En dix mots comme en cent Action culturelle et langue française La lettre d’information des dix mots en Rhône-Alpes Nouvelle série n° 6 — Juillet 2015 « En un mot comme en cent... » Expr. Se dit pour reprendre et résumer une affirmation (Dictionnaire de l’Académie)
À la une !... L’édition 2016, c’est parti ! CHAFOUIN • CHAMPAGNÉ • DÉPANNEUR • DRACHER • FADA LUMEROTTE • POUDRERIE • RISTRETTE • TAP-TAP • VIGOUSSE De tout temps, le français s’est enrichi de mots issus d’autres langues avec lesquelles il s’est trouvé en contact. En Rhône-Alpes, l’opération « Dis-moi dix mots » est l’occasion, à travers le jeu des dix mots et la Semaine de la langue française et de la Francophonie, de fêter la poésie et la diversité de la langue, mais aussi d’encourager l’expression de soi, de réveiller votre créativité et d’échanger. Vous aussi, seul ou à plusieurs, jouez avec les « dix mots » ! Pour cela, il suffit d’utiliser un, plusieurs, ou l’ensemble des « dix mots ». La forme des contributions est totalement libre (littéraire, sonore, multimédia...). Vous avez jusqu’au vendredi 12 février 2016 pour envoyer vos participations à : espacepandora@free.fr Votre création sera peut-être sélectionnée par le jury régional et exposée pendant la Semaine de la langue française et de la Francophonie ou publiée dans « En dix mots comme en cent » le journal des dix mots en Rhône-Alpes. • Vous avez des questions autour des dix mots
AU SOMMAIRE À la une ... L’édition 2016 ! Les dix mots vus par... Yves Henri, plasticien Du côté des territoires... Marie-Caroline Janand, DAC de Rumilly Rencontre avec... Fatoumata Keita Niaré, auteure Des projets plein la tête avec... Christine Chalard, St-Cyr-au-Mont-d’Or Bonnes feuilles... par Thierry Renard et Pierre Soletti À vos agendas !
• Vous souhaitez monter un projet autour des dix mots Adressez-vous à l’Espace Pandora ! espacepandora@free.fr
Vous êtes nombreux à rencontrer des difficultés lors de votre inscription sur le site national : dismoidixmots.culture.fr
Alors pour vous faciliter la vie, la DGLFLF a mis en place un tutoriel, que vous pouvez télécharger sur le site internet de l'Espace Pandora, ou directement sur cette page, en cliquant ici !
En dix mots comme en cent... Nouvelle série n° 6 – Juillet 2015 Espace Pandora – Opérateur délégué de l’opération des dix mots en Rhône-Alpes
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Les dix mots vus par... Yves Henri, plasticien
Propos recueillis par Julie Dorille Comment êtes-vous entré dans « l'aventure dix mots » ? Je suis entré dans l'aventure des dix mots par le biais de la Caravane des dix mots, puis de Filigrane, parce que l’accès à la culture et au monde des arts correspond à ma propre démarche : il n'y a pas de hiérarchisation en émotions créatrices. D'où l'importance de partager nos savoirs, nos sensations, nos émotions et nos êtres pour prétendre à un mieux vivre ensemble. Que représentent les dix mots pour vous ? Les dix mots sont le socle commun qui permet, au travers de nos propres interprétations, de nous réunir et peut-être même d’espérer nous comprendre et ne plus céder à un dictât culturel censé détenir la vérité. Parmi les nouveaux dix mots, lequel a votre préférence ? Sans être chafouin (mon préféré du moment), je pense que les dix mots de cette année sont riches en pouvoirs évocateurs et vont certainement être les facilitateurs d'imaginaires fadas ou de fadas.
LES DIX MOTS 2016 Ces définitions, volontairement courtes, n’ont d’autre but que d’éveiller votre curiosité et de stimuler votre créativité !
CHAFOUIN, INE : (Québec) n. et adj. Vieux. Personne qui a
LUMEROTTE : (Belgique) : n.f. Source de lumière de faible intensité. Légume (betterave, potiron, citrouille, etc.) évidé et percé de petites ouvertures, dans lequel on place une source lumineuse.
une mine sournoise, rusée.
