CARDINALE CARDIOLOGIE
R e v u e d i d a c t i q u e e t p r at i q u e e n c a r d i o l o g i e
d www.cardinale.fr
Coupe anatomopathologique cardiaque avec coloration hemalin-éosine. Les dépôts d’amylose extracellulaire sont nombreux et ont détruit l’architecture cardiaque habituelle.
Mise au point
L’amylose cardiaque Le cardiologue est en première position pour faire le diagnostic de cardiopathie amyloïde. Malheureusement, ce diagnostic est souvent évoqué tardivement… Avis d’expert
attitude pratique
Congrès
La e-cigarette : state of the art
Faut-il traiter l’hypercholestérolémie chez les plus de 80 ans ?
Ce qu’on peut attendre de l’AHA 2013
page 110
page 120
page 106 Interspécialités
Échocardiographie
Microbiote et athérosclérose
Le strain en pratique
page 114
page 122
Octobre 2013 • Volume 7 • n° 57 • 9 E
CARDINALE CARDIOLOGIE
R e v u e d i d a c t i q u e e t p r at i q u e e n c a r d i o l o g i e
Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier Rédacteur en chef : Dr Serge Kownator Rédacteurs en chef adjoints : Pr Victor Aboyans, Dr Stéphane Cosson Chef du Service Rédaction : Odile Mathieu • Rédactrice : Caroline Sandrez • Chef de Fabrication et de Production : Gracia Bejjani • Assistante de Production : Cécile Jeannin • Maquette & illustration : Antoine Orry, Erica Denzler • Service abonnements : Claire Lesaint • Impression : Imprimerie de Compiègne 60205 Compiègne Comité de lecture Dr Walid Amara (Montfermeil) • Dr Pierre Attali (Strasbourg) • Pr François Carré (Rennes) • Dr Gabriel Choukroun (Amiens) • Dr Serge Cohen (Marseille) • Pr Geneviève Derumeaux (Lyon) • Dr François Diévart (Dunkerque) • Dr Jean-Jacques Domerego (Nice) • Dr Alain Ducardonnet (Paris) • Dr Meyer Elbaz (Toulouse) • Pr Michel Farnier (Dijon) • Pr Alain Grynberg (Jouy-en-Josas) • Pr Daniel Herpin (Poitiers) • Dr Jean-Pierre Houppe (Thionville) • Dr Patrick Jourdain (Pontoise) • Pr Christophe Leclercq (Rennes) • Dr François Luizy (Paris) • Dr Marie-Christine Malergue (Paris) • Dr Emmanuel Messas (Paris) • Dr François Philippe (Paris) •Dr Pascal Poncelet (Lille) •Dr Naïma Rahmoun (Oran) •Dr Gilles Traisnel (Lille) • Dr Olivier Varenne (Paris) • Dr Stéphane Zuily (Nancy) Comité scientifique Pr Michel Bertrand (Lille) • Pr Jean-Pierre Bourdarias (Boulogne) • Pr Jean-Paul Broustet (Bordeaux) • Pr Christian Cabrol (Paris) • Pr Alain Cribier (Rouen) • Pr Vincent Dor (Monaco) • Dr Jean Fajadet (Toulouse) • Dr Guy Fontaine (Paris) • Pr Gilbert Habib (Marseille) • Pr Samuel Lévy (Marseille) • Dr François Luizy† (Paris) • Pr Jean Marco (Toulouse) • Dr Jean-Baptiste Michel (Paris) • Pr Philippe Gabriel Steg (Paris) • Pr Paul Touboul (Lyon) • Pr Bernard Belhassen (Tel-Aviv)
sommaire www.cardinale.fr
n Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 98 n Mise au point
L’amylose cardiaque Une CMH méconnue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 99
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Thibaud Damy (Créteil), Jean Rosso (Créteil), Dania Mohty (Limoges), Nicole Benhaiem (Créteil), Jehan Dupuis (Créteil), Jean-François Deux (Créteil), Violaine Planté-Bordeneuve (Créteil)
n éCHOS DES CONGRèS
Faut-il traiter l’hypercholestérolémie chez le sujet de plus de 80 ans ? . p. 106
Stéphane Desmichelle (Paris)
n avis d’expert
La E-Cigarette State of the art . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 110
Kamel Abdennbi (Paris)
n interspécialités Microbiote et athérosclérose Identification d’un nouveau facteur environnemental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 114
Tiphaine Le Roy (Paris), Joël Doré, Philippe Gérard (Jouy-en-Josas)
n CONGRèS
AHA Scientific Sessions 2013 (Dallas) Quelles surprises et quelles nouveautés nous réserve cet univers impitoyable ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 120
Serge Kownator (Thionville)
n En pratique
Le strain en pratique Évaluation de la fonction et de la contractilité myocardique. . . . . . . . . . . . . . p. 122
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Dania Mohty (Limoges)
n Bulletin d’abonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 113
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éditorial
ils redécouvrent l’Amérique !
D
ans une édition récente de Cardiosource, le “média” de l’ACC, on peut lire l’interview par Spencer King III, rédacteur en chef du JACC Cardiovascular Interventions, de Chris White, cardiologue interventionnel, très orienté vers la n Serge pathologie vasculaire périphéKownator rique, angioplasticien de renom. Le titre de cette rencontre, Peripheral Matters, ou Il faut s’intéresser à la pathologie vasculaire périphérique, pourrait résumer, à lui seul, l’ensemble du propos. L’essentiel de cette discussion tourne autour du rôle du cardiologue interventionnel dans la prise en charge des procédures endovasculaires périphériques. On y aborde la formation et la certification des cardiologues aux interventions péri-
techniques dont les ballons actifs ou les stents biorésorbables. Il fait la part belle à la dénervation rénale, suggérant même qu’au prix d’une intervention de 25 à 30 minutes on pourrait épargner plusieurs dizaines d’années de traitement médical, n’exagérons rien, on retrouve ici l’enthousiasme du cathétériseur dominant ! Toujours est-il que cette prise de conscience de nos collègues américains ne s’adresse pas qu’aux “interventionnels”, on aborde ici le rôle des méthodes diagnostiques y compris les plus élémentaires comme la mesure de l’IPS. On évoque la prise en charge globale du risque cardiovasculaire et la détection précoce des lésions. On met en avant enfin la nécessité absolue de l’interdisciplinarité pour une prise en charge optimale du patient. Neurologues vasculaires, chirurgiens, néphrologues sont, avec les cardiologues, autant de partenaires potentiels dans la prise en charge
On réalise que la maladie vasculaire est ubiquitaire, qu’elle touche l’ensemble du lit artériel et qu’elle ne s’arrête pas aux artères coronaires. phériques. On constate qu’aux USA se sont les cardiologues, devant les chirurgiens et les radiologues, qui réalisent le plus grand nombre de procédures. Au-delà de ces aspects purement “mécaniques” on réalise, il serait temps, que la maladie vasculaire est ubiquitaire, qu’elle touche l’ensemble du lit artériel et qu’elle ne s’arrête pas aux artères coronaires. On découvre même, si l’on peut dire, que l’atteinte périphérique ne se limite pas seulement aux membres inférieurs mais touche également l’aorte, les artères digestives, les rénales bien sûr et les troncs supra-aortiques. On se rappelle ici que le cardiologue est spécialiste du cœur et des vaisseaux, aux USA comme en France, et qu’à ce titre il ne doit pas arrêter sa démarche à la racine de l’aorte. Cet article s’adresse aux cardiologues interventionnels, il met en exergue les dernières
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de ces patients sans oublier bien évidemment, en France notamment, les médecins vasculaires. La spécialité cardiologique a longtemps marginalisé la pathologie vasculaire, nous sommes peut-être, avec le développement des techniques endovasculaires périphériques, entrain d’assister à une transformation des habitudes ? En tout cas, espérons que nous ne serons pas, comme souvent, trop en retard et qu’il ne nous faudra pas 10 ans de plus pour redécouvrir, à notre tour, l’Amérique ! n
Bibliographie • http://www.cardiosource.org/News-Media/Publications/ CardioSource-World-Interventional/2013/SeptemberOctober/Conversations-with-Experts-Spencer-Kingand-Christopher-White-on-Peripheral-Interventions. aspx?utm_source=Silverchair%20Information%20 Systems&utm_medium=email&utm_campaign=JACC%20 Supp%20Issue%20%5BPoster%20Abstracts%5D
Cardiologie - Cardinale • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 57
Mise au point
L’amylose cardiaque Une CMH méconnue
Thibaud Damy*, Jean Rosso*, Dania Mohty**, Nicole Benhaiem*, Jehan Dupuis*, Jean-François Deux*, Violaine Planté-Bordeneuve* *Réseau Amylose, Service de Cardiologie, Médecine nucléaire, Anatomo-Pathologie, Hématologie, Imagerie cardiaque et Neurologie, CHU Henri-Mondor, Créteil, thibaud.damy@hmn.aphp.fr **Service de Cardiologie et Centre de référence des amyloses AL, CHU Limoges
Introduction L’amylose est la manifestation de plusieurs maladies systémiques (1). La caractéristique commune de ces maladies est une accumulation extracellulaire de protéines fibrillaires insolubles qui se déposent et envahissent progressivement les tissus, empêchant leur bon fonctionnement (Fig. 1a et 1b). L’infiltration amyloïde cardiaque est responsable d’un épaississement du myocarde créant un aspect de fausse “hypertrophie”. Cette infiltration se complique d’insuffisance cardiaque et de troubles de la conduction. Tout cela explique pourquoi le cardiologue est en première position pour faire le diagnostic de Cardiopathie amyloïde (CA). Malheureusement, ce diagnostic est souvent évoqué tardivement après un diagnostic initial “d’insuffisance cardiaque ± à FEVG préservée” ou de “cardiopathie hypertensive”. Afin d’améliorer l’orientation diagnostique devant une cardiomyopathie et de dépasser ces simples diagnostics, la Société européenne de Cardiologie (ESC) a récemment revu la définition et la classification des cardiomyopathies. Les Cardiomyopathies hypertrophiques (CMH) sont définies désormais par un simple épaississement du myocarde regroupant ainsi sous le terme CMH des processus physiopathologiques très différents allant d’une hypertrophie des cardiomyocytes observée dans les CMH sarcomériques (mutation troponine, myosine…) à l’infiltration du myocarde.
Classification des amyloses
La classification des amyloses repose sur la nature biochimique de la protéine amyloïde impliquée dans la formation des dépôts. Une vingtaine de protéines peuvent former des fibrilles amyloïdes (fibrinogène, apo A1…). Les formes cardiaques les plus fréquentes sont les amyloses AL (immunoglobuliniques) et les amyloses à transthyrétine (TTR) :
héréditaire (TTR mutée) ou sénile (TTR sauvage) (Tab. 1).
Les amyloses AL
Elles sont liées principalement aux gammapathies monoclonales (MGUS) ou au myélome. Les gammapathies monoclonales sont très fréquentes et touchent environ 10 % des patients de 60 ans. Ces gammapathies se compliquent heureusement rarement
Cardiologie - Cardinale • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 57
d’amylose mais représentent plus de 60 % des cardiopathies amyloïdes.
