Dia76 p46a49 interspecialites

Page 1

Interspécialités

En périopératoire de la chirurgie de l’obésité Traitement du diabète de type 2 Dr Ana Estrade*

Introduction La chirurgie bariatrique fait désormais partie de l’arsenal thérapeutique du diabète de type 2 : la perte de poids qu’elle induit permet une amélioration voire une rémission du diabète. D’autres facteurs que nous évoquerons sont, indépendamment de la perte de poids, également impliqués dans l’amélioration de la glycorégulation. Malgré tout, la rémission du diabète en postchirurgie n’est pas systématique et les récidives peuvent être fréquentes.

E

n préopératoire, chez un patient diabétique, il paraît indispensable d’équilibrer au mieux le diabète en vue d’une chirurgie bariatrique. En postopératoire, la prise en charge du diabète persistant est encore actuellement mal codifiée et il n’existe pas à l’heure actuelle de recommandations françaises sur le sujet. Les études concernant les traitements antidiabétiques en postchirurgie font l’objet de quelques publications récentes.

*CHU de Toulouse

46

Enfin, les antidiabétiques sont aussi étudiés pour leurs potentiels effets sur les hypoglycémies qui peuvent être rencontrées en postchirurgical.

Impact de la chirurgie bariatrique sur le diabète de type 2 La chirurgie de l’obésité permet des taux de rémission du diabète d’environ 57 % chez les patients bénéficiant d’une chirurgie par anneau gastrique, de 66 % pour les patients opérés de sleeve gastrectomy, de 80 % chez les patients opérés d’un by-pass et de 95 % dans les cas de dérivation biliopancréatique (1). Plus la chirurgie est malabsorptive, plus ce taux de rémission est important. Les mécanismes d’action de la chirurgie impliqués dans la rémission du diabète de type 2 sont multiples et encore imparfaitement connus (2). • En premier lieu, la restriction calorique, par la perte de poids qu’elle entraîne, permet une amélioration de l’équilibre glycémique. Cette restriction est liée à des phénomènes mécaniques (taille de la poche gastrique) mais également à l’augmentation de signaux satiétogènes (augmentation du peptide YY, de l’oxyntomoduline) et à

la possible diminution de peptides orexigènes (ghréline). Par ailleurs, l’éviction sélective d’aliments sucrés pour éviter le dumping syndrome peut participer, dans une moindre mesure, à l’amélioration glycémique. La perte de poids diminue ainsi l’insulinorésistance et il existe une plus grande efficacité de l’insuline dans le muscle. • Il existerait, parallèlement à cette diminution de l’insulinorésistance, une amélioration de la sécrétion d’insuline, notamment dans les chirurgies malabsorptives. Ce phénomène survient avant même la perte de poids et serait induit par l’augmentation, entre autres, du GLP1. Enfin, l’augmentation de la sécrétion d’insuline pourrait également être attribuée à une augmentation de la masse des cellules bêta, comme en témoignent les quelques cas discutés de nésidioblastoses après la pose d’un by-pass. Pour autant, la chirurgie ne permet pas la rémission de tous les diabètes et les taux de récidive de diabète postchirurgie ne sont pas anecdotiques. Ils sont évalués à environ 17 à 45 % à 5 ans. Dans l’étude SOS (Swedish Obesity Study) (3), si les taux de rémission à 2 ans s’élèvent à 72 %, ils ne sont plus qu’à 36 % à 10 ans soit une récidive dans 1 cas sur 2. Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76


En périopératoire de la chirurgie de l’obésité

Plusieurs facteurs ont été identifiés comme prédictifs d’une non-rémission du diabète en postchirurgie (1) : - Le sexe masculin. - Un IMC préopératoire plus bas. - Une durée du diabète > 5 ou 10 ans. - L’insulinothérapie préalable. - Des pertes et reprises de poids multiples. - Le type de chirurgie avec un taux de non-rémission plus important pour les anneaux gastriques vs la sleeve gastrectomy vs le by-pass et vs la dérivation bilio-pancréatique. - La sévérité du dysfontionnement préopératoire de la cellule bêta.