CHAMPAGNÉ : (Congo) n.m. Personne d’influence, aux
POURDRERIE : (Québec) n. f. Neige chassée par le vent (souvent en rafales). Blizzard.
nombreuses relations.
RISTRETTE : (Suisse) n. m. Petit café très fort, fait à la DÉPANNEUR : (Québec) n. m. Petit commerce aux heures d’ouvertures étendues, où l’on vend des aliments et d’autres articles.
vapeur au percolateur (de l’italien ristretto). Ristrette : adj. Oral au sens métaphorique (souvent en lien avec le temps) : serré, limité.
DRACHER : (Belgique) v. impers. Pleuvoir à verse, à
TAP-TAP : (Haïti) n. m. Petit car rapide.
torrents.
VIGOUSSE : (Suisse) adj. Vigoureux, vif, plein de vie, FADA : (France) : adj. et n. Régional (Midi). Un peu fou, cinglé.
alerte pour une personne ; fort robuste, résistant pour un animal, une plante.
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Du côté des territoires Rencontre avec Marie-Caroline JANAND, directrice des affaires culturelles de Rumilly Propos recueillis par Julie Dorille
Quelle place donne la Ville à la langue française et à la culture ? La Ville place la culture dans une dynamique sociale et intergénérationnelle. L'arrivée de populations nouvelles, parmi lesquelles beaucoup de jeunes parents, marque une nouvelle structuration de la part de la Ville, où la culture tient une place importante. Ces populations sont d’origines sociales très diverses. Donner à tous un accès à la culture est un des moyens de créer du lien. Autour du spectacle vivant, de la lecture publique, du patrimoine et de l’enseignement artistique : les dix mots sont présents au quotidien !
Quelles sont les actions déployées autour de l’opération et quel en est l’impact sur la ville et ses habitants ?
Cette année encore, nombreuses ont été les initiatives proposées en région durant la Semaine de la langue française et de la Francophonie. En effet, 22 communes rhônalpines ont participé, ce qui représente 46 événements au total. Parmi les villes les plus actives, Rumilly, en Savoie, n’avait rien à envier aux grandes villes, et notamment à la Métropole, puisqu’elle proposait 9 événements (contre 14 en tout à Lyon et agglo) ! Petit focus sur cette commune où la culture se place sous le signe des dix mots et de la langue française...
Pourquoi est-il important pour votre ville de soutenir l’opération et que représente l’appellation « Ville partenaire » pour vous ? La Ville a beaucoup évolué en matière d’offre culturelle sur ces cinq dernières années, avec l’ouverture d’un centre culturel composé d’une médiathèque, d’une salle de spectacles et d’un espace expositions, la municipalisation de l’école de musique, et l’ouverture d’un musée. L’opération « Dis-moi dix mots » et la Semaine de la langue française et de la Francophonie sont ancrées depuis plusieurs années dans la ville, portées par différents acteurs et plaçant le public au cœur de l’action. Il était important que les structures culturelles participent à cette dynamique en inscrivant l’opération dans les manifestations culturelles, en dégageant des budgets, du temps de travail… L’opération « Dis-moi dix mots » est l’occasion d’un foisonnement dans la ville : la multiplicité des acteurs, la diversité des publics sont à la fois un des atouts et une des difficultés ! L’appellation « Ville partenaire » est un moyen de fédérer les actions et de remettre la langue française au cœur du projet, qui peut avoir parfois tendance à se diluer.
Les partenaires (CAF, hôpital, office socio-culturel, services de la Ville…) se réunissent chaque année pour déterminer les actions à mener. Leur diversité permet une richesse des propositions, adaptées à tous les publics et à portée de main de chacun : ateliers créatifs, concours, spectacles, ateliers d’écriture… Le choix est vaste et permet aux participants de se retrouver sur des actions différentes mais toujours autour de la thématique de la langue française. La restitution est le temps fort de ce travail, qui s’inscrit sur la durée d’un trimestre. Sa forme a été complétement renouvelée cette année, préférant une sorte de journée « portes ouvertes», avec des moments festifs au sein de l’équipement culturel Quai des Arts. Longuement débattu, ce choix a finalement fédéré les partenaires et a donné lieu à un beau moment, mêlant les générations, les publics, les modes de restitutions : un vrai partage culturel autour de la langue française, une vrai découverte du lieu pour des publics qui « n’osaient pas » franchir les portes.