Les amyloses à transthyrétine
La transthyrétine (TTR) est une protéine synthétisée par le foie sous forme de monomères. Ces monomères s’assemblent en tétramères qui transportent des protéines (ex. : hormone thyroïdienne, vitamine D) dans le sang. Les amyloses TTR sont de deux types : - amylose à transthyrétine dite sénile où le précurseur est la transthyrétine non mutée (ATTRwt) survenant quasi exclusivement chez des hommes âgés. Les mécanismes de cette amylose ne sont pas connus ; - amylose à transthyrétine héréditaire : la forme familiale où la transthyrétine est mutée (ATTRm) (2). La transmission est autosomique dominante. Plus de 100 mutations pathogènes du gène codant pour la TTR ont été identifiées. Les dépôts tissulaires comportent également de la transthyrétine non mutée. Bien qu’héréditaire, on ne retrouve des antécédents familiaux que dans 50 % des cas. L’atteinte tissulaire est variable suivant la mutation. La mutation ATTR Val30Met
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Mise au point
Figure 1 – a) Coupe anatomopathologique cardiaque avec coloration hemalin-éosine. Les dépôts d’amylose extracellulaire sont nombreux et ont détruit l’architecture cardiaque habituelle. b) Photo de coupe de cœur explanté (amylose AL). Le myocarde est épaissi. Les dépôts d’amylose apparaissent blancs et infiltrent la totalité du myocarde.
est la plus fréquente et se présente chez les patients d’origine portugaise par une neuropathie entre 25 et 30 ans. Certaines mutations (Val122Ile, Ser77Tyr…) touchent principalement ou exclusivement le cœur. Ces cas d’amylose sont sous-estimés dans la population des patients cardiologiques. La découverte de mutation Val122Ile chez les patients d’origine africaine est de plus en plus fréquente. Cette mutation serait présente chez 3,9 % des Afro-américains (3). La pénétrance de ces mutations est variable suivant le fond génétique et la mutation. Les cas sporadiques se révèlent généralement tardivement, c’est-à-dire après 50-60 ans. Le diagnostic se fait sur l’analyse anatomopathologique qui retrouve des dépôts d’amylose avec un immunomarquage positif pour transthyrétine. Le test génétique réalisé par séquençage identifie la mutation du gène de la transthyrétine.
Manifestations cliniques des amyloses
Les manifestations cardiaques sont liées aux dépôts amyloïdes
100
au sein du secteur interstitiel et des tissus nerveux myocardiques. Ces atteintes se traduisent au plan clinique par des symptômes d’insuffisance cardiaque (dyspnée…) et des troubles rythmiques fréquents à l’étage auriculaire (flutter et FA) et moins fréquents à l’état ventriculaire. Les manifestations extracardiaques sont diverses et varient en fonction du type d’amylose (Tab. 2) : syndrome du canal carpien, macroglossie, hématome périorbitaire, etc. Les atteintes neurologiques prédominent sur le système nerveux autonome et sur les nerfs périphériques avec une atteinte des fibres longueurs dépendantes. L’atteinte nerveuse périphérique se traduit cliniquement par des troubles sensitifs associés à des paresthésies des extrémités. Il n’est pas rare que les symptômes neurologiques soient attribués à tort à d’autres causes neurologiques notamment chez le sujet âgé (neuropathie diabétique, spondylodysthésis, etc.). L’atteinte du système nerveux autonome peut être au premier plan
(forme AL et forme TTR héréditaire) et toucher toutes les fonctions autonomes entraînant des gastroparésies responsables de vomissements incoercibles sources de dyskaliémie, de troubles des fonctions génito-urinaires sources d’infections et d’hypotensions orthostatiques sévères. Il n’est malheureusement pas rare devant la multiplicité des symptômes que le patient ne soit pas pris au sérieux.
Examens complémentaires
Les examens complémentaires cardiaques permettent de suspecter l’amylose (Tab. 2). Seul le diagnostic anatomopathologique permet de l’affirmer. L’échocardiographie, l’IRM et la scintigraphie sont complémentaires dans l’approche diagnostique, toutefois ces examens ne permettent pas de distinguer avec certitude les différentes formes d’amyloses (CAS, AL, TTR mutée).
Électrocardiogramme
Un microvoltage des QRS, des pseudo-ondes Q, des QRS fragmentés et des troubles de la conduction
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L’amylose cardiaque
Figure 3 – IRM cardiaque : rehaussement tardif après l’injection de gadolinium diffus ventriculaire (VG et VD) et auriculaire (OD, OG), évoquant une cardiopathie infiltrative et par ordre de fréquence une amylose.
Figure 2 – Échocardiographie : hypertrophie myocardique septale et de la paroi postérieure (14 mm). Aspect scintillant du myocarde. Hypertrophie ventriculaire droite. Profil transmitral restrictif. Altération du strain prédominant en basal et contrastant avec une FEVG normale.
à l’étage auriculo-ventriculaire (BAV) sont classiquement décrits dans les amyloses (Fig. 1). Ces anomalies peuvent orienter le diagnostic surtout quand elles s’associent à une hypertrophie myocardique importante à l’échocardiographie qui contraste avec le microvoltage et/ou l’absence d’hypertrophie myocardique électrique (Indice de Sokolov < 35 mm).
Biomarqueurs cardiaques
Les peptides natriurétiques sont fréquemment augmentés dans les formes sévères de cardiopathie amyloïde. Les troponines I et T sont fréquemment augmentées dans la CA en l’absence de coronaropathie. L’élévation de ces marqueurs témoigne de la souffrance des cardiomyocytes du fait de l’infiltration myocardique. L’élévation de la troponine ainsi
que des pseudo-ondes Q à l’ECG conduit fréquemment à la réalisation d’une coronarographie chez ces patients. Une coronographie normale dans ce contexte doit faire réaliser une échocardiographie à la recherche d’un épaississement myocardique. L’élévation des marqueurs a permis d’établir un score de gravité dans les amyloses AL (Mayo Clinic) qui définit le protocole de chimiothérapie et permet le suivi des patients. La diminution des marqueurs traduit la réponse à la chimiothérapie et est un facteur de bon pronostic.
Échocardiographie
L’échocardiographie 2D et M-mode retrouve un épaississement myocardique important (Tab. 2 et Fig. 2) . L’hypertrophie ventriculaire gauche est généralement concentrique et s’associe à une
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Figure 4 – Scintigraphie myocardique : fixation cardiaque importante du traceur osseux évoquant le diagnostic. d’amylose.
hypertrophie ventriculaire droite. Les valves peuvent être épaissies par les dépôts amyloïdes. Un aspect granité et scintillant du myocarde est fréquent. Celui-ci est non spécifique de l’amylose et peut se voir dans d’autres pathologies cardiaques. L’épanchement péricardique n’est pas constant. La présence de la triade hypertrophie ventriculaire droite et gauche et épanchement péricardique est très évocatrice d’amylose mais est inconstante. Dans les formes tardives, le Doppler pulsé transmitral a un aspect restrictif E/A > 2 mais dans les formes précoces un E/A
101
Mise au point
normal ou < 1 peut être observé. Les vélocités myocardiques en Doppler tissulaire sont diminuées (Fig. 2). La fraction d’éjection n’est altérée que dans les stades les plus tardifs ce qui explique souvent un retard diagnostic. L’analyse fine de la contractilité par les indices de déformation (2D-strain) est plus sensible que la FEVG. Dans l’amylose, le 2D-strain global du ventricule gauche est diminué avec une prédominance sur les segments basaux et une préservation des segments apicaux (Fig. 2) (4).
IRM cardiaque
L’IRM cardiaque précise les anomalies morphologiques décrites cidessus. Les dépôts d’amylose sont visualisés par un rehaussement tardif après injection de gadolinium en séquence T1 avec annulation du signal du myocarde sain (technique d’inversion-récupération) (5). Ce rehaussement est lié à la stagnation du gadolinium et également observé en cas de fibrose myocardique. Ce rehaussement dans la CA peut être sous-endocardique ou diffus. Il peut être visible sur l’ensemble des parois myocardiques : VG, VD, OG, OD et VD (Fig. 3) ce qui est très en faveur d’un processus infiltratif. Une difficulté ou impossibilité de régler le Temps d’inversion (TI) correctement pour discriminer le myocarde du pool sanguin en raison de la rétention du gadolinium est également observée. L’utilisation de séquences en phase (dites PSIR) permet de s’affranchir du réglage du TI et est utile dans le diagnostic IRM de cette maladie. À noter qu’en cas de CA, le myocarde se noirci pour des valeurs de TI scout plus courtes que celles du pool sanguin.
Scintigraphie myocardique au diphosphonate
Les traceurs diphosphonates ( DPD, HMDP) utilisés pour
102
Tableau 1 - Sources, type de dépôts et organes atteints dans les quatre types principaux d’amyloses. Type d’amylose
AL
Dépôts
Amyloses à transthyrétine
AA
Héréditaire
“Sénile”
Chaînes légères (kappa ou Lambda)
Transthyrétine mutée
Transthyrétine sauvage
Protéine inflammatoire
Sources
Moelle osseuse
Foie
Foie
Protéine inflammatoire circulante
Organes atteints
Cœur, rein, foie, système nerveux…
Système nerveux périphérique, cœur
Cœur
Rein, foie
les sci nt ig raph ies osseuses marquent les dépôts d’amylose cardiaque (Fig. 4) . La cause de leur fixation cardiaque n’est pas connue. Elle semble plus spécifique des dépôts amyloïdes composés de transthyrétine que de chaînes légères (7). Une fixation myocardique diffuse et intense à la scintigraphie est en faveur d’une amylose à transthyrétine (héréditaire ou sénile) surtout si les tests à la recherche d’une amylose A L sont négatifs et qu’une biopsie extra-cardiaque retrouve des dépôts amyloïdes avec un marquage positif des anticorps à la transthyrétine. L’absence de fixation ne permet pas d’éliminer le diag nostic d’amylose (AL).
Examens biologiques extracardiaques
Le diagnostic des amyloses AL nécessite la réalisation d’électrophorèse des protides, de l’immunofixation, du dosage des chaînes libres sériques et de la recherche de protéinurie de Bence-Jones. Les examens sanguins identifient le pic monoclonal et permettent de quantifier les chaînes kappa et lambda. L’analyse du gène de la transthyrétine par séquençage est nécessaire pour établir le diagnostic d’amylose héréditaire à transthyrétine.
Biopsies et diagnostic anatomopathologique
Le diagnostic de CA repose sur l’examen anatomopathologique et la réalisation de biopsies. Les biopsies doivent être initialement “non invasives” (glandes salivaires, graisse abdominale). Leur négativité ne doit pas éliminer le diagnostic et doit aboutir à la réalisation d’autres biopsies en fonction de la localisation et du type d’amylose : rénale, ostéomédullaire et bien sûr cardiaque. L’examen anatomopathologique retrouve des dépôts éosinophiles en coloration hémalun-éosine (Fig. 1a), une fixation du rouge Congo et une biréfringence jaune vert en lumière polarisée après coloration au rouge Congo. Les immunomarquages précisent la protéine responsable des fibrilles amyloïdes : anticorps antitransthyrétine, kappa, lambda, fibrinogène, apo A1…
Orientation diagnostique
La figure 5 décrit l’orientation diagnostique devant une hypertrophie ventriculaire. La recherche systématique des signes cliniques, électrocardiographiques et des anomalies échocardiographiques dans le cadre d’une CMH devrait permettre un diagnostic et une prise en charge plus rapides.
