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PRATIQUES EN

OPHTALMOLOGIE R E V U E

D I D A C T I Q U E

M É D I C O - C H I R U R G I C A L E

Mélanome irien circonscrit de l’œil droit.

Les mélanomes iriens Diagnostic et prise en charge

Dr Stéphanie Lemaitre, Dr Christine Lévy, Dr Livia Lumbroso, Dr Laurence Desjardins, Dr Nathalie Cassoux Le point sur

Mise au point

En pratique

Faut-il peler la limitante interne ?

Lucentis® et Avastin® : le débat continue

Comment bien interpréter le test de Lancaster ?

Dr Virginie Martinet, Dr Benjamin Wolff

Dr Valérie Le Tien

David Lassalle

À savoir

Thérapeutique

Quelles lésions rétiniennes périphériques traiter au laser ?

Utilisation des verres scléraux dans les syndromes secs sévères

Dr Sophie Bonnin

Dr Maud Elluard-Scagni

Février 2014 • Volume 8 • n° 71 • 9 e

www.ophtalmologies.org


PRATIQUES EN

OPHTALMOLOGIE R E V U E

D I D A C T I Q U E

M É D I C O - C H I R U R G I C A L E

• Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier • Directrice de la Rédaction : Odile Mathieu • Rédactrice : Caroline Sandrez • Directrice de la Production : Gracia Bejjani • Assistante de Production : Cécile Jeannin • Maquette et illustration : Élodie Lelong, Erica Denzler • Chef de publicité : Emmanuelle Annasse • Service Abonnements : Claire Lesaint • Impression : Imprimerie de Compiègne 2, avenue Berthelot – ZAC de Mercières BP 60524 – 60205 Compiègne cedex Rédacteur en chef Dr Pierre-Vincent Jacomet (Paris)

sommaire www.ophtalmologies.org

Février 2014 • Vol. 8 • N° 71

n le point sur

Faut-il peler la limitante interne ? Éléments de réponse...................................................................................... p. 26

Dr Virginie Martinet (La Rochelle, Rochefort), Dr Benjamin Wolff (Lyon, Paris)

Responsable éditorial Dr Michaël Assouline (Paris) Comité de Rédaction Dr Valérie Ameline (Le Sou médical-Groupe MACSF), Dr Corinne Bok-Beaube, Dr Catherine Favard (Paris), Dr Eric Gabison (Paris), Dr Jacques Laloum (Paris), Dr Guillaume Leroux Les Jardins (Paris), Dr Benjamin Wolff (Paris) COMITé éDITORIAL Dr Isabelle Aknin (Vallauris-Golfe-Juan), Dr Cati Albou-Ganem (Paris), Dr Florence Coscas (Créteil), Dr Laurent Laloum (Paris) (Conseiller éditorial de la rédaction), Dr Gérard Mimoun (Paris), Dr Vincent Pierre-Kahn (Suresnes) Comité scientifique Pr Jean-Paul Adenis (Limoges), Pr Christophe Baudouin (Paris), Dr Yves Bokobza (Boulogne-Billancourt), Pr Antoine Brézin (Paris), Pr Alain Bron (Dijon), Dr Georges Caputo (Paris), Dr Sylvie Chokron (Paris), Pr Béatrice Cochener (Brest), Dr Salomon-Yves Cohen (Paris), Dr Howard Cohn (Paris), Pr Gabriel Coscas (Créteil), Dr Marie Delfour-Malecaze (Toulouse), Pr Paul Dighiero (Poitiers), Dr Serge Doan (Paris), Dr Olivier Gout (Paris), Dr Jean-Claude Hache (Lille), Pr Jean-François Korobelnik (Bordeaux), Dr Yves Lachkar (Paris), Dr Evelyne Le Blond (Grenoble), Dr Dan Alexandre Lebuisson (Suresnes), Pr Frédéric Mouriaux (Caen), Pr Jean-Philippe Nordmann (Paris), Dr Pascal Pietrini (Saint Herblain), Pr José Sahel (Paris, Strasbourg), Dr Monique Schaison (Paris), Dr Eric Sellem (Lyon), Dr Jean-Bernard Weiss (Paris) Pratiques en Ophtalmologie est une publication ©Expressions Santé SAS 2, rue de la Roquette Passage du Cheval Blanc • Cour de Mai 75011 Paris Tél. : 01 49 29 29 29 - Fax : 01 49 29 29 19 E-mail : contact@ophtalmologies.fr Site : www. ophtalmologies.org RCS Paris B 394 829 543 N° de Commission paritaire : 0314T88767 ISSN : 2106 – 9735 Mensuel : 10 numéros par an Les articles de “Pratiques en Ophtalmologie” sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs. Toute reproduction, même partielle, sans le consentement de l’auteur et de la revue, est illicite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

n mise au point Lucentis® et Avastin®

Le débat continue…........................................................................................ p. 32

Dr Valérie Le Tien (Saint-Maur-des-Fossés, Créteil)

n thérapeutique Syndromes secs sévères Utilisation des verres scléraux..................................................................... p. 34

Dr Maud Elluard-Scagni (Paris)

n Zoom sur

Les mélanomes iriens Diagnostic et prise en charge........................................................................ p. 37

Dr Stéphanie Lemaitre, Dr Christine Lévy, Dr Livia Lumbroso, Dr Laurence Desjardins, Dr Nathalie Cassoux (Paris)

n À savoir

Lésions rétiniennes périphériques Lesquelles devraient être traitées au laser ?.............................................. p. 42

Dr Sophie Bonnin (Paris)

n en pratique

Test de Lancaster Comment bien l’interpréter ?........................................................................ p. 46

David Lassalle (Nantes)

n Rendez-vous de l’industrie......................................................... p. 36 n Bulletin d’abonnement.................................................................. p. 41

www.ophtalmologies.org Assemblés à cette publication : 2 bulletins d’abonnement (2 pages et 4 pages). Photo de couverture : © DR


Le point sur

Faut-il peler la limitante interne ? Éléments de réponse Dr Virginie Martinet*, Dr Benjamin Wolff**

Introduction La Membrane limitante interne (MLI) est une membrane basale séparant la rétine du vitré. Elle a une épaisseur d’environ 2,5 μm au niveau maculaire. Elle possède une face vitréenne lisse et une face rétinienne irrégulière en contact avec les pieds des cellules de Müller (Fig. 1). Son pelage systématique a été indiqué dans un premier temps lors des vitrectomies pour trou maculaire, permettant d’augmenter de façon significative le taux de fermeture des trous. Actuellement, son pelage est admis, notamment en cas de trous de grande taille (> 400 microns). Ensuite, l’indication du pelage de la MLI s’est élargie aux chirurgies des Membranes épirétiniennes (MER). Il semble améliorer les résultats fonctionnels en diminuant le risque de récidive des MER (1-2). Ce geste autrefois systématique dans cette indication est à l’heure actuelle controversé. Le pelage de la MLI est largement facilité par l’utilisation de colorant. Il s’effectue dans la plupart des cas après celui de la MER. L’utilisation de colorant spécifique de la MLI (type bleu de Coomassie) est largement répandue. Le double pelage MER et MLI peut s’effectuer d’un bloc en utilisant un colorant de la MLI et en pinçant directement la MLI par une incision initiale plus profonde.

