques 15 pour répondre aux conséquences des changements climatiques. Mais en même temps, ils révèlent le besoin et les possibilités de reformuler le concept d'espace public. C'est donc naturellement que j'ai choisi par la suite de me focaliser sur l'étude des territoires les plus touchés par les inondations: un territoire de basse plaine humide; la campagne de Padoue, et un territoire côtier très dépendant de la Lagune; le Lido di Jesolo. Ces territoires comportent des problématiques différentes et ne sont pas affectés de manière identique par les inondations mais ils représentent un échantillonnage révélateur des situations que l'on peut rencontrer en Vénétie. Ainsi je m'attache à démontrer que l'on peut utiliser une méthode résiliente, l'inondation programmée pour guider l'eau vers des zones plus basses non urbanisées afin de préserver les villes et à terme peut être sauver Venise de l'engloutissement.
(15) Isotropique: «qui présente les mêmes caractéristiques physiques dans toutes les directions». L' isotropie fait partie d’un lot de termes et de concepts scientifiques importés dans le champ de l’urbanisme par l’équipe Studio 09 de Bernardo Secchi et Paola Viganò lors de la consultation du Grand Paris.«Isotropie». Ce mot décrit et dessine une situation concrète de perméabilité et d’accessibilité généralisées. Il décrit une situation physique dans laquelle on n’a pas de direction privilégiée.
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PRÉVISIONS DE LA MONTÉE DES EAUX EN 2100
Consortium de Bonification du Bacchiglione
PADOUE
Sources: Carte élaborée par l'auteure. Décembre 2015. Sources de données: Consorzio di Bonifica - Bacchiglione, GIEC, cinquième rapport d'évaluation (Nov. 2014)
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3. Une intervention résiliente: l'inondation programmée du territoire 3.1 Un territoire diffus de la basse plaine humide: le cas de Campagne de Padoue 3.1.1 Un réseau hydrographique16 dense
Tout d'abord, il m'apparaît important de clarifier la structure du réseau hydrographique et de son évolution dans le temps pour comprendre comment la gestion des inondations et l'irrigation sont gérés d'un point de vue hydraulique. La plaine, à l'origine, était située au dessous du niveau des débordements des fleuves, des marées hautes près des embouchures; les fleuves n'étaient en effet pas endigués, les réseaux hydrauliques n'étaient pas réglés. Le territoire étaient donc constamment à l'épreuve de la nature et dépendant des événements hydrologiques. Cette configuration a subi des transformations au cours des siècles, en grande partie par les humains, qui ont élaboré de grands systèmes hydrauliques, des digues, détourné des rivières, creusé des bassins de rétention. Les fleuves ont été canalisés au moyen de systèmes complexes de digues jusqu'à l'embouchure. Souvent, ce réseau de canaux a été également relié à des connexions transversales, pour mettre en communication l'eau de plusieurs bassins, puis atténuer l'inondation d'un fleuve à l'aide d'un autre réseau, ou bien pour des raisons de navigation fluviale, ou d'alimentation en eau pendant la sécheresse, etc. Ce phénomène a dessiné un véritable maillage orthonormé constitué de canaux. • Le réseau hydrographique des «Hautes Eaux»
Par la suite, il a du être construit un important réseau hydraulique, appelé des «Hautes Eaux», parce qu'il se rapporte aux fleuves de montagne avec des niveaux d'eau, dans la plaine, souvent plus élevés comparés aux campagnes alentours, non seulement pendant les phases de périodes de crues mais aussi pendant la majeure partie de l'année. Ces fleuves sont définis comme «suspendus». Créés pour ne pas inonder la plaine avec l'eau des fleuves de la montagne, et donc pour atténuer le risque hydraulique des phénomènes empêchant les eaux de la plaine de circuler librement pour atteindre la mer, le réseau des «Hautes Eaux» est séparé du réseau hydraulique local et est autonome par rapport aux territoires qu'il traverse.
(16) On désigne par réseau hydrographique un ensemble hiérarchisé et structuré de chenaux qui assurent le drainage superficiel, permanent ou temporaire, d'un bassin versant ou d'une région donnée.
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RISQUES HYDRAULIQUES
Consortium de Bonification du Bacchiglione
PADOUE
Carte d'analyse – Zones à risque hydraulique. Carte de l'auteure, 2016. Sources: Consortium de Bonification Bacchiglione.CTR de la province de Padoue, Google Earth
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• Le réseau hydrographique des «Moyennes Eaux»
Il a été défini un réseau hydraulique secondaire, que l'on appellera des «Moyennes Eaux». Un tel réseau hydraulique peut circuler librement jusqu'à la mer, au moins dans des conditions hydrologiques normales, mais celui ci est situé à un niveau plus bas que les réseaux hydrographiques moyens. Ce réseau se caractérise par un flux relativement constant et l'absence de transport des sédiments. Cela a conduit à une approche différente de l'homme dans la confrontation des deux réseaux. Alors que le réseau des «Hautes Eaux», avec son débit très variable, avec son instabilité a forcé l'homme à la défense constante, le réseau des «Moyennes Eaux» qui n'est pas soumis à de grandes variations de ses limites a permis la coexistence pacifique entre l'homme et l'eau. Ainsi, il se comporte comme un pôle catalyseur de diverses activités économiques. • Le réseau hydrographique des «Basses Eaux»
Ce réseau appelé des «Basses Eaux», a été construit pour drainer les parties du territoire situées à une altitude inférieure à zéro qui étaient continuellement envasé par l'eau qui s’échappait soit du drainage des eaux hautes, soit de l'eau de la mer, surtout pendant les périodes de marée haute. La description de ces différents réseaux hydrographiques nous amène à réfléchir au contrôle de la capacité des réseaux hydrauliques à faire évacuer l'eau en cas de fortes précipitations. Dans de telles conditions hydrologiques, les différentes zones de la plaine humide pourrait être affectées différemment suivant les inondations provoquées par la saturation de l'un, ou de plusieurs, des trois réseaux mentionnés. Ainsi, les inondations des fleuves des «Eaux Hautes», qui sont les plus dangereuses, provoquent un déversement d'un volume d'eau considérable dans le réseau des «Moyennes Eaux» et enfin dans le réseau d e s «Basses Eaux». Les phénomènes d'inondation peuvent donc être causés soit par des événements pluviométriques locaux, soit par des précipitations tombées en amont. Il convient également de souligner que l'effondrement des défenses d'un réseau de niveau supérieur entraine presque toujours la saturation et le débordement des réseaux des niveaux inférieurs, le phénomène inverse est en général peu courant.
