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L’orthophonie en neurologie Pour qui ? Comment ? n L’orthophoniste, en associant des approches empirique, neuropsychologique, pragmatique et fonctionnelle, prend en charge les troubles de la communication, du langage, de la parole, de la voix et de la déglutition. La nomenclature des prescriptions a récemment changé et s’est simplifiée ; il ne faut plus noter le nombre de séances ou la fréquence mais le type de bilan prescrit : “bilan orthophonique d’investigation” ou “bilan orthophonique des troubles neurologiques avec rééducation si nécessaire”. Il est utile que les neurologues le sachent et pensent à orienter les patients dès le stade initial des maladies neurologiques le nécessitant.

L’orthophonie en neurologie : pourquoi ?

Antoine Renard*

Il est classique d’objectiver cinq axes de travail et de considérer que l’orthophonie permet d’évaluer et de prendre en charge les troubles : • de la communication ; • du langage (aphasies vasculaires et dégénératives) ; • de la parole (dysarthrie) ; • de la voix (dysphonie) ; • de la déglutition (dysphagie).

de réadaptation par exemple) ou non, elle participe à la mise au point diagnostique et permet également d’établir un plan thérapeutique personnalisé. Les objectifs sont l’amélioration et/ou le maintien des capacités linguistiques, communicationnelles, motrices ou sensitives du patient et de son entourage, en prenant en compte les différents niveaux (déficit, incapacité, handicap) proposés par la CIM 10.

Quels objectifs ?

Quels moyens ?

Une anamnèse circonstanciée [1], suivie d’une évaluation exhaustive théoriquement fondée et normée [2, 3] permettant d’établir un profil langagier et communicationnel précis, est la première étape de toute prise en charge [3, 4]. Intégrée dans une prise en charge multidisciplinaire (consultations mémoire, médecine *Orthophoniste, Beauvais

Neurologies • Février 2014 • vol. 17 • numéro 165

En associant les méthodes et techniques issues des approches empiriques, neuropsychologiques (issues des troubles mnésiques pour la plupart mais adaptables au langage) [5-6], pragmatiques [7] et fonctionnelles [4]. L’intervention porte sur le patient et le conjoint au sein du cabinet, mais s’enrichit d’une intervention à domicile ; elle englobe l’aidant, les proches, le personnel soignant

afin d’optimiser le transfert des acquis [8]. Une prise en charge “intensive” [9] et par “sessions” (par exemple 3 séances par semaine sur 1-2 mois, puis 1 mois de pause) est plus efficace car elle optimise l’apprentissage, la motivation du patient et des proches, et permet (durant la pause) d’assurer le transfert des acquis.

Quels résultats ?

Les résultats sont objectivés à chaque étape décisive du traitement à l’aide de bilans de contrôle [10], d’échelles fonctionnelles, d’échanges avec les patients et aidants (parfois utilisés “en aveugle”). Notons que la nomenclature impose une évaluation au minimum toutes les 50 séances, avec rédaction d’un compte-rendu circonstancié remis au prescripteur. Une “ligne de base” spécifique [10] peut parfois être nécessaire afin d’objectiver plus précisément 85


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encore l’évolution des performances que peuvent masquer les effets planchers (patient aphasique global par exemple) ou plafonds (manque de sensibilité) classiquement rencontrés dans les tests aphasiologiques disponibles.

Comment prescrire en pratique ?

Bien que l a Nomenc l at u r e Générale des Actes Paramédicaux (NGAP) ait récemment simplifié le fonctionnement des prescriptions orthophoniques, les orthophonistes constatent régulièrement que plus de 90 % d’entre elles ne sont pas correctement rédigées. En pratique c’est très simple, il ne faut pas noter le nombre de séances, ni la fréquence. Il faut indiquer : • pour un bilan diagnostique : « bilan orthophonique d’investigation » ; • pour un bilan d’évaluation qui sera (probablement ou pas d’ailleurs) suivi d’une prise en charge : « bilan orthophonique des troubles neurologiques avec rééducation si nécessaire ». La NGAP prévoit maintenant que l’orthophoniste fixe lui-même le nombre de séances (dans un maximum de 50 renouvelables une fois). Il est en revanche primordial que le médecin précise les données étiologiques et les résultats des examens paracliniques qu’il a en sa possession au moment de la prescription (et qu’il fasse suivre les résultats d’examens au fur et à mesure).

Quand prescrire ?

S’il est maintenant bien admis que l’aphasie vasculaire doit être prise en charge dès la phase 86

Vignette clinique n°1 Une patiente âgée de 73 ans, NSC3, MMS 19/30, consulte avec son époux pour maladie d’Alzheimer (bilans neurologique, neuropsychologique et imagerie tout à fait typiques) après un parcours diagnostique quelque peu compliqué. Les premiers signes de désorientation, apparus il y a 3 ans, ont laissé place à une augmentation de la dépendance, à des troubles mnésiques et sémantiques épisodiques massifs (informations biographiques familiales) et langagiers (manque du mot) manifestes, alors que la patiente montre une claire appétence sur le plan communicationnel, même si elle ne sait pas pourquoi elle vient nous voir ! Le bilan langagier montre des traitements lexico-sémantiques (dénomination orale, appariements sémantiques imagés) légèrement déficitaires, contrairement aux aspects écrits (lecture, écriture) qui sont préservés. Après concertation avec la patiente et son époux, le plan thérapeutique est construit autour : 1. de la mise en place d’un agenda/carnet mémoire comportant des informations autobiographiques sémantiques et épisodiques, facilitée par l’exploitation des capacités préservées d’écriture et d’apprentissage implicite ; 2. de tâches sémantiques d’accès lexical (dénomination) et de catégorisation sémantique fine. L’agenda et les informations qu’il contient ont permis à la patiente de faciliter son orientation et la récupération d’informations épisodiques (« Qu’est-ce que j’ai fait hier matin ? ») et sémantiques (« Où habite ma fille ? »). L’implication active de l’époux pour l’utilisation du carnet mémoire (noter les rdv, activités faites, à chaque moment prédéfini dans la journée) est indispensable et participe au transfert des acquis dans la vie quotidienne. Un bilan (ou une note) d’évolution est systématiquement adressé au médecin et au neuropsychologue à chaque entrevue (tous les 6 mois). Depuis 3 ans d’une prise en charge de 2 à 3 séances par semaine (par sessions d’1 mois interrompues par 1 ou 2 mois de pause selon nos agendas respectifs), la maladie a avancé. L’écriture - et donc le remplissage de l’agenda - n’est aujourd’hui plus possible. Nous nous concentrons maintenant sur le maintien des connaissances sémantiques familiales résiduelles et des capacités communicationnelles (initiation, maintien des tours de rôle) à travers une tâche de “PACE modifiée” (construite avec des photos actuelles des enfants, petits-enfants avec les prénoms, âges, professions et adresses) agrémentée des techniques d’apprentissage sans erreur, de rappel espacé, et d’estompage des indices. Des conseils sont donnés en parallèle à l’époux sur l’attitude optimale pour bien communiquer avec sa femme : toujours se mettre en face pour la regarder dans les yeux quand il s’adresse à elle, éteindre ou baisser la radio pour éviter les perturbations, etc. Nous abordons peu à peu les possibilités de prise en charge en accueil de jour afin de le soulager, ce qu’il n’accepte pas pour le moment.

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L’orthophonie en neurologie

précoce [11], les données sur le terrain concernant les patients présentant une pathologie dégénérative (maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, etc.) nous montrent que malheureusement les patients sont adressés beaucoup trop tard (souvent au stade modéré où les troubles sont “visibles”). L’énergie déployée par le thérapeute et le patient pour arriver au même résultat est alors plus impor tante car les troubles cognitifs plus sévères freinent considérablement les capacités d’apprentissage et d’adaptation du patient et cristallisent les mauvaises habitudes des aidants.

En résumé

L’orthophonie en neurologie est un champ d’intervention permettant de participer au diagnostic mais aussi (et surtout) de proposer une prise en charge - à partir d’une évaluation fondée théoriquement et normée - à l’aide de techniques maintenant bien validées dont l’objectif final est l’amélioration des troubles/la diminution du handicap dans la vie quotidienne. L’intervention orthophonique est centrée sur le patient et l’implication des aidants, au même titre qu’un adressage précoce des patients, sont des médiateurs de “succès” incontournables. n

Conflits d’intérêts : Aucun. Correspondance Antoine Renard - Orthophoniste 21 rue Lucien Lainé 60000 Beauvais E-mail : antoine.renard.recherche@ gmail.com

Mots-clés : Orthophonie, Diagnostic, Bilan, Neuropsychologie, Langage, Compréhension, Déglutition, Communication, Maladie d’Alzheimer, Maladie de Parkinson, Manque du mot, Aphasie

Vignette clinique n°2 Un patient âgé de 74 ans, NSC1, MMS 26/30, consulte seul pour un manque du mot et des troubles de compréhension qui sont apparus il y a 3 ans et ont d’abord été mis sur le compte d’un surmenage (le patient s’occupe à domicile de son épouse souffrant d’une MA au stade sévère) avant d’évoquer finalement le diagnostic de démence sémantique conforté par les bilans neurologique, neuropsychologique et l’imagerie. Très conscient de ses difficultés, le patient demande une prise en charge qui pourrait l’aider à « moins perdre les mots ». Le bilan langagier montre des traitements lexico-sémantiques (dénomination et compréhension orale et écrite, appariements sémantiques) fortement déficitaires contrairement aux aspects phonologiques, syntaxiques (lecture et écriture de non-mots, construction et compréhension de phrases) et pragmatiques qui sont préservés. Après avoir recensé lors de l’anamnèse, et surtout à domicile, les objets et éléments familiers/utiles pour lesquels le patient montrait une dégradation sémantique, nous avons : 1. mis en place un carnet de communication contenant des informations familiales, biographiques (arbre généalogique avec photos, adresses, professions, maison de vacances, loisirs et occupations), agrémentées de panneaux sur les portes dans toutes les pièces (et même dans le garage puisqu’il bricole beaucoup) qui permettent au patient de retrouver un mot et de travailler seul (ce qu’il fait environ 1 heure tous les jours) ; 2. procédé à une thérapie lexico-sémantique des mêmes items au cabinet à l’aide des méthodes d’apprentissage sans erreur, de rappel espacé et d’estompage des indices. La prise en charge s’effectue à raison de 2 séances par semaine, interrompues par les vacances. Le patient est très assidu, vient à vélo (si le temps le permet) et toujours à l’heure ! Il participe en outre à un groupe de relaxation 1 fois par semaine. Il n’a pas été nécessaire de demander à ses enfants de vérifier le transfert des acquis car le patient utilise de lui-même le matériel qui lui a été confectionné sur mesure. Les entretiens téléphoniques sporadiques avec eux sont l’occasion pour nous de répondre à leurs interrogations moins nombreuses que celles soulevées par la MA de leur mère ! Depuis 5 ans, l’évolution du trouble de compréhension se fait sentir, mais ce qui est travaillé spécifiquement se dégrade moins vite, à l’instar de la prosopagnosie qui touche maintenant ses enfants qu’il voit pourtant toutes les semaines.

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Prescrire... Vignette clinique n°3 Une patiente âgée de 76 ans, NSC1, ayant souffert d’un hématome pariétal gauche responsable initialement d’une aphasie globale régressant rapidement en aphasie de conduction, réalise un bilan de langage qui met en évidence un manque du mot (déficit d’accès au lexique phonologique de sortie) et des paraphasies phonologiques (perturbation du buffer phonologique de sortie). La patiente souhaite à tout prix progresser. Le plan thérapeutique est construit afin de rétablir : 1. les processus phonologiques de sortie (buffer phonologique) à partir de tâches de lecture à voix haute et de répétition de mots de longueur croissante ; 2. l’accès lexical à partir de tâches classiques de dénomination orale d’images (techniques d’apprentissage sans erreur, de rappel espacé, et d’estompage des indices) et de mise en situation avec la méthode PACE. Après 8 mois de thérapie, à raison de 3 séances par semaine, les progrès objectivés, tant sur le plan clinique qu’aux tests, sont notables. La prise en charge est donc progressivement arrêtée sous la forme d’un sevrage progressif en 1 mois. Deux ans plus tard, nous recevons un appel d’une de ses filles s’inquiétant car trouvant une “aggravation” des difficultés. Une évaluation normée comparative s’avère strictement identique au dernier bilan et conforte la patiente (qui n’émettait aucune plainte) sur le fait que tout va bien…

Bibliographie 1. Seron X, Van der Linden M. L’anamnèse et l’examen neuropsychologique de base. In : Seron X, Van der Linden M. Traité de Neuropsychologie clinique, tome I. Marseille : Solal : 79-94. 2. Amiéva H, Michael G A, Allain P. Les normes et leur utilisation. In : Thomas-Antérion C, Barbeau E. Neuropsychologie en pratique(s). Solal : 73-85. 3. Valdois S, de Partz MP. Approche cognitive des dyslexies dysorthographies. In : Seron X, Van der Linden M. Traité de Neuropsychologie clinique, tome I. Marseille : Solal : 187-206. 4. De Partz MP, Carlomagno S. Revalidation fonctionnelle du langage et de la communication. In : Seron X, Van der Linden M. Traité de Neuropsychologie clinique, tome II. Marseille : Solal, 2001 : 191-213. 5. Seron X, Van der Linden M. Objectifs et stratégies de la revalidation cognitive. In : Seron X Van der Linden M. Traité de Neuropsychologie clinique, tome II. Marseille : Solal, 2001 : 9-16. 6. Haslam C, Moss Z, Hodder K. Are two methods better than one? Evaluating

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