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Focus

Épilepsie et grossesse, recommandations et mise à jour On dénombre environ 500 000 femmes épileptiques en âge de procréer et la fréquence des naissances est estimée entre 3 et 5 pour 1 000. Quelle incidence de la maladie sur la grossesse ? Et le contraire ? Réponses en cinq points. Doit-on surveiller les taux des médicaments au cours de la grossesse ? 1

Les convulsions fréquentes pendant la grossesse peuvent faire courir un risque au fœtus et à sa mère et nécessitent une adaptation du traitement antiépileptique mesuré en tenant compte des risques liés à ces drogues. Les changements physiologiques de la femme enceinte aboutissent à une augmentation de la clairance des antiépileptiques, et parfois à une réduction

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importante de leur taux sanguin, surtout au cours des deuxième et troisième trimestres. Parmi les antiépileptiques de nouvelle génération, la lamotrigine, l’oxcarbazépine et le lévétiracétam sont les plus concernés (voir tableau p. 50). Ces modifications pharmacocinétiques peuvent être corrélées à l’aggravation de la fréquence des crises. En pratique, le monitorage du taux des antiépileptiques sert à adapter la posologie du traitement pour maintenir un

taux voisin du taux cible préconceptionnel. Une réadaptation des doses du traitement antiépileptique sera nécessaire en post-partum, si elles ont été modifiées en cours de grossesse, pour éviter des signes toxiques.

Quels sont les risques de complications obstétricales lors de la grossesse d’une femme épileptique ?

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– Il n’est pas rapporté de risque majoré d’hypertension induite ou de


pré-éclampsie, ni de risque de contractions, de travail ou d’accouchement prématuré chez les femmes épileptiques. Cependant, ce dernier pourrait être favorisé chez les femmes épileptiques tabagiques. – Le recours plus fréquent aux césariennes est controversé et ne peut être exclu chez les femmes épileptiques traitées. – La péridurale est conseillée pour le confort de la patiente, afin d’éviter trop de stress, voire de fatigue, qui, associés à la dette de sommeil, peuvent être des facteurs favorisant les crises. – Le risque de petit poids à la naissance est doublé chez les femmes épileptiques traitées, mais pas retrouvé chez les femmes épileptiques non traitées pendant leur grossesse. Les nouveau-nés de femmes épileptiques traitées ont deux fois plus de risques de naître avec un score d’APGAR inférieur à 7 à la première minute de vie. Cependant, la mortalité périnatale n’est pas accrue et ces nouveau-nés n’ont pas plus de risques de détresse respiratoire, de retard de grossesse intra-utérin que les autres. – Les nouveau-nés de femmes épileptiques traitées par inducteurs enzymatiques n’ont pas de risque majoré de maladie hémorragique. En fait, la plupart de ces hémorragies sont décrites chez les prématurés (< 34 semaines). En pratique courante, tous les nouveaunés reçoivent en routine de la vitamine K à la naissance, ce qui permettrait de limiter ce risque bien qu’aucune étude ne confirme son intérêt.

Risque de malformations congénitales majeures

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Si l’épilepsie maternelle ne semble pas favoriser les malformations congénitales majeures, l’exposition aux antiépileptiques au cours du premier trimestre accroît ce risque. – Le risque de malformations congénitales majeures prédomine clairement en cas d’utilisation du valproate de sodium (VPA) en monothérapie et en polythérapie. – Ce risque n’est pas retrouvé pour l’emploi de la carbamazépine, ni pour la lamotrigine. Pour les antiépileptiques plus récents, le nombre de grossesses limité ne permet pas encore de conclure : 147 grossesses menées sous lévétiracétam en monothérapie et 248 grossesses sous oxcarbazépine en monothérapie ne présentent pas d’accroissement du risque. Les données du registre européen Eurap