Chirurgie des MER et des trous maculaires Bénéfices

Le pelage de la MLI dans la chirurgie des membranes épirétiniennes semble diminuer le risque de récidive. Plusieurs études récentes comparant le double pelage MER + MLI au pelage simple de la MER retrouvent 3 % de récidives OCT dans le groupe du double pelage, alors qu’il est de 16,3 à 21 % dans le groupe sans pelage de la MLI (1-2). Ces récidives ont nécessité une reprise chirurgicale dans 2 à 5,8 % des cas pour le groupe sans pelage. La MLI constituerait un tissu de soutien à la reprolifération cellulaire (1). Gandorfer et al. ont d’ailleurs montré que la MLI après

*Centre d’ophtalmologie Aurore, La Rochelle, Rochefort **Centre d’exploration de la rétine Kléber, Lyon ; Fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rothschild, Paris

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Figure 1 - Coupe histologique de la macula normale. i : membrane limitante interne. g : couche de fibres ganglionnaires. ip : plexiforme interne. n : plexiforme externe. r : photorécepteurs.

un pelage simple de la MER est le siège de résidus cellulaires (2). Les études histologiques montrent que dans seulement 36 à 49 % des cas, la MLI était enlevée en même temps que la MER (3).

Sur le plan fonctionnel, le double pelage ne semble pas avoir d’effet délétère sur l’acuité visuelle postopératoire. Néanmoins, les études comparatives ne montrent pas d’amélioration significative

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Le point sur

Figure 3 - Œdème des fibres nerveuses ganglionnaires (SANFL) (flèches blanches) faisant suite à un microtraumatisme chirurgical.

le pelage de la MLI est responsable de lésions anatomiques.

Figure 2 - La micropérimétrie est un examen non invasif permettant une analyse qualitative et quantitative de la fonction visuelle. Ici, la micropérimétrie d’un œil sain sans maculopathie avec une acuité visuelle de 10/10. La sensibilité fovéolaire est de 18 décibels. En cas de maculopathie, il existe une diminution de la sensibilité rétinienne. Après pelage de la MLI, il peut exister des zones de diminution de la sensibilité rétinienne en regard des zones d’amorce.

de la vision dans les groupes avec double pelage. Dans une récente étude, comparant double pelage et pelage simple, Ahn et al. montrent que dans le premier groupe il existait des anomalies OCT plus nombreuses et une acuité visuelle moins bonne à 1 mois (4). Les résultats deviennent comparables dans les deux groupes à plus long terme.

mesurée par la micropérimétrie avec une augmentation significative de la sensibilité fovéolaire postopératoire (5).

Risques

Sur le plan fonctionnel, l’acuité visuelle n’est pas le seul reflet de l’état maculaire ; la micropérimétrie permet une évaluation qualitative et quantitative de la fonction maculaire (Fig. 2).

Cependant, elle met également en évidence des anomalies qualitatives se traduisant par des microscotomes et une diminution de la sensibilité rétinienne dans la zone de pelage de la MLI. Ces altérations sont retrouvées aussi bien dans les chirurgies de MER que dans les chirurgies de trous maculaires. Ces microscotomes se retrouvent dans les zones d’amorce du pelage secondaires aux microtraumatismes peropératoires (6).

Dans la chirurgie des membranes épirétiniennes, l’amélioration quantitative postopératoire est

Parallèlement à ces microscotomes induits par de probables microtraumatismes chirurgicaux,

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En postopératoire immédiat, apparaissent les Swelling of the Arcuate Nerve Fiber Layer (SANFL), bien visibles sur les clichés bleus et en autofluorescence (Fig. 3) (7). Ils apparaissent comme des stries arciformes hypoautofluorescentes, en rapport avec un œdème des fibres nerveuses. Ils sont transitoires et laissent place à une atrophie localisée responsable de microscotomes persistants. Ils sont directement liés aux zones de pelage et d’amorce de la MLI. Plus tardivement (1 à 3 mois), apparaissent les Dissociated Optic Nerve Fiber Layer Appearance (DONFL) (8). Ils sont visibles sur les clichés bleus et en OCT “en face” sous la forme de stries arciformes périmaculaires (Fig. 4 et 5). Ils ne semblent pas avoir de répercutions fonctionnelles sur l’acuité visuelle ou en micropérimétrie. Ils persistent à 6 mois. Ils se retrouvent uniquement dans la zone de pelage de la MLI et seraient liés à une désorganisation des cellules de Müller.

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Le point sur

en cas de composante tractionnelle vitréenne ou en cas de MER associée. Dans certains cas réfractaires aux traitements habituels (antiVEGF, corticoïdes, laser), le pelage de la MLI associé au décollement postérieur du vitré chirurgical est pour certains une option thérapeutique (10). Cependant, Hoerauf et al., dans une étude comparative prospective, ne montraient pas de différence significative en termes d’acuité visuelle entre les groupes vitrectomisés avec et sans pelage de la MLI (11). Figure 4 - Homme de 65 ans avec une importante MER entraînant une baisse d’acuité visuelle à 1/20. À 3 mois postopératoires d’une vitrectomie et double pelage MER + MLI, l’acuité visuelle est remontée à 8/10. Sur l’OCT postopératoire, on retrouve des zones d’atrophie des fibres nerveuses correspondant aux zones d’amorce du pelage.

Figure 5 - Visualisation préopératoire de la membrane épirétinienne en OCT “en face”. Les plis rétiniens et la constriction fovéolaire sont bien visualisés. En postopératoire, les défects au niveau de la couche des fibres nerveuses (DONFL) sont observés dans toute l’aire du pelage de la MLI (flèches).