Prise en charge préopératoire du diabète de type 2 Des recommandations américaines (4) sur la prise en charge préopératoire du diabète de type 2 avant la chirurgie bariatrique ont été publiées en 2013. Il est ainsi recommandé d’optimiser le contrôle glycémique en préopératoire. Les objectifs à viser sont stricts avec une HbA1c < 6,5 à 7 % voire moins, une glycémie à jeun < 110 mg/L et une glycémie postprandiale à 2h < 1,40 g/L. Chez les patients présentant des complications micro et/ou macroangiopathiques, ou avec des comorbidités, ou avec un diabète ancien difficile à équilibrer, les objectifs sont élargis avec une HbA1c préopératoire entre 7 et 8 %. Le jour de la chirurgie, les traitements par ADO sont suspendus et un relais par insuline peut être effectué en cas de déséquilibre.

Prise en charge postopératoire du diabète de type 2 De manière générale, la chirurgie Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76

bariatrique diminue significativement l’utilisation des médicaments à court et long termes (5) et leurs coûts (6). Il existe peu de données de pharmacocinétique après chirurgie bariatrique dans la littérature. Elles concernent surtout les chirurgies malabsorptives. L’adaptation des posologies est liée à la perte de poids mais aussi aux modifications des volumes de distribution et à la malabsorption. En ce qui concerne les traitements antidiabétiques, il n’y a pas de recommandations relatives à l’adaptation, d’où l’intérêt des contrôles glycémiques fréquents pour réévaluer l’équilibre glycémique au quotidien.

Insuline Il n’existe pas de recommandations mais plutôt des conseils issus de la pratique clinique et des expériences d’équipes (2). En pratique, la dose d’insuline lente peut être divisée par deux de façon précoce après by-pass puis la posologie est adaptée selon la glycémie à jeun. La dose est maintenue lorsque la glycémie à jeun est supérieure à 1 g/L et peut être diminuée de 4 UI pour des valeurs plus basses de glycémies à jeun. Lors de la reprise des repas, la dose d’insuline rapide n’est pas réalisée si la glycémie préprandiale est < 2,5 g/L et est divisée par quatre ou par six si la glycémie préprandiale est > 2,5 g/L. Il est nécessaire d’instaurer un suivi rapproché pour réévaluer le patient à 1 mois et 3 mois. Une étude (7) menée chez 50 patients avec une insulinothérapie monitorée étroitement et des objectifs de normoglycémie, comparativement à une prise en charge classique du diabète en post-

opératoire d’un by-pass, permettait à 1 an un meilleur contrôle glycémique chez ceux qui avaient eu un traitement plus intensif sans augmentation des hypoglycémies et surtout un taux de rémission de diabète significativement plus important (50 % vs 6,1 % ; p < 0,001) par rapport au groupe contrôle. Ces données témoignent de la nécessité d’un suivi diabétologique rapproché la première année pour optimiser les résultats chirurgicaux.

Metformine Il est préconisé par certains d’éviter la metformine les 3 premiers mois (douleurs abdominales d’interprétation difficile en contexte postopératoire). En pratique, elle est parfois poursuivie, notamment chez ceux qui la toléraient bien avant la chirurgie. Une étude a noté l’augmentation de la biodisponibilité de 50 % et de l’absorption intestinale après by-pass (> 3 mois) (8). Ces données peuvent avoir, si elles se confirment, des implications sur le dosage et sur le risque de toxicité. La prudence incite donc à débuter par de faibles doses de metformine.

Sulfamides Nous n’avons pas retrouvé dans la littérature de données spécifiques de l’utilisation des sulfamides en postopératoire. Le risque est surtout hypoglycémique et il paraît logique d’en abaisser les doses en postopératoire immédiat (posologie divisée par deux voire arrêt).

Analogues du GLP1 Il y a peu de données sur cette récente classe pharmacologique. Rothkopf, en 2009 (9), a eu l’idée d’associer chez un patient diabétique ayant bénéficié d’un anneau gastrique avec une persistance du diabète en postopératoire, un 47


Interspécialités

analogue du GLP1 pour “mimer” l’effet métabolique d’un by-pass. L’ajout de l’analogue du GLP1 a permis non seulement d’augmenter la perte de poids mais également d’atteindre une rémission du diabète. Après l’arrêt du traitement, l’HbA1c s’est maintenue < 6 %. On peut se poser la question de la tolérance du traitement qui n’est pas mentionnée dans l’étude. Une étude brésilienne (10) rétrospective a porté sur l’effet d’un traitement par liraglutide chez 15 patients ayant repris du poids après chirurgie bariatrique ou dont la perte d’excès de poids était infé-

peuvent être proposés au patient. L’arbre décisionnel présenté en figure 1, proposé par Kashyap et al. (1), est basé sur les effets physiopathologiques des différentes chirurgies et sur leur expérience clinique.

rieure à 50 % à 2 ans. L’étude ne précise pas si les patients étaient diabétiques ou non. Le liraglutide a permis une nouvelle perte de poids significative (avec cependant des nausées chez 6 d’entre eux).

