Appropriation des identités trans : réponse à Laurent McCutcheon Gabrielle Bouchard Coordonnatrice du support entre pairs et défenses des droits Trans Centre de lutte contre l'oppression des genres Dans l’édition du Devoir du 10 juillet dernier, l’ex-président de Gai écoute et de la Fondation Émergence, Monsieur Laurent McCutcheon, publiait une lettre exprimant que la prochaine révolution sexuelle serait celle des « transidentités ». En tant que responsable de la défense des droits trans et porte-parole du Centre de lutte contre l'oppression des genres pour la poursuite contre le gouvernement du Québec qui vise à donner l'égalité juridique aux personnes trans au Québec, je me dois de répondre à cette lettre. La lettre de M. McCutcheon n'est pas passée inaperçu dans les milieux trans et soulève bien des questions. Connaissant sa grande expertise et expérience dans la sphère publique, je suis sure qu’il a pris le temps de réfléchir au texte qu’il a soumis et a pris le temps de peser le pour et le contre de l'approche utilisée. Malheureusement, malgré ces précautions, le texte de M. McCutcheon démontre une méconnaissance profonde des réalités trans et en offre par le fait même un portrait qui s’en trouve largement déformé et biaisé. Alors qu’il vante la rapidité d’évolution de la société québécoise à ce sujet, notamment par l’adoption de la Loi 35 en décembre dernier, il a bien pris soin de ne pas mentionner que cette loi n'est pas encore en vigueur, que le gouvernement libéral tarde à adopter les règlements d’application de cette loi (loi à laquelle les libéraux, alors dans l’opposition, se sont fortement opposés à plusieurs volets) et donc qu'on demande encore aujourd'hui à des Québécois et Québécoise de modifier chirurgicalement leur corps pour être reconnue légalement, qu'ils ou elles le veuillent ou non. Lorsqu’il parle de « transformation » pour parler de chirurgie, il n’est absolument pas mentionné que les prérequis toujours actuel du gouvernement malgré l’adoption de la loi sont qu'une femme trans subisse une vaginoplastie et qu'un homme trans subissent une hystérectomie complète. Le seul lien entre ses deux opérations est qu'une personne trans, au final, doit être stérilisée pour être reconnue par l'État québécois et que ces transformations sont imposées et ont souvent peu à voir avec l'identité de la personne. Il a pris bien soin de ne pas mentionner que le gouvernement refuse de reconnaitre les identités trans des enfants et ados qui sont encore laissés à la merci des dirigeants, enseignants, et l'ensemble du personnel d'école de les reconnaitre ou non pour le garçon ou la fille qu'ils et elles sont et qu'une personne trans immigrante ne sera jamais reconnue par l'état à moins d'obtenir la citoyenneté canadienne.
Il a omis complètement de signaler que les femmes trans sont encore aujourd’hui refusées dans les centres pour sans-abri en plein hiver ou encore n’a pas su mentionner pas que les parents trans sont obligés de garder leur identifiant de père ou mère sur le certificat de naissance de leur enfant même après une transition légale? De plus, par son choix de mots, par l'utilisation de termes comme « inconfort avec le sexe » ou de « perception d'identité » il perpétue l'image que les personnes trans imposent leurs caprices à nos sociétés. En positionnant les orientations sexuelles comme immuables et définies, en utilisant les personnes trans pour appuyer ses propres revendications, il a nié et effacé la multiplicité des vies et réalités trans et en a démontré encore une fois, sa profonde méconnaissance. Comment une telle lettre ait pu évacuer complètement le taux de suicide de plus de 40% des personnes trans, soit 4 fois le taux présent chez les jeunes gais et lesbiennes? En fait, cette omission est compréhensible, puisque sous sa gouverne, aucune campagne de la Fondation Émergence que ce soit lors de la Journée de lutte contre l’homophobie ou autre, n’a su inclure les questions trans. En ce sens, la Fondation a manqué à sa mission de défendre les droits de toutes les personnes LGBT et e travailler à offrir, à l’instar des gais et lesbiennes, des environnement plus sécuritaires pour les personnes trans. Si Laurent McCutcheon a cru qu’il était en position pour parler des identités trans, il devra expliquer aux communautés trans (et je précise bien ici les communautés) pourquoi leurs réalités ont toujours été écartées de toute campagne de sensibilisation aux réalités LGBT, et ce malgré les demande répétées d’organismes trans et LGBT d’y voir des campagnes inclusives. Il devra expliquer son obstination à ne pas faire du 17 mai la Journée internationale de lutte contre l’homophobie ET la transphobie, alors que c’est le cas partout dans le monde. L'instrumentalisation des identités trans n'a pas jamais sa place. À l'approche de la semaine de la Fierté (et du renouvellement des subventions gouvernementales?), son texte sens l'opportunisme. Gabrielle Bouchard
Gabrielle Bouchard est la coordonnatrice du soutien entre pair et défense des droits trans au Centre de lutte contre l'oppression des genres. Récipiendaire du prix Christine Jorgensen 2014 décerné par l'ATQ pour son implication pour le mieux-être de la communauté trans, elle a participé activement au processus législatif menant à l'adoption en décembre 2013 d'un projet de loi modifiant le code civil du Québec en faveur des personnes trans. Elle est aussi porte-parole du Centre dans la poursuite en cours supérieure contre le gouvernement du Québec visant à éliminer la discrimination juridique contre les personnes trans et intersexes du Québec et l'instigatrice d'un projet de recherche sur la prévalence trans au Québec.