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Neurologie

Céphalées chroniques ou migraines Quels diagnostics et quelle prise en charge en première intention ? La migraine, première cause de céphalées aiguës récurrentes de l’enfant, reste encore sous-diagnostiquée. Touchant 10 à 15 % des adolescents, elle est un problème de santé publique. Des critères diagnostiques précis sont fixés par l’International Headache Society (IHS). Leur connaissance permet de porter

Dr Barbara Tourniaire, Pédiatre, Unité de lutte contre la douleur et Centre de la migraine de l’enfant, Hôpital d’enfants Armand Trousseau, Paris.

facilement le diagnostic et évite des parcours de soins inadaptés et des bilans para-cliniques inutiles et coûteux. Les fréquentes associations migraine, céphalées dites de tension, voire céphalées chroniques majorent les erreurs diagnostiques. L’absentéisme scolaire, le retentissement sur la vie et les facteurs biopsychosociaux doivent être évalués. La prise en compte de cette complexité est primordiale. Une approche multidisciplinaire est importante si les crises de migraine sont sévères et s’il s’agit d’une céphalée chronique. La HAS, en 2003, et l’AFSSAPS, en 2009, ont produit des recommandations : traitement médicamenteux rapide en début de crise de migraine (ibuprofène et triptans) et traitements non médicamenteux à privilégier en traitement de fond (relaxation, hypnose, psychothérapie).

Le diagnostic bbUn diagnostic clinique Les migraines, céphalées de tension et céphalées chroniques sont des céphalées primaires. Comment les reconnaître ? Le diagnostic repose uniquement sur l’interrogatoire. L’examen clinique est normal, et, lorsqu’aucun doute ne persiste après ces deux étapes, aucun bilan para-clinique n’est nécessaire. La plupart des migraineux présentent une association de migraines et de céphalées de tension qui doivent être bien séparées dès la première consultation : « avez-vous deux types de maux de tête différents : des crises intenses qui vous font arrêter vos activités et des maux de tête moins intenses ? ». Pour chacune, la description et la fréquence seront recherchées séparément. Une place importante est faite en consultation aux facteurs psychosoAdolescence & Médecine

ciaux. Lors de ces consultations lon-

gues, l’histoire de l’adolescent et de la famille sera abordée et non la seule description des douleurs. Bien souvent, cette histoire racontée prend sens pendant la consultation, pour l’adolescent et sa famille qui comprennent l’intrication des facteurs déclenchants et du “terrain migraineux”. Ainsi, si la migraine est bien une maladie familiale, les facteurs déclenchants, en particulier psychologiques seront discutés largement avec l’adolescent. Vus sous cet angle, ces éléments peuvent bien souvent être abordés assez aisément.

nombreux enregistrements et descriptions. Les études épidémiologiques montrent que cette maladie universelle augmente avec l’âge et concerne environ 5 % des enfants de 5 ans, 10 % à 10 ans, 15 % à l’adolescence et environ 20 % des adultes (1, 2). L’IHS a classé les différents types de céphalées (3). Pour un non-spécialiste, la forme simple doit être connue, les formes plus complexes, avec auras multiples ou signes neurologiques associés, seront adressées au spécialiste (Tab. 1). En résumé, le diagnostic de migraine est simple à poser : un enfant ou ado-

Les migraines (10 à 15 % des adolescents)

lescent ayant présenté 5 épisodes de

Longtemps considérée comme un symptôme, la migraine est maintenant bien admise comme une maladie neurologique. Plusieurs gènes ont été identifiés et les modifications neurovasculaires lors des crises ont fait l’objet de

activités et avec phonophotophobie

céphalées intenses avec un arrêt des et/ou nausées-vomissements est migraineux.

Des douleurs abdominales, une pâleur, une asthénie importante avec 49


Neurologie recherche rapide de sommeil (qui bien souvent interrompt la crise) et une sensation vertigineuse sont souvent associées. Les antécédents familiaux aident à évoquer le diagnostic, même si nombre de parents se méconnaissent eux-mêmes comme migraineux et pensent présenter des “crises de sinusites”, des “crises de foie”, ou autres. Si, jusqu’à la puberté, le sex-ratio est équilibré, il évolue ensuite en défaveur des jeunes filles pour atteindre à l’âge adulte 60 % de femmes.