Que pensez-vous de la nouvelle thématique et quel mot a votre préférence ? La thématique de cette année, Dis-moi dix mots en langue(s) française(s), est intéressante par les échanges culturels qu’elle sous-entend : on peut être francophone mais ne pas parler le même langage, ou ne pas nommer les choses de la même manière. Les mots choisis sont représentatifs de cette approche et permettent aussi de se rendre compte qu’une même langue n’est pas forcément synonyme d’une même culture. Une petite préférence pour le mot chafouin, une approche peut-être chauvine… ou juste des souvenirs d’enfance qui remontent ? À creuser donc !
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Rencontre avec... Fatoumata Keita Niaré, auteure
Propos recueillis par Thierry Renard
Chère Fatoumata Keita, pouvez-vous en quelques mots nous dire quel est votre rapport à la langue française ? Est-ce votre langue naturelle, et entretenez-vous avec elle un rapport intime ? Ou, plutôt, comme l'a écrit naguère le poète algérien Kateb Yacine, le français est-il votre « butin de guerre » ? Mon rapport à la langue française est un rapport libéré, décomplexé. La langue française, puisque langue internationale d’une extension plus grande, est pour moi une langue seconde, un héritage que mon indésirable père m’a laissé. Elle est donc la suite d’une histoire d’amour compliquée entretenue avec tact par le colon et ses descendants avec son colonisé et ses héritiers dont je fais partie. Mais puisqu’il faut toujours filtrer les choses, pour ne retenir que ce qui est potable, je considère cette langue héritée comme un outil qui m’a permis et me permet encore d’accéder à un type de connaissance. Elle n’est pas ma langue naturelle. Je « ne bois ni ne mange » en français. Je n’entretiens donc pas une intimité régulière avec elle. Elle est tout simplement pour moi un instrument circonstanciel de communication qui me rend le service de peindre l’univers mandingue, en montrant le cœur de l’Afrique afin que le dialogue s’établisse entre celle-ci et le reste du monde. Cependant, j’aime m’exercer en cherchant à savoir la langue dans laquelle je réfléchis lorsque j’écris. Je me surprends toujours à m’apercevoir que je féconde dans la langue française mais réfléchis dans la langue bamanan ou mandingue, mes langues maternelles qui ont participé à ma construction identitaire. Puisque l’identité de l’être se construit à travers sa langue, un anglais est à l’aise lorsqu’il décrit sa société et dit son identité culturelle à travers la langue anglaise. Le linguiste Emile Benveniste a raison de dire que la langue est « l’interprétant de la société. » Mais pour nous qui avons une histoire particulière, si nos langues maternelles peuvent mieux nous aider à interpréter notre identité culturelle ainsi que nos réalités sociales, elles ne peuvent permettre de véhiculer aisément celles-ci à travers le monde, car ayant une extension limitée. Or, aujourd’hui, plus que jamais, les peuples ont besoin de s’approcher, de se rapprocher davantage pour communiquer, dialoguer, se connaître et s’aimer afin de s’ériger contre le drame de la haine. Et l’écriture à travers une langue de grande extension peut contribuer à cet état de fait. C’est ce qui constitue l’essence de mon rapport à la langue française, une langue de service pour rapporter, raconter l’Afrique afin de la rapprocher du reste du monde. Ceci m’amène à faire une gymnastique difficile consistant à récréer un univers qui n’est pas français à partir de la langue française. Il me faut alors garder à l’esprit, lorsque j’écris, les dispositions linguistiques et stylistiques particulières de la communauté culturelle mandingue et bamanan dont je suis issue. Et quelques fois, comme Kourouma, je traduis en français ces dispositions, sans aucun complexe. Si nous, écrivains africains d’expression française, ne le faisons pas, ce ne sont pas ceux qui ne comprennent pas nos langues qui pourraient le faire. Et ce serait un gâchis pour l’humanité. Je pense que tout écrivain s’exprimant à travers une langue étrangère peut être amené à passer
