TARABORRELLI Eve
D'Allah à Jésus Christ Les convertis de l'islam
Mémoire de recherche de Master 1 Etudes européennes et internationales Sous la direction de Mme Chantal Delsol Université Paris-Est Marne-la-Vallée 2012 - 2013 1
Remerciements
La rédaction de ce mémoire n’aurait pas été possible sans l’intervention consciente, d’un grand nombre de personnes. Je souhaiterais donc leur exprimer ma gratitude puisque, de près ou de loin, celles-ci m'ont aidé à l'élaboration de ce mémoire de recherche. Mes remerciements s'adressent tout d'abord à Chantal Delsol, ma directrice de recherche, pour m'avoir proposé ce sujet, pour m'avoir accompagnée et orientée avec beaucoup de confiance et de patience tout au long de ce travail. Je remercie également les hommes et femmes qui ont accepté de m'accorder un peu de leur temps pour répondre à mes questions. J'exprime en particulier ma gratitude envers Sami Aldeeb, qui s'est montré très dévoué et présent lorsque j'en avais besoin, et envers Malek Chebel qui m'a donné de précieux conseils pour mener à bien ces recherches. J'adresse par ailleurs mes plus sincères remerciements à ma soeur qui, forte de son expérience, a su trouver les mots justes pour me rassurer et m'encourager; à mon père qui a eu la gentillesse de relire ce travail et de m'aider à l'améliorer; à ma mère qui m'a poussée et soutenue tout du long. Je remercie enfin mes amis pour m'avoir épaulée et fait rire dans les moments les plus difficiles, et pour avoir fait preuve de patience quand mes sujets de conversation ne tournaient plus autour que d'un seul sujet.
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Sommaire
Remerciements ................................................................................................... 2 Sommaire ............................................................................................................ 3 Introduction ....................................................................................................... 4 I. La conversion religieuse ................................................................................ 8 II. Etat de droit et droit islamique ................................................................. 27 Conclusion ........................................................................................................ 51 Bibliographie .................................................................................................... 54 Table des matières ........................................................................................... 55 Annexes
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Introduction
2006. Un homme Afghan de quarante-et-un ans, Abdul Rahman Jawed est inculpé dans son pays pour avoir quitté l'islam au profit du christianisme. S'il est reconnu coupable de ce que l'islam appelle "mécréance" ou "apostasie", il encourt la peine de mort. Grâce à une lettre de l'ancien Pape Benoît XVI demandant la grâce de l'accusé au Président de la République islamique d'Afghanistan, Hamid Karzaï, ainsi qu'aux pressions des gouvernements occidentaux, ce dernier a pu être gracié. Il a finalement obtenu l'asile politique vers l'Italie. Le cas de cet homme n'est pas isolé. A l'exception près que d'autres n'ont pas sa "chance". On pourrait par exemple citer le cas d'un jeune tunisien — dont nous reparlerons plus tard—, qui s'est fait égorger rituellement devant des caméras suite à son refus de faire marche arrière concernant sa conversion au christianisme. Ces "convertis de l'islam" comme on les appelle souvent, sont plus nombreux qu'on ne le croit. Anciens musulmans, ils ont rejoint l'Eglise chrétienne, qu'elle soit catholique, orthodoxe ou protestante. Leur nombre est toutefois difficile à déterminer à l'échelle de la planète : beaucoup préfèrent en effet garder leur conversion secrète, tant la question est houleuse. En France, ils seraient près de quinze mille à avoir quitté l'islam pour le Christ. Un tel nombre peut surprendre, bien qu'il n'ait rien à envier aux quelques soixante-dix mille Français ayant rejoint l'Umma — la communauté musulmane — ces dernières années. Car la conversion des musulmans au christianisme est un véritable tabou. "Alors que la conversion d'autres religions à l'islam est bien connue et que les convertis deviennent des leaders d'organisations musulmanes, le phénomène inverse n'est pas connu et il est dangereux, car la conversion est considérée dans bon nombre de pays musulmans comme une trahison faite à la tradition et la foi islamique." Cette phrase de Camille Eid1, résume bien l'intérêt de l'étude que je m'apprête à développer ici. Il est en effet très difficile de trouver des ouvrages traitant ce sujet, tant cela peut être risqué pour les convertis, notamment pour ceux qui résident dans leur pays d'origine. Si ces derniers risquent rarement la mort, ils encourent tout de même des conséquences sociales et politiques lourdes. Comme nous allons le voir en effet, la conversion à une autre religion est condamnée dans l'islam, et parfois très sévèrement, puisqu'elle peut conduire à la 1
Camille Eid est un journaliste libanais résidant en Italie, spécialiste du monde arabe et musulman
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mort de celui qui est dès lors considéré comme un traître. On se rendra compte que le problème dépend grandement de l'application des textes sacrés de l'islam mais surtout du différend entre les musulmans classiques, qui amènent de nombreuses gens à voir l'islam comme une religion violente et conquérante, et les musulmans libéraux, qui tentent tant bien que mal d'adapter les textes à la modernité. Car le Coran défend d'une part la liberté de croyance et sanctionne d'autre part ceux qui le trahissent, menant à des interprétations divergentes et qui font tout l'enjeu de ce mémoire. Cela implique donc une application variée des textes et des sanctions que ceux-ci prévoient, application qu'il convient ici plus ou moins d'analyser d'un pays à l'autre, afin de cerner le problème dans son ensemble. Il sera aussi intéressant de se pencher sur les raisons de la conversion. Il est en effet des musulmans qui pratiquent le jeûn chaque année, par héritage, par coutume ou tradition. Ils se privent généralement de porc, et —moins souvent— d'alcool, alors qu'au fond, ils ne sont pas véritablement transportés par une foi en Allah, le dieu des musulmans. Certains d'entre eux, au cours de leur vie, souvent suite à un choc, une rencontre, une rupture, se (re)tournent vers la religion. C'est ici qu'une partie de la définition de la conversion prend d'ailleurs tout son sens. La notion de conversion provient du latin conversio, signifiant "changement de direction" ou "retournement". En grec, celui-ci a deux équivalents : epistrophê et metanoia, respectivement "retour" (à l'origine, à soi) et "changement de pensée". Dans les deux cas, la notion a une signification dont la dualité en fait toute la complexité. Au cours de cette étude, je m'attarderai plutôt sur la metanoia, sur le changement de pensée donc. Je parlerai des conversions, des vraies, au sens où on devrait les entendre. Les personnes qui m'intéressent sont donc celles qui ont quitté une foi pour une autre. Je m'attarderai sur les conversions qui impliquent un véritable changement, une rupture, un renouveau dans le coeur des convertis, qui ont donc fait un choix sincère et réfléchi, parfois à leurs risques et périls. Pour cette raison, je mettrai de côté les conversions que je qualifierais — certes, de façon un peu péjorative — d'intéressées, parmi lesquelles figurent les conversions pour l'obtention de papiers ou les conversions pour le mariage. On pourrait me reprocher ce choix, mais je souhaite vraiment mener une étude basée sur la sincérité de la foi des croyants, des croyants qui n'ont pas hérité leur religion, mais l'ont au contraire choisie. Par choix également, j'ai décidé de ne pas évoquer le choix de certains musulmans de se convertir au judaïsme. Je peux expliquer cette décision par le simple fait qu'ils sont très peu
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nombreux. Si véritablement, un musulman cherche à se convertir au judaïsme, il passe d'ailleurs la plupart du temps par le christianisme d'abord, avant d'atteindre son but. Afin de donner de la richesse à cette recherche et pour pouvoir illustrer mes propos, j'ai tenté de m'entretenir avec des convertis de l'islam. Bien qu'il soit très difficile d'entrer en contact avec eux, j'ai réussi à en rencontrer deux. L'un est aujourd'hui pasteur évangéliste, tandis que l'autre est retraité de la prêtrise de l'Eglise catholique. Ce dernier, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à lui, a voulu garder l'anonymat. Par souci de clarté, je lui ai donc attribué un pseudonyme. Ces rencontres, comme nous allons le voir, ont des points communs : les deux hommes se sont en effet tournés vers le christianisme suite aux mêmes raisons (une révélation dans ce cas); elles ont aussi des différences puisqu'aujourd'hui les deux hommes n'ont pas le même regard sur les relations qu'ils entretiennent avec les musulmans. Nous verrons que ces divergences sont bien représentatives de la complexité des conversions des musulmans au christianisme. J'ai souhaité par ailleurs m'entretenir avec des spécialistes du droit musulman, parmi lesquels Malek Chebel2 et Sami Aldeeb3. Si le premier m'a orienté sur les démarches à suivre pour mener à bien ma recherche, le second a eu la générosité de m'accorder plusieurs heures pour discuter de mon sujet d'étude. Très engagé politiquement et religieusement, il conviendra ici de prendre ses propos avec mesure. Quoi qu'il en soit, ces témoignages et entretiens semblaient sincères et m'ont, en cela, grandement aidé à la rédaction de ce mémoire. On pourrait se demander pourquoi une étudiante en Master d'Etudes européennes et internationales a choisi de se pencher pendant plusieurs mois sur une question religieuse, de surcroît assez complexe. Pour être tout à fait honnête, je voulais au départ m'intéresser à une question qui touche davantage à la politique internationale. Mais j'avais surtout envie de pouvoir aller sur le "terrain" pour m'entretenir avec diverses personnes. C'est pour cette raison que j'ai finalement choisi un sujet qui ne nécessitait pas d'aller à l'étranger. Mais pourquoi la religion, pourquoi la conversion ? Il est difficile de répondre à cette question autrement que par une phrase du type : "parce que ce sujet m'intéresse beaucoup ", ou "parce que la religion est 2
Malek Chebel est anthropologue des religions et philosophe algérien résidant en France; il est connu pour ses prises de position publiques en faveur d'un islam libéral, plus adapté à la modernité 3 Sami Aldeeb est docteur en droit et professeur des universités habilité à diriger des recherches; il fut Responsable du droit arabe et musulman à l'Institut suisse de droit comparé entre 1980 et 2009
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un enjeu majeur de ce siècle". Ces deux affirmations sont vraies, mais elles ne suffisent indéniablement pas. A vrai dire, quand Chantal Delsol4 — ma directrice de recherche — m'a proposé ce sujet, je n'avais aucune connaissance des questions qu'il soulèverait. La religion m'attirait déjà pour les conséquences culturelles, sociales, et politiques — voire géopolitiques — qu'elle implique. Je me suis donc lancée, quasiment à l'aveugle, à la recherche d'informations sur la conversion des musulmans au christianisme. A ma grande surprise, j'ai finalement trouvé un sujet très peu étudié qui me donnait, ne serait-ce que pour cette raison, l'envie de le creuser toujours davantage. Plus encore, ce sujet m'a passionnée car il soulève des questions importantes comme la compatibilité entre religion et démocratie. Puis qu'y a-t-il de plus excitant que d'aborder — à une moindre échelle, certes — un sujet tabou, dont quasiment personne ne parle, pas mêmes les hommes les plus spécialistes ? Tout au long de cette étude, nous tenterons donc de comprendre ce phénomène peu connu du grand public. Comme l'explique en effet Camille Eid dans une interview accordée à Zenit5 en 2007, "dans l'islam, il n'existe que la porte d'entrée; il n'y a pas de porte de sortie." Au vu de l'interdiction de quitter la communauté une fois qu'on en fait partie, la question ici est donc de savoir comment vivent ceux qui osent faire le pas, ceux qui osent avouer leur nouvelle foi en un autre dieu qu'Allah. Il est aussi important de se demander comment se manifeste leur foi, mais aussi quelles sont les conséquences sociales et sociétales que celle-ci a provoqué ou provoque encore. Afin de répondre à ces questions, j'ai décidé de diviser mon travail de recherche en deux parties. Dans un premier temps, nous allons donc nous pencher sur la conversion religieuse (I). Pour comprendre ce qui pousse certains musulmans à rejoindre l'Eglise, j'ai pensé qu'il était dans un premier temps judicieux et intéressant de faire une description de la foi chrétienne : nous allons donc voir sur quoi exactement celle-ci se base et si elle a des points communs avec la foi musulmane; il convient par la suite de décrire le processus et les démarches à suivre pour entrer dans l'Eglise chrétienne; enfin, je définirai et analyserai la conversion religieuse sous son prisme sociologique, puisque celle-ci a des causes et des conséquences notables sur les liens sociaux. Dans un second temps, nous nous pencherons plutôt 4
Chantal Delsol est philosophe, historienne des idées politiques, romancière, éditorialiste et professeur de philosophie à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée 5 Zenit est une agence internationale d'information à but non lucratif, composée de journalistes et de bénévoles catholiques
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sur l'aspect juridique et politique de la conversion des musulmans au christianisme (II). Nous tenterons en premier lieu de déterminer dans quelle mesure il est possible de parler de liberté de conscience dans le droit musulman; nous nous demanderons par la suite si les sanctions prévues par l'islam sont appliquées dans la réalité avant de nous pencher plus précisément sur le cas français. Ce dernier point nous permettra de voir, avec un cas concret en guise d'exemple, si islam et Etat de droit sont compatibles ou non.
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I.
La conversion religieuse
Le Christ sur la croix, Eugène Delacroix (1835)
Les individus qui se convertissent sont portés par une foi sans mesure. Une foi qui se rapporte à la religion qu'ils ont choisie, au Dieu qu'ils vénèrent chaque jour. Certains, évidemment, vivent leur foi plus profondément que d'autres ; mais comme je l'ai dit plus tôt, il s'agit dans cette étude de ne traiter que des conversions sincères, motivées par un engagement et un travail spirituels conséquents. Afin de mettre en avant et d'analyser les enjeux de la conversion de musulmans au christianisme, il convient avant tout de comprendre en quoi consiste la foi chrétienne en elle-même.
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1. La foi chrétienne Le christianisme est la religion la plus pratiquée à travers le monde. Comme dans la plupart des religions, il existe des divergences entre les branches du christianisme — que sont le catholicisme, le protestantisme et l'orthodoxie —; mais celles-ci sont plutôt rares. Nous ne prendrons donc pas ces différences en compte pour décrire la croyance qu'ils partagent. Les chrétiens ont en effet en commun la plupart des fondements de leur foi, parmi lesquels figure en première place la croyance en un Dieu créateur. Les Evangiles6 montrent que Dieu s'est révélé au peuple élu et l'a sauvé. Dès lors, ce peuple a vu en Dieu l'origine de toute l'humanité et de tous les éléments du monde. Il est le Créateur, le Tout-Puissant. Il s'est manifesté dans le monde qu'il a lui même créé. C'est d'ailleurs cela qui marque l'originalité du christianisme : Dieu n'est pas éloigné ni invisible; il est près de l'homme. On dit de lui qu'il est révélé. Cette "Révélation", la Bible se charge de la réciter. Lors de cette "Révélation", Dieu s'est présenté à l'humanité et lui a parlé : c'est d'ailleurs cette Parole qui fonde la foi chrétienne. Non seulement Dieu s'est révélé dans l'histoire des hommes, mais il s'est révélé en une personne : Jésus Christ. C'est en cela que les chrétiens reconnaissent la divinité de Jésus. Dans le prologue de l'Evangile de Jean, il est d'ailleurs écrit que "Jésus est le Verbe, la Parole de Dieu incarnée." Jésus Christ est donc l'incarnation de Dieu sur terre. Dieu parle à l'homme par l'intermédiaire de Jésus Christ, qu'il envoie ici-bas. Pour les croyants, la Parole est personnifiée, elle se fait entendre en permanence. Voilà donc les trois éléments principaux qui fondent la foi chrétienne : la croyance en un Dieu vivant qui se révèle; sa Parole qui atteint l'homme; l'homme qui entend cette Parole, qui la croit et la reçoit. Dans cette foi, il n'y a ni loi, ni rite, ni idéologie. C'est pour les chrétiens la foi la plus pure qui soit. Jésus Christ est donc l'incarnation de Dieu sur terre. Il affirme dans l'Evangile de Jean 7
(14:9) que "Celui qui [l]'a vu a vu le Père" et (4:34) que "[sa] nourriture est de faire la volonté de Celui qui [l]'a envoyé et d'accomplir son oeuvre." Sur sa route, partout où il passe, il annonce le salut des hommes par Dieu. Il accomplit des miracles et s'entoure de disciples, à qui il annonce qu'il est le Messie venu libérer les hommes. Mais pour accomplir cette tâche, 6
Les Evangiles sont les écrits qui relatent le message et la vie de Jésus Christ; quatre d'entre eux sont reconnus comme canoniques par l'Eglise chrétienne : les Evangiles selon Matthieu, Marc, Luc et Jean; ils font partie du Nouveau Testament qui forme, avec l'Ancien Testament, la Bible, livré sacré des chrétiens 7 Cette annotation (comme les suivantes) signifie que l'extrait est tiré du 14ème chapitre de la Bible, verset 9
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Jésus doit mourir. Par cet acte, il prendra les pêchés des hommes afin que ceux-ci soient sauvés par Dieu et aient accès à la vie éternelle. Certains hommes jugeant son aura auprès des hommes trop importants, crucifient Jésus la veille de Pâques.
La Pietà de Michel-Ange (1498 - 1499), Basilique Saint-Pierre de Rome Cette oeuvre représente la "Vierge Marie douloureuse" tenant dans ses bras le corps sans vie du Christ avant sa mise au tombeau, sa Résurrection et son Ascension.
Quelques jours plus tard, Jésus ressuscite. Cette Résurrection est un des fondements majeurs de la foi chrétienne. Elle manifeste pour les chrétiens la vie éternelle que Dieu promet et ouvre à tout homme. C'est par la volonté même de Jésus Christ que ce salut est donné à l'humanité tout entière. Jésus étant remonté au ciel après quelques jours, ses disciples se chargent de transmettre la Bonne Nouvelle (en grec, "évangile" ou euangélion signifie "bonne nouvelle"). Les nouveaux chrétiens reconnaissent alors un Dieu trinitaire : Dieu est le Père, le Fils et le Saint Esprit. Ils nomment "Père" le Dieu créateur qui reste invisible, "Fils" le Dieu manifesté dans l'humanité de Jésus, et "Esprit" le Dieu dont le souffle renouvelle toute chose. Cette "Sainte Trinité", comme elle est appelée chez les chrétiens, est essentielle pour eux.