Les inhibiteurs de la DPP4

Des antidiabétiques… pour traiter les hypoglycémies !

Il n’existe pas à l’heure actuelle de données concernant leur utilisation en postchirurgie bariatrique.

Les hypoglycémies postchirurgie bariatrique peuvent être très invalidantes pour les patients. Elles surviennent surtout après un by-pass mais peuvent se voir également chez des patients opérés de sleeve gastrectomy.

Comment orienter son choix thérapeutique en cas de non-rémission d’un diabète postchirurgie ? En cas de persistance d’un diabète en postchirurgie, plusieurs choix

Évaluation du diabète préopératoire

• DT1 vs DT2 ? Peptide C, statut auto-immun • Durée du diabète et contrôle glycémique • Présence de complications microvasculaires • Insuline vs antidiabétiques oraux vs mesures hygiéno-diététiques (MHD)

TYPE DE CHIRURGIE BARIATRIQUE (Anneau gastrique/Sleeve gastrectomy) Pas de rémission du diabète HbA1c > 7 % (53 mmol/mol)

(+) gain de poids ou IMC > 30 kg/m2

(-) gain de poids ou IMC < 27 kg/m2

- MHD, Éval. Psy. + - Metformine - Sulfamides

MHD + Sulfamides si HbA1c < 8 %

HbA1c > 8 % Insuline Deuxième intention Glitazones - Analogues du GLP1 ? - Inhibiteurs de la DPP4 - Acarbose ?

Insuline

Agonistes du GLP1 ?

(By-pass avec Roux-en-Y/Diversion bilio-pancréatique) Pas de rémission du diabète HbA1c > 7 % (53 mmol/mol)

(+) gain de poids

(-) gain de poids

- MHD, Éval. Psy. + - Metformine < 8 %

- MHD, Éval. Psy. + - Sulfamides/Insuline

HbA1c > 8 % Insuline Deuxième intention Glitazones - Analogues du GLP1 ? - Inhibiteurs de la DPP4 - Acarbose ?

Sulfamides/Insuline

Agonistes du GLP1 ?

CIBLER LA PERTE DE POIDS CIBLER LA DÉFAILLANCE DES CELLULES BÊTA

CIBLER LA PERTE DE POIDS

CIBLER LA DÉFAILLANCE DES CELLULES BÊTA

sensibilité à l’insuline sécrétion d’insuline poids neutre/perte des agents diabétiques

sécrétion d’insuline

sécrétion d’insuline

sécrétion d’insuline

Figure 1 - Arbre décisionnel permettant d’orienter le choix thérapeutique en cas de non-rémision d’un diabète postchirurgie. Adapté de (1).

48

Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76


En périopératoire de la chirurgie de l’obésité

Les mécanismes sont encore mal connus et plusieurs hypothèses sont avancées : l’accélération du transit gastro-intestinal après bypass, l’augmentation de l’absorption du glucose par augmentation des transporteurs intestinaux du glucose, une réponse inadaptée de la sécrétion d’insuline par les cellules β, une pullulation microbienne plus fréquente après bypass sont autant de phénomènes qui pourraient rendre compte des hypoglycémies après pose d’un bypass. Outre les règles diététiques qui s’imposent (éviter les produits sucrés, privilégier les aliments à index glycémique bas et respecter le fractionnement) mais qui sont parfois difficiles à mettre en œuvre, certains traitements antidiabétiques peuvent paradoxalement trouver leur place dans la prise en charge.

Cas de l’acarbose Une étude (11) ouverte, non randomisée, portant sur 8 patients présentant des malaises postprandiaux après by-pass, a analysé des profils de Mesure continue de glucose (MCG) réalisés avant et après traitement par acarbose dans les circonstances de vraie vie (Fig. 2). Associé à des conseils diététiques, l’acarbose supprime les symptômes et améliore le profil glycémique (MCG) chez des patients souffrant d’hypoglycémies après by-pass. Le traitement a permis de retarder des pics de glucose interstitiel, d’en diminuer la hauteur des excursions, a réduit l’intensité et le temps passé en hypoglycémie et a réduit la vitesse de montée et de descente du glucose. Dans cette étude, l’acarbose a été bien toléré.

