Agir no 29 - 2/2018

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FÉVRIER 2018

AGIR LE MAGAZINE DE L'ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE

OPÉRATION PAPYRUS

QUAND LES SANSPAPIERS SORTENT DE L’OMBRE EPER_MagAgir_n29_v3.indd 1

AIDE HUMANITAIRE Panorama des projets DÉQUALIFICATION Récit d’un parcours du combattant

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ÉDITORIAL

© EPER/ Patrick Gilliéron Lopreno

UN TRAVAIL « ORIENTÉ SOLUTION » DANS CE NUMÉRO

Dans sa défense des droits humains et son action auprès des populations socialement défavorisées, l’EPER cherche à construire des solutions durables. Les Permanences volantes effectuent depuis dix ans un travail de prévention et d’orientation auprès des personnes migrantes en situation de grande précarité à Genève. Ainsi, l’EPER a été un partenaire tout désigné de l’opération Papyrus, initiée par les autorités genevoises l’année Magaly Hanselmann dernière et visant la régularisation des traSecrétaire romande vailleuses et travailleurs sans statut légal. Cette action commence à porter ses fruits et permet aux personnes concernées de retrouver leur dignité. La multiplication des catastrophes naturelles et la persistance des conflits conduit l’EPER à intensifier son engagement dans l’aide humanitaire. La durabilité de notre action passe par une approche renforçant la résilience des populations. Apprendre aux familles de petits paysans à produire leurs propres semences permet ainsi d’éviter la dépendance envers des multinationales telles que Monsanto. Dans cette société de marché, où tout semble avoir un prix, il est important de poursuivre la recherche de solutions durables avec les personnes concernées pour leur permettre de marcher la tête haute.

AGIR N° 29 FÉVRIER 2018 ISSN 2235-0772 Paraît 4 fois par an COUVERTURE PHOTO

Laurent Kobi L’opération Papyrus a permis de régulariser Mariana, 8 ans

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Intégration professionnelle MosaïQ prend la relève du MEM

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Témoignage : « J’avais besoin de retrouver ce que j’avais perdu. »

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L’invité : Claudio Bolzman « On confond souvent uniformité et égalité de traitement »

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Opération Papyrus « Avoir un papier, ça change tout pour moi ! »

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Aide humanitaire Des projets dans un esprit de développement

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Panorama des aides humanitaires de l’EPER

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Développement des communautés rurales Des semences adaptées au changement climatique

20 Brèves

PHOTOS Anne Geiger

TRADUCTION Nassima Rahmani

RESPONSABLE Olivier Graz

GRAPHISME ET ILLUSTRATIONS superhuit.ch

TIRAGE 14 400 exemplaires

RÉDACTION Joëlle Herren Laufer

IMPRESSION Jordi Belp

ÉDITEUR Entraide Protestante Suisse (EPER)

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ABONNEMENT CHF 10 déduits une fois par an de vos dons

ADRESSE Chemin de Bérée 4A Case postale 536 1001 Lausanne Téléphone 021 613 40 70 Fax 021 617 26 26 www.eper.ch info@eper.ch

CP POUR LES DONS 10-1390-5

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INTÉGRATION PROFESSIONNELLE

MOSAÏQ PREND LE RELAIS DU MEM La lutte contre la déqualification professionnelle des personnes migrantes, thème cher à l’EPER, reste une priorité. Après avoir créé des duos de mentorat dans le cadre du Mentorat Emploi Migration (MEM) pendant huit ans, l’EPER lance MosaïQ, un projet de passerelle professionnelle sous forme de coaching.

Texte : Joëlle Herren Laufer Photo : EPER/Patrick Gilleron Lopreno

Partant du principe que la déqualification professionnelle de personnes issues de la migration était une double perte, à la fois pour les personnes concernées et pour la Suisse, l’EPER a monté le MEM en 2009. Le projet était novateur puisqu’il utilisait le mentorat entre deux personnes du même secteur, l’un intégré, l’autre en recherche, pour faciliter l’accès à l’emploi. Il avait l’avantage de renforcer l’autonomie des participants et de participer à un processus d’intégration, tout en favorisant l’apprentissage du français. Emplois qualifiés à la clé En huit ans, le MEM a clairement contribué à rendre visible la déqualification

professionnelle des migrants déqualifiés en Suisse. Les bénéfices du mentorat ont été significatifs pour 76% des participants en termes d’accès à l’emploi. Un quart des démarches de mentorat a débouché sur des emplois qualifiés. Les mentors, de même que leurs proches ou leurs réseaux, ont pu être sensibilisés aux difficultés rencontrées par ce public. Ils ont participé concrètement au processus d’intégration et ont aimé pouvoir se rendre utiles. Bien que fort apprécié de tous, le projet MEM a constamment peiné à trouver des financements. « L’explication vient peutêtre du fait que deux tiers des mentés MEM sont des personnes qui n’occa-

sionnent aucun coût à la société. En effet, elles arrivent généralement en Suisse dans le cadre d’un mariage et occupent souvent des emplois non qualifiés, parfois précaires, sans lien avec leurs compétences ou ont des conjoints qui subviennent à leurs besoins », explique Anne-Claude Gerber qui a lancé et géré le projet. MosaïQ en tant que passerelle La déqualification des personnes migrantes reste un thème prioritaire pour l’EPER. Le Secrétariat romand va poursuivre ses prestations dans ce domaine dans le cadre de son projet « Passerelle migrant-e-s vers l’emploi – PME-MosaiQ ». Ainsi, l’EPER proposera un coaching personnalisé à des personnes migrantes à la recherche d’un emploi et une aide à la reconnaissance d’acquis et de diplômes. Cette mesure sera financée par le Service de l’emploi et le Service de prévoyance et d’aide sociale du canton de Vaud. Sur le plan de la sensibilisation, l’EPER poursuit son travail pour l’égalité des chances, afin de porter dans l’espace public la problématique de la déqualification des personnes immigrées.

