Verbatim de l’Entrevue avec Pierre Assalian
-Je ne sais pas si vous avez lu dans le devoir. C’est un excellent texte à propos de Jenna Talackova, qui est une transsexuelle de Vancouver, je pense. Elle a été exclue du concours miss univers Canada et réintégrée par les organisateurs du concours. D’ailleurs madame Talackova a déjà été finaliste d’un concours de beauté transsexuelle en Thaïlande. Elle représentait, je pense, le Canada. Donc, quels sont les critères de la féminité en 2012? Nous avons avec nous le docteur Pierre Assalian, qui est directeur de la clinique de sexualité humaine de l’hôpital général de Montréal. Docteur Assalian, bonjour. -Bonjour -C’est une grande question ça aujourd’hui en 2012. Qu’est-ce qui est mâle? Qu’est-ce qui est femelle? Qu’est-ce qui est la féminité? Qu’est-ce qui est la masculinité? -Ce sont des questions qu’on pose à nos postulats si vous voulez. Les transsexuels, ou transgenres qui viennent nous voir, que ce soit biologiquement un homme qui dit qui se sent femme. On essaie d’explorer avec eux ce que ça veut dire, parce qu’il y a des hommes qui nous disent : « Écoutez, je suis tendre, je pleure, je fais de la cuisine et donc je suis une femme. » Moi je leur dis souvent qu’ils insultent les femmes. Ce n’est pas ça qui fait la féminité. Alors, dernièrement j’ai vu quelqu’un. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce qui fait que vous êtes féminin? » Il dit : « Parce que j’aurais envie d’avoir des seins et un vagin. » Ce n’est certainement pas ça. -Mais vous docteur Assalian vous êtes directeur de cette clinique depuis 1977 -Exactement -Donc vous en avez vu passer. Quelles sont les bonnes motivations pour un homme afin d’obtenir un changement de sexe? -La bonne motivation c’est qu’ils viennent nous voir et qu’ils nous disent : « Écoutez, je réalise que ce n’est pas normal. Je suis né homme, mais je me sens femme et je veux explorer. » Versus ceux qui viennent nous dire : « Écoutez, moi je sais ce que je suis. Qui êtes-vous pour me dire qui je suis et pourquoi est-ce que moi je dois suivre une thérapie? Pourquoi est-ce que je dois vous parler? Donnez-moi le papier immédiatement pour les hormones, ou pour la chirurgie. 1
-Parce qu’ils doivent passer par vous avant d’obtenir une accréditation, pour obtenir l’opération? -Oui, disons. La loi-évidemment l’assurance maladie dit que ça peut être n’importe quel médecin, mais malheureusement, au Québec il y a eu quelques-uns, parmi eux, moimême. Certains ont pris leur retraite. Je suis là encore. Notre unité est le seul dans la province. Le CHUM essayait d’avoir une unité il y a quelque temps. Je ne sais pas si ça fonctionne ou pas. Pour le moment, pour que l’assurance maladie paye pour la chirurgie ils doivent recevoir de l’aide de notre unité. -Ça, c’est pour que ce soit pris en charge par l’assurance maladie, mais si un homme veut payer pour son opération il n’a pas à passer par vous docteur Assalian? -Oui, certainement -quand même? -Malheureusement ce serait-On a vu ça et c’est ce que nous essayons de prévenir, le regret. Il y a certainement des médecins qui donnent des hormones à ceux qui le demandent sans évaluation. Il y a eu des chirurgiens de Montréal qui ont fait ça. Je ne veux pas dire de noms de chirurgiens. Il y aurait des chirurgiens un peu partout dans le monde, qui accepteront de faire ça, d’opérer sans que ce ne soit avec un papier rédigé par un psychiatre ou par un médecin, ou une évaluation rapide. Ça, selon la recherche, dans la littérature et selon notre expérience ça amène à des regrets. Puis, quand vous êtes opérés et que vous le regrettez, il est déjà trop tard. -Quels sont les démarches docteur Assalian. D’abord on vous rencontre. Lorsqu’un homme qui se sent femme -comme vous avez dit, la question identitaire est sérieusedébarque chez vous et on vous voit. Disons que tout va bien et qu’il y a raison de changer de personnalité et de sexe, combien peut prendre de temps toute cette démarche? -Souvent, ils vont nous demander ça : « Dans combien de temps est-ce que je vais avoir mon papier docteur? » Je dis que je n’ai pas une date ni une période précise. Ça dépend de la personne. Il y a ceux qui ont obtenu les hormones, l’opération dans l’espace de deux, ou trois ans et il y a d’autres qui ont pris des années. On voit ce qu’on appelle de l’ambivalence. On le veut, mais on ne le veut pas vraiment parce qu’on réalise que peutêtre qu’on se sent dans le genre opposé en raison de problèmes psychologiques, qui ressortent un peu dans le travail psychologique qu’on fait avec eux. Un homme qui n’est pas capable d’assumer sa masculinité pense qu’il est peut-être femme. Ou encore, la femme qui a été victime d’inceste, ou de viol pense qu’en étant, ou en devenant 2