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RÉSEAU HYDROGÉOLOGIQUE
Consortium de Bonification du Bacchiglione
Carte d'analyse - Réseau hydraulique. Carte de l'auteure, 2016. Sources : CTR Consortium de Bonification du Bacchiglione, Google Earth (2016), Province de Padoue
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3.1.2 Le bassin versant de Bacchiglione
Le fleuve Bacchiglione se compose d'un réseau hydrographique très complexe. Il est né à partir de sources abondantes sous le nom de Bacchi-glioncello, dans le village Novoledo, dans la province de Vicenza. Après un parcours d'environ 3 km, il est rejoint par le Ligna et le Timonchio et se dirige vers Vicence, qu'il longe en partie et puis traverse. À l'extrémité Sud de la ville, à savoir à Borgo Berga, il se jette dans la Retrone, un cours d'eau permanent qui transporte les eaux des collines et qui découle de la plaine Ouest de Vicence. Le Bacchiglione avec ses nouveaux apports hydrauliques, poursuit ensuite sa route en direction de Padoue, avant de se diriger au Nord, puis vers le Sud-Ouest, puis enfin vers l'Est. Il rejoint un peu en aval la vallée de Debba, un village dans la municipalité de Vicence et peu de temps après, à Longare, où la section de fermeture du bassin hydrographique, il cède une partie de son eau au canal Bisatto. Une fois entré dans la province de Padoue, il reçoit Trambacche, la contribution de Tesina Padovano et Volta Brusegana, ainsi qu'un apport en eau du fleuve Brenta. À Bassanello, les eaux du Brenta et du Bacchiglione se divisent en trois branches: le canal de Battaglia, le canal Scaricatore et le Tronco Maestro. Ce dernier est orienté au Nord, à travers la ville de Padoue, et alimente les canaux navigables de la ville. Tout le cours restant du Bacchiglione se décharge dans la mer, à travers le canal de Pontelongo au niveau de l'embouchure qu'il partage avec les fleuves Brenta et Gorzone. Le Bacchiglione a un régime hydrologique défini comme «mixte» car il passe très vite, même après des précipitations non-exceptionnelles, d'un niveau d'ordinaire moyen à un niveau très élevé. Les caractéristiques hydrogéophysiques17 du bassin expliquent ces crues soudaines, impétueuses et souvent dangereuses. Un tel cours d'eau peut se remplir complètement en l'espace d'environ six à sept heures. Pendant les périodes de sécheresse où les précipitations manquent ou se raréfient, l'approvisionnement en eau de montagne cesse complètement et les rares entrées d'eau sont uniquement constituées par les contributions des affluents de la plaine alimentés par des sources; cela en raison des nombreux embranchements et de la dispersion de l'eau due à la forte perméabilité des sols.
(17) écoulements d'eau souterraine (Hydrogéologie) par des méthodes géophysiques.
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CONSTRUCTIONS DANS LES ZONES À RISQUE HYDRAULIQUE
Carte d'analyse – Les zones à risques hydrauliques. Carte de l'auteure, Nov 2015. Sources: CTR de la province de Padoue, Consortium de Bonification du Bacchiglione
LÉGENDE Bâtis Risque hydraulique élevé Risque hydraulique moyen
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RÉSEAUX HYDROGÉOLOGIQUES
Carte d'analyse - Les réseaux hydrauliques. Carte de l'auteure, Novembre 2015. Sources: CTR de la province de Padoue, Consortium de Bonification du Bacchiglione
LÉGENDE Réseau hydraulique primaire Réseau hydraulique secondaire
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TOPOGRAPHIE
Carte d'analyse – Les courbes de niveau. Carte de l'auteur, Novembre 2015. Sources de données: CTR de Padoue, PTCF Venise - Micro-reliefs, Cartothèque de l'IUAV
LÉGENDE Ligne de niveau située à plus de 5 mètres au dessus du niveau de la mer
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SYSTÈME VIAIRE ET ZONES INDUSTRIELLES
Carte d'analyse - Les réseaux viaires. Carte de l'auteure. Novembre 2015. Sources de données: CTR et Plans Territoriaux de Coordination Provinciale (PTCP) - Padoue
LÉGENDE Zones industrielles Voie ferrée
Routes nationales
Autoroute
Routes régionales et provinciales
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SYSTÈME AGRICOLE
Carte d'analyse - Le système agricole. Carte de l'auteure, Novembre 2015. Sources de données: CTR de Padoue, Carte de couverture du sol de la région de la Vénétie .
LÉGENDE Vignes
Maïs
Rotation de cultures
Soja
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3.1.3 Une agriculture en crise
A partir des années 1960, la partie centrale de la région de la Vénétie a subi un mouvement d'urbanisation de sa campagne considérable, un processus qui a eu un développement encore plus rapide lors de ces trente dernières années. Ce phénomène a été analysé principalement comme un conflit typique entre urbanité et ruralité, souvent critiqué comme destructeur des campagnes et consommateur des terrains agricoles. L’intégration entre agriculture et urbanisation n’est pas nécessairement négative, en effet, l’activité agricole dans les espaces urbanisés a souvent tendance à s’améliorer en terme de technique de production. Cependant il est vrai que la croissance urbaine ne tient généralement pas compte des éventuels besoins naturels de l’exploitation agricole, promeut plutôt la fragmentation des fermes et des champs et favorise les emplois précaires. Si dans le passé l’étalement urbain semble avoir été plutôt un facteur de conservation par la richesse écologique et culturelle de l’espace agricole, on peut dire maintenant que l’espace agricole joue un rôle important dans ce territoire trop urbanisé. En effet, l’agriculture est une activité multifonctionnelle qui va de la production alimentaire à la production d’énergie, mais qui peut aussi être une garantie pour les valeurs environnementales. En ce sens, il est possible de parler de l'espace agricole comme paysage multifonctions. En plus de la production de fourrages (maïs et soja) et de la production d’aliments (céréales, fruits, légumes), l’espace des terres agricoles se diversifie et peut alors proposer des espaces pour le temps libre, les activités pédagogiques ou le tourisme mais aussi la production d’énergie. De plus, certaines zones peuvent être utilisées pour stocker l'eau en cas de crue afin d'éviter les inondations et ainsi assurer la sécurité du territoire, comme par exemple, des espaces inondables. Du point de vue de l’environnement, il joue un rôle très important en reliant le réseau écologique de la montagne et le lagon avec des zones humides.
79
1950
2015
Maïs, céréales Biomasse, buissons Zones humide, vergers
Maïs, céréales
80
• Un paysage de monoculture
La gestion de l'eau dans le réseau hydrographique des «Basses Eaux» est étroitement liée à l’agriculture. Au cours des dernières décennies, nous assistons à une progressive simplification et banalisation de l'agriculture: à la fois du point de vue des types de cultures et de celui de l’organisation du tissu agricole. Le paysage agricole a subi des transformations majeures, en particulier liées à la tendance à la monoculture du maïs, due principalement à un mode de vie actuel qui privilégie la consommation de viande de bœuf. Le maïs peut être utilisé dans l’alimentation animale pour sa haute valeur nutritive et après sa transformation pour le chauffage domestique. De plus, sa culture est facile, complètement mécanisée et cette céréale est facilement transformable en différentes formes: maïs grain et maïs fourrage. La ration des vaches peut être composée de maïs dans les formes mentionnées ci-dessus pour un pourcentage dépassant largement les deux tiers de la matière sèche totale. Par ailleurs, on se sert du maïs pour la production d'énergie de différentes manières. Il est employé pour la production d'éthanol par la fermentation naturelle, qui permet d’obtenir des biocarburants. Le maïs peut être aussi utilisé directement et sans traitement pour les poêles de chauffage domestique. Certains poêles à granulés fonctionnent grâce à un mélange composé à 30% de granulés de bois et à 70% de grains de maïs. Cependant il est vrai que la croissance urbaine ne tient généralement pas compte des éventuels besoins naturels de l’exploitation agricole, promeut plutôt fragmentation des fermes et des champs et favorise les emplois précaires. Si dans le passé l’étalement urbain semble avoir été plutôt un facteur de conservation par la richesse écologique et culturelle de l’espace agricole, on peut dire maintenant que l’espace agricole joue un rôle important dans ce territoire trop urbanisé. En effet, l’agriculture est une activité multifonctionnelle qui va de la production alimentaire à la production d’énergie, mais qui peut aussi être une garantie pour les valeurs environnementales.