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INTÉGRATION PROFESSIONNELLE

« J’AVAIS BESOIN DE RETROUVER CE QUE J’AVAIS PERDU. »

Eugenia a quitté son Pérou natal pour offrir un avenir meilleur à sa famille. D’abord en Espagne, puis à Genève, elle est repartie de zéro. Alors qu’elle était sur le point de sombrer, elle est entrée en contact avec l’EPER qui lui a permis d’entrevoir d’autres perspectives et de les concrétiser. Témoignage.

Texte : Joëlle Herren Laufer Photo : EPER/Laurent Kobi

J’ai grandi au Pérou où j’ai eu deux enfants. J’étais professeure de maths et je peinais à joindre les deux bouts. A un moment donné, j’ai suivi mon mari en Espagne, d’abord sans les enfants. Mon projet était de réunir suffisamment d’argent pour acheter une maison où je pourrais loger mes enfants et mes parents. Peu m’importait de travailler au Mc Donald ou dans un pressing industriel, ou n’importe où. Après un temps, j’ai créé une entreprise de transfert d’argent pour les migrants, tout en soutenant l’entreprise de construction de mon mari. C’était ma vie de travailler tout le temps, toute la journée et même le soir. J’ai recommencé en bas de l’échelle Mais en 2008, c’est la crise en Espagne. Tous les migrants perdent leur emploi et n’ont plus d’argent à envoyer. Mon commerce s’est effondré, et mon mari a fait faillite, nous plongeant dans les dettes. La panique et la peur se sont emparées de nous au moment où je perdais mon père. Nous avons empaqueté le peu qui nous restait, pris nos deux enfants de 12 et 16 ans et sommes montés dans notre petite tolédo en direction de Genève. Je ne parlais pas français. Ma vie n’avait plus de sens. J’ai recommencé en bas de l’échelle, à faire des petits boulots de nettoyage

pour des hôtels ou des particuliers. Mais ça ne suffisait pas pour payer les frais. Je suis tombée malade. J’ai obtenu un travail chez une particulière. Avec la patronne, impossible de parler d’égale à égale. Je n’étais là que pour travailler. Cela a accru ma dépression. Une grande solitude Un jour, j’ai vu une affiche du Mentorat Emploi Migration (MEM) qui parlait de déqualification. Ça m’a parlé. J’avais besoin de retrouver quelque chose en moi que j’avais totalement perdu. Lors de notre premier entretien, Shirine Dahan, responsable du MEM à Genève, a été la première personne avec qui j’ai pu partager mes sentiments de manière horizontale. Puis le temps a passé. Je me sentais complètement seule. J’avais en plus développé une allergie aux produits de nettoyage, qui me donnaient la migraine. Un jour, Shirine m’a rappelée et proposé une rencontre avec une mentore qui est doyenne à l’école sociale. Elle a entrepris de faire reconnaître mon diplôme de professeur à Berne. Mais il me fallait un bon niveau de français. J’étais très motivée et j’étudiais dès que j’avais une minute, en autodidacte. J’ai obtenu le Delf B2. Mais cela ne suffisait pas, il me fallait le C2. C’était

lourd avec mon travail et des problèmes familiaux. J’ai perdu mon travail chez la dame et suis retombée en dépression. Je me suis isolée. Ma mentore m’a arrachée de mes profondeurs Un jour, ma mentore m’a appelée pour prendre de mes nouvelles. Elle m’a aidée à faire mon CV et m’a proposé de donner une heure de cours à des jeunes de l’Ecole de culture générale. C’était comme si elle m’avait arrachée de mes profondeurs, comme une respiration vers le haut. J’ai été voir le bureau du chômage, où l’on m’a dit que je n’avais aucune formation, que j’étais trop âgée pour en démarrer une. Et là, il faut dire oui, merci, et sortir. Le mentorat, un tremplin Grâce au soutien de l’EPER et de ma mentore, j’ai eu le courage de m’imposer au chômage en intégrant un stage d’aidesoignante avec des cours théoriques. Ma mentore m’a beaucoup encouragée. J’ai réussi les examens et surmonté ma timidité pour demander un poste à ma cheffe de stage. J’ai obtenu un 50% la semaine

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Eugenia

« Le travail est inhérent à la personne humaine. Une personne sans travail est condamnée à la souffrance. Et pas seulement elle, mais tout son entourage. » d’après. Vous ne vous imaginez même pas à quel point c’est important. Le travail est inhérent à la personne. Quand on est sans travail, une partie essentielle de la personne est morte et des problèmes en découlent sur les plans physique, moral et familial. Et moi, j’avais honte d’appeler ma mentore parce que je n’avais pas réussi mon C2. Ce projet m’a permis de regarder plus loin, de lever les yeux. Dans mon nouveau travail, je peux m’arrêter un petit moment et prendre un café sans subir de reproches. C’est normal mais ça n’était pas possible dans mes précédents postes. Je ne regrette aucun travail que j’ai fait. Je les ai faits avec tout mon cœur. Mais une personne sans travail est condamnée à la souffrance. Et pas seulement elle, mais tout son entourage.

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Juste un chiffre dans une statistique Je suis juste un chiffre dans une statistique. J’ai échoué à trouver un poste dans l’éducation car mon niveau de français n’était pas suffisant. Mais j’ai parcouru du chemin et ce C2, je l’aurai ! Je suis très reconnaissante de l’aide que j’ai reçue. La rencontre de ma mentor a été vitale pour moi. Ce projet m’a portée. Je fonctionne avec la philosophie de tout donner. Mon père n’avait pas d’argent. Il n’est pas allé à l’école. Comme moi, il a fait toutes sortes de jobs. J’étais sa fille unique et il m’a payé toute ma formation, jusqu’à l’école supérieure. Il a fait beaucoup de sacrifices. Tout était pour moi. Je fais la même chose pour mes enfants. J’ai essayé de les préserver de cette situation. Je n’ai jamais demandé l’aide sociale à Genève.

J’ai encore ma mère à charge au Pérou. Je peux aujourd’hui la soigner mieux que mon père, qui est mort loin de moi en attendant mon retour. Ma fille est en troisième année de droit et mon fils démarre sa première année de médecine.