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L’amylose cardiaque
Tableau 2 – Présentation clinique et imagerique des amyloses cardiaques. Amyloses à transthyrétine Type d’amylose
AL
Âge moyen (an)
Clinique
ECG Biomarqueurs
Mutations Val122Ile Ser77Tyr…
Forme héréditaire Mutation Mutation Val30Met Val30Met Stade précoce Stade tardif
60
50
50
30
75
Ethnie, pays ou sexe préférentiel
Noir > Blanc
Blanc et noir (prévalence de la mutation chez les sujets noirs : 3,6 %)
Caucasien
Portugais
Homme
Manifestations extracardiaques
Myélome, Gammapathie Canal carpien, Insuffisance rénale, macroglossie, dysphonie
Canal carpien
Neuropathie Canal carpien
Neuropathie au premier plan, canal carpien
Canal carpien très fréquent
Hypotension orthostatique, dysautonomie Microvoltage
++
+ (- pour Val122Ile)
++
++
-
+++
+++
++
-
++
Pseudo-onde Q
+++
+++
+++
+
++
BNP et Troponine
+++
+++
++
+
+++
Hypertrophie VG
++
+++
++++
+
++++
FEVG
Normale ou ¯
Normale ou ¯
Normale ou ¯
Normale
Normale ou ¯
Altération plus
Altération plus
Altération plus
Altération plus importante que ne le suggère la FEVG
++
-
++
Strain VG globale importante que ne importante que ne importante que ne le suggère la FEVG
Échocardiographie
IRM cardiaque
Scintigraphie nucléaire
Anatomopathologie
Autres éléments diagnostiques
Forme “sénile”
le suggère la FEVG
le suggère la FEVG
Profil transmitral restrictif
+++
Autres anomalies
Hypertrophie VD, épanchement péricardique diminution du débit cardiaque
Hypertrophie VD, diminution du débit cardiaque, épanchement péricardique
Hypertrophie VD, diminution du débit cardiaque
-
Hypertrophie VD, diminution du débit cardiaque
++
++
++
-
+
+++
+++
++
+
+++
+++
Réhaussement tardif (gadolinium) Aspect “patchy”
++
DPD ou HMPD
+ Non constant
+++
+++
+ (dépend du degré d’atteinte cardiaque)
Rouge Congo
+++
+++
+++
+++
+++
Transthyrétine positif
Transthyrétine positif
Transthyrétine positif
Transthyrétine positif
Mutation du gène de la transthyrétine
Mutation du gène de la transthyrétine
Immunomarquage
-
Kappa ou lambda +++ (le marquage transthyrétine peut être positif) Ig monoclonale. Chaîne légère (kappa ou lambda) dans le sang ou les urines
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Diagnostic d’élimiMutation du gène nation (marquage de la transthytransthyrétine posirétine tif avec mutation négative)
103
Mise au point
Traitement des amyloses Prise en charge cardiologique
Le traitement cardiologique des CA se base essentiellement sur le traitement diurétique et la restriction sodée qui doivent être adaptés au niveau de congestion. Les bêtabloquants et les bradycardisants ne sont pas recommandés. Une fréquence cardiaque élevée est le seul moyen de maintenir le débit cardiaque (Qcard = fréquence cardiaque x stroke volume) du fait de la rigidité de la paroi, conséquence de l’infiltration myocardique, qui empêche toute augmentation du volume d’éjection (stroke volume = VTD - VTS). Les médicaments dromotropes négatifs sont contreindiqués puisqu’ils peuvent aggraver les troubles de la conduction. Enfin, dans le contexte de l’amylose il faut se méfier de tous les traitements hypotenseurs qui peuvent aggraver une dysautonomie et entraîner des chutes. Les troubles du rythme atriaux sont fréquents et le recours à des antiarythmiques est souvent nécessaire. L’amiodarone est le médicament de choix pour maintenir un rythme sinusal de fibrillation atriale paroxystique. Il est classiquement déconseillé d’utiliser la digoxine pour ralentir les troubles du rythme atriaux du fait de potentiels effets toxiques. Le dépistage des troubles de la conduction est nécessaire, tout d’abord sur l’ECG puis sur des Holters. Des explorations endocavitaires à la recherche d’un allongement du temps de conduction infra-hissien (mesure du HV) peuvent être également réalisées. Du fait du risque important de survenue de troubles de la conduction, les indications d’implantation de
104
HYPERTROPHIE VENTRICULAIRE GAUCHE Microvoltage, pseudo-onde Q, +/-
Antécédent familial Canal carpien, Macroglossie, Neuropathie, Dysautonomie
Hypertrophie ventriculaire droite Profil restrictif Épanchement péricardique
Sans pacemaker
Avec pacemaker*
IRM cardiaque Pas d’argument pour une amylose Si forte probabilité clinique, poursuivre les investigations.
Rehaussement diffus Hypertrophie biventriculaire
EPP, Dosage des chaînes libres, Bence-Jones
Négatif
Positif
AMYLOSE AL ?
Scintigraphie DPD/HMDP Négatif
Positif
AMYLOSE TRANSTHYRÉTINE ?
Amylose peu probable Si forte probabilité clinique, poursuivre les investigations.
Test génétique TTR Négatif
Positif
AMYLOSE TTR HÉRÉDITAIRE ?
AMYLOSE “SÉNILE” ?
CONFIRMATION DU DIAGNOSTIC PAR UNE PREUVE HISTOLOGIQUE Biopsie extracardiaque : glandes salivaires, graisse abdominale, nerveuse, rectale… discuter de l’intérêt de la biopsie endomyocardique. Figure 5 – Orientation diagnostique devant une CMH avec signes évocateurs d’amylose.
pacemaker doivent être larges dès que des anomalies apparaissent. Le risque embolique est important notamment lorsque les oreillettes sont très infiltrées (visualisable à l’IRM) car elles perdent leur activité contractile bien que leur activité “électrique” soit toujours normale, c’est-à-dire en rythme sinusal (6). La transplantation cardiaque peut être envisagée chez les patients de moins de 65 ans dans des équipes multidisciplinaires spécialisées et après une évaluation complète.
Traitement spécifique
Le traitement des amyloses AL a beaucoup évolué et l’utilisation de
nouvelles chimiothérapies a permis d’améliorer considérablement le pronostic des patients. Il est fréquent d’observer une régression de l’infiltration et une amélioration des symptômes. Le traitement médical des amyloses à transthyrétine est en pleine évolution. Historiquement, le traitement des amyloses héréditaires repose depuis 1990 sur la greffe hépatique qui doit être, en cas d’atteinte cardiaque importante, combinée avec une greffe cardiaque. Cela n’est envisageable bien sûr que chez des sujets jeunes avec atteinte neurologique peu importante. De nouveaux traitements médicaux sont apparus et doivent démontrer leur efficacité
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L’amylose cardiaque
pour traiter l’atteinte cardiaque. Un stabilisateur du tétramère de la transthyrétine (tafamidis) a obtenu l’AMM européenne dans le cadre des amyloses TTR héréditaires avec neuropathie. Un essai de phase III de ce médicament est en préparation dans les atteintes cardiaques. Enfin, deux approches de thérapies géniques (ARN antisens et ARN interférant) ciblant les hépatocytes et inhibant la transcription de transthyrétine sont en cours de développement (essais cliniques de phase II/III). Un composé du thé vert (epigallocatechin-3-gallate : EGCG) a également montré son intérêt pour réduire la masse ventriculaire mesurée en échocardiographie et en IRM dans une étude non randomisée de faible effectif.
Conclusion
L’amylose cardiaque est une affection grave qui nécessite une prise en charge spécifique tant pour le diagnostic que pour le traitement. Le cardiologue doit y penser devant toute CMH. Les nouvelles techniques d’imagerie permettent une amélioration de son dépistage, encore trop tardif. Le développement de nouveaux traitements permettra à terme une amélioration du pronostic de cette maladie. n
Remerciements Nous remercions l’ensemble des membres du Réseau Amylose pour leur aide dans la rédaction de cet article et pour la prise en charge quotidienne des patients. Pour plus d’informations : www.reseau-amylose-chu-mondor.org
Mots-clés : Amylose cardiaque, CMH, Imagerie, Traitement
À retenir n Le diagnostic d’amylose doit être évoqué devant toute CMH et conduire à la recherche de signes cliniques extracardiaques (sd canal carpien, etc.). n Les signes d’amylose doivent être recherchés à l’ECG (microvoltage,
Pronostic
Le pronostic des amyloses à transthyrétine est meilleur que celui des amyloses AL mais l’amylose cardiaque reste une maladie mortelle. La médiane de survie après survenue d’un premier épisode d’insuffisance cardiaque est inférieure à 4 ans.
pseudo-onde Q) et à l’ETT (hypertrophie biventriculaire, épanchement péricardique). n Les anomalies IRM (réhaussement tardif du gadolinium) et à la scintigraphie (fixation cardiaque du traceur) sont très évocatrices de l’atteinte amyloïde cardiaque. n Le diagnostic de l’amylose est anatomopathologique. n Les biopsies “non invasives” négatives ne permettent pas d’éliminer le diagnostic. La réalisation d’une biopsie cardiaque est parfois nécessaire et doit se discuter en fonction de l’âge du patient. n Il faut rechercher la cause de l’amylose afin de mettre en route le traitement le plus approprié. n La prise en charge cardiologique de l’amylose doit faire discuter l’arrêt des traitements cardiologiques classiques qui peuvent être délétères dans ce contexte. n De nouveaux traitements dans les amyloses AL et à transthyrétine ont été/ sont développés.
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échos des congrès
Faut-il traiter l’hypercholestérolémie chez le sujet de plus de 80 ans ? Introduction À 80 ans, faut-il encore traiter l’hypercholestérolémie ? La question est d’importance à l’heure où les statines sont tellement controversées. Voici les extraits d’un débat qui a réuni deux experts en la matière, Michel Farnier (Dijon) et Eric Bruckert (Paris).
A
vant la discussion, l’orateur a rappelé que l’idée selon laquelle un taux de cholestérol bas chez les sujets âgés augmenterait le risque de morbi-mortalité n’était pas fondée. Le lien retrouvé dans les études épidémiologiques proviendrait surtout du fait que le cholestérol baisse avec l’âge et la maladie.
Dr Michel Farnier : En prévention primaire et secondaire, y a-t-il des données suffisantes pour dire qu’un traitement par statines est efficace chez le sujet âgé ? Pr Eric Bruckert : Nous manquons de
données. Dans les grandes études statines versus placebo, il n’y a pas de différence de bénéfice selon les tranches d’âge. Mais très peu de patients de plus de 80 ans sont inclus dans ces grands essais. En outre, les sujets de plus de 80 ans inclus ne sont pas représentatifs de ceux rencontrés en pratique quotidienne, il y a un biais de sélection (moins de comorbidités, de médicaments).
106
MF : Dans ce débat, pourrait-on raisonner en termes de bénéfice de durée de vie ? Chez un sujet âgé en bonne santé, sans pathologie extrême associée, quel pourrait être le bénéfice en termes d’espérance et de conditions de vie ? EB : Chez des sujets de plus
de 80 ans, l’espérance de vie moyenne est inférieure à 5 ans et, pour avoir un bénéfice substantiel des statines, il faut au moins 3 ans. Donc les chances d’éviter un événement cardiovasculaire en prévention primaire chez ces sujets sont relativement faibles. Ainsi, au-delà de 80 ans, la mise en route d’un traitement de prévention primaire est le plus souvent discutable. Ce raisonnement est à nuancer avec le bon sens... Chez un sujet de 80 ans sans comorbidité, avec de multiples facteurs de risque, un traitement par statines peut se justifier. À l’inverse, chez un sujet de 80 ans avec un cancer de la prostate et d’autres comorbidités, ajouter une statine n’est pas raisonnable.