Migraines avec ou sans aura Les auras (signes neurologiques transitoires) sont plus fréquentes chez

Tableau 1 : Critères diagnostiques IHS de migraine sans aura (actualisation 2004). A. Au moins 5 crises répondant aux critères B-D B. Crise d’une durée de 1 à 48 heures* C. La céphalée présente au moins deux des caractéristiques suivantes : • L ocalisation bilatérale ou unilatérale* •P ulsatile • I ntensité modérée ou sévère •A ggravation par l’activité physique D. Durant la céphalée, au moins une des caractéristiques suivantes : •N ausée et/ou vomissement •P hotophobie et phonophobie E. Exclusion par l’anamnèse, l’examen clinique et neurologique, éventuellement par des examens complémentaires, d’une maladie organique pouvant être la cause de céphalées. * deux différences par rapport à l’adulte : durée plus courte surtout chez les plus petits, caractère volontiers bilatéral des céphalées.

l’enfant que chez l’adulte (4), 47 à

60 % dans deux cohortes du centre de la migraine de l’hôpital Trousseau (5) et jusqu’à plus de 70 % des cas dans certaines publications (6). Le plus souvent visuelles (vision floue, tâches colorées, formes bizarres, scintillements, plus rarement scotome…), et auditives (sifflements, bourdonnements, voix), elles peuvent être parfois sensitives (paresthésies) ou plus rarement troubles du langage (suspension du langage, jargonophasie…) ou auras motrices (migraine hémiplégique). A l’adolescence, le mode d’entrée dans “la maladie migraineuse” est parfois une ou deux crises inaugurales de migraines basilaires avec céphalées intenses et des signes neurologiques

parfois

impressionnants

(baisse de la conscience, voire perte de connaissance, désorientation, troubles du langage, aura visuelle et auditive…). Si le diagnostic de migraine n’a pas été posé auparavant, ces symptômes entraînent un bilan paraclinique extensif, et ce n’est qu’avec un bilan normal et la répétition des crises (bien souvent moins sévères ensuite) que le diagnostic de migraine sera ultérieurement évoqué.

Les céphalées de tension La migraine doit être distinguée de la céphalée de tension, céphalée plus diffuse, non pulsatile, non aggravée par 50

l’effort, moins intense, sans signes digestifs, parfois accompagnée de phonophobie ou de photophobie.

filles (60 à 90 %). Cette symptomatolo-

La prévalence de ces “petits maux de tête” est très diversement appréciée dans la littérature : 10 à 70 %.

L’abus médicamenteux

Les céphalées chroniques (2 à 4 % des adolescents) Une céphalée est dite chronique si elle est présente plus de 15 jours par mois, pendant plus de 3 mois. Il peut s’agir d’une céphalée de tension chronique (fonds douloureux qui peut être décrit comme plus ou moins présent dans la journée ou quasi permanent) ou une migraine chronique (plus de huit crises de migraine par mois et céphalées de tension les jours restants). Cette distinction n’est pas aisée à faire car bien souvent ces adolescents décriront une douleur permanente associée à des pics douloureux fréquents. Parfois, la céphalée chronique s’installe d’emblée : la douleur commence un jour précis, parfois par une crise de migraine, et ne s’interrompt plus. D’autres fois, elle est précédée pendant des mois ou des années d’un tableau de céphalées de tension et/ou migraines. Ces céphalées chroniques touchent beaucoup plus largement les jeunes

gie est parfois associée à d’autres douleurs chroniques.