DONNER SA CHANCE ÇA PEUT TOUT CHANGER Le thème de la déqualification professionnelle vous intéresse ? Vidéos, témoignages, conseils sur : www.donnez-une-chance.ch

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L’INVITÉ : CLAUDIO BOLZMAN

« ON CONFOND SOUVENT UNIFORMITÉ ET ÉGALITÉ DE TRAITEMENT » Interview : Joëlle Herren Laufer Photo : Hugues Siegenthaler © PRN LIVES

Pourquoi les personnes migrantes sontelles confrontées à plus d’obstacles sur le marché du travail en Suisse ? C’est complexe. Pour les personnes migrantes qui arrivent en Suisse avec un contrat de travail, l’intégration se passe en général très bien car leurs compétences sont d’emblée reconnues. Mais pour les personnes venant par le biais de l’asile, du regroupement familial ou des études, leurs qualifications et diplômes sont difficilement reconnus, sans compter les difficultés linguistiques, l’absence de réseau social ou les préjugés. Les employeurs ne veulent pas prendre de risques et les institutions sociales raisonnent souvent à court terme, en préférant une intégration rapide via un poste déqualifié. Mais être déqua-

lifié rend malheureux et peut être source de problèmes de santé ou de dépression, ce qui a un grand coût pour la collectivité. Quelle est l’utilité de la validation des acquis ou de formations qualifiantes ? Ces démarches sont centrales ! Les recherches montrent que les personnes qui n’ont pas tous les atouts requis pour un poste doivent fournir des efforts d’adaptation pour pouvoir s’insérer durablement. Le chômage et l’assistance raisonnent à trop court terme en croyant qu’une formation de six mois suffit à faire la différence. Si en plus la personne doit nourrir une famille, alors elle ne peut pas se lancer dans une formation plus longue. Mais une personne qui travaille trop longtemps

dans un poste déqualifié voit son capital humain se dégrader et peine à retrouver ses compétences initiales. On peut véritablement parler d’un gaspillage de ressources pour les personnes et la société, surtout quand on sait qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre qualifiée en Suisse. Il semblerait que la Suisse soit confrontée à un nombre croissant de migrants vieillissants qui ne repartent pas dans leur pays d’origine. Comment expliquer ce phénomène ? Beaucoup de migrants quittent leur pays avec des objectifs en tête en pensant que ce sera temporaire et qu’ils reviendront sitôt qu’ils les auront accomplis. Mais des études montrent que la plupart du

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temps, ils n’arrivent pas à les atteindre à court terme. De nouveaux facteurs interviennent, comme le fait de fonder une famille. Plus le temps passe, plus il est difficile de retourner au pays. Sans compter que ces personnes préfèrent rester près de leurs enfants et petits-enfants. Elles sont par ailleurs devenues un peu étrangères à leur société d’origine même si parfois elles ne se sentent pas bien intégrées ici. Quelles sont les implications sur la politique sociale ? On a longtemps eu en Suisse l’image de la personne âgée sédentaire qui a toujours vécu ici et qui connaît bien le système. Mais il faut savoir qu’outre les migrants, la population suisse connaît elle aussi des trajectoires diversifiées : les familles recomposées de même que l’allongement de la vie pour des populations atteintes de VIH par exemple modifient le paysage. Les migrants âgés font partie aussi de cette diversification. Dès lors, l’information doit tenir compte de ces trajectoires particulières. De même, les prestations doivent prendre en compte les carrières discontinues en raison du travail dans différents pays ou du travail non déclaré, même si dans les faits certains ont travaillé nuit et jour. Le système suisse est extrêmement complexe. Ainsi, les prestations complémentaires, comme les soins dentaires ou le remboursement de lunettes, ne sont souvent pas demandées car pas connues. On pense qu’il suffit de traduire l’information en plusieurs langues. Mais c’est insuffisant pour des personnes peu scolarisées. Il faudrait avoir recours à d’autres types d’informations privilégiant l’oral, via la famille ou la communauté. Quels sont les enjeux pour ces migrants âgés ? Le premier enjeu est de se sentir chez soi quelque part. Ce n’est pas seulement important pour eux, mais aussi pour leur famille de pouvoir être fier de leurs origines et de leurs trajectoires. Il y a aussi la question de la reconnaissance. C’est

important de pouvoir faire partie des gens qui comptent dans une société. Leur parole est importante et doit être entendue. L’autoroute Lausanne-Genève a en grande partie été construite par ces migrants ! Il nous manque un musée de la migration, comme à Paris, pour témoigner de l’apport des migrants dans notre société. C’est particulièrement vrai en Suisse où 25% de la population est étrangère et près de 40% des Suisses ont une mère ou un père étranger. Pourquoi faut-il investir de l’énergie à mieux informer ce public ? Chaque individu doit pouvoir être informé des possibilités qui existent sans avoir l’impression de quémander. Cela fait partie des droits de base d’une société démocratique et cela contribue à la cohésion sociale. Au niveau économique, prendre le temps d’orienter correctement une personne coûte moins cher à la collectivité sur la durée en termes de santé et de prestations sociales. Les mauvaises orientations à des moments clés de la vie conduisent à des culs-de-sac et entraînent chômage, dépression ou burn-out. Une bonne information évite aussi que des personnes sollicitent toutes sortes de services de manière inadéquate, comme d’engorger les urgences des hôpitaux pour un petit bobo au lieu de consulter le médecin traitant, faute de savoir à qui s’adresser. On confond souvent uniformité et égalité de traitement. En uniformisant le traitement, on risque la discrimination, cela crée une barrière additionnelle pour l’accès aux prestations. Ce qui est important, c’est l’accès pour tous, peu importent les modalités. De votre point de vue, quel est le rôle des ONG dans l’intégration des migrants ? Les ONG ont un rôle important à jouer, pour compléter les carences de l’Etat social ; les services publics n’ont pas toujours les ressources pour répondre de manière adéquate à tous les publics. Les ONG ont

plus de souplesse pour s’adresser à des publics ciblés. Elles peuvent jouer le rôle de médiateur et mobilisent l’énergie de bénévoles qui veulent servir la communauté de manière utile et pertinente. Elles ont aussi un rôle de lanceur d’alerte pour sensibiliser à de nouvelles problématiques qui émergent et tenter de faire pression. Le travail de l’EPER auprès des migrants de 55 ans et plus avec Age et Migration est-il pertinent? C’est un travail riche et important car il touche les personnes âgées migrantes parmi les plus précaires, les moins considérées et reconnues, qui ne savent pas à quelles prestations elles ont droit. L’EPER leur propose un espace de rencontre et de sociabilité avec des activités adaptées et une information ciblée qui leur permet de prendre confiance.