Les autres indications

L’indication du pelage de la MLI est également discutée dans d’autres pathologies, notamment la chirurgie du fovéoschisis du myope fort. L’ablation la plus complète possible des reliquats de cortex vitréens serait suffisante et le pelage de la 30

MLI serait inutile voire dangereux (9). Malgré l’utilisation de colorant, le pelage de la MLI chez le myope fort reste un geste délicat, pouvant induire un trou maculaire. Dans la prise en charge de l’œdème maculaire diabétique, la vitrectomie est indiquée principalement

Conclusion

Le pelage systématique de la MLI est un geste bénéfique et nécessaire dans la chirurgie du trou maculaire de grande taille. Il semble également diminuer le risque de récidive postchirurgicale des MER. Il reste d’indication controversée pour le fovéoschisis du myope fort et réservé aux œdèmes maculaires diabétiques réfractaires aux autres traitements. Cependant, ce geste, même s’il n’impacte pas le résultat fonctionnel en termes d’acuité visuelle, induit des lésions anatomiques, avec de possibles répercutions fonctionnelles. Ces anomalies peuvent expliquer l’inconfort postopératoire de certains patients malgré une amélioration visuelle. Des études comparatives et prospectives, incluant de grandes cohortes de patients, sont nécessaires afin de clarifier l’attitude face au pelage systématique ou n non de la MLI.

Mots-clés : Membrane limitante interne, Pelage, Membrane épirétinienne, Trou maculaire

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Faut-il peler la limitante interne ?

Bibliographie 1. Park DW, Dugel PU, Garda J et al. Macular pucker removal with and without internal limiting membrane peeling: pilot study. Ophthalmology 2003 ; 110 : 62-4. 2. Sandali O, El Sanharawi M, Basli E et al. Epiretinal membrane recurrence: incidence, characteristics, evolution, and preventive and risk factors. Retina 2013 ; 33 : 2032-8. 3. Gandorfer A, Haritoglou C, Scheler R et al. Residual cellular proliferation on the internal limiting membrane in macular pucker surgery. Retina 2012 ; 32 : 477-85. 4. Ahn SJ, Ahn J, Woo SJ, Park KH. Photoreceptor change and visual outcome after idiopathic epiretinal membrane removal with or without additional internal limiting membrane peeling. Retina 2014 ; 34 : 172-81. 5. Isaico R, Bron AM, Nicot F et al. Retinal sensitivity and optical coherence tomography findings in eyes with idiopathic epiretinal membrane. Acta Ophthalmol 2013 ; 91 : e581-2. 6. Guigou S, Courjaret JC, Marc C, Benhammar J. Anatomical and functional repercussions of internal limiting membrane peeling in epiretinal

membrane surgery. J Fr Ophtalmol 2013 ; 36 : 151-9. 7. Clark A, Balducci N, Pichi F et al. Swelling of the arcuate nerve fiber layer after internal limiting membrane peeling. Retina 2012 ; 32 : 160813. 8. Tadayoni R, Paques M, Massin P et al. Dissociated optic nerve fiber layer appearance of the fundus after idiopathic epiretinal membrane removal. Ophthalmology 2001 ; 108 : 2279-83. 9. Spaide RF, Fisher Y. Removal of adherent cortical vitreous plaques without removing the internal limiting membrane in the repair of macular detachments in highly myopic eyes. Retina 2005 ; 25 : 290-5. 10. Recchia FM, Ruby AJ, Carvalho Recchia CA. Pars plana vitrectomy with removal of the internal limiting membrane in the treatment of persistent diabetic macular edema. Am J Ophthalmol 2005 ; 139 : 447-54. 11. Hoerauf H, Brüggemann A, Muecke M et al. Pars plana vitrectomy for diabetic macular edema. Internal limiting membrane delamination vs posterior hyaloid removal. A prospective randomized trial. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2011 ; 249 : 997-1008.

Offre d’abonnement intégral

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Mise au point

Lucentis® et Avastin® Le débat continue… Dr Valérie Le Tien*

Introduction La question de l’utilisation (et de la légitimité) du bévacizumab dans le traitement de la DMLA exsudative s’est posée, à vrai dire, très tôt dans l’histoire des traitements anti-angiogéniques. Rappelons que le ranibizumab est disponible officiellement depuis 2007 dans cette indication ; mais, déjà en 2005, un article (1) évoquait la possibilité de traiter les DMLA néovasculaires avec le bevacizumab, même si la voie alors évoquée était systémique (intraveineuse).

Figure 1 - Le ranibizumab est un fragment d’anticorps monoclonal, contrairement au bévacizumab qui est l’anticorps monoclonal complet.

La cause du débat

Ce débat a pour principale cause le fait que le bévacizumab et le ranibizumab soient deux molécules très… cousines ; en effet, si le bévacizumab est un anticorps monoclonal anti-VEGF, le ranibizumab est un fragment de ce même anticorps, développé par le même laboratoire (Genentech, South San Francisco, CA) (Fig. 1). Mais seul le ranibizumab est homologué dans le traitement de la DMLA exsudative, faisant suite aux résultats des études MARINA et ANCHOR. Le bévacizumab a l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement du cancer colorectal métastatique.

*Clinique Gaston-Métivet, Saint-Maur-des-Fossés ; Centre hospitalier-intercommunal, Créteil

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Le ranibizumab est commercialisé par les laboratoires Novartis sous le nom de Lucentis®, et le bévacizumab par les laboratoires Roche sous le nom d’Avastin®. Toutefois, le coût du ranibizumab rapporté par injection intravitréenne est beaucoup plus important que celui du bévacizumab (environ 3 à 4 fois plus cher). C’est pourquoi la question de l’utilisation de ce dernier dans le traitement de la DMLA exsudative s’est posée rapidement, hors AMM, et en utilisant une galénique prévue pour un usage systémique. Il est important de souligner que le bévacizumab a montré une bonne tolérance et une efficacité certaine dans des études de cas cliniques et des séries rétrospectives mais n’a jamais été testé dans le traitement de la DMLA exsudative dans

une étude de phase 3, ce qui pose des problèmes à la fois éthiques et légaux. Ce débat a depuis dépassé les frontières de la communauté ophtalmologique (2), en particulier depuis les résultats de l’étude GEFAL.