devraient prochainement nous apporter les réponses utiles. – L’utilisation d’une polythérapie majore le risque de malformations congénitales comparativement aux monothérapies, particulièrement en cas de polythérapie recourant au valproate de sodium. – La dose du traitement aurait une influence pour le VPA (> 1 000 mg par jour), mais pas pour la carbamazépine. Un seul article fait état d’un risque accru de malformation labiale sous lamotrigine, pour des doses supérieures à 400 mg, cette donnée n’étant pas confirmée par les autres registres à ce jour. – Enfin, l’absence de supplémentation en acide folique, ou un taux de concentration bas (< 4,4 nmol/l) en acide folique, les favoriseraient. Au contraire, la supplémentation en acide folique en réduirait le risque. La pratique usuelle est de supplémenter toutes les femmes avec un souhait de grossesse par au moins 0,4 mg d’acide folique par jour avant la conception et pendant la grossesse. Aucune publication ne prouve qu’une dose supérieure apporte un meilleur bénéfice aux femmes épileptiques traitées par antiépileptiques. – Parmi les malformations les plus fréquentes, le VPA expose particulièrement aux malformations du tube neural, aux malformations faciales et aux hypospadias. Les fentes palatines sont également plus fréquentes dans les expositions à la carbamazépine et à la phénytoïne. Le phénobarbital serait plutôt responsable de malformations cardiaques. – Pour le dépistage des malformations, et en particulier pour les anomalies de fermeture du tube neural, le dosage d’alpha-fœtoprotéine est proposé pour les patientes épileptiques à partir de 14 semaines d’aménorrhée (SA) et nécessite un consentement de la patiente. L’échographie fœtale de 18 SA est aussi très importante. L’obstétricien proposera à sa patiente les surveillances les mieux adaptées à sa situation individuelle.

– Ces dernières années, une attention plus particulière a été portée à la cognition (quotient intellectuel) des enfants nés de mères épileptiques. En l’absence de traitement, celle-ci n’est pas affectée. En revanche, l’exposition in utero à certains antiépileptiques réduit les performances intellectuelles des enfants, en particulier pour le VPA, la phénytoïne et le phénobarbital. Ce risque semble plus marqué pour le VPA et dose-dépendant. Les polythérapies antiépileptiques aggravent ce risque. 4 L’allaitement chez une femme épileptique traitée

L’épilepsie au cours de la grossesse varie selon les études : stabilité des crises dans 54 à 80 % des cas, majoration dans 14 à 32 % et réduction dans 3 à 24 %. L’absence de crise dans les neuf à douze mois avant est en faveur d’un bon contrôle des crises pendant la grossesse pour 74 à 94 % des femmes. La fréquence des états de mal épileptiques lors de la grossesse, entre 0 et 1,8 %, ne diffère pas de celle d’une large population d’épileptiques : 1,6 %.

L’intérêt de l’allaitement maternel repose sur les effets nutritionnels et immunologiques du lait maternel. Aucune publication ne précise si l’exposition indirecte aux antiépileptiques ingérés par la mère conduit à des effets significatifs sur le nouveau-né et aucun seuil d’exposition passive à un antiépileptique n’a été établi pour définir un risque sur le fœtus ou le nouveau-né. Arbitrairement, un ratio de 0,6 (concentration plasmatique du nouveau-né ou concentration dans le lait/concentration plasmatique maternelle) est considéré pouvoir avoir un impact clinique significatif. Le passage dans le lait maternel de différents antiépileptiques est précisé dans le tableau en page suivante. Le lait maternel ne semble pas entraîner plus de risque de toxicité que le passage transplacentaire du médicament et pourrait contribuer à éviter un syndrome de sevrage du nouveau-né. Cependant, le risque d’accumulation du médicament antiépileptique chez le nourrisson dont le système digestif n’est pas mature, n’est pas exclu. De ce fait, le principe de précaution est souvent appliqué pour déconseiller l’allaitement maternel surtout chez le prématuré du fait d’une demi-vie très allongée du médicament. Néanmoins, l’allaitement maternel demeure possible et ne doit pas être

Conduite à tenir en pratique • éviter VPA en monothérapie ou polythérapie • éviter les polythérapies, et surtout celles utilisant le VPA • Préférer au VPA, la carbamazépine, la lamotrigine • Limiter les doses de VPA et de lamotrigine, utilisées au minimum