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C'est d'ailleurs l'un des points de divergence avec l'islam. Les deux religions ont des racines communes (nous y reviendrons plus tard) : il n'est donc pas rare de trouver dans le Coran des personnages centraux de la Bible, tels que Jésus, Marie, Ève ou Adam. Pour les musulmans, Jésus a d'ailleurs été l'un des plus importants prophètes de l'histoire. Toutefois, il ne peut être adoré comme Dieu : dans l'islam, croire à la Trinité est un pêché car les musulmans considèrent cette croyance comme étant polythéiste; or, pour eux, il n'y a qu'un seul Dieu, et ce Dieu est Allah. De même, Jésus n'a, selon les musulmans, pas été crucifié et n'a pas ressuscité, car cette mort aurait été un échec pour lui. Selon Christine Schirrmacher, docteur en philosophie, "la crucifixion, la rédemption, la filiation du Christ et la Trinité, qui sont les piliers de la dogmatique biblique, constituent pour le Coran les aberrations du christianisme, et plus encore des blasphèmes." La foi chrétienne rassemble 2,2 milliards de personnes dans le monde, comme le montre une étude menée par le Pew Forum, institut de recherche américain. Pour ainsi dire, près d'un tiers de la population mondiale est chrétien, faisant du christianisme le premier groupe religieux au monde, devant les musulmans. Tous sont portés par une foi commune en un Dieu trinitaire, venu sauver l'humanité et lui offrir une vie éternelle. En cent ans, le nombre de chrétiens a plus que triplé. Si d'une part, cette évolution est parallèle à la croissance démographique mondiale, elle est aussi la conséquence d'une hausse du nombre de conversions. Nous allons donc expliquer précisément les démarches pour entrer dans la chrétienté.
2. La conversion au christianisme «"Dieu, qui est invisible, s'adresse aux hommes comme à des amis et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec lui et les recevoir en cette communion" Pour l'homme, devenir un être religieux implique un choix décisif. Naître, connaître, reconnaître, c'est seulement ce dernier acte, entièrement volontaire, qui manifeste la conversion. Ainsi dans la conversion, c'est l'homme qui se met à la découverte de Dieu. »8
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http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/l-experience-chretienne/devenir-chretien/suivre-le-christla-conversion.html
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Voici comment l’Eglise catholique définit la conversion. La foi semble alors combler l’attente de la vérité sur Dieu. La foi chrétienne est attachée à la “personne” de Jésus Christ et à la vérité qu’il incarne. Avec la modernité perceptible dans nos sociétés occidentales, les libertés sont plus grandes. On se rend alors compte que, de plus en plus, l’appartenance à l’Eglise est un choix. Auparavant, la religion était en effet héritée des parents. Pour cette raison, nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, font le choix de la conversion. Dans cette étude, il s’agit d'expliquer précisément l’entrée dans la communauté chrétienne. La religion chrétienne est très complexe puisque divisée en plusieurs branches, parmi lesquelles figurent le catholicisme, le protestantisme et l’orthodoxie. Faute de temps, je m’attarderai surtout sur les deux premières, celles-ci étant les plus touchées par les conversions.
Le baptême du Christ, Léonard De Vinci (1472 - 1475)
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Le Code de droit canonique de l’Eglise catholique s’accorde avec l’Eglise protestante sur un point central, comme le rappelle Patrick Valdrini dans le Dictionnaire du droit des religions9 : le statut de personne possédant des droits et des devoirs dans l’institution (chrétienne, donc) est accordé à ceux qui ont reçu le baptême. Pour ainsi dire, contrairement à l’islam, il existe un sacrement d’entrée dans le christianisme. Le baptême est un acte sacramental posé par une autorité religieuse (évêque, prêtre, diacre, pasteur notamment). Son nom vient du geste qui le réalise : en grec, baptein signifie "plonger dans un liquide". Pour le baptisé, cela représente son union au Christ dans sa mort et sa résurrection. Plus simplement, on peut dire que le baptême est “destiné à laver le pêché originel et à faire chrétienne la personne qui le reçoit"10. Le baptême se donne donc en plongeant le baptisé dans l'eau ou en lui versant de l'eau sur la tête, en invoquant la Sainte Trinité. L'autorité qui baptise dit alors : "Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit." Cette phrase doublée de ce geste, signe officiellement l'entrée dans la chrétienté. Dès lors, le nouveau chrétien jouit de droits et de devoirs. Dans l'Eglise catholique par exemple, le converti détient le droit de créer des associations, de recevoir tous les biens nécessaires pour sa vie spirituelle et de donner son avis sur les décisions de l'Eglise. Parallèlement, le baptisé se doit de participer aux trois principales fonctions confiées à l'Eglise : l'enseignement, la sanctification et le gouvernement. Il doit donc faire connaître la parole de Dieu, célébrer les grands actes et agir comme ferment d'unité et de rassemblement autour du Christ. Toutefois, si la conversion au christianisme est officialisée par un sacrement assez rapide, le processus de changement de foi est quant à lui beaucoup plus long. Lors d'un entretien avec un prêtre ouvrier retraité — que l'on nommera ici Jean puisqu'il a voulu garder l'anonymat—, celui-ci m'a expliqué les démarches à suivre avant de recevoir le baptême. Comme je l'ai déjà évoqué brièvement, le christianisme se distingue sur ce point de l'islam. Pour devenir musulman, il suffit en effet de réciter la formule rituelle qui témoigne de la foi (al shah ada), qui stipule ceci : "Dieu est le plus grand et il n'y a point d'autre Dieu que Dieu, et Mohamed est son envoyé." Pour ainsi dire, l'entrée dans l'islam est relativement simple. Dans le christianisme, le processus est un peu plus complexe. Lorsqu'un individu veut se convertir au catholicisme (nous prenons cet exemple car il est quasiment identique aux autres branches du christianisme), il doit tout d'abord s'adresser à l'Eglise la plus proche de chez lui 9
Patrick Valdrini (dirigé par Francis Messner), Dictionnaire du droit des religions, p. 249, Clamecy (France), CNRS Editions, 2011 10 Le Petit Robert, Ed. 2013
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afin de demander son baptême au prêtre. La plupart du temps, le futur chrétien doit suivre des cours de catéchisme. Mais comme me l'a expliqué Jean, ancien musulman aujourd'hui prêtre de l'Eglise catholique de Rome, lorsque le converti encourt des risques — comme c'est souvent le cas pour les musulmans, mais nous y reviendrons —, celui-ci peut échapper aux cours de catéchisme et être baptisé "dans la clandestinité, comme cela s'est fait pendant des années en Algérie." En principe, les cours durent deux ans. Mais avant cela, le prêtre se doit d'établir un lien avec le futur converti, lien qui va bien au-delà de la religion. Par exemple, il va chercher à savoir si le futur converti a des papiers; en effet, nombreux sont ceux qui se convertissent à cette fin. Car, comme le dit Jean, "le fait d'avoir un certificat de préparation au baptême pèse en faveur d'une obtention de papiers". Il n'est donc pas si simple d'obtenir le baptême. Du moins dans l'Eglise catholique car, comme nous l'étudierons plus en profondeur dans la suite de ce mémoire, il s'avère que dans l'Eglise protestante, la porte d'entrée est plus ouverte. Malgré cela, force est de constater que le baptême marque davantage l'aboutissement de la conversion plutôt que le début du processus. L'Eglise veille à vérifier — la plupart du temps du moins — la sincérité des individus souhaitant se convertir. Il faut que ceux-ci soient en quelque sorte déjà engagés dans un itinéraire spirituel les ayant menés à la volonté de changer de religion.
3. La conversion sur le plan sociologique a. Définition La conversion religieuse peut être analysée sur le plan sociologique en cela qu’elle induit un cheminement qui débute par une quête spirituelle et qui s’achève par une intégration dans une nouvelle communauté. Il s’agit ici de savoir ce qui pousse les individus à quitter une religion pour une autre. Pierre Assouline
La conversion est soit le fruit d’une révélation (la lecture d’un
Livre le plus souvent), soit le fruit d’un itinéraire spirituel lent, comme l'explique Pierre Assouline11 dans Les nouveaux convertis12. Il affirme ceci : « Il est couramment admis, dans les 11 12
Pierre Assouline est journaliste, romancier et biographe Français Pierre Assouline, Les nouveaux convertis, p. 22, La Flèche (Sarthe, France), Ed. Folio actuel, 1982
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esprits, que la conversion est la plupart du temps conséquence d’un coup de foudre, d’un éclair du Très-Haut sur les âmes d’ici-bas. […] Mais si l’on considère le phénomène dans son ensemble, avec ses tenants et ses aboutissants, il apparaît plutôt comme le résultat d’une longue maturation. » Loïc Le Pape13, s’accorde sur ce point avec le journaliste et romancier Français. Dans un article intitulé Qu’est-ce qui change quand on change de religion ?14, il compte en effet deux invariants dans les conversions religieuses : d’une part, il y a toujours une rencontre avant la conversion (avec un individu, un livre etc.) ; d’autre part, la conversion reste « un processus individuel qui suppose une maturation intime. » La conversion, si elle est rendue complexe par sa dualité, pourrait se définir simplement de la façon suivante : c’est une transformation complète sur le plan moral et spirituel, qui suit l’abandon de convictions antérieures, alors jugées erronées. Elle induit donc un changement intérieur souvent radical et qui implique, sur le plan social, des conséquences irréversibles. Au mieux, elle induit en effet un changement de discours, plus moral, doublé d’une entrée dans un nouveau groupe social ; au pire, elle provoque des conflits au sein de la sphère privée (famille, amis) si celle-ci n’accepte pas le choix du converti. Quel est le processus de conversion sur le plan sociologique ? La conversion débute souvent comme on l’a vu par un itinéraire spirituel, avant d’être officialisée par un sacrement, tel que le baptême, que nous venons de décrire. Elle s’achève, d’après Loïc Le Pape, « lorsque le converti peut en faire le récit ». Force est donc de constater que la conversion ne peut être totale que lorsqu’elle est affichée et rendue publique. Il ne s’agit pas de crier sur tous les toits que l’on a changé de religion, mais de l’avouer à deux publics : d’une part à l’institution d’accueil, par le biais d’un sacrement tel que le baptême, qui officialise l’entrée dans la religion chrétienne ; d’autre part à son entourage. Ainsi, le converti achève son processus en faisant comprendre pourquoi il a choisi ce changement intérieur, tout en limitant au maximum les changements extérieurs. Bien sûr, la conversion peut s’afficher encore plus clairement au travers d’un changement vestimentaire, ce qui semble être alors l’ultime étape de la conversion puisqu’elle induit un véritable affichage social de ses croyances.
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Loïc Le Pape est docteur en sociologie de l'EHESS http://www.scienceshumaines.com/qu-est-ce-qui-change-quand-on-change-de-religion_fr_23800.html
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b. Un processus individuel et communautaire à la fois Toute la complexité de la religion réside dans sa dualité. D'un côté, elle relève du plan personnel puisque la foi a lieu dans le for intérieur de qui veut. Une religion héritée peut donner naissance à une véritable foi, mais ce schéma n'est pas toujours vérifié. Nombreux sont en effet les individus qui reçoivent une éducation religieuse sans pour autant ressentir au fond d'eux la présence de Dieu, quel qu'il soit. D'un autre, la religion est collective en cela qu'elle implique l'appartenance sociale à une communauté. Nous allons donc étudier les éléments qui poussent les individus à se convertir, mais aussi les répercussions de ces conversions sur le plan social et/ou sociétal.
o La conversion : un processus individuel Dans Les convertis à l’islam : les nouveaux musulmans d’Europe15, Stefano Allievi16 distingue deux types de conversion. Pour lui, la conversion est soit relationnelle, soit rationnelle. Dans la conversion relationnelle, les convertis cherchent à reconstruire leur identité, à trouver leur place dans la société. La conversion pour le mariage en est un bon exemple. Une femme musulmane doit, selon le Coran, se marier avec un homme lui aussi musulman — ce qui n’est pas obligatoire dans le cas inverse, mais qui est toutefois préférable. Nombreux sont donc ceux qui se convertissent à l’islam pour épouser celui ou celle qu’ils aiment. La conversion, dans ce cas, est relationnelle, et ne découle pas — forcément — d’une révélation spirituelle. Cela n’empêche pas pour autant la sincérité des converti(e) s : il s’agit seulement ici d’invoquer les raisons poussant à la conversion. La conversion rationnelle est au contraire née d’une interrogation sur le sens de la vie. Cette conversion touche des individus qui ont soif de spiritualité. Cette quête est individuelle et découle souvent d’un manque de réponses de la part de la religion d’origine ou de l’athéisme. C’est le cas de Jean avec lequel j’ai pu m’entretenir en mars 2013. Né d’une mère catholique et d’un père musulman d’origine marocaine, Jean est un converti de l’islam. Contrairement à ses quatre frères, il est le seul à avoir eu foi en Allah. Mais il n'a pas trouvé dans sa religion d'origine les réponses aux questions qu'il se posait. Il explique à ce propos : «On est dans un monde où il y a partout le pêché, le mal, la maladie et 15 16
Stefano Allievi, Les convertis à l'islam : les nouveaux musulmans d'Europe, Ed. L'Harmattan, 1998 Stefano Allievi est sociologue, chercheur associé à l'Université de Padoue
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la mort. (…) J’ai commencé à chercher en profondeur ce que cela voulait dire. Je n’avais pas de réponse de mon père car il nous enseignait un islam très populaire, l’islam des bleds. Je voulais en savoir plus sur ce mystère qu’est Dieu. » Il continue alors son récit : « Quand, en allant chercher des bouquins pas trop chers aux Puces d’Argenteuil, j’ai vu la Bible, je me suis dit que j’allais peut être trouver des réponses aux questions que je me posais. » La plupart des conversions sont le fruit d’un cheminement personnel. La plus souvent, elles font d'ailleurs suite à une foi déjà certaine en l'existence d'un être transcendantal. Les futurs convertis croient alors à "un" Dieu, sans pour autant être capables de dire lequel. C'est là toute l'importance de la quête spirituelle. Bien sûr, pour se convertir officiellement au christianisme, le converti doit entrer en relation avec d’autres individus, un prêtre notamment. Mais la conversion spirituelle est individuelle. Elle fait généralement suite à un bouleversement dans la vie du futur converti. Un accident, une mort par exemple, qui ferait prendre conscience à l'individu de l'existence de Dieu. Le plus souvent, elle est motivée par la lecture d'un livre, la Bible dans notre cas. Jean explique par exemple qu’après l’achat des Evangiles, il est rentré chez lui et est resté trois jours enfermé, seul, à lire. Il raconte : « Ce qui m’a surpris et qui m’a fait pleurer, ce sont les différents « je suis » : « je suis la vie », « je suis la vérité » etc., ces affirmations quasi divines. Cela n’influence pas forcément tout le monde, mais j’avais trouvé ici la vérité que je cherchais au fond de moi même, avec ce Jésus. » Au même titre, Saïd Oujibou, ancien musulman devenu pasteur évangélique, m’a expliqué lors de notre entretien en janvier dernier, avoir eu une révélation à la lecture de la Bible. Pour les futurs convertis, ce bouleversement, très individuel donc, est perçu comme un véritable signe de Dieu. Au-delà de la quête intérieure qui mène un individu à se convertir, la pratique de la religion est elle aussi très personnelle. Même si elle marque l'appartenance à une nouvelle communauté, la pratique est bel et bien individuelle. Il dépend uniquement du croyant de prier, d'assister aux cérémonies religieuses, et plus globalement, de s'investir dans la religion. Pour se convertir, un individu doit faire les démarches seul. Souvent, il n'annonce sa décision à son entourage que plus tardivement. La conversion est ainsi fréquemment cachée. Il ne faut pas qu'il y ait un quelconque obstacle sur la route des futurs convertis; car la foi intérieure doit primer sur le reste, quoi qu'il arrive.
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o L'importance de la communauté religieuse Toutefois, si d’un côté elle est très personnelle, la vie religieuse est aussi fondamentalement rattachée à la communauté. La conversion se vit à travers des cadres collectifs et se doit par conséquent d’être analysée à travers ce prisme. Etymologiquement, nous savons que le terme « conversion » signifie "changement de direction". La définition de la conversion introduit donc la notion de rupture. Il s’agit ici de tenter de répondre à la question suivante : la conversion induit-elle une rupture avec le premier groupe d’appartenance ? Définir la rupture n’est pas aisé. Pour autant, les sociologues des religions s’accordent tous sur un point : la conversion est un acte social qui provoque des bouleversements au sein des rapports sociaux. Ces bouleversements déterminent ainsi l’identité, la communauté et la place du converti dans la structure sociale. Il convient tout d'abord d'évoquer la notion de communauté, chère à toute religion. Se convertir, c'est avant tout rejoindre un nouveau groupe social, donc en quitter un autre. Le converti subit alors une mutation sociale, plus ou moins radicale. Par sa conversion, il se forge une nouvelle identité, traduite par des fréquentations nouvelles. Saïd admet avoir coupé les ponts avec nombre de ses anciens amis, tous musulmans. Non seulement, ceux-ci n'avaient pas accepté sa conversion, mais en plus, ils le détournaient, selon lui, du droit chemin. Ils pratiquaient
Saïd Oujibou
comme lui auparavant un islam radical, marqué par le contexte géopolitique de l'époque : opposition à l'hégémonie américaine de plus en plus croissante en période de guerre froide notamment. La conversion détisse donc en quelque sorte les rapports sociaux antérieurs. Parallèlement, de nouveaux liens se créent au sein même de la communauté d'accueil. Saïd s'est entouré de chrétiens au fil des années, notamment de convertis de l'islam. Il faut toutefois noter que la rupture ne se fait pas seulement au sein de l'environnement amical : la famille est elle aussi touchée par la conversion. Lorsqu'un individu se convertit, les liens dans sa famille sont altérés. Le frère de Saïd a par exemple coupé ton contact avec lui, n'acceptant pas son entrée dans la communauté chrétienne.
