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Prix à l’officine, la difficile équation
Affichage lisible, information sur la tarification des médicaments, offres promotionnelles… Entre éthique et rentabilité, il est souvent difficile pour le pharmacien de mener une politique des prix juste. Comment les fixer ? Quels sont les leviers de négociation ? Les facteurs à prendre en compte ? Quel est l’effet du e-commerce ? Réponses. Dossier réalisé par Anne Fellmann
octobre 2013 • Pharma N°105 • 21
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Prix à l’officine, la difficile équation
Politique des prix, mode d’emploi ouvenez-vous, c’était au printemps 2012… L’UFCQue choisir avait mené une enquête dont les résultats, publiés sous le titre explicite Automédication : une pharmacie sur deux fait une croix sur la transparence, avaient fait grand bruit. L’association y dénonçait une « concurrence anesthésiée par l’opacité des prix », une assertion corroborée par le fait que seule une pharmacie enquêtée sur deux proposait un affichage lisible du prix des médicaments vendus derrière le comptoir, et que 89 % des officines visitées ne se pliaient pas à l’obligation d’information des consommateurs sur la liberté de tarification des médicaments non remboursables. Elle relevait aussi « une inquiétante fièvre tarifaire », les écarts de prix sur les médicaments en libre accès pouvant aller de un à quatre. Dans ces conditions, concluait l’UFCQue choisir, « se pose la question de la pertinence d’une libération encadrée de la distribution des médicaments sans ordonnance en parapharmacies et dans des espaces dédiés en grande surface ». Une petite bombe visant clairement à fissurer le monopole pharmaceutique… et reprise en juillet dernier par l’Autorité de la concurrence, dans son Enquête sectorielle dans le domaine de la distribution du médicament délivré en ville.
Un parcours de soins, pas de consommation
Dans ce qui n’est pour l’instant qu’une première évaluation soumise à consultation publique – ses conclusions seront adoptées à la fin de cette année –, l’autorité administrative présente les points de blocage qu’elle a détectés et explore les pistes susceptibles d’y remédier. Ce faisant, elle laisse entendre qu’à tout le moins pour les génériques et les médicaments non remboursables, « le renforcement de la concurrence pourrait
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Malmenée par des enquêtes contestant en filigrane son monopole, la profession réplique et défend une politique de prix basée sur trois piliers : les impératifs de santé publique, l’accès aux soins et le conseil.
Raisonner par marques est un réflexe de grande distribution. En officine, c’est le traitement ou la pathologie qui prévaut.
Gilles Bonnefond, USPO
conduire à une baisse de prix, au bénéfice de l’Assurance maladie et des ménages ». Relevant à son tour « une disparité très forte des prix des médicaments non remboursables entre les officines et un manque d’information des consommateurs sur ceux-ci », elle considère que « l’animation de la concurrence, notamment en prix, et plus particulièrement sur les médicaments non remboursables, peut passer par d’autres mesures que le commerce en ligne ». Pour arriver in fine à la même conclusion qu’UFC-Que choisir : « l’ouverture partielle du monopole permettrait aux consommateurs de bénéficier de prix plus attractifs pour leurs achats de médicaments d’automédication et de ‘‘produits frontières’’ ». Une ouverture qui, selon l’Autorité de la concurrence, « devrait s’accompagner d’un assouplissement des règles déontologiques des pharmaciens, pour ce qui concerne la liberté commerciale, afin de favoriser la concurrence par les prix ».
« Ces enquêtes présentent un défaut majeur : elles comparent des marques, réagit Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Or raisonner par marques, c’est un réflexe de grande surface. En officine, on raisonne par traitement, par pathologie. J’ajoute qu’elles sont systématiquement à charge et apportent des arguments à certaines entreprises de la grande distribution dont l’appétence en matière de médicaments non remboursables n’est plus à démontrer, qui aménagent des espaces dédiés et gérés par des pharmaciens qui ont choisi de ne pas exercer leur métier, et qui finissent par s’aligner sur les prix du marché. Moi, ce qui m’intéresse dans le médicament conseil, c’est qu’il rentre dans une stratégie thérapeutique adaptée et s’inscrive dans un parcours de soins – et non de consommation – correctement pris en charge par la collectivité. Ce qui engendrerait des économies d’échelle et un accès aux soins égalitaire et plus juste ».
