Amulette
«La flamme est là, menue et chétive, luttant pour maintenir son être, et le rêveur s’en va rêver ailleurs, perdant son propre être, en rêvant grand, trop grand - en rêvant au monde. La flamme est un monde pour l’homme seul.» Gaston Bachelard - La flamme d’une chandelle
«L’histoire se transmettrait de bouche en bouche, de feu en feu.» Jack London - Construire un feu
«On livre au feu naissant des aliments de plus en plus substantiels : brindilles, bûchettes bûches ou charbon.» André Leroi-Gourhan - L’Homme et la matière
«la couleur des ténèbres à la lueur d’une flamme.» Junichiro Tanizaki - Éloge de l’ombre
«Je l’ai mise dans ma bouche et mastiquée pour la réduire en bouillie. Aucune autre allumette ne serait désormais capable de la reconnaître. Je l’ai craché dans ma main. Elle était là, brisée, anéantie, déjà en décomposition. Parfait ! Magnifique ! Un véritable miracle de la déchéance.» John Fanté - La route de Los Angeles
La petite tige de bois de peuplier est imprégnée de phosphate d’ammonium et son extrémité est recouverte de paraffine. Sur cette extrémité est déposée une pâte constituée à environ 50% de chlorate de potassium (KCIO3), de trisulfure de diantimoine (Sb2S3) et de phosphate d’ammonium (NH4)PO4, le tout lié par une colle
Les allumettes dans ma main, le bois dans les leurs, sont nos premières paroles
Je peux la briser. C’est si facile que j’ai peur. Peur de moi
J’envie l’ampleur que tu peux prendre J’aime que ton corps si frêle puisse causer de si grandes catastrophes Flamme Fatale
Nous sommes toutes là, les unes sur les autres, attendant notre tour. Nous sommes cordiales entre nous, mais le moment venu, c’est la guerre Soudain la pièce tremble. Nous le savons toutes, c’est maintenant. La chambre s’éclaire et nous laisse apercevoir notre dieu, celui qui nous choisit. Alors chacune adopte une technique particulière. Il y a les allumeuses, qui vont jusqu’à hurler « prend moi, frotte moi », je les déteste. Il y a les timides, qui rougissent quand on les regarde. Les tordues, qui jouent de leur bizarrerie Ses immenses doigts s’avancent et saisissent une timide juste à côté de moi. Nous avons beau être respectueuses, chacune lâche à son égard une insulte, une malédiction « je suis sure qu’elle ne saura même pas s’enflammer » Puis le calme revient, suivi par l’espoir et l’attente
Je vois ce bois brulĂŠ, ce bois intact et la zone de mĂŠtamorphose sous la flamme
Tu m’as tant déçu Cette nuit là, sans toi j’ai failli mourir
Allumette ou amulette
Cette allumette a accouché pour moi d’un ami éphémère de feu. Un ami qui s’approche lentement de mes doigts jusqu’à devenir un ennemi et s’apprête à disparaître aussi vite qu’il est né. Je ne veux pas qu’il disparaisse. Sa fragilité l’a rendu précieux et sa précarité l’a rendu désirable
Bulle de lumière dans l’obscurité impénétrable
La chalumière, la luminensce, la prÊseur
Il m’a alors suffit de frotter ce précieux bout de bois souffré pour retrouver la couleur d’une cheminée, la présence d’un tableau et la chaleur d’un ami
Face au néant la colère m’habitait Dans ma faiblesse, je ne contrôlais que cette minuscule allumette J’aurai rêvé être le forgeron qui maitrise son marteau Le dieu qui possède son monde De toute ma rage je la frappe sur sa boite Mais voila qu’elle s’enflamme et me menace de sa chaleur. Résigné, terrorisé je dois la laisser tomber Et du même geste mon courage et mon honneur
Le feu au bout des doigts
Mord moi et je te tue d’un souffle
Dans l’immensitÊ blanche de cette page de neige, cette allumette est une tache d’encre magnifique
L’amadou
souffre au bout du bois au bout des doigts
Raphaël Muller «Amulette» Imprimé en 2019 Réalisé dans le cadre de l’atelier de Recherches et de Création : «Errances» EESAB site de Rennes L’atelier Errances / le blog : http://www.errances.fr/ Errances éditions : http:// www.errances-editions.fr