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Dès les premiers pas dans la religion chrétienne, le converti se sent entouré. Baptisé par une autorité religieuse, il va à la messe chaque dimanche avec ses pairs. Avant cela, la conversion est poussée par l'environnement social. Jean avoue à ce propos avoir été « influencé » par le milieu dans lequel il vivait : « Je suis né en 1933, il y avait moins de musulmans à l’époque, donc une influence du milieu judéo-chrétien beaucoup plus importante ». Pour illustrer ces propos par un autre exemple, on pourrait parler de la montée du nombre de conversions à l'islam dans les banlieues françaises. Le cas de Saïd est lui aussi très pertinent puisqu'il n'a officialisé sa conversion que longtemps après sa révélation. Lorsqu'il a lu la Bible de sa soeur à l'âge de quatorze ans pour la dissuader de se convertir, il a d'abord culpabilisé vis-àvis de son entourage. Il s'est alors enfermé dans un islam encore plus radical. Lors d'une conversation par messages textes, il m'a dit à ce propos : "J'étais chez mes parents et l'influence de l'environnement, de l'Umma [la communauté musulmane] a pris le dessus, c'est plus fort." Cette anecdote reflète bien l'importance de l'environnement social dans la religion. Saïd a donc attendu ses dix-neuf ans pour se convertir officiellement, quand "un sentiment immense de vide et d'insatisfaction [l]'a envahi." La conversion peut parfois être une « rébellion » contre le groupe d’origine. La famille peut faire partie de ce groupe : dans le cas des conversions de musulmans au christianisme, la famille est d’ailleurs souvent un obstacle. Il peut néanmoins arriver que la famille ne pratique pas vraiment, ce qui peut aider à sortir de la religion d’origine. Par exemple, Sarah, une femme de trente-quatre ans que j’ai rencontré en janvier dernier, est issue d’une famille musulmane peu pratiquante : excepté pour le jeûn, ses parents n’ont jamais été à cheval sur les devoirs imposés par le Coran. Cela a sans doute facilité sa démarche. Il n’empêche que certains individus décident de quitter leur religion car ils ne jugent pas pertinentes certaines normes traditionnelles, au risque de déplaire à la communauté. On pourrait par exemple citer les interdits alimentaires, ou bien les rapports entre hommes et femmes. Sarah m'a d'ailleurs dit à ce propos avoir été éloignée de l'islam car elle n'était "pas inspirée par la vie qu'ils vivaient"; elle ressentait "trop de religiosité" chez les musulmans mais "ne sentai[t] pas la vie." A travers les recherches que j’ai menées, j’ai donc pu voir que, par la conversion, les individus cherchent à s’éloigner de leur culture d’origine afin de « se réaffirmer ». Se créent alors de nouvelles amitiés, une nouvelle identité, traduite alors par de nouvelles fréquentations. Les convertis ne se voient pas s’unir avec un non croyant par exemple. Le lien social du con-
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verti se réorganise. Tous les vendredis soirs par exemple, Saïd Oujibou regroupe des convertis (essentiellement au christianisme, mais pas seulement) dans un appartement, renommé « La Casbah » pour l’occasion, situé en plein cœur du Paris populaire. Ici, on se déchausse à l’entrée, comme si tout le monde devait être sur un pied d’égalité. L’ambiance y est chaleureuse : après m’être fait offrir une tasse de thé et quelques dattes, trois individus se sont mis à chanter les louanges, vite rejoints par les fidèles. Aucun dieu en particulier n’est prié, car tous les convertis alors présents
La Casbah de Saïd Oujibou
n’appartiennent pas à la même confession. Saïd Oujibou m’a confié qu’il comptait environ cent vingt fidèles, qui viennent régulièrement à la Casbah pour parler de leur cheminement spirituel, de Dieu et de la conversion en général. Cet exemple illustre bien la volonté des convertis de se rattacher à un nouveau groupe social et de tisser de nouveaux liens. Il convient de relativiser la notion de rupture avec le groupe d’origine. Comme nous l’avons déjà évoqué, certains individus se convertissent dans le cadre d’un mariage. Cette conversion se fait alors afin de limiter la rupture avec l’entourage du conjoint, et non de se rebeller contre le groupe d’origine. D’autres individus se convertissent suite à une quête spirituelle ; dans ce cas précis, le converti souhaite personnellement délaisser sa vie d’avant : soit il rejette ses croyances antérieures, soit il n’avait pas de croyances antérieure. Enfin, certains individus se convertissent par souci d’intégration ou par influence du milieu social : c’est le cas de Jean dont nous avons auparavant parlé. Cela étant, il semble quasi impossible d’attribuer un seul de ces critères à chaque conversion. Si la conversion se fait en premier lieu dans l’intimité, elle se transforme parfois en un témoignage public, voire missionnaire. C’est le cas de Saïd Oujibou, avec qui j’ai pu m’entretenir et qui fait l’objet d’un sujet dans Les chrétiens face à l’islam17, reportage diffusé dans Complément d’Enquête sur France Télévision en novembre 2006. En effet, depuis une conversion au christianisme évangélique qu’il assume pleinement, Saïd se met en avant. Dans un one-man show intitulé « Liberté, égalité, couscous », il raconte sa vie de famille mais surtout sa quête de Dieu, puis sa conversion. A chaque apparition publique, il clame haut et fort sa foi en Jésus, faisant fi des éventuelles critiques. Pour toute religion missionnaire, comme 17
http://www.dailymotion.com/video/xo7w6_les-chretiens-face-a-lislam
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l’explique Béatrice Guelpa18 dans D’une foi à l’autre19, chaque conversion renforce et confirme un peu plus la valeur du message proposé. Mais ces sortes de missions ne touchent pas toutes les confessions : l’Eglise évangélique est en effet connue pour son prosélytisme, point sur lequel nous reviendrons plus tard. Plus rares sont donc les convertis de l’islam à l’Eglise catholique qui avouent leur conversion. Joseph Fadelle, écrivain né en Irak, a par exemple longtemps caché sa conversion à sa famille, mais aussi à sa femme et ses enfants, qui ont fini par découvrir la vérité. Si sa femme l’a suivi dans sa démarche, certains membres de sa famille l’ont menacé de mort. Cela révèle bien que dans certaines communautés religieuses, la peur d’une rupture familiale peut pousser à cacher son changement de foi. Saïd Oujibou, lui, a choisi de tout avouer. Dans le reportage cité précédemment, il explique la réaction de son entourage face à sa conversion au christianisme. Cela fait plus de dix ans que son frère ne lui donne plus de signe de vie. Il n’a même pas assisté à son mariage. Lors de notre entretien, Saïd Oujibou a par ailleurs évoqué la réaction de ses amis. Comme son frère, ils l’ont « lâché » car «un musulman qui devient chrétien, c’est la pire des hontes, (…) c’est la plus haute des trahisons. » Au final, seuls ses parents ont bien réagi. Saïd était un « petit délinquant » mais il s’est assagi « grâce à Jésus » comme il dit. Saïd rapporte les propos de sa mère lors de notre entretien : « La mosquée ne nous a pas aidés, personne ne nous a aidés. Notre fils est chrétien, mais on préfère le voir comme il est que de le voir comme il était avant. » Lorsque Saïd me raconte cela, je sens chez lui une véritable fierté. Ses parents, pourtant musulmans, ont accepté cette conversion. A tel point que quelques temps plus tard, son père, tentant de comprendre ce qui était arrivé à deux de ses enfants — il a en effet eu une révélation en tentant de trouver des « erreurs » dans la Bible pour décourager, en vain, sa sœur de se convertir —, s’est lui même converti au christianisme, confortant certainement Saïd dans son choix. Même s’il s’avoue attristé de la réaction de son frère et de ses amis, Saïd laisse primer Jésus dans sa vie. La foi est quelque chose de si profond que, même s’ils le voulaient, les convertis ne pourraient pas la renier. L’autre, celui qui ne se convertit pas, détient alors une place limitée. Car les convertis revendiquent avant tout une communion avec Dieu.
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Béatrice Guelpa est journaliste d'origine suisse, diplômée de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris Béatrice Guelpa, D'une foi à l'autre : portraits de convertis, Ed. Labor et Fides, 2011
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c. Les rapports entre christianisme et islam à propos de la conversion En France, la conversion des musulmans au christianisme est un phénomène très peu connu. Pourtant, certains estiment que 7% des baptisés en France proviennent de l'islam, comme c'est le cas de Henri Dubost dans un article paru dans NovoPress France, site internet et agence de presse française. D'après les chiffres de la Confrérie des évêques de France, sur les près de trois milles appelés au baptême lors des fêtes pascales chaque année, 4% venaient de l'islam en 2011 et 6% en 2005. On compte en moyenne 350 000 baptêmes par an en France entre 1990 et 2011. Si on retient le chiffre de 4% de baptisés provenant de l'islam, on compte donc en France environ 14 000 convertis de l'islam en 2011. Si on retient le chiffre proposé par Henri Dubost, on monte jusque 24 500 baptêmes accordés à d'anciens musulmans. Les statistiques sont très difficiles à obtenir, mais le phénomène semble bien plus important qu'on ne pourrait le penser.
o Le christianisme selon les musulmans "Le christianisme est une religion ou bien reprise, adaptée et continuée par l'islam, ou bien abrogée, corrigée et dépassée par lui." Voici l'affirmation de Pierre Assouline dans Les nouveaux convertis. Comme nous l'avons évoqué précédemment, les religions chrétienne et musulmane ont en effet de nombreux points communs. Pour autant, comme l'explique Camille Eid, co-auteur de Chrétiens venus de l'islam20 dans un entretien accordé à Zenit en 2007, la foi chrétienne est "difficile à comprendre pour les musulmans car le Coran parle du Christ et de Marie, mais a construit une histoire très différente de celle de l'Evangile." Pour les musulmans, le Christ n'est pas mort sur la croix et la Sainte Trinité est synonyme de polythéisme. Les musulmans ont par ailleurs une vision très négative de la communauté chrétienne. Quand Saïd Oujibou a su que sa soeur souhaitait se convertir au christianisme, il s'est demandé pourquoi elle s'attachait à Jésus. "Pour nous, c'est un prophète, ce n'est pas le fils de Dieu", affirme-t-il lors de notre entretien. Il poursuit : "Mes parents me disent "Ta soeur va à l'église, elle va en boîte de nuit, elle fume, elle voit des mecs." C'était la caricature qu'on avait des chrétiens." J'ai d'ailleurs retrouvé cette même idée lors d'un voyage au Sultanat d'Oman en mai 2013. J'ai profité de cette occasion pour parler de religion avec mon guide touristique, 20
Camille Eid et Giorgio Paolucci, Chrétiens venus de l'islam, Ed. Piemme, 2007
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Youssef, Omanais de souche. Là-bas, il faut être musulman pour avoir la nationalité omanaise. Les chrétiens y sont donc très peu nombreux. Il semblerait que les habitants fondent donc leur jugement sur le christianisme sur des bruits qui courent. Youssef, pratiquant l'islam de façon très pieuse, avait une idée bien précise des chrétiens européens. Pour lui, ces derniers s'habillent de façon exubérante et mènent une vie de débauche, pleine de vices tels que l'alcool et le sexe. Ces idées sont partagées par de nombreux musulmans. Du coup, quand un musulman trouve la foi professée par l'Eglise chrétienne, il réalise que celles-ci ne sont que des préjugés. Il est "émerveillé", comme le dit Camille Eid. Saïd m'a affirmé à ce propos : "Quand je rentre dans l'église, je suis frappé, parce que je me rends compte que j'avais une conception du christianisme qui était erronée. On m'a menti!"
o Un refus du catholicisme ? La relative proximité entre islam et christianisme peut être perçue comme un tremplin à l'intérêt que certains musulmans portent à la religion chrétienne. Toutefois, j'ai pu voir au cours de mes recherches que les convertis de l'islam appartiennent, pour une large majorité d'entre eux, à la communauté protestante évangélique. Pourquoi ce refus du catholicisme ? Est-ce d'ailleurs véritablement un refus ? Afin de comprendre pourquoi ces convertis de l'islam se sont ralliés majoritairement à l'Eglise évangélique, il convient d'étudier plus en profondeur les fondements du dialogue inter-religieux au sein même de l'Eglise catholique et de l'Eglise évangélique. Lorsque j'ai demandé à Saïd Oujibou pourquoi il s'était dirigé vers l'Eglise protestante (les évangéliques appartiennent à la communauté protestante), voici ce qu'il m'a répondu : "Quand il veut se convertir, le musulman frappe à la porte des catholiques. Mais le curé frileux a peur de nous accueillir." Pourquoi l'Eglise catholique aurait-elle peur d'accueillir d'anciens musulmans en son sein ? Saïd évoque une "peur des représailles" avant d'évoquer "une question de doctrine" : "pour eux (les catholiques), l'islam est une religion qui mène à Dieu." Tentons donc d'y voir plus clair. Le 28 octobre 1965 est le jour de la promulgation de la Déclaration sur les relations de l'Eglise avec les religions non-chrétiennes, ou Nostra Aetate (qui signifie "à notre époque"),
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lors du IIe Concile oecuménique du Vatican. Ce texte marque un réel tournant dans l'histoire du catholicisme. Dans la troisième partie de celui-ci, le Vatican traite de ses rapports avec la communauté musulmane. La Déclaration explique alors qu'Allah est le même dieu que le dieu d'Abraham dans l'Ancien Testament; il révèle également une estime particulière des catholiques envers les musulmans pour leur adoration d'un seul Dieu qui a parlé aux hommes.
IIe Concile oecuménique du Vatican
Véritable élément fondateur du dialogue inter-religieux contemporain, Nostra Aetate stipule : "Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s'efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu'à protéger et promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté." "Compréhension mutuelle" : cette expression montre clairement la volonté de coexistence entre catholiques et musulmans. Autrefois prosélyte, l'Eglise catholique défend donc aujourd'hui une entente et un respect des autres croyances, des autres religions. Depuis la promulgation de ce texte, il s'est développé un courant de théologiens et de progressistes parmi les catholiques qui "en [arrive] à relativiser leur propre religion" selon les termes de Jean, ancien musulman devenu prêtre catholique. Lorsqu'ils font face à des musulmans souhaitant se convertir, ces prêtres essaient de décourager ces derniers. Jean a par exemple connu des prêtres qui accueillaient les musulmans venus se convertir avec une Bible et un Coran dans les mains, en parlant "de telle façon à ce que le musulman retourne dans l'islam en pleurant." Pour eux, il
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n'y a en effet pas d'intérêt à entrer dans une autre religion. Ils ont en quelque sorte tendance à penser que toutes les religions se valent. Les musulmans voulant rejoindre l'Eglise catholique essuient donc beaucoup de refus. Bien que certains prêtres acceptent les conversions, beaucoup de musulmans se tournent directement vers l'Eglise évangélique, de plus en plus populaire, comme l'affirme Henri Tincq, journaliste spécialiste des religions, dans un article paru sur www.slate.fr 21 en 2009.
d. La percée de l'Eglise évangélique Comme l'Eglise catholique, l'Eglise évangélique appartient au christianisme. Pourtant, les deux ont des rapports très différents avec les autres religions, notamment l'islam. Mouvement chrétien le plus actif du monde, l'Eglise évangélique est connue pour son prosélytisme. Cela signifie qu'elle souhaite convertir le plus d'individus possible. Elle est par exemple très active dans les banlieues françaises et autres quartiers populaires, où les musulmans sont très nombreux. Elle traduit la Bible en arabe afin de toucher un public plus large et n'hésite pas à distribuer le Livre dans la rue. Dans un reportage diffusé en 2006 sur France 2 lors d'un journal télévisé, on voit ainsi des évangélistes arrêter des individus d'origine arabe dans la rue en insistant sur un point précis : le Coran parle de Jésus, il faut donc inviter les musulmans à en savoir plus sur sa vie. "C'est bien de le lire, puis ça va venir, petit à petit.", dit alors l'un des fidèles en tendant la Bible à un passant qui s'était arrêté. Si après la guerre, on comptait environ cinquante milles évangélistes en France, on estime aujourd'hui qu'ils sont près de cinq cent mille. Mais à quoi tient donc leur succès ? Comme nous venons de l'évoquer, le dynamisme des réseaux missionnaires y est pour beaucoup. Mais cela ne suffit pas. Il semblerait que l'ambiance propre à la communauté évangélique participe grandement à l'intérêt qui lui est porté par les futurs convertis. "Le culte y est festif, convivial, exubérant", selon Henri Tincq, qui décrit dans son article la percée de cette Eglise en France. Lors de ma visite à la Casbah (où Saïd Oujibou rassemble ses fidèles), j'ai en effet été frappée par l'atmosphère. Lors des chants, tout le monde se tient la main, certains pleurent, entrant dans un état proche de la transe. Le charisme propre au pasteur est "sans commune mesure 21
http://www.slate.fr/story/12375/religion-evangeliques-eglises-france
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avec l'austérité des célébrations catholiques ou protestantes traditionnelles." Le climat chaleureux se double d'un accueil privilégié "à des communautés de personnes déracinées, à qui sont proposées des réunions de prière, d'évangélisation, de formation biblique, de missions." L'Eglise évangélique offre de surcroît des cours d'alphabétisation et une aide à la recherche d'un emploi ou de papiers. Tous ces éléments évoqués par Henri Tincq jouent en la faveur des évangélistes quant à l'accueil des futurs convertis. Contrairement aux catholiques, ils mettent en valeur la conversion, signe pour eux que la foi doit être choisie. Ainsi, l'Eglise évangélique attirerait environ sept fois plus de musulmans que l'Eglise catholique.
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II.
Droit islamique et Etat de droit Qu'ils décident d'intégrer l'Eglise catholique ou l'Eglise évangélique, les convertis de
l'islam renient leur religion d'origine. Ils choisissent de s'ouvrir à une autre communauté et de croire en un autre dieu. Mais cette décision a un prix pour les musulmans. Afin de comprendre et d'analyser en profondeur les enjeux soulevés par la conversion des musulmans au christianisme, il convient d'étudier le droit islamique lui-même. Constitué essentiellement du Coran, qui regroupe les paroles qu'Allah aurait révélées au Prophète Mahomet, il est complété par les hadiths, qui retranscrivent la parole de ce dernier. Dans ces deux sources, un point ressort de façon unanime : l'apostasie est condamnable. Le changement de religion est, dans l'islam, le fait d'apostats.