homme ça réglera tout ça. Ils réalisent peut-être avec le temps que ce n’est pas par une démarche physique qu’ils vont régler des problèmes psychologiques. -Docteur Assalian, est-ce que tous vos patients ont un lien en commun. Est-ce qu’ils ont un historique de vie qui se ressemble? -Oui. Évidemment, peut-être qu’ils ne vont pas aimer ce que je vais dire, mais on a constaté que souvent les hommes qui se sentent femme ont un historique similaire, dans laquelle le père est absent. Les mamans sont omniprésentes dans leur vie et selon notre jargon on parle d’identification avec la maman. On ne veut pas être comme le papa qui était absent, qui était méchant et violent. Ça pourrait jouer un grand rôle dans leur conviction d’être dans le sexe, ou dans le genre opposé. À date nous n’avons pas trouvé. Il y a certainement, on diffère avec ce qu’on appelle les problèmes génétiques, ou les problèmes de glandes. Ceux-ci ne concernent pas vraiment les transsexuels. Nous on parle de transsexuels ou de transgenres. Il s’agit de ceux qui sont nés normaux, que ce soit dans le sexe biologique mâle, ou femelle. Jusqu’à présent nous n’avons pas trouvé une raison, ou une étiologie physique. Peut-être que nous savons un peu plus maintenant où l’influence-souvent les gens me disaient qu’au Québec dans le temps on croyait que le premier bébé était toujours un garçon et le deuxième était une fille. Lorsque la maman était enceinte d’un autre garçon pour le deuxième bébé peut-être que toute sa pensée qu’elle aura une fille influence le fœtus, parce qu’un fœtus, même si on sait qu’il est XY –c’est-à-dire un fœtus mâle- le premier trois mois il est comme indifférencié. Ça prend trois mois de gestation pour que, disons les hormones mâles, la testostérone commence à affecter le cerveau et prépare le cerveau à devenir un cerveau mâle. Parfois, il y a une interférence dans cette/ -/la construction? -C’est ça. Préparer le cerveau à être mâle. Ça se peut à ce moment-là que l’enfant naisse avec un cerveau qui le prépare à se sentir comme une femme et non pas comme un homme, mais ça reste toujours hypothétique. On ne sait pas. Mais il y a toujours des recherches qui se font dans le monde des animaux et qui essaient de comprendre un peu plus ce qui fait, s’il y a des facteurs intra-utérins qui affectent le cerveau du fœtus. -Cette histoire de Jenna Talackova, cette transsexuelle, qui est exclue, puis réintégrée au concours de miss univers Canada- Saviez-vous que ça viendrait se questionnement, ce dilemme à propos de l’identité sexuelle des gens? -Oui. Écoutez ce n’est pas la première fois –pas nécessairement dans des concours de beauté-, mais on a été impliqué dans des cas où c’était des athlètes, où c’était des cyclistes. C’était des gens biologiquement hommes, qui sont devenus femmes et qui ont 3
gagnés, puis qui ont été contestés par les femmes biologiques en disant que la masse corporelle, la masse musculaire d’un homme à femme reste quand même plus masculin, que féminin. Il y a tout ce questionnement ça. Pour l’autre personne, de Vancouver je pense qu’elle avait tout le droit de se sentir comme femme, surtout qu’elle a passé toutes les étapes des traitements hormonaux et des chirurgies, alors je pense qu’elle présentait un cas qu’ils devaient accepter. Maintenant, la loi l’accepte comme une femme alors/ -/Dernière question docteur Assalian, parce qu’on est à coure de temps. Est-ce qu’un homme peut véritablement devenir une femme de façon entière? -Oui. Il y a eu des études sur leur adaptation sociale et sexuelle. Les études sont là et l’expérience est là, qu’ils peuvent le vivre entièrement. -Très bien. Merci beaucoup pour cette entrevue docteur Assalian. Il est directeur de la clinique de sexualité humaine de l’hôpital général de Montréal. Après la pause, l’aspect physiologique de cette transformation sexuelle.
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