Psychiatrie
Quand orienter un adolescent vers un psy ? Proposition d’une méthode d’évaluation Tout médecin qui s’occupe d’adolescents s’interroge sur la situation psychologique de ses patients. Pour nous aider à plus de discernement, et orienter la prise en charge, cet article propose une méthode d’entretien, systémati-
Dr Bertrand Vachey, Pédopsychiatre, Hôpital Cochin, Paris
sable et simple pour débrouiller une situation problématique (ou jugée comme telle) chez un adolescent. Cet entretien permet de repérer les principaux diagnostics psychiatriques qui motiveront une consultation et/ou un suivi spécialisé. Il dure de 30 à 60 minutes en cas d’entretien ”exhaustif” de la situation. Les informations doivent être notées pour être réutilisées et transmises. Un entretien en 3 parties est proposé : les parents et l’adolescent, puis l’adolescent seul, puis à nouveau ensemble.
Entretien parents et adolescent
bbEléments biographiques actuels
La première partie de l’entretien se déroulera dans la majorité des cas (sauf situation de conflit suraiguë) en présence du (des) parent(s) et de l’adolescent. Il est parfois nécessaire de ne voir qu’un parent à la fois si ceux-ci sont séparés ou divorcés afin d’éviter que le trouble de l’adolescent ne soit utilisé dans le conflit qui les oppose, ou au contraire que la pathologie de leur enfant serve de réunificateur.
Après cette brève introduction sur le motif de consultation, il est plus fin de s’en écarter un moment, pour mieux comprendre l’adolescent et permettre une alliance thérapeutique. Il s’agit à ce moment, paradoxalement, de ne plus parler des problèmes mais de la vie de l’adolescent. On pourra lui demander : • son âge ; • sa classe, s’il a redoublé et, si oui, pour quelles raisons ; • son avis sur l’école (les notes, les amis, les profs, son comportement) ; • ce qu’il souhaite réaliser plus tard. A cette question souvent l’ado dit ne pas savoir mais un peu d’insistance bienveillante sur ce point permettra de voir ceux qui souhaitent s’orienter vers un métier littéraire, artistique, manuel… • chez qui il vit (ses parents, en alternance, en internat, en foyer).
bbHistoire de l’adolescent
On peut alors réaliser un arbre généalogique, complet, décrit par l’adolescent : • mère ;
D’abord demander à comment les parents se trés. Souvent, il l’ignore donc des choses de tion, parfois il le sait et
bbMotif de consultation Demander à l’adolescent de décrire brièvement le motif de consultation. Bien souvent, « il ne sait pas ; c’est mes parents qui veulent ! », mais il est important de lui faire verbaliser quel est, selon lui, le problème. Parfois, le motif sera selon le patient une baisse des résultats scolaires alors que les parents s’inquiètent davantage du comportement de l’adolescent. Une fois ce motif de consultation énoncé par l’adolescent puis les parents, pensez à demander s’il y a déjà eu un suivi “psy” ou s’il y en a un en cours… 18
• père ; • frères et sœurs ; • éventuels beaux-parents, demi-frères et demi-sœurs ; • grands-parents. Pour chacun des membres de la famille demander à l’adolescent d’en dire quelques mots (âge, prénom, métier ou scolarité, ses rapports avec lui, s’il va bien selon lui). Ce procédé permet à l’adolescent, “patient désigné”, de parler des siens et de leurs problèmes éventuels. On peut demander alors s’il existe des antécédents de problèmes psychologiques dans la famille ce qui donne des informations tant sur les facteurs de risque génétique (bipolarité par exemple) que sur les évènements de vie ayant pu toucher l’enfant (dépression de la mère ou du père, alcoolisme…).