1. La liberté de conscience dans l'islam a. L'apostasie : définition Mais qu'est-ce que l'apostasie? En arabe, l'apostasie se traduit de deux manières : la riddah et l'irtidad. Ces deux notions ont une racine commune signifiant "rejet" ou "retour en arrière". Pour expliquer cela de la façon la plus simple possible, on peut dire que l'apostasie est un détournement délibéré et sans contrainte d'un musulman à l'égard de l'islam. L'apostasie est condamnable dans l'islam. Elle peut avoir lieu de trois manières : soit elle se traduit par la parole, soit par les actes, soit par la croyance. Est donc considéré comme apostat tout homme (ou femme) qui ouvre son coeur au refus du dieu Allah. Afin d'y voir plus clair, énumérons quelques uns des éléments susceptibles de prouver cette dénégation. Le point le plus important est sans doute le fait de renier de la religion ce qui est largement connu. Par exemple, il est interdit de renier le caractère obligatoire de la prière, ou pire, de renier à Mahomet son statut de Prophète et au Coran celui de révélation divine. De ce fait, la conversion des musulmans à une autre religion est considérée comme étant une apostasie. S'ajoute à cela le fait de ne pas tenir compte des interdits au sujet desquels les musulmans sont usuellement d'accord sur leur prohibition, comme la consommation d'alcool ou de porc par exemple. Est aussi perçu comme apostat celui qui insulte le Prophète ou la religion dans son ensemble. Si l'apostasie concerne ceux qui se détournent du chemin imposé par l'islam, elle ne touche cependant pas
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toutes les catégories de personnes. Les handicapés mentaux et les enfants (avant leur puberté) évitent ainsi toute sanction, puisqu'étant considérés comme non responsables de leurs actes. De même, les sanctions ne s'appliquent pas aux musulmans récemment convertis, puisque ceux-ci sont susceptibles de ne pas bien connaître les directives de l'islam. N'entrent pas non plus en compte les doutes qui peuvent travailler l'âme des croyants, tant que ces derniers n'en parlent pas ou ne les réalisent pas, puisque l'acte et la parole suffisent, comme nous venons de le voir, à commettre l'apostasie. "L'apostasie compte parmi les sortes de mécréance les plus laides", selon les termes de Hassûnah An-Nawâwî22. Il parle de mécréance en cela que l'apostat s'éloigne de fait de l'islam qui représente la Vérité pour l'Umma, afin de tomber dans la mécréance, c'est-à-dire le faux. Ainsi, dans l'islam, l'apostasie est vue comme une grave trahison, certainement la plus grave d'ailleurs. Même si l'apostat venait à retourner vers l'islam, Dieu aurait déjà annulé ses bonnes actions pour ne garder que ses pêchés. Selon les musulmans, les convertis de l'islam se détournent donc du droit chemin, et doivent, pour cette raison, être sanctionnés. Toute la complexité de l'islam réside dans la multiplicité de ses courants et de ses interprétations. Ecole classique et contemporaine s'affrontent sur une interprétation différente du droit musulman qu'il convient d'analyser ici afin de clarifier cette étude. Avant de traiter de l'application des sanctions contre l'apostasie dont le changement de religion fait partie, il est nécessaire d'étudier les différentes sources de droit islamique qui parlent de ce sujet. Il est important de rappeler tout d'abord que, contrairement aux autres religions, l'islam est une véritable source de droit. Ainsi, les paroles présentes dans le Coran ou les hadiths sont appliquées comme des lois aux musulmans. Le droit musulman est donc un système de nature religieuse dans lequel la science du droit fait corps avec la théologie. Il ne faut cependant pas confondre son application avec le droit positif, mis en place dans certains pays comme l'Arabie Saoudite ou le Yémen, qui lui, peut parfois s'éloigner du droit coranique. Selon le juriste Jean Paul Payre, docteur en droit et diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble, "le droit musulman est un système de devoirs comprenant des obligations rituelles, morales et légales, mises sur le même plan, toutes soumises à l'autorité du même impératif religieux." Comme l'explique Sami Aldeeb dans une conférence qu'il a tenu en avril 2012 et dont il a eu la générosité de me transmettre la retranscription, "l'islam enseigne [...] que la loi est descendue de la 22
Hassûnah An-Nawâwî est un religieux et juriste Egyptien, Grand Mufti d'Egypte de 1895 à 1899
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part de Dieu sur le mont Hira (642 mètres), et que les musulmans doivent appliquer le Coran et se conformer à la tradition (sunnah) du prophète Mahomet." Il poursuit en affirmant que pour les musulmans, Dieu est le législateur (al-musharri). Ainsi, cette source de droit permet de légitimer son application dans la société musulmane. Pour autant, concernant la question de l'apostasie et de la liberté religieuse, nous allons voir que les différentes sources de droit musulman s'affrontent quelque peu, rendant difficile l'application d'une sanction unanime. Comme je l'ai évoqué plus tôt, la principale source de droit dans l'islam est le Coran. Inséparable du destin du Prophète Mahomet, l'histoire du Coran se divise en deux parties, dont la rédaction s'étale sur plusieurs décennies. La première partie représente la révélation coranique à la Mecque et est rédigée entre 610 et 622. Les sourates mecquoises mettent en relief le dogme central de la religion islamique. C'est dans cette partie du Coran qu'on trouve l'essentiel des versets qui concernent la liberté de religion. On verra d'ailleurs que la partie Mecquoise est beaucoup plus imagée et poétique que la seconde partie, rédigée à Médine entre 622 et 632, dont le style offre un contenu plus concret. Pour cette raison, nous verrons qu'au sujet de l'apostasie, contrairement aux autres pêchés, le Coran n'énonce pas de sanction précise mais bien une punition qu'il conviendra à chaque croyant d'interpréter comme il l'entend. C'est d'ailleurs à ce sujet que des différends peuvent naître au sein même de l'Umma.
b. La liberté de conscience dans le droit musulman "Nulle contrainte en religion!"23. En lisant ce verset du Coran, on est tenté de penser que ce dernier offre une totale liberté de croyance et de culte à tout musulman. L'islam garantit par ailleurs la liberté de conscience dans le verset suivant : "Quiconque le veut, qu'il croie et quiconque le veut, qu'il mécroie"24. Ces extraits appartiennent à la partie mecquoise du Coran qui établit elle-même le dogme musulman. Cela signifierait donc que l'islam respecte la liberté religieuse. Pourtant, en se penchant plus longuement sur les textes sacrés du droit musulman, on se rend vite compte que ces rares versets sont contrebalancés par d'autres passages condamnant l'apostasie. C'est par exemple le cas de la Sourate 1625 qui affirme dans le verset 106 : "Quiconque a renié Dieu après avoir cru [...] — sauf celui qui y a été contraint alors que 23
Sourate 2, La Vache, Al-Baqarat, verset 256 Sourate 18, La Caverne, Al-Kalif, verset 29 25 Sourate 16, Les Abeilles, An-Nahl 24
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son coeur demeure plein de la sérénité de la foi — mais ceux qui ouvrent délibérément leur coeur à la mécréance, ceux là ont sur eux une Colère de Dieu et ils ont un châtiment terrible." Cette même idée est présente dans la Sourate 2, verset 217 : "Et ceux parmi vous qui adjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. Voilà les gens du feu : ils y demeureront éternellement." Force est donc de constater que le Coran condamne celui qui quitte l'islam. Lorsqu'une personne accepte l'islam comme religion, elle entre donc avec l'Umma dans un contrat social qui détermine l'appartenance et la fidélité à la communauté à laquelle elle est rattachée. Cette communauté est décrite dans un hadith de la façon suivante : "La métaphore des croyants, dans l'amour, la compassion et la miséricorde qu'ils se témoignent les uns les autres est celle d'un corps unique. Si l'un des membres est souffrant, tout le corps tombe malade et devient fiévreux." Ainsi, lorsqu'un individu décide délibérément de quitter la communauté musulmane à laquelle il appartenait, il se rend responsable, selon les textes, de ce qui peut être assimilé à une trahison au niveau politique. Pour y voir plus clair, il est important de s'attarder sur le contexte historique au cours duquel le Coran a été rédigé. Nous trouvons ses origines dans les événements qui ont justifié son introduction après l'émigration (l'Hégire) du Prophète Mahomet et de ses compagnons de La Mecque vers Médine, en l'an 622. Les Arabes de Médine se sont convertis dans leur totalité à l'islam : ils étaient donc unis après une période de rivalité armée. Le problème réside dans le fait qu'à Médine, certains musulmans ont finalement abjuré, semant alors le doute chez les musulmans concernant leur foi. Le Coran parle d'ailleurs de cet épisode dans la Sourate 3, La Famille d'Imran, Al-Imran, verset 72, qui stipule : "Une partie des gens du Livre dit: ‘Au début du jour, croyez à ce qui a été révélé aux croyants; à son déclin, soyez incrédules‘. -Peutêtre reviendront-ils." C'est cet épisode qui a poussé l'interdiction de changer de religion, afin de faire échouer les tentatives de ceux qui cherchaient à faire naître le doute chez les croyants. Comme le signale le Cheikh (sage) Abd Al Mota âl As-Saîdi dans La liberté de pensée en islam, à l'époque de Mahomet, période marquée par la guerre, quiconque quittait l'islam rejoignait alors le camp adverse pour combattre avec lui. Les sanctions contre l'apostasie revêtent donc un caractère politique (l'entrée en guerre).
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c. Les sanctions contre l'apostasie dans le droit musulman Les versets coraniques ne font pas la moindre allusion à un quelconque châtiment terrestre ni à une sanction pénale que devrait subir l'apostat. Le Coran parle par exemple de "châtiment terrible" sans pour autant préciser en quoi celui-ci consiste. Cet élément montre bien la particularité de l'apostasie dans l'islam, puisque le Coran établit ailleurs des sanctions précises pour les autres pêchés. Pour le vol par exemple, il stipule : "Le voleur et la voleuse, à tous deux coupez la main, en punition de ce qu'ils se sont acquis, et comme châtiment de la part d'Allah."26 Le Coran punit donc l'apostasie sans pour autant définir de sanction claire. Mais le livre sacré de l'islam n'est pas la seule composante du droit musulman. La Sunna, en fait également partie. Elle se compose des hadiths, c'est-à-dire les paroles et les actes attribués directement au Prophète Mahomet. S'ils sont plusieurs à condamner l'apostasie, seul l'un d'entre eux évoque une sanction terrestre : c'est le hadith d'Ibn-Abbâs. Il stipule : "Le messager de Dieu dit : ‘Quiconque change sa religion, tuez-le. ‘" Que peut-on alors tirer de ces extraits ?
L'apostasie est condamnée, comme nous l'avons vu, en cela qu'elle représente une menace pour l'identité spirituelle du musulman et indirectement pour l'Umma tout entière. Elle détourne en effet les musulmans de leur foi. Est donc perçue comme attaque toute invasion ou mission visant à faire disparaître l'islam. Le devoir de l'Umma est alors de résister à ces attaques, dont l'apostasie fait partie. Les musulmans tentent pour cela de combattre les apostats qui risquent de propager la mécréance au sein de toute leur communauté. Même l'apostasie individuelle doit être ainsi interdite afin d'éviter qu'elle ne se développe et se mue en apostasie généralisée. Dès lors, les sources de droit musulman s'accordent pour punir les apostats, bien que les peines recommandées ne soient pas toutes les mêmes.
Au cours de mes recherches, j'ai finalement pu constater que l'islam distinguait deux types d'apostasie qu'il convient alors de développer pour comprendre et tenter de légitimer les différentes peines appliquées. On constate en effet que tous les individus ne sont pas tués dès lors qu'ils quittent l'islam. L'apostasie se divise en fait en deux branches : on a d'une part l'apostasie "simple"; de l'autre, l'apostasie "aggravée". Le Cheikh Ibn Taymiyah explique que 26
Sourate 5, La Table Servie, Al-Ma'idah, verset 38
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le Prophète Mahomet ordonna de tuer certains apostats alors qu'il avait accepté la repentance des autres. Comment expliquer cela ? En fait, l'apostasie "simple" implique une acceptation de la repentance. A l'opposé, il existe une apostasie plus grave aux yeux des musulmans : elle concerne les apostats qui mènent une guerre contre l'islam. Dans ce cas, la repentance est refusée dès lors qu'elle a eu lieu après l'arrestation de celui qui est considéré comme mécréant. Omar ibn al-Khattâb, ami proche de Mahomet, estimait que l'apostasie ne devait pas être sanctionnée par la mort en toute situation. Elle peut parfois être annulée ou reportée. Il pensait en outre que lorsque le Prophète disait : "Quiconque change sa religion, tuez-le", cela représentait une décision politique et non un enseignement divin. Dès lors, la décision de tuer l'apostat reviendrait de droit au dirigeant politique.
L'apostat qui invite à l'apostasie mène, de facto, selon les musulmans, une guerre contre l'islam, qui peut se manifester par la force et/ou la parole. Cette dernière est souvent perçue comme étant plus grave, comme nous l'illustre le cas de Salman Rushdie, romancier britannique qui fait l'objet d'une fatwa (avis juridique) de l'Ayatollah Khomeiny27. Ce type d'apostasie mérite alors, toujours selon les musulmans, soit une mort physique, soit une mort morale, souvent vue comme étant dramatique puisqu'elle implique un désamour total de l'Umma. Lors de notre entrevue, Sami Aldeeb a également évoqué l'existence d'une sanction "civile" qui aboutit à la mort civile du converti. Dès lors, on ne le tue pas, mais il ne peut "plus exercer [les] droits essentiels" comme celui de se marier ou d'avoir la garde de ses enfants. Généralement, l'islam ne condamne pas à mort le converti qui ne professe pas son apostasie ou n'y invite pas les autres. Dans ce cas en effet, l'apostat agit seul et ne représente pas une menace pour la communauté. Son jugement est alors entre les mains d'Allah, comme le montre le verset 217 de la Sourate 2, Sami Aldeeb
cité précédemment.
27
L'Ayatollah Khomeiny était un dignitaire religieux chiite, guide spirituel de la révoution iranienne de 1979 qui renversa le Shah Mohamed Reza Pahlavi
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Comment justifier cette sévérité à l'égard des apostats ? Le laxisme causerait, d'après la communauté musulmane, un risque de voir se développer un groupe d'apostats d'une telle ampleur qu'il mettrait à mal l'ordre de la société, en s'alliant par exemple avec les ennemis de celle-ci. Ce fut par exemple le cas en Afghanistan lorsqu’une partie de la population s'est tournée vers le communisme et s'est rebellée contre le pouvoir en place. La communauté musulmane est alors tombée dans une sorte de déchirement intellectuel et politique qui a dégénéré en lutte sanglante, voire en guerre civile. C'est justement pour éviter ce genre de dérive que le droit musulman condamne fermement l'apostasie, dont le changement de religion fait partie.
Pour résumer, nous pouvons affirmer que dans l'islam, la liberté de conscience et de culte existe dès lors que la pratique de la religion ne menace pas la communauté musulmane. Quiconque a donc le droit de pratiquer la religion qu'il souhaite. Par exemple, si un chrétien décide de vivre dans un pays où le droit musulman, plus communément appelé charria, est appliqué, il aura certes une certaine difficulté à s'intégrer, mais il ne sera pas puni pour la pratique de sa religion. Cela étant, il ne doit pas mener de lutte — qu'elle soit ouverte ou non — contre l'islam, au risque de subir les sanctions que celui-ci impose. Cette lutte serait vue comme une réelle attaque à l'ordre de la communauté, punie par la charria. Bien souvent, on oublie que l'islam, en plus d'être une religion, est aussi un système socio-politique. Insulter l'islam revient à remettre en question l'équilibre de la société. Le fait de quitter la religion musulmane est considéré par l'Umma comme un pêché qui serait donc d'autant plus grave s'il s'accompagnait de revendications comme celle-ci ou d'un prosélytisme qui menacerait, à terme, la survie de la religion. Si on peut donc constater une certaine liberté de conscience dans l'islam, au sens ou on n'est pas exécuté dès lors qu'on change de religion, il faut tout de même relativiser ces propos. Comme nous l'avons vu, l'apostasie "simple" est elle aussi sanctionnée, dans une moindre mesure. La liberté de conscience est donc relative dans la religion musulmane.
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2. L'apostasie dans le christianisme : comparaison
Avec notre oeil d'individu vivant en démocratie séculaire et moderne, il semble toutefois bien facile de porter des jugements sur une interprétation des textes qui paraît quelque peu archaïque. Afin de relativiser ces propos, j'ai donc pensé à porter mon attention sur une autre religion, le christianisme, pour analyser son regard sur l'apostasie. On a en effet tendance à critiquer l'islam sur son manque de modernité et d'adaptation aux principes fondamentaux de la démocratie — rappelons ici que l'islam est la plus récente des religions monothéistes —, mais on oublie souvent que les chrétiens sont passés par là quelques centaines d'années plus tôt.
Nous aurions tendance à penser qu'il n'existe pas tant de similarités entre les textes sacrés chrétiens et le droit musulman sur la question de l'apostasie. Après quelques recherches, j'ai pu voir que certains versets de la Bible sanctionnaient en fait ceux qui quittaient la religion. On peut par exemple citer les versets 13.6-7-8-9 qui stipulent : (13:6) "Si ton frère, fils de ta mère, ou ton fils, ou ta fille, ou la femme qui repose sur ton sein, ou ton ami que tu aimes comme toi-même, t'incite secrètement en disant : Allons, et servons d'autres dieux! des dieux que ni toi ni tes pères, n'avez connus, (13:7) d'entre les dieux des peuples qui vous entourent, près de toi ou loin de toi, d'une extrémité de la terre à l'autre - (13:8) tu n'y consentiras pas, et tu ne l'écouteras pas; tu ne jetteras pas sur lui un regard de pitié, tu ne l'épargneras pas, et ne le couvriras pas. (13:9) Mais tu le feras mourir; ta main se lèvera la première sur lui pour le mettre à mort, et la main de tout le peuple ensuite; tu le lapideras, et il mourra, parce qu'il a cherché à te détourner de l'Eternel, ton dieu." Dès lors, on voit des points communs entre islam et christianisme sur la question. Mais qu'en est-il de l'application des sanctions prévues ?
