Ingénieurs sans frontières | rapport d’échec | 2011

Page 1

Rap port d’éc hec 2011

1


Ma grange ayant brûlé complètement, je peux maintenant voir la lune.

– Mizuta Masahide

Seuls les humbles s’améliorent.

– Wynton Marsalis

Photo : Don D’Souza/ISF


Avant-propos Sarah Elizabeth Lewis

Certains n’admettent que très difficilement l’échec et n’en tirent jamais de leçon. Si une organisation de développement international sauve des enfants de la pauvreté ou effectue des missions de sauvetage à la suite de catastrophes naturelles telles que tsunamis, ouragans et autres désastres, elle aura peut-être du mal à révéler comment les choses se sont passées et pourquoi tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Dans certains milieux, le cynisme entourant l’efficacité de l’aide au développement est tel qu’on ne saurait concéder la défaite, ne serait-ce que pour un court instant. La lutte pour obtenir des fonds a aussi créé une réticence palpable à divulguer ses erreurs et ses échecs. Mais on a beau vouloir éliminer l’échec du processus naturel menant à l’atteinte d’un objectif, il semble qu’on sache d’instinct que le fait d’apprendre de ses échecs a un pouvoir transformateur, irremplaçable et propulseur. Le cadeau de l’échec est une énigme. Tout comme le chiffre « zéro », il peut représenter aussi bien le néant que le début de possibilités infinies. Comment pouvons-nous donc multiplier quelque chose par zéro et augmenter sa valeur? Comment un échec peut-il au juste devenir une aide? Il se trouve que c’est possible.

Grâce à la capacité d’autocritique courageuse d’une organisation canadienne, une initiative a été lancée et est devenue une lueur d’espoir dans le secteur du développement international. Ingénieurs sans frontières (ISF) a osé discuter publiquement de ses échecs non seulement pour améliorer l’efficacité de son aide internationale, mais aussi pour inciter les acteurs du milieu à parler des leurs avec plus de transparence. Ce fut une révolution, un des grands moments catalyseurs dans le domaine. « Impressionnant. » « Leadership audacieux. » Ce sont les mots utilisés par Gates Sr., coprésident de la Fondation Bill et Melinda Gates, pour décrire l’initiative d’ISF dans l’avant-propos du Rapport d’échec 2010. Sa conclusion? « Je suis persuadé que ce bel exemple renforcera le dialogue mondial sur la façon d’apprendre de ses échecs afin d’avoir un impact inégalé sur ceux que nous voulons aider. » Sa prédiction s’est déjà réalisée. D’autres organismes de développement international ont commencé à considérer le fait d’admettre ses échecs comme une façon productive de commencer à s’améliorer. Cela a alimenté une discussion plus vaste sur l’efficacité de l’aide au développement dans d’autres ONG, des organisations comme le Stanford Innovation Institute et des journaux tels que The Guardian. Ce Rapport d’échec 2011, qui présente des autoréflexions sur les failles dans la communication, le leadership et la transparence, montre les gains perceptifs qui se produisent uniquement lorsqu’une organisation prête attention à ce que nous évitons souvent dans notre quête du succès. Nous faisons des découvertes,


des percées et des inventions en partie parce que nous sommes assez libres pour reconnaître que nous n’avons pas atteint les objectifs escomptés. L’humilité, la transparence et l’autocritique, des valeurs fondamentales d’ISF, ont aussi donné d’autres résultats. L’organisation a en effet lancé un portail Web interactif, Admettre l’échec, pour que les conversations qui avaient commencé avec le Rapport d’échec 2008 s’étendent à l’ensemble du secteur, soit les ONG, les bailleurs de fonds et les gouvernements en cause. Ce portail rappelle aux donateurs courageux qu’il faut se méfier d’un taux de réussite de 100 %. « Cela veut dire soit que nous choisissons des enjeux très simples, soit que nous mentons à propos de nos résultats », m’a-t-on expliqué. L’alternative à cette forme bienveillante d’autodénonciation ressemble un peu à ce qu’on peut lire sur le site Admettre l’échec : « Quelque part en zone rurale de la Tanzanie, une erreur est commise. L’incident n’est pas ébruité; cela pourrait bouleverser un donateur. Deux ans plus tard, cette même erreur est commise au Ghana et, au bout de six autres mois, au Mali. L’histoire se répète depuis plus de 60 ans. » S’inspirant de l’approche itérative de l’innovation, ils savent que « la dissimulation de nos échecs nous condamne à les répéter et à freiner l’innovation, ce qui nous voue inexorablement à la contre-performance dans le secteur du développement. » Les gens remarquables qui composent ISF font autant preuve d’humilité dans leur approche qu’ils ont su se montrer audacieux en lançant cette forme de divulgation publique. Ils sont conscients de l’asymétrie potentielle liée à la

personne chargée de déterminer ce qui constitue un échec dans le contexte de l’aide au développement. Mais cette approche leur a fait prendre davantage conscience de toutes les parties prenantes impliquées dans le travail qu’ils accomplissent et les a affranchis de ce que William Easterly appelle « le fantasme complaisant de l’Ouest selon lequel ‘nous’ sommes les êtres choisis pour sauver les autres. » Ils croient plutôt qu’une communauté confrontée à un défi a peut-être aussi en elle-même le germe de la solution. Le Rapport d’échec porte sur la conversion et non la défaite momentanée. Il rend hommage à la capacité humaine. Il est alimenté par le désir de susciter le changement dans le domaine du développement international. Le modèle qu’ISF nous présente repose sur l’idée fondamentale selon laquelle le succès n’est possible que si nous incluons une analyse rigoureuse de son contraire apparent. F Universitaire, écrivaine et conservatrice, Sarah Lewis termine présentement l’écriture de son livre « Rise », lié par contrat à Simon & Schuster (États-Unis, publication en 2013), HarperCollins (Royaume-Uni) et dans plus de six pays jusqu’à présent. S’appuyant sur son travail dans les arts et englobant aussi les domaines des sports, des affaires, de la psychologie, de la sociologie et de la science, « Rise » explore l’avantage de la résilience et de l’échec, pour ainsi dire, dans les entreprises humaines créatives qui sont couronnées de succès. Auteure de nombreuses publications, elle a été choisie pour la Power List 2010 d’Oprah et fait partie du Comité de la politique des arts du président Obama. Elle a obtenu un baccalauréat ès arts de l’Université Harvard et un M. Phil de l’Université d’Oxford, et recevra son doctorat de l’Université Yale en 2012.


Rapport d’échec 2011 Introduction

6

Des échéanciers non concordants

7

L’iceberg de la communication

9

Ashley Good Boris Martin Alix Krahn

Comprendre avant d’influencer : 10 Rester ancré sur le terrain Mike Klassen

Ressources et relations problématiques : 12 Évaluation du Mois du génie global 2011 Patrick Miller

Protéger l’innovation dans une entreprise sociale

14

Des lacunes en français

16

Renforcer le leadership traditionnel : La complexité de la dynamique communautaire

17

Concrétiser nos engagements face à la transparence

19

Leçons sur la sélection d’un district

20

Mark Hemsworth

Kyle Baptista

Duncan McNicholl

James Haga Dan Boland

L’agriculture en tant qu’entreprise : Échec de la mise à l’échelle

22

Défaillance de communication

24

Un échec dans le développement du leadership

27

L’évolution d’une stratégie

29

Erin Antcliffe

Erin Aylward, Courtney Edwards, Simon Fauvel, Min Feng Heather Murdock

Marie-Claire St-Jacques

Incapacité de transmettre une compréhension et un sentiment d’urgence pour les changements organisationnels 30 George Roter


Introduction Ashley Good Leader d’initiative Ingénieurs sans frontières Canada ashleygood@ewb.ca

Dans l’univers complexe et en mouvement du développement international, la voie qui mène à l’innovation systémique, de l’étincelle au changement durable, est pavée d’essais, d’erreurs et d’apprentissages qui aboutissent à des changements efficaces. C’est en gardant ce processus à l’esprit que je vous présente le Rapport d’échec annuel 2011. Vous y trouverez les témoignages de 14 membres d’Ingénieurs

Le Rapport d’échec nous permet quant à lui d’apprendre à apprendre.