Le sociologue Claudio Bolzman est professeur à la Haute école de travail social de Genève et co-fondateur du groupe Intermigra (Interculturel-migration-racisme). Il enseigne la « sociologie des migrations et des relations interculturelles » à l’Université de Genève, collabore avec plusieurs associations et est l’auteur de nombreuses recherches et publications sur ces thématiques.

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SANS-PAPIERS

« AVOIR UN PAPIER, ÇA CHANGE TOUT POUR MOI ! » L’opération Papyrus opère un changement de paradigme pour les sans-papiers à Genève ; ils peuvent enfin apparaître au grand jour s’ils remplissent les critères posés par le Conseil d’Etat. Les Permanences volantes ont ouvert un guichet pour les aider dans leur processus de régularisation. Témoignages. Interview : Joëlle Herren Laufer Photos : EPER/Laurent Kobi

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Maria Elena Ledezma Montaño a quitté sa Bolivie natale en laissant ses quatre garçons de 4 à 10 ans à la garde de sa belle-mère. Alors qu’elle pensait ne rester que trois ans en Suisse, elle est ici depuis 14 ans dans la clandestinité ! Et cette femme de 47 ans n’est pas près de partir : « Je n’ai pas le choix. Comment feraisje autrement pour faire vivre ma famille, financer les études de mes fils et payer les médicaments pour soigner le diabète de ma belle-mère ? » Genève joue le rôle de précurseur C’est par l’un de ses employeurs que Maria Elena a entendu parler pour la première fois de Papyrus, l’opération pilote inédite de régularisation des travailleuses et des travailleurs sans statut légal à Genève et d’assainissement des secteurs touchés par le travail au noir et la sous-enchère salariale. Du jamais vu en Suisse ! « Tous mes employeurs m’encourageaient à entreprendre les démarches de régularisation mais j’avais peur de sortir à la lumière, peur de me faire remarquer. » Pendant toutes ces années, cette femme alignait les ménages déclarés par ses fidèles employeurs à Chèque-service mais vivait la peur au ventre tout du temps tellement elle craignait un renvoi. Grand pas contre l’arbitraire Au lancement de Papyrus, une séance d’information a été organisée le 28 février 2017 au Palladium. « C’était noir de monde, témoigne un participant, il y avait plus de 2000 personnes et comme tous ne pouvaient pas entrer, les syndicats ont aussi fait une information dehors avec des porte-voix sous la pluie ! » Pour les syndicats et les organisations actives auprès des sans-papiers à Genève, l’opération Papyrus correspond à une avancée majeure. « Après 15 ans de lutte – dix pour les Permanences Volantes créées

pour répondre au plus près des besoins de cette population précarisée – Genève fait un grand pas contre l’arbitraire et l’hypocrisie », se réjouit Gaëlle Martinez, responsable des Permanences Volantes de l’EPER. Mais la démarche n’est pas aisée pour tous : « nous rencontrons beaucoup de personnes sous l’emprise de leur employeur et qui ont un devoir de loyauté à leur égard, poursuit Gaëlle. ‹ Ils m’ont beaucoup aidé › est une phrase qui revient souvent, même si ces personnes ont été exploitées pendant des années. On doit mettre en garde sur les effets positifs comme sur les suites plus délicates d’une régularisation, comme le risque de licenciement. » Cinq critères bien précis Pour l’obtention du permis B, les bases légales restent les mêmes qu’autrefois. Ce qui change, c’est que des critères objectifs ont été posés. En résumé, les sans-papiers doivent pouvoir justifier d’un séjour ininterrompu de cinq ans pour les familles avec enfants scolarisés (dix pour les autres), travailler, être indépendant financièrement, avoir un niveau A2 oral en français et ne pas être sous le coup d’une condamnation pénale. La constitution des dossiers prend du temps et n’est pas aisée. Pendant dix ans, ces personnes ont été cachées sans droits, et du jour au lendemain, elles doivent tout dire et même prouver tout ce qui a été tu jusque-là. Une chose qui ne pardonne pas est un départ du pays durant ces années de séjour dont il faut prouver la continuité. Le comptage des cinq ou dix ans de présence risquerait d’être remis à zéro.

Ci-dessus : Gaëlle Martinez. Elle et son équipe des Permanences Volantes de l’EPER ont été très sollicités pour des consultations concernant les régularisations Papyrus. A gauche : Maria Elena Ledezma Montaño dort du sommeil du juste depuis qu’elle a reçu son permis.

Honte d’être au noir Maria Elena a consulté les Permanences Volantes pour constituer son dossier.

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SANS-PAPIERS

Celui-ci a été déposé le 12 juin. Jusqu’au 25 septembre, c’était l’angoisse de l’attente. « Je ne dormais plus, j’étais encore plus stressée qu’avant. Jusqu’au jour où j’ai eu la bonne nouvelle de la bouche de Gaëlle. J’avais peine à y croire ! Après toutes ces années à avoir honte d’être au noir. Avoir un papier, ça change tout pour moi ! Je dors mieux, je peux faire des projets. Maintenant, j’ai des droits. Et je suis plus souriante aussi ! » La famille Ribeiro a aussi fait appel aux Permanences Volantes pour demander un permis. Ce couple de Brésiliens est venu en Suisse en 2004. Grâce à sa sœur déjà installée en Suisse, Andreia a rapidement trouvé des ménages à faire. Pour Emerson, bien que disposant d’une expérience d’électricien automobile, c’était plus difficile. « Sans permis et sans parler le français, j’avais de la peine à me débrouiller. » Les contacts de sa belle-sœur l’ont finalement aidé à trouver un job comme maçon d’abord, puis dans le nettoyage pour une entreprise, un poste qu’il occupe depuis des années. Une capacité d’action incomplète « Le fait de ne pas avoir de papiers ne nous a pas empêché de vivre notre vie de famille – ils ont désormais trois enfants –, de les envoyer à l’école, de leur offrir une vie normale. Personne autour de nous ne sait que nous sommes sans papiers, même les enfants. Mais pour nous qui le savons, c’était un peu plus compliqué. Il y a toujours des petits désagréments qui à la longue fatiguent et affectent. « Même si on a les moyens de faire les choses, on doit demander à d’autres de les réaliser pour nous, c’est frustrant. » Quand l’opération Papyrus a été médiatisée, ils se sont précipités au Palladium. Les rumeurs allaient bon train. Certains