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« La vente d’un médicament non soumis à prescription renvoie à une problématique de santé publique, en aucun cas économique, abonde Philippe Besset, qui préside la commission Économie de l’officine de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Elle répond à un principe de sécurité, lié à une dispensation associée à un conseil délivré par un professionnel habilité. Maintenant que les prix soient libres, c’est un fait. Nous n’y avons jamais été favorables. Nous militons au contraire pour un ‘‘corridor de prix’’, sur le modèle du livre. C’est d’ailleurs ce à quoi l’on tend. En outre, il ne m’apparaît pas clairement que les écarts de prix tendront à diminuer si d’autres réseaux de distribution entrent dans le jeu… »
Une concurrence accrue entre officines
Le Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO) s’interroge, lui, sur la prétendue « opacité » dénoncée par l’UFC-Que choisir. « Les prix des médicaments vendus devant le comptoir sont transparents et affichés, comme l’exige la réglementation ; quant à ceux vendus derrière, ils sont listés sur un carnet mis à la disposition de la clientèle », affirme son président, Pascal Louis. Friands de « clients mystère », les groupements surveillent du reste de très près les pratiques tarifaires, « ce qui tend à prouver que la concurrence entre nous existe bel et bien, d’autant qu’elle est exacerbée par le tassement des marges ». « C’est un débat aussi faux que stérile… et une guerre perdue d’avance », tranche pour sa part Bruno Fellous, pharmacien à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et adhérent du groupement Leader Santé, dont l’un des objectifs est de garantir des conditions commerciales préférentielles. « Les officines ne peuvent pas toutes pratiquer les mêmes tarifs ! Personnellement, j’ai fait le choix de vendre à bas prix en rognant sur mes marges et en jouant sur les volumes grâce à des remises importantes. Il est normal que la concurrence s’exerce entre nous sur ce plan. Tout dépend de la stratégie de chacun et de l’environnement de l’officine. Cela dit, ces enquêtes ont entrouvert une porte dangereuse. Nous allons probablement perdre notre monopole au profit des GMS, qui ne tarderont pas à augmenter leurs prix. Sans service ni conseil… » On n’y est pas encore. Car sur ce point, la profession peut être rassurée. Marisol Touraine lui a en effet apporté un soutien de poids en déclarant : « L’hypothèse d’une vente des médicaments,
même non soumis à prescription obligatoire, en grande surface n’est pas envisagée par le gouvernement ». « En se montrant attentive à ce que le circuit du médicament soit sécurisé et que la consommation des médicaments soit maîtrisée, la ministre a démontré que la proposition formulée par l’Autorité de la concurrence allait à l’encontre de la santé publique », traduit Philippe Besset. En attendant, qu’est-ce qu’une bonne politique de prix à l’officine ? « Elle ne doit être ni discount, ni haut de gamme, répond Philippe Besset. Elle doit surtout être guidée par l’intérêt des patients de bénéficier de prix publics permettant un accès large et équitable aux soins ». En d’autres termes, la FSPF invite le pharmacien à une certaine modération, sans pour autant verser dans une banalisation, voire une dérive anti-déontologique poussant à la consommation. « Dans la pratique, la solution est de référencer un produit par gamme à un bon rapport qualité/prix en ciblant le conseil et l’information, et en soulignant son intérêt dans la thérapeutique, précise Philippe Besset. Tout est dans la transparence. Dès qu’il y a transparence, les réticences du patient consommateur, qui refuse à juste titre d’être pris en otage, disparaissent ».