Malheureusement, il n’existe pas de recommandation précise mais le principe suivant paraît sage : • en prévention primaire, pas de mise en route de traitement après 80 ans sauf cas particulier ; • en prévention secondaire, faire comme pour le sujet jeune (avec bon sens...). MF : Une publication récente américaine a étudié les adaptations de prescription chez les sujets de plus de 80 ans sur plus de 80 000 patients. Les résultats sont surprenants car, chez les patients très âgés, on traite plus en prévention primaire qu’en prévention secondaire. C’est l’inverse de ce qu’on attendrait mais cela correspond à la réalité des prescriptions aux États-Unis. EB : Cette étude a été très discutée car souvent, chez les gens âgés de plus de 80 ans, la cause de la mort n’est pas identifiable et il est difficile d’évaluer s’il y a un bénéfice. MF : Donc cela est autorisé pour des personnes avec des hauts facteurs de risques ? Chez des sujets de plus de 80 ans avec une maladie diabétique, a fortiori une coronaropathie traitée par des stents, ça ne se discute pas quel que soit l’âge ? EB : En prévention secondaire,
ça ne se discute pas, quel que soit l’âge… Selon moi, 80 ans avec une
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Faut-il traiter l’hypercholestérolémie chez le sujet de plus de 80 ans ?
sténose carotidienne à 60 %, il n’y a pas d’hésitation sauf s’il y a d’autres problèmes, en respectant les recommandations. MF : Est-ce que l’on prescrit la même dose de statines ou fautil être prudent sur les très fortes doses ? EB : Je préfère commencer par les
faibles doses pour deux raisons : • la variabilité de la réponse est très forte avec les statines et il n’y a pas de raison de donner des fortes doses à quelqu’un normalisé en termes d’objectifs avec une faible dose, • les effets secondaires sont dosedépendants et, même si les études ne montrent pas de relation âgeeffet secondaire, en réalité, plus on est âgé, polymédicamenté, plus on a de comorbidités et de risque d’effets secondaires. L’argument des faibles doses peut être fort, surtout chez les sujets âgés. MF : Et la femme âgée est encore plus sensible aux doses de statines. Il a été montré dans des études qu’elle réagit beaucoup mieux à des faibles doses. EB : Il y a une étude récente qui montre que la prescription d’emblée de fortes doses est un facteur clé de l’inobservance. Et cela se confirme en pratique. Auditeur : Et les personnes âgées chez qui on découvre fortuitement des plaques d’athérome ? EB : Le chiffre classique de sténose
supérieure à 50 % comme un marqueur d’équivalent de prévention secondaire est très fort et repose sur des données fiables. Une plaque plus faible de 20 % est assez banale à 80 ans. Ce qui pourrait être un argument pour le traitement, c’est une athérosclérose infraclinique supérieure à ce qui est attendu pour l’âge. MF : Est-ce que l’élément évolutif est important ?
EB : Sûrement. Certaines études
montrent que la masse d’athérosclérose à un temps donné est un puissant facteur de risque mais, à ma connaissance, aucune ne prouve que ceux qui évoluent, à niveau de plaque égal, font plus d’événements. Cela paraît logique mais je n’ai pas de données chiffrées. Auditeur : Il y a des données chiffrées sur les sténoses de la carotide asymptomatiques et c’est la progression qui est prédictive plutôt que le degré de sténose lui-même. Il y a une très mauvaise corrélation entre le degré de sténose et le risque. Auditeur : Avant 30-40 %, on ne met pas de statines ? Il faut surveiller ? EB : Oui, il faut mettre en place une
surveillance.
Auditeur : Face à un patient âgé dénutri avec un cholestérol bas, que faut-il faire ? EB : Les personnes dénutries ambu-
latoires sont rares, c’est un puissant marqueur de morbi-mortalité mais surtout en institution. Je suis un défenseur de la diététique mais, après 80 ans, le risque de dénutrition est plus important que le bénéfice qu’on peut attendre des restrictions. Les statines ne favorisent pas la dénutrition donc ça ne change pas la prescription. Auditeur : Pour un patient âgé polymédiqué (Previscan®/statine/IEC/ bêtabloquant), s’il y a une inobservance, un VG correct, faut-il enlever la statine en premier pour soulager le traitement ? EB : Le taux d’observance est
plus lié à la complexité du schéma thérapeutique qu’au nombre de comprimés. Mais si la source d’inobservance est clairement liée au nombre de comprimés, il faut faire une hiérarchie et enlever les moins prioritaires. Dans ce cas, il peut s’agir de la statine. Enfin, pour
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améliorer l’observance, il faut bien expliquer aux patients le rôle de chaque médicament. Auditeur : En termes de schéma thérapeutique, que pensez-vous de la prise de statine le soir ? EB : C’est terminé. Les statines à
demi-vies longues (rosuvastatine...) ont la même efficacité matin ou soir. MF : Même avec les autres, dans les études qui comparent le matin ou le soir, c’est 2 % de différence d’efficacité... Si le patient prend le matin une statine à demi-vie courte à 85 ans, c’est un problème mineur. Auditeur : Si le LDL est inférieur à 1 g/L spontanément, que faire en prévention primaire ? EB : En prévention primaire, en des-
sous de 1 g, on ne traite pas. Chez un sujet de 80 ans qui fait un syndrome coronaire aigu et qui a spontanément et durablement un taux de cholestérol à 0,7, je ne vois pas l’intérêt de le traiter. Le rapport bénéfice/risque est loin d’être démontré en faveur d’une mise sous statine systématique. Le problème, et la seule justification selon moi pour une mise rapide sous statine quel que soit l’âge, c’est que, souvent, on ne connaît pas encore le taux de cholestérol. Si le LDL est à 0,7, personnellement je ne plaide pas en faveur du traitement mais ça se discute... M F : Les recomma ndations actuelles préconisent une indication formelle du traitement au-dessus de 0,7 en prévention secondaire. En dessous de 0,7, c’est au médecin de prendre ou non la décision selon le contexte. Mais peu de patients sont spontanément en dessous de 0,7 dans la pratique quotidienne. MF : Chez le sujet âgé, une atteinte rénale change-t-elle l’attitude ? EB : C’est redondant par rapport au
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échos des congrès
risque élevé lié à l’âge. Une clairance abaissée chez le sujet de 65 ans, il faut en tenir compte mais, chez les sujets âgés, c’est différent... Ce n’est ni une contre-indication aux statines ni, à cet âge, une incitation de plus. Auditeur : Quid chez le sujet âgé des hypertriglycéridémies avec hypo HDL-émie en prévention primaire ? EB : Globalement, le rôle des trigly-
cérides dans les maladies cardiovasculaires est, s’il existe, faible. Les sujets qui ont une hypertriglycéridémie avec hypo HDL-émie sont un peu plus à risque mais pas une cible thérapeutique. Cela peut
être un élément en faveur du haut risque et d’une mise rapide sous statine. Les indications aux fibrates sont assez limitées à cet âge là, ça voudrait dire qu’il y a une bi-thérapie et ce n’est pas très raisonnable après 80 ans. L’indication isolée aux fibrates est rare actuellement, en dehors des grandes hypertriglicéridémies pures qu’on peut même discuter... MF : Un patient très sévère à haut risque est traité depuis des années par statine-fénofibrate. Faut-il arrêter parce qu’il atteint 80-85 ans ? EB : Plutôt que l’âge, c’est la fonc-
la créatinine inférieure à 30 qui entraînent un arrêt impératif des fibrates. Auditeur : En prévention primaire, on arrête les statines chez un patient de 80 ans traité depuis longtemps ? EB : Non, c’est assez consensuel. Il
ne faut pas arrêter uniquement en raison de l’âge mais plutôt d’autres raisons (introduction d’un traitement avec comorbidités...). n Stéphane Desmichelle
tion rénale et une clairance de
Jusqu’à quel âge faut-il traiter le cholestérol ?
Dr François Paillard, Rennes (d’après un communiqué de la SFC)
Le contexte de prévention secondaire concerne les patients présentant un antécédent avéré de maladies coronaires, d’AVC-AIT ischémique, d’artériopathie des membres inférieurs. Dans ce cas, le traitement validé qui a formellement démontré une amélioration du pronostic cardiovasculaire est le traitement hypolipémiant par statine. Deux recommandations de principe peuvent néanmoins être formulées : • tenir compte de l’absence de pathologie grave influençant le pronostic vital à court ou moyen terme, • recourir souvent à des posologies plus faibles chez le sujet âgé (risque majoré d’effets indésirables), surtout en cas d’insuffisance rénale ou de pathologies associées.
sélectivité dans les indications. Celles-ci concernent essentiellement : • la poursuite d’un traitement hypolipémiant ancien jusqu’alors bien toléré et reposant sur une indication valable ; • les sujets à très haut risque vasculaire, c’est-à-dire présentant d’importants facteurs de risque (en dehors de l’âge), en particulier les sujets diabétiques et insuffisants rénaux ; • les sujets présentant une maladie athéroscléreuse infra-clinique connue, par exemple une sténose carotidienne (situation intermédiaire de prévention “primosecondaire”). Il convient de préciser que ces indications concernent essentiellement les statines, seule classe pour laquelle on dispose de preuves solides du bénéfice chez ces sujets.
Le contexte de prévention primaire (pas de maladie cardiovasculaire avérée). Les données concernant le bénéfice chez les sujets de plus de 75-80 ans sont limitées. De plus, les sujets âgés ont souvent des prescriptions multiples justifiant davantage de
En conclusion, les indications des traitements hypolipémiants chez les sujets âgés sont centrées sur les sujets à très haut risque cardiovasculaire, essentiellement ceux avec antécédent de maladie cardiovasculaire avérée.
Chez le sujet âgé, le traitement hypocholestérolémiant doit être envisagé dans deux situations.
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Avis d’expert
La E-Cigarette State of the art
Kamel Abdennbi (Chef du service Réadaptation cardiaque, Hôpital Léopold-Bellan, Paris)
Introduction La cigarette électronique (CE) a fait une entrée fracassante en France avec près de 1,5 million de “vapoteurs” déjà au compteur. La place à lui donner fait grand débat à l’heure actuelle, aussi bien dans notre pays que dans toute l’Europe. D’ailleurs, les législateurs européens viennent d’en proroger la vente libre en dehors des pharmacies. Le rapport Dautzenberg sur la CE, remis à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, il y a quelques mois, a voulu avoir une approche excessivement prudente. En effet, dans notre société schizophrène en matière de réglementation sur le tabagisme, on peut accéder aux vraies cigarettes partout, alors que la CE, produit moins toxique, est menacée par une réglementation excessive ; cela permettrait au tabac, produit infiniment plus dangereux, de conserver son monopole. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que le lobby du tabac essaie de s’approprier cette nouvelle industrie florissante pour mieux la contrôler. Faut-il rappeler, enfin, que le tabac est à l’origine chaque année de 73 000 décès en France mais qu’il rapporte également, à Bercy, une manne financière extraordinaire liée aux taxes.
Qu’est-ce que la e-cigarette ?
La CE est un dispositif électronique muni d’une pile et d’un microprocesseur qui diffuse une solution liquide sous forme de vapeur, qui est inhalée par l’utilisateur (Fig. 1). Elle produit une “fumée artificielle” ressemblant visuellement à la fumée produite par la combustion du tabac. Cette vapeur peut être aromatisée (arôme de tabac blond, brun, de fruits, etc.) et contenir ou non de la nicotine. Les variations des concentrations de nicotine dans le mélange varient de 0 à 18 mg/ml. La e-cigarette n’a pas l’odeur du tabac. Deux techniques sont utilisées, soit par utilisation d’ultrasons, mais ce procédé est complexe à industrialiser et coûteux, soit par une résistance chauffante, la plus fréquemment utilisée. La résistance
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Figure 1 – Composition de la cigarette électronique.
appelée “atomiseur” chauffe alors un liquide (dit “e-liquide”) qui a la propriété de s’évaporer à une température proche de 50°C. Pour “vapoter”, l’utilisateur doit enclencher le chauffage de la résistance. Selon certaines études scientifiques, la CE contient des quantités de particules et substances cancérigènes
ou toxiques beaucoup plus faibles que la cigarette. Le propylène glycol, sous forme de brouillard de micro-gouttelettes, constitue un nuage blanc imitant la fumée des véritables cigarettes. Enfin, les nitrosamines, principaux agents cancérigènes contenus dans le tabac, n’ont été détectés dans les
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LA E-CIGARETTE
Figure 2 – La vapeur produite par la CE disparaît rapidement par évaporation sans gêner les voisins du “vapoteur”.
e-liquides qu’à l’état de traces, à des taux équivalents à ceux des substituts nicotiniques tels que les patchs ou gommes à la nicotine et qui sont 500 fois moindres que ceux que l’on retrouve dans le tabac.
Effets sur l’entourage
La CE ne semble pas créer de tabagisme passif comme le fait une vraie cigarette. Selon une étude datant d’avril 2013, la CE n’augmente pas le risque car le e-liquide chauffe et s’évapore, l’utilisateur pouvant alors inhaler cette vapeur qui disparaît rapidement par évaporation sans gêner ses voisins (Fig. 2). La CE et son usage dans les lieux publics sont parfois vécus comme un outil de promotion de la consommation du tabac, en particulier chez les plus jeunes. Selon certains experts, la CE favoriserait notamment l’initiation des jeunes à la consommation du tabac mais aucune étude sérieuse ne peut documenter cet aspect.