L’étude GEFAL

À la demande des autorités de santé, une étude institutionnelle randomisée multicentrique a vu le jour : l’étude GEFAL (Groupe d’Évaluation Français Avastin® versus Lucentis®). Elle s’inscrit dans la lignée d’autres études internationales américaines (CATT) (3) et anglaises (IVAN). En l’absence d’étude de phase 3 disponible pour le bévacizumab dans le traitement de la DMLA exsudative, mais en tenant compte

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Lucentis® et Avastin®

des données de la littérature, une étude comparant bévacizumab et ranibizumab se devait d’étudier les résultats en termes d’efficacité et de tolérance entre les deux traitements, le ranibizumab étant le traitement de référence dans cette indication (4). L’étude GEFAL, menée dans 38 centres publics et privés français, a inclus 501 patients. Les résultats n’ont pas montré de différence statistiquement significative entre les deux traitements aussi bien en termes de gain d’acuité visuelle que d’un point de vue anatomique. De même, concernant la tolérance, il n’y a pas là non plus de différence statistiquement significative retrouvée. Les auteurs concluent au terme de l’étude à l’équivalence des deux traitements en termes d’acuité visuelle, mais accordent un léger bénéfice anatomique au ranibizumab.

Pourquoi ne pas remplacer le ranibizumab par le bévacizumab ?

Même si les résultats de l’étude GEFAL sont extrêmement importants pour la communauté ophtalmologique, il n’est pas envisageable actuellement, en pratique clinique, de remplacer le

ranibizumab par le bévacizumab dans le traitement de la DMLA exsudative rétrofovéolaire. Plusieurs raisons expliquent cette situation : • Le bévacizumab est commercialisé pour un usage systémique. Son conditionnement n’est donc absolument pas approprié pour un usage intravitréen. Toute utilisation du bévacizumab en ophtalmologie passe par un reconditionnement complexe, avec des précautions particulières, réalisé en pharmacie hospitalière. • Les directives sont claires : depuis août 2012, la Direction générale de la Santé interdit de préparer l’Avastin® pour les injections intravitréennes, arguant d’un certain nombre de cas d’endophtalmies relevés par l’agence régionale de santé d’Île-de-France, pour les pathologies bénéficiant d’une thérapeutique alternative avec AMM. C’est donc le cas de la DMLA exsudative, mais aussi de l’œdème maculaire secondaire aux occlusions veineuses rétiniennes, au diabète et des néovaisseaux choroïdiens du myope fort. Cependant, l’Avastin® peut être utilisé dans des indications n’ayant pas d’autres traitements officiels équivalents telles que le

glaucome néovasculaire ou des néovaisseaux choroïdiens secondaires à des affections inflammatoires par exemple. Ce qui signifie que tout médecin utilisant l’Avastin® dans la DMLA exsudative va à l’encontre des directives officielles, avec tous les aspects médico-légaux inhérents…

Conclusion

En conclusion, le débat est loin d’être clos même si la situation s’équilibre actuellement depuis l’étude GEFAL. Si l’Avastin® n’est pas officiellement un traitement de la DMLA exsudative, il reste en arrière-pensée de tous les acteurs entrant dans la prise en charge des patients atteints de DMLA exsudative, tant les médecins prescripteurs que les laboratoires pharmaceutiques et les autorités de santé. Il est difficile voire impossible aujourd’hui de faire abstraction des contingences administratives et économiques qui régissent le monde de la santé, même si la priorité doit rester pour le prescripteur l’intérêt premier de son patient. n

Mots-clés : Lucentis®, Avastin®, DMLA

Bibliographie 1. Michels S, Rosenfeld PJ, Puliafito CA et al. Systemic bevacizumab (Avastin) therapy for neovascular age-related macular degeneration twelveweek results of an uncontrolled open-label clinical study. Ophthalmology 2005 ; 112 : 1035-47. 2. Le Monde Sciences et Techno. Édition du 30/09/2013. 3. Comparison of Age-related Macular Degeneration Treatments Trials

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(CATT) Research Group, Martin DF, Maguire MG et al. Ranibizumab and bevacizumab for treatment of neovascular age-related macular degeneration: two-year results. Ophthalmology 2012 ; 119 : 1388-98. 4. Kodjikian L, Souied EH, Mimoun G et al. Ranibizumab versus Bevacizumab for Neovascular Age-related Macular Degeneration: Results from the GEFAL Noninferiority Randomized Trial. Ophthalmology 2013 ; 120 : 2300-9.

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thérapeutique

Syndromes secs sévères Utilisation des verres scléraux Dr Maud Elluard-Scagni*

introduction L’utilisation des verres scléraux a déjà fait ses preuves dans de nombreuses pathologies de la surface oculaire ainsi qu’en cas de déformation cornéenne importante. Nous les utilisons en cas d’échec des traitements classiquement utilisés dans la sécheresse oculaire (collyres lubrifiants, clou méatique, collyres à la ciclosporine ou au sérum autologue). L’amélioration clinique est le plus souvent associée à une amélioration de la qualité de vie des patients (qui peut être évaluée par le score OSDI ou par le NEI VFQ-25). Verre scléral sur la cornée d’un patient.

Définition du syndrome sec oculaire et traitements classiques

Selon le rapport de l’International Dry Eye Workshop (2007) (1), le syndrome sec oculaire est « une maladie multifactorielle des larmes et de la surface oculaire entraînant des symptômes d’inconfort, des troubles visuels, une instabilité du film lacrymal avec un risque de lésion de la surface oculaire. Il s’accompagne d’une augmentation de l’osmolarité du film lacrymal et d’une inflam*Ophtalmologue, Fondation ophtalmologique Adolphe-deRothschild, Paris

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mation de la surface oculaire ». C’est une pathologie fréquente touchant environ 10 % des sujets de plus de 75 ans (2). Dans près de 10 % des cas, elle s’associe à une maladie systémique. La forme sévère se manifeste par une kératoconjonctivite sèche caractérisée par une kératite importante à la fluorescéine, un marquage au vert de Lissamine franc (défects épithéliaux conjonctivaux et cornéens) et parfois des sécrétions muqueuses ou des filaments qui témoignent d’une grande concentration du film lacrymal. La mesure du temps de rupture du film lacrymal et le test de Schirmer sont en général très pathologiques à ce stade.