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Quand orienter un adolescent vers un psy ?
habituellement un bon souvenir, la famille se détend peu à peu… Demander également pourquoi ils ont divorcé si c’est le cas, ou en tout cas ce que l’adolescent en a compris. A ce stade les parents reprendront davantage la parole. Demander quelques informations sur : • la grossesse, l’accouchement, les premiers jours de vie ; • le développement préscolaire (permettant de repérer les troubles sévères et précoces types “troubles envahissants du développement”) ; • l’entrée en maternelle (une scolarisation difficile avec refus itératifs de se rendre en cours peut être le signe du seul trouble anxieux commençant électivement dans l’enfance : l’anxiété de séparation qui peut parfois évoluer vers une “phobie scolaire”. Demander aux parents comment allait l’enfant à cette époque (s’il dormait bien, n’avait
bbL’entretien “psy” Cet entretien de débrouillage permet de repérer aisément certains troubles.
Contact, discours L’adolescent est-il opposant ou non, cohérent ou non. Un trouble du cours de la pensée et du discours devra faire penser à une entrée dans la schizophrénie ou à une prise de toxique.
Humeur L’adolescent présente-t-il un syndrome dépressif majeur ? Se sent-il : • triste (pleurs fréquents) ; • irritable (« tout le soule… »). L’irritabilité est repérée par les parents mais doit être en rupture avec un comportement antérieur et s’étendre aux autres milieux de vie de l’adolescent (l’école, les amis, les transports…) pour évoquer une dépression et non un conflit
« L’orientation de l’adolescent vers un spécialiste se fera d’autant plus facilement que vous vous êtes déjà mis d’accord avec l’adolescent avant le retour des parents. » pas de maux de ventre…) ; • la scolarité en primaire où l’adolescent peut, s’il s’en souvient, reprendre la parole. Se renseigner sur les apprentissages scolaires plus ou moins difficiles, la socialisation et le comportement à l’école et en dehors. Se renseigner sur une éventuelle énurésie primaire ou secondaire est possible. Les éléments en faveur d’un TDAH (trouble déficit attention et hyperactivité) nécessitent d’avoir accès aux bul-
letins scolaires et commentaires des professeurs concernant le comportement et les facultés de concentration de l’enfant. • Les années de collège et de lycée sont à énumérer les unes après les autres pour voir à quel moment les troubles ont commencé et si un incident n’en est pas à l’origine (divorce, agression à l’école, sentiment d’humiliation en classe, mauvaises rencontres…). Adolescence & Médecine
intrafamilial. • Une baisse des intérêts (voire une anhédonie). Il s’agit alors de lui demander ce qu’il aime ou aimait faire, et de lui faire préciser chacun de ses intérêts, de manière empathique : ses copains, en lui et demandant de citer leur noms permettant de mettre en évidence les adolescents isolés, la musique, la lecture de livres, de bandes dessinées ou de mangas, l’utilisation d’ordinateurs (streaming, Facebook…), la visualisation de films et séries TV, la réalisation de jeux vidéo sur console ou sur ordinateur, seul, ou avec des copains, ou en réseau, d’activités extrascolaires…). Une perte de plaisir pour ces différentes activités est en faveur d’un syndrome dépressif majeur (ou d’une histoire d’amour sur laquelle il vaut mieux questionner l’adolescent sans ses parents…). • Des troubles de la concentration en classe, mais aussi ailleurs comme de-
vant un film ou un livre qui peuvent expliquer une chute des résultats scolaires. • Un trouble de l’appétit (prise ou perte de poids) récent. Un trouble du comportement alimentaire pourra aussi être évoqué avec l’adolescent(e) seul(e) (éventuels vomissements). • Une insomnie (endormissement, cauchemars et/ou réveils précoces) ou une hypersomnie avec asthénie sont évocatrices de troubles anxieux ou de dépression. • Des idées noires (pessimisme ; « la vie, c’est nul » ; idées suicidaires).