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1950 Dimension moyenne d'un champ : 1 hectare
2015 Dimension moyenne d'un champ : 4 hectares
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• Une agriculture intensive
La transformation et la modernisation des techniques culturales ont conduit à une agriculture de type extensif, avec en conséquence l’agrégation de plus en plus fréquente des lots agricoles. Il en découle la perte de tous les éléments du paysage qui favorisent le drainage et l'épuration de l'eau, et la présence de microclimats favorables à la biodiversité. La mécanisation de l'agriculture a des impacts importants qui se manifestent sous différents aspects, parfois positifs, parfois négatifs. En effet, d'une part, la mécanisation permet une augmentation significative de la productivité du travail. Elle améliore la fertilité des sols à court terme et permet la distribution d'engrais sur toutes les terres traitées. De plus, elle crée un environnement accueillant pour les racines des plantes agricoles et réduit considérablement l'invasion des mauvaises herbes. Ces effets bénéfiques se répercutent surtout dans le court terme, généralement dans le cadre d'un cycle saisonnier. Mais d'autre part, des principaux effets négatifs se rencontrent surtout dans le long terme. Ainsi, on peut citer: la réduction de la teneur en matière organique, la prédisposition des terrain inclinés à l'érosion ainsi que l'altération sélective de la composition des mauvaises herbes. Le rapport entre les effets positifs et négatifs va, selon les cas, dans un sens ou dans l'autre, et chaque aspect peut avoir des conséquences différentes selon le contexte. En aucune façon, le rôle du travail mécanique est temporaire et les effets positifs sont maintenus seulement avec une intervention continue et, par conséquent, des besoins énergétiques considérables. Il convient de souligner le rôle joué par la mécanisation sur la biodiversité des agro-systèmes. En effet, les haies, les cultures intercalaires, les systèmes traditionnels d'irrigation, sont considérés comme des freins à la mécanisation, ce qui nécessite des parcelles de forme régulière et de dimension rationnelle, dépourvue d'obstacles pour faciliter la manœuvre des machines. Avec le passage du temps, la mécanisation a donc conduit à une simplification des éléments du paysage rural au détriment, principalement de la biodiversité. • Une perte de l’écosystème
La simplification et la banalisation de l'agriculture a une réelle influence sur la Nature et la biodiversité d'un territoire. En particulier quand un territoire dispose d'une végétation naturelle riche et encore plus s'il est plein d'espèces animales végétales. C'est pourquoi, une anthropisation* réduite au minimum favorise la création naturelle et spontanée d'habitats incluant les microclimats adaptés à la prolifération de l'espèce.
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RÉSEAU DE ZONES HUMIDES ET ESPACES INONDABLES
Carte d'analyse - Zones humide et espaces inondables. Carte de l'auteure. Novembre 2015. Sources : CTR de Padoue, Consortium de Bonification du Bacchiglione
LÉGENDE Hydrographie
Zones inondables
Urbanisation
Réseau de zones humides diffuses
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3.1.4 Et si nous utilisions la partie du tissu agricole perturbée afin de doter le territoire d’espaces pour une inondation programmée?
En général, tout projet qui veut résoudre le problème de l'accès à l'eau devrait être basé sur le stockage de l'eau, un concept clé pour traiter de l'accès et de la pénurie d'eau. Cela implique une relation étroite entre le climat et le paysage et entre les pratiques de la gestion des sols et de l'eau. Un «espace de stockage des eaux» est un système qui peut réguler le flux de sortie et d'entrée ainsi que la résistance et la rétention. Il peut contenir, réguler et stocker l’eau avant qu’elle ne se jette dans la mer. Ces zones modifiant l'équilibre hydraulique naturel, il est nécessaire de mettre en place un espace tampon qui permette de gérer les fluctuations dans l'apport des eaux de pluie issu de ces surfaces, afin de les restituer d'une manière homogène dans le milieu. De l’urbanisation diffuse du territoire de la plaine de la Vénétie résulte la difficulté à trouver des grands espaces libres à utiliser comme réservoirs de stockage pour conserver et emmagasiner de grandes quantités d'eau. Alors comment faire? La solution appropriée semble être de doter le territoire d'un creusement de parcelles de petites dimensions capables de s’insérer dans une zone fragmentée mais ayant un réseau hydraulique très structuré. De cette manière, viendrait se créer un réseau de zones humides connecté au réseau de canaux. Ainsi, ces zones généreraient un réseau écologique capable se s’adapter au territoire de la ville diffuse de la Vénétie. Il s’agirait d’un système isotrope de zones humides qui garantirait au tissu urbain la sécurité hydraulique, des connexions écologiques et qui permettrait de retrouver un rapport avec l'environnement. Ce procédé favoriserait le laminage, le stockage de l’eau, l’infiltration naturelle en privilégiant les processus de reboisement, la reconstruction des milieux humides, ainsi que le rétablissement et l'augmentation de zones de végétation naturelle.
Conditions ordinaires
Inondations fréquentes
Inondations exceptionnelles
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ZONES INNONDÉS
Carte projectuelle - Zones humides inondées. Carte de l'auteure, Novembre 2015. Sources : CTR de la province de Padoue, Consortium de Bonification - Bacchiglione
LÉGENDE
Urbanisation
Réseau de zones humides
Réseau hydrographique
Parcelles inondées
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SCÉNARIO 1 Au sein du réseau des «Eaux Basses», situé dans la basse plaine humide, mon hypothèse consiste à imaginer une multiplication de zones humides et collecteurs utilisés comme espaces de laminage et de stockage lors des crues, utiles pour l'irrigation pendant les périodes de sécheresse. Grace à la connexion de ces différents espaces, viendra se former un réseau de parcs constituant de nouveaux espaces publics. Mon étude, ayant une vocation purement d’enquête démonstrative, a pour principal objectif la protection des zones péri-urbaines, créant des zones abaissées par de légers creusement de la terre, et destinant ainsi une partie de la culture à la «culture par l'eau». • La planification en cours
Les plans d'urbanismes des municipalités de la province de Padoue ont pour objectif une urbanisation croissante des terres favorisant l'étalement urbain. Ce dernier entraînera non seulement de nouveaux lotissements résidentiels mais aussi de nouvelles routes imperméables, des parkings, des espaces et des équipements publics, de nouvelles villes. Cela révèle à quel point les instruments de planification jouent un rôle clé dans la gestion de la transformation du territoire. D'un point de vue réglementaire, le plan général de planification territoriale du Consortium de Bonifica de Bacchiglione (selon l'article du 23 de 8 mai 2009 n°12, Alinéa 4 p.2), en ce qui concerne la réalisation de bassins de rétention, identifie et quantifie la nécessité de la sécurité hydraulique. De plus, il évoque la confrontation avec les municipalités concernées de manière à obtenir, en plus des fins hydrauliques, une valorisation paysagère, environnementale et récréative. «Ils peut par exemple être réalisé des espaces temporaires de rétention d'eau sur les bords latéraux d'importantes infrastructures routières ou les zones de production, de manière à jouer le rôle de barrière et filtre. En considérant l'aspect hydraulique d'un espace simultanément à la programmation de l'usage du sol, la qualité globale du territoire et de l'environnement peut être amélioré». En ce qui concerne mon hypothèse, j'ai choisi d'utiliser ces zones d'expansion de l'eau comme parcs vouées à s’inonder quelques jours par an.
