223 226 po68 échos des congrès

Page 1

échos des congrès

TFOS 2013 Les nouveautés en sécheresse oculaire Dr Éric Gabison*

Introduction Si les sécheresses oculaires ont des facteurs favorisants et des modes de révélation multiples, l’atteinte cornéenne constitue le signe de gravité essentiel qui guide leur pronostic et la démarche thérapeutique. Le dernier congrès du TFOS (Tear Film and Ocular Society) a été l’occasion de présenter les dernières avancées dans la compréhension de cette pathologie qui touche plusieurs millions de patients dans le monde.

Origines des lésions cornéennes au cours des sécheresses oculaires Si le cercle vicieux reliant la dégradation du film lacrymal aux lésions de la surface oculaire fait l’objet d’un consensus international, son point de départ est différemment interprété en Occident (Europe/ États-Unis) et au Japon. Ainsi, l’augmentation de l’osmolarité des larmes est, pour les Européens et les Américains, à l’origine d’une inflammation qui initie les lésions de la surface oculaire. Pour les équipes japonaises, l’instabilité du film lacrymal est l’élément central qui induit des lésions mécaniques de frottement entre les conjonctives tarsales et palpébrales, contribuant ainsi aux lésions de la surface oculaire. Ces différentes approches *MCU-PH, Fondation Adolphe de Rothschild, Hôpital Bichat, Paris

expliquent la place primordiale des recherches dans le domaine des anti-inflammatoires chez les uns (dont la ciclosporine topique) et dans le domaine de l’amélioration du film lacrymal chez les autres (dont l’acide hyaluronique et les sécrétagogues) respectivement. Le rébamipide (sécrétagogue et anti-inflammatoire) et le diquafosol (sécrétagogue, agoniste P2Y2) sont en cours de développement pour le traitement des sécheresses oculaires. Ces molécules, déjà commercialisées au Japon, améliorent les signes et/ou les symptômes dans différents travaux présentés au congrès, tant chez l’animal (modèles murins de sécheresse oculaire) que chez l’Homme (blépharospasme, GVH, meibomites, etc.).

La kératite ponctuée superficielle : osmolarité et métalloprotéinases La KPS observée lors du test à la fluorescéine correspond à la rupture des jonctions serrées qui permet la diffusion du colorant entre les cellules de la surface épithéliale cornéenne. Sa présence est l’élément déterminant de la sévérité des sécheresses oculaires.

Figure 1 – Cornée de souris, co-marquage inducteur de MMP (rouge) et jonction serrée (vert). Haut : souris sauvage ; milieu : souris déficiente pour inducteur de MMP ; bas (souris déficiente pour MMP-9). Notez la présence intense du marquage des jonctions

Nous avons récemment identifié un lien direct entre l’osmolarité et l’induction d’une enzyme de la famille des métalloprotéinases (la MMP-9), par les cellules épithéliales de la cornée. Cette enzyme, induite par l’osmolarité élevée, est

Pratiques en Ophtalmologie • Novembre 2013 • vol. 7 • numéro 68

serrées en absence de MMP ou de leur inducteur.

capable de cliver les occludines, l’un des constituants principaux des jonctions serrées. Nous avons de plus identifié le mécanisme 223


échos des congrès

d’induction de cette enzyme par l’osmolarité, EMMPRIN ou CD147, dont l’expression augmente avec l’osmolarité. De manière intéressante, les souris déficientes pour cette enzyme ou pour la MMP-9 ont une augmentation de la présence des jonctions serrées à la surface de l’épithélium cornéen (Fig. 1). De nouveaux inhibiteurs des MMP aux propriétés protectrices sur la surface oculaire ont été présentés et notamment la molécule clusterine qui posséderait des propriétés inhibitrices de la MMP-9. Cette molécule, diminuée au cours des sécheresses oculaires, pourrait en représenter une nouvelle approche thérapeutique. En pratique clinique, nous disposons ou disposerons prochainement de molécules capables de diminuer les conséquences de l’osmolarité sur la surface oculaire, soit directement (osmoprotecteurs dont glycérol, érythritol, L-carnitine ou tetrahalose), soit indirectement en inhibant les MMP (Nacetyl cystéine malheureusement encore conservée, azythromycine topique ou per os, doxycycline per os).