Controverse
La revue 60 millions de consommateurs a évoqué, récemment, l’existence dans la dizaine de produits analysés en France de molécules, “potentiellement cancérogènes”, en quantité significative ou toxique dans la vapeur (formol, acroléine,
acétaldéhyde, nickel, chrome, antimoine...). Cela a suscité naturellement une controverse, d’autant que la e-cigarette a été rangée par le rapport Dautzenberg comme procédé similaire au tabac alors que certains experts la présentent comme une alternative moins nocive au tabac ou comme un substitut pour l’arrêt du tabagisme. Les CE peuvent fournir de la nicotine et atténuer les effets du sevrage tabagique. Elles sont utilisées par de nombreux fumeurs pour les aider dans leurs tentatives d’arrêt. En réalité, les connaissances actuelles issues de la littérature scientifique, ne nous permettent pas d’estimer les effets sur la santé de la CE, avec ou sans nicotine. Selon les études recensées, les CE pourraient être utilisées pour faire face aux symptômes de sevrage. Les CE avec nicotine auraient la capacité d’augmenter le taux de nicotine dans le sang. Cependant, la multitude de produits et les limites des études actuelles ne nous permettent pas de conclure sur leur efficacité. En 2010-2011, était publiée dans le Journal of Public Health Policy de la Boston University School of Public Health (BUSPH), un rapport qui conclut que : • la CE contient peu ou pas de produits chimiques pouvant présenter des risques sérieux pour la santé ; • les données actuelles indiquent que les CE sont moins nocives que
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les cigarettes ordinaires et comparables, en termes de toxicité, aux spécialités pharmaceutiques contenant de la nicotine (timbres, gommes, inhalateurs) ; • les CE pourraient être efficaces contre l’envie de fumer, surtout parce qu’elles simulent l’acte de fumer une véritable cigarette ; • ce dispositif pourrait se révéler supérieur en efficacité aux autres méthodes d’autoadministration de la nicotine parce que les stimuli associés à l’acte de fumer ont un effet durable contre les symptômes du sevrage. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) souligne dans un avis datant du mois de mai 2011, outre la toxicité de la nicotine : « concernant le risque de toxicité des solvants utilisés dans les CE, en particulier le propylène glycol, il est difficile de se prononcer en raison de l’absence de données qualitatives et quantitatives suffisantes. À ce jour, aucun effet indésirable ou cas d’intoxication en lien avec la présence de ces solvants dans les CE n’a été rapporté ». De nombreuses études scientifiques ont été publiées à partir de 20122013 et confirment progressivement que l’utilisation de la CE n’est pas totalement inoffensive pour l’organisme humain, mais aussi que la vapeur de e-cigarette est « infiniment moins dangereuse » pour l’organisme que la fumée du tabac. Plus récemment, une équipe d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, a publié une étude pragmatique, randomisée sur plus de 500 fumeurs adultes (≥ 18 ans) souhaitant arrêter le tabac, afin de recevoir des CE contenant 16 mg de nicotine, des patchs à la nicotine (un patch de 21 mg par jour) ou des CE placebo (sans nicotine). Le principal critère d’évaluation était le maintien de l’abstinence à six mois, vérifié par
111
Avis d’expert
Probabilité d’abstinence continue (%)
100
en particulier la préconisation d’interdire la CE dans les lieux publics. Jacques Le Houezec, un autre expert français qui a participé à la relecture du rapport, malgré ses demandes répétées de ne rien formuler qui ne soit pas soutenu par des faits scientifiques, n’a pas été également entendu.
CE avec nicotine Patchs CE sans nicotine (placebo)
80
60
40
20
0
0
50
100
150
200
Durée entre la date d’arrêt et la date de rechute (jours) Nombre à risque CE avec nicotine 289 Patchs 295 CE sans nicotine 73 (placebo)
108 68 21
77 51 16
64 43 13
5 5 2
Figure 3 – Analyse Kaplan-Meier du délai de rechute.
analyses biochimiques (mesure du monoxyde de carbone dans l’air expiré < 10 ppm). L’analyse primaire effectuée était en intention de traiter (Fig. 3). À six mois, l’abstinence vérifiée était de 7,3 % (21 sur 289) dans le groupe recevant des CE contenant de la nicotine, de 5,8 % (17 sur 295) dans le groupe recevant des patchs et de 4,1 % (3 sur 73) dans le groupe recevant des CE placebo (différence de risque entre les CE contenant de la nicotine et les patchs de 1,51 [IC 95 % : 2,49 à 5,51] ; entre les CE contenant de la nicotine et les CE placebo de 3,16 [IC 95 % : 2,29 à 8,61]). L’étude n’a pas eu de puissance statistique suffisante pour permettre de conclure à la supériorité des CE contenant de la nicotine par rapport aux patchs ou aux CE placebo. Aucune différence significative en termes d’événements indésirables n’a été notée, avec 137 événements dans le groupe recevant des cigarettes contenant de la nicotine, 119 événements dans le groupe recevant des patchs et 36 événements dans le groupe recevant des CE placebo. Cette équipe néozélandaise a conclu que l’efficacité des CE, avec ou sans nicotine, était modérée pour aider les fumeurs à
112
arrêter, avec une atteinte des objectifs d’abstinence similaire à celle des patchs à la nicotine et peu d’événements indésirables. Des incertitudes persistent quant au rôle des CE dans le contrôle anti-tabac et il est urgent d’effectuer davantage de recherches afin d’établir clairement leurs effets bénéfiques et néfastes globaux à la fois à l’échelle individuelle et en santé publique.
Des experts convaincus
En Europe, de nombreux experts tabacologues soutiennent l’usage de la CE. Ainsi, le Comité contre les maladies respiratoires (CCMR) et la Fondation du souffle se prononcent de façon « provisoire » en faveur de la e-cigarette, estimant sa toxicité moindre comparativement à celle de la cigarette classique. Jean-François Etter de Genève, bien connu dans le milieu des tabacologues pour ses recherches portant sur le tabagisme et les traitements de substitution nicotinique, a participé activement au rapport de l’Office français de Prévention du Tabac (OFT) mais a refusé de signer les recommandations qu’il juge trop restrictives et dénuées de preuves scientifiques,
Ces experts soutiennent que, pour que le plus grand nombre possible de fumeurs passent au “vapotage”, les e-cigarettes ne doivent pas être réglementées plus strictement que les cigarettes classiques ni être présentées comme des médicaments. La réglementation des e-cigarettes ne devrait couvrir que le contrôle de qualité (pour s’assurer qu’elles ne délivrent pas de substances inattendues), ainsi que la commercialisation et la vente aux mineurs, afin d’assurer que les e-cigarettes ne sont pas proposées ou vendues à ceux qui n’utilisent pas déjà du tabac. La CE est une vraie révolution dans le domaine de la dépendance au tabac et le vaporisateur peut représenter une chance pour lutter contre le tabagisme et offrir un moyen de sevrage aux fumeurs invétérés qui pourraient passer par une phase de vapotage transitoire ouvrant la voie à l’arrêt total et définitif. Face à ces avis, les prohibitionnistes affirment que les CE sont une porte d’entrée au tabagisme chez les jeunes non-fumeurs et soutiennent l’interdiction de vapoter dans les lieux publics au nom de l’exemplarité. Au Canada, la vente de e-cigarettes avec nicotine est considérée illégale. Alors que, sans nicotine, elle est permise, à condition qu’on ne les présente pas comme une aide à la cessation tabagique. Aux ÉtatsUnis, en avril 2011, la FDA a annoncé son intention de réglementer les CE avec nicotine comme des produits du tabac, cela après avoir échoué dans sa tentative de considérer ces dernières comme des dispositifs d’administration de médicaments.
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LA E-CIGARETTE
Conclusion
L’état actuel des connaissances issues de la littérature scientifique ne permet pas d’estimer les effets sur la santé associés à la consommation de CE, avec ou sans nicotine. Davantage de recherches seront nécessaires pour évaluer les effets de la CE sur la santé, afin de mieux cerner les effets physiologiques en lien avec
les éléments contenus dans les CE et leur mode d’administration (diffusion dans les poumons par exemple). Il faut arrêter de diaboliser cette nouvelle façon de fumer, infiniment moins toxique que les cigarettes et qui permet de réduire leur risque à moindre frais. Pour beaucoup de fumeurs, cela peut représenter une étape avant d’entamer l’arrêt total et
définitif. Enfin, il ne me paraît pas légitime d’autoriser partout l’usage de la CE, même dans les espaces clos et couverts, ce qui banaliserait largement le réflexe de fumer. n
Mots-clés : Cigarette électronique, Santé, Nicotine
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Interspécialités
Microbiote et athérosclérose
Identification d’un nouveau facteur environnemental Tiphaine Le Roy (ICAN : Institute of Cardiometabolism and Nutrition ; INSERM U939 : Dyslipidémies, Athérosclérose et Inflammation dans les Maladies Métaboliques, Paris)
Joël Doré, Philippe Gérard (INRA, Institut Micalis : Microbiologie de l’Alimentation au service de la Santé ; UMR 1319, Jouy-en-Josas)
Résumé Le tube digestif héberge un écosystème microbien complexe et spécifique à chaque individu. Plusieurs études récentes ont mis en évidence une influence de ce microbiote intestinal sur le métabolisme énergétique et le système immunitaire de son hôte. De ce fait, ce microbiote pourrait constituer un facteur environnemental impliqué dans le développement de l’athérosclérose. Il a ainsi été montré que des composés pro-athérogènes sont produits par certaines bactéries intestinales. De même, certaines bactéries sont capables de métaboliser le cholestérol ou de convertir les acides biliaires, et ainsi de moduler l’absorption des stérols. Enfin, la rupture de l’équilibre entre le microbiote et le système immunitaire pourrait induire une inflammation systémique favorisant le développement de l’athérosclérose.
A
u t ot a l , c h aque êt r e humain abrite environ 1014 bactéries au sein de son tube digestif, ce qui représente dix fois plus de bactéries que de cellules eucaryotes (1). L’ensemble de ces bactéries est désigné sous le nom de microbiote intestinal. La grande majorité des bactéries du microbiote appartiennent à trois phyla : les Firmicutes, les Bacteroidetes et les Actinobacteria. Les espèces présentes ainsi que leurs niveaux de population sont toutefois variables d’un individu à l’autre. En dépit du fait que les bactéries soient encore communément associées à l’inflammation et aux infections,
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les micro-organismes commensaux sont bénéfiques et assurent un certain nombre de fonctions indispensables à l’organisme : absorption des nutriments, synthèse de vitamines, métabolisme des xénobiotiques ou effet de barrière pour n’en citer que quelques-unes.
Microbiote et maladies métaboliques
Assez récemment, il a été mis en évidence l’implication de ce microbiote intestinal dans l’obésité et les pathologies associées. En effet, les souris axéniques, c’est-à-dire dépourvues de microbiote intestinal,
sont protégées contre l’obésité et une insulinorésistance induite par un régime hyperlipidique (2-3). Les raisons expliquant cette résistance sont variées : diminution de l’absorption des nutriments, diminution de la lipogenèse hépatique et du stockage de triglycérides dans les adipocytes. Par ailleurs, il est admis depuis quelques années que l’inflammation joue un rôle majeur dans l’apparition et le développement de maladies métaboliques telles que le diabète de type 2 et l’obésité (4). Par sa nature et son contact permanent avec la muqueuse intestinale, le microbiote est un élément clé du développement d’une inflammation de bas grade et il a effectivement été démontré une implication du microbiote intestinal dans un certain nombre de maladies inflammatoires et/ou métaboliques (maladie de Crohn, diabète de type 2, obésité...). Récemment, il a été observé chez les souris que l’absence de microbiote intestinal est associée à un taux de cholestérol sanguin élevé et à une accélération du développement de l’athérosclérose (5), ce qui ajoute cette dernière à la liste des maladies métaboliques associées au microbiote. Nous
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microbiote et athérosclérose
aborderons dans cet article les différents liens entre microbiote et athérosclérose. L’athérosclérose se caractérise par le dépôt d’une plaque de lipides (athérome) dans la paroi des artères, entraînant par la suite une lésion (sclérose). L’athérosclérose est à l’origine d’une majorité des maladies cardiovasculaires, principale cause de mortalité au monde.