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RÉSEAU DE ZONES HUMIDES DIFFUSES
Carte des zones humides et des différentes cultures.Carte de l'auteure, Novembre 2015. Sources: CTR province de Padoue, Consortium de Bonification - Bacchiglione.
LÉGENDE Implantation de la biomasse
Prés humides
Culture de maïs
Urbanisation
Autres cultures
Zones humides
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D'un point de vue logique et de planification globale, les interventions de creusement, de stockage et ralentissement de l'eau sont toujours à privilégier, et à préférer, en accord avec la législation régionale récente concernant l'évaluation de comptabilité hydraulique des outils urbanistiques avec l'application du principe «d'invariance hydraulique». Malheureusement pour un impact significatif et améliorant sensiblement la sécurité hydraulique, pour récupérer le retard accumulé au fil des années, l'inondation d'un volume impressionnant sera nécessaire. Comme indiqué dans l'annexe G de la délibération du conseil Régional de la Vénétie (DGR) 3357 du 10 Novembre 2009 , «la requalification environnementale de canaux de drainage est aujourd'hui utilisée dans une logique multi-usages, comme un outil pour résoudre les problèmes du risque hydraulique, un outil d'amélioration de la qualité de l'eau, de valorisation et de revitalisation des terres agricoles, ainsi qu'un moyen pour à améliorer l'environnement de la plaine» 18. • Une infiltration et une expansion de la Nature
Mon hypothèse vise à définir les caractéristiques d'un territoire à vivre, non pas d'un paysage à contempler de l'extérieur, mais à habiter et à parcourir, à travers un réseau de parcours qui créent des situations différentes. Les éléments de liaison constitueront une expansion de la Nature réalisée à travers la connexion entre les éléments écologiques (zones humides, zones boisées, les canaux plus ou moins profonds, la végétation, les systèmes de culture...).
(18) Sources: Plan général de mise en valeur et la protection du Consortium de Bacchiglione, de protection de l'eau de la région de Vénétie, le Plan de gestion du bassin de la rivière dans les Alpes de la Vénétie
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NOUVEAUX PARCOURS
Carte projectuelle - Nouveaux parcours au sein des zones humides.Carte de l'auteure. Nov 2015 . Sources : CTR de Padoue, Consortium de Bonification - Bacchiglione.
LÉGENDE Parcours piétons
Réseaux routiers
Réseaux routiers
Parcours cyclables
Parcs protégés
Équipements sportifs
Nouveaux parcours dans l'espace du projet
Parcs urbains
Equipements de loisirs
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Le projet prévoit une intervention minimale sur le secteur agricole et dans les espaces restés vides du tissus urbain. L'hypothèse envisage de rétablir l'ancien réseau de canaux de drainage et la partition préalable des champs agricoles de Padoue, sur lequel s'organiseront des espaces pour l'inondation programmée. A travers des creusements de la terre qui formeront des niveaux abaissés et rehaussés du terrain s'organiseront les zones humides et les forêts hygrophiles avec un haut degré de biodiversité, les prés en pente, et pour la biomasse, des cultures de maïs, le blé, les fruits et légumes. Le résultat sera un parc agricole avec des parcours et des points traversants, capables de répondre à la demande de la municipalité d'un nouveau rapport avec la nature et le territoire et de faire face aux risques environnementaux sans cesse croissantes en cas d'inondation. • L'eau pour l'agriculture et l'agriculture pour l'eau
Le processus de renouvellement et de régénération de l'environnement comportera différents dispositifs utilisant les matériaux de la région afin d'améliorer l'efficacité de la végétation combinée à l'eau. Ces dispositifs viseront à créer une synergie entre les cultures énergétiques et le cycle de l'eau: ils transformeront le concept traditionnel de «l'eau pour l'agriculture» en «l'agriculture pour l'eau». • Transformation du tissus péri-urbain
Monoculture de céréales
Complexification de l'espace agricole
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ESPACES PUBLICS DE L'EAU
Carte projectuelle – Parcours, parcs d'eau et espaces publics. Carte de l'auteure, Novembre 2015. Sources: CTR de Padoue, Consortium de Bonification - Bacchiglione.
LÉGENDE Prés humides Nouveaux parcours dans l'espace du projet Implantation de biomasse
Parcours cyclables Equipements de loisirs Zones humides
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• Le concept de l'invariance hydraulique
La législation introduit le principe de «l' invariance hydraulique»19. Toute intervention consommant le territoire doit donc prendre des mesures compensatoires pour maintenir le niveau de sécurité du territoire au fil du temps. L'invariance s'applique lors d'une modification des conditions pré-existantes en termes de perméabilité des surfaces, et donc d'un changement du coefficient de débit (Œ
). Ce coefficient est égal au
rapport entre le volume de pluie qui détermine le plein et le volume total de la chute de pluie. En d'autres termes il indique la quantité de pluie, non-infiltrée dans le sol, qui va former l'inondation. Une autre expression qui est souvent utilisée pour désigner ce concept est l'écoulement. Les coefficients d'écoulement sont conventionnellement définis, suivant les différents types de surfaces. Les bassins de rétention sont l'unité de référence principale en ce qui concerne l'évacuation des eaux pluviales, car ils représentent les zones géographiques où sont généralement visibles les premiers effets négatifs de la croissance ultérieure de la surface imperméabilisée. Pour simplifier, supposons par exemple que nous avons un espace divisé en deux bassins de rétention identifiés respectivement comme A et B. Supposons que la superficie de A ne subit pas de transformations tandis que celle de B est imperméabilisé à de 5% de la surface totale. Imaginons maintenant que se produit une précipitation de durée égale à 3 heures dans les deux zones. L'eau de pluie qui tombe dans le bassin A est éliminé régulièrement, tandis que l'eau qui tombe dans le bassin B, suite à une plus grande imperméabilité du sol, va aggraver le système car, en augmentant le coefficient d'évacuation, le pourcentage d'eau non infiltrée dans le sol augmente, pour ensuite créer un débordement. L'exemple montre donc que l'unité de référence du bassin qui doit être utilisée pour évaluer les contraintes du système hydraulique à la suite d'une nouvelle urbanisation.