En réalité, l'apostasie existe depuis que l'Eglise chrétienne s'est séparée des formes hébraïques de la chrétienté. Mais au départ, elle ne représente qu'un problème interne. Il faudra attendre la conversion de Constantin — le trente-quatrième empereur romain — au christianisme pour que l'apostasie devienne plus politique et punissable par la loi. En effet, dès cet
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événement, l'Eglise et l'Etat coopèrent; cette coopération durera plus de mille ans. Mais comme dans les Etats musulmans où la loi n'est autre que la reprise des textes religieux, là où l'Eglise et l'Etat avaient un lien très fort, les apostats étaient rares. Certains abandonnaient le christianisme en se cachant, mais l'Etat parvenait souvent à les réprimer. En guise de sanction, on les privait généralement de leurs droits civiques et religieux. Certains Etats allaient jusqu'à la torture physique, doublée d'une excommunication, c'est à dire d'une exclusion de la communauté chrétienne. Pas de lapidation donc — comme la Bible le prévoit —, mais pas de liberté de conscience non plus. Jusque là, l'apostasie est tout de même un phénomène très peu développé. Il faut attendre le Grand Schisme entre catholiques et orthodoxes (au VIIIème siècle) et la Réforme protestante du XVIème siècle pour que l'apostasie se répande au sein de la chrétienté. Chacun reléguait en effet les versions "rivales" du christianisme au statut d'apostasie.
Comme l'explique Lonnie D. Kliever, professeur dans le département des Etudes religieuses à la Southern Methodist University (Dallas, Texas, USA), la fin des guerres de religions au XVIIème siècle — entre catholiques et protestants — marque en partie l'affaiblissement de la répression contre l'apostasie. Plus encore, la promulgation des Edits de tolérance28 signe la fin des sanctions politiques données à l'encontre des convertis du christianisme. Parmi ces textes, on pourrait évoquer l'Edit de Nantes signé par Henri IV29 en 1598, qui reconnaît la liberté de culte aux protestants, ou bien l'Edit de Joseph II30, signé en 1781 et qui garantit la liberté de culte et la liberté de tous les citoyens, quelque soit leur confession, à la vie publique. Il faut toutefois noter que, malgré un arrêt des sanctions politiques contre les apostats, les sanctions religieuses persistaient. Ce n'est qu'avec la modernité, où politique et vie religieuse sont séparées, que l'apostasie n'est plus un problème. La foi fait dès lors partie du domaine privé, et n'est plus sanctionnée. Certes, l'excommunication existe encore, mais elle est très rare et de surcroît, elle n'a plus le poids qu'elle avait dans le passé. Pour ainsi dire, l'islam n'est pas la seule religion à punir ceux qui le quittent. Cela nous permet de relativiser et de peut-être porter un jugement moins dur et critique à l'encontre de cette religion. Plus encore,
28
Les Edits de tolérance sont des déclarations politiques selon lesquelles les croyants d'une religion ne seront plus persécutés pour leur engagement et leur pratique 29 Henri IV fut roi de Navarre puis de France; premier roi de la dynastie des Bourbons 30 Joseph II fut empereur du Saint Empire Romain Germanique de 1765 à sa mort en 1790
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cela nous donne espoir que les choses évoluent vers plus de liberté, comme ce fut le cas au sein de la chrétienté.
3. L'application des sanctions contre l'apostasie dans l'islam a. Le pouvoir de vie ou de mort Avant d'étudier les types de sanctions appliqués contre le changement de religion, il est nécessaire de s'arrêter sur un point qui me semble fondamental. On peut en effet se demander qui détient le pouvoir de vie ou de mort sur celui qui quitte l'islam, ou même qui peut se permettre d'accuser un individu d'apostasie. En vérité, on constate que tout le monde n'a pas, selon le droit musulman, les capacités pour porter des accusations d'une telle gravité. Car même si l'apostasie est mineure, elle peut priver celui qui est concerné de ses droits fondamentaux. D'ailleurs, l'unes des plus graves erreurs que peut commettre un musulman est de porter une fausse accusation contre un soi-disant mécréant. En islam, la certitude ne saurait donc être remplacée par le doute. C'est pour cette raison que tous les hommes ne sont pas aptes à lancer une accusation d'apostasie. Il faut pour cela avoir des connaissances très précises sur la question, connaissances qui permettent au "savant" de distinguer ce qui sème le doute de ce qui ne le sème pas, afin qu'il prenne la décision la plus juste possible. Le "savant" qui accuse ne prononce généralement l'excommunication que lorsqu'elle demeure la seule issue. Au même titre, celui qui décide de la sanction finale, le "juge" en quelque sorte, se doit d'être un représentant de l'autorité musulmane. Tout le monde ne peut donc pas exécuter un apostat de son propre chef. Il faut en cela éviter que le jugement ne soit prononcé par méconnaissance du droit musulman ou pire, par passion. En plus d'avoir des connaissances spécifiques en matière de théologie, celui qui sanctionne l'apostat se doit généralement de demander à ce dernier la repentance avant donc que la peine ne soit exécutée. Dès lors, l'accusé peut soit renoncer à son apostasie, soit la certifier, au risque parfois d'y laisser sa vie. Notons toutefois que les juristes musulmans ont des avis divergents sur la durée possible de repen-
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tance : si certaines l'estiment à trois jours, d'autres affirment que l'apostat peut se repentir à vie. En guise d'exemple, nous pouvons évoquer le cas du jeune tunisien (photo ci-contre) qui s'est converti au christianisme et qui a renoncé à se repentir, au prix de sa vie.
b. Un sujet controversé au sein de l'Umma Pour autant, ce type de pratique, que nous serions tentés de caractériser d'extrémiste, n'est pas très fréquent. Critiqué par de nombreux musulmans, elle fait partie des sujets de discorde entre musulmans classiques et musulmans libéraux ou contemporains. Notons tout de même que d'après une étude menée par le Pew Research Center31 auprès de membres de la communauté musulmane, 84% des Egyptiens musulmans interrogés se disaient favorables à l'application de la peine de mort pour les convertis de l'islam; ce nombre monte jusque 86% pour les Jordaniens musulmans. Lors d'un entretien téléphonique avec Kamel, un ami qui pratique l'islam de manière très pieuse, celui-ci m'a affirmé : "Pour moi, l'apostasie, c'est dans le coeur, car la religion est dans le coeur. [...] Aller voir dans le coeur de quelqu'un s'il est vraiment apostat, personne ne peut le faire à part Dieu." Par ces mots, Kamel s'oppose en quelque sorte aux pratiques qui consistent à exécuter celui qui change de religion. Il ajoute d'ailleurs à propos des individus qui tuent les apostats : "Ce sont des gens qui sont ignorants, qui ne connaissent rien." Pour lui, comme pour beaucoup de musulmans "libéraux", le jugement d'un apostat ne peut donc relever que de Dieu. Il se fonde sur l'idée que le Coran ne mentionne pas de sanction terrestre, mais aussi sur le contexte historique de sa rédaction. Cela nous amène à nous interroger de la sorte : les enseignements du prophète avaient-ils une valeur normative ou contextuelle ? Comme je l'ai déjà évoqué plus tôt, le droit musulman date d'une période marquée par la guerre entre les polythéistes (chrétiens notamment, puisqu'ils croient en la Sainte Trinité) et les musulmans. Apostasier en ce temps-là signifiait donc rejoindre le camp ennemi. Le Coran stipule d'ailleurs à ce propos : "Ô vous les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d'entre vous qui les prend pour alliés, fait partie d'eux."32
31
Le Pew Research Center est un think tank américain connu pour fournir des informations sur des sujets controversés tels que la religion 32 Sourate 5, La Table Service, Al-Ma'idah, verset 51
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Un autre point est parfois avancé par les musulmans libéraux pour remettre en cause la sanction terrestre contre les apostats. Nous avons précédemment évoqué l'existence du hadith d'Ibn-Abbâs, qui stipule : "Celui qui change sa religion, tuez-le." Ce texte est soumis à diverses interprétations. D'une part, il n'est pas si précis qu'on pourrait le penser : on ne sait pas si la peine est la même pour tous les apostats ou s'il y a une distinction entre les hommes et les femmes par exemple, ni comment ils doivent être tués. Plus important encore, ce hadith est souvent montré du doigt, par Gamal Al-Banna33 par exemple. Ce dernier pointe notamment le souci de l'authenticité de ce texte. Certes, il a été vérifié et révèle bien les paroles du Prophète, mais c'est un hadith ahad (ahad signifiant "isolé"). Cela signifie que, comme nous l'explique le jeune frère du fondateur des Frères Musulmans dans un article intitulé Pas de sanction pour l'apostasie... La liberté de conscience est le fondement de l'islam, il n'a été rapporté que par un seul des compagnons du Prophète à chaque stade de la chaîne. Or, dans le système juridique musulman, les sanctions pénales ne sont pas justifiables par les hadiths ahad. En guise de rappel, je voudrais certifier que dans cette étude, il n'est pas de mon ressort de donner mon avis quant à la légitimité religieuse ou juridique de tel ou tel propos. Je ne cherche donc pas ici à trouver la vérité, mais plutôt à mettre en avant les enjeux posés par la question de l'apostasie dans l'islam. Force est d'ailleurs de constater la complexité du droit musulman à ce sujet. On comprend mieux, il me semble, les divergences qui existent au sein de la communauté.
c.
Les sanctions appliquées
Afin d'enrichir cette étude, il paraît intéressant de s'attarder plus longuement sur l'application des sanctions contre l'apostasie. Evidemment, compte tenu de la complexité de la charria, il est facile de deviner qu'elles diffèrent selon les pays. Dans les pays où la loi islamique est imposée de façon très stricte, comme en Arabie Saoudite ou au Yémen, les apostats sont par exemple exécutés par l'Etat. Mais si dans la plupart des pays musulmans, on constate qu'il existe des sanctions, celles-ci ne causent généralement pas la mort des apostats. Prenons le cas de l'Algérie. Là-bas, l'islam est désigné comme religion d'Etat. Toutefois, le droit musulman est réduit au statut personnel, tandis que le droit commercial ou encore pénal fait référence au droit positif (qu'il faut donc distinguer du "droit d'inspiration divine"). Aucune loi ne stipule clairement que l'apostasie y est un délit ou un crime passible d'une sanction. Pour au33
Gamal Al-Banna est un théologien musulman Egyptien, frère de Hassan Al-Banna, fondateur des Frères musulmans en 1928, et grand oncle de Tariq Ramadan, islamologue et théologien professeur en Suisse
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tant, si la Constitution algérienne du 28 novembre 1996 révèle une véritable liberté de croyance et d'opinion, et que "la liberté de croyance et la liberté d'opinion sont inviolables"34, le Code algérien de la famille affirme que "sont exclus de la vocation héréditaire les personnes frappées d'anathème et les apostats." Pour ainsi dire, l'apostasie en Algérie est sanctionnée par l'abolition des droits civils comme le mariage ou la succession. C'est à cela que faisait référence Sami Aldeeb au cours de notre entretien lorsqu'il a évoqué l'existence d'une "sanction civile".
Il faut tout de même noter que les sanctions imposées dans les pays musulmans ne sont pas toutes les mêmes. Si la charria sanctionne l'apostasie avec la peine de mort, cette pratique est souvent considérée trop barbare pour être appliquée. Du coup, d'autres mesures sont prises par les Etats musulmans. En Libye par exemple, l'apostat perd sa citoyenneté. En Egypte, il est enfermé en hôpital psychiatrique, comme ce fut le cas de Gaser Mohamed Mahmoud, envoyé de force par sa mère et torturé. Le plus souvent, la mort n'est pas donnée aux apostats, surtout aux femmes qui, si elles ne se repentent pas, sont emprisonnées à vie jusqu'à ce que mort s'en suivent. En Arabie Saoudite, l'apostasie est fermement combattue et le plus souvent sanctionnée par l'exécution physique. Il est important aussi de signaler que dans certains cas, lorsque la peine capitale n'est pas prononcée, certains "musulmans dévots" qui ne jouissent pas d'une autorité particulière, décident de sanctionner eux mêmes les apostats en les tuant. C'est ce qui est arrivé à Ziwar Muhammad Isma'il dans le Kurdistan nordirakien. Ce type de pratique qu'il est difficile de quantifier, est contraire à ce qui est prescrit dans le Coran ou dans les autres sources de droit musulman. Car comme nous l'avons dit, seule une personne ayant une certaine autorité religieuse peut détenir le pouvoir de vie ou de mort sur autrui. C'est pour cette raison que ces "dévots" sont eux-mêmes punis pour avoir emprunté le rôle du Calife qui lui, est qualifié pour appliquer ce genre de sanctions.
Pour résumer, on pourrait évoquer l'ouvrage Freedom of religion, apostasy and islam35, rédigé par Abdullah et Hassan Saeed,
34 35
Article 35 de la Constitution algérienne de1989 Abdullah Saeed et Hassan Saeed, Freedom of religion, apostasy and islam, Ed. Ashgate, 2004
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respectivement Professeur d'études arabes et islamiques à l'Université de Melbourne et Procureur général des Maldives. Dans ce livre, les deux auteurs distinguent trois types de positions par rapport à l'apostasie : d'une part, ceux qui s'en tiennent à la position pré-moderne, qui condamne à mort tout homme jugé "mécréant"; d'autre part, ceux qui adoptent la tradition prémoderne en y apportant des restrictions, comme par exemple le fait que seul l'Etat musulman ne soit qualifié pour ordonner une sanction aboutissant à la mort de l'apostat; enfin, les musulmans plus libéraux, qui estiment que l'apostasie doit être repensée au vu des circonstances nouvelles : selon eux, il conviendrait alors de considérer le fait que de nombreux musulmans ne le sont que par héritage et non pas conviction.
d. Les conséquences sur les apostats o La rupture sociale Quoi qu'il en soit, les convertis de l'islam, s'ils n'encourent pas toujours une menace pour leur vie, ont fait un choix qui n'est pas sans conséquence. La menace d'Etat est certes importante mais elle se double, qui plus est, d'une pression familiale non négligeable dans la communauté musulmane. Lorsqu'un individu quitte l'Umma pour se convertir au christianisme, il se met non seulement la société à dos, mais aussi son entourage si celui-ci est musulman. Lors de mon séjour au Sultanat d'Oman, pays du Golfe régi par la loi islamique, j'ai évoqué ce sujet avec Youssef, mon guide touristique. Je lui ai demandé ce qu'il ferait si son frère quittait l'islam. Après un silence qui en disait long, il m'a répondu : "Well... (silence) In islam, we should kill him" (c'est-à-dire : "d'après l'islam, nous devons le tuer"). Je lui ai donc demandé s'il serait capable commettre un tel acte, ce à quoi il m'a répondu que seul Dieu pouvait sanctionner ceux qui pêchaient. Il m'a pour autant avoué qu'il ne pourrait plus considérer son frère de la même façon; il le verrait comme un traître. Traître vis-à-vis de la nation, mais aussi de l'Umma et de sa famille. Ayant reçu une éducation musulmane, le fait de quitter la religion remet selon lui toute l'éducation en question. Et si un homme quitte l'islam alors qu'il est marié, l'Etat devra le forcer à dissoudre le mariage puisque le mariage ne peut se faire — là-bas — qu'entre deux individus de confession musulmane. La conversion des musulmans implique donc un choix très difficile à prendre compte tenu des conséquences qu'elle peut provoquer sur les liens sociaux de l'apostat.
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o En France Nous venons d'évoquer la question de la rupture sociale causée par le changement de religion. Toutefois, au vu des sanctions préconisées par certains musulmans dits "classiques", il semble intéressant de regarder de plus près les conséquences de l'apostasie sur les anciens musulmans convertis au christianisme et qui résident en France. Afin d'illustrer mes propos, je vais reparler des deux hommes convertis de l'islam que j'ai pu rencontrer au cours de mes recherches : Saïd et Jean. Le premier est aujourd'hui pasteur de l'Eglise évangélique, tandis que le second est retraité de la prêtrise de l'Eglise catholique de Rome. Ce dernier a souhaité que je ne mentionne pas son vrai nom dans cette étude. Les anciens musulmans qui ont quitté leur religion pour une autre, alors qu'ils vivent en France, encourraient-ils donc un risque à afficher leur conversion ? C'est cette question que nous allons maintenant nous poser pour tenter d'y voir plus clair. Avant d'insister sur la dimension politique et juridique de la conversion des musulmans au christianisme, nous allons donc traiter des conséquences sociales et sociétales de celle-ci quand elle a lieu sur le territoire français.
Après quelques recherches sur le sujet, j'ai finalement constaté que les témoignages collent bien avec ce que j'ai évoqué plus tôt. Lors des deux entretiens que j'ai menés, j'ai demandé à mes interlocuteurs s'ils subissaient actuellement — ou avaient déjà subi auparavant — des menaces suite à leur changement de foi. Jean m'a répondu à ce propos : "On ne craint pas grand chose si on sait être prudent." Que signifie alors être prudent ? Pour lui, il semblerait que cela commence par ne pas crier sur tous les toits sa conversion. Cela pourrait être en effet perçu par les musulmans comme une provocation envers leur communauté. Pire, cela pourrait être vu comme un moyen de tenter d'autres individus à quitter l'islam. C'est certainement pour cette raison que Jean préfère l'utilisation d'un pseudonyme d'ailleurs. Il a décidé de vivre sa foi d'une façon publique puisqu'il a été longtemps prêtre de l'Eglise catholique, mais ne se vante simplement pas de sa conversion auprès des gens qu’il ne connaît pas. Cela semble aller de pair avec la description du catholicisme que j'ai élaborée au début de cette étude, selon laquelle le Vatican respecte les autres croyances religieuses. Il ne nie pas l'existence "d'intégristes parmi les musulmans qui sont capables de poser des fatwa contre les apostats", mais affirme bien avoir évité toute menace depuis sa conversion. Il raconte que ses amis et collègues musulmans ont tout de suite accepté son changement de religion et "[l]'ont toujours considéré comme un Marocain"; il justifie cela par le fait qu'il ait "toujours aimé les
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musulmans." Mais un simple amour des musulmans suffit-il toujours ? Le cas de Saïd nous prouve le contraire. Lui aussi d'origine marocaine, il a suivi un tout autre chemin que Jean. Contrairement à ce dernier, Saïd clame en effet sa conversion de façon publique, voire missionnaire. On le voit dans de nombreux reportages télévisés3637. Mais aussi dans un one-man show dans lequel il raconte avec fierté son parcours. Du coup, il avoue ressentir parfois un danger : “Ça se ressent par des sarcasmes, par de la moquerie, des insultes; parfois par des courses-poursuite, par des menaces réelles au téléphone." Mais en fait, aucun des musulmans qui le menacent ne passe à l'acte. Il explique à ce propos qu'il tente de déstabiliser ces derniers en leur disant : "Si tu es vraiment musulman, l’islam te dit de respecter les Juifs et les Chrétiens. Si tu es en cohérence avec ta religion, normalement tu dois me respecter, donc tu n’es pas un vrai musulman." Il finit par ajouter : " La Bible dit clairement « L’amour parfait bannit la peur » : si tu aimes vraiment la personne, peu importe la peur et la crainte." Pour ainsi dire, Saïd "souffre" plus de sa conversion sur le plan social et sociétal, d'autant que, comme nous l'avons déjà vu, son frère ne lui donne plus signe de vie. Le fait de clamer sa conversion au grand public semble donc avoir de véritables conséquences sur le converti. Il faut ajouter à cela le fait que Saïd, puisqu'il est pasteur évangélique, aurait tendance à pratiquer une religion quelque peu prosélyte. Cela étant fermement condamné par l'islam, il multiplie les risques de recevoir des menaces la part des musulmans. Cet exemple précis nous pousse à nous interroger sur les conséquences juridiques et politiques de la conversion des musulmans au christianisme. Nous allons tout d'abord tenter de voir pourquoi en France, pays où le nombre de musulmans est estimé à plus de trois millions, les sanctions préconisées par l'islam ne dépassent — généralement —pas le stade de menaces.
