EPFL CDH - Apéro-philo "Comment agir au mieux pour soi et pour les autres?" - Pour aller plus loin

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SANDRA LAUGIER : Professeure de philosophie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, travaille sur la philosophie du langage, la philosophie morale et la philosophie politique. Traductrice des philosophes américains R.W. Emerson et S. Cavell, elle a contribué à faire connaître la philosophie de l’éthique ordinaire, l’éthique du care et le perfectionnisme moral. Elle est autrice et co-autrice d’une trentaine d’ouvrages dont La société des vulnérables (Gallimard 2020) La voix et la vertu : variétés du perfectionnisme moral, Paris (PUF, 2010), Pourquoi désobéir en démocratie ? (La découverte, 2010) ou encore Nos vies en séries (Flammarion, Climats, 2019) dans lequel cette fan de séries télévisées révèle la force philosophique et morale de cette culture populaire.


NORMATIVITÉ

« Une société humaine ne fonctionne pas sans un minimum de normativité. Or, nos sociétés aujourd’hui se préoccupent de notions abstraites autour de questions économiques et non de questions essentielles. Comment cette question de normativité a-t-elle disparu des discours politiques et comment faire pour la remettre ? » Sascha Nick

« Il est faux que la normativité soit désormais absente. Au contraire, elle est l’obsession des programmes politiques tout particulièrement ceux qui ont fait des valeurs économiques une norme de réussite, ou alors ceux qui veulent imposer des règles de bon comportement. Le discours politique (en France notamment) est empreint d’autosatisfaction morale et de normativisme. L’enjeu n’est pas de réintroduire la normativité mais bien plutôt d’interroger les normes et de produire un partage de leur élaboration, par exemple d’inclure dans leur définition toutes les personnes concernées ». Sandra Laugier

« De l’Antiquité au christianisme, on passe d’une morale qui était essentiellement recherche d’une éthique personnelle à une morale comme obéissance à un système de règles. Et si je me suis intéressé à l’Antiquité, c’est que, pour toute une série de raisons, l’idée d’une morale comme obéissance à un code de règles, est en train, maintenant, de disparaître, a déjà disparu. Et à cette absence de morale, répond, doit répondre, une recherche qui est celle d’une esthétique de l’existence. » extrait d’un entretien avec Michel Foucault, en 1984.

WWW À LIRE Faire de sa vie une œuvre d’art. La nouvelle morale selon Michel Foucault


YODA

« Pour vivre et avancer dans le sens du mieux il est essentiel d’avoir des modèles qui nous inspirent. Où les trouver ? Autour de nous mais aussi dans la culture populaire. Stanley Cavell insistait sur la valeur du cinéma, en son temps, pour notre éducation morale. Aujourd’hui, les séries peuvent également tenir cette fonction, car elles nous donnent à voir et à côtoyer, durant de longues heures voire parfois des années, des trajectoires d’individus très différentes de la nôtre, des univers qui nous sont étrangers, ouvrent notre horizon et mettent à l’épreuve nos certitudes morales. » Sandra Laugier

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LES NORMES

« La question du bien et du mal n’estelle pas un peu superficielle ? La morale n’est-elle pas un moyen, pour les « êtres faibles », de se mettre à l’abri des « forts », comme le dit Nietzsche ? Je me sens fatigué par ces questions et ressens parfois une certaine lassitude à devoir être « quelqu’un de bien »... N’est-ce pas la société qui nous pousse à être « des gens bien », parce que ça l’arrange ? » Thibault

« Le moralisme de gens qui sont convaincus d’être du bon côté est insupportable, vous avez raison ! Mais la vraie morale ce n’est pas le moralisme, c’est au contraire toujours se demander si on fait ce qu’il faut ou si on a fait au mieux, comme par exemple les témoins de la mort de George Floyd qui se sentaient coupables de n’avoir pas bougé alors que de toute façon c’était impossible. La vraie morale est dans la vie ordinaire. » Sandra Laugier

WWW À LIRE Henry-David Thoreau, La désobéissance civile

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PEUT-ON COMPTER SUR SOI ET COMMENT ? Sur ce thème, lire le philosophe américain Ralph Waldo Emerson, pionnier du perfectionnisme

LA MORALE

« La morale est une question individuelle, oui c’est vrai, mais nous ne vivons pas seulement individuellement, nous sommes entourés de politiques, de sociétés, d’entreprises et sommes confrontés avec le vrai vivant. Ces institutions, la politique et les démocraties influencent forcément notre vision de la morale. Vit-on dans une société aliénée ou non ? surtout face aux questions morales ? » Belarmino « Comment faire société, si chacun est amené à suivre son sens moral ? » Anne Laure

et Walden

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À LIRE Nos vies en séries, de Sandra Laugier

À VOIR Sandra Laugier, Le nouvel âge de la désobéissance

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« Mais c’est en suivant chacun son sens moral précisément qu’on peut faire société, car une société est aussi une société où chacun peut se faire entendre. Vivre en société ce n’est pas être en accord avec les autres car cela s’appelle le conformisme... C’est aussi suivre son sens moral. Si Martin Luther King avait renoncé à suivre son propre sens moral pour « faire société », il n’y aurait eu aucune progression des droits ». Sandra Laugier


WWW LE MIEUX

« Le mieux c’est quoi ? peut-on toujours faire mieux ? Existe-t-il une limite au mieux ? » Anonyme « Le perfectionnisme moral est un terme qui peut prêter à confusion en français, sonnant comme une forme de prétention presque maladive à accéder à une forme idéaliste de soi qui pré-existerait. Le perfectionnisme moral tel que développé par une tradition de philosophes américains, plus souvent sous le nom de méliorisme, consiste à avoir pour exigence d’aller toujours plus loin, hors de soi. A viser une exemplarité dans ses actes... » Sandra Laugier

À ÉCOUTER Podcast France Culture « Les chemins de la philosophie » : Stanley Cavell nous rend-il meilleurs ?