Maria Elena

« Avant, je vivais cachée, je pleurais tout le temps. Avec mon permis, je marche la tête haute. » disaient que c’était un guet-apens pour les expulser. Ils racontaient qu’untel avait été arrêté ou qu’une proche avait déjà reçu son permis, chose impossible car l’opération ne faisait que démarrer ! Emerson était quant à lui plutôt confiant car il avait déjà consulté plusieurs fois le syndicat pour demander une régularisation, jugée prématurée tant que son fils aîné n’était pas au cycle d’orientation. Selon Gaëlle Martinez, la famille Ribeiro est une exception. Il y a beaucoup de gens qui ont peur de se mettre en règle. « Nous avons commencé à faire témoigner des personnes qui ont déjà reçu le permis dans nos séances d’information pour couper court aux rumeurs. D’ailleurs, je ne dépose que des dossiers où je suis sûre à 100%. » La gestion des priorités Gaëlle Martinez a rencontré plusieurs fois la famille Ribeiro afin de réunir tous les papiers. Il ne manquait plus que le test de français oral. Cela aurait pu sembler une formalité pour eux qui le maîtrisent très bien. Mais Andreia, alors au terme de sa grossesse, a tenté de négocier sa date d’accouchement pour ne pas rater son examen de français ! Elle s’est retrouvée à devoir quitter l’hôpital moins de 36 heures après qu’elle a eu son bébé pour obtenir la dernière pièce qui permettrait d’envoyer leur dossier ! Que va changer ce permis ? « Nous sommes déjà bien intégrés. Ça ne va pas changer fondamentalement au niveau du travail ou des enfants. Mais on va enfin pouvoir

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A gauche : Andreia et Emerson Ribeiro, en Suisse depuis 2004, ont réalisé leur régularisation avec l’aide des Permanences Volantes et reçu leur permis en janvier 2018. Ci-dessous : Mariana et Samuel, leurs enfants, ont toujours été à l’école genevoise, bien que sans papiers.

déménager, nous sommes à l’étroit ici ! » s’exclame Andreia. Et Emerson d’ajouter : « Ce qui change vraiment, c’est qu’on va avoir une vraie identité. C’est une liberté morale. On pourra aller où on veut, sans entrave ». Quant à Maria Elena, elle va se chercher un studio car cela fait 13 ans qu’elle vit en colocation. Et puis elle pense aller en Bolivie à Noël, faire la surprise à ses garçons, même si elle a un peu peur, après toutes ces années de séparation, de ne pas savoir quoi leur dire. Suivis post-régularisation Evidemment, il y a aussi d’autres contraintes, comme des frais administratifs suite à la régularisation comme la prise d’une assurance maladie ou de commencer à payer les impôts. « La période de six mois à un an après l’obtention du permis risque de fragiliser leur situation avant que celle-ci ne s’améliore », conclut Gaëlle qui présume que les Permanences Volantes auront encore fort à faire pour informer toutes ces personnes ayant obtenu un nouveau statut.

PAPYRUS ET LES PERMANENCES VOLANTES Les Permanences Volantes de l’EPER sont l’un des six organismes qui offrent des consultations Papyrus hebdomadaires aux personnes sans papiers souhaitant la régularisation. De mai à décembre 2017, elles ont réalisé 450 consultations et une dizaine de séances d’information. 63 dossiers ont été déposés au Canton et les régularisations arrivent au fur et à mesure des demandes. Elles étaient au nombre de 24 au 31 décembre.

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AIDE HUMANITAIRE

DES PROJETS HUMANITAIRES DANS UN ESPRIT DE DÉVELOPPEMENT La multiplication des catastrophes humanitaires et la durée des conflits poussant les civils à l’exil sont une réalité nouvelle qui conduit l’EPER à intensifier ses projets d’urgence. Petit tour d’horizon des enjeux avec Nathalie Praz, responsable des projets humanitaires à l’EPER.

Texte : Joëlle Herren Laufer Photos : Sabine Buri

En écoutant les nouvelles, on a l’impression qu’il y a toujours plus de catastrophes humanitaires. Ces événements se sont-ils multipliés ? Il y a une augmentation des catastrophes humanitaires due au changement climatique. El Ninõ a par exemple une grande influence sur les sécheresses en Afrique. Mais c’est aussi vrai en Europe. L’éboulement de Bondo ou les feux de forêt au Portugal en témoignent. Une nouvelle migration découle du déséquilibre climatique ; la Nouvelle Zélande est le premier pays à avoir introduit la catégorie de « réfugiés climatiques ». Et les guerres qui touchent les civils ? Au niveau des conflits, difficile de dire s’ils sont en augmentation mais ils ont tendance à durer. Un Etat fragile comme le Soudan du Sud qui a eu son indépendance en 2011 peine à s’en sortir, et reste englué dans son conflit. Au Moyen-Orient, le conflit est ouvert et commence à dater. De la Syrie, il s’est étendu à l’Irak et au Yémen et on ne voit pas de solution à l’horizon. Il en découle une migration qui se déplace en fonction des lignes de front. Au Kurdistan, il y a beaucoup de « returnees », des réfugiés ou des déplacés qui rentrent chez eux.