Antibiotiques et cholestérolémie
La découverte d’un lien entre les bactéries intestinales et la cholestérolémie, un facteur de risque essentiel de l’athérosclérose, est ancienne : les travaux de Paul Samuel montrent dès les années 1970 que certains antibiotiques diminuent la cholestérolémie de manière spectaculaire (6). La chlorotétracycline, l’acide 4-aminosalicylique et plusieurs antibiotiques de la famille des aminosides (kanamycine, paromomycine et néomycine) entraînent en effet une réduction de la cholestérolémie allant jusqu’à 30 % en deux semaines, et ce uniquement en cas d’administration orale. Chez ces patients, la diminution de la cholestérolémie était fortement associée à une inhibition de la 7α-déhydroxylation des acides cholique et chénodéoxycholique, autrement dit une inhibition de la conversion des acides biliaires primaires en acides biliaires secondaires. Cette conversion est assurée exclusivement par les bactéries intestinales dans le côlon à partir de la fraction d’acides biliaires n’ayant pas été réabsorbée dans l’iléon et recyclée dans le cycle entérohépatique. Les acides biliaires secondaires sont plus hydrophobes que les acides biliaires primaires, ce qui a pour conséquence une meilleure réabsorption par diffusion passive à travers l’épithélium
colique. L’inhibition de cette transformation suite au traitement antibiotique avait pour conséquence une fuite d’acides biliaires dans les selles et donc une diminution du pool de stérols de l’organisme qui se traduisait par une baisse de la cholestérolémie. Il n’est bien entendu pas envisageable d’utiliser les antibiotiques
population humaine : chez la majorité des individus, plus de 70 % du cholestérol arrivant dans le côlon est ainsi métabolisé par le microbiote, alors que, pour une minorité, moins de 20 % du cholestérol est transformé. Une étude réalisée sur 17 patients a par ailleurs montré que cette capacité de conversion du cholestérol était inversement
Des interactions bactéries-hôte mieux comprises rendraient possibles de nouvelles stratégies thérapeutiques de prévention et/ou de traitement de l’athérosclérose basées sur une modulation du microbiote intestinal. comme traitement de l’hypercholestérolémie, néanmoins, ces travaux démontrent l’implication du microbiote intestinal dans le métabolisme du cholestérol.
corrélée avec le taux de cholestérol sanguin (8). En d’autres termes, plus le microbiote exprime une activité élevée de réduction du cholestérol en coprostanol, plus la cholestérolémie serait faible.
Microbiote et conversion du cholestérol en coprostanol
Si ce métabolisme est décrit depuis des décennies, les bactéries responsables restent très mal connues. Ainsi, seules quelques souches actives, toutes classées dans le genre Eubacterium ont d’abord été isolées à partir d’échantillons fécaux de rats et de babouins, puis à partir de lisier de porc. La souche Eubacterium coprostanoligenes ATCC 51222, administrée oralement, s’est révélée capable de réduire significativement la cholestérolémie de lapins devenus hypercholestérolémiques suite à un régime enrichi en cholestérol. Cet effet perdurait plus d’un mois après la dernière administration de bactéries et était associé à une augmentation de la conversion du cholestérol en coprostanol (9). Cependant, des études réalisées avec d’autres modèles animaux se sont révélées moins probantes. Plus récemment, une souche bactérienne convertissant le cholestérol et issue d’un microbiote fécal humain a été isolée et caractérisée pour la première fois (10). L’effet
Le côlon reçoit également jusqu’à 1 g par jour de cholestérol dont 70 % proviennent de la bile, 20 % de la fraction de l’alimentation non absorbée au niveau de l’intestin grêle et les 10 % restants de la desquamation des muqueuses intestinales (7). Dès les années 1930, il a été montré que le microbiote intestinal était capable de convertir ce cholestérol en coprostanol, non absorbé par l’intestin et éliminé dans les fèces. Il a ensuite été montré que, chez les rats axéniques, c’est-à-dire dépourvus de microbiote intestinal, l’absorption du cholestérol était augmentée, aboutissant à une accumulation plus importante de cholestérol dans le foie par rapport à des rats conventionnels. Plusieurs études, réalisées dans les années 1970, ont montré que ce métabolisme du cholestérol suivait une répartition bimodale au sein de la
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Interspécialités
hypocholestérolémiant potentiel de cette bactérie, étroitement apparentée à l’espèce Bacteroides dorei (Fig. 1), reste à ce jour inexploré. Au final, si ce métabolisme pourrait limiter l’absorption du cholestérol et donc le risque de maladies cardiovasculaires, l’impact réel du métabolisme microbien intestinal du cholestérol sur la santé humaine reste largement à étudier.
Microbiote et métabolites pro-athérogènes
Le microbiote intestinal métabolise également la choline issue des phospholipides d’origine alimentaire, contenus en grande quantité dans les oeufs, le lait et la viande. Le microbiote intestinal catabolise la choline en triméthylamine (TMA), un gaz entièrement absorbé qui est ensuite oxydé en TMAO (TMA oxyde) dans le foie. Ce composé, le TMAO, s’est avéré être associé à un plus fort risque de maladie cardiovasculaire chez l’Homme (11). Chez la souris, le fait de supplémenter l’alimentation en TMAO ou en choline promeut le développement des plaques d’athérome. Ce phénomène est inhibé si la choline n’est pas administrée par voie orale ou si le microbiote est déplété par un traitement antibiotique, ce qui confirme le rôle du microbiote dans l’action de la choline. Les auteurs de cet article expliquent que le TMAO provoque le développement des lésions via un effet pro-inflammatoire (11). Le TMAO induit en effet l’apparition de cellules spumeuses, des macrophages chargés en lipides infiltrant les plaques d’athérome et contribuant à leur développement. Dans ce cas de figure, le microbiote génère à partir de nutriments particuliers un composé pro-inflammatoire associé à un risque plus élevé de
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Figure 1 – Image en microscopie électronique à balayage de la souche Bacteroides sp. strain D8, première bactérie isolée du microbiote intestinal humain réduisant le cholestérol en coprostanol (10).
maladies cardiovasculaires (Fig. 2). La quantité de phospholipides consommés, ainsi que la capacité plus ou moins forte du microbiote à convertir la choline en TMA, pourraient donc être deux facteurs déterminants dans le développement de l’athérosclérose. Néanmoins, la variabilité du niveau de production de TMA par le microbiote chez les différents individus est à ce jour inconnue. Il a toutefois été démontré que l’administration de la bactérie probiotique Lactobacillus rhamnosus augmentait la production de TMAO chez des souris à microbiote humain (12). Ce résultat suggère que cette fonction métabolique portée par le microbiote peut être plus ou moins exprimée et qu’elle peut être modulée, ce qui pourrait ainsi conditionner le développement de maladies cardiovasculaires ou, à l’inverse, leur prévention.
Microbiote intestinal, inflammation et transport inverse du cholestérol
Les voies métaboliques et les voies inflammatoires sont intimement
liées les unes aux autres. Par exemple, la voie NF-κB, centrale dans l’inflammation, interfère avec la voie de signalisation de l’insuline. Une réaction inflammatoire typique comporte plusieurs étapes, dont la première est la reconnaissance par le système immunitaire de composés inducteurs de l’inflammation, tels que des structures moléculaires d’origine bactérienne et certains nutriments. En générant ces composés, le microbiote influence le métabolisme de son hôte en modulant le niveau d’activation des voies de signalisation de l’inflammation. Des souris déficientes en TLR5, un Toll Like Receptor reconnaissant la flagelline, sont hyperphages et développent plusieurs symptômes du syndrome métabolique, dont une hypercholestérolémie. Ce phénotype coïncide avec un changement de la composition du microbiote intestinal et plusieurs paramètres métaboliques sont transmissibles par un transfert de microbiote de souris TLR5-/- à des souris axéniques sauvages. Ceci démontre qu’une altération du système immunitaire affecte le métabolisme en modifiant la composition et
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microbiote et athérosclérose
Microbiote intestinal
Flavines monoxygénases hépatiques
R2 O
R1
CH3
O O
CH3
P
N
O-
CH3
CH3
O
CH3
O O
Phospholipide
N+
H
CH3
Choline
CH3
CH3 H
CH3
O
CH3
H
N+
N+ CH3
CH3
Triméthylamine
Oxyde de Triméthylamine
Alimentation Œufs Viande Laitages
Athérosclérose
Figure 2 – Métabolisme bactérien des phospholipides alimentaires et athérosclérose. La choline issue de la digestion des phospholipides alimentaires est convertie par le microbiote en triméthylamine, elle-même oxydée dans le foie, ce qui génère un composé fortement pro-athérogène.
l’activité du microbiote intestinal. Les lipopolysaccharides (LPS) sont des composés d’origine bactérienne ayant un effet hautement pro-inflammatoire, induisant en conséquence une réponse immunitaire. Or, cette réponse immunitaire est impliquée dans la pathophysiologie de l’athérosclérose (13). Les LPS sont retrouvés en faible concentration dans le sang de personnes saines, ce qui suggère que de petites quantités de LPS seraient continuellement absorbées. Un autre élément impliquant le microbiote comme source de composés proinflammatoires est le fait que les souris axéniques ont une plus faible expression de marqueurs de l’inflammation que les souris conventionnelles (14). Le transport inverse du cholestérol (RCT) sous forme de HDL limite l’excès de cholestérol dans les tissus périphériques. L’efflux de cholestérol par les macrophages de la paroi des artères est un point clé de la protection contre l’athérosclérose par le RCT. Smoak et al. ont récemment démontré que l’apolipoprotéine A,
constitutive des HDL, et les récepteurs TLR 2 et 4 utilisent des voies de signalisation communes, dépendantes de Myd88 (15). Les TLR 2 et 4 seraient donc essentiels au transport inverse du cholestérol. Le transport inverse du cholestérol dans les macrophages est également régulé par LXR (Liver X Receptor). Une étude in vitro récemment publiée rapporte que deux souches probiotiques, Lactobacillus rhamnosus BFE5264 et Lactobacillus plantarum NR64, activaient LXR et augmentaient l’efflux de cholestérol (16). Ces différents éléments laissent supposer que le microbiote a la capacité de moduler le transport inverse du cholestérol.
Microbiote buccal et maladies cardiovasculaires
L’association entre une mauvaise santé bucco-dentaire (parodontite, caries) et un risque élevé d’infarctus du myocarde est connue depuis plus de 20 ans (17). La parodontite est le résultat d’une accumulation de plaque dentaire ayant migré dans le sillon gingivodentaire et
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provoquant la formation de poches parodontales autour de la racine des dents. Ces poches parodontales sont le site d’une infection, d’une inflammation et d’une destruction progressive de l’os parodontal. Un certain nombre d’études suggèrent que les bactéries retrouvées dans environ 50 % des plaques d’athérome auraient une origine buccale. Par exemple, la bactérie pathogène Porphyromonas gingivalis, très fréquemment retrouvée dans les plaques d’athérome, provoque le développement de l’athérosclérose lorsqu’elle est administrée à des souris Apo E KO. Cette bactérie a la capacité de migrer de la bouche aux cellules endothéliales et de s’y multiplier, ce qui fournit un support à l’infiltration de macrophages et à l’inflammation de la plaque d’athérome. Ceci est confirmé par la corrélation entre la quantité d’ADN bactérien retrouvée dans la plaque athérosclérotique et le niveau d’infiltration leucocytaire (18). Les maladies parodontales sont associées à une inflammation systémique chronique de bas-grade qui
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Interspécialités
est elle-même un facteur essentiel du développement de l’athérosclérose. Des cytokines pro-inflammatoires (IL1, IL6 et TNFα) ont été observées en concentration plus élevée dans le sang de patients souffrant de parodontopathies et en plus faible quantité chez les patients dont les gencives ont été traitées par nettoyage profond. Cette inflammation serait le résultat d’une activation des monocytes par les LPS d’origine bactérienne. Le microbiote buccal sain contient essentiellement des bactéries à gram positif, qui ne produisent pas de LPS, tandis que les maladies parodontales créent des réservoirs de bactéries à gram négatif, sources de LPS. Parallèlement à cela, le cholestérol total, les LDL, le VLDL et les triglycérides seraient nettement plus élevés chez les sujets souffrant de maladies parodontales.