6

sans frontières Canada (ISF) à tous les échelons de l’organisation, qui partagent leurs expériences avec humilité, autoréflexion et volonté d’apprendre – des valeurs fondamentales de la culture d’ISF. La prise de conscience de l’échec, qui fait partie de la culture d’ISF, ne cesse d’évoluer. Cette année, certains collaborateurs ont choisi de parler d’échecs au niveau des programmes et des équipes; quelques-uns ont demandé à des partenaires et à d’autres intervenants d’évaluer et d’écrire leurs témoignages et leurs apprentissages. Ces échecs sont les plus difficiles à avouer, car ils mettent

en cause d’autres personnes que l’auteur. La tâche est plus ardue, mais les résultats sont plus concluants : dialogue franc, confiance et apprentissage doublés de nuances et de perspectives diverses qui contribuent à renforcer nos relations et notre travail. Mais le fait de publier nos échecs n’est pas une fin en soi. Nous parlons de nos échecs pour rester ouverts à l’apprentissage; nous apprenons pour être plus à même de faire des changements systémiques et de les accélérer. Le Rapport d’échec de l’an dernier invitait les lecteurs à relire les rapports des années précédentes et à se demander si ISF avait su apprendre de ses erreurs ou si, au contraire, elles se répétaient. J’ai souhaité relever ce défi; si mes lectures ne m’ont pas permis de repérer des erreurs qui se répétaient, j’ai remarqué des tendances en ce qui concerne le type d’échecs qu’ISF semble particulièrement susceptible de connaître. Par exemple, l’esprit d’entreprise et d’innovation qui fait la fierté d’ISF peut nous amener à saisir des occasions sans prendre le temps de comprendre entièrement la situation, les intervenants ainsi que les risques à prévoir. Nous sommes également susceptibles d’essuyer des revers dus à l’une des principales causes d’échec qui touche le secteur du développement, c’est-àdire le désalignement des structures incitatives qui crée une asymétrie dans les responsabilités et la propriété. Enfin, nous avons tendance à fixer des objectifs qui dépassent notre capacité d’obtenir les résultats escomptés; il s’agit sans doute d’un résultat direct de l’ambition et de la passion qui caractérisent ISF.


La lecture des rapports des années précédentes montre également que lorsque nous nous sommes lancés dans cette entreprise, nous en connaissions peu sur la publication des échecs. Nous n’avions qu’une culture qui soutenait cette idée, malgré les risques. Ces risques nous ont permis d’apprendre. Le Rapport d’échec nous permet quant à lui d’apprendre à apprendre. Maintenant que nous en sommes à notre quatrième Rapport d’échec annuel, les tendances commencent à ressortir, et nous avons l’occasion d’utiliser la connaissance de nos failles pour prévoir les échecs et donc les éviter. Le Rapport d’échec est un condensé de l’apprentissage au sein de l’organisation. Nous le rédigeons afin de découvrir comment apprendre mieux, de la même façon que nous mettons en application des idées comme s’il s’agissait de prototypes, réfléchissons et essayons encore pour voir comment susciter de véritables changements sociaux. Apprendre de nos erreurs est un besoin constant. C’est d’autant plus pertinent qu’ISF investit dans des idées neuves qui n’ont pas encore fait leurs preuves, et ce, en sachant qu’elles pourraient être vouées à l’échec. ISF innove et recherche constamment; c’est pourquoi l’organisation continue de faire des erreurs. Mais ces erreurs s’inscrivent toujours dans une démarche consistant à évaluer en permanence notre compréhension des problèmes que nous souhaitons régler et à adapter sans cesse nos innovations. F

Des échéanciers non concordants Boris Martin Équipe de direction des programmes africains Ingénieurs sans frontières Canada borismartin@ewb.ca

L’an dernier, nous avons décidé d’aborder l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (ARVA) à propos des innovations systémiques que nos équipes agricoles avaient conçues. Le partenariat pourrait apporter des investissements de 800 000 $ à ISF et permettre de changer considérablement les projets de développement agricole. Quand nous avons rédigé notre note de concept, Anna-Marie Silvester et Colleen Duncan encadraient nos équipes au Ghana, en Zambie et au Malawi. L’investissement de l’ARVA permettrait d’accroître le travail en cours. L’ARVA a aimé notre approche sur le terrain parce que nous créions de nouveaux systèmes d’apprentissage en s’assurant que le personnel et les directeurs adoptaient cet apprentissage et étaient en mesure de gérer et d’améliorer ces systèmes. Nous étions emballés et prêts à commencer. Quand nous avons amorcé ce processus, je croyais que nous pourrions établir un partenariat avec l’ARVA en moins de trois mois et j’ai établi des attentes en conséquence. C’était une erreur. 7


8

La préparation de la note de concept nous a pris quelques semaines. Nous avons reçu de la rétroaction un mois plus tard. Après cela, nous avons fait un premier brouillon qui nous a demandé quelques semaines de plus à rédiger et qui a été révisé à Nairobi pendant plusieurs mois. Ce cycle s’est répété quelques fois, nous permettant de nous diriger lentement vers une proposition finale de partenariat. L’ensemble du processus a duré plus de douze mois. Pendant cette période, Colleen et Anna-Marie ont continué de diriger leurs équipes d’une position difficile. Elles essayaient de couvrir leurs arrières – au cas où nous aurions reçu des fonds importants nous permettant de nous mettre à l’échelle avec l’ARVA – et de gérer en même temps les stratégies de leurs pays. Elles étaient de plus en plus frustrées, avec raison. Petit à petit, elles ont compris que leur vision d’impact n’était pas applicable selon l’échéancier prévu. Le personnel des programmes africains commençait aussi à être impatient étant donné l’ambiguïté de la stratégie à long terme des équipes. Dans l’ensemble, cela a ralenti notre capacité d’offrir de la valeur à nos partenaires locaux et, en définitive, d’aider Dorothée. J’ai échoué. Je ne me suis pas rendu compte que l’ARVA ne fonctionne pas selon les mêmes échéanciers qu’ISF. Nous étions prêts à commencer dès le premier jour, puisque ISF innove à partir de la base. L’ARVA, par contre, reçoit habituellement des centaines de propositions de financement et a besoin de six mois à un an pour les approuver. C’est sa façon de travailler.

En allant de l’avant, nous devons nous poser des questions sur les mécanismes de financement qui représente l’essentiel des fonds destinés au développement. Y a-t-il une concordance d’échéanciers entre les besoins sur le terrain (qui sont souvent spécifiques à l’endroit, complexes, dynamiques, diversifiés et imprévisibles) et le processus administratif de révision des propositions de projets, d’embauche du personnel et de mise en œuvre? Cette expérience a confirmé mon opinion selon laquelle nos programmes ont besoin d’une solide base de fonds sans contraintes, et nous devrons peut-être éviter d’établir des partenariats axés sur des projets. Mais quand je repense à toutes les difficultés que cela a créées, j’aurais souhaité avoir eu une meilleure compréhension des échéanciers au moment de la décision initiale. F


L’iceberg de la communication Alix Krahn Membre de section Université de l’Alberta Ingénieurs sans frontières Canada alix.krahn@gmail.com

En décembre 2010, je suis allée voir Peter Goldring, député d’Edmonton-Est et membre du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, pour établir des relations avec la section d’ISF à l’Université de l’Alberta.

commençant par parler de l’efficacité de l’aide. Mais j’ai vite compris qu’il connaissait bien ISF – il allait en fait venir à notre Congrès en janvier et se préparait à visiter nos projets au Ghana. C’est le résultat d’un manque de communication entre le bureau national d’ISF et moi. Aucun de nous n’avait communiqué nos activités de plaidoyer et je n’avais pas fait de recherche pour voir s’il existait déjà des relations au niveau national. À cause de cet échec, j’ai perdu une occasion de mettre à profit les discussions qui avaient eu lieu précédemment entre ISF et M. Goldring. J’aurais pu lui poser des questions et encourager une réflexion critique sur sa participation au congrès et ce qu’il espérait accomplir en

Les systèmes servant à saisir l’information, les processus pour l’utiliser et l’acceptation de tous pour en maintenir la pertinence ont besoin d’être améliorés pour augmenter l’efficacité de notre travail sur la Colline du Parlement. ISF venait de mettre sur pied son programme de plaidoyer, qui est mené en grande partie par les sections. Ces dernières étaient invitées à rencontrer et à créer des liens avec les députés locaux en vue de faire connaître aux députés la campagne d’ISF dont le but est de fournir une aide plus efficace, et d’augmenter la capacité des sections à accomplir le travail de plaidoyer politique. Je pensais qu’il s’agissait du premier contact de M. Goldring avec ISF et j’avais prévu lui présenter notre travail en

allant au Ghana. Il s’agit non pas d’un simple manque de communication, mais bien d’un échec de la gestion du savoir au niveau organisationnel. Les systèmes servant à saisir l’information, les processus pour l’utiliser et l’acceptation de tous pour en maintenir la pertinence ont besoin d’être améliorés pour augmenter l’efficacité de notre travail sur la Colline du Parlement. Ces améliorations sont également nécessaires pour permettre à ISF de mieux tirer parti de son réseau de sections