(19) Pour appliquer l'invariance hydraulique, la transformation du territoire ne doit pas provoquer une aggravation des crues Espace agricole 0,1; surface perméable 0,2; surfaces semi-perméables 0,6; surfaces imperméables 0,9
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SCÉNARIO 1
60
120 m
Carte projectuelle -Transformation du paysage agricole: parcours à travers les parcs d'eau.Carte de l'auteure, Novembre 2015 . Sources: CTR de la province de Padoue
LÉGENDE
Parcs d'eau
Jardins urbains
Espaces agricoles
Systèmes de parcours
Hydrographie
Végétation
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L'application pratique de la notion d'invariance hydraulique prouve que chaque transformation du territoire, même si elle est accompagnée de projets hydrauliques d'atténuation, doit être prise en considération. Il faut noter que la prédisposition des volumes inondés à la compensation de l'imperméabilisation ne doit pas être effectuée dans le but de contenir les eaux de crue dans le lot, mais bien de maintenir la performance complète du bassin. Les mécanismes de contrôle «naturels» des inondations sont d'une part l'infiltration et le stockage des précipitations dans le sol, d'autre part le fait que les cours d'eau doivent atteindre tous les volumes disponibles des bassins avant qu''ils se délitent. D'après le Plan général de mise en valeur des terres, de protection et de remise en état du Consortium de Bacchiglione «l'imperméabilisation du sol et la réduction des inondations conséquentes à l'urbanisation altèrent profondément la structure hydraulique du territoire. L'ensemble du système doit être constitué par un dimensionnement approprié des volumes de laminage à vérifier analytiquement». C'est pourquoi, dans mon hypothèse, la récupération des volumes inondés devra être faite avec la construction de réservoirs de surface (zones d'immersion momentanée, etc.), ou profondes (bassins de rétention, tunnels de drainage, sur-dimensionnement des conduites d'eau de pluie, etc.). Afin d'assurer l'efficacité et le remplissage, et donc la modération de l'écoulement de l'eau, correspondant à la partie finale du réseau d'évacuation des eaux, devra être placé un dispositif de contrôle qui limite la quantité d'eau déversée à un maximum autorisé. Enfin, les surfaces imperméables devront être maintenues à un minimum. Les revêtements de sol destinés au stationnement devront être de type drainant, dans tout les cas perméables, réalisés sur un sol adapté qui assure leur efficacité. Les espaces verts devront assumer une configuration leur accordant deux fonctions: d'une part ils devront recevoir une partie des précipitations évacuées le long des zones, et d'autre part la fonction de bassin de laminage du système de roulement de drainage des eaux pluviales. Ces zones seront situées à un niveau plus bas que le niveau du sol environnant et seront hydrauliquement connectées à travers des liens opportuns avec la route. De plus, leur configuration planimétrique 20 devra prévoir la construction de réservoirs de surface adéquat disposés et intégrés avec le réseau d'évacuation des eaux de manière à ce que les systèmes puissent interagir.
(20) planimétrique: Représentation d'un terrain en projection horizontale.
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RISQUES HYDRAULIQUES
Consortium de Bonification Veneto Orientale 30 km
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PADOUE
Carte des risques hydrauliques de la Vénétie Orientale. Carte de l'auteure. Janvier 2016. Sources : CTR de la Vénétie. Consortium de Bonification – Vénétie Orientale
LÉGENDE
Risque hydraulique modéré
Urbanisation
Risque hydraulique moyen
Réseau hydraulique
Risque hydraulique élevé
Lagune
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3.2 Un territoire côtier de la Lagune vénitienne: l e cas du Lido de Jesolo A partir de la mer, le premier éco-système que l'on rencontre est celui de la dune, la réponse de la Nature à l'action de la mer. Entre la mer et la terre, existent deux types de barrières: l'une est la dune et l'autre est son substitue artificiel, la digue. Les dunes se forment naturellement avec l'accumulation du sable transporté par le vent. Le Lido de Jesolo situé entre les embouchures actuelles du fleuve Piave et du Sile, s'étend sur près de douze kilomètre le long de la côte Vénitienne, sur une zone de plaine face à la mer Adriatique. Les marais de Dragojesolo et de Grassabò forment la zone la plus étendue de la Lagune Nord. La très grande majorité des aires urbaines de la cité, se trouve sur une sorte «d’île», délimitée par les fleuves Piave (à l’est), Sile (à l’ouest) et par le canal artificiel Cavetta. La zone la plus élevée est celle de «Monte Lepre» avec une altitude de 10 m. L’économie de Jesolo est essentiellement basée sur le tourisme avec nombre de structures d’accueil et de divertissement. Comme beaucoup de localités balnéaires, la population de la commune voit sa population augmenter considérablement durant la période estivale. Parallèlement, le développement du secteur des services liés au tourisme, a entraîné une régression du secteur agricole. Le territoire s'est développé à partir des années 1900 quand au moment de l'assèchement mécanique des terrains marécageux, ont commencé à se détruire des kilomètres de dunes qui avaient assuré pendant des siècles une défense naturelle des territoires internes de l'action érosive de la mer. Après la deuxième guerre mondiale, avec le phénomène de tourisme balnéaire de masse, une énorme quantité de bâtiments est construite en l'absence de plan d'urbanisme.
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PRÉVISION DE LA MONTÉE DES EAUX EN 2100
Consortium de Bonification Veneto Orientale
Prévisions hypothétiques de la montée des eaux en 2100. Carte de l'auteure. 2015. Sources de données : CTR de la Vénétie. GIEC, 5ème rapport d'évaluation (2014)
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3.2.1 Une urbanisation effrénée difficile à maîtriser
Au cours des années 1950, deux plans d'urbanisme, jamais approuvés, n'ont pas réussi à éviter la fièvre constructrice ayant engendré des bâtiments de plus de sept étages dans certains cas et qui a marqué ainsi de manière indélébile le front de mer de Jesolo. En 1962, Jesolo, devenu un lieu de tourisme international, enregistre plus de trois millions de touristes. En 1977, est adopté le premier pliano regulatore21, mais à ce moment, les douze kilomètres de côte sont déjà entièrement urbanisés, avec une règle qui semble suivre le paradigme de la croissance sans développement. La machine touristique est en effet très congestionnée et les infrastructures qui supportent les flux toujours croissants sont inadéquats, en retard, obsolètes. En 2001, la zone atteint le record de cinq millions sept cent mille touristes. En 1997, la commune charge Kenzo Tange, un architecte et urbaniste japonais, de rédiger un master-plan sur la base du plan régulateur en vigueur, approuvé définitivement en 2003. Ce master plan utilise la croissance hyperbolique et la congestion, reprise littéralement des écrits de Koolhass, comme paradigme de poursuite pour restituer une «identité culturelle à un territoire qui historiquement est seulement le fruit de la poussée économique visant à exploiter le maximum de la plage».
(21) Le piano regulatore est le plan directeur municipal (PRGC) est un instrument de planification que chaque ville italienne doit établir et qui régule l'activité de construction dans une municipalité
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RISQUE HYDRAULIQUE
Carte d'analyse – Zones à risque hydraulique. Carte de l'auteure, Novembre 2015. Sources : CTR du Lido de Jesolo, Consortium de Bonification – Vénétie Orientale.