•S upplémentation préconceptionnelle en acide folique • Monitorer le taux des antiépileptiques pendant la grossesse (lamotrigine, carbamazépine, phénytoïne, oxcarbazépine, lévétiracétam) • Vitamine K au nouveau-né • Allaitement non exclu

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Focus

Altération de la clairance et/ ou de la concentration totale ou libre des antiépileptiques (AED) en cours de grossesse (en %) AED

PHT

CBZ

PB

PRM

VPA

LTG

Augmentation de la clairance

19-150

– 11 à + 27

60

Réduction de la concentration totale

60-70

0-12

55

55

50

Effet sur la concentration libre

+ 25

Stable

50

Stable

OXC

35-183

65-230

LVT 243

36-61

60

+ 89

PHT : phénytoïne ; CBZ : carbamazépine ; PB : phénobarbital ; VPA : valproate de sodium ; ESM : éthosuximide ; LTG : lamotrigine ; OXC : oxcarbazépine ; LVT : lévétiracétam.

systématiquement exclu surtout si une mère en a le souhait. Un allaitement mixte peut alors être proposé pour éviter un surdosage du médicament la première semaine. 5 Quelle

conduite adopter en pratique ?

En pratique, l’idéal serait de pouvoir préparer la grossesse avec une information préalable du couple. – Avant la grossesse, il est souhaitable d’évaluer la nécessité de poursuivre ou non un traitement antiépileptique en fonction du syndrome épileptique dont souffre la patiente et du risque de blessure auquel elle serait exposée avec son enfant en cas de crise. Si la poursuite d’un traitement antiépileptique s’impose, une monothérapie à dose minimale est recommandée. Si le patient est sous VPA, il est recommandé de le switcher au profit d’une molécule moins tératogène, mais à condition de le faire en amont de la grossesse pour pouvoir apprécier avec suffisamment de recul l’efficacité de la nouvelle molécule proposée. Une fois la grossesse débutée, il n’apparaît pas opportun de le faire pour lutter contre les malformations congénitales. Concernant l’impact cognitif, nul ne sait quelle est la durée d’exposition qui le favorise. – Une supplémentation en acide folique est systématique trois mois avant la conception et poursuivie pendant la grossesse. – Le monitoring des antiépileptiques est préconisé lors des deuxième et troisième trimestres pour adapter les posologies du traitement en cours de grossesse. – Le suivi obstétrical doit être programmé comme pour toute grossesse à risque.

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– La supplémentation en vitamine K du nouveau-né à la naissance est systématique. – L’allaitement est déconseillé par mesure de précaution, mais il n’est pas exclu. Dans la mesure du possible, la grossesse d’une femme épileptique traitée doit être préparée et suivie avec des consultations neurologiques plus

fréquentes, fixées en fonction du déroulement de cette grossesse. Dans l’idéal, un réseau de soins prenant en charge ces patientes permettrait une meilleure communication entre neurologue, sage-femme, gynécologue, obstétricien, anesthésiste et pédiatre. Martine Lemesle-Martin, laboratoire ESN, neurologie, hôpital général, Dijon

Ratio des concentrations des antiépileptiques (AED) dans le lait maternel/taux sérique maternel et demi-vie chez les nourrissons AED

Lait maternel/sérum maternel

Demi-vie (h)

Phénytoïne

0,06-0,19

15-105

Phénobarbital

0,36-0,45

100-500

Primidone

0,71

7-59

Carbamazépine

0,36-0,41

8-36

Ethosuximide

0,86-1,36

32-38

Valproate de sodium

0,01-0,1

30-59

Diazépam

0,5

31

Clonazépam

1-3

13-33

Clobazam

0,13-0,36

17-31

Oxcarbazépine

0,5-0,64

17-22

Topiramate

0,66-1,1

24

Zonisamide

0,41-0,93

60-109

Lamotrigine

0,5-0,76

24

Gabapentine

0,7-1,3

14

Lévétiracétam

1-3,09

16-18


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