9


universitaires et professionnelles à travers tout le pays, de la même façon que les députés sont présents partout au Canada. Cet échec m’a fait comprendre l’importance de la gestion des connaissances. Et pour bien montrer que j’avais retenu la leçon, avant ma rencontre suivante avec M. Goldring, j’ai envoyé un message à James Haga, directeur du plaidoyer d’ISF, afin de comprendre comment la relation avec M. Goldring avait progressé. Cette histoire n’est que la pointe de l’iceberg. Il est nécessaire d’améliorer d’une façon systémique la communication et le transfert des connaissances à ISF. Tous les intervenants doivent reconnaître l’importance de partager l’information et en faire une priorité pour que ces systèmes nous aident à apprendre et à améliorer notre travail. Cela ne concerne pas seulement les nouveaux systèmes de partage d’information mais aussi le changement de comportement requis pour s’améliorer constamment. Grâce à cet apprentissage, je suis devenue une championne de ma section et d’ISF pour ce qui est de la gestion des connaissances et de la communication. Je pense qu’en intégrant la gestion des connaissances de même que la surveillance et l’évaluation de mes propres activités, je peux inciter les autres à en faire autant. F

10

Comprendre avant d’influencer : Rester ancré sur le terrain

Mike Klassen Membre du personnel des programmes africains, Chaînes de valeur agricole, Ghana Ingénieurs sans frontières Canada mikeklassen@ewb.ca

Mon année de stage avec un grand projet de chaîne de valeur au nord du Ghana a commencé par une exploration de trois mois durant laquelle j’ai été encouragé à découvrir les secteurs locaux du maïs, du riz et du soya afin d’acquérir des connaissances sur la dynamique du marché et le comportement des producteurs, qui aideraient à définir la stratégie du projet et les innovations à apporter par la suite. Le but du projet était d’améliorer ces secteurs locaux afin qu’ils puissent soutenir la concurrence des produits importés pour ainsi assurer aux agriculteurs un marché pour leurs récoltes et des occasions de prospérer. Durant cette période, j’ai été libre de visiter des producteurs dans leur maison et leur champ et d’entrer en contact avec différentes entreprises afin de voir les défis à surmonter d’un point de vue interne. Je ne l’ai pas fait. J’étais


attiré par les structures et les incitatifs présents chez mon organisme partenaire, et je voulais comprendre pourquoi cela amenait l’équipe à agir et à s’exprimer d’une certaine façon. Lentement, mon attention s’est détournée. J’étais censé apprendre à connaître les marchés, les entreprises et les producteurs locaux alors que j’ai passé de plus en plus de temps à comprendre l’organisme partenaire.

Durant cette période, j’ai été libre de visiter des producteurs dans leur maison et leur champ et d’entrer en contact avec différentes entreprises afin de voir les défis à surmonter d’un point de vue interne. Je ne l’ai pas fait. Je suis passé du renforcement des capacités des employés à la gestion de la stratégie pour le secteur des intrants et de l’équipement du projet. Je croyais que ce poste de leadership me permettrait d’avoir plus d’impact qu’en travaillant sur le renforcement des capacités et j’ai sauté sur l’occasion. Cependant, mon manque de connaissances sur le terrain m’a empêché de mener avec assurance ma vision d’un système de marché transformé et je n’ai pas su fournir une bonne orientation technique qui aurait pu amener l’équipe à adopter une approche plus intégrée

dans différentes régions du pays. J’avais échoué. J’avais besoin de connaissances plus approfondies pour être efficace dans le rôle de leadership que j’avais choisi; ces mêmes connaissances que j’avais eu l’occasion d’approfondir, mais que j’avais ignorées. Mon désir personnel de susciter « plus » de changement l’avait emporté sur le besoin d’acquérir les connaissances voulues pour créer du changement. Je ne suis sûrement pas le premier à commettre cette erreur dans le secteur du développement. Nous nous faisons régulièrement de fausses idées sur la façon dont les choses fonctionnent (dans ce cas, les entreprises d’intrants et les producteurs) sans prendre la peine d’aller sur le terrain pour remettre en question nos idées préconçues et sans réellement comprendre le système actuel avant d’essayer de le changer. Du fait de cet échec, j’ai commencé à comprendre pourquoi ISF recommande fortement que ses employés passent du temps sur le terrain, question de plonger dans la dynamique et les interactions entre les entreprises et les producteurs. Je reconnais qu’il s’agit d’un principe qui ne souffre aucun compromis. Cette pratique nous renseigne sur la réalité des producteurs, ce qui nous permet de déterminer les innovations les plus susceptibles de créer un changement systémique pour les petits agriculteurs du Ghana. Cela nous aide à rester connectés et en contact avec ces producteurs et donc de voir les choses selon leur point de vue. F

11


Ressources et relations problématiques :

Évaluation du Mois du génie global 2011 Patrick Miller Membre de la section de l’Université de Calgary Membre de l’équipe décentralisée de génie global Ingénieurs sans frontières Canada patrickmiller@ewb.ca

En octobre 2010, un groupe de membres ambitieux de la section de l’Université de Calgary a décidé de créer le tout premier « Mois du génie global (MGG) » axé sur le rôle en évolution des ingénieurs dans la société. De nouveaux leaders ont été recrutés, et ces derniers ont saisi l’occasion d’avoir des responsabilités. L’énergie était palpable! Notre plan était de donner au MGG une dimension qui déborderait du cadre d’ISF en créant un mouvement ralliant plusieurs groupes du monde du génie. L’évènement serait géré par

Alberta (APEGGA). En tant qu’organisme de réglementation et association professionnelle d’envergure, l’APEGGA apporterait une légitimité hors pair, ainsi qu’un réseau et les ressources dont le MGG avait besoin pour être couronné de succès. Le travail de liaison avec l’APEGGA a été confié à une leader enthousiaste en raison de ses expériences antérieures dans des rôles de haute responsabilité en dehors d’ISF. Cette décision était conforme à l’approche d’ISF, qui consiste à soutenir les nouveaux membres dans des postes de grande responsabilité qui

ISF n’a pas réussi à attirer l’APEGGA au sein du mouvement de génie global, de sorte que l’impact et l’envergure de notre travail ont été significativement réduits.

12

des bénévoles et encadré par un comité de leadership formé de représentants de plusieurs groupes d’étudiants en génie. Notre priorité était de créer des partenariats avec d’autres organismes de génie, le personnel enseignant et, surtout, l’Association of Professional Engineers, Geologists, and Geophysicists of

offrent un apprentissage par l’expérience. Tout semblait se dérouler selon les plans établis – la responsable faisait état de communications régulières avec l’APEGGA et l’équipe était ravie de l’avoir parmi elle. En février, toutefois, elle a informé l’équipe que l’APEGGA ne participerait pas à l’événement. Le MGG avait lieu


en même temps que le « Mois du génie et des géosciences », et l’APEGGA était préoccupée, avec raison, par le fait de devoir promouvoir simultanément les deux évènements. Nous avons réussi à mettre en œuvre tous nos évènements grâce à la célérité de toute l’équipe. Nous avons trouvé des commanditaires locaux, retravaillé certains éléments du MGG et les évènements ont fini par être créés conjointement avec les étudiants en génie et le personnel enseignant. Ensemble, nous avons engagé de nombreux ingénieurs et particuliers. Cependant, un échec majeur a compromis notre planification. ISF n’a pas réussi à attirer l’APEGGA au sein du mouvement de génie global, de sorte que l’impact et l’envergure de notre travail ont été significativement réduits. J’ai stratégiquement choisi une leader capable de créer un partenariat avec l’APEGGA. Mais en tant que son directeur, je ne lui ai pas donné le soutien dont elle avait besoin pour mener à bien sa tâche. J’étais certain de ses forces et persuadé qu’elle réussirait. C’est pourquoi j’ai omis de la soutenir et tenu pour acquis qu’elle viendrait me consulter si elle avait des questions à propos du concept de génie global. Le bilan du MGG 2011 a permis d’identifier dans le projet trois pistes d’échec : 1. La représentante travaillant avec l’APEGGA était nouvelle à ISF. Souvent, ISF confie à des personnes très compétentes mais inexpérimentées des rôles présentant un défi, de manière à favoriser le perfectionnement personnel à travers

l’apprentissage par l’expérience. Cette stratégie est parfaite pour aider les leaders d’exception à progresser, mais elle peut aussi avoir de graves conséquences. Dans ce cas-ci, la responsable ne possédait pas la compréhension des antécédents d’ISF ni les connaissances voulues pour articuler le principe de génie global propre à ISF. J’aurais dû reconnaître cette lacune et lui offrir un meilleur soutien, ou encore déléguer la gestion de la relation avec l’APEGGA à un leader possédant de meilleures bases en génie global. Il est certes important d’investir dans l’apprentissage et le perfectionnement des leaders, mais il faut aussi équilibrer cet investissement en trouvant une personne qui convient pour la tâche, surtout lorsqu’il s’agit de gérer des relations avec des partenaires potentiels d’envergure. J’ai pris une mauvaise décision en tenant pour acquis que ses grandes aptitudes permettraient d’établir de solides relations de génie global avec un soutien minimal. 2. En examinant l’échec de la communication, nous avons remarqué que la communication de la représentante avec l’APEGGA mettait trop l’accent sur l’idée de génie global plutôt que sur les parallèles entre le génie global, les objectifs de l’APEGGA et notre plan pour le mois. Trop souvent, le génie global est présenté comme une idée d’ISF, et c’est la raison pour laquelle il peut être difficile d’obtenir une acceptation plus large.