par cette gymnastique. J’ai lu une écrivaine italienne d’expression française qui a écrit dans son œuvre, en signifiant dans une note de bas de page, que le fait « d’être en espoir » est ce qui s’appelle en français « être enceinte ». Les peuples ont besoin de s’enrichir les uns à travers les autres. En intitulant mon premier roman : Sous Fer qui signifie excisé en langue mandingue, je fais savoir qu’il y a une autre façon, chargée de sens dit et tu, de nommer l’excision. Ainsi, pour moi, la langue française est une langue de rapportage d’un univers pour lequel elle n’a pas été créée ; mais cet univers pourtant la forge et la force à se revitaliser et à évoluer en y insérant des particularités linguistiques qui ne sont pas à priori siennes. C’est pourquoi si mon objectif premier avait été d’écrire en français comme Malherbe ou Voltaire ou comme tout écrivain français s’exprimant dans une langue française orthodoxe et pure, je n’aurais jamais écrit. C’est dire que ce qui m’importe est d’écrire l’Afrique des particularités et tendances linguistiques, à travers la langue française. Et pour celui qui connaît la langue bamanan ou mandingue, où la parole jaillit sans trop de conjonction de subordination, mais avec parabole, écrire un univers bamanan ou mandingue à travers une autre langue, c’est être tenté de soumettre celle-ci aux singularités de cet univers. Cela revient à certainement écorcher celle-ci aux yeux des puristes. Mais, pour moi qui appartiens à la génération décomplexée, il faudra passer par là pour un enrichissement mutuel, même si m’adonner à cet exercice me donne quelques fois une sensation de trahir mes langues maternelles. Car une traduction fidèle n’est pas toujours réussie ; et tandis que certains termes sont intraduisibles dans une langue étrangère, d’autres, une fois traduits, perdent leur essence première. Ce qui me fait parfois, lorsque j’écris, chanter ces vers du poète haïtien Léon Laleau : « Ce cœur obsédant, qui ne correspond Pas à mon langage ou à mes costumes, Et sur lequel mordent, comme un crampon, Des sentiments d’emprunt et des coutumes D’Europe, sentez-vous cette souffrance Et ce désespoir à nul autre égal D’apprivoiser, avec des mots de France, Ce cœur qui m’est venu du Sénégal ? ». (Je dis du Mali) Ma gymnastique, alors se fait dans une certaine culpabilité ; mais aussi dans l’espérance que cette distorsion ne nuise ni à la beauté ni au génie d’une langue française trop rigide, trop parfaite et pure.
Être femme et écrivain, dans le monde actuel, est-ce facile ? Créer, c'est résister, disait encore Camus... Pensez-vous résister en écrivant ? Être femme et écrivain dans le monde actuel n’est pas facile. Car le monde-même est masculin. Et pour des femmes comme nous, nous
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5 battre dans un vestibule de gaillards ayant la tête au XXIe siècle et les pieds au Moyen Âge, c’est encore difficile. C’est pour dire tout simplement qu’être femme et écrivain est une chose, mais femme africaine vivant en Afrique et écrivain en est une autre, car chargée de contraintes encore plus lourdes. La plupart de nous, femmes africaines vivant en Afrique et versées dans la vie publique, restons sous le quadruple poids social. Cette lourdeur, due à la maternité, aux travaux ménagers (qui sont encore à la charge de la femme dans un contexte où les machines à laver n’ont pas encore fait leur apparition dans la vie du citoyen moyen), à l’organisation des festivités communautaires (mariage, baptême, funérailles) et à notre emploi, rend le travail de production d’œuvres encore plus difficile. En outre, accoucher d’une œuvre étant un acte qui se fait dans la solitude, lorsqu’on vit dans un contexte de communauté où le fait de vouloir s’isoler pour créer est souvent vu comme un délit, un manque d’amour, de considération et d’intérêt pour l’autre, qui peut venir de façon inopinée, c’est tout simplement pénible. Cependant, comme je considère l’écriture comme l’un des rares espaces de libertés et d’audaces, je me laisse porter par cette passion sublime qui submerge mon cœur, en dépit des contraintes. Car l’écriture est le seul espace qui me donne une liberté à nulle autre pareille. Liberté d’agir, de réagir, de m’exprimer, de démolir les murs des prisons dans lesquelles on a tendance à vouloir nous confiner souvent. En fait, pour moi, écrire c’est plus que résister. C’est subsister en osant lever le ton, contredire le baron, le provoquer, le contrarier allègrement, prendre position, s’engager constamment, défendre une opinion sur un sujet et vigoureusement, s’affirmer, revendiquer, proscrire, rêver, espérer une meilleure place dans un monde masculin. Alors oui, en écrivant, je ne résiste pas seulement. Je subsiste. Je subsiste en sachant que j’imprime ainsi ma présence au monde. Je subsiste en disant les souffrances de la femme, en disant ce que j’espère pour mon pays, en rêvant à une place au soleil pour la femme, en donnant de l’espoir et de l’audace à d’autres femmes, en montrant qu’un autre monde, un monde meilleur, est possible. Et définitivement ! Alors, puisqu’en écrivant, je m’offre des audaces et des libertés que seule cette tribune me donne, je compte continuer, malgré les contraintes. Car sans l’écriture, où pourrais-je trouver un alibi pour avoir la liberté de me prononcer sur les sujets qui me tiennent à cœur ?
