Des vies et des luttes trans : réponse à Laurent McCutcheon Aimé Cloutier Dans Le Devoir du 10 juillet, Laurent McCutcheon, nous expliquait les transidentités et les perspectives d’avenir pour les luttes trans au Québec, nous annonçant une « révolution sexuelle » prochaine. Étant trans moi-même et poursuivant actuellement des études de deuxième cycle en sociologie, je dois admettre que la lecture de son texte m’a laissé à la fois perplexe et amer. Je me demande avec quelle légitimité et dans quel but s’exprime Laurent McCutcheon. En effet, s’il est bien connu pour son engagement dans la lutte à l’homophobie, on ne le connaît par contre pas pour un engagement auprès des communautés trans. Son texte étant plein de maladresses et d’omissions de même que de quelques faussetés, le ton d’expert qu’il emploie à propos des identités trans et des changements sociaux les concernant est pour le moins déconcertant. Le parcours trans que nous décrit en premier lieu Laurent McCutcheon, qui plus est sur un ton documentaire mal placé, m’apparaît fort simpliste. En effet, il n’y a pas qu’une manière de se reconnaître trans et au-delà de ce qui semble concevable pour l’auteur, il existe une diversité d’expériences, de désirs, de parcours et de vies trans. Les personnes trans, par exemple, ne se reconnaissent pas toutes dans des genres binaires (homme ou femme). Ce manque de reconnaissance et de considération de la diversité des vies trans est décevant et ne pourra contribuer qu’à entretenir une image réductrice et distordue des vies des personnes trans au détriment de celles-ci, évidemment. Le point de vue cis (non-trans) de Laurent McCutcheon est flagrant tout au long de l’article. Ce qu’il nomme comme « l’autre sexe » (« s’identif[ier] à l’autre sexe », « transformation vers l’autre sexe ») ne constitue pas « l’autre sexe » pour une personne trans. C’est au contraire le sexe ou le genre auquel elle s’identifie. C’est son sexe ou son genre. Pas l’autre sexe ou l’autre genre. Et, comme je l’ai mentionné plus tôt, toutes les personnes trans ne situent pas leur sexe/genre dans un mode binaire. Au-delà de l’histoire que raconte Laurent McCutcheon, les existences et les luttes trans ne se réduisent pas non plus à une affaire de corps et d’hormones ou à une quête de concordance entre « identité ressentie » et « sexe biologique ». Réduire les identités et les luttes trans à cela à répétition a quelque chose de déshumanisant. Qu’il en soit conscient ou non, en ajoutant sa voix au concert qui s’élève déjà depuis longtemps à ce propos et en discutant ainsi la manière dont se déploierait une transition, Laurent McCutcheon participe à une sorte de récitation publique ad nauseam de ce qu’est une vie trans d’un point de vue cis (non-trans). Ma vie est nettement plus complexe, riche et nuancée que cela. Au-delà de tout ce cirque qu’on fait autour des corps trans et de l’ensemble des corps qui troublent les idées reçues sur ce que sont des corps de femmes, d’hommes et d’humains en général, nos corps sont nos corps. Nos corps. Ce qu’on en fait ne regarde au final que nous. Il y a tellement à dire sur les vies trans et sur les luttes que les personnes trans mènent chaque jour au quotidien et plus largement pour acquérir des droits que je ne comprends pas qu’on
revienne sans cesse à cette histoire de chirurgies et d’hormones. Cela frappe peut-être l’imaginaire cis, mais ne fait pas beaucoup pour l’avancement des luttes trans. Laurent McCutcheon, enfin, nous renseigne brièvement sur l’évolution des acquis en juxtaposant des marqueurs des luttes gaies, lesbiennes et trans au Canada et au Québec. Il y a pour moi quelque chose d’amer dans cette juxtaposition aussi simpliste des acquis concernant le mariage et une loi –toujours inappliquée, mentionnons-le, faute d’action du gouvernement péquiste hier et libéral aujourd’hui- qui permettra « éventuellement » aux personnes trans de faire changer leur marqueur de sexe à l’État civil du Québec sans prérequis de chirurgie stérilisante. Qu’on se le dise : dans l’attente de cet « éventuel » changement, les personnes trans qui vivent avec des papiers d’identité dont le marqueur de sexe ne correspond pas à leur apparence sont exposées à une foule de situations qui les placent en position de vulnérabilité et qui s’avèrent souvent violentes. Pour n’en nommer que quelques unes : refus de soins, refus d’emplois, incarcération dans des prisons correspondant au sexe indiqué sur ses papiers d’identité mais pas à celui vécu, etc. Je me demande quelle histoire Laurent McCutcheon essaie de construire en plaquant ainsi sous forme de suite la décriminalisation de l’homosexualité, l’accès au mariage pour les couples de même sexe, l’élection d’une première ministre ontarienne lesbienne et une loi concernant le changement du marqueur de sexe à l’État civil. Essaie-t-il de construire une histoire LG(B)T bien lisse ? Si tel est le cas, je me demande à quelles fins. L’égalité juridique n’est pas encore acquise pour les personnes trans. Il y a encore beaucoup à faire. S’exprimer à la place des activistes trans et présenter de manière distordue les parcours et les luttes trans ne me semble pas considérer un appui formidable, quelque soit l’intention derrière le geste. Les souhaits formulés par Laurent McCutcheon en conclusion sont bien louables, mais l’incompréhension et le manque flagrant de connaissances sur les questions trans de même que le manque de considération qu’il accorde implicitement aux activistes trans dans l’ensemble de l’article me désolent. S’il souhaite se positionner en allié des luttes trans, je l’encourage à se placer d’abord dans une position d’écoute, à s’instruire davantage en matière d’enjeux trans et à travailler de concert avec les organisations militantes et communautaires trans, en fonction des priorités émises par ces organisations elles-mêmes. Les personnes trans sont pleinement capables de prendre la parole, qu’il la leur (nous) cède donc.