13


3. Après le MGG, l’équipe n’a pas fait de suivi avec l’APEGGA, une erreur qui n’a pas aidé au maintien de notre relation. Il a fallu attendre juin 2011 pour que le malentendu soit clarifié. Gérer des relations d’affaires peut être difficile, et il est essentiel que les deux parties établissent des attentes précises, favorisent une communication transparente et se tiennent mutuellement au courant des changements apportés au programme. Quand les choses vont moins bien, un engagement rapide et sincère est essentiel.

14

À l’avenir, les sections d’ISF qui chercheront à établir des relations avec des organismes extérieurs devraient s’assurer que les personnes convenant au rôle soient préparées à réussir. Il faut avoir une connaissance d’ISF, des compétences pour la communication et une attitude humble mais confiante pour bâtir des relations solides. Lorsque nous planifions des projets, nous devrions faire la part entre l’investissement dans le perfectionnement de nouveaux leaders et la certitude que les résultats peuvent être obtenus en attribuant les rôles, quels qu’ils soient. D’une façon plus générale, ISF a appris une leçon de communication avec ses partenaires avec cet échec et a donc demandé à Len Shrimpton, directeur général de l’APEGGA, ce qu’il pensait de l’idée de publier cette histoire dans le présent rapport. « L’APEGGA continue à soutenir la raison d’être d’Ingénieurs sans frontières. Votre enthousiasme et votre énergie pour la profession sont remarquables, » a-t-il répondu. F

Protéger l’innovation dans une entreprise sociale Mark Hemsworth Directeur et fondateur Rent-to-Own ltée mark@rtoafrica.com

En 2009, ISF a fourni une subvention de 20 000 $ pour démarrer Rent-to-Own ltée. J’ai pu réaliser mon rêve, qui était de monter dans le cadre rural de la Zambie une entreprise qui utiliserait un financement adapté, une formation personnalisée et une livraison sur place pour permettre aux agriculteurs entrepreneurs qui en avaient le plus besoin d’obtenir de l’équipement. Ce financement m’a permis de prouver que le concept fonctionnait. J’ai découvert qu’il y avait au moins 10 000 petits agriculteurs et entreprises qui pourraient bénéficier de ce service. Chaque pièce d’équipement distribuée aux clients de Rent-to-Own augmenterait la productivité, donc la rentabilité, de leurs fermes. Après six mois d’essais, j’ai dû prendre une décision : devais-je maintenir Rentto-Own en tant qu’organisme sans but lucratif, ou l’enregistrer comme une


entreprise? Mon expérience passée m’a appris que les ONG ne répondent pas toujours aux attentes des bénéficiaires mais que les entreprises à but lucratif sont tenues de le faire. Cela m’a amené à croire que les entreprises à but lucratif étaient plus efficientes et globalement plus efficaces que les ONG. J’ai donc enregistré Rent-to-Own en tant que société à responsabilité limitée en Zambie. Cette décision m’a mis dans une situation difficile. J’étais pris entre deux mondes : le lucratif et le non lucratif. Rent-to-Own a pour vocation d’améliorer le sort des collectivités dans les coins les plus reculés de l’Afrique, ce qui est considéré par le monde lucratif comme trop risqué; et le monde non lucratif n’a pas les mécanismes voulus pour faire des dons à des entreprises à but lucratif. Aucun apport d’argent ne semblait suffisant pour démarrer Rent-to-Own. Il existe bien un troisième groupe de bailleurs de fonds, connu en tant qu’investisseurs d’impact, qui s’efforce de résoudre ce problème, mais ce type d’investissement a aussi des inconvénients. Il peut s’avérer difficile de surmonter les défaillances du marché et justifier de nouveaux concepts uniquement avec des investissements d’impact, et l’essentiel du capital que j’avais réuni par ce moyen devait être remboursé dans un avenir proche. En outre, les contraintes de temps liées à cet argent ont orienté Rent-to-Own vers des activités plus rentables qui, presque par définition, ont moins d’impact social du fait qu’elles donnent la priorité au profit. Le principe de l’entreprise sociale est largement accepté; mais quand il s’est agi de trouver des mécanismes pour financer ma nouvelle entreprise, je n’ai pas réussi à

J’ai pu réaliser mon rêve, qui était de monter dans le cadre rural de la Zambie une entreprise qui utiliserait un financement adapté, une formation personnalisée et une livraison sur place pour permettre aux agriculteurs entrepreneurs qui en avaient le plus besoin d’obtenir de l’équipement. obtenir un apport en argent adapté à mes besoins. Avec le recul, je m’aperçois que j’ai fait la transition du monde non lucratif trop tôt. Cela m’a forcé à me concentrer sur les idées les plus rentables et à créer une organisation très minimaliste, de sorte que je n’ai pas été en mesure d’investir dans l’apprentissage, en particulier sur la façon de servir les agriculteurs les plus pauvres. Afin d’aider ceux qui pourraient se trouver dans une position similaire, je suggère une progression plus naturelle pour les entreprises sociales : une fois que vous avez une bonne idée avec un noyau rentable, démarrez une ONG pour bien tester le principe. Créez ensuite une société à but lucratif appelée à prendre de l’envergure et à avoir plus d’impact, tandis que l’ONG se consacre à la recherche, à la conception et à la formation; l’entreprise à but lucratif sera éventuellement en mesure de financer toutes les activités requises. Si elle est menée soigneusement, cette démarche devrait aider à maintenir les incitatifs alignés sur tous les fronts. F

15


Des lacunes en français Kyle Baptista Directeur artistique Ingénieurs sans frontières Canada kylebaptista@ewb.ca

16

Le dévoilement du Rapport d’échec 2010 a été l’un des moments forts du Congrès pour le 10e anniversaire d’ISF. Nous savions que la troisième édition attirerait l’attention sur ISF. Ayant manqué la partie du Congrès qui précédait le dévoilement du rapport, j’étais ravi de pouvoir finalement assister à ce grand évènement. Des théoriciens de l’aide internationale comme Scott Gilmore, et Charity Ngoma, l’une de nos partenaires de PROFIT Zambia, ont partagé leurs réflexions sur leurs échecs personnels devant un auditoire de plus de 800 personnes. Nous savions que cet exercice, bien que risqué, serait bénéfique pour toute l’organisation et idéalement pour l’ensemble du milieu du développement. Vers la fin de l’évènement, avec beaucoup d’excitation, nous avons ouvert une douzaine de boîtes remplies de plus de 1000 Rapports d’échec. J’avais dû m’absenter dans les jours qui ont précédé le dévoilement parce qu’il avait fallu imprimer les rapports à la dernière minute, ce qui expliquait aussi pourquoi ils étaient encore chauds. Il a suffi de quelques minutes pour qu’un membre d’ISF provenant d’une section francophone vienne me voir pour

me faire part de son mécontentement à propos de la couverture. Le rapport était intitulé « Rapport sus les échecs » plutôt que le titre convenu, « Rapport d’échec ». Une piètre traduction du titre avait été imprimée sur 200 rapports. Je pourrais m’étendre sur les échéances presque impossibles à respecter pour produire ce rapport, sur les nouvelles méthodes adoptées pour tenter de réduire le temps nécessaire à la mise en page et à la traduction, ou encore sur l’embauche, pour la première fois depuis plusieurs années, de typographes contractuels. Mais ces circonstances ne sont que des symptômes de l’incapacité générale de l’organisation à reconnaître et à prendre en compte le bilinguisme des membres et des donateurs à l’échelle du pays. Cet échec m’interpelle personnellement, car j’ai soutenu ou exécuté moi-même la logistique nécessaire à la publication des cinq derniers rapports annuels. Pendant ce temps, et bien qu’ils reçoivent constamment des documents contenant des fautes de frappe ou des traductions de mauvaise qualité, nos membres francophones se concentrent sur la cause en espérant qu’ISF finira par corriger le tir. Nous sommes bien conscients des problèmes reliés à la traduction de nos documents mais devons composer avec quantité d’autres priorités et finissons par ne pas accorder à cette question importante l’attention qu’elle mérite. Cela m’a amené à me dire que de tout ce que nous gérons mal, rien n’est autant responsable de la perte de confiance que notre incapacité à communiquer adéquatement avec nos membres et partenaires francophones.