L’adieu est un signe de Joël Vernet. Un extrait : « La splendeur est telle ce matin dans le jardin que mes chevilles foulant l’herbe font remonter jusqu’à mon cœur la douce sensation d’être vivant sur cette terre, juste pendant quelques secondes où la lumière semble éternelle. Le soleil illumine les miettes sur la table qu’une fourmi s’emploie à ramasser comme un butin. Mon esprit flotte dans l’air, chassant ainsi toute inquiétude. Je rentre dans la maison avec un peu de rosée sur les chevilles. Cette rosée est mon trésor du jour. » (Éditions Fata Morgana, p., 16). Et depuis toujours : Comment se faire des amis de Dale Carnegie. Enfin, mes goûts : J’aime J’aime les gens qui rient et qui répandent de l’humour autour d’eux. Ils me font oublier mon état nerveux, mon angoisse existentielle, les poids sociaux. J’aime toutes les couleurs (le jaune et l’orange en particulier) à part le violet. J’aime ma chambre à coucher et mon lit. Car toute petite, j’ai vécu dans une famille adoptive où je n’avais ni lit, ni chambre à moi. J’aime manger de la volaille et du toh, le bon gâteau arrosé de sauce gluante. J’aime lire les biographies, les romans historiques et les analyses. J’aime chanter la poésie, à haute voix, accompagnée de son de Cora. J’aime avoir une vie pas trop longue car je n’ai pas encore saisi la raison pour laquelle nous sommes sur cette terre où les angoisses fleurissent plus longtemps que les sourires. Et je m’imagine mal un jour affaiblie par l’âge, la peau ridée, sans force pour courir acheter du pain à la boulangerie avant que mon eau ne se chauffe. Je n’aime surtout pas que tout ce qui s’élève finisse par être sous la terre, que tout ce qui s’illumine finisse par s’assombrir, s’affaiblir avant de s’éteindre. Je n’aime tout simplement pas le caractère fragile de l’existence humaine.
Fatoumata Keita Niaré Mes livres de chevet :
Les paroles cachées de Bahà ’U’ Llàh (poésies mystiques), Pour construire avec succès un monde nouveau, il faut que le cœur de l’homme s’apaise, qu’il s’ouvre et laisse entrer en lui l’amour divin, qui, seul, s’étend à toutes et tous. « Les paroles cachées » apportent cet amour ; elles apportent aussi la paix, la certitude et la force d’agir. « Ô fils de l’homme Lorsque survient la prospérité, ne te réjouis pas ; et si l’humiliation t’atteint, ne t’afflige pas. Car toutes deux passeront et disparaitront. » (Bibebook, p., 52) Le piège de la parité (Argument pour un débat), textes réunis par Micheline Amar. Un extrait : « Rien de moins fascinant qu’un bonhomme en cette fin de siècle... ils ont un pied gravement planté dans un vieux monde de privilèges innés qui est en train de disparaître, et l’autre dans le vide : absolument largués. » Simone de Beauvoir citée par Régine Deforges dans son article « Absolument Largués » in : Le piège de la parité, Pluriel, aux Éditions Hachettes Littératures, 1999 (p., 51).