Sécheresse oculaire et neuropathie cornéenne Les symptômes tels que l’impression de grain de sable sous-palpébral ou la douleur généralement associée à la KPS pouvant manquer, la recherche d’une atteinte cornéenne doit être systématique. La présence de KPS chez des patients asymptomatiques, confirme la complexité de la physiopathologie de la sécheresse oculaire. Une étude de dépistage de la KPS chez plus de 400 patients asymptomatiques a révélé sa présence crois224

Figure 2 – Rupture du film lacrymal (gauche : en l’absence d’une KPS ; droite : en présence d’une KPS).

sante en fonction de l’âge. Avant l’âge de 40 ans, sa prévalence est de moins de 4 % pour atteindre plus de 20 % après 70 ans. Une des pistes poursuivies pour expliquer la célèbre “dissociation des signes et des symptômes” est la notion de neuropathie cornéenne induite par la sécheresse. Cette neuropathie pourrait être induite par l’augmentation de l’osmolarité des larmes et aggravée par la présence de conservateurs dans les collyres instillés à la surface de l’œil.

Instabilité du film lacrymal avec ou sans KPS ? L’apparition de plages sèches fluo avant 10 secondes lors du test de temps de rupture du film lacrymal (BUT-Break up time) est généralement attribuée à une instabilité du film lacrymal. Ce test, qui serait plus sensible que le test de Schirmer pour le diagnostic de sécheresse oculaire, peut cependant être perturbé par des anomalies du glycocalyx à la surface de l’épithélium cornéen ou par une KPS (Fig. 2). Lors du congrès, de nouveaux éléments de sémiologie du temps de rupture lacrymal ont été proposés, distinguant parmi les patients ayant un temps de rupture lacrymal inferieur à 5 secondes ceux ayant une KPS et un test de

Schirmer diminué et ceux ayant un Schirmer normal et une absence de KPS (groupe “film lacrymal instable”). Une sous-population de ces patients atteints de “film lacrymal instable” présenterait une rupture immédiate punctiforme en de multiples endroits du film lacrymal et une symptomatologie particulièrement sévère malgré des signes cliniques modérés (détérioration de leur qualité de vision et de leur acuité visuelle fonctionnelle). Les pathologies et facteurs favorisant cette instabilité du film lacrymal sont les dysfonctionnements meibomiens et les déficits aqueux modérés “infracliniques”, les anomalies des mucines membranaires (toxiques ou inflammatoires), les causes environnementales telles que l’air conditionné ou les lentilles de contact.

Blépharites et sécheresses oculaires : de plus en plus étudiées… De nombreuses études ont confirmé les effets bénéfiques des macrolides et des tétracyclines dans la prise en charge des blépharites postérieures. Dans une

Pratiques en Ophtalmologie • Novembre 2013 • vol. 7 • numéro 68


TFOS 2013

étude française en double insu randomisée et sponsorisée par les Laboratoires Théa, des cures répétées d’azithromycine collyre ont significativement amélioré les symptômes de patients atteints de meibomites.

Réaction du greffon contre l’hôte La réaction du greffon contre l’hôte est une atteinte inflammatoire liée à la reconnaissance allogénique de l’hôte par les cellules du greffon médullaire. L’atteinte de la surface oculaire est à l’origine de lésions de sécheresses sévères proches des lésions observables au cours du Syndrome de GougerotSjögren. Une analyse systématique et prospective de la surface oculaire de patients avant et après greffe de moelle suggère que l’atteinte oculaire de la réaction du greffon contre l’hôte serait plus fréquente et plus sévère chez les patients atteints de sécheresse oculaire avant la greffe de cellules souches hématopoïétiques. Une prise en charge précoce, voire même avant la greffe, pourrait permettre de diminuer les

conséquences de cette pathologie au niveau de la surface oculaire.

La lumière bleue : toxique pour la surface oculaire ? Alors que les effets secondaires de la lumière bleue et des ultraviolets sur la rétine et en particulier sur la macula ont été évoqués depuis de nombreuses années, des chercheurs japonais ont suggéré que la lumière bleue pouvait également avoir des effets néfastes sur la surface oculaire. Le Professeur Kazuo Tsubota, de l’université de Tokyo, a présenté des travaux suggérant que des rayons de lumière bleue du spectre visible, de haute énergie et possédant un fort potentiel oxydatif, avaient des effets néfastes sur la surface oculaire. Les LED d’ordinateurs qui contiennent jusqu’à 35 % de lumière bleue pourraient donc représenter des facteurs de risque de sécheresse oculaire. Ce spécialiste de la surface oculaire est depuis peu le président de la Société internationale de la lumière bleue qui a tenu son premier congrès en juin dernier ! Outre

Encadré - Facteurs pouvant influencer la tolérance des lentilles Modification des délais avant remplacement de la lentille. Changement de composition de la lentille. Traitements additionnels : - larmes artificielles ; - inserts lacrymaux ; - occlusion méatique ; - suppléments alimentaires ; - azythromycine/doxycicline. Suppression des produits d’entretien (lentilles journalières). Modification de l’environnement extérieur : - modifier le clignement ; - changer le type de lentilles (rigides/souples) ; - port de lunettes correctrices ; - orthokératologie ; - chirurgie réfractive.