LÉGENDE Bâtis Risque hydraulique très élevé Risque hydraulique élevé Risque hydraulique moyen
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Cependant, le plan qui traduit le master-plan en instrument législatif se révèle cependant être un échec. Kenzo Tange avait proposé un système d'infrastructure composé de deux anneaux ayant la vocation de reconnecter le centre urbain originel situé dans l'arrière pays, Jesolo Paese, avec celui contemporain,
Jesolo Lido et les différents fragments urbains éparpillés sur les douze kilomètres de côte. Au centre de cet anneau, l'architecte japonais avait prévu un grand vide, Central Park, évoquant l'âme de la grande Jesolo. Cependant, dans la traduction du master-plan en plan urbain, le grand vide du parc a été rempli, ignorant les choix de Tange. De la grande Jesolo subsiste une collection de gratte-ciel conçus par de grands architectes, fruits de l'idée que l'architecture d'auteurs serait l'unique moyen pour convaincre les autorités d'obtenir certains terrains. De nouveaux gratte-ciels sans infrastructure, contournant les lois de protection et de sauvegarde marquent aujourd'hui une nouvelle époque d'occupation côtière, et Jesolo continue d'endosser son vieil habit des années 1960. Aujourd'hui, la structure urbaine de la côte présente une géométrie régulière, bandes linéaires de plages avec des brises lames, front de mer constitué seulement d'hôtels et de magasins pour les touristes. La tâche de maintenir cette géométrie linéaire dans un rapport symbiotique est joué par des rues traversantes d'accès à la mer qui marquent régulièrement cette grille assemblée sans règles. Enfin le front de mer, situé à une hauteur supérieure à deux mètres est ponctué par les opérations efficace pour protéger les bâtiments contre les ondes de tempête, mais ayant d'important impacts visuels. En s'éloignant perpendiculairement du front de mer, à l'arrière des dunes, la seconde partie urbanisée, moins dense, se trouve à une hauteur plus basse. Devant cette face urbaine, les territoires sont à caractère majoritairement agricoles. Les espaces destinés à l'agriculture et les centres urbains plus éloignés de la côte actuelle seraient les premiers immergés sous l'eau en cas d’inondation, au moins la partie correspondante au rez-de chaussée des habitations. Une montée de l'eau de mer de plus de trois mètres, que ce soit définitif ou du aux effets d'une tempête temporaire, inonderait les rez de chaussée de la face côtière entière en plus de provoquer probablement un dépassement des digues faisant confluer l'eau salée dans les canaux d'irrigation. Enfin, si on envisage un scénario extrême, l'eau monterait jusqu'au premier étage de tous les édifices, exception faite des hôtels qui resteraient indemnes se configurant comme une série de petites tours maritimes, rempart de l'économie touristique qui nécessiterait d'être repensée.
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TRACÉ VIAIRE
Carte d'analyse – Zones à risque hydraulique. Carte de l'auteure, Novembre 2015. Sources : CTR du Lido de Jesolo, Consortium de Bonification – Vénétie Orientale.
LÉGENDE Routes nationales Routes régionales et provinciales
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Nous arrivons ensuite au centre urbanisé du territoire d'étude qui a progressivement remplacé un paysage parsemé de végétation et de marais. Au début du siècle, à part le peu de terrains récupérés par l'initiative privée, les territoires émergés étaient tous drainés naturellement. Ces espaces ont été organisés au le début du XIX ème siècle, en deux consortiums : Passerella et Cavazuccherina. Ces derniers s'occupaient des réseaux d'acheminement de l'eau de pluie et assuraient le traitement des eaux à l'intérieur des terres qui a permis une utilisation des terres compatible avec les niveaux externes des cours d'eau. En ce qui concerne les hauteurs, la zone décline progressivement de San Donà di Piave jusqu'à Cortellazzo, avec une épine dorsale moyenne plus haute que le Taglio del Re, qui a motivé la division hydraulique des deux bassins. Grâce à ce système, les territoires hauts et donc contigus à ces cours d'eau ont pu être sauvés, sauf cas exceptionnels, des phénomènes d'inondations. Les terrains bas, en revanche, ont subi le débordement périodique de l'eau du aux marées et ont donc été occupés par des prairies ou des pâturages, des rizières. Les terrains marécageux, enfin, constituaient des bassins de laminage des eaux supérieures en période de marée haute, afin de garantir la culture continue des terres hautes.
(22) Les petites parcelles au drainage mécanique – 420 hectares sur 4760 concernées par le consortium de Cavazuccherina étaient des cas rares qui habituellement commençaient dans les zones marginales les moins basses pour ensuite aller vers les territoires marécageux
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SYSTÈME HYDRAULIQUE
Carte d'analyse – Hiérarchie du système hydraulique. Carte de l'auteure, Nov 2015 . Sources : CTR du Lido de Jesolo, Consortium de Bonification – Vénétie Orientale.
LÉGENDE Réseau principal Réseau secondaire
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SCÉNARIO 2 3.2.2 Et si nous submergions certaines parties du territoires afin de créer un fjord résultant d'une inondation programmée visant à sauver les parties urbanisées du territoire?
L'idée est ici de ne pas renoncer à la planification globale, qui, fruit des investissements publics, a permis le développement du territoire depuis des siècles. Abandonner le territoire entraînerait une défaite trop grande. On pourra proposer de faire coexister le territoire drainé mécaniquement et les bassins d'eau en travaillant sur la topographie, sur des digues, sur l'infrastructure, et faire aux limites des bassins d'eau des espaces tampons pouvant servir d'espaces publics. La limite de l'eau sera progressivement décalée plus en amont. Le dessin des bassins d'eau se base sur l'utilisation de la carte des risques et de la densité urbaine. Le projet propose non seulement de suivre mais aussi de piloter les mouvements de l'eau ce qui favorisera ainsi, d'après la suggestion de certain géographes 23 la traversée longitudinale du territoire, parallèlement au sens de l'écoulement de l'eau. • Les systèmes hydrauliques
Les territoires encerclant le fjord s'appuieront sur des systèmes hydrauliques qui intégreront progressivement des technologies plus efficaces, et s'urbaniseront plus en terme d'intensité et moins en terme de superficie territoriales, afin d'éviter le gaspillage énergétique. Certains dispositifs d'assèchement des terres seront désactivés et certains ajoutés un peu plus en amont, au niveau de la nouvelle limite de drainage. Le système agricole mutera en faveur d'une parcellisation plus accrue, une culture moins intensive, une consommation locale et des produits plus tolérants à l'infiltration saline.
(23) Cf II.2 Section valley
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SITUATION ACTUELLE
Carte d'analyse – Situation actuelle. Carte de l'auteure, Novembre 2015 . Sources de données: CTR du Lido de Jesolo, Consortium de Bonification – Vénétie Orientale.
LÉGENDE Réseaux hydrauliques Urbanisation
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• Les limites
Pour prédisposer le territoire à accueillir l'eau, il est nécessaire de renforcer le périmètre du futur fjord. Les hauteurs actuelles, bien que supérieures à un mètre, ne seront pas suffisantes pour garantir la diffusion en cas de marée haute ou d'inondation exceptionnelle, qui sont de plus en plus fréquentes. La hauteur du périmètre de sécurité doit être fixée à au moins 5 mètres. En ce qui concerne les nouvelles digues sur la côte, elles doivent être renforcées mais en même temps garantir le passage de l'eau en cas d'ouverture future du nouveau bassin. Il est donc nécessaire d'utiliser les digues comme des dispositifs urbains et typologiques, dessinant un paysage en faveur de l'espace de transition, qui s'adaptera suivant l’intrusion de la mer ou en cas d’événement extrême, tout en continuant à décliner de différentes manières les pratiques et usages de l'eau et de loisirs, en restituant l'espace de la ligne de côte. • L'accessibilité
Etant donné que le territoire continuera à vivre, il sera nécessaire de garantir les accès et les circulations, en priorité dans la zone concernée par le remplissage des premiers bassins. Il s'agit de maintenir hors de l'eau toutes les infrastructures routières principales, c'est à dire à plus de 5 mètres de haut, et de porter son attention sur les réseaux énergétiques et ceux des canaux qui bordent les routes. L'utilisation des infrastructures secondaires dans les territoires non sujets à l'inondation programmée, sera garantie jusqu'au moment le niveau de l'eau ne permettra plus la circulation. • L'habitabilité
Il devient aussi nécessaire de repenser les prévisions des plans d'urbanisme communaux, et de déplacer la densité urbaine future le long des tracés des routes principales, en favorisant la connexion entre les cours d'eau et la limite de la baie. On peut formuler quelques nouvelles règles pour la construction des prochains édifices; étant donné l'incertitude du futur, les rez de chaussé doivent rester libres et tout ce qui se trouve sous un niveau de cinq mètres doit obligatoirement garantir l'accessibilité aux infrastructures principales, tout en conservant l'équilibre de la terre.