L’EPER est plutôt spécialisée dans la coopération au développement. Quelle est son expérience en matière d’aide humanitaire ? A sa création déjà, celle qui s’appelait « l’Entraide protestante des Eglises en ruine » avait pour vocation de fournir une réponse humanitaire à la misère causée par la deuxième guerre mondiale. Ce n’est donc pas nouveau ! L’EPER s’est par la suite spécialisée dans l’aide au développement, mais a de tout temps géré des projets humanitaires comme au Sri Lanka et en Indonésie suite au Tsunami ou en Haïti suite au tremblement de terre et maintenant au Liban, pour ne citer que les plus grosses opérations récentes. Quel est son savoir-faire et qu’a-t-elle à apporter au niveau humanitaire ? L’EPER conçoit les projets d’aide humanitaire dans un esprit de développement. Elle lie la réponse humanitaire à de la réhabilitation et à des projets de plus long terme. Nous ne sommes pas une ONG pompier qui reste sur place juste le temps de la catastrophe. Lors du passage de l’ouragan Matthew en Haïti, nous étions la première ONG à pouvoir répondre du côté de Jérémie, très enclavée, car nous étions sur place. Dès le lendemain de la catastrophe, nous avons commencé à dé-

blayer les arbres avec la population. Après, l’aide purement humanitaire a évolué et nous avons entre autres travaillé sur la résilience. En quoi consiste la résilience ? C’est une approche que nous utilisons dans tous les projets humanitaires pour mieux préparer les plus vulnérables à se prémunir contre de futures catastrophes. En Haïti par exemple, au moment de replanter après Matthew, impossible de trouver des semences, excepté celles importées de l’extérieur. L’EPER lance donc un projet pour soutenir les semenciers locaux afin qu’ils puissent constituer des stocks de graines qui ne seront pas affectés par de futures catastrophes. Comment l’EPER décide-t-elle d’intervenir ou pas lors de catastrophes humanitaires ? Nous donnons la priorité aux pays où nous sommes déjà présents ou à ceux où nous avons travaillé dans le passé, car nous œuvrons principalement avec des partenaires locaux qui vont pouvoir mieux cerner les besoins des populations en détresse et sélectionner les personnes les plus démunies pour bénéficier de notre aide.

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Pour l’aide humanitaire, l’EPER travaille-t-elle toujours en partenariat avec des organisations locales ? C’est notre mode de travail préféré. Mais ce n’est pas toujours possible. Aux Philippines, nous avons travaillé directement avec des entrepreneurs pour la reconstruction et en Haïti, il est difficile de trouver des partenaires. Lors d’interventions dues à des conflits, nous travaillons beaucoup sur la transformation des conflits. C’est notre stratégie au Moyen-Orient où nous prônons l’inclusion sociale pour éviter les conflits entre communautés. Dans ces caslà, le travail avec des organisations locales est primordial. L’EPER envoie-t-elle des expatriés pour gérer l’aide humanitaire ? Nous avons généralement un directeur du pays pour superviser tous les projets, humanitaires compris. Mais nous envoyons des expatriés à partir d’une certaine complexité et quand le budget dépasse le million de francs. La composante expatriée peut aussi être intéressante en cas de conflit qui nécessite la présence d’une personne neutre pour gérer le bureau. C’est le cas au Soudan du Sud. L’EPER a actuellement des programmes d’aide humanitaire dans neuf pays. Y a-t-il une volonté d’intensifier l’aide humanitaire ? Comme les désastres humanitaires se multiplient, que les conflits durent et qu’il n’y a jamais eu autant de réfugiés et de déplacés dans le monde, l’EPER se doit, au nom de sa mission, d’intervenir. Notre stratégie prévoit donc une augmentation du budget humanitaire. Avec l’évolution du secteur humanitaire dans le monde, il devient de plus en plus difficile pour une petite ONG d’avoir un impact sans faire des alliances. C’est la raison pour laquelle nous développons notre activité dans le cadre du réseau Act Alliance où des consortiums sont constitués dans différentes régions. Chaque ONG y apporte sa valeur ajoutée et cela permet de toucher de plus gros bailleurs de fonds.

Une fois que la première période d’urgence est passée, l’EPER plie-t-elle bagage ou reste-t-elle active ? Après la phase de réhabilitation, il faut s’attaquer à la relance économique en redonnant des moyens d’existence et en reconstruisant des habitations détruites. C’est le cas des projets « cash for work » en Irak. Il y a régulièrement des critiques sur le business humanitaire. Cette question préoccupe-t-elle l’EPER ? Que fait-elle pour ne pas prétériter le pays dans lequel elle travaille ? Nous travaillons principalement dans des pays que nous connaissons. L’aide humanitaire est intégrée aux projets de développement et les collaborateurs de nos ONG partenaires sont régulièrement formés. Tous nos projets tiennent compte de la réalité locale ; les groupes décisionnaires sont consultés. Nous essayons, dans la mesure du possible, d’engager du personnel local et de nous approvisionner sur place pour éviter de créer un système parallèle et indépendant du gouvernement. Nous sommes très soucieux de ne pas créer des effets négatifs indirects.

Quand il y a une crise, le fait d’avoir une concentration d’organisations est-il problématique ? Non, au contraire, car les besoins sont énormes. Si l’aide était mal coordonnée lors du tsunami, il y a désormais des cellules par pôle d’action, tels que la nourriture, l’accès à l’eau ou l’éducation. Les questions de qui fait quoi, quand et comment y sont discutées pour éviter le double emploi. Mais il est vrai que des actions spontanées, comme celles des youtubeurs que l’on a pu récemment voir en Somalie, risquent de remettre en cause cette coordination. L’EPER pourrait-elle conduire des projets humanitaires sans la Chaîne du Bonheur ? La Chaîne du Bonheur nous facilite beaucoup la tâche en médiatisant les catastrophes et en nous amenant de gros financements. Mais il y a aussi des crises oubliées du grand public, comme les inondations récurrentes au Bangladesh, où une autre source de financement est souhaitable.