Ce constat d’échec a eu plusieurs effets positifs. Une équipe distribuée de traduction plus forte que jamais, constituée de quelques dizaines de bénévoles à l’échelle du pays, a été formée pour produire des communiqués et des documents bilingues de façon responsable et professionnelle, ce qui en fait un précieux atout pour l’organisation. Il ne manque plus que le personnel responsable des communications au sein d’ISF s’engage à mieux servir notre auditoire francophone en lui fournissant des documents de meilleure qualité, mais aussi à mettre en place des normes de qualité qui feront que les membres soient satisfaits et fiers, et pas simplement optimistes. F

Renforcer le leadership traditionnel : La complexité de la dynamique communautaire

Duncan McNicholl Membre du personnel des programmes africains, Eau et assainissement, Malawi Ingénieurs sans frontières Canada duncanmcnicholl@ewb.ca

Deux structures parallèles de leadership régissent le Malawi rural : les gouvernements officiel et traditionnel. Malgré la prévalence des structures traditionnelles du pouvoir, les projets qui se concentrent sur la gestion communautaire des points d’eau ruraux en tiennent rarement compte. ISF était intéressé à explorer la nature de la relation entre le leadership traditionnel et la gestion des points d’eau pour voir si le renforcement de ce leadership pourrait améliorer le taux de fonctionnement de ces points d’eau. En août 2010, j’ai commencé à explorer cette question dans le district de Karonga, au nord du Malawi, en collaboration avec le chef suprême Kyungu. Kyungu a suggéré une rencontre avec les chefs de sept villages pour discuter

17


18

des défis de la fonctionnalité des points d’eau et des solutions possibles. Lors de cette réunion des chefs, il est apparu que ces derniers perçoivent leur plus grand défi comme étant l’ambiguïté au niveau de la propriété. Des pompes avaient été construites dans leur village par des étrangers et, par conséquent, ne relevaient pas de la compétence officielle des chefs traditionnels. Les chefs ont recommandé que les villages adoptent des règlements qui leur permettraient de faire réparer les points d’eau. La proposition a été adoptée et mise en œuvre dans le cadre de discussions au sein de la collectivité. Je suis retourné voir les chefs à deux reprises, six mois et un an plus tard, afin de voir quel avait été l’impact, mais je n’ai pas pu tirer de conclusions de mes constatations. Bien que la majorité des collectivités ait réparé un ou plusieurs points d’eau en l’espace d’une année, rien ne permettait d’établir clairement que cela découlait directement de l’adoption du règlement. Par ailleurs, l’incohérence des informations a posé tout un défi. Les chefs ont dit tout d’abord que leurs villages n’avaient pas de règlements, mais pendant les suivis, certains villages ont déclaré avoir eu des règlements depuis de nombreuses années. Cela met en évidence la véritable complexité de la dynamique communautaire selon laquelle il est aussi difficile d’obtenir des renseignements exacts que de les interpréter correctement. En tant qu’étranger, il était presque impossible de réellement évaluer la dynamique interne de la communauté. La détermination des succès véritables exige des moyens robustes pour mesurer

le changement, aussi infime soit-il, et nous devons savoir comment interpréter la signification réelle de ces changements. Le temps et la quantité de ressources énergétiques requises pour ces processus amènent à se demander si les efforts pourraient être mieux investis. À défaut de savoir avec certitude ce qui se passe dans chaque cas, n’est-il pas possible de voir émerger les tendances au niveau des systèmes en influençant l’environnement (par exemple, le gouvernement ou le comportement des ONG)? Y a-t-il moyen d’augmenter les taux de fonctionnalité des points d’eau, même si nous ne sommes pas sûrs des méthodes exactes utilisées par les collectivités pour s’occuper elles-mêmes des réparations? J’ai encouragé l’utilisation de règlements comme moyen simple pour soutenir le leadership traditionnel. L’essai n’a pas du tout réussi à prouver réellement l’impact, car l’approche n’a pas tenu compte de la complexité de la dynamique communautaire et des défis que cela pose tant pour la mise en œuvre que pour l’interprétation de l’impact. Même si le leadership traditionnel peut toujours influencer le comportement associé à la gestion communautaire du point d’eau, la compréhension de la dynamique réelle en jeu n’est pas nécessairement possible en pratique. Le véritable potentiel de changement réside sans doute dans le milieu communautaire, qui soutient ou empêche l’émergence d’une gestion communautaire efficace des points d’eau. F


Concrétiser nos engagements face à la transparence

le gouvernement. Nous nous sommes engagés, en ayant à peine conscience de l’ampleur de la tâche, à publier des données conformément aux normes de l’IITA. En travaillant en étroite collaboration avec des experts sur la transparence du développement international (des organismes comme aidinfo, Publish What You Fund et l’Open Aid Registry), nous avons inclus officiellement dans le registre James Haga de l’IITA des données provenant de nos Directeur du plaidoyer travaux sur l’eau et l’assainissement au Ingénieurs sans frontières Malawi juste avant le Forum de haut Canada niveau sur l’efficacité de l’aide de Busan. jameshaga@ewb.ca Nous étions fiers de cette réussite et de l’occasion que nous avions d’adopter les pratiques de transparence Depuis presque deux ans, la promotion d’ONG internationales. de la transparence est un des piliers du Malgré ce succès public, il est devenu travail mené par ISF afin d’influencer clair qu’ISF devait faire plus d’efforts pour la politique des bailleurs de fonds. que la transparence et la conformité aux Les membres d’ISF ont exhorté le normes de l’IITA deviennent une pratique gouvernement fédéral à adhérer à courante. Sachant que nos systèmes de l’Initiative internationale pour la transparence de l’aide (IITA). Nous avons gestion de l’information sont souvent écrit aux journaux, recueilli des milliers de improvisés et manquent de constance, il signatures par pétition et avons rencontré va falloir faire beaucoup d’efforts pour que nous soyons en mesure de publier près de 40 % des députés fédéraux. Nous avons tout fait pour attirer l’attention sur régulièrement des données, ce qui constitue un aspect déterminant des la nécessité d’améliorer la transparence « données publiques ». de la politique d’aide étrangère du Un constat d’échec s’impose gouvernement canadien. clairement : nous n’avons pas créé Nous n’avons pas tardé à examiner de processus durable pour gérer nos propres pratiques et à réaliser que l’information et inclure régulièrement nous n’étions pas aussi transparents des données dans le registre de l’IITA. que nous le devrions. Il est devenu clair Nous avons plutôt continué à nous fier que nous devions rendre nos pratiques aux efforts spontanés de nos bénévoles plus transparentes si nous espérions et du personnel. Bien que l’IITA soit influencer celle des autres membres censée améliorer l’efficacité de l’aide de la communauté du développement en fournissant plus d’information de international et maintenir notre meilleure qualité, elle ne peut atteindre crédibilité dans nos discussions avec

19


cet objectif que si des données de qualité sont constamment publiées, ce pour quoi nous ne sommes pas organisés. Notre culture de travail est en grande partie basée sur la résilience de nos membres plutôt que sur celle de nos processus internes. Bien que notre engagement envers la transparence soit sincère, nos efforts ont été intermittents, dépourvus d’une vision à long terme et mal gérés. ISF valorise réellement l’ouverture et comprend profondément les mérites de la transparence, mais en dépit de la publication de ce Rapport d’échec et d’une culture basée sur l’apprentissage, nous n’avons pas réussi à mettre en place des systèmes adéquats pour gérer l’information. Nous n’avons pas alloué suffisamment de ressources pour intégrer ces systèmes à ISF. À mesure que notre travail prendra de l’ampleur et gagnera en complexité, il deviendra de plus en plus important de concevoir des systèmes de gestion de l’information adéquats. À l’avenir, il sera très important de mettre en place un processus nous permettant de publier constamment des données conformes aux normes de l’IITA. Comme le fait remarquer Ned Breslin, président de Water for People, « ne nous arrêtons pas là, attaquons-nous aussi à la question de l’efficacité et insistons pour savoir non seulement où va l’argent mais aussi s’il a véritablement changé des vies, et faisons tout cela d’une façon transparente ». F

20

Leçons sur la sélection d’un district Dan Boland Membre du personnel des programmes africains, Gouvernance et infrastructures rurales, Ghana Ingénieurs sans frontières Canada danboland@ewb.ca

