Ici il est 20 h 11
Retour dans les bois
Méline :
Plus je m’ avançais dans cette forêt de mousses plus mes pieds m’invitaient à des paysages dignes de l’ Écosse. Un chemin caché derrière un village de goudron. Hormis Zélia tout était vert. Sachez que tant que la nature illumine votre esprit, tant que vous êtes éblouie le poids de votre sac s’ allègeras.
Zélia : Je sens le paysage m’ imprégner peu à peu, mes vê-
tements dégoulinent, la boue s' accroche à ma peau. Je fais partie intégrante d' un décors mouvant. J' ai cette impression de redécouvrir quelque chose qui me dépasse,
un apaisement
total
,
fatigué et silencieux que je crois partager avec Méline. Il fait de plus en plus froid, chaque geste est un effort mais le poids des sacs n' est plus un problème, il nous permet de prendre notre temps, nous sommes dans une toute autre temporalité, celle d' une lenteur appliquée. Mon regard embrasse chaque renfoncement de pierres, chaque racines à nos pieds. J' apprécie la porosité que j' entretiens avec ce qui nous entoure et espère que Méline en fasse autant sans oser la questionner..
un apaisement
total
,
Méline :
Il est 15h30. Nous ne devons pas tarder à trouver un lieu où camper. La forêt de mousses est magnifique mais n’offre pas de lieu sur. Tout est trop humide. Rien n’est dégagé. Il faut marcher. Au rythme de nos pas le paysage changera Je ne pense pas que Zélia se rende compte de cela. Le crépuscule arrive dans deux heures, et il nous en faut une pour monter le campement, manger, ranger et aller se coucher.
Il faut suivre le rythme du soleil si nous ne voulons pas que notre corps se refroidisse à chaque rayon qui se couche. Ma tactique : être dans le duvet avant que la nuit tombe. À l’orée de la forêt sacrée Zélia trouva ce morceau de bois, grand de deux mètres, beige et biscornu, il devient notre compagnon de voyage. Je comprenais son choix. Ce bâton aurait quelques choses à dessiner, quelques choses de créatif. Mais long de deux mètres nous devons le porter à deux. Je savais que les désirs de Zélia allaient devenir un obstacle à notre rythme de marche.
Zélia : Nous progressons jusqu’à un lavoir aux airs magiques,
entre deux sentiers nous choisissons d’éviter la source des Salmières pour gagner du temps. Les sentiers sont toujours bordés de pierres blanches, des lianes épaisses et cassantes jonchent ce parcours, nous les attelons à mon sac. J’ai de plus en plus des allures de grande créature-mammouths aux défenses tordues.
Il faut suivre le rythme du soleil
Tout d’ abord le vent me manque, ici il souffle et on le sent. Il est puissant, sauvage, s’ engouffre dans chaque cheveux et redonne de l’ énergie à mes rouages.
Ici il est 20 h 11
nous sommes couchées. nous suivons le rythme du soleil. nous suivons le rythme de la vie.
Je l’ entends encore, le vent chuchoté dans la vallée, ici il règne, les forêts l’ embrassent, pas d’ immeuble pas d’ architecture composant de frontière.
Marie, vie dans une ferme autonome
«
Quand le vieux sera mort c’ est moi qui tuerais si j’ ai faim et qu’ il y a autour de moi des gens qui ont faim, je pourrais tuer pratiquement n’ importe quoi. Peut-être parce que j’ ai travaillé en restauration et on s’ est moqué de moi quand je n’ai osé tuer le homard. Alors on le sort de l’aquarium vivant, il faut lui mettre le couteau là, le couper en deux. Tu le vois qui passe du bleu au rouge. C’est horrible. On me disait : ˝ Tu es cuisinière ou quoi ? ˝ Je suis cuisinière pas assassin. Je n’ ai pas était formé pour ça, du coup j’ ai refusé de tuer le homard.
Je crois que j’ai changé dans ma façon de percevoir la cruauté qui est inacceptable elle fait partie de la vie : si j’ai faim je pourrais le faire.
»
Méline RAFFANEL Imprimé en 2020 Réalisé dans le cadre du cours « vers une édition d’auteur » avec Thierry Moré EESAB – site de Rennes