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AIDE HUMANITAIRE

PANORAMA DES AIDES HUMANITAIRES DE L’EPER PÉRIODE DU 1.2017 AU 1.2018

LIBAN Liban-Italie

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BÉNÉFICIAIRES

0,4 MIO

BUDGET (CHF)

ACTIVITÉS

Etat au 20.1.2018

SOUTIEN À «MEDITERRANEAN HOPE» DES ÉGLISES ITALIENNES

LIBAN Beyrouth

5400

HAÏTI

BÉNÉFICIAIRES

1,7 MIO

Grand’Anse

BUDGET (CHF)

75 000

BÉNÉFICIAIRES

ACTIVITÉS

1,7 MIO

BUDGET (CHF)

ACTIVITÉS

SOUDAN DU SUD Jubeck, Terekeka, Yei*

85 000

BÉNÉFICIAIRES

2,9 MIO

ACTIVITÉS

BUDGET (CHF)

Approvisionnement en eau, assainissement et promotion de l’hygiène

Abris, habitat et articles non alimentaires

Sécurité alimentaire et nutrition

Protection

Corridor humanitaire: voyage sécurisé

ACTIVITÉS

OUGANDA Camp de Bidibidi

TYPES DE CRISES

21 400 Innondations – destructions des habitations

Ouragan – destructions des habitations

Sécheresse et famine

Réfugiés

BÉNÉFICIAIRES

0,9 MIO

BUDGET (CHF)

ACTIVITÉS

Guerre – personnes déplacées

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SYRIE Alep*

27 000

BÉNÉFICIAIRES

BANGLADESH Thakurgaon*, Dinajpur*, Naogaon*

0,37 MIO

BUDGET (CHF)

18 480

BÉNÉFICIAIRES

ACTIVITÉS

0,22 MIO

BUDGET (CHF)

ACTIVITÉS

IRAK Kurdistan irakien, Dohuk*, Touz*

81 500

BÉNÉFICIAIRES

2,3 MIO

BUDGET (CHF)

ACTIVITÉS

BANGLADESH Camp rohingyas de Jamtoli à Cox’s Bazar

ÉTHIOPIE 13 350

Borena

BÉNÉFICIAIRES

0,23 MIO

20 000

BUDGET (CHF)

BÉNÉFICIAIRES

0,45 MIO

BUDGET (CHF)

ACTIVITÉS

ACTIVITÉS

ZIMBABWE Matobo

38 000

BÉNÉFICIAIRES

0,73 MIO

BUDGET (CHF)

ACTIVITÉS

* Les aides humanitaires dans les lieux avec un astérisque sont terminées

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DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS RURALES

DES SEMENCES ADAPTÉES AU CHANGEMENT CLIMATIQUE La population rurale du sud du Honduras lutte pour avoir accès à des ressources naturelles vitales comme l’eau et la terre. Conséquences du changement climatique, les sécheresses, les parasites et l’épuisement des ressources en eau menacent les récoltes, et donc la sécurité alimentaire.

Texte : Bettina Filacanavo, de retour du Honduras Photos : Sabine Buri

C’est la saison humide dans le sud du Honduras. Le maïs est encore haut dans les champs et de vertes étendues s’offrent au regard. Aussi incroyable que cela paraisse, tout sera brun et desséché dans quelques mois à peine. Le climat est un sujet de discussions permanent parmi les familles paysannes : la pluie bienfaisante va-t-elle continuer de tomber ? Ou va-ton assister à une sécheresse comme en 2014 et 2015 où les petits paysans de la savane hondurienne ont subi jusqu’à 80% de pertes sur leurs récoltes ? La famille de José Francisco Salazar souffre du changement climatique : « Les étés sont chauds et secs, et il ne pleut pas pendant des mois. Il y a aussi les attaques de parasites, qui sont nettement plus fréquentes. » Teresa Elisabeth Murillo, sa femme, d’ajouter : « Nos récoltes suffisent pour quatre mois à peine. » Contre les brevets sur les semences L’EPER travaille depuis plus de 15 ans dans la région du sud. Avec ses partenaires, elle encourage l’agro-écologie, la protection des sols et la diversification de la production. Mais l’approvisionnement en semences adaptées à ces climats secs pose

un problème qui ne fait que s’aggraver, et les semences sous brevet qui se trouvent sur le marché ne sont pas une solution pour ces familles de petits paysans. En apprenant à produire leurs propres semences, les petits paysans évitent la dépendance envers des multinationales telles que Monsanto. Les organisations partenaires de l’EPER, Programa de Reconstrucción Rural (PRR) et Asociación Nacional para el fomento de la agricultura ecológica (ANAFAE), se sont spécialisées dans les semences. Dans le nord du Honduras, dans la région du Lago de Yojoa, PRR a accumulé une expérience considérable dans la sélection et la reproduction de semences traditionnelles. Un programme de production a été mis sur pied sur un mode participatif, en collaboration avec les familles paysannes. Des groupes de paysans, appelés les CIAL (pour Comité de Investigación Agrícola Local) expérimentent en plein champ avec des semences et des techniques visant à identifier et à conserver les semences indigènes. Le but de ce projet est d’améliorer la vie quotidienne de 2000 familles paysannes en les aidant à produire des graines

LEX MONSANTO Les semences qui ne sont pas directement utilisées par les bénéficiaires de l’EPER pourraient être vendues sur le marché. La demande existe et le marché local s’y prêterait. Mais les multinationales ont réalisé un travail de persuasion efficace en imposant dans la plupart des pays latino-américains des lois qui interdisent de vendre ses propres semences, et même de les échanger ou de les donner gratuitement. Ces lois s’appuient sur le système de protection des obtentions végétales (UPOV), une organisation interétatique qui a son siège à Genève. L’accord à

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LE LOBBY REDOUTABLE DES MULTINATIONALES la base de ce dispositif, surnommé aussi « lex Monsanto », protège uniquement les intérêts commerciaux des multinationales. En 2005, la lex Monsanto a été inscrite comme condition de l’accord de libre échange passé entre les Etats d’Amérique centrale, la République dominicaine et les Etats-Unis d’Amérique. Or, les dispositions de la lex Monsanto sont en conflit avec celles de l’accord international sur les semences de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO), qui garantissent aux paysans le libre accès aux semences traditionnelles. Dans des pays

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comme le Chili et le Guatemala, la résistance paysanne a poussé les gouvernements à rejeter la lex Monsanto. Au Honduras, des organisations telles qu’ANAFAE et PRR luttent depuis plusieurs années pour que cette loi soit au moins assouplie par une réglementation d’exception sur les semences locales. Récemment, un moratoire a été obtenu au Honduras sous la pression des paysans, mais l’issue de ce combat de David contre Goliath reste incertaine. L’EPER apporte son soutien à ces démarches fondamentales qui visent à influer sur le processus législatif.