Rare chez l’enfant, il doit être recherché systématiquement chez l’adolescent. Nommé souvent comme responsable de la chronicisation des céphalées, les données les plus récentes sont plus nuancées. Cependant, ce sujet doit être abordé de même que d’autres consommations régulières même si les causalités ne sont pas prouvées actuellement. Cette discussion avec l’adolescent est aussi un moyen de mieux appréhender sa façon de vivre et bien souvent celle de sa famille, avec les attitudes vis-à-vis des médicaments…

La comorbidité psychiatrique Chez l’adulte, une comorbidité existe entre migraine et anxiété-dépression. La prévalence de ces troubles augmente en cas de céphalée chronique. Chez l’enfant et l’adolescent, les études sont beaucoup plus contrastées (7) et ne permettent pas de citer une prévalence des troubles anxieux et dépressifs dans la migraine, mais elles vont dans le sens d’une comorbidité en cas de céphalée chronique. Parfois, un problème psychopathologique ou psychiatrique individuel ou familial existe et sera traité en tant que tel. Adolescence & Médecine


Céphalées chroniques ou migraines

bbUn bilan para-clinique le plus souvent inutile

bbRetentissement et b qualité de vie

En consultation non spécialisée, bien souvent par méconnaissance des critères diagnostiques, le problème sera posé en termes de diagnostic différentiel. Ainsi, un bilan ophtalmologique, suivi bien souvent d’un bilan orthoptique (et de séances de rééducation) et d’une imagerie seront prescrits, parfois assortis d’un bilan biologique “standard”, coûteux et inutiles. Les recommandations de la HAS sont très claires (8) : « aucun examen com-

La qualité de vie, l’absentéisme scolaire, le sommeil… doivent être évalués. Des études montrent que la qualité de vie de ces adolescents est parfois aussi diminuée que dans des maladies chroniques sévères (9, 10). Dans le cas des céphalées, les adolescents en situation d’absentéisme scolaire important voire de déscolarisation, ont majoritairement des céphalées chroniques, et sont dans des périodes de vie difficiles voire dans des situations psychiques graves, individuelle ou familiale. Parfois, une problématique psychiatrique est mise en évidence et les céphalées s’inscrivent alors dans un tableau plus complexe dont il faut tenir compte.

plémentaire ne doit être prescrit pour établir le diagnostic de migraine, sauf s’il persiste un doute à la fin de l’interrogatoire et de l’examen clinique ».

bbLes facteurs déclenchants Il est important de laisser l’adolescent citer spontanément les facteurs déclenchants qu’il a pu constater, puis une liste lui sera proposée. Bien souvent, avant la consultation spécialisée, l’origine “psychologique” a été mise en avant, niant parfois la réalité de la migraine. Aussi, il est plus pertinent de le questionner d’abord sur les facteurs environnementaux : bruits, lumière, chaleur, odeurs, efforts physiques, chocs crâniens, stimulations vestibulaires, jeûne… pour finir par les facteurs émotionnels d’anxiété, de contrariété, voire de dépression. En situation de “stress” scolaire, familial…, les céphalées s’aggravent. Ceci justifie tout l’intérêt porté à ces facteurs psychologiques, et le temps nécessaire pour entrer en contact et obtenir la confiance de l’adolescent et de sa famille. Dans le cas contraire, rien n’en sera dit, et le risque est grand d’aboutir à une surenchère médicamenteuse. Ainsi posée, la problématique est majoritairement bien acceptée et comprise des adolescents et de leurs parents et permet l’introduction facile des moyens non médicamenteux dans la stratégie thérapeutique. Les facteurs alimentaires et hormonaux fréquents chez l’adulte ne sont qu’exceptionnellement

retrouvés,

y compris chez les jeunes filles pubères. Adolescence & Médecine

Pour de grands adolescents, d’autres AINS et triptans peuvent être utilisés hors AMM par des médecins experts dans le domaine. Les opioïdes (codéine, morphine...) n’ont aucune indication dans ces céphalées. Aucun

traitement

médicamenteux

ne doit être prescrit pour les céphalées de tension, qui bénéficieront des moyens non médicamenteux.