Cette année, l’équipe travaillant sur la gouvernance et les infrastructures rurales (G&IR) d’ISF a souligné la nécessité de mieux comprendre comment les équipes de district s’occupant de l’eau et des installations d’assainissement (EDEIA) prennent des décisions liées à l’eau au sein des gouvernements de district dans le nord du Ghana. Nous voulions explorer le secteur afin de déterminer comment notre équipe pouvait y ajouter de la valeur; nous avons choisi d’envoyer une bénévole à court terme, Kaitlynn Livingstone, dans une EDEIA en vue d’obtenir une meilleure compréhension. J’étais responsable du processus de sélection de district pour le stage de Kaitlynn et j’ai sérieusement songé à un district où plusieurs membres de l’équipe de G&IR avaient travaillé par le passé, bien qu’aucun de nos employés actuels n’y soit déjà allé. J’ai visité le district et tenté d’évaluer sa viabilité pour ce stage en discutant avec les responsables régionaux. J’ai finalement donné mon accord pour envoyer Kaitlynn dans ce district,


mais j’ai réalisé au milieu du stage que l’environnement régional n’était pas propice pour approfondir notre compréhension des EDEIA. Kaitlynn ne pouvait donc pas explorer en profondeur les problématiques qui lui avaient été soumises, et elle et moi avons dû réagir rapidement pour renverser la situation. Quelle erreur avais-je commise? Mon échec est de ne pas avoir reconnu

crutement et de financement du district. J’ai aussi négligé de consulter les principaux partenaires internes et externes du gouvernement pour qu’ils me recommandent un district. Même si je savais que l’information était disponible, je n’ai pas réussi à bien en tirer parti. Cet échec a permis à notre équipe de comprendre que les districts et les communautés sont dynamiques et changent

Comme il y a eu un grand roulement de personnel, cela a entraîné une rupture dans la gestion du savoir institutionnel au sein de notre équipe. les premiers signes inquiétants lors de l’évaluation de viabilité à cause de mon préjugé de confirmation. La capacité d’un district est difficile à prédire, de sorte que lorsqu’une équipe entretient une relation à long terme avec un district en particulier, on a tendance à continuer de travailler sur place. Ce district avait déjà permis de mener avec succès des stages reliés à l’eau, mais certaines personnes clés et les projets qui avaient créé ces conditions favorables avaient évolué, et je n’ai pas examiné la situation actuelle avec un œil assez critique. J’ai également échoué en ne me renseignant pas efficacement sur le district. Comme il y a eu un grand roulement de personnel, cela a entraîné une rupture dans la gestion du savoir institutionnel au sein de notre équipe. Alors que les membres des anciennes équipes de G&IR auraient pu s’apercevoir que le district n’était pas adapté pour atteindre les objectifs du stage, les nouveaux employés n’ont pas compris les problèmes de re-

avec le temps, et que le processus qui nous amène à choisir les endroits où nous travaillons doit refléter cette réalité. En outre, notre équipe a besoin de trouver des façons de « se rappeler » des connaissances institutionnelles acquises au fil du temps, même pendant les périodes de grand roulement de personnel. Après avoir reconnu mon échec, Kaitlynn et moi avons restructuré son stage. Elle a passé du temps dans deux autres districts afin de préparer un rapport comparatif sur la fonctionnalité des EDEIA. Le rapport a ensuite été transmis à d’autres acteurs dans le secteur de l’eau, qui s’en sont servi. Ce fut un revirement remarquable étant donné la situation, mais qui a quand même laissé beaucoup de questions sans réponse, en particulier celles qui avaient été initialement posées à Kaitlynn. F

21


L’agriculture en tant qu’entreprise : Échec de la mise à l’échelle Erin Antcliffe Membre du personnel des programmes africains, Secteur public de l’agriculture, Ghana Ingénieurs sans frontières Canada erinantcliffe@ewb.ca

22

L’agriculture compte pour 35,8 % du PIB du Ghana (2006) et est la principale source de revenus d’environ 60 % de la population. Dans les zones rurales du nord du pays, plus de 80 % des gens vivent de l’agriculture, mais ils n’ont ni l’éducation ni les compétences en affaires requises pour exploiter leur ferme d’une façon rentable. ISF travaille avec le ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture du Ghana (MAAG) depuis 2004. En 2007, nous avons commencé à travailler avec des employés du MAAG afin de mettre sur pied un programme de formation appelé « L’agriculture en tant qu’entreprise (AETE) » dont voici les objectifs : 1. bâtir des organisations d’agriculteurs (OA) fortes ayant la même vocation; 2. permettre aux agriculteurs d’acquérir des compétences en affaires et au niveau de la prise de décisions; 3. développer la capacité du MAAG à développer des OA et à promouvoir l’agriculture en tant qu’entreprise. Pendant plus de deux ans, les employés d’ISF ont développé, conçu,

testé et adapté une série de modules de formation avec la collaboration des meilleurs employés du MAAG sur le terrain. Ensemble, ils ont développé l’AETE en cherchant à comprendre les forces et les faiblesses du programme pendant la mise en œuvre. Cet effort concerté a créé une formidable prise en charge de l’AETE parmi le personnel d’ISF et les employés les plus performants du MAAG, mais pas chez les gestionnaires de district. L’hypothèse sous-jacente était que les cadres supérieurs du MAAG verraient la valeur de cet outil et coordonneraient son expansion par la suite. Cette hypothèse se basait sur des succès de mise à l’échelle antérieurs, l’adoption préalable d’outils d’ISF et une vérification verbale de l’intérêt des cadres du MAAG. Cependant, cette hypothèse a été testée trop tard. Voilà notre échec. Nous avons établi des relations solides avec le MAAG en bâtissant l’outil d’AETE, mais sans susciter une prise en charge au-delà d’une poignée d’employés très performants. ISF a aussi tardé à définir le succès durable. En outre, le plan de mise en œuvre de l’AETE mené


indépendamment par les districts (sans le soutien d’ISF) n’a été élaboré qu’en 2009, ce qui était trop tard. Les employés de ces districts étaient habitués à ce qu’ISF mène le programme d’AETE et ils n’étaient pas prêts à le prendre en charge et à le mener sans la présence d’ISF. Nous avons aussi présumé que les bailleurs de fonds et le Ministère continueraient de privilégier le soutien aux organisations d’agriculteurs et à investir dans celles-ci. C’était erroné. Les structures incitatives du MAAG sont essentiellement verticales et contrôlées par les ONG ou les projets des bailleurs de fonds qui rapportent de l’argent au district. Par conséquent, si les décideurs choisissent de ne pas investir dans le développement des OA, il devient très difficile pour un district de conserver cette priorité. Le programme de l’AETE s’est heurté à une réalité défavorable, peu importe ce qu’il a accompli. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’employés du MAAG qui font de leur mieux pour aider les agriculteurs, malgré les priorités politiques du moment. Mais ils ne sont pas encore en mesure de surmonter un système incitatif où l’argent, le pouvoir et les promotions pèsent lourd dans la balance. De plus, ils doivent suivre les consignes de la direction. Aujourd’hui, sur les 20 districts qui ont reçu la formation AETE, seuls trois d’entre eux l’utilisent encore sérieusement. Dans la plupart des districts, les employés du MAAG étaient confus et déçus lorsqu’ISF les a laissés à eux-mêmes, sans soutien additionnel. Seuls les employés sur le terrain les plus motivés, travaillants et indépendants se servent encore de l’outil.

Cet échec est particulièrement frustrant parce que l’outil fonctionnait et même très bien. Mais ce n’était pas suffisant pour venir à bout du système incitatif profondément enraciné dans le MAAG. Qu’aurions-nous pu faire différemment? Il y a deux réponses possibles à cette question : 1. Avant de commencer le développement du programme, nous aurions pu établir un accord conditionnel avec les cadres supérieurs pour étendre le programme si les résultats le justifiaient, tout en œuvrant au sein des structures incitatives existantes du MAAG. 2. Nous aurions pu séparer l’auditoire pour la phase d’essai et de développement de celui de la phase de durabilité et de prise en charge. Nous aurions pu concevoir l’AETE avec un groupe d’employés du MAAG et travailler avec un groupe différent pour tester la capacité du MAAG à mettre en œuvre l’outil sans assistance. Cela aurait créé moins de confusion sur le rôle d’ISF dans l’initiative et aurait potentiellement amélioré la prise en charge et la durabilité de l’outil dans les nouveaux districts. Ce que nous pouvons faire à l’avenir. • Nous avons réalisé que les tendances changent, tout comme les politiques et les bailleurs de fonds. Nous devons suivre ces changements de plus près et modifier nos stratégies en

23


24

parallèle. L’AETE est un excellent outil qui fonctionne bien, mais il est presque impossible d’aborder la mise en œuvre un district à la fois en raison des mesures incitatives actuellement en place dans le système gouvernemental. Nous devons nous efforcer de savoir qui prend les décisions et comment un outil pourrait être institutionnalisé au sein du MAAG à l’avenir. Le secteur privé et les ONG se sont montrés fort intéressés à utiliser l’outil dans d’autres contextes. Nous allons générer des revenus additionnels en préparant une trousse de formation et en la mettant à l’échelle par l’entremise d’autres partenaires. En concevant de nouveaux outils, nous allons nous assurer d’avoir l’attention et l’accord de la direction et un plan de mise à l’échelle que nous pourrons tester avant d’investir de nombreuses ressources dans la conception et l’essai d’un prototype. F