Les analogues du GLP1 3 2,5

2,0 2 1,5 1 0,5

0,18

0 Pourcentage temps < 60 mg/dL Avant traitement

Après traitement

Figure 2 - Évaluation d’un traitement par acarbose.

Un essai non contrôlé ouvert (12) a testé un traitement par analogues du GLP1 chez 5 patients ayant eu un by-pass gastrique et présentant des hypoglycémies postprandiales tardives. Il est rapporté une amélioration clinique et une récidive des symptômes à l’arrêt ou à la diminution du traitement. Cette petite étude

mérite d’être confirmée par des essais, notamment randomisés.

Conclusion L’efficacité de la chirurgie bariatrique sur la rémission du diabète de type 2 n’est plus à démontrer, mais elle n’est pas constante (diabètes persistants après chirurgie) et pas toujours durable (récidive de diabète à distance). La préparation du patient à la chirurgie doit inclure la prise en charge de son diabète pour améliorer l’équilibre glycémique préopératoire. La prise en charge du diabète postopératoire doit être adaptée, sans doute plus codifiée qu’elle ne l’est à l’heure actuelle, en tenant compte notamment des facteurs pharmacodynamiques et pharmacocinétiques des traitements utilisés. Ces données doivent inciter les diabétologues à une vigilance dans la surveillance de leurs patients diabétiques opérés n de chirurgie bariatrique.

Mots-clés : Chirurgie bariatrique, Obésité, Diabète de type 2, Périopératoire

bibliographie 1. Kashyap SR, Schauer P. Clinical considerations for the management of residual diabetes following bariatric surgery. Diabetes Obes Metab 2012 ; 14 : 773-9. 2. Basdevant A. Traité de médecine et de chirurgie de l’obésité. 3. Sjöström L, Lindroos AK, Peltonen M et al. Lifestyle, diabetes, and cardiovascular risk factors 10 years after bariatric surgery. N Engl J Med 2004 ; 351 : 2683-93. 4. Mechanick JI, Youdim A, Jones DB et al. Clinical practice guidelines for the perioperative nutritional, metabolic, and nonsurgical support of the bariatric surgery patient--2013 update: cosponsored by American Association of Clinical Endocrinologists, The Obesity Society, and American Society for Metabolic & Bariatric Surgery. Obesity (Silver Spring) 2013 ; 21 : S1-27. 5. Crémieux PY, Ledoux S, Clerici C et al. The impact of bariatric surgery on comorbidities and medication use among obese patients. Obes Surg 2010 ; 20 : 861-70. 6. Ghiassi S, Morton J, Bellatorre N, Eisenberg D. Short-term medication cost savings for treating hypertension and diabetes after gastric bypass. Surg Obes Relat Dis 2012 ; 8 : 269-74. 7. Fenske WK, Pournaras DJ, Aasheim ET et al. Can a protocol for glycae-

Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76

mic control improve type 2 diabetes outcomes after gastric bypass? Obes Surg 2012 ; 22 : 90-6. 8. Padwal RS, Gabr RQ, Sharma AM et al. Effect of gastric bypass surgery on the absorption and bioavailability of metformin. Diabetes Care 2011 ; 34 : 1295-300. 9. Rothkopf MM, Bilof ML, Haverstick LP, Nusbaum MJ. Synergistic weight loss and diabetes resolution with exenatide administration after laparoscopic gastric banding. Surg Obes Relat Dis 2009 ; 5 : 128-31. 10. Pajecki D, Halpern A, Cercato C et al. Short-term use of liraglutide in the management of patients with weight regain after bariatric surgery. Rev Col Bras Cir 2013 ; 40 : 191-5. 11. Ritz P, Vaurs C, Bertrand M et al. Usefulness of acarbose and dietary modifications to limit glycemic variability following Roux-en-Y gastric bypass as assessed by continuous glucose monitoring. Diabetes Technol Ther 2012 ; 14 : 736-40. 12. Abrahamsson N, Engström BE, Sundbom M, Karlsson FA. GLP1 analogs as treatment of postprandial hypoglycemia following gastric bypass surgery: a potential new indication? Eur J Endocrinol 2013 ; 169 : 885-9.

49


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.