Fatoumata Keita épouse Niaré, je suis mère de trois garçons et d’une fille. Née en 1977, de père technicien de génie rural et de mère couturière alphabétisée par les bonnes sœurs, je suis l’aînée de cinq filles et de deux garçons. Étant « le premier garçon de mon père », et la première fille de ma mère (c'està-dire celle qui va aider le père au champ pour revenir faire la cuisine), très tôt, j’ai eu les yeux ouvert sur un monde où tous les combats restent à mener par les femmes maliennes pour l’amélioration de leurs conditions de vie. L’écriture m’a paru alors le meilleur espace pour parler de la condition féminine. Je suis auteur d’une nouvelle Polygamie gangrène du peuple, NEA, 1998 ; d’un roman, Sous Fer, Sahélienne/L’Harmattan, 2013 ; d’un essai, Crise Sécuritaire et Violences au Nord du Mali, Sahélienne, 2014 ; d’un recueil de poèmes, À toutes les Muses, Les éditions du Manden, 2014. Lauréate du prix Massa Makan Diabaté 2015 de la Rentrée littéraire du Mali et du 2e Prix du meilleur roman de l’Afrique de l’Ouest, j’ai à mon actif d’autres manuscrits.
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Des projets plein la tête Christine Chalard, atelier d’Art thérapie, Centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or Propos recueillis par Julie Dorille
Comment est né le projet autour des dix mots et en quoi consiste-t-il ? Le projet autour des dix mots est né en 2014 dans l’Atelier d’art thérapie du Centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, établissement public de santé mentale. Les différents groupes (écriture-collage, gravure, peinture, sculpture-modelage), destinés à des patients enfants et adultes en souffrance psychique, mettent en résonance la création artistique, le soin psychique et le champ culturel. C’est dans le cadre du groupe hebdomadaire d’écriture-collage que les adultes en présence, patientes et soignantes, ont suivi pendant six mois, en 2014 et 2015, le fil des dix mots, devenu une consigne ouverte complémentaire à celle déjà proposée.
collection. Avec malice, légèreté et rigueur, ces dix mots apprivoisés se sont transformés en support de rêverie ludique tissant les imaginaires et les représentations d’un féminin idéal, suturant, à petits points, la question de l’intime et de l’universel. Cent livrets reliant l’ensemble de ces travaux ont été imprimés et mis en vente. C’est en s’inspirant d’une proposition de « livre pauvre » imaginée par l’éditeur Daniel Leuwers, qui met en relation la créativité d’un écrivain et celle d’un plasticien sur un même support papier, que nous avons abordé les dix mots de cette année 2015 : en investissant de petits carnets individuels comportant quatre feuillets déployés en pliage accordéon. Dans un jeu d’allers et retours, les images se sont construites par strates soigneusement prélevées dans le foisonnement universel des images imprimées. Elles sont venues s’ajuster pour donner un peu plus de corps, de chair et de rêverie aux textes originaux qui les accompagnent en miroir tragique, profond, dérisoire ou en simple complémentarité rigoureuse. Pour une présentation publique, les carnets pliés en éventail ont été rassemblés dans un cube de plexiglas. Un ouvrage joint facilite la lecture.