Pratiques en Ophtalmologie • Novembre 2013 • vol. 7 • numéro 68

les règles d’hygiène telles que l’intensification du clignement ou l’instillation d’agents mouillants lors du travail sur écran, le port de lunettes dont les verres filtreraient une partie du spectre bleu pourrait diminuer le stress oxydatif et le présumé inconfort qui lui est attribué.

Une sécheresse oculaire sur l’œil controlatéral des patients atteints de kératite herpétique récidivante Une étude française rapporte la présence d’anomalies de la surface oculaire sur les yeux “sains” de patients atteints de kératites herpétiques récidivantes. L’équipe du Professeur Labetoulle a de plus démontré que ces sécheresses étaient d’autant plus sérieuses que l’atteinte herpétique controlatérale était sévère.

Des greffons cornéens bientôt protégés des récidives herpétiques ? Notre équipe a rapporté les résultats préliminaires d’une étude de thérapie génique à visée antiherpétique. Nous avons mis au point des modèles in vitro, ex vivo et in vivo visant à évaluer l’effet cytopathogène du virus de l’herpès. Dans ces modèles, nous avons rapporté les effets bénéfiques d’une thérapie génique protégeant des greffons cornéens des récidives herpétiques en détruisant spécifiquement l’ADN viral.

Inconfort oculaire et lentilles de contact La TFOS a également abordé l’inconfort oculaire associé au port de lentilles de contact. Lors du Contact Lens International Workshop, un groupe international d’experts a fourni un cadre 225


échos des congrès

de travail pour les futures études dans ce domaine. L’inconfort lié au port de lentilles de contact a été défini comme une condition associée à une gêne oculaire permanente ou épisodique attribuée au port de lentilles de contact. Cette pathologie peut ou non s’accom-

pagner d’altération de la fonction visuelle et résulte d’une diminution de la compatibilité entre la lentille et la surface oculaire. Elle peut conduire à une diminution de la durée voire à une discontinuation de l’utilisation des lentilles. La prise en charge thérapeutique de

ce type de patients a été discutée et confrontée aux publications internationales (encadré). n

Mots-clés : TFOS, Sécheresse oculaire

Bibliographie 1. www.TFOS2013.org 2. Doan S, Gabison E, Chiambaretta F et al. Efficacy of azithromycin 1.5% eye drops in childhood ocular rosacea with phlyctenular blepharokeratoconjunctivitis. J Ophthalmic Inflamm Infect 2013 ; 3 : 38. 3. Liu Y, R. Kam W, Ding J, A. D. Influence of azithromycin on human meibomian gland epithelial cells. TFOS 2013, Taormina. 4. Versura P, Giannaccare G, Bonifazi F et al. Predictivity of tear parameters in the onset of ocular graft versus host disease (GVHD) dry eye after hematopoietic stem cell transplantation (HSCT). TFOS 2013, Taormina. 5. Seo Y, Ji Y, Shim J et al. Co-Expression of COX-2 and MMP9 in dry eyeInduced mouse lacrimal glands. TFOS 2013, Taormina. 6. Uchino Y, Mauris J, Dieckow J et al. Galectin-3 contributes to the

226

ocular surface inflammatory response. TFOS 2013, Taormina. 7. Lema C, Redfern R. Toll-like receptor agonists increase in vivo and in vitro expression of matrix metalloproteinases. TFOS 2013, Taormina. 8. Hosotani H, Shirasaki H. Therapeutic effects of rebamipide eye drops for short-but type dry eye. TFOS 2013, Taormina. 9. Takano H, Kinoshita N, Shimmura-Tomita M et al. The 2% rebamipide eye drop treatment for dry eye. TFOS 2013, Taormina. 10. Gabison E, Labetoulle M, Gailledrat M et al. Toward a tissue and gene therapy of herpes related corneal blindness. TFOS 2013, Taormina. 11. Labetoulle M, M’Garrech A, Rousseau A et al. Tear secretion impairment as a function of severity of herpetic keratitis. TFOS 2013, Taormina.

Pratiques en Ophtalmologie • Novembre 2013 • vol. 7 • numéro 68


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.