La perte du rôle lubrifiant des larmes entraîne une sensation d’inconfort au niveau de l’œil ; le patient ressent des picotements, des démangeaisons voire des brûlures ainsi qu’une sensation de corps étranger. La perturbation du rôle optique du film lacrymal et la kératite peuvent entraîner une vision floue et parfois une sensation de voile (3). Cette gêne visuelle peut entraîner un retentissement considérable sur la qualité de vie. Plusieurs études ont déjà étudié l’impact sur la qualité de vie des patients souffrant de sécheresse oculaire, montrant une altération importante dans cette maladie (3-4).

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Syndromes secs sévères

Les différents traitements classiquement utilisés dans les syndromes secs sévères sont : les larmes artificielles, les bouchons lacrymaux, la ciclosporine topique, la pilocarpine orale ainsi que le collyre au sérum autologue. Ces traitements n’entraînent la plupart du temps qu’une amélioration partielle des symptômes.

Indications thérapeutiques classiques des verres scléraux

Depuis 1888, on a utilisé des lentilles en verre remplies de liquide pour corriger des irrégularités cornéennes. Ces lentilles entraînaient l’apparition à plus ou moins long terme d’un œdème et d’une néovascularisation cornéenne liés à une ischémie chronique. Dans les années 1940, elles furent améliorées progressivement, d’abord par la perforation dans le verre pour augmenter la circulation des larmes (qui transportent l’oxygène) puis par l’utilisation d’un matériau plus léger (remplacement du verre par le PMMA). Elles furent moins utilisées après la découverte des lentilles souples dans les années 1970. Depuis les années 1990 et l’emploi de matériaux rigides perméables aux gaz, les verres scléraux ont suscité un regain d’intérêt car n’entraînant ni œdème ni néovascularisation cornéenne, qui constituaient leur principal inconvénient antérieurement. Les verres scléraux ne prennent appui que sur la conjonctive bulbaire paralimbique et passent en pont sur la cornée et le limbe ce qui permet à la cornée d’être lubrifiée en permanence. Ils permettent aussi un passage de larmes sous la lentille créant une oxygénation cornéenne. Ainsi, ils ont un rôle

optique, lubrifiant et oxygénant, ce dernier aspect étant particulièrement intéressant pour éviter les complications hypoxiques et infectieuses. Les verres scléraux ont démontré leur efficacité dans des déformations cornéennes importantes (5) telles que le kératocône ou après greffe cornéenne (6-10). Ils sont aussi utilisés avec succès dans certaines pathologies chroniques sévères de la surface oculaire comme les syndromes de Stevens-Johnson (6-8, 11-13) ou Lyell. Depuis le 4 octobre 2007, toute personne ayant reçu la prescription d’un tel équipement est désormais remboursée des coûts directs conséquents (au moins 1 200 euros la paire). Ces verres sont composés de polymères dont l’OPTIMUM Extra® laboratoire Contamac US (Dk = 100 Iso), l’Extrem® (Dk = 125 Iso) et le Polymer Technology Boston® XO2 (Dk = 161 Iso) laboratoire Bausch et Lomb. Le diamètre des verres varie sur une base de 16 à 19 mm et peut être réalisé jusqu’à 23 mm.

Nouvelle perspective dans les syndromes secs sévères réfractaires

Leur emploi dans les syndromes de sécheresse oculaire, primitifs type syndrome de GougerotSjögren (12-13) ou associés à la pemphigoïde oculaire cicatricielle (14), ne fait l’objet que de peu d’observations. Néanmoins, l’utilisation du verre scléral SPOT® (LAO, Thonon-les-Bains, France) dans les syndromes secs oculaires réfractaires semble être prometteuse, notamment en ce qui concerne l’amélioration de la qualité de vie des patients.

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L’adaptation nécessite plusieurs visites pour déterminer les paramètres nécessaires du verre scléral (puissance et diamètre) et expliquer au patient sa manipulation. Le patient est ensuite régulièrement suivi en consultation pour juger de l’efficacité du traitement et de l’absence de complications.

Impact de la sécheresse sur la qualité de vie

Les scores de qualité de vie les plus souvent utilisés pour les patients atteints de sécheresse oculaire sont : l’Ocular Surface Disease Index (OSDI) et le National Eye Institute (NEI) VFQ-25 modifié. Le premier contient 12 questions concernant la fréquence de différents symptômes et les difficultés à effectuer certaines tâches de la vie quotidienne. On obtient un chiffre allant de 0 à 100 où 100 correspond au patient le plus invalidé. Le NEI VFQ-25 est divisé en 12 sous-parties avec 26 questions au total portant sur les domaines suivants : état de santé général, état de vision général, douleurs oculaires, vision de près, vision de loin, fonctions sociales, santé mentale, limitation des rôles de la vie quotidienne, dépendance, conduite, vision des couleurs, vision périphérique. Le score modifié du NEI VFQ-25 correspond au NEI VFQ-25 sans prendre en compte l’état de santé général du patient et comprend donc 25 questions. Le score varie de 0 à 100 où 0 correspond au patient le plus invalidé. Sur une grande étude cas-témoins publiée en 2007 (4), les patients atteints de sécheresse oculaire étaient invalidés essentiellement pour la lecture, dans l’exécution de leur profession ainsi que lors de l’utilisation de l’ordinateur en comparaison avec les 35


thérapeutique

sujets témoins. Dans une autre étude cas-témoins réalisée en 2009 (15), comparant des sujets atteints de sécheresse oculaire et des sujets sains, il était noté une augmentation du score Ocular Surface Disease Index (OSDI) à 40,18 ± 21,17 et une diminution du score Visual Function Questionnaire 25 (VFQ-25) à 77,57 ± 17,1 dans le groupe des cas. L’utilisation quotidienne des verres scléraux améliore notablement ces scores de qualité de vie et ce d’autant plus que le syndrome sec est très sévère. L’amélioration concerne surtout l’état de vision générale du patient et les douleurs oculaires. On peut aussi fréquemment observer un arrêt de certains collyres tels que la ciclosporine et une diminution

de la fréquence d’instillation des substituts lacrymaux. En revanche, nous savons qu’il n’y a pas vraiment de corrélation entre les symptômes et les signes objectifs des patients atteints de syndromes secs (16) qui sont parfois disproportionnés par rapport aux signes cliniques (17). Dans une étude portant sur 223 patients atteints de pathologie chronique de la surface oculaire, 50,8 % des sujets ont peur de devenir aveugles (18). Néanmoins, les patients les plus améliorés par l’utilisation des verres scléraux sont aussi ceux qui ont une atteinte cornéenne plus sévère. À l’inverse, les patients très invalidés mais n’ayant qu’une atteinte cornéenne modérée sont les moins améliorés par l’adaptation.