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Les systèmes hydrauliques
Des constructions sur l'eau
Les limites
Les sols
L'accessibilité
L'inondation
L'habitabilité
L'infrastructure écologique
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• Les sols
Les zones destinées à être inondées seront les terrains agricoles à la fois pour des raisons agricoles et topographiques: il s'agit en effet des espaces les plus bas dans lesquels le tissu urbain est éparpillé et lié en général aux pratiques agricoles. La région devra proposer une nouvelle subdivision de la propriété de manière à effectuer une expropriation proportionnelle. A chaque propriétaire d'un terrain de la vallée impliqué dans l'inondation programmée, on viendra restituer des terres émergées en proportion avec la propriété initiale. Ces propriétaires conserveront leur terre mêmes immergées et auront la possibilité de les valoriser en accueillant des activités comme le canoë, la pêche ou l'aquaculture. • Des constructions sur l'eau
On peut s'intéresser à présent à ce qu'il adviendra des constructions concernées par l'inondation. Ces constructions agricoles, habitations ou hangars sont situés de manière très diffuse et à l'échelle locale. Dans tous les cas, le propriétaire sera libre de choisir le devenir de ses biens après l'inondation de la baie. Il pourra accueillir des activités commerciales, des services privés et des logements touristiques dans lesquels l'accès sera garanti par un service de transport via l'eau pour maintenir la liaison avec les terres. Les édifices pourront être diffus dans l'eau entre les digues ou bien ré-haussés progressivement afin de garantir l'utilisation des plans supérieurs au niveau de l'eau. Il est aussi possible d'élargir les surfaces de rez de chaussée et de construire des logements plutôt que des îles comme dans le cas précédent. Cela pourra aussi conduire à l'association en petites communautés en ce qui concerne les lots adjacents. Des permis de construire pourront être accordés pour augmenter le nombre d'étages jusqu'à un maximum de quatre niveaux hors de l'eau. La région pourra mettre à disposition des habitations le long des infrastructures routières en proposant un accord économique. Les propriétaires garderont la propriété des constructions immergées sans taxe d'habitation. • Les ouvertures
Comment faire rentrer l'eau à travers le fjord en considérant le fait que la côte est urbanisée sans solution de continuité? Dans les prochaines années, le tourisme ne devrait pas augmenter de façon considérable étant donné la crise économique, et l'alignement des hôtels en front de mer risque de se transformer en désert de cathédrale, comme le prévoit la région 24.
(24) cf plan de la commune de Jesolo - Piano Regolatore Generale (P.R.G.)
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SCÉNARIO 2
Carte projectuelle – Scénario de l'inondation programmée. Carte de l'auteure, Nov 2015 . Sources : CTR commune de Jesolo, Consortium de Bonification de la Vénétie
LÉGENDE
Mer Adriatique
Digues
Lagune
Surfaces drainées mécaniquement
Corridors écologiques
Parcours des vaporetti (bateaux-bus)
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En considérant la situation économique, il y a deux possibilités: soit détruire les lots concernés par la construction du fjord, soit relancer un plan de substitution en remplaçant le modèle de Las Vegas par le modèle celui de Miami25. Dans ce cas, les lots deviendront le centre clé, non seulement de la ville, mais aussi d'un système beaucoup plus large. Ainsi les anciens hôtels réhabilités, mis sur pilotis et contournés par des canaux comme une petite Venise, seront le moteur économique des saisons à venir. De plus, il est nécessaire de restaurer les digues et les dunes de sables du littoral restant afin de garantir la sécurité pour le reste du territoire. • L'inondation
Dans mon scénario, en 2100, les nouveaux hôtels feront face à la mer avec leurs terrasses de bar qui permettront de voir le spectacle de l'eau qui monte lentement à travers la terre et qui se ré-approprie les lieux qui dans le passé lui avait appartenu. A l'intérieur, les côtes du fiord comporteront des services tout le long de son tracé et permettront de favoriser l'attrait touristique. • L'infrastructure écologique
Lorsque le dispositif côtier entrera en fonction, chaque intrusion de la mer favorisera la conquête des digues sur lesquelles les gens pourront pêcher ou s'hasarder à parcourir et traverser le fjord. Au fil des années, la limite du fjord commencera à se définir comme une grande infrastructure, dans laquelle une piste cyclable, dotée de différents points pour des vélos en libre service, mettra en relation les différentes parties du système. Ainsi, l'éco-tourisme alimentera le nouveau territoire. L'introduction de l'eau dans le fjord alimentera aussi le développement d'un autre processus; la restitution de l'écosystème originel, grâce au rétablissement de la végétation littorale et des systèmes hygrophiles 26 et halophiles2 5 qui favoriseront la mise en place d'un corridor écologique 27 qui va rétablir la trame perdus du réseau régional.
(25) Les espèces hygrophiles sont des espèces qui ont besoin de grandes quantités d'eau tout au long de leur développement. (26) Un organisme halophile est un organisme qui s'accommode ou a besoin de fortes concentrations en sel dans son milieu pour vivre. (27) L’expression «corridor écologique» désigne un ou des milieux reliant fonctionnellement entre eux différents habitats vitaux pour une espèce, une population, ou un groupe d’espèces.
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CONCLUSION Le territoire de la Vénétie est dominé par la problématique de la gestion de l’eau. En cela, il illustre clairement les questions rencontrées par ceux qui ont pour mission de planifier les activités humaines et d’aménager les zones où domine cet élément naturel. Exploiter l'eau dans l'urbanisme demande une réflexion sur la question de son rôle comme outil de planification durable. Il s'agit de comprendre comment «le dessin de l'eau» et combien nos concepts de dessin traditionnels, nos structures et nos idées doivent évoluer. Choisir l'eau comme objet d'étude m'a permis de construire une nouvelle interprétation et réflexion pour la ville contemporaine. Cela m'a amené à considérer l'ampleur des fonctionnalités du territoire et les dynamiques avec laquelle cette infrastructure territoriale et collective investit les vallées, les plaines et les lagunes. Cette étude m'a donné l'opportunité d'évoquer les lieux trop souvent exclus des réflexions comme les espaces agricoles, les plaines humides, les marécages, les bancs de sable, la Lagune, ainsi que des procédés hydrauliques complexes tels que les systèmes d'irrigation et de drainage, le laminage, le pompage de l'eau ou son stockage. De plus, au cours de ce mémoire, j'ai été confronté à une conditions territoriale très spécifique à la Vénétie: la città diffusa, une forme d'étalement urbain où les villages, centres urbains, maisons, entrepôts, et espaces industriels cohabitent avec l'agriculture. En travaillant sur les systèmes hydrauliques, on touche à beaucoup de questions difficiles telles que «l'éthique de la terre», qui met à l'épreuve le rôle d'«agent géologique», acteur capable de changer la composition du sol, le régime des eaux et le climat lui-même et donc qui a un pouvoir énorme sur le territoire. Ce mémoire ne prétend pas apporter des solutions aux bouleversements climatiques actuels, mais réinterroge notre attitude face au territoire. La gestion de l'eau est un sujet complexe car en se projetant dans le futur pour envisager des solutions durables, on se confronte à l'incertitude des prévisions. Dans des territoires disposant d'un écosystème fragile comme celui de la Vénétie, il convient de prendre des précautions afin de ne pas détériorer la situation et de s'inspirer de l'histoire des lieux et des recherches déjà effectuées pour comprendre le territoire et trouver des solutions adaptées.
