Lettre ouverte la presse

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Montréal, 29 janvier 2014 Le 27 janvier dernier, vous avez publié un article intitulé "Elle change de sexe pour échapper à des dettes". L'article reprend les dires d'une agence régionale d’huissiers de l’Astrakhan soutenant qu'une personne aurait "changé de sexe" pour échapper à une accumulation de dette. Attendu le processus législatif en cours pour changer les prérequis de changement de mention de sexe au Québec, il semble important de ne pas laisser vos lecteurs et lectrices avec une fausse impression des réalités vécues par les personnes trans. La prémisse de base Le fil conducteur de cette anecdote est qu'une personne aurait utilisé un changement de sexe pour éviter une dette de 4100$. Bien que ce montant représente près d'une année de salaire pour une grande partie de la population russe, on dit ici qu'une personne se serait identifiée auprès des autorités médicales comme trans (ou transsexuelle ou transgenre), serait passée au travers d'un processus d'évaluation psychiatrique, aurait obtenu des autorisations de modifications chirurgicales de son corps… et ce afin d'éviter une dette de 4100$. Un peu ridicule ne trouvez-vous pas? C'est pourtant ce que cet article suggère. Parlons des vraies affaires Qu'est-ce qu'une personne trans? Attendu que nous n'avons que quelques lignes, disons qu'une personne trans est quelqu'un ayant reçu d'un médecin une étiquette garçon ou fille à la naissance, que cette personne tente du mieux qu'elle peut de s'éloigner de cette étiquette et parfois de se rapprocher d'une autre par l'habillement, la prise d'hormones et par le rôle social. Une personne trans est aussi quelqu'un à qui l'on promet une marginalisation parce qu'elle transgressera les normes de genres. Cette personne devra faire face aux jugements de sa famille, de ses amis, du caissier, du banquier, de la police, de ses professeurs, des élèves, de ses collègues de travail, de chaque inconnu que cette personne rencontrera dans la rue qui se donnera le droit de questionner son genre, son sexe et son identité. Cette personne fera aussi face à la violence physique et aura 40% de chance de se suicider en réaction à la stigmatisation sociale qu'elle subira. Les personnes transsexuelles et transgenres sont encore soumises dans une majorité de pays à un parcours pathologisant où passer sous le bistouri est obligatoire afin d'être reconnu pour ce qu'elles et ils sont. La Russie n'est pas différente à ce niveau. Comme bien d'autres pays, les services spécifiques pour personnes trans sont soit inexistants, soit concentrés dans les grands centres urbains, et l'accès à ces services sont obligatoires, peu accessibles, défrayés par la personne trans et souvent l'équivalent de thérapies réparatrices telles que celles proposées par certains groupes religieux pour les personnes gaies ou lesbiennes.


Cause à effet Reprenons donc cet article. Dans une région de 520,339 habitants, dans un pays au gouvernement homophobe qui rabroue les droits de la personne et où les identités trans sont encore pathologisées (donc, où les personnes trans sont considérées folles dans le sens médical du terme et doivent subir des modifications chirurgicales), une personne aurait choisi de changer de sexe pour éviter de payer 4100$. Pouvons-nous vraiment croire que le rapport de cause à effet présenté est crédible et même plausible? C'est épuisant Cet article est un exemple parfait de la marginalisation que subissent les personnes trans et des efforts qu’elles doivent déployer pour déconstruire ce qu'une simple redirection d'article ou la mollesse d'un journaliste répand en quelques secondes. Il était important pour nous, spécialement dans le contexte québécois où certains parlementaires ont déjà catégorisé les personnes trans comme fraudeurs et fraudeuses par défaut, de prendre le temps et l'énergie et répondre de à cet article. Gabrielle Bouchard du Centre de lutte contre l'oppression des genres au nom du comité trans du Conseil québécois LGBT Le Comité Trans du Conseil québécois LGBT est composé d’organismes trans ou ayant un volet trans qui revendiquent l’égalité sociale et juridique pour les personnes transsexuelles et transgenres. Ce comité intervient auprès du gouvernement et de la population dans les dossiers d’intérêt pour les communautés trans. À cet effet, ce comité a été le principal interlocuteur gouvernemental dans le cadre de l’adoption du projet de loi 35 pour les aspects touchant les personnes trans.


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