Conclusion

Les verres scléraux semblent être un moyen prometteur d’améliorer les symptômes des patients souffrant de syndromes secs oculaires sévères réfractaires aux traitements conventionnels. Lorsqu’ils sont bien acceptés, ils améliorent de façon importante la qualité de vie de ces patients. Ils représentent probablement l’un des traitements les plus efficaces de cette pathologie si difficile à prendre en charge. n

Mots-clés : Sécheresse oculaire, Traitements, Verres scléraux

Bibliographie 1. The Definition and Classication of Dry Eye Disease: Report of the Definition and Classification Subcommittee of the International Dry Eye Workshop (2007): Ocul Surf 2007 ; 5 : 75-95. 2. Schaumberg DA, Sullivan DA, Buring JE, Dana MR. Prevalence of dry eye syndrome among US women. Am J Ophthalmol 2003 ; 136 : 318-26. 3. Goto E, Yagi Y, Matsumoto Y, Tsubota K. Impaired functional visual acuity of dry eye patients. Am J Ophthalmol 2002 ; 133 : 181-6. 4. Miljanovic B, Dana R, Sullivan DA, Schaumberg DA. Impact of dry eye syndrome on vision-related quality of life. Am J Ophthalmol 2007 ; 143 : 409-15. 5. Rosenthal P, Croteau A. Fluid-ventilated, gas-permeable scleral contact lens is an effective option for managing severe ocular surface disease and many corneal disorders that would otherwise require penetrating keratoplasty. Eye Contact Lens 2005 ; 31 : 130-4. 6. Laroche J-M, Baëchelé F, Delcampe A et al. Vers une réhabilitation des verres scléraux ? J Fr Ophtalmol 2004 ; 27 : 877-82. 7. Pullum KW, Whiting MA, Buckley RJ. Scleral contact lenses: the expanding role. Cornea 2005 ; 24 : 269-77. 8. Segal O, Barkana Y, Hourovitz D et al. Scleral contact lenses may help where other modalities fail. Cornea 2003 ; 22 : 308-10. 9. Visser ES, Visser R, Van Lier HJ, Otten HM. Modern scleral lenses part I: clinical features. Eye Contact Lens 2007 ; 33 : 13-20. 10. Visser ES, Visser R, Van Lier HJ, Otten HM. Modern scleral lenses part II:

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Les mélanomes iriens Diagnostic et prise en charge Dr Stéphanie Lemaitre*, Dr Christine Lévy*, Dr Livia Lumbroso*, Dr Laurence Desjardins*, Dr Nathalie Cassoux*

Introduction Les mélanomes de l’uvée proviennent des cellules mélanocytaires de l’iris, du corps ciliaire ou de la choroïde. La majorité sont de localisation cilio-choroïdienne, la localisation irienne ne représentant que 2 à 4 % des mélanomes de l’uvée. Un facteur de risque reconnu de mélanome uvéal est la présence d’une mélanocytose oculaire ou oculo-dermique (aussi appelée nævus d’Ota). Le principal site métastatique des mélanomes de l’uvée est le foie (90 % des métastases sont de localisation hépatique). Les autres sites possibles sont les poumons, l’os et la peau. Les mélanomes diffus, qu’ils soient iriens ou choroïdiens, ont un risque plus élevé de métastases que les formes non diffuses.

Mélanome de l’iris Épidémiologie

Le mélanome de l’iris est une tumeur rare avec une incidence annuelle d’environ 6,5 cas pour 10 millions d’habitants. Il semblerait que cette incidence soit en augmentation. Tout comme le mélanome cilio-choroïdien, il atteint principalement des sujets de race caucasienne et surviendrait le plus souvent sur des iris de couleur claire. L’âge moyen des patients au diagnostic est situé entre 40 et 50 ans (soit 10 ans de moins que celui des mélanomes cilio-choroïdiens). Il n’existe pas de prédilection de sexe. La plupart des mélanomes iriens (environ 3 sur 4) se développent au niveau de la moitié inférieure de l’iris. L’exposition aux UV pourrait donc être un facteur de risque de mélanome irien étant donné *Institut Curie, Paris

Figure 1 - Nævus irien connu depuis l’enfance mais ayant augmenté de taille récemment : indication à un traitement par protonthérapie.

que la partie inférieure de l’iris est celle qui est la plus exposée aux rayonnements UV mais ce lien n’a pas été formellement établi.

Clinique

Le mélanome de l’iris se développe aux dépens du stroma irien. Il en existe deux formes cliniques : le mélanome irien circonscrit (ou nodulaire) qui se présente comme une masse solide dans le stroma et le mélanome irien diffus où le méla-

Pratiques en Ophtalmologie • Février 2014 • vol. 8 • numéro 71

nome remplace progressivement le stroma irien. La pigmentation des mélanomes de l’iris est variable, ceux-ci pouvant être achromes (environ 10 % des cas) comme très pigmentés. ❚❚Le mélanome irien circonscrit Il se présente sous la forme d’un nodule irien généralement unifocal et de petite taille, de couleur marron ou jaune, ses marges étant assez bien limitées, et situé le plus souvent dans les secteurs 37


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inférieurs de l’iris. Il peut parfois prendre un aspect de “pudding de tapioca”. Ces lésions sont en général hypervascularisées et peuvent provoquer des hyphémas spontanés. ❚❚Le mélanome irien diffus Il ne représente que 10 % des mélanomes de l’iris. Il se présente toujours sous la forme d’une hétérochromie irienne hyperchrome acquise d’apparition progressive, sans nodule irien individualisable. L’angle irido-cornéen est constamment envahi par des cellules tumorales ce qui entraîne dans la plupart des cas un glaucome secondaire. Le diagnostic de mélanome de l’iris est tardif avec un délai moyen au diagnostic de 31 mois, et il est en général établi après le diagnostic de glaucome. Il s’agit de glaucomes pour lesquels le traitement médical est fréquemment inefficace et certains patients ont même déjà subi une chirurgie filtrante au moment du diagnostic de mélanome irien. D’autres caractéristiques cliniques des mélanomes iriens diffus sont la présence fréquente d’une corectopie (92 % des cas) ou d’un ectropion de l’iris (88 % des cas).