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http://www.dailymotion.com/video/x874sv_reportage-said-oujibou_webcam?start=2#.UaTWmGR5zjs http://www.dailymotion.com/playlist/xmw8d_lesmoissonsdelamosson_reportages-videos/1#video=x54bti
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4. Les convertis de l'islam dans un Etat de droit : le cas de la France a. La liberté de conscience dans le droit français, européen et international La France, Etat de droit moderne, reconnaît plusieurs sources de droit. Parmi elles, on pourrait citer la Constitution, qui détient le statut juridique et symbolique le plus élevé; elle est suivie par les textes législatifs. Afin de traiter le plus clairement possible notre sujet, je vais donc m'intéresser à ces deux sources, avant de traiter du droit communautaire européen et du droit international.
La tradition républicaine française porte une attention particulière aux libertés fondamentales, parmi lesquelles figure la liberté de conscience. Dès 1946, l'Etat français inscrit alors dans le Préambule de sa Constitution que : "Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances." La même idée est reprise dans l'article 1 de la Constitution de 1958, qui stipule : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. [...] Elle respecte toutes les croyances." Il faut noter qu'en France, un autre texte détient une valeur constitutionnelle : la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, intégrée d'ailleurs au Préambule de la Constitution de la Ve République. L'article 10 de ce texte scelle davantage encore l'importance de la liberté de conscience en France puisqu'il affirme que "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi." Pour ainsi dire, il existe en France une telle prégnance du principe de laïcité qu'il semble difficile d'imaginer une quelconque remise en cause de cette liberté fondamentale. Cette dernière est donc assurée tant "dans sa dimension positive que négative (la liberté de ne pas croire)", comme l'indique le Dictionnaire du droit des religions dirigé par Francis Messner. Il est important de noter que la Constitution et le droit français en général s'opposent au "communautarisme". On peut dès lors en déduire qu'ils font primer l'individualité de la religion au sein du groupe, donc le droit former de quitter librement ce dernier.
En vérité, les textes à valeur constitutionnelle susmentionnés ne font qu'entériner le principe de laïcité de la Répu-
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blique, qui se réconcilie alors avec la liberté religieuse affirmée dans la célèbre loi du 9 décembre 1905. Cette dernière, qui n'a jamais été modifiée depuis sa promulgation, stipule dans son article premier : "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libreexercice des cultes [...]." Dès lors, l'Etat français reconnaît en quelque sorte le pluralisme religieux de sa société. On constate pour autant que nulle part dans les textes législatifs ou à valeur constitutionnelle, le droit français n'évoque clairement la conversion religieuse. Pour cela, il faut alors se tourner vers les textes à valeur conventionnelle, tels que la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Ratifiée par la France en mai 1974, celle-ci affirme dans son article 9 que : "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion : ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques, et l'accomplissement des rites." Les arrêts de cette convention sont attachés à la prise "en compte de l'évolution des normes de droit national et international", comme l'explique Gérard Gonzalez, professeur de droit public à l'Université de Montpellier I. "Elle veille aussi à l'interpréter [l'évolution, donc] et l'appliquer d'une manière qui rende les garanties concrètes et effectives, et non pas théoriques et illusoires."
Il semble ici nécessaire de rappeler que d'après l'arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964, la CJUE (Cour de Justice de l'Union Européenne) déclare que le droit issu des institutions européennes est intégré aux législations nationales. Le droit européen prime dès lors sur le droit national, contraignant les Etats membres à le respecter. Cette supériorité de l'Europe en matière juridique est d'ailleurs confirmée par l'article 55 de la Constitution française. En droit international, les juristes sont quasi unanimes sur le sujet de la liberté de conscience. Pour eux, l'appartenance religieuse relève de l'intime. Ainsi, d'après la Cour Européenne, "les convictions religieuses [...] relèvent du for intérieur de chacun, mais elles peuvent aussi, comme d'autres données, changer au cours de la vie d'un individu." L'appartenance religieuse doit alors être libre par principe. Tous les textes de droit international s'accordent là-dessus, excepté deux d'entre eux : d'une part, la Déclaration sur les droits de l'Homme en islam, promulguée en 1990; d'autre part, l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : ce dernier, adopté en 1966 à l'Assemblée Générale des Nations Unies, affirme pourtant que "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion."
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Mais en vérité, l'accord reste muet quant à la question de la conversion religieuse, d'où l'abstention de l'Arabie Saoudite lors du vote. On peut donc voir, grâce à tous ces éléments, que le droit national, européen et international s’accorde en faveur d'une véritable liberté de conscience, en matière de religion notamment.
Un point peut cependant attirer notre attention. Dans le chapitre du Dictionnaire du droit des religions dédié à l'appartenance religieuse, Jean-Paul Willaime38 traite des conditions de celle-ci au sein de la communauté européenne. Il affirme alors que "les conditions de l'appartenance, ou de la sortie d'une Eglise ou d'une religion, sont en vertu des principes de liberté d'organisation ou d'autodétermination des cultes fixées par les seules collectivités religieuses."
Jean-Paul Willaime
b. Etat de droit et droit musulman : une incompatibilité ? Cela pourrait-il alors légitimer les sanctions imposées par le droit musulman ? La question fait débat et soulève le problème de la compatibilité entre religion et Etat de droit. 38
Jean-Paul Williaime est docteur en sciences religieuses et en sociologie
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Pour tenter de répondre à la question, nous allons donc nous tourner vers le cas français. La France reconnaît comme nous l'avons vu la liberté de croyance, de conscience, de religion. Parallèlement, le droit islamique sanctionne tout musulman qui quitterait la religion. Quid des musulmans résidant en France ? L'Etat français a-t-il déjà agi sur la question ? Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la réponse à cette dernière question est positive. Dès novembre 1999, Jean-Pierre Chevènement39, alors Ministre de l'Intérieur sous la présidence de Jacques Chirac, a lancé une consultation officielle des principaux organismes islamiques en France. Si le texte qu'il a soumis à ses interlocuteurs ne pouvait, au départ, pas faire place à une quelconque "négociation", nous allons voir qu'il a finalement été amendé.
Jean-Pierre Chevènement, ancien Ministre de l'Intérieur (1997 - 2000)
A l'origine, ce texte mentionne le fait que les groupements et associations musulmanes reconnaissent de fait les dispositions concernant la liberté de conscience, de pensée ou de religion, confirmées par de nombreux textes législatifs susmentionnés. Le texte affirmait que cette convention "consacr[ait] notamment le droit de toute personne à changer de religion ou de conviction". Pourtant, cette précision considérée comme contraire à la loi islamique, a fini 39
Jean-Pierre Chevènement est un homme politique Français, ancien Ministre de l'Intérieur (1997 - 2000), ancien Ministre de la Défense (1988-1991), ancien Ministre de l'Education nationale (1984 - 1986)
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par être retirée à la demande de certains musulmans. Ce retrait, alors autorisé par l'Etat français, est lourd de sens. Peut-on en déduire que l'Etat de droit tolère les sanctions prescrites par le droit musulman pour punir l'apostasie ? Ou du moins que la France se soit soumise à l'autorité musulmane, quitte à remettre en question le principe de laïcité, si cher à notre République? Alain Billon, alors conseiller de Jean-Pierre Chevènement, affirme dans le huitième numéro d'Islam de France40 : “Le maintien de la mention initiale explicitée et isolée au “droit de changer de religion” a été considéré par eux [les musulmans] comme inutile et blessant. Cette objection a été jugée fondée." L'état d'exception alors déclaré par ce retrait est peu connu du grand public. Le problème majeur qu'il soulève tient à l'amalgame qu'il provoque entre la loi religieuse et le droit français. En retirant cette clause, l'Etat en effet risque de légitimer — si ce n'est déjà fait — une interprétation islamique du cadre du droit commun, qui refuse en quelque sorte la liberté de conscience pour les musulmans. En se pliant à la vision musulmane, l'Etat français révèle ici une des faiblesses de ses "grands principes." Selon le droit français en effet, comme cela est expliqué dans le Dictionnaire du droit des religions, "le principe constitutionnel de laïcité s'oppose à toute forme de privilège, d'avantage ou de traitement particulier accordé à un culte; il veut la soumission à la loi commune sans prise en compte possible de l'appartenance religieuse." On voit bien grâce à cet exemple, il me semble, qu'il existe donc aujourd'hui une certaine incompatibilité entre la religion musulmane et l'Etat de droit moderne sur la question de la liberté religieuse. Comme l'affirme Ove Ullestadt, un théologien protestant, "la conversion reste le dernier tabou du dialogue interreligieux en France." Peut-on pour autant reprocher à l'Etat cet événement ? Pouvait-il vraiment faire autrement ? Peut-être aurait-il fallu, dès l'arrivée des premiers musulmans sur le sol français, mettre en place une véritable politique d'intégration qui permette une véritable coexistence de l'islam et du droit national ? Auquel cas, le problème relèverait plutôt du traitement des immigrés et de leurs particularités religieuses, plutôt que de la religion en elle-même. On peut en effet se demander si la France, si elle avait imposé des règles plus strictes pour permettre l'acculturation des musulmans notamment, en serait aussi à ce stade où elle se soumet en quelque sorte à la volonté de ces derniers.
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Islam de France est une revue d'information et de culture musulmane
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Afin de ne pas trop prendre parti sur les décisions prises par l'Etat français dans le passé, il convient de s'interroger sur les solutions futures envisagées par certains, pour que droit français et droit musulman puissent enfin s'entendre et "vivre" dans une meilleure harmonie. Comme je l'ai déjà évoqué, il existe plusieurs courants dans l'islam; libéraux et classiques s'affrontent en effet sur les questions qui font débat au sein de la religion musulmane. Par exemple, si les classiques revendiquent une lecture littérale des sources de droit dans l'islam, les libéraux cherchent quant à eux à refonder la pratique religieuse sans pour autant remettre en cause les dogmes. C'est sur ce point que nous allons appuyer désormais. Les sanctions contre l'apostasie prévues par l'islam violent les droits de l'homme et les textes législatifs des démocraties modernes. Comme l'explique Sami Aldeeb dans une conférence intitulée Avenir des droits de l'homme à l'ombre des mouvements islamistes, les musulmans libéraux justifient leur opposition aux sanctions contre l'apostasie par la division du Coran. Nous l'avons déjà évoqué, ce dernier est divisé en deux parties : d'une part, la partie mecquoise révélée à la Mecque, et d'autre part, la partie médinoise révélée après l'Hégire. La partie mecquoise est assez "moraliste", tandis que la partie médinoise "contient les versets de nature juridique posant des problèmes dans le domaine des droits de l'homme." Les musulmans libéraux estiment alors, pour certains d'entre eux du moins, que la partie mecquoise représente l'essence même de l'islam, contrairement à la partie médinoise "qui comprend des concessions de la part de Mahomet pour satisfaire son entourage." Concernant la deuxième source de droit musulman, la Sunnah, certains contemporains estiment qu'il ne faut pas en tenir compte, le Coran étant la seule source à laquelle les musulmans doivent se soumettre. Il en est de même des hadiths, rédigés selon eux bien trop tard après la mort du Prophète Mahomet (plus de deux cents ans après) pour leur attribuer une quelconque légitimité, donc un quelconque pouvoir. Ce genre de considération remettrait alors en cause l'application de sanctions terrestre à l'encontre de apostats. Evidemment, ces idées sont combattues par les musulmans classiques, qui les comparent alors à des idées provenant de mécréants, de traîtres. Au même titre que Sami Aldeeb, je trouve intéressant de citer Youssef Al-Qaradawi, président de l'Union Internationale des Savants Mu-
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sulmans et membre de la confrérie des frères musulmans. Il affirme : "Le laïc qui refuse le principe de l'application du droit musulman n'a d'islam que le nom. Il est un apostat sans aucun doute. Il doit être invité à se repentir, en lui exposant, preuves à l'appui, les points dont il doute. S'il ne se repent pas, il est jugé comme apostat, privé de son appartenance à l'islam — ou pour ainsi dire de sa "nationalité musulmane" —, il est séparé de sa femme et de ses enfants, et on lui applique les normes relatives aux apostats récalcitrants, dans cette vie et après sa mort." (Ouvrage : Al-islam wal-'ilmaniyyah wajhan li-wajh, Mu'assasat al-risalah, Beyrouth, 3ème édition, 1992, p 73-74) Il n'est bien sûr pas le seul à penser de la sorte. En 1998, l'Académie islamique du fiqh a ainsi déclaré dans une fatwa au sujet de la laïcité : "La laïcité a été diffusée dans les pays musulmans par les forces coloniales et leurs collaborateurs et sous l'influence de l'orientalisme. Elle a divisé la nation musulmane, [...] créé l'illusion dans la génération qu'il existe une contradiction entre la raison et les textes de la charria, oeuvré pour le remplacement de notre noble charria par des lois positives, propagé le libertinage, la dissolutions des moeurs et la destruction des nobles valeurs. [...] La laïcité est un système de droit positif basé sur l'athéisme, ce qui l'oppose à l' dans sa totalité et dans ses détails." Elle poursuit : "L'islam est une religion, un Etat et une voie de vie complète. C'est le meilleur en tout temps et en tout lieu. Il ne peut accepter la séparation entre la religion et la vie, mais exige que toutes les normes soient derivées de la religion et que la vie pratique soit colorée par l'islam dans les domaines de la politique, de l'économie, de la société, de l'éducation, de l'information, etc." Pour ainsi dire, les musulmans classiques expriment un véritable rejet des idées lancées par les libéraux. Selon une célèbre citation en arabe, "l'islam est une religion, un Etat et un prédication" ("Al-islam din, dawla wa da'wa") ; ainsi, pour certains, cette religion implique la notion de conquête "notamment celle des coeurs et des âmes", selon les termes de Malek Chebel. Cet anthropologue de l'islam contemporain et historien explique dans son Manifeste pour un islam des Lumières que le problème posé par la liberté de conscience
Malek Chebel
n'est pas nouveau. En effet, de nombreux mouvements philosophiques ont tenté de se faire entendre par les religieux classiques, et cela dès le VIIIe siècle. Mais ils n'ont pas réussi à faire entendre leur message "car pour ces [derniers], il ne peut y avoir de liberté en dehors du dogme lui même, ce qui revient à dire qu'il n'y a pas de liberté du
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tout, hormis évidemment celle qui consiste à suivre la voie telle qu'elle a été tracée depuis des lustres." En effet, dans l'islam, Dieu et son Prophète sont supposés connaître mieux que quiconque les intérêts des humains; dès lors, tout ce qu'ils ont commandé au septième siècle devrait, selon eux, être valable en tout temps et en tout lieu. Quelles solutions sont alors proposées aujourd'hui par ces musulmans libéraux dont Malek Chebel fait indéniablement partie ? Afin qu'islam et démocratie puissent se réunir, ce dernier souhaite par exemple la suppression des fatwas "qui n'[ont] aucune valeur juridique dans les pays où un droit canon est en vigueur." Il faudrait alors selon lui accepter la valeur plus que relative de ces avis juridiques qui ordonnent parfois la mort de certains individus, valeur que l'auteur compare à celle de "l'expertise du médecin" ou "du psychologue". Avant tout, il faut rappeler que l'islam ne peut être totalement réformé que si on modifie les cadres sociaux et politiques dans lesquels il joue un rôle fondamental. En d'autre terme, il faudrait refonder le système même comme ce fut le cas lors de la sécularisation des démocraties parlementaires modernes. Car comme l'affirme Malek Chebel, "L'Eglise et les religieux ont gagné en sérénité ce qu'ils ont perdu en pouvoir, le prestige des uns et des autres étant demeuré pratiquement le même." Il est évident que cette refonte de la religion musulmane ne peut être possible qu'avec l'accord de la majorité de la communauté. Les libéraux fondent d'ailleurs leurs espoirs sur la nouvelle génération et sur le développement d'une éducation plus moderne. Ils insistent aussi, comme le fait Sami Aldeeb, sur le rôle de l'Occident dans cette réforme qui conduirait à un "islam des Lumières", en référence aux penseurs du XVIIIe siècle et à la philosophie des Lumières. En effet, l'Occident doit, selon l'ancien Responsable du droit arabe et musulman à l'Institut suisse de droit comparé, user de "moyen[s] de pression sur les pays arabomusulmans". Cela pourrait par exemple prendre la forme d'un soutien envers les penseurs libéraux ou d'une ouverture de la recherche dans les universités occidentales. Car on est en effet de plus en plus à même de penser qu'aller dans le sens des classiques, comme ce fut le cas lors de l'amendement dans l'accord prévu par Jean-Pierre Chevènement en 1999, risque au final d'encourager les pratiques extrémistes, contraires aux principes de l' Etat de droit.