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À LIRE Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant

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À ÉCOUTER Podcast France Culture « Les chemins de la philosophie » : Sartre, L’être et le néant

ASPIRATION

« Si le méliorisme invite à vouloir toujours faire mieux, comment ne pas sombrer dans la culpabilité lorsqu’on échoue ou peine à avancer dans ce sens ? Je ne suis pas capable de faire mieux, donc je ne vaux rien... ? » Anne Laure « Quand on demande de faire mieux, c’est de devenir meilleur mais ce n’est pas d’atteindre un idéal. Ce n’est pas un exploit, ce peut être seulement changer son regard, faire attention à d’autres personnes, se sentir responsable de ce qui arrive à des personnes à l’autre bout du monde. Il s’agit de responsabilité et certainement pas de culpabilité... laquelle est souvent une complaisance. Chacun peut agir selon sa compétence. » Sandra Laugier

RESPONSABILITÉ

L’homme, étant condamné à être libre, porte le poids du monde entier sur ses épaules : il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d’être. Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant « Est-ce que le fait de chercher à bien agir envers soi-même est une affaire de responsabilité ? Ou est-ce que ce n’est pas toujours la responsabilité envers autrui ? » Anonyme


À LIRE Qu’est-ce que le care ?

WWW L’ALTRUISME

« Quels sont les aspects pratiques de l’altruisme ? comment doser un juste engagement envers les autres tout en prenant soin de soi ? William Esposito

WWW À ÉCOUTER Le care  expliqué par Sandra Laugier

WWW À LIRE sur les « liens faibles »

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« Toute forme d’’altruisme n’est-il pas une forme d’égoïsme caché ? Si je rends un service à quelqu’un, n’est-ce pas parce que j’attends un service en retour ? ou pour me sentir satisfaite de ma bonne action ? » Chiara

LES NON-HUMAINS

« Où se situent les frontières, qu’en est-il des entités non-humaines (animales, vivantes) et artificielles (robots, IA…) ? Peut-on imaginer dans un futur plus ou moins proche, une responsabilité pour autrui, du care, qui s’étende à ces entités non-humaines ? » Johan « Mais nous y sommes déjà ! bien sûr nous sommes responsables de l’environnement comme des animaux que nous mangeons et qui ont été élevés et tués dans ce but. Nous sommes responsables de tout ce qui est lié à notre vie, même de loin, et qui nous permet de vivre et d’avoir notre liberté. On parle aussi des « liens faibles » pour ces liens à distance qui sont de plus en plus essentiels dans notre société. » Sandra Laugier

GÈNE ÉGOÏSTE

« J’ai lu une théorie controversée du « gène égoïste » qui prétend que la capacité à être altruiste serait différente pour chacun d’entre nous, en fonction de facteurs génétiques. Comment se responsabiliser ou responsabiliser les autres vis-à-vis de l’altruisme si la capacité à être altruiste est déterminée par notre environnement ou par des facteurs génétiques ? » Majda « Cette dimension génétique est très discutée chez les scientifiques et elle conduit à des discriminations et, comme vous dites, à des déresponsabilisations. Bien sûr que l’environnement social ou personnel va jouer sur les capacités à se sentir responsable d’autrui, mais aussi tout simplement les réactions humaines « normales » devant la souffrance, qui sont heureusement assez constantes. » Sandra Laugier

WWW À LIRE Philomag, L’altruisme descend-il du singe ?

WWW À LIRE Richard Dawkins, Le gène égoïste


WWW À LIRE Jean de La Fontaine, L’Ours et l’Amateur des jardins

WWW À LIRE Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

Les questions et réflexions proviennent de participants de l’apéro-philo du 31 mars 2021. Les liens ont été choisis par Anne Laure Gannac et Sandra Laugier. https://go.epfl.ch/ apero-philo

ÊTRE QUELQU’UN DE BIEN ?

Nietzsche estime que ce qu’il y de plus immoral serait de contempler son œuvre, ses actes et d’en conclure : « je suis quelqu’un de bien ». « Mais comment éviter d’avoir cette auto-satisfaction après avoir fait quelque chose de bien ? » Majda « Cette satisfaction est un facteur comme un autre, qu’on ne peut négliger ou mépriser dans les actions bonnes. Mais le mot même d’auto-satisfaction devrait vous inquiéter car il suppose une forme de prétention. La morale est par définition inquiète, elle suppose de toujours s’interroger sur tous les effets d’une action. Parfois on est content de soi mais l’action a des conséquences négatives ou est motivée par des pensées égoïstes. L’essentiel en éthique est d’essayer de penser tout le contexte et les effets de ce qu’on fait, cela s’appelle chez Aristote la prudence. Et c’est ce qu’entend La Fontaine à propos de l’ours ! Sandra Laugier

EPFL, Collège des humanités, avril 2021 design : Typorganisme.ch illustrations : Trân Tran


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