Probiotiques et prébiotiques
L’obésité et l’athérosclérose sont caractérisées par une augmentation du niveau d’inflammation et une altération du métabolisme des glucides et des lipides, des phénomènes sur lesquels l’impact du microbiote intestinal a été démontré. Une modulation du microbiote intestinal par l’administration de probiotiques ou de prébiotiques pourrait donc améliorer ces pathologies. Les prébiotiques sont des oligo ou des polysaccharides non digérés dans l’intestin grêle et constituant le substrat préférentiel de certaines populations bactériennes supposées bénéfiques. Aussi bien chez l’Homme que chez les rongeurs, il a été démontré que plusieurs souches de lactobacilles pouvaient réduire le taux de cholestérol sanguin. Cette diminution résulterait a priori de la capacité de ces bactéries à hydrolyser les sels biliaires, diminuant ainsi la réabsorption du cholestérol et le pool de stérols.
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Chez l’Homme obèse, l’administration de lait fermenté supplémenté en Lactobacillus gasseri pendant douze semaines réduirait l’adiposité, probablement en diminuant l’absorption de lipides et l’inflammation systémique (19). Par ailleurs, la souche Lactobacillus plantarum 299v et l’espèce Enterococcus faecium ont aussi permis une amélioration du profil lipidique (20, 21). Portugal et al. ont étudié l’impact d’une autre espèce, Lactobacillus delbrueckii, sur le développement de l’athérosclérose sur des souris ApoE KO et n’ont pas observé d’effet de cette bactérie (22). A contrario, d’autres auteurs ont constaté sur le même modèle de souris qu’un
bénéfiques en : • contribuant à réguler le taux de cholestérol et en induisant une maturation du système immunitaire qui semble limiter le développement de l’athérosclérose par rapport à ce que l’on peut observer sur les souris axéniques ; • réduisant le cholestérol en coprostanol, un composé non absorbable (Fig. 3).
Effets délétères
Néanmoins, le microbiote joue aussi, a priori, un rôle défavorable dans l’athérosclérose en : • permettant le développement d’une inflammation systémique de bas grade via la production
Le microbiote intestinal constitue donc un facteur environnemental supplémentaire influençant le développement de l’athérosclérose. prébiotique, l’inuline, modifiait profondément le profil lipidique et diminuait la taille des lésions athérosclérotiques de 35 % (23). Cependant, des oligosaccharides permettaient seulement une diminution du taux plasmatique de triglycérides alors que le taux de cholestérol et la taille des plaques demeuraient inchangés. Considérés dans leur ensemble, ces éléments suggèrent que chaque probiotique ou prébiotique a une action spécifique et peut améliorer différents paramètres associés aux maladies cardiovasculaires. Néanmoins, les mécanismes d’action de ces probiotiques, ainsi que ceux des populations bactériennes augmentées par les prébiotiques sont encore à identifier.
Au final, bénéfique ou délétère ? Effets bénéfiques
Nous avons donc vu que le microbiote avait des effets probablement
d’antigènes ; • convertissant les acides biliaires primaires en acides biliaires secondaires, ce qui augmente leur réabsorption et maintient le pool de stérols circulants (Fig. 3) ; • générant du TMAO, un composé pro-inflammatoire associé à un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires.
En conclusion
La résultante de ces effets favorables et défavorables va dépendre de plusieurs facteurs. Tout d’abord de la composition et des activités du microbiote intestinal qui va métaboliser plus ou moins efficacement certains nutriments et activer plus ou moins fortement le système immunitaire. Cet impact global du microbiote va également découler des substrats fournis au microbiote via l’alimentation. En effet, ces nutriments vont d’une part contribuer à la régulation de la composition du microbiote et d’autre part constituer une source plus ou moins abondante de métabolites ayant un effet démontré dans le
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microbiote et athérosclérose
Cholestérol d’origine alimentaire
Foie
développement de l’athérosclérose. Le microbiote intestinal constitue donc un facteur environnemental supplémentaire influençant le développement de l’athérosclérose et dont l’impact va être la résultante d’un contexte particulier. À ce jour, l’impact du microbiote intestinal sur le métabolisme du cholestérol et l’athérosclérose n’est plus à démontrer. Néanmoins, l’identification des mécanismes et des espèces bactériennes impliqués est nécessaire pour envisager de nouvelles voies thérapeutiques. Des techniques moléculaires, basées sur le séquençage du métagénome intestinal humain, ont récemment mis en évidence une augmentation de l’abondance du genre Collinsella ainsi qu’une sous-représentation des genres Roseburia et Eubacterium dans le microbiote de patients atteints d’athérosclérose par rapport à celui de personnes saines, ce qui laisse supposer un effet respectivement délétère et protecteur de ces groupes bactériens (24). L’utilisation de telles techniques permettra également l’identification des gènes
Acidess biliaires primaires prim maires Veine porte Microbiote intestinal
Acides biliaires primaires
Acides biliaires secondaires
Cholestérol
Déhydroxylation Déconjugaison
Réduction
Cholestérol
Acides biliaires
Cholestérol Coprostanol Excrétion fécale
Figure 3 – Microbiote intestinal et absorption des stérols. Le microbiote peut, d’une part, stimuler la réabsorption des acides biliaires en les déconjuguant et/ou en les déhydroxylant et, d’autre part, convertir le cholestérol en un composé non absorbable, le coprostanol.
bactériens impliqués dans le métabolisme du cholestérol, des acides biliaires et de la choline. Des interactions bactéries-hôte mieux comprises rendraient possibles de nouvelles stratégies thérapeutiques de prévention et/ou de traitement de l’athérosclérose basées sur une modulation du microbiote intestinal. n
Mots-clés : Microbiote intestinal, Athérosclérose, Cholestérol, Coprostanol, Inflammation, Maladies métaboliques, Maladie parodontale
Cet article est issu de la revue Diabète & Obésité n°67 (mars 2013).
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Congrès
AHA Scientific Sessions 2013 (Dallas) uelles surprises et quelles nouveautés Q nous réserve cet univers impitoyable ? Serge Kownator
(Centre Cardiologique et Vasculaire, Thionville)
Comme à l’accoutumée, c’est vers les grandes études que toute l’attention va se porter et c’est de ces Late Breaking Clinical Trial (LBCT) sessions que viendront les nouveautés qui pourraient modifier nos pratiques. Nous aurons cinq sessions qui y seront consacrées et, comme à l’habitude, Cardinale s’en fera l’écho, de manière synthétique, au jour le jour sur votre boîte mail et bien sûr peu de temps après dans l’AHA Express. Voici un choix d’études qui sont particulièrement attendues. Bien sûr, ce choix n’est pas exhaustif et, parmi les centaines d’abstracts présentés, gageons qu’un certain nombre pourra retenir notre attention.
ERASE
Cette étude va comparer, chez des patients ayant une artériopathie des membres inférieurs, l’angioplastie, associée à un programme de marche supervisé, à ce programme de marche seul. Faut-il intervenir d’emblée ?
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© SunChan – iStock.
Introduction
CORAL
C’est l’étude que nous attendons à propos de l’angioplastie des artères rénales. Sera-t-elle suffisamment bien menée, avec des résultats suffisamment clairs pour qu’enfin on puisse avoir une attitude bien tranchée face au problème des sténoses athéromateuses des artères rénales ?
ROSE-AHF trial
On va comparer ici l’efficacité et la tolérance de petites doses de néseritide, de dopamine ou de placebo chez des patients insuffisants rénaux, présentant une insuffisance cardiaque.
TOPCAT
Cette étude teste l’efficacité de la spironolactone dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée. Une molécule bien connue pour un problème récurrent et non résolu !
MINERVA
Faut-il vraiment privilégier de manière systématique, ou presque, la stimulation double chambre ? Cette étude italienne va nous permettre de savoir si le mode DDD apporte un bénéfice en termes de mortalité, de survenue de tachycardies atriales ou d’hospitalisations par rapport à un algorithme physiologique de stimulation.
Cardiologie - Cardinale • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 57
AHA Scientific Sessions 2013 (Dallas)
STREAM 1 year
Ce sont ici les résultats à 1 an de l’étude qui, chez les patients présentant un SCA ST + et ne pouvant être dilatés dans l’heure, compare à l’angioplastie primaire, une stratégie associant fibrinolyse préhospitalière dans les 3 heures après le début des symptômes suivie secondairement d’une angioplastie. Rappelons qu’à 30 jours, l’association fibrinolyse/angioplastie s’est affirmée comme une option possible au prix d’un risque légèrement majoré d’hémorragies intracrâniennes.
ENGAGE AF-TIMI 48
Il s’agit clairement de l’un des événements attendus de ce congrès. On teste dans cette étude randomisée en double aveugle (Sham INR) l’efficacité de l’edoxaban en comparaison à la warfarine sur la prévention des événements emboliques chez environ 20 000 patients en fibrillation atriale (CHADS2 ≥ 2). Deux doses d’edoxaban (60 ou 30 mg/j) seront testées en fonction des patients. On attend bien sûr, en plus des
résultats sur l’efficacité, ceux portant sur le risque hémorragique, rappelons que dans l’étude HOKUSAI, récemment publiée, le risque hémorragique sous edoxaban était significativement diminué par rapport à la warfarine chez des patients traités pour TVP ou embolie pulmonaire.
EU-PACT
Cette étude teste l’efficacité d’une stratégie d’adaptation des doses de warfarine basée sur une analyse génotypique, évaluant le polymorphisme des gènes encodant pour le CYP2C9. Cette analyse pharmacogénétique a déjà été validée, notamment pour les doses d’initiation du traitement par AVK. Elle l’a été également dans la cohorte de Rotterdam. Enfin, son rapport coût/efficacité a également été évalué. Ces résultats seront intéressants à l’heure des nouveaux anticoagulants.
Les autres études
À ces études qui vont faire l’objet de l’attention de tous, il faut
rajouter celles présentées lors des deux premières sessions de LBCT. Pas d’acronymes accrocheurs mais, pour la première session, des stratégies pratiques dont l’efficacité est intéressante à évaluer. On parle ici des nitrés dans l’infarctus du myocarde, du niveau de pression artérielle en cas d’AVC ou encore de la gestion de la température corporelle en cas d’arrêt cardiaque. La deuxième session sera elle consacrée de manière quasi exclusive à l’éducation thérapeutique, c’est la marque du temps, au-delà des études cliniques, la manière d’en implémenter les résultats dans la vraie vie devient primordiale. On va entendre parler de “bonne santé” cardiovasculaire à l’école, d’observance, de rôle des réseaux sociaux, de réduction des apports sodés en Chine. Rendez-vous donc en direct de DALLAS ! n
Mots-clés : AHA, Études
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En pratique
Le strain en pratique Évaluation de la fonction et de la contractilité myocardique
Dania Mohty (Service de Cardiologie et Centre de référence national des maladies rares par dépôts d’immunoglobulines, CHU Limoges, dania.mohty@chu-limoges.fr)
Cet article présente le strain myocardique, outil d’évaluation de la fonction et de la contractilité myocardique. Les applications et potentielles indications cliniques sont également envisagées.