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Conclusion Pour ainsi dire, nous avons pu voir que les conversions de musulmans au christianisme sont plus nombreuses que nous aurions pu le penser. Qu'ils appartiennent désormais au catholicisme, au protestantisme ou à l'orthodoxie, tous sont portés par une foi commune. Celle-ci se traduit principalement par la croyance en la divinité de Jésus, fils de Marie, et en la Sainte Trinité, qui représente pour les musulmans un signe de polythéisme. Pour intégrer l'Eglise chrétienne, le futur converti de l'islam doit au préalable entrer en relation avec une autorité religieuse qui sera dès lors chargée de le suivre tout au long du processus de conversion. Elle doit aussi s'assurer que la démarche du croyant est sincère et non intéressée par l'obtention de papiers par exemple, celle-ci étant facilitée lorsque l'individu est baptisé. Avant de se faire baptiser, le croyant doit suivre des cours de catéchisme, qui durent généralement deux ans, afin qu’il acquière des connaissances sur la religion chrétienne. Il faut noter que la conversion ne marque pas seulement une rupture sur le plan religieux, mais aussi sur le plan sociologique. Parfois poussée par une rébellion contre la religion d'origine, elle bouscule les liens sociaux du converti, qui s'entoure par exemple de nouvelles personnes desquelles il se sentira dès lors plus proche. La conversion, comme nous l'avons vu dans sa définition sociologique, est généralement le fruit d'une révélation divine, qui fait elle-même suite, la plupart du temps, à un cheminement et une quête spirituelle très lents. Elle change l'individu, qui se crée alors une nouvelle identité au sein d'une nouvelle communauté. Au cours de cette étude, nous avons pu constater par ailleurs que les musulmans désirant se convertir ne sont pas toujours bien accueillis dans l'Eglise catholique qui, depuis le IIe Concile oecuménique du Vatican, cherche à favoriser le dialogue interreligieux. C'est pour cette raison qu'ils se tournent en majorité vers l'Eglise évangélique, très ouverte aux croyants qui ont choisi leur religion. Dans la deuxième partie de ce mémoire de recherche, nous avons constaté que la conversion des musulmans à une autre religion posait problème. En effet, quitter l'islam une fois qu'on en fait partie — ce qu'on ne choisit pas toujours puisque de nombreux musulmans héritent leur religion —, est prohibé par les textes constituant le droit islamique. Rédigés en temps de guerre, ils prescrivaient, pour certains d'entre eux, la mort de l'apostat, celui-ci rejoignant directement le camp adverse. Tout le problème de ces conversions réside donc ici. Car de nombreux musulmans interprètent et appliquent le Coran et les hadiths comme si le contexte
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actuel était le même. Certains souhaitent ainsi la mort des apostats, tandis que d'autres, plus modérés, imposent des sanctions civiles. D'autres encore, les libéraux, estiment que Dieu est l'unique à pouvoir sanctionner ceux que l'islam considère comme traîtres. Ces divergences justifient le fait qu'à travers les pays musulmans, les sanctions ne soient pas toutes les mêmes. Afin d'enrichir cette étude, j'ai choisi de m'attarder sur le cas français. J'ai donc pu voir que pour les convertis de l'islam, certaines menaces existaient. Cela m'a amenée à m'interroger sur la question de la compatibilité entre droit musulman et droit français. Après avoir fait une comparaison entre les deux au sujet de la liberté de conscience, j'ai alors pu constater que la l'Etat français, dont le régime est basé sur la laïcité, s'était déjà soumis à la volonté des musulmans. Cela ne révèle non pas la faiblesse de ses principes mais plutôt la difficulté qu'elle a eu à intégrer les musulmans dans la société française. C'est pourquoi aujourd'hui, islam et Etat de droit ont du mal à cohabiter. Un mouvement libéral s'est alors récemment développé au sein de l'Umma, la communauté musulmane, prônant un "islam des Lumières", plus compatible avec la modernité. Celui-ci pourrait amener la France à voir les musulmans non plus comme une communauté à part, mais plutôt comme une part de sa population, qu'il convient d'intégrer pour que cesse la distinction qui est couramment établie entre islam et citoyenneté.
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Bibliographie Ouvrages - Pierre ASSOULINE, Les nouveaux convertis, Editions Folio actuel, 1982 - Malek CHEBEL, Le Coran, Editions Fayard, 2009 - Malek CHEBEL, L'islam expliqué par, Editions Tempus, 2009 - Stefano ALLIEVI, Les convertis à l'islam : les nouveaux musulmans d'Europe, Editions L'Harmattan, 1998 - Béatrice
GUELPA, D'une foi à l'autre: portraits de convertis, Editions Labor et Fides, 2011
- Abdullah SAEED et Hassan SAEED, Freedom of religion, apostasy and islam, Editions Ashgate, 2004 - Malek CHEBEL, Manifeste pour un islam des Lumières, Editions Pluriel, 2012
Articles et autres publications - Sami ALDEEB, Avenir des droits de l'homme à l'ombre des mouvements islamistes (retranscription de conférence), 2012 - Camille EID et Giorgio PAOLUCCI, interview pour Zenit, 2009 - Loïc LE PAPE, Qu'est-ce qui change quand on change de religion?, Sciences humaines, 2009 (N°205) - VATICAN, Nostra Aetate, 1965 - Henri TINCQ, Percée évangélique en France, Slate, 2009
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Table des matières
Remerciements ........................................................................................................................ 2 Sommaire ................................................................................................................................. 3 Introduction ............................................................................................................................. 4 I. La conversion religieuse ...................................................................................................... 9 1. La foi chrétienne............................................................................................................ 10 2. La conversion au christianisme ................................................................................... 12 3. La conversion sur le plan sociologique ....................................................................... 15 a. Définition ................................................................................................................. 15 b. Un processus individuel et communautaire à la fois ............................................... 17 o La conversion : un processus individuel ................................................... 17 o L'importance de la communauté religieuse ............................................... 19 c. Les rapports entre christianisme et islam à propos de la conversion ....................... 23 o Le christianisme selon les musulmans ...................................................... 23 o Un refus du catholicisme ? ........................................................................ 24 d. La percée de l'Eglise évangélique ........................................................................... 26
II. Droit islamique et Etat de droit ...................................................................................... 28 1. La liberté de conscience dans l'islam .......................................................................... 28 a. L'apostasie : définition ............................................................................................. 28 b. La liberté de conscience dans le droit musulman .................................................... 30 c. Les sanctions contre l'apostasie dans le droit musulman ......................................... 32
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2. L'apostasie dans le christianisme : comparaison ....................................................... 35 3. L'application des sanctions contre l'apostasie dans l'islam ...................................... 37 a. Le pouvoir de vie ou de mort .................................................................................. 37 b. Un sujet controversé au sein de l'Umma ................................................................. 38 c. Les sanctions appliquées ......................................................................................... 39 d. Les conséquences sur les apostats ........................................................................... 41 o La rupture sociale ...................................................................................... 41 o En France ................................................................................................... 41 4. Les convertis de l'islam dans un Etat de droit : le cas de la France ........................ 44 a. La liberté de conscience dans le droit français, européen et international .............. 44 b. Etat de droit et droit musulman : une incompatibilité ? .......................................... 46
Conclusion .............................................................................................................................. 52 Bibliographie ......................................................................................................................... 54 Table des matières ................................................................................................................. 55 Annexes
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Annexes
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Interview Sami Aldeeb 14.02.2013
Eve Taraborrelli : Pensez-vous qu’il existe une incompatibilité entre droit musulman et droit français ? Sami Aldeeb : Disons que la position du droit musulman est très simple : on accueille quiconque vient, mais on refuse la sortie. La sortie est sanctionnée. Il y a deux sanctions : la sanction pénale et la sanction civile. La sanction pénale, c’est la peine de mort : on vous donne trois jours et si vous refusez de revenir en arrière, on vous tue. Ca c’est le Coran interprété de façon un peu stricte. Certains mettent en doute la parole de Mahomet sur le sujet, ou sa valeur juridique. Car si la parole de Mahomet n’est rapportée qu’une seule fois, on appelle ça un « récit unique » : il n’a pas la même valeur que le récit rapporté par plusieurs. Mais toutes les écoles juridiques classiques reconnaissent que c’est la peine de mort. De façon plus modérée, ceux qui veulent présenter un Islam digeste, disent que l’apostasie est contraire au Coran en raison du verset : « Nulle de contrainte en religion ». Mais ce sont des controverses modernes pour donner satisfaction.
E.T. : Donc il y a dans le Coran un verset qui admet une liberté religieuse ? S.A. : Oui c’est un verset général, mais les juristes classiques n’acceptent pas ce verset de façon ouverte. Les modernes disent « ce que les juristes disent, cela ne nous concerne pas, ce qui nous contraint, ce sont les paroles du Coran. » Certains disent aussi que la parole de Mahomet ne les intéresse pas, car ce n’est pas la parole de Dieu. Mais ça c’est polémique. En règle générale, la position officielle de l’Etat (car ce n’est pas l’opinion individuelle qui compte en droit musulman), est de dire que « celui qui change de religion, tuez-le ! ». Aussi la peine de mort est ainsi prévue. Le sens de ce verset n’est donc pas accepté par tous.
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E.T. : Que disent les musulmans classiques à propos de ce verset ? S.A. : Pour eux, ce verset existe, mais il est interprété de différentes manières pour qu’au final, on tue. Le problème c’est quand ce verset a-t-il été révélé ? Est-ce la partie Mecquoise ou la partie Médinoise ? Ils ne prennent pas ce problème en considération. Toujours est-il que le droit musulman classique est unanime sur la question de la conversion. Les pays arabes ont émis des réserves lors de la discussion de l’article 18 de la Déclaration des droits de l’homme, en disant « nous ne pouvons pas accepter le changement de religion ». Tous les pays ne prévoient pas la peine de mort, c’est même rare pour plusieurs raisons, notamment la sortie de la colonisation, et il fallait faire bonne figure pour obtenir l’indépendance. En Arabie Saoudite ou au Yémen par exemple, si vous changez de religion on va vous tuer. Ça, c’est la sanction pénale. Elle n’est pas prévue par tous. Le roi Hassan du Maroc a dit dans un discours officiel : «celui qui change de religion, soumettez-le à un psychiatre », puis on le mettra en prison. Ce n’est pas clair, mais il y a une sanction contre celui qui se convertit. La sanction civile, c’est que tous les pays, qu’ils prévoient la peine de mort ou pas, ont dans leur législation les dispositions qui aboutissent à ce qu’on appelle la « mort civile » : on ne vous tue pas, mais vous ne pourrez pas exercer des droits essentiels. Par exemple, vous ne pouvez pas vous marier. Si vous êtes déjà marié, on dissout votre mariage et on vous prend vos enfants.
E.T. : On a tendance à dire que les musulmans, avant d’être d’une certaine nationalité, se sentant avant tous musulmans. Pour autant, dans un pays comme la France où il existe une liberté de culte, on a l’impression que le droit français prime pour eux, puisqu’ils s’y soumettent... S.A. : C’est exact, la religion est au dessus de la nationalité. Le droit français est un droit territorial. La loi française s’applique à tous. Si un musulman veut épouser un chrétien, la famille ne va cependant pas accepter. La loi ne va pas tenir compte de son opposition ; la sanction a donc lieu dans le cadre privé. En France, dans le droit, il n’y a évidemment pas de sanction. Mais il y a eu un accord entre les musulmans et l’Etat, signé du temps de Chevènement. Dans cet accord, il était prévu que les musulmans devaient accepter la liberté religieuse, y compris le droit de quitter la religion musulmane. Mais les musulmans ont refusé de signer ce
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document et Chevènement a retiré cette clause. Indirectement, l’Etat français s’est donc soumis à la volonté musulmane. Cette conception de la sanction civile suit les immigrés musulmans. Eux ne vont pas l’appliquer sur le plan étatique, car l’Etat n’accepte pas, mais sur le plan familial. Même la sanction pénale est appliquée sur le territoire français, par la famille. Par exemple, les convertis de l’Islam se montrent rarement en public, alors que si jamais un chrétien devient musulman, il est exposé partout sans pour autant être sanctionné. Si par un contre un musulman devient chrétien, il risque d’être tué par ses ex coreligionnaires, ou persécuté. Je connais un musulman qui est devenu chrétien : il m’a prié de ne jamais dire qu'il est d’origine musulmane car il risque de se faire tuer. Le problème c’est que la communauté musulmane refuse de s’adapter aux normes occidentales. Mais ça, ce n’est pas leur faute : c’est la faute du gouvernement français. Celui-ci aurait du informer ses immigrés que s’ils venaient s’installer en France, ils devaient respecter la loi, y compris la liberté religieuse. S'ils ne l’acceptent pas, on les parachute vers leur pays d’origine. C’est le même exemple avec les Anglais qui conduisent à gauche : si la Reine venait en France pour conduire à gauche, vous n’accepterez pas, même si vous n’avez rien contre elle ou les Anglais.
E.T. : Donc vous pensez que c’est la faute du politique ? S.A. : Oui, on doit enseigner de base aux immigrés qu’ils sont différents de leur pays d’origine. C’est une question de confiance. Ils peuvent dire qu’ils n’ont jamais été prévenus.
E.T. : Vous êtes en train de dire que si un musulman converti se fait tuer par un musulman, vous pensez que ce dernier le tue par méconnaissance du droit français ? S.A. : Disons que le droit français n’est pas connu de tout le monde. On dit que « nul n’est censé ignorer la loi », mais regardez, dernièrement, un homme en Angleterre a couché avec une fillette de 13 ans. Il a été acquitté parce qu’il ne savait pas qu’il n’avait pas le droit de faire cela.
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E.T. : Mais les immigrés ne sont pas forcément ignorants de la loi… S.A. : Oui, mais à mon avis, ceux qui tuent sont des malades mentaux, des fanatiques, des intégristes.
E.T. : Il y a plusieurs sortes de convertis, comme je le vois dans mon étude sociologique… S.A. : Alors, il y a des gens qui quittent l’islam parce qu’ils le détestent, par exemple les Berbères. Il est important de voir la souche des convertis. Les Berbères considèrent que les Arabes les colonisent. Les Arabes ont apporté l’islam, donc ce sont leurs ennemis. L'islam veut dire arabe, arabe veut dire colonisateur. L'islam n'était pas tendre avec les Berbères; même un Sheikh a reconnu que quand ils ont occupé l'Afrique du Nord, qu'ils ont envoyé 5 000 enfants vendus comme esclaves à Damas. 5000 ! Retirés de leur familles pour être vendus comme esclaves, pour amuser le public à Damas ! Et ça ils ne l'ont pas oublié, et les Berbères ont quitté l'islam trois fois, et trois fois on les a forcés à revenir à l'islam. En réalité, on les a contraint à devenir musulmans. Alors eux, ils disent que c'est un retour à leur culture de base. Eux ils conçoivent l'arabe comme colonisateur : cette culture les a privés de leur culture. Alors c'est un rejet de la culture musulmane, car certes ils sont musulmans, mais beaucoup de gens conçoivent cela comme une atteinte à leur culture. Vous connaissez Saint Augustin, il était berbère, et les berbères veulent revenir à l'Eglise de Saint Augustin. Leur reine a été pillée par des musulmans, pas des massacres terribles : les berbères ont vécu des choses terribles de la part des musulmans. Et plus les gens sont cultivés, plus ils vont retrouver leurs racines, parce qu'aujourd'hui, à l'école, ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire. Alors pour le moment, ce sont les musulmans qui écrivent l'histoire de l'Algérie. J'ai entendu des émissions où les Berbères disent vouloir connaître leur vraie histoire, comment on les a occupés ! Il faut savoir que l'Afrique du Nord, c'est peut-être 70% de gens d'origine berbère. Il faut faire attention à cet élément.
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Interview Saïd Oujibou 01.01.2013
Saïd Oujibou : La plupart des gens pensent que c’est un effet de mode, qu’on se convertit pour une blonde ou pour des papiers ; mais pour la plupart, c’est vraiment une expérience personnelle. Moi par exemple, j’avais une mauvaise image du christianisme, c’était tout ce que je voyais à la télévision, la débauche, toutes ces choses-là, car, pardonnez-moi mais c’est comme ça qu’on décrit les chrétiens. Je ne suis pas devenu chrétien, je suis tombé amoureux de Jésus. Moi, ça ne m’intéresse pas de devenir chrétien. Quand j’ai lu la Bible ça a été foudroyant, la Wi-Fi spirituelle s’est déclenchée. C’est un déclic. La religion m’avait enfermé, la religion m’avait donné une apparence, mais l’Evangile m’a libéré, m’a transformé de l’intérieur. Si tu fais cette rencontre personnelle avec le Christ, je peux te dire que t’es électrocuté, tu n’es plus la même personne.
Eve Taraborrelli : Avant votre conversion, aviez-vous la foi en Allah ou avez-vous seulement grandi dans une culture musulmane ? S.O. : Bien sûr, je croyais en Allah. J’étais musulman pratiquant, mais je n’ai pas pratiqué un islam, j’en ai pratiqué plusieurs. Le premier islam que j’ai pratiqué, c’était en réaction à cette terre, sur laquelle je suis arrivé, sur laquelle il y avait des discriminations ouvertes. Ma première réaction a donc été de pratiquer l’islam pour ne pas perdre mon identité. C’était donc plutôt un islam identitaire. Après, je suis passé à un islam traditionnel, qui est celui de mes parents. Enfin, avec le contexte géopolitique - la guerre en Irak et le conflit palestinien -, j’ai plutôt sombré dans un islam radical, militant. Je n'ai pas attendu pour mettre la djellaba et les babouches : dans les années 1980, j’affichais cette islamité.
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E.T. : Quelle différence faites-vous entre l'islam traditionnel et l'islam radical ? S.O. : L’islam religieux est basé sur la doctrine du Coran, sur la doctrine des Cinq Piliers. Mais s’érige après le sixième pilier : le djihad [en arabe, djihad signifie "effort"; ici, le terme est employé pour caractériser la lutte armée contre les mécréants]. Dès lors, on est beaucoup plus solide car on pense que si on est malheureux c’est à cause d’un système judéo-chrétien — on est quand même en crise d’identité, on est rejeté par la société. Un islam politique s’installe : on est exploités, on est manipulés par cette idéologie musulmane issue du wahhabisme d’Arabie Saoudite, qui lutte ouvertement contre l’Occident. J’ai aussi été dans cet islam-là à cause du conflit qu’il y avait en Afghanistan. Je voulais lutter contre les Russes qui rabaissaient et détruisaient des musulmans. Chaque musulman est frère des autres musulmans. J’étais vraiment dans un islam politique. Pour moi, le Zinedine Zidane c’était Khomeiny, à la tête du pays qui tient tête au Satan américain, l’Iran. Petit à petit dans le temps, la question du salut est venue à moi : est-ce que je suis sûr d’être sauvé ? Je pensais que le Chrétien était orgueilleux et prétentieux parce qu’il disait : « c’est par la foi, c’est quand on croit au Christ, qu’on obtient le salut. » Quand j’ai compris ça, j’étais déstabilisé par l’idée de communion avec Dieu : j’étais esclave dans l’islam.