Ces recommandations simples sont mal connues actuellement des médecins français (12).

bbTraitements de fond : méthodes psychologiques en priorité Les approches psychologiques

bbL’information et le suivi de l’enfant

La relaxation, l’hypnose et la psychothé-

La restitution des données de l’entretien à l’adolescent et sa famille est un des temps forts pour confirmer le diagnostic, souligner les éléments importants et permettre l’autonomisation de l’enfant et son entourage.

analyses dans ce domaine (13). L’analyse de ces données permet de les recommander en première intention en traitement de fond. D’après la HAS : « chez l’enfant, le traitement médicamenteux de fond ne sera institué qu’après échec des traitements non pharmacologiques ». En 2009, le travail de l’AFSSAPS confirme ces données. Par manque de travaux pouvant faire recommander un traitement de fond médicamenteux chez l’enfant, le texte spécifie que : « en traitement de fond, aucun médicament ne peut être recommandé en revanche l’apprentissage des méthodes psychocorporelles (relaxation, auto-hypnose…) peuvent être recommandées (grade A) ».

La tenue d’un agenda des crises est conseillée initialement afin de mieux cerner le nombre de crises, les facteurs déclenchants, les traitements pris. Un livret d’information est disponible pour les familles, et les professionnels de santé, sur Internet, et en version papier (www.migraine-enfant.org).

Le traitement bbTraitements de crise : médicamenteux L’analyse complète des études cliniques a permis de produire des recommandations HAS en 2003 (8) et AFSSAPS en 2009 (11) : l’ibuprofène est recommandé en première intention (10 mg/kg, maximum 400 mg/ prise), très rapidement en début de crise (uniquement pour la migraine et non pour les céphalées de tension). En cas d’échec, le sumatripan en intranasal a une AMM à partir de 12 ans.

rapie ont fait l’objet d’études et de méta-

De la façon dont la consultation s’est déroulée, du temps accordé pour parler de l’intrication des facteurs psychologiques avec les céphalées, dépendra l’acceptation ou non de ces méthodes. Bien expliquées, elles sont rarement refusées et apportent une aide précieuse. Les unités spécialisées développent parfois des groupes pour enfants et adolescents, avec parfois une association à l’éducation thérapeutique. Les méthodes proposées dépendront des choix et possibilités de 51


Neurologie mise en œuvre. L’accès aux méthodes psychocorporelles reste insuffisant actuellement, par manque de professionnels formés, absence de prise en charge financière, persistance parfois de méfiance individuelle ou familiale et connaissance insuffisante de leur efficacité.

Le traitement de fond médicamenteux Si aucune molécule ne peut formellement être recommandée, en pratique l’amitryptiline est la molécule la plus utilisée sans doute dans cette indication chez l’enfant et l’adolescent. La posologie de 0,3 à 0,5 mg/kg/j maximum doit être atteinte progressivement et le traitement maintenu seulement quelques semaines à quelques mois. Si des doses plus importantes étaient nécessaires, atteignant les posologies antidépressives de cette molécule, le traitement sera prescrit et surveillé par un psychiatre.

bbLes formes sévères : b une hospitalisation parfois nécessaire Certaines crises de migraines résistent aux traitements oraux à domicile ; les services d’urgences pédiatriques doivent disposer de protocoles antalgiques avec recours aux injections intraveineuses si nécessaire (AINS et paracétamol) et/ou aux triptans. Enfin, devant des céphalées chroniques résistantes aux traitements, avec déscolarisation, problématique familiale intriquée… une hospitalisation permet bien souvent de dénouer la situation. Les unités d’adolescents et les centres médicaux avec scolarité intégrée sont des lieux adaptés à ce type de prise en charge globale.

aisé. Cependant, du temps est néces-

saire pour les distinguer, mettre en évidence les facteurs déclenchants, restituer l’ensemble des éléments à l’adolescent et sa famille et surtout ouvrir en consultation un champ large de discussion dans lequel seront abordés les facteurs émotionnels et familiaux intriqués. Les situations simples de migraines seront traitées assez aisément moyennant la connaissance des recommandations thérapeutiques. Les formes sévères, les céphalées chroniques, la gravité des facteurs psychologiques, nécessitent une approche globale pluridisciplinaire. l

Conclusion Moyennant la connaissance des critères simples, le diagnostic des céphalées primaires (migraines, céphalées de tension, céphalées chroniques) est

Mots-clés : Migraines, Céphalées primaires, Biopsychosocial, Méthodes psycho-corporelles

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