Quels en sont les enjeux ? Pourquoi avoir choisi les dix mots, qu’apportent-ils à votre projet ? Dans ce dispositif qui articule collages et textes, la consigne favorise une négociation personnelle et sensible d’une contrainte externe, ainsi qu’une confrontation à la trouvaille de l’autre. Stratégie ludique, elle permet d’être plus disponible à ce qui advient. C’est un appui, un élément fédérateur, un embrayeur d’imaginaire qui fait fonction de ciment groupal et porte une fonction identitaire sans générer de l’identique. La thématique des dix mots « à la folie » a donné lieu à la création d’une collection fantaisiste de « Haute Couture » dans une démarche métaphorique, pour transformer ce qui a fait et fait encore tant souffrir. Chacune des huit femmes en présence dans le groupe, soignantes comme patientes, dans un clin d’œil ému à un jeu d’enfant, a habillé une silhouette prédécoupée d’un mannequin neutre et dénudé. Patiemment, minutieusement avec une application de « petites mains », des fragments d’images de revues déchirées, découpées, pliées, ajustées, collées, ont donné forme à vingt tenues déclinées sous dix tendances. Chaque tenue a fait l’objet d’un travail d’écriture nommant et présentant chaque modèle de cette
Le travail conduit dans l’Atelier depuis sa création, en 1991, favorise une interaction entre dehors et dedans, entre lieu de soin et espaces culturels, par des temps d’expositions, d’échanges et de rencontres ouverts au grand public. Ces temps permettent de faire entendre une parole singulière en invitant au partage d’imaginaires, dans un souci de réhabilitation du sujet au-delà de sa symptomatologie. La participation aux expositions « Dix mots vu par... » à l’Alliance française, où tout le groupe était présent, a confirmé cette dynamique de valorisation par les retours sur la qualité des productions, et favorisé une curiosité et une attention sur la diversité des réalisations provenant d’autres structures.
Que pensez-vous du nouveau thème et envisagez-vous de retravailler avec les dix mots en 2016 ? Les dix mots 2016 nous paraissent très ludiques et sonores. Notre projet serait de proposer au groupe de gravure la fabrication de petits livrets alliant textes et sérigraphie. Cette idée est encore à l’état d’ébauche...
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Bonnes feuilles Par Thierry Renard et Pierre Soletti
Ce petit Nuage a l'air bête
Plus d'infos sur l'impertinente Collection Petit VA! Une collection de poésie contemporaine pour la jeunesse qui interroge le monde et son temps, les gens et leurs rapports à l'ordre établi. Une collection tendre bien qu'assez éloignée des clichés clinquants et colorés qu'on accroche trop souvent aux devantures des idées reçues. Des livres faits mains pour être lus debout sur ses pieds (encore que couché, ça marche aussi du moment qu'on reste debout dans sa tête)... Une collection noir et blanc pour voir la vie de toutes les couleurs ! www.petitva.com
Texte, photographie & monochrome de Julien Blaine Julien Blaine est un poète majeur, bien qu'il ne soit toujours pas vacciné contre la bêtise humaine, qu'il dénonce avec ardeur dans ses livres, ses lectures publiques ou dans ses engagements quotidiens. La poésie est vitale pour cet artiste hors norme qui crée de nombreuses expositions de ses œuvres (BLAINE AU MAC, UN TRI, rétrospective, éditions Al Dante, 2009). Inspirateur de la poésie action, il participe à la vie de la poésie performance en France comme à l'étranger depuis près d'un demi-siècle. L'album de Julien Blaine, qui traite des apparences au travers d'un focus qui se ferme, parle clairement de sa poésie « mine de rien »... Nous y retrouvons son travail autour des animaux, comme l'âne, l'éléphant, etc. Ces animaux qui sont des mots pour Julien Blaine... Mais en même temps, si ce petit nuage a l'air bête, le livre de Blaine n'est pas si bête (bien qu'il soit rempli de "bêtes") ! Tout d'abord parce qu'il s'adresse à une tranche d'âge très jeune, ce qui n'est pas si courant en poésie contemporaine, et avec réussite ! Ensuite, parce qu'il y a différente façon de lire ce livre... dans tous les sens qui vous plairont. La spirale en effet, apporte un côté sans fin au livre... et l'aspect cartonné des feuilles peut facilement le faire se transformer en flip book, nous rappelant ainsi que le livre est aussi de la matière « tactile » et « visuelle ». Ce sur quoi a beaucoup travaillé Julien Blaine, qui ne sort pas que la phrase de sa gangue (célèbre poème du performer Blaine) mais qui sort aussi le livre du livre (lors de ses diverses expositions notamment). Enfin, ce livre est touchant parce que Julien Blaine, qui n'écrit pas pour les enfants habituellement, s'est prêté au jeu avec succès en donnant à lire un livre qui fait bouger l'imagination en tout sens, puisque le petit nuage en question ne change jamais de forme (ce qui est pourtant le propre d'un nuage) et que c'est au lecteur d'imaginer la forme que peut bien prendre le nuage pour ressembler à tel ou tel animal... Le nuage ne bouge pas mais le monde autour de lui bouge... le focus se resserre... jusqu'à le rendre invisible...