E.T. : Comment avez-vous eu ce déclic ? S.O. : Ma sœur s’est convertie la première. Mes parents m’ont envoyé dans l’Eglise pour faire l’espion. En essayant de trouver toutes les erreurs dans la Bible, finalement j’ai trouvé beaucoup de vérités.
E.T. : Vos parents n’ont pas accepté qu’elle se convertisse ? On l’a frappée, on l’a tabassée, on a déchiré toute sa Bible. Mais ce qui était incroyable pour moi, c’est quand j’ai vu la conviction, l’amour mais aussi cette joie que dégageait ma sœur. J’étais frappé, subjugué. Pourquoi s’attache-t-elle à ce Jésus ? Pour nous, c’est un prophète, ce n’est pas le fils de Dieu. On est dans une culture sémite, orientale, la fille ne fait pas n’importe
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quoi, on fait attention, il y a une certaine pudeur ; mes parents me disent : « ta sœur va à l’église, elle va en boîte de nuit, elle fume, elle voit des mecs » etc. C’était la caricature qu’on avait des Chrétiens. Du coup, je l’espionne. Et quand je rentre dans l’Eglise, je suis frappé, parce que je me rends compte que j’avais une conception du christianisme qui était erronée. On m’a menti : les Chrétiens sont des gens pieux, des gens corrects, des gens propres, des gens qui aiment Dieu. Quand tu arrives là tu te dis « Pétard, la LiveBox elle est pas en panne ici quoi ! » Donc moi, je sors de là avec une Bible qu’on m’a offert, je la lis de la Genèse à l’Apocalypse, et en la lisant, foutu, terminé. J’étais plus la même personne. Et ma mère, qui a du flair – c’est une maman « rebeu » quand même –, elle voit que je reviens comme sa sœur, donc elle m’a confisqué ma bible. J’avais quatorze ans. Mais on est chez ses parents, on les respecte. Le troisième mois, tu refais le ramadan, tu refais la prière parce que t’es sous le même toit qu’eux. J’ai fait le ramadan jusqu’à dix-sept ans, jusqu’à ce que je fasse des conneries. Après, j’ai commencé à dealer, à fumer, ça a été des larcins etc. Et de dix-sept à vingt-et-un ans, je me suis retrouvé avec six mois de sursis etc. ; et c’est là que je me suis dit : « Mais pétard, tu as fait une expérience à quatorze ans, replonge dans ce livre ! » Donc j’ai replongé dans ce livre, il y a eu toute une réappropriation du texte sacré et puis, petit à petit, j’ai été complètement libéré de toutes mes conneries. Je peux dire que j’ai fait une vraie conversion. Pour moi à quatorze ans, j’ai compris que Jésus c’était le petit Jésus de la crèche, on le sort quand on en a besoin, comme la 5e roue de notre charrette ; mais je n’avais jamais compris qu’il fallait qu’il devienne le Maître. Je voulais que ce soit ni Sarkozy, ni mes parents, ni l’assistante sociale qui devienne le Maître, je n’avais pas de Maître moi. Et quand j’ai compris qu’il [Jésus] était le sauveur et qu’il allait devenir le Maître de ma vie, ça a été dur, ça a été difficile : j’ai abdiqué, j’ai expérimenté la puissance de la croix. Pour moi, ce n’est pas une légende, ce n’est pas un film, c’est une expérience qui ne s’explique pas. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut intellectualiser. Cela paraît abstrait, mais en même temps, c’est tellement vrai, c’est tellement palpable. Personne ne pouvait me changer, j’étais une racaille de banlieue, j’étais un « ouf », j’étais un malade, j’étais un poison vivant dans les quartiers. Et quand je me suis converti, tout le monde a dit : « ça y est, il est devenu curé ! » ; dans le quartier, le téléphone arabe marche bien.
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E.T. : Comment cela a-t-il été perçu ? S.O. : Comme une véritable trahison. La mosquée l’a su en trois secondes. Mais qu’est-ce que ma mère leur a dit ? Mes parents ne pouvaient pas me maîtriser, les flics étaient toujours à la maison. Quand ils ont vu le changement, ils ont dit : « La mosquée ne nous a pas aidés, personne ne nous a aidés. Notre fils est chrétien, mais on préfère le voir comme il est que de le voir comme il était avant. »
E.T. : Et la réaction des autres ? S.O. : Mes copains m’ont lâché. Un musulman qui devient chrétien, c’est la pire des hontes, c’est une traitrise, c’est la plus haute des trahisons. Tu trahis ta famille, ta patrie, ta religion. Un musulman n’a pas le droit de changer de religion. C’est la loi sur l’apostasie. C’est la peine de mort. Donc mes copains m’ont lâché. Pas ma famille heureusement : ils n’ont rien dit car ils ont vu la transformation. Mais je suis honnête, je suis allé voir mon père face à face et je lui ai dit : « Je te hais, je te déteste ! Combien de fois tu as tabassé maman ? On a souffert à cause de toi.» et je lui ai expliqué ce que Jésus a fait dans ma vie car personne d’autre ne pouvait faire ça. Mon père s’est effondré en larmes et il s’est converti. Donc ma mère est toujours musulmane mais elle a un grand respect pour les chrétiens, comme moi j’en ai pour les musulmans.
E.T. : Quels rapports entretenez-vous avec les musulmans ? S.O. : Je les aime, c’est ma famille, c’est ma patrie. Je suis marocain, je suis chrétien, je n’ai pas trahi mon pays pour une tranche de jambon. Je suis fier d’être chrétien, je suis fier d’être marocain. Jésus n’est pas né à la Maison Blanche, il n’est pas blond aux yeux bleus, c’est un sémite, c’est un oriental. Mon identité elle est en le Christ. J’aime les hommes, de toute race, de toute condition. Pourquoi ? Parce que Jésus a changé ma vie.
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E.T. : Considérez-vous que vous encourez un danger aujourd’hui ? S.O. : Bien sur. Dans certaines situations, avec certaines personnes, on est en situation de danger. Mais ma vie est dirigée par la peur ou par l’amour ? La Bible dit clairement « L’amour parfait bannit la peur » : si tu aimes vraiment la personne, peu importe la peur et la crainte.
E.T. : Comment vous sentez-vous menacé ? S.O. : Ca se ressent par des sarcasmes, par de la moquerie, des insultes, parfois par des courses-poursuite, par des menaces réelles au téléphone… Mais je dis « si tu es un bonhomme, un vrai bonhomme, viens me voir face à face on va voir ce que tu as dans tes tripes. Parce que si tu es vraiment musulman, l’islam te dit de respecter les Juifs et les Chrétiens. Si tu es en cohérence avec ta religion, normalement tu dois me respecter, donc tu n’es pas un vrai musulman. » Le problème c’est que moi, je renvoie à certaines musulmans une image qui les déstabilise. Qui me respecte ? Les salafistes ! Les musulmans de nom sont déstabilisés, sont plein de haine et de rancœur. C’est fou hein ? J’ai plus de respect des radicaux que de certains musulmans de nom. Je suis un fondamentaliste, je crois dans la véridicité des Ecritures mais je vais pas en faire une vérité avec une épée pour détruire ceux qui sont face à moi. J’aime les musulmans, je partage ma foi dans une atmosphère d’amour et de liberté.
E.T. : Pensez-vous qu’il y ait une incompatibilité entre droit musulman et droit français ? S.O. : C’est clair. L’islam pratique la politique du grignotage. Petit à petit, avec les pétrodollars saoudiens, on arrive à certaines lois, on arrive même à interdire le fait de faire des caricatures, peut être même le fait de dire quelque chose de mal à propos de l’Islam. On est face à une génération qui n’a pas peur. Je suis fier d’être chrétien, je me suis courbé, ici en France, on a pratiqué la politique du silence, à cause du colonialisme et toutes ces choses là, je ne vais pas encore me cacher une deuxième fois. Je pense que la parole a plus de force que la vio-
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lence et je pense qu’on peut développer une culture de la non violence du moment qu’on se rencontre, qu’on se réunit. E.T. : Pourquoi vous êtes-vous tourné vers l’Eglise évangélique ? S.O. : Quand on veut se convertir, le musulman frappe à la porte des catholiques. Mais le curé frileux avait peur de nous accueillir de peur de représailles sans doute, mais aussi pour une question de doctrine. Pour eux, l’Islam est une religion qui mène à Dieu. Je suis désolé, mais moi ce qui me mène à Dieu c’est le Christ. L’Eglise évangélique est beaucoup plus favorable à la conversion, elle accueille beaucoup mieux les musulmans que les catholiques. Dans l’Eglise catholique, il faut plusieurs années pour pouvoir se faire baptiser par exemple. Chez les Evangéliques, un an suffit, même s’il faut un enseignement et que la personne soit consciente de son engagement.
E.T. : Il n’y a quasiment aucun livre qui a été écrit sur la conversion des musulmans au christianisme. Pourquoi selon vous ? S.O. : Par la peur des représailles. La force de l’Islam réside dans les musulmans, la faiblesse des musulmans réside dans les musulmans qui se convertissent. Cela montre que l’Islam n’est pas la réponse à tout. Les musulmans rêvent de l’âge d’or, rêvent de revenir à l’Islam suprême, ils pensent que c’est la solution. Mais la religion, le christianisme ou l’islam, n’est pas la solution. La solution est dans une spiritualité, dans une vraie rencontre avec Dieu.
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Interview "Jean" Mars 2013
Eve Taraborrelli : Racontez-moi votre parcours... Jean : J’ai pratiqué l’islam, j’ai été musulman, mon père m’a formé à la foi musulmane. Je croyais au Dieu unique enseigné par l’islam. Je vis cette foi dans la communauté musulmane. Ma propre conversion s’est déroulée dans le contexte de la culture française : je ne suis pas né en Afrique du Nord (père marocain, mère catholique). Il y a eu 4 garçons, ce qui pose la question de l’éducation : on a reçu la même éducation, mais les trois autres n’étaient ni chrétiens ni musulmans. Ils ont reçu une morale musulmane, mais la religion demande une foi qu’ils n’ont pas eue. J’étais le seul à avoir cette foi en Dieu unique comme musulman. "On est dans un monde où il y a partout le pêché, le mal, la maladie et la mort. Je n'avais pas de réponse de mon père car il nous enseignait un islam très populaire, l’islam des bleds. Mon père était capable de dire que quand les Américains sont allés sur la lune, c’était un montage télévisé car cela touchait à quelque chose d’intime par rapport à Dieu. Certainement les jeunes d’aujourd’hui pensent autrement, mais vous voyez un peu la culture que j’ai reçu. Mon père ne pouvait donc pas répondre à ces questions. Je voulais en savoir plus sur ce mystère qu’est Dieu. Dans toute cette histoire, je cherchais en profondeur. J’ai commencé à lire vers l’âge de vingt ans, pendant mon service militaire. Le livre essentiel à ma conversion c’est quand, en allant chercher des bouquins pas trop chers aux Puces d’Argenteuil, j’ai vu la Bible. Je me suis dit que j’allais peut-être trouver des réponses aux questions que je me posais. Il y a aussi l’influence dans laquelle on vit : j’étais influencé par une culture judéo chrétienne, gréco romaine; avec les petits catho du quartier, on se connaissait bien, alors que mon père disait toujours « les curés disent jamais la vérité ». Je suis né en 1933, il y avait moins de musulmans donc une influence du milieu judéo chrétien beaucoup plus importante. "Je suis rentré chez moi, je suis resté trois jours enfermé chez moi, j’ai lu la Bible et chez ce Jésus, prophète pour les musulmans, ce qui m’a surpris et qui m’a fait pleurer, ce sont les différents « je suis » : je suis la vie, je suis la vérité… ces affirmations quasi divines. Cela
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n’influence pas forcément tout le monde, mais j’avais trouvé la vérité que je cherchais au fond de moi même, avec ce Jésus, messie. "J’en ai parlé avec des catholiques, des amis très pratiquants, qui m’ont dit qu’ils connaissaient un prêtre, l’Abbé Jean Aoulia; c’est un kabyle, son père est kabyle, sa mère est Française. Je l’ai rencontré, et puis on a commencé le catéchuménat, pour préparer au baptême auquel j’ai dit un "oui" grand comme le Ciel.
E.T. : Comment votre conversion a-t-elle était perçue ? J. : Je n’ai ressenti aucune gêne, et une force formidable pour communiquer cette joie. Mon père a dit : "si j'avais su, je t'aurais envoyé plus tôt dans une école coranique." Il était très ouvert donc il respectait ma liberté, du commencement à la fin. Je me souviens le jour de mon ordination, il est venu et m’a dit : "mon fils, ce que tu fais, fais le bien." "Il n’y a qu’une seule fois où on a discuté avec mon père, j’ai dit cette parole de Jésus : "N’appelez père personne sur Terre, vous n’avez qu’un seul père, c’est Dieu. N’appelez maître personne sur Terre, vous n'avez qu’un seul maître, c’est Jésus ». Là, ma mère a mal pris cette expression et mon père lui a dit: "il a raison, on a qu’un seul père c’est Dieu." Mais pour lui, c’était inattendu que je trouve une telle force dans les Evangiles. "J’ai toujours été en bonne relation avec les ouvriers musulmans avec qui je travaillais car j’ai toujours aimé ces musulmans. Ils m’ont toujours considéré comme Marocain et même quand je vais dans ma famille, ils m’ont toujours considéré comme Berbère. Ceux que je rencontrais au boulot étaient des amis de mon père et mon père m’avait très bien enseigné ces cultures berbères musulmanes.
E.T. : Peut-on parler de prosélytisme dans le catholicisme ? J. : Dans mon milieu du monde ouvrier, je n’ai jamais connu de prosélytisme catholique. Qu’il y ait des catholiques ou des protestants ou des orthodoxes qui pratiquent le prosélytisme,
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certainement, mais moi je n’ai jamais connu cela dans le catholicisme. Car le catholicisme a toujours parlé de respecter la foi des autres dans l’approche des différentes religions. Ca s’est amplifié après Vatican II.
E.T. : Est-ce facile pour les musulmans d'entrer dans la communauté chrétienne ? J. : Aujourd’hui c’est beaucoup moins difficile, mais j’ai connu des prêtres qui accueillaient un musulman avec la Bible et le Coran, et parlaient de telle façon à ce que le musulman retournait dans l’islam en pleurant. Pourquoi ? Parce qu’il y a tout un courant actuellement, surtout après Vatican II, de théologiens et un courant progressiste parmi les catholiques, qui parle de valeurs dans toutes les religions. Et ce courant en arrive à relativiser sa propre religion. L’intérêt était de dire: "Vis bien ta religion musulmane, tu n'as pas besoin d’entrer dans une autre religion." C’est pourquoi l’Eglise avec Benoît XVI a été obligée de remettre la vérité en place, c’est à dire que toutes les religions ne sont pas les mêmes. Ce n’est pas parce que le Concile Vatican II veut le respect de toutes les religions, quelles se valent toutes et qu’il faille tout relativiser. "Il ne faut pas confondre prosélytisme et ce qui est essentiel à la religion catholique : annoncer le salut par le sauveur unique qui est Dieu incarné en Jésus Christ. Le prosélytisme veut lui aussi transmettre cette bonne nouvelle, que Dieu a un projet de salut pour tous les hommes. Mais est ce que c’est de l’embrigadement ? Est ce qu’on bourre le crane comme les Témoins de Jéhovah ? Beaucoup de chrétiens ont milité à travers un certain humanisme chrétien après la 2GM surtout (aide aux pays en développement par exemple), humanisme qui avait remplacé l’évangélisation surtout dans les pays d’Afrique du Nord où les chrétiens se sont mis au service du pays, en refusant parfois de baptiser ceux qui se présentent. Beaucoup de chrétiens catholiques n’avaient pas une formation solide, n’avaient pas l’intelligence de leur foi, ne savaient pas expliciter les affaires, défendre leur foi. Ce n’est pas pour autant qu’ils se faisaient musulmans, mais ils avaient peur de parler de Dieu.
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E.T. : Considérez-vous qu'il existe des menaces pour les convertis de l'islam ? J. : Il existe une menace théorique en France, on ne craint pas grand chose si on sait être prudent. Mais il y a toujours des intégristes parmi les musulmans qui sont capables de poser des fatwas contre les apostats. En même temps, les réactions en France ne sont pas les mêmes que dans un pays musulman. Là bas, ils nous entendent dire il n’y a qu’un seul Dieu. Je lève souvent le doigt en disant que le juif dit qu'il n'y a qu'un seul Dieu, le chrétien aussi, le musulman aussi, mais quand les chrétiens disent Jésus Christ, c'est vu comme un blasphème car Jésus était un homme. Ils nous écoutent mais ne peuvent pas nous croire quand le Coran dit que les chrétiens donnent des associés à Dieu.
E.T. : Quelles sont les démarches pour se convertir au christianisme ? J. : On s’adresse à l’église la plus proche de chez soi. On discute avec prêtre en demandant le baptême. Ensuite, il faut voir plein de choses qui n’ont rien à voir avec la religion, à savoir s’il a des papiers : beaucoup se convertissent pour obtenir des papiers français. Le fait d’avoir un certificat de préparation au baptême pèse en faveur d’une obtention de papiers par exemple. Il est important d’avoir des repères sur la personne qui veut se convertir. Celui qui arrive doit avoir un accueil vers une amitié, un cheminement où il partage avec le prêtre sur toutes les questions qui se pose, pour que s'instaure un climat favorable. Il faut donc un suivi très personnel. "Il existe toutefois des conditions pour éviter les cours de catéchisme : quelqu’un qui ne peut pas s’y présenter à cause de risques encourus. On peut alors lui donner le baptême dans la clandestinité, comme ça s’est fait pendant des années en Algérie. Les cours durent en principe deux ans, mais ça peut aller plus vite. Suivent ensuite la communion, la confirmation et surtout un engagement personnel dans la religion.
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