Défaillance de communication

Erin Aylward, Courtney Edwards, Simon Fauvel, Min Feng Équipe décentralisée d’engagement des jeunes Ingénieurs sans frontières Canada erinaylward@ewb.ca, courtneymacaulay@ewb.ca, simonfauvel@ewb.ca, minfeng@ewb.ca

Ces deux dernières années, l’équipe d’engagement des jeunes (EJ) a utilisé le modèle de l’équipe décentralisée pour gérer les activités de sensibilisation d’ISF axées sur la jeunesse. Plutôt que d’avoir une personne à plein temps au bureau national, le portefeuille de l’équipe d’EJ a été géré par une équipe de bénévoles qui se trouvaient partout au Canada. L’équipe d’EJ devait communiquer avec le personnel du bureau national et les membres des sections universitaires, en plus de travailler en collaboration en tant que groupe décentralisé de quatre personnes, mais avec peu d’occasions d’interagir face à face. Le programme d’EJ a été le premier à adopter le modèle d’équipe décentralisée, qui est maintenant utilisé par six programmes. L’équipe a eu sa part de défis, d’échecs et de dysfonctionnements, et, surtout, elle a appris à utiliser ce modèle. Revenons à la fin août 2010, lorsque notre équipe de 2010 -2011 a été formée et a commencé à travailler ensemble. Une semaine à peine avant le début du


semestre universitaire, nous avons décidé que notre principal objectif à court terme serait la création d’une vision et d’un plan annuel pour le programme. Notre première réunion d’équipe en personne à Toronto a donc consisté à travailler d’une façon intensive sur notre vision et notre calendrier d’activités plutôt que d’établir des relations solides avec le personnel du bureau national. En fait, notre équipe a quitté Toronto avec un solide calendrier d’activités, de nouvelles orientations passionnantes, une confiance mutuelle entre les membres, une relation étroite avec Ian Froude, notre gestionnaire, et beaucoup d’enthousiasme pour l’année à venir. Mais il nous manquait les liens personnels et structurels avec le bureau national dont nous aurions besoin pour traduire nos objectifs en gestes de collaboration.

l’incompréhension entre notre équipe et le bureau national, notamment l’absence de dialogue et l’impossibilité d’obtenir un engagement de la part de toute l’équipe. Il y avait aussi un manque de compréhension au niveau externe sur la manière de fonctionner de l’équipe et sur sa façon d’atteindre les objectifs. On s’attendait à ce que l’équipe fonctionne comme un membre du bureau national, sans toutefois avoir accès aux voies de communication qui sont habituellement offertes lorsqu’on partage un bureau, sans compter que tous les membres de l’équipe étaient des bénévoles à temps partiel. Notre équipe avait beau être solide en interne, elle a eu du mal à obtenir une rétroaction positive, un dialogue stimulant et inspirant, et une communication en personne avec le bureau national. Cela a contribué à

Nous avons surtout réalisé que nous devions cesser d’imputer nos problèmes à la structure de notre équipe décentralisée, au bureau national ou à d’autres facteurs externes. Nous avions supposé que la structure de communication, étant bien établie avec Ian, qui agissait comme notre porteparole au bureau, serait suffisante pour assurer un bon échange d’information entre l’équipe décentralisée et le bureau national. Nous avions aussi supposé que notre rôle individuel et collectif, en tant qu’équipe décentralisée, était bien compris par le personnel du bureau et des sections. Nous allions nous rendre vite compte que ces deux dernières hypothèses étaient erronées. Nos fausses présomptions ont entraîné une série de problèmes et de

abaisser le moral au sein du groupe et la qualité du travail. Il n’a pas été difficile de repérer ces échecs. Le défi était de déterminer ce que notre équipe pouvait faire pour améliorer la situation. Nous avons surtout réalisé que nous devions cesser d’imputer nos problèmes à la structure de notre équipe décentralisée, au bureau national ou à d’autres facteurs externes. Il nous incombait d’établir nos propres besoins de communication et nos attentes, et de les partager de manière proactive avec les intervenants concernés au sein d’ISF. Le partage de ces attentes et de ces règles était

25


particulièrement important parce que les équipes décentralisées étaient une nouvelle structure au sein d’ISF et que, par conséquent, le personnel du bureau national et les membres des sections ne connaissaient pas ce modèle. Nous avons donc élaboré des règles de communication plus claires, à la fois à l’interne et à l’externe. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais a plutôt été le résultat d’un processus itératif où nous avons d’abord réglé nos problèmes internes puis entrepris de déterminer les meilleures stratégies pour mieux communiquer avec le bureau national et les autres intervenants externes. Voici les points saillants de notre démarche : • Déterminer qui doit être informé et impliqué dans les différentes décisions et discussions qui ont lieu entre le gestionnaire, le chef d’équipe et les autres membres de l’équipe afin que tous se sentent en contact les uns avec les autres; • Établir dès que possible des relations solides au sein de l’équipe et avec les intervenants externes afin qu’elles soient en place avant d’avoir à agir; • Établir un dialogue mutuellement bénéfique avec les intervenants externes en demandant spécifiquement à recevoir des commentaires, de la rétroaction et des réponses à nos questions; • Formuler des critiques claires et constructives si les processus sont inefficaces ou frustrants, et le faire aussitôt que possible.

26

Le personnel du bureau national, qui ne pensait pas seulement à notre équipe, a aussi commencé à prendre des mesures pour améliorer nos communications. Il a

pris son rôle plus à cœur en veillant à ce que le modèle de l’équipe décentralisée fonctionne mieux et a fait des changements tout au long de l’année. Cet échec et cet apprentissage ont déclenché un processus visant à améliorer la communication au niveau organisationnel. Le bureau national est en train de concevoir une structure stratégique pour encadrer les attentes en matière de communication entre les différentes parties de l’organisation. Dans un certain sens, l’objectif est d’institutionnaliser l’apprentissage des deux dernières années au niveau des équipes décentralisées, des sections, des programmes africains et du bureau national. En tant qu’organisation disposant d’un vaste réseau de bénévoles en constante évolution, l’exploration de modèles opérationnels non conventionnels nous a conduits à concevoir notre propre modèle d’équipe décentralisée comme un moyen novateur et pratique d’étendre la portée et l’efficacité du travail d’ISF. Il est extrêmement passionnant de voir que l’idée fait son chemin dans l’organisation. Mieux encore, alors que nous continuons d’intégrer ces modèles non conventionnels de différentes manières, nous savons de par l’expérience acquise avec l’équipe d’EJ que nous avons énormément d’occasions d’apprendre et de travailler plus efficacement. F


Un échec dans le développement du leadership Heather Murdock Membre de section Université Queen’s Ingénieurs sans frontières Canada heathermurdock@ewb.ca

Les sections universitaires tiennent une place importante à Ingénieurs sans frontières Canada, mais ce n’est pas évident de maintenir leur succès et leur durabilité. Après deux ans au poste de coprésidente, j’ai appris que le facteur le plus important pour la durabilité d’une section est le développement du leadership. Pour la section de Queen’s, une de nos initiatives les plus efficaces, mais aussi les plus complexes, a été notre programme de directeurs.

forme, le programme de directeurs en était à ses débuts et notre équipe de gestion a engagé 12 directeurs. En automne 2010, au début de notre première année en tant que section officielle, nous avions une équipe de gestion relativement grande et un vaste bassin de candidats aux postes de directeurs. Après bien des délibérations, nous avons décidé d’engager 21 nouveaux directeurs – une démarche intéressante mais risquée, car cela doublait presque

Les sections universitaires tiennent une place importante à Ingénieurs sans frontières Canada, mais ce n’est pas évident de maintenir leur succès et leur durabilité. Le programme de directeurs comporte un processus de mise en candidature, d’entrevue et d’embauche assez officiel visant à attribuer des rôles spécifiques et gérables à nos nouveaux membres. Cela leur donne un sens des responsabilités et crée un système où les membres sont tenus d’accomplir leurs tâches. En 2009, alors que la section commençait à prendre

la taille de notre programme. Mais nous estimions que les 21 rôles étaient bien définis et que nous étions en mesure de fournir à chaque directeur le soutien d’un membre de l’équipe de gestion. Le programme de directeurs en croissance a connu des succès et des échecs. Les échecs sont devenus évidents au printemps 2011 lorsque deux des