Pierre Soletti
Dans les pas de Samantha Barendson Née le 16 avril 1976 en Espagne, Samantha Barendson est une poète française, argentine et italienne qui vit à Lyon. Le 11 mars dernier, au CHRD, dans le cadre du Printemps des Poètes dans l'agglomération lyonnaise, elle a obtenu, pour son ouvrage Le citronnier, le Prix René Leynaud, nouveau prix de poésie — du nom du poète et résistant lyonnais fusillé par les nazis, et ami d'Albert Camus.
Le citronnier, paru en juin 2014 aux éditions Le pédalo ivre, est une sorte d'enquête poétique où elle part à la rencontre de son père, Francisco Barendson, disparu alors qu'elle n'avait que deux ans. Elle y décrit, notamment, « des vides qu’elle cherche à combler au fil des pages, à coup de questions, de réminiscences vagues, de recherches, de rêveries... ». Les proses poétiques réunies en récit dans ce recueil échappent à toute emprise du langage. Et même si c'est notre langue, celle de Molière, qui est ici mise au premier plan, Samantha Barendson nous offre avec ce court ouvrage, émouvant et percutant, parfois même drôle, une large ouverture sur la baie de ses autres langues. Un livre et une voix uniques. Une voie claire, à emprunter. Lisez ce petit objet littéraire non identifié, goûtez-le jusqu'à sa moelle. Un livre à vivre, à prendre par tous les bouts... Par ailleurs, Samantha propose des lectures aussi bien en français qu'en espagnol ou en italien. Le plurilinguisme est son histoire personnelle.
Thierry Renard
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À VOS AGENDAS ! JOURNÉE DE RENCONTRE RÉGIONALE Jeudi 15 octobre 2015 Centre Culturel Le Toboggan de Décines (69) Rencontres, tables rondes, ateliers créatifs... autour de la langue française et des dix mots Le programme complet de la journée est à venir ! Sur inscription via bulletin auprès de l’Espace Pandora — frais de participation 20 euros, repas compris — chèque à l’ordre de l’Espace Pandora Pour plus d’infos contactez nous !
À l’automne de chaque année, une journée de rencontre régionale est organisée autour de la Semaine de la langue française et de la Francophonie par le comité de pilotage rhônalpin. CETTE JOURNÉE EST DESTINÉE À : lancer la nouvelle édition des « dix mots » ; approfondir la thématique retenue grâce aux contributions d’intervenants spécialisés ; permettre des échanges et des coopérations futures autour des dix mots.
L’OPÉRATION EN RHÔNE-ALPES En Rhône-Alpes, l’opération « Dis-moi dix mots » est coordonnée par un comité de pilotage réunissant : la Direction régionale des affaires culturelles de Rhône-Alpes, la Préfecture du Rhône, la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale de RhôneAlpes, la Direction départementale de la cohésion sociale du Rhône, la Région Rhône-Alpes, la Délégation académique aux Arts et à la Culture de l’académie de Lyon, l’Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation, et les associations Filigrane, Caravane des dix mots et Espace Pandora. En tant qu’opérateur délégué en Rhône-Alpes, l’Espace Pandora anime le réseau régional en mettant notamment en place le jeu des dix mots, en coordonnant la Semaine de la langue française et de la Francophonie, en organisant une journée de rencontre régionale en octobre et la journée de restitution Les dix mots font la fête ! au mois de mars.
Rédaction : Julie Dorille, Thierry Renard (Espace Pandora) Pierre Soletti (auteur) Mise en page : Myriam Chkoundali Pour en savoir plus : Espace Pandora — 7 place de la paix, 69200 Vénissieux 04 72 50 14 78 / espacepandora@free.fr / Espacepandora.org Twitter @dixmotsRA / Facebook : Les dix mots en Rhône-Alpes Crédits : Espace Pandora, tous droits réservés.
En dix mots comme en cent... Nouvelle série n° 6 – Juillet 2015 Espace Pandora – Opérateur délégué de l’opération des dix mots en Rhône-Alpes