Anxiété L’adolescent a-t-il présenté : • Des attaques de panique devant la présence d’épisodes de tachycardie, spasmophilie, sensation d’étouffement, vertiges, nausées et pensées affolantes avec crainte de mort imminente et parfois sentiments de déréalisation et de dépersonnalisation qui sont souvent confondus avec des hallucinations. • Des angoisses diffuses sur, par exemple, la santé de ses proches, les problèmes d’argent, la peur d’être en retard, les accidents qui pourraient survenir… elles sont en faveur d’un trouble anxieux généralisé. • Une anxiété à sortir de chez lui que ce soit pour aller chez des amis ou en cours et qui doit faire rechercher une anxiété de séparation ayant débuté dans l’enfance. • Une peur du regard des autres (en particulier de ses pairs) et de toute situation d’évaluation ou de jugement (oral du bac de Français), c’est-à-dire une anxiété sociale qui peut, comme l’anxiété de séparation être cause de “phobie scolaire”. A noter que l’anxieux social est souvent un grand amateur de jeux vidéo en ligne (World of Warcraft, Call of Duty…) qui lui permettent de se socialiser de manière “secure”. • Des somatisations anxieuses (maux de ventre très fréquents, maux de tête) qui pourraient bénéficier d’une approche corporelle type sophrologie ou relaxation. 19
Psychiatrie • Des troubles obsessionnels compulsifs (TOCs) avec vérification, range-
ment, lavage des mains…
Evènements de vie L’adolescent a-t-il subi une agression, un racket, une déception…
Difficultés d’apprentissage Elles apparaissent dès le début de la scolarité et pourraient bénéficier d’une évaluation spécialisée (test psychométrique, bilan orthophonique…). Des troubles de l’attention et une hyperactivité pourront être évalués si possibles mais restent un diagnostic de spécialiste.
Entretien individuel de l’adolescent La fin de l’entretien psychiatrique se déroulera sans les parents et permettra d’aborder les points suivants. • Les difficultés, comme elles sont perçues par l’adolescent (« c’est ma mère qui est folle ! »). • Les histoires sentimentales, à ne surtout jamais banaliser, le suicide romantique n’est jamais à exclure. • Des prises de toxiques (cigarettes,
cannabis, alcool, ecstasy, cocaïne…) : dépendance ou abus. Les conduites sexuelles “à risque” peuvent être abordées si l’adolescent est en confiance. • Des troubles du comportement (vols, agressions…). • Des passages à l’acte impulsifs auto-agressifs : scarification, prises de médicaments, vomissements. Ces questions ont pour but d’évaluer des conduites à risques à répétition, les antécédents de scarifications, de tentatives de suicide et autres éléments en faveur d’un trouble borderline. Une scarification sévère ou des brûlures de cigarettes doivent amener à se questionner sur un éventuel abus sexuel. Si l’adolescent n’est pas pleinement rassurant au décours de cette évaluation, lui demander s’il accepterait de refaire le point avec un spécialiste. A ce stade, et si l’alliance a été bonne, il est rare qu’il refuse.
Fin d’entretien avec les parents et l’adolescent Il s’agit alors de faire revenir les parents, en présence de l’adolescent si possible (parfois les parents veulent
voir le médecin seul, mais rarement s’ils ont été impliqués durant la première partie de l’entretien). Il est important de leur donner un avis médical (absence de trouble psychiatrique
évident, éléments anxieux, dépressifs, difficultés scolaires, familiales…). Cet avis médical est rassurant et nécessaire. Souvent des parents ont vu leurs enfants suivis des mois, voire des années, sans en connaître la raison… L’orientation de l’adolescent vers un spécialiste (pédopsychiatre, psychologue au CMPP ou à l’hôpital ou en ville) se fera d’autant plus facilement que vous vous êtes déjà mis d’accord avec l’adolescent avant le retour des parents. Un courrier au correspondant, peu fréquent malheureusement en psychiatrie, favorisera la prise de rendez-vous effective.
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Mots-clés : Entretien, Psychiatrie, Anxiété, Troubles psychologiques, Humeur, Dépression, Idées suicidaires, Vie sociale, Hyperactivité, Déscolarisation
pour en savoir plus • American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of
• Mâle P. Psychopathologie de l’adolescence. Collection Quadrige Paris :
mental disorders. 4 ed. Washington DC : American Psychiatric Press, 1994.
PUF, 1999.
• Dumas JE. Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. 3e édition
• Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. Paris :
revue et augmentée. Paris : De Boeck, 2007.
Masson, 2008.
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