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DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS RURALES

En haut à gauche : José Francisco de Salazar et sa famille En bas à gauche : Au sud du département de Francisco Morazán, les collines et les hautes vallées du Honduras oscillent entre 300 et 900 mètres d’altitude. En bas à droite : Les deux femmes produisent du pesticide organique contre les ravageurs et le versent dans une pompe à main facile à porter.

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adaptées aux conditions locales et à les vendre sur le marché. Au final, c’est toute la région qui en profite. Maynor Pavòn est chargé de projet pour l’organisation PRR. « Nous sommes parvenus à produire plus de 60 variétés de graines de haricots et 45 variétés de maïs, ainsi que des semences de riz et de soja, toutes indigènes ; nous avons en outre amélioré le stockage des semences. » Le matériel génétique qui nourrira les générations futures est donc protégé, même en cas de sécheresses extrêmes et de pertes de récoltes. Aujourd’hui, il faut étendre le programme au sud du pays. « Nous avons constaté que les paysans du sud ne disposaient pas de semences indigènes – soit parce qu’elles ont été perdues, soit à cause de problèmes de conservation. Nous avons donc apporté des semences de maïs et de haricots qui sont cultivées au nord. Nous travaillons actuellement avec les familles paysannes afin d’observer quelles variétés auraient le meilleur rendement selon les régions.

Le maïs de Canton Suyapa Le soleil darde ses rayons sur les paysannes et les paysans de CIAL Suyapa, réunis sur un immense champ de maïs. Trois variétés de maïs ont été semées en rangées distantes d’un demi-mètre. Les plants sont déjà très hauts, les épis sont de belle taille et laissent présager une bonne récolte. CIAL Suyapa utilise une méthode de sélection anonymisée : sans connaître le nom des variétés, chaque cultivateur participant au projet reçoit un questionnaire standardisé et donne des indications sur la croissance, le rendement, la résistance à la chaleur, les maladies survenues, la conservation, etc. Après la récolte, les membres du groupe se mettent aux fourneaux pour les tests de dégustation. Les résultats sont anonymisés et transmis pour évaluation à PRR. Plus le nombre d’agriculteurs est important, plus les résultats sont pertinents. La méthode a l’avantage d’être simple, et les essais permettent de sélectionner et de tester une variété en quatre à six ans pour ensuite la distribuer plus largement. Tous les matins, Rodimiro Reyes part travailler dans les champs à 6 heures. Il en revient à 13 heures, à cause de la chaleur. S’il a beaucoup à faire, il y retourne en fin d’après-midi. « C’est un travail pénible, nous travaillons à la machette et à la bêche, ce sont nos seuls outils. » Sa femme et lui cultivent leur terre de façon agro-écologique, en jouant sur les bonnes associations : les haricots tout en bas, de sorte à couvrir le sol, ensuite le maïs, un peu plus haut, puis les bananiers qui dispensent une ombre protectrice. Cet agencement agroforestier est idéal pour le microclimat de la région : il préserve l’humidité et les nutriments contenus dans le sol. La famille de Rodimiro est très contente des nouvelles variétés. Les haricots ont bien pris, la récolte sera bonne.

APPAUVRISSEMENT DE LA BIODIVERSITÉ L’être humain a cultivé 7000 espèces de plantes sur terre à travers l’histoire. 120 espèces sont utilisées en agriculture. 30 espèces fournissent 95% de l’alimentation

MARCHÉ ACCAPARÉ PAR LES MULTINATIONALES Plus de 50% du marché des semences est détenu par 3 entreprises : Monsanto, DuPont, Syngenta.

LA SUISSE AUSSI DÉPENDANTE Seules 5 à 10% des semences de blé sont produites par des paysans suisses.

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ACTUEL

NOUVELLE STRATÉGIE

COEURS EN CHOCOLAT :

2018-2022 DE L’EPER

MIGROS FOND POUR L’EPER

La devise « Petits moyens, grands effets » continue de caractériser l’action de l’EPER pour les quatre prochaines années.

Cette année à nouveau, les cœurs en chocolat vendus par la Migros ont fait recette ! Un montant de CHF 2,245 millions a été récolté auprès des clients, auquel la Migros a ajouté un million de francs, pour arriver à un total de CHF 3,245 millions. Cinq œuvres d’entraide en bénéficient, dont l’EPER. Elle attribuera les CHF 649 000 reçus à ses projets suisses pour des personnes socialement isolées, notamment des chômeurs de longue durée qui souhaitent réintégrer le marché du travail et des structures de jour pour femmes réfugiées et leurs familles.

Refuge – droit – perspectives d’avenir En Suisse, l’EPER joint ses forces à d’autres pour rallier un large public à plus de solidarité envers les personnes réfugiées. Elle développe des projets de défense juridique et d’intégration, ainsi que de nouveaux projets de transmission de savoir en faveur de personnes relevant de l’asile. Terre – vie – perspectives d’avenir A l’étranger, l’EPER entend développer substantiellement ses activités dans le domaine de l’accès à la terre dans le cadre de nouveaux mandats internationaux. Elle vise aussi à intensifier ses aides d’urgence rapides et orientées vers les besoins lors de catastrophes naturelles ou de conflits armés, en travaillant avant tout sur la prévention des catastrophes et la résilience des populations menacées.

Le chèque a été remis en présence du directeur de l’EPER, Peter Merz (2e à droite) et les anciens conseillers fédéraux Eveline Widmer-Schlumpf et Samuel Schmid, respectivement présidents de Pro Senectute et du Secours d’hiver. Merci à la Migros et à sa généreuse clientèle !

Stratégie téléchargeable sur : www.eper.ch/strategie

ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE Secrétariat romand Chemin de Bérée 4A Case postale 536 1001 Lausanne

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Tél. +41 21 613 40 70 info@eper.ch www.eper.ch CP 10-1390-5

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