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Les répercutions à long terme des infrastructures lourdes réalisées récemment telles que le projet MOSE ne sont pas prévisibles et pourront à terme être très néfastes pour l'environnement. C’est pourquoi nous avons pu voir tout au long de ce mémoire qu’une attitude prudente est nécessaire. Cela ne signifie pas de sombrer dans l’attentisme mais de préférer des interventions à petite échelle, de façon très spécifiques et locales qui tiennent compte des caractéristiques du territoire. Bien sûr, les recettes globales n’existent pas et le discours n’est pas ici d’apporter une solution miracle. Mais la prise en compte de ces phénomènes nous enseigne que face à l’urgence de la situation, la combinaison de tous les champs de savoirs et de toutes les technologies apportera une réponse plus appropriée. En effet, face à la multiplicité des enjeux, qui sont aussi bien économiques, que sociaux et environnementaux, une approche pluridisciplinaire et participative est nécessaire. Les élus devront alors s’entourer de différents professionnels dont les missions sont complémentaires: architectes, urbanistes, paysagistes. Enfin, on peut souligner l’importance d’une vision partenariale entre les collectivités, les professionnels, les habitants dans les projets d’aménagement de territoires pour demain, afin de pouvoir réconcilier la ville et l’eau. Par ailleurs, il est nécessaire d'élargir l'échelle d'étude au delà des limites traditionnelles de la ville et d'adopter une vision régionale cohérente avec l'environnement (notamment les cours d'eau) plus qu'en lien avec les limites administratives. Pour concevoir un projet respectueux de l’environnement, il est essentiel de prendre en compte les règles établies par la nature et d’envisager la gestion de l’eau non pas comme une contrainte mais comme une opportunité. Il faut accepter le fait qu'il est désormais impossible d'éviter complètement les effets des changements climatiques, préparer les populations et adopter des politiques d'adaptation. Modifier la topographie est pour moi une réponse résiliente appropriée pour pallier au risque hydraulique. Le fait de creuser le sol afin de guider l'eau vers les territoires les moins urbanisés et de créer des espaces de stockage, permet de réduire les impacts des inondations sur les zones aménagées. Les exemples de territoires tels que la Vénétie où le thème de la gestion de l'eau est omniprésent sont nombreux dans le Monde. Pourrait-on envisager d'adopter ces stratégies face à l'enjeu hydraulique dans d'autres régions littorales et d'autres zones humides?
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ANNEXES
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Table des matières INTRODUCTION
L'eau : entre peur et attirance
PARTIE I L'eau: un élément au cœur des réflexions en Vénétie 1. Un territoire construit par l'eau 1.1 Les transformations du territoire au fil du temps 1.1.1 La Centuriation romaine : un maillage orthonormé 1.1.2 Une rectification des rivières 1.1.3 L'assèchement du territoire
1.2 A travers le plan de la Vénétie 1.2.1 Les côtes de Venise et sa Lagune 1.2.2 La basse plaine humide 1.2.3 La haute plaine sèche
2. Un territoire imprévisible 2.1 Une urbanisation excessive qui fragilise le territoire 2.1.1 Une urbanisation effrénée et mal adaptée aux conditions naturelles des territoires 2.1.2 Le rapport entre la «consommation de sol» et les risques naturels 2.1.3 L’urbanisation italienne de la seconde moitié du XXe siècle 2.1.4 Une urbanisation dispersée, caractéristique de la città diffusa en Vénétie
2.2 Des risques hydrauliques aggravés par les changements climatiques 2.2.1 Des risques hydrogéologiques et la nécessité d'une restructuration du territoire 2.2.2 Les conséquences des mutations de l'environnement 2.2.3 Le phénomène de l'Aqua Alta à Venise
3. Un territoire en cours d'investigation 3.1 MOSE : des barrières mobiles pour éviter les inondations 3.1.1 Les éléments de construction et de fonctionnement 3.1.2 Un projet d'une ampleur colossale qui pourrait être nuisible à l'environnement
3.2 Veneto 2100 / Living With Water : une recherche sur le futur de la Vénétie 3.3 Laguna Forma Urbis 2108: des scénarios de modification de la Lagune 3.3.1 La lagune : l'élément structurant de la région de la Vénétie 3.3.2 Les scénarios de transformations morphologiques de la Lagune
3.4 Water& Asphalt : le projet de l’isotropie 119
PARTIE II Une urgence; s’adapter plutôt que lutter 1. Pourquoi réfléchir au risque hydraulique aujourd'hui? 1.1 Une croissance accélérée de la population 1.1.1 La croissance de la population mondiale 1.1.2 La croissance démographique de la Vénétie
1.2 Des changements climatiques de plus en plus manifestes 1.2.1 Un accroissement des événements climatiques extrêmes dans le Monde 1.2.2 Des conséquences alarmantes sur un territoire fragile comme la Vénétie 1.2.3 L'inondation du 31 Octobre au 2 Novembre 2010
2. Une approche plus flexible pour préserver la Vénétie 2.1 L' alternance de solutions résilientes et résistantes 2.1.1 Les mesures d'atténuation et d'adaptation 2.1.2 La résistance et la résilience d'un territoire
2.2 Une gestion participative du territoire 2.2.1 Une participation active des habitants 2.2.2 Une influence décisive des pouvoirs locaux et des aspects sociaux 2.2.3 La gestion en amont d'un fleuve: le contrat d’embouchure du delta du Pô
2.3 Une multiplication de petites interventions ponctuelles
3. Une intervention résiliente: l'inondation programmée du territoire 3.1 Un territoire diffus de la basse plaine humide : le cas de Campagne de Padoue 3.1.1 Un réseau hydrographique dense 3.1.2 Le bassin versant de Bacchiglione 3.1.3 Une agriculture en crise 3.1.4 Et si nous utilisions la partie du tissu agricole perturbée afin de doter le territoire d’espaces pour une inondation programmée?
3.2 Un territoire côtier de la Lagune vénitienne : le cas du Lido de Jesolo 3.2.1 Une urbanisation effrénée difficile à maîtriser 3.2.2 Et si nous submergions certaines parties du territoires afin de créer un fjord pour sauver les parties urbanisées du territoire?
ANNEXES 120