27


directeurs que nous avions embauchés ont quitté la section. Dans un cas, le directeur travaillait avec une grande équipe très motivée, mais il ne venait pas souvent aux réunions ou aux évènements de la section. Il ne s’était pas impliqué dans celle-ci avant d’avoir le poste, et nous avons découvert que l’idée qu’il se faisait du rôle ne cadrait pas avec celle de l’équipe et de la section. Nous n’avions pas su communiquer efficacement nos programmes et jumeler la bonne personne avec le bon rôle. Dans l’autre cas, la directrice est restée enthousiaste, mais elle n’avait pas d’orientation précise dans son rôle. Elle a également reçu beaucoup de soutien de plusieurs membres de l’équipe de gestion, mais elle n’avait pas une personne spécifiquement responsable d’elle. Je crois que l’absence d’un mentor unique était la source du problème. C’était inefficace d’avoir plusieurs personnes pour soutenir un seul directeur. Il aurait fallu s’y mettre plus tôt dans l’année pour définir son rôle et lui fournir un soutien efficace. Quand la nouvelle année universitaire a débuté en automne 2011, j’ai réfléchi à ces échecs et pris des mesures pour que chaque directeur embauché ait une responsabilité et un soutien distincts. J’ai également essayé d’être plus critique pendant le processus d’entrevue et de sélection pour être certaine de choisir les bonnes personnes pour les bons rôles. Nous continuons d’avoir une grande base de directeurs – 23 cette année – mais jusqu’à maintenant, ce que nous avons appris l’an dernier sur le soutien accordé à ces leaders nous a aidés à améliorer le programme. F 28

L’évolution d’une stratégie Marie-Claire St-Jacques Membre du personnel des programmes africains, Entrepreneuriat rural agricole, Burkina Faso Ingénieurs sans frontières Canada marieclairestjacques@ewb.ca

En 2008, suite à la recommandation de ses partenaires, l’équipe Entrepreneuriat rural agricole (ERA) s’est lancée dans le renforcement des capacités des Organisations paysannes (OP) par la mise en œuvre du service de Conseil à l’exploitation familiale (CEF). Cependant, en 2010, des obstacles majeurs dans la mise en œuvre de cette stratégie ont incité plusieurs membres de l’équipe à consacrer de plus en plus de temps au renforcement du service de commercialisation groupée chez leur OP partenaire. L’équipe définissait alors son investissement dans la commercialisation comme une nouvelle porte d’entrée pour éventuellement atteindre ses objectifs dans le CEF. En 2011, les investissements de l’équipe directement liés au CEF comptaient pour moins de 20 % des investissements totaux. C’est finalement en septembre 2011 que l’équipe a pris la décision de recentrer sa stratégie autour de la commercialisation. Avec cette décision venait l’obligation de réarticuler notre stratégie et les hypothèses derrière celle-ci. En revisitant nos hypothèses de base reliées à la commercialisation, il est devenu évident que nos activités antérieures


en commercialisation, et maintenant notre changement de cap stratégique, s’établissaient sur une série d’hypothèses qui n’avaient pas été rigoureusement testées. Alors que nos investissements dans la commercialisation se sont accrus

renforcement des capacités des OP en commercialisation; • Un ralentissement de nos activités auprès des partenaires causé par le besoin d’effectuer un travail de validation d’hypothèses.

Notre arrivée opportuniste dans la commercialisation avait donc laissé une série de questions capitales sans réponses. pour finalement excéder ceux du CEF, l’équipe a continué d’opérer en validant certaines hypothèses au niveau de l’OP, mais sans que ne soit jamais vérifiée la pertinence d’investir dans ce service pour le producteur, indépendamment du CEF. Notre arrivée opportuniste dans la commercialisation avait donc laissé une série de questions capitales sans réponses : • Quelles sont les réelles motivations du producteur à commercialiser avec une OP? Quels bénéfices en retire-t-il? • Qu’est-ce qu’un système de commercialisation avantageux pour le producteur? • L’OP est-elle l’acteur le mieux positionné pour procurer ce type de service? Pour l’équipe ERA, trois implications majeures ont découlé de cette erreur : • Une faible synergie entre les activités engagées par chaque membre de l’équipe et la stratégie; • Une difficulté à créer un réseau de collaborateurs ou à se positionner par rapport à la myriade d’organisations œuvrant déjà dans le

Suite à cette constatation, nous avons maintenant priorisé le travail de recherche qui nous permettra de répondre aux questions ci-dessus et d’ensuite définir notre positionnement dans l’appui à la commercialisation. La leçon principale ici? Toujours questionner nos actions en fonction des hypothèses qui les guident et réagir rapidement lorsque nos activités s’en éloignent. Il devient alors impératif de redéfinir l’ensemble des hypothèses sous-jacentes et d’atteindre un certain niveau de confiance quant à leur validité avant d’asseoir une nouvelle stratégie sur ces hypothèses. F

29


Incapacité de transmettre une compréhension et un sentiment d’urgence pour les changements organisationnels George Roter cofondateur et PDG Ingénieurs sans frontières Canada georgeroter@ewb.ca

30

Le 1er janvier 2011 a marqué une nouvelle phase importante dans l’histoire d’Ingénieurs sans frontières : huit semaines plus tôt, Parker Mitchell, mon proche collaborateur, ami, cofondateur et, à l’époque, le coPDG d’ISF, avait annoncé qu’il était sur le point de quitter ses fonctions. Le fait d’amorcer notre deuxième décennie avec un changement au sein de la direction aurait évidemment d’importantes conséquences sur mon rôle (sans parler de mon instinct pour le leadership ni du vide laissé par l’absence de quelqu’un avec qui j’avais tant partagé pendant plus de 10 ans), mais aussi sur la structure plus générale des équipes de direction au sein d’ISF. Nous avons entamé la nouvelle année avec un sentiment de possibilités infinies - nos idées avaient fait leurs preuves et nous avions la crédibilité, l’approche, le savoir et le personnel pour faire croître de façon exponentielle notre impact dans la prochaine décennie. Pour 2011, nous avions projeté une croissance de 50 % des ressources financières et disposions

d’équipes canadiennes et africaines prêtes pour d’importants changements systémiques. Cela faisait aussi deux ans que nous étions sans vision ni orientation précises; nous anticipions un renouvellement important des leaders au sein de l’organisation, et nous avions le sentiment de ne pas avoir toutes les structures nécessaires en place pour mener à bien cette prochaine phase de croissance. À l’issue de notre congrès du 10e anniversaire tenu à la mi-janvier, le personnel qui forme le noyau d’ISF – en Afrique et au Canada - s’est réuni pendant trois jours pour s’attaquer à ces questions. Au cours de cette réunion, nous avons décrit deux scénarios apocalyptiques pour les 12 prochains mois : « Manœuvrer un navire vide » et « La mort par mille coupures ». Dans les deux cas, on envisageait ISF sans les ressources humaines, l’énergie ni l’élan nécessaires pour avoir l’impact recherché. Nous avons également créé deux scénarios positifs : « Le trou noir d’ISF » et « Faisons-le à la façon d’ISF »


qui décrivaient une organisation avec une force gravitationnelle, qui misait sur ses caractéristiques uniques pour continuer à innover. Ces scénarios ont créé un profond sentiment d’urgence parmi les 30 leaders présents à la réunion, et ont permis de définir cinq priorités pour évoluer et nous permettre de prendre un formidable essor pendant notre deuxième décennie - nous avons parlé de « réaménagement du navire ». Les priorités étaient axées sur le renforcement de notre réseau, la création d’une vision et la collecte de fonds.

Au cours de l’année passée, cet échec a entraîné une perte de confiance chez certains membres d’ISF, de l’épuisement professionnel dû aux difficultés rencontrées par les leaders pour anticiper le changement, un rythme globalement plus lent et un sentiment de cohésion moindre. Cela a peiné un assez grand nombre de personnes que je respecte et que j’admire, et a fait du tort à l’organisation. La principale leçon à tirer est qu’un changement de cette envergure exige non seulement d’avoir la compréhension

Nous avons entamé la nouvelle année avec un sentiment de possibilités infinies - nos idées avaient fait leurs preuves et nous avions la crédibilité, l’approche, le savoir et le personnel pour faire croître de façon exponentielle notre impact dans la prochaine décennie. Mon échec est survenu au cours des mois suivants. J’avais aidé à mener un processus dans lequel notre équipe de direction de 30 personnes a jugé nécessaire d’agir de toute urgence, et de créer ensemble ces priorités. Mais je n’ai pas réussi à m’assurer que les gens avaient compris le contexte actuel de l’organisation et les priorités que nous avions décelées en tant qu’équipe de direction. Nous nous étions embarqués dans un important processus de changement, et je n’avais pas inclus dans la conversation toutes les personnes dont j’avais besoin.

et le soutien de l’équipe de direction mais aussi des leaders de l’organisation et de toutes les personnes qui peuvent être affectées par les changements. Il y aura inévitablement beaucoup d’ambiguïté en ce qui concerne les étapes de tout processus de changement, mais les grandes phases et le calendrier de communication ont besoin d’être clairement présentés pour que les leaders d’ISF puissent être en mesure de contribuer et de s’engager avec toute l’efficacité dont ils sont capables. F

31


312 Adelaide Street West Suite 302 Toronto, ON M5V 1R2 1 416 481-3696 info@ewb.ca www.ewb.ca @ewb @admitfailure Numéro d’enregistrement d’organisme de bienfaisance : 89980-1815-RR0001


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.