Définitions et terminologie
Le strain (S) myocardique est un outil de quantification de la fonction et de la contractilité myocardique intrinsèque. Le mot “strain” signifie une déformation. Le strain segmentaire indique le raccourcissement d’un segment myocardique par rapport à son état initial : S = (L-L0)/L0=Δl/L0. Le strain rate (SR) est la dérivée du strain en fonction du temps, donc une vitesse de déformation : SR = ΔS/Δt. Exemple : deux objets peuvent avoir un même strain de 25 % mais avoir deux strain rate différents si le premier se déforme en une seconde et l’autre en deux secondes. Le SR de l’un sera 0,25 s-1 et l’autre 0,125 s-1. Le 2D speckle tracking imaging est une modalité d’analyse du déplacement ou du strain myocardique tissulaire local par le tracking des speckles au sein de l’image ultrasonique bidimensionnelle. Les speckles sont des marqueurs acoustiques naturels présents au
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sein de l’image échographique 2D du tissu myocardique. Le tracking des speckles est le suivi du déplacement spatial de ces marqueurs, qui peut se faire dans les différents plans de l’espace : longitudinal, radial et circonférentiel. En effet, les logiciels actuels mis à disposition par les constructeurs permettent le traitement spatial et temporel de l’image obtenue en 2D mais également plus récemment en 3D, avec une bonne reconnaissance de ces éléments sur l’image ultrasonique.
Rappel anatomique
Les fibres myocardiques sont disposées de manière hélicoïdale autour de la cavité ventriculaire gauche (1). Les fibres les plus internes (endocarde) sont orientées de façon longitudinale parallèlement à l’axe apex/base. Les fibres à mi-parois ont une orientation circonférentielle. Cette répartition hélicoïdale des fibres myocardiques permet de mieux comprendre les mouvements du myocarde qui se décomposent en raccourcissement
longitudinal (fonction longitudinale) et circonférentiel (fonction circonférentielle), épaississement radial des parois (fonction radiale) et torsion-rotation (twist-untwist) (sens antihoraire à l’apex, et horaire à la base). On retiendra que le raccourcissement longitudinal assuré par la couche sous-endocardique est probablement l’une des composantes principales de la fonction pompe du corps humain. Son altération semble être la plus précoce dans l’insuffisance cardiaque et dans d’autres pathologies myocardiques. L’épaississement radial est assuré par la couche médiane et la torsion-rotation par les fibres épicardiques. Habituellement, le raccourcissement des fibres en systole est indiqué par un S négatif et l’élongation en diastole par un S positif.
DTI-Strain
C’est dans les années 1990 que le strain myocardique a émergé et s’est révélé être un bon paramètre objectif pour l’analyse de la performance myocardique et l’analyse de la contractilité intrinsèque globale
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Le strain en pratique
A
B Figure 1 – Exemple d’acquisition par DTI de courbes normales de vélocité (A),
Figure 2 – A : Exemple d’acquisition du
déplacement (B), strain rate (C) et strain (D) du strain et strain rate au niveau d’un segment de
VG en 2D speckle tracking imaging en
la paroi septale du VG.
4 cavités. À noter que la courbe de volume
et régionale des segments myocardiques dont on connaît la difficulté de l’analyse et la subjectivité d’évaluation (2). Tout a débuté initialement par la méthode du doppler tissulaire (DTI) qui permet, en effet, de mesurer des vélocités, des déplacements de parois mais aussi des déformations ainsi que le taux de déformation des fibres myocardiques (Fig. 1). Mais, rapidement, cette méthode va connaître des limites : • le problème de l’angle-dépendance et de l’alignement au faisceau ultrasonore, l’analyse exclusive de la contraction longitudinale sans tenir compte de la fonction radiale et circonférentielle ; • la nécessité d’une cadenceimages très élevée (> 100 images/ secondes pour le DTI) ; • le signal DTI était associé à beaucoup de signaux parasites, rendant son analyse difficile et peu fiable en pratique clinique routinière. D’où les efforts des constructeurs pour pallier ces défauts et trouver le moyen d’analyser les déformations myocardiques en bidimensionnel. Ainsi, le DTI-strain n’est plus utilisé en pratique clinique routinière,
sauf pour la mesure des vélocités myocardiques.
ainsi que celle de déformation longitudinale de chaque segment du VG s’affichent également, la FEVG est estimée à 51 %. B : Autre exemple d’acquisition en 4, 3
2D Speckle tracking imaging
De ce fait, le 2D Speckle tracking imaging (2D-STI) ou 2D-strain a donc été introduit rapidement par les constructeurs sur la plupart des machines. Le 2D-STI paraît en effet, simple, angle-indépendant. Il mesure la déformation myocardique théoriquement dans toutes les directions des fibres myocardiques (3). Il nécessite trois acquisitions (quatre puis trois puis deux cavités) sur un seul cycle cardiaque. Cependant, le traitement et l’interprétation des images peuvent être réalisés après l’acquisition des images (off-line) (Fig. 2). La qualité de l’imagerie doit être, comme toujours en échographie, excellente ainsi que l’échogénicité du patient, si on veut des résultats fiables. La cadence-images nécessaire à l’acquisition doit être > 4045 images/secondes ; ce qui reste inférieur à la cadence nécessaire pour le DTI-strain. Le 2D-strain radial (Fig. 3) et circonférentiel et le
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et 2 cavités, le 2D speckle tracking imaging d’un ventricule gauche ayant une fraction d’éjection préservée mais un 2D speckle tracking longitudinal global altéré.
twist-untwist sont plus difficiles à réaliser et ne sont disponibles que sur certaines machines. De plus, la variabilité des ces paramètres ainsi que le manque de validation de ces dernières formes de déformations contre des événements cardiovasculaires durs expliquent pourquoi ces paramètres ne sont pas encore répandus en pratique clinique routinière contrairement au 2D-strain longitudinal qui semble être plus robuste (4). En effet, les valeurs normales du 2D-strain longitudinal global publiées dans la littérature et reconnues dans les recommandations des sociétés savantes publiées en 2011, sont de l’ordre de -18 ± 3 % selon le constructeur (-16 % à -21 %), selon la paroi analysée, le site (l’apex vs. la base du VG), selon l’âge des sujets et probablement les conditions hémodynamiques
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En pratique
(5). Cependant, une valeur absolue < -12 % signe une dysfonction systolique intrinsèque significative quelle que soit la machine utilisée.
3D-Speckle tracking imaging
Le concept du 3D-strain est apparu récemment, en partant du principe que les mouvements de déformation cardiaque se font dans les trois directions de l’espace. Par conséquent, il est possible théoriquement, qu’avec le 2D-strain, il y ait une perte d’informations en raison de la perte de certains speckles ou marqueurs acoustiques en dehors du plan de coupe 2D. Le 3D temps réel en assurant une acquisition full volume permet théoriquement de suivre le myocarde et les speckles dans toutes les directions de l’espace. De plus, les mouvements de torsion et détorsion sont théoriquement mieux suivis et de façon plus précise en 3D qu’en 2D. Ainsi, certains constructeurs de matériels d’échocardiographie ont conçu et mis à notre disposition des appareils d’échocardiographie avec des logiciels, en principe faciles d’utilisation, permettant une acquisition 3D, en apnée, sur 4 à 6 battements cardiaques, des volumes des cavités cardiaques et des différentes déformations myocardiques de façon simultanée (Fig. 4). Le 3D-STI permettrait ainsi de mieux caractériser la contraction myocardique couche par couche sur l’ensemble du myocarde. La fonction radiale, circonférentielle et de torsion-rotation est ainsi obtenue lors de cette même acquisition. Enfin, les taux de déformation correspondant à chaque type de strains sont également obtenus simultanément ainsi que les courbes de déplacement et de vélocités. Il est possible de transférer toutes ces informations de
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Figure 3 – Exemple d’acquisition d’un VG en 2D speckle tracking imaging du strain radial global et régional d’un ventricule gauche.
Figure 4 – Exemple d’acquisition d’un VG en 3D speckle tracking imaging (strain longitudinal global d’un ventricule gauche) : notons que la FEVG et les volumes ventriculaires sont obtenus en même temps que les différentes déformations myocardiques.
Figure 5 – Exemple d’aquisition du volume de l’oreillette gauche en 3D speckle tracking imaging (strain longitudinal global) : notons que la courbe du volume et déformation 3D de l’OG en fonction du temps sont affichés simultanément.
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Le strain en pratique
façon systématique dans une base de données pour une exploitation ultérieure dans le cadre de protocoles de recherche clinique (6). Des efforts de validation rigoureuse de ces nouveaux paramètres et de larges études sur des éléments pronostiques solides, tels que la morbi-mortalité, restent nécessaires avant qu’ils ne soient utilisables en pratique clinique. Parallèlement, l’optimisation de la qualité des images (résolution spatiale et temporelle) et des logiciels de traitement d’image doit faire l’objet de progrès de la part des constructeurs. Cette analyse des déformations est possible à appliquer théoriquement sur n’importe quelle cavité car aucune supposition géométrique n’est faite, permettant ainsi de faire une acquisition full volume du VG mais également de l’oreillette gauche (Fig. 5), de l’oreillette droite et du ventricule droit.
Applications et potentielles indications cliniques
Les applications du strain myocardique sont nombreuses. 1) Impossibilité d’évaluer de façon fiable la fonction systolique du VG par les méthodes classiques. 2) Discordances entre les mesures des différents paramètres classiques. 3) Pa r a mèt r e s de fonc t ion
systolique ou de FEVG se trouvant dans la zone grise. 4) Détection d’une atteinte cardiaque précoce, ou latente, au décours de l’utilisation de chimiothérapie cardiotoxique par exemple. 5) Recherche d’une réserve contractile/viabilité ventriculaire gauche dans la cardiopathie ischémique, ou valvulaire. 6) Analyse de la fonction systolique intrinsèque dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. 7) Dans le cadre des cardiopathies ischémiques, recherche d’un retentissement d’une atteinte coronaire gauche ou du tronc commun sans anomalie macroscopique visible de la cinétique segmentaire. 8) Cardiopathies hypertrophiques et/ou hypertensives avec FEVG apparemment préservée. 10) Cardiopathies infiltratives ou de surcharge avec possibilité de mieux caractériser le site de l’atteinte myocardique selon la cardiopathie (avec des corrélations entre fibrose à l’IRM et altération du strain, intérêt diagnostique étiologique et pronostique). 11) Utilisation possible dans l’étude de l’asynchronisme intra-VG. 12) Atteinte précoce du VD dans la sclérodermie avant l’HTAP ou d’autres pathologies du cœur droit. 13) Analyse de la fonction atriale : déformation longitudinale de l’oreillette gauche de façon globale et segmentaire (corrélation avec la fibrose atriale retrouvée à l’IRM par exemple
avant et au décours de procédures d’ablation de fibrillation atriale).
Conclusion
L’évaluation de la fonction et de la contractilité myocardique par STI a été bien validée contre les autres méthodes de référence invasives et non invasives (par sonomicrométrie et par résonance magnétique). Le 2D-STI, et de plus en plus le 3D-STI, permettent d’analyser les différents types de contractions longitudinale, radiale, circonférentielle ainsi que la torsionrotation en une seule acquisition et de manière relativement rapide et reproductible (faible variabilité inter- et intra-observateur : 7-10 %). Enfin, le strain s’avère utile pour l’étude et la localisation précise des anomalies systoliques latentes. Grâce à l’absence de supposition géométrique en 3D, il peut être appliqué sur toutes les cavités cardiaques (VG, VD, OG, OD). Enfin, la courbe d’apprentissage est relativement rapide. Cependant, de larges études cliniques sont encore nécessaires afin d’évaluer la valeur pronostique de ces nouveaux paramètres. n
Mots-clés : Contractilité, Myocarde, Strain, Speckle tracking
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