Une stratégie globale pour de meilleurs tarifs
Rompus à l’exercice, les groupements aident depuis longtemps leurs adhérents à bâtir une politique de prix en fonction de l’emplacement de l’officine, et correspondant ainsi à son potentiel
et à ses objectifs. Le tout à base d’un prévisionnel et à la lumière là encore d’une autre composante : l’accessibilité aux soins. « Le panier doit rester dans des fourchettes de prix raisonnables », commente Pascal Louis, qui attire aussi l’attention sur un autre aspect : la politique de référencement. « Bientôt, on ne pourra plus proposer de larges étendues de Nous ne sommes pas gammes, explique-t-il. Désormais, il vaut favorables aux mieux acheter une fois 120 unités que prix libres. Nous trois fois 40. D’où la nécessité de mieux militons pour un sélectionner les références. C’est là que ré“corridor de prix” side la force des groupements : améliorer sur le modèle le ‘‘sell out’’ grâce à des partenariats avec du prix du livre. les industriels. Car en matière de prix, PhilippeBesset,FSPF l’achat n’est pas le volet le plus difficile ; le merchandising et le marketing sont bien plus complexes, d’autant que les pharmaciens n’y ont pas été formés ». Le « mieux acheter » est a contrario l’un des freins dont souffre la profession aux yeux de l’USPO. Pour le syndicat, l’officine devrait pouvoir acheter et pratiquer aussi la rétrocession entre confrères pour la médication officinale, « ce qui lui permettrait d’avoir des prix plus compétitifs ». « Aujourd’hui, souligne Gilles Bonnefond, on est en train d’asphyxier l’approvisionnement des officines et nous subissons des contraintes Les officines ne peuvent pas lourdes puisque les délais de paiement toutes pratiquer ont été raccourcis. Nous avons donc deles mêmes tarifs. mandé aux pouvoirs publics de mettre Il est normal que en place un système de rétrocession sur la concurrence les produits de parapharmacie et de s’exerce entre médication officinale, et sur des volumes nous. raisonnables : entre 4 et 5 % du chiffre Bruno Fellous, d’affaires ». Une requête restée à ce jour pharmacien sans réponse. •
Des écarts, oui, mais aussi des prix très bas La France, championne des prix bas. C’est le premier enseignement du rapport réalisé par le Centre européen de la consommation, qui a mené une étude sur 150 médicaments, remboursés ou non, vendus dans des officines de Kehl (Allemagne) et de Strasbourg. Les résultats sont sans appel : les médicaments sont moins chers en France. Les auteurs soulignent qu’en dépit d’une politique de réduction des prix des médicaments engagée en 2011 outre-Rhin, les tarifs des médicaments vendus en France, avec ou sans ordonnance, restent très inférieurs. Le prix peut ainsi varier du simple au triple. Un exemple significatif : les 20 comprimés d’aspirine 500 mg coûtent entre 2,30 et 4,10 € en France, quand l’Allemagne affiche un prix de vente de 5,47 €. Les marges des pharmaciens, fixées différemment dans les deux pays pour les médicaments sur ordonnance, et surtout l’écart de taux de TVA
expliquent en partie les prix plus élevés en Allemagne. Alors que la France impose une TVA de 2,1 % aux médicaments remboursés et de 7 % aux non remboursés, l’Allemagne les taxe tous à 19 %. Une autre raison tient au rôle prépondérant que joue l’État français dans la fixation du coût des médicaments remboursables, contrairement à la politique de régulation des prix en Allemagne, plus souple et plus récente. L’entrée du générique en France a également eu un effet sur le prix du médicament dans son ensemble, les génériques étant moins chers et régulièrement revus à la baisse. Dans le même temps, l’étude a corroboré le constat de l’UFC-Que choisir et confirmé que les prix des médicaments non remboursables en France diffèrent davantage d’une pharmacie à une autre. L’écart de prix pouvant être élevé, les consommateurs ont intérêt à faire jouer la concurrence, « surtout lorsque les médicaments sont peu ou pas remboursés ».
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Prix à l’officine, la difficile équation
Le juste prix en ligne ? e Web offre l’avantage d’être malléable. Sur certains portails, le pharmacien crée lui-même son site en fonction de sa stratégie. Il peut ainsi choisir des prix bas pour doper ses ventes ou, au contraire, les augmenter sensiblement en faisant valoir le service de livraison et le retour sur investissement. Ce n’est pas l’option retenue par Cédric O’Neill, cofondateur et président de 1001pharmacies.com, la première plate-forme communautaire de vente en ligne à laquelle adhèrent aujourd’hui 175 officines. « Ce sont nos adhérents qui proposent les produits qu’ils veulent vendre en ligne et qui en fixent les prix, indiquet-il. En contrepartie, nous prélevons une commission de 10 % sur le chiffre d’affaires qu’ils réalisent. Mais elle est relativement indolore : le e-commerce est un bon canal pour les promotions, et il permet en outre d’anticiper les déstockages ». Un an après la création de sa plate-forme, Cédric O’Neill a pu constater que la très grande majorité de ses pharmacies partenaires ne pratique pas de double gestion du prix : « Nos adhérents ne sont pas des spécialistes du Web, ni des e-commerçants. Ils ne font qu’utiliser un outil que nous avons conçu pour eux, facile d’emploi, pensé pour le quotidien, avec une tarification juste qui s’adapte aux besoins et à l’activité en ligne de chacun d’eux. Avec le recul, je constate qu’Internet n’a pas favorisé le discount. Nous sommes présents sur certains comparateurs de prix, et nous pouvons observer que nos pharmacies restent compétitives. Elles ne font partie ni des moins chères, ni des plus chères ».
Les comparateurs, les nouveaux services en lice
Car avec la prolifération des sites de ecommerce est né un nouveau service en ligne : le comparateur de prix. Avec l’autorisation, en décembre 2012, de vendre sur le Net des médicaments sans ordonnance et la décision du Conseil d’État d’élargir le périmètre à plusieurs
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Comment fixer les prix sur des sites de e-commerce ? Qui régule ? Retrouve-t-on les mêmes écarts de prix constatés dans les officines physiques ? Premiers constats.
milliers de traitements, la mise en place de comparateurs prend tout son sens, même s’ils ne sont pour l’heure que deux à officier dans ce domaine. Le premier a été créé en début d’année par deux informaticiens toulousains. Unooc.fr, c’est son nom, est un moteur qui compare et trouve les médicaments Avec le recul, aux meilleurs prix (voir Pharma n° 104). je constate Sa vocation est « d’aider les internautes qu’Internet n’a à faire leur choix en toute sécurité, les pas favorisé rassurer en référençant uniquement les le discount. pharmacies françaises qui respectent la Cédric O’Neill, réglementation, et leur faire gagner du 1001pharmacies.com temps en listant tous les médicaments vendus en ligne par ces pharmacies ». Ce faisant, le comparateur joue une double carte : celle de l’éthique et celle du pouvoir d’achat « en faisant réaliser des économies tout en proposant un service entièrement gratuit ». Au passage, il en joue une troisième : celle de la notoriété pour attirer les e-pharmacies
potentielles. « Lorsqu’un internaute visite un comparateur et choisit de cliquer sur un lien vers un site marchand, c’est déjà un client potentiel, et non plus un simple visiteur », précise-t-il. Depuis le mois de juillet, le créneau a été investi par un deuxième acteur, Compapharma.com qui, très régulièrement, explore les sites de plusieurs dizaines de pharmacies avant d’extraire, pour chaque produit, son nom, sa marque, sa catégorie et de nombreuses autres données, dont le prix bien entendu. Et lorsque ces données évoluent, le comparateur met à jour son moteur de recherche pour que les internautes puissent bénéficier des prix les plus récents. Là encore, le service est gratuit. À plus long terme, Compapharma espère aussi aider les vendeurs à harmoniser leurs catalogues « afin de leur permettre d’appliquer des prix attractifs ». Au bénéfice du consommateur. •