Diagnostics différentiels

Les diagnostics différentiels d’un mélanome irien circonscrit sont le nævus de l’iris, le kyste irien, l’adénome de l’épithélium irien, la

Tableau 1 - Diagnostics différentiels. Mélanome irien circonscrit

Mélanome irien diffus (Ce sont les mêmes diagnostics que ceux qu’il faut évoquer devant une hétérochromie irienne.)

Nævus irien nodulaire, kyste de l’épithélium pigmenté ou du stroma irien, métastase irienne, corps étranger irien, léiomyome de l’iris, mélanome du corps ciliaire envahissant la racine de l’iris.

Nævus irien diffus, mélanocytose oculaire, sidérose oculaire par corps étranger ferrique intra-oculaire, utilisation topique d’agonistes de prostaglandines (responsables d’une mélanogenèse accrue au niveau irien).

Tableau 2 - Règle ABCDEF. A (age) :

âge inférieur ou égal à 40 ans

B (blood) :

hyphéma

C (clock-hour inferior) :

localisation irienne inférieure

D (diffuse configuration) :

forme diffuse

E (ectropion) :

ectropion de l’uvée

F (feathery margin) :

limites tumorales plumetées

métastase irienne, le corps étranger irien occulte, le mélanome du corps ciliaire envahissant la racine de l’iris ou le léiomyome de l’iris (Tab. 1). Les diagnostics différentiels d’un mélanome irien diffus sont les mêmes que les diagnostics à évoquer devant une hétérochromie irienne, soit le nævus irien, la mélanocytose oculaire, l’hémosidérose oculaire, la sidérose oculaire provenant d’un corps étranger ferrique intra-oculaire ou l’utilisation topique d’agonistes de prostaglandines qui sont responsables d’une mélanogenèse accrue au niveau irien (Tab. 1).

Figure 2 - Nævus irien présent depuis l’enfance et non évolutif.

❚❚Nævus ou mélanome de l’iris ? Les nævi sont les tumeurs mélanocytaires les plus fréquentes de l’iris et le diagnostic différentiel avec le mélanome de l’iris n’est pas toujours aisé. En partant du principe que la

Figure 3 - Nævus irien présent depuis l’enfance et non évolutif. Photographies de la lésion et imagerie UBM.

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Les mélanomes iriens

Examens complémentaires Bilan ophtalmologique

Figure 4 - Mélanome irien circonscrit situé à 1 heure avec essaimage de pigments dans l’angle. A. Aspect de la lésion avant le traitement par protonthérapie. B. Aspect de la lésion à 4 ans de la protonthérapie.

détection précoce d’un mélanome est essentielle afin d’améliorer le pronostic des patients et de façon similaire à la règle ABCD établie en 1985 pour le dépistage des mélanomes cutanés (A = asymmetry, B = border irregularity, C = color variation, D = diameter > 6 mm), Shields et al. ont établi une “règle ABCDEF” (Tab. 2). Celle-ci permet d’identifier les facteurs de risque de mélanome irien devant une lésion diagnostiquée initialement comme un nævus de l’iris (A = age

young, B = blood, C = clock-hour inferior, D = diffuse, E = ectropion, F = feathery margin). Dans les cas douteux, la cytoponction à l’aiguille fine en cornée claire peut permettre d’obtenir un diagnostic si la quantité de matériel prélevé est suffisante pour l’analyse cytologique. Une biopsie incisionnelle est aussi possible afin d’obtenir plus de matériel, mais il s’agit d’un geste plus invasif que la cytoponction.

L’échographie haute fréquence (UBM) est un examen important qui permet de caractériser la masse irienne suspectée d’être un mélanome en montrant un épaississement de l’iris à ce niveau, d’en évaluer l’extension locale notamment vers l’angle irido-cornéen et vers le corps ciliaire, d’en mesurer les dimensions et d’éliminer certains diagnostics différentiels comme les kystes iriens. L’angiographie fluorescéinique irienne a peu d’intérêt pour le diagnostic différentiel entre les mélanomes et les nævi iriens. Ces deux types de lésions peuvent avoir des aspects similaires en angiographie, notamment en ce qui concerne la présence d’une hypervascularisation.

Figure 5 - A. Mélanome irien circonscrit de l’œil droit (croissance progressive de la lésion sur 1 an). B. Aspect de la lésion 3 ans après la protonthérapie. À noter qu’une chirurgie filtrante a été réalisée à cause d’une hypertonie oculaire non contrôlée médicalement.

Figure 6 - Mélanome irien diffus traité par énucléation. Il existe un essaimage de pigments prédominant sur 6 heures et atteignant l’angle sur plus de 180 degrés. Pratiques en Ophtalmologie • Février 2014 • vol. 8 • numéro 71

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Figure 7 - Nævus irien.

Figure 8 - Nævus irien : stabilité de la lésion sur un suivi de 7 ans.

Bilan d’extension

Le bilan initial comporte un bilan hépatique sanguin, une imagerie hépatique (échographie hépatique) et une radiographie de thorax. En cas de doute sur une atteinte métastatique, il faudra compléter ce bilan par une imagerie thoraco-abdominale plus précise (TDM, IRM ou TEP).

Figure 9 - Mélanome du corps ciliaire situé en nasal supérieur et envahissant la racine de l’iris.

Histologie

La classification de Callender modifiée s’applique à tous les mélanomes uvéaux et permet de distinguer les mélanomes constitués de cellules fusiformes des mélanomes constitués de cellules épithélioïdes et des mélanomes mixtes constitués d’une combinaison de ces deux types de cellules. Les mélanomes iriens sont pour la plupart des mélanomes à cellules fusiformes. Ce qui est différent des mélanomes choroïdiens qui sont majoritairement de type mixte (près de 85 % d’entre eux), 9 % d’entre eux étant à cellules fusiformes.

Pronostic

La plupart des mélanomes iriens ont une évolution peu agressive avec une mortalité inférieure à celle des mélanomes de l’uvée postérieure. Les métastases sont généralement absentes au moment du diagnostic. 40

Figure 10 - Mélanome du corps ciliaire envahissant la racine de l’iris.

Dans une série de 285 yeux atteints de mélanome irien, le taux de métastases était de 0,5 %, 4 % et 7 % à 3, 5 et 10 ans respectivement, ces taux étant plus faibles que ceux retrouvés pour les formes cilio-choroïdiennes. Les facteurs associés à la survenue de métastases et de décès étaient une extension extrasclérale, une pression intraoculaire élevée et une épaisseur tumorale élevée. Les formes diffuses de mélanome de l’iris ont un risque accru de métastases par rapport aux formes circonscrites.

Traitement

Le mélanome de l’iris est un cancer dont le pronostic est généralement bon, et pour lequel une attitude thérapeutique conservatrice est le plus souvent possible. Les patients atteints doivent être adressés à un centre de référence en oncologie oculaire pour la décision thérapeutique (qui est multidisciplinaire) et pour la prise en charge. Le traitement des mélanomes de l’iris circonscrits de petite taille peut être une exérèse chirurgicale

Pratiques en Ophtalmologie • Février 2014 • vol. 8 • numéro 71


Les mélanomes iriens

par iridectomie mais les complications sont fréquentes (diplopie, éblouissement, cataracte et aspect inesthétique). Si la tumeur atteint l’angle iridocornéen, une résection partielle du corps cilaire est nécessaire (iridocyclectomie), ce qui augmente la morbidité oculaire. Une simple surveillance est possible chez des patients dont l’espérance de vie est réduite du fait de l’existence de comorbidités associées. La radiothérapie est une autre modalité thérapeutique possible pour les mélanomes circonscrits de l’iris qui permet d’éviter les complications possibles d’une chirurgie endoculaire. Elle comporte cependant un risque de complications postradiques pouvant dans certains rares

cas compromettre la fonction visuelle. Les mélanomes iriens s’étendant au corps ciliaire sont à traiter par radiothérapie plutôt que par iridocyclectomie du fait des risques inhérents à cette chirurgie. L’énucléation est rarement nécessaire dans le traitement des mélanomes de l’iris. Elle reste cependant nécessaire pour certains mélanomes iriens circonscrits de grande taille et pour les mélanomes iriens diffus. Chez des patients monophtalmes ou refusant l’énucléation, une radiothérapie (protonthérapie ou curiethérapie) est à envisager.

avec la réalisation d’un examen ophtalmologique et d’un bilan à la recherche de métastases asymptomatiques. Ce dernier comprend un bilan sanguin hépatique, une échographie hépatique et une radiographie de thorax. Sur le plan ophtalmologique, le lieu de prédilection des récidives de mélanome irien est situé au niveau de l’angle iridocornéen inférieur, d’où l’importance de réaliser à chaque consultation un examen détaillé n incluant une gonioscopie.

Mots-clés : Mélanomes iriens, Circonscrit, Diffus,

Surveillance

La surveillance doit être biannuelle,

Nævus

Bibliographie 1. Anatomie pathologique en ophtalmologie, Tumeurs intraoculaires, cours de sciences fondamentales et cliniques section 4, American Academy of Ophthalmology. 2. Zografos L. Tumeurs intraoculaires, rapport de la SFO 2002. 3. Shields CL, Furuta M, Thangappan A et al. Metastasis of uveal melanoma millimeter-by-millimeter in 8033 consecutive eyes. Arch Ophthalmol 2009 ; 127 : 989-98. 4. Henderson E, Margo CE. Iris melanoma. Arch Pathol Lab Med 2008 ; 132 : 268-72.

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Signature obligatoire e

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à savoir

Lésions rétiniennes périphériques Lesquelles devraient être traitées au laser ? Dr Sophie Bonnin*

introduction Les lésions rétiniennes périphériques existent à partir de l’adolescence et progressent avec l’âge. Ces anomalies sont fréquentes et la plupart sont anodines mais certaines prédisposent aux déchirures puis au décollement de rétine. Envisager le traitement de ces lésions constitue donc une mesure de prophylaxie d’un éventuel décollement de rétine. Par ailleurs, la nécessité de l’examen régulier de la périphérie rétinienne des myopes fait partie des rares mesures de prévention en ophtalmologie connues même du grand public. Si ce sujet est parfois encore source de polémique, la connaissance des lésions et de leurs risques potentiels justifie une attitude thérapeutique standardisée. Nous tenterons donc, après une description rapide des différentes lésions périphériques en fonction de leur potentiel rhegmatogène, d’établir une prise en charge systématisée, en fonction de la symptomatologie et des facteurs de risque.

Le potentiel rhegmatogène des lésions périphériques

La survenue d’un décollement de rétine résulte de la conjonction de plusieurs facteurs dont la présence d’une anomalie de la jonction vitréorétinienne, mais ce terme généraliste ne doit pas faire penser que toutes les lésions périphériques peuvent favoriser un décollement. En effet, des variations congénitales de la périphérie rétinienne (dents et baies de l’ora, complexes méridiens et touffes kystiques) aux dégénérescences vitréorétiniennes (palissades, blanc sans pression, givre), en *Service d’Ophtalmologie du Pr Massin, Hôpital Lariboisière, Paris

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passant par les lésions intrarétiniennes (dégénérescences microkystiques, rétinoschisis acquis et kystes de la pars plana), choriorétiniennes (dégénérescences pavimenteuses et pigmentaires) sans oublier les trous et les déchirures (trous ronds atrophiques, déchirures en “fer à cheval”, dialyses à l’ora, déchirures géantes…), l’examen de la périphérie rétinienne laisse parfois quelques interrogations (1).

Les lésions fréquentes ne favorisant pas le décollement de rétine

Nous pouvons retenir que certaines lésions fréquentes ne favorisent pas le décollement de rétine.

❚❚Les dégénérescences pavimenteuses Ainsi, les dégénérescences pavimenteuses (Paving stone or Cobblestone, Degeneration), concernent 22 % des individus de plus de 20 ans. Ces lésions, retrouvées le plus souvent dans le quadrant inférieur, apparaissent blanches jaunâtres et sont parfois surmontées d’une hypertrophie de l’épithélium pigmentaire. Celles-ci ne sont jamais le site de déchirures rétiniennes primaires, même s’il a été rapporté des déchirures rétiniennes secondaires en cas de décollement de rétine causé par une déchirure d’autre origine entraînant une traction au niveau de la lésion. Ces cas sont très rares et, en général, cette zone de dégénérescence limite même l’extension du décollement. Ces lésions ne nécessitent donc aucun traitement préventif. ❚❚Les hyperplasies et hypertrophies de l’épithélium pigmentaire De même, on observe fréquemment au fond d’œil des hyperplasies et des hypertrophies de l’épithélium pigmentaire (retinal pigment epithelial hyperplasia or hypertrophy). Les hyperplasies de l’Épithélium pigmentaire (EP) peuvent résulter d’une prolifération anormale des cellules de l’EP en cas de traction chronique de bas grade, tandis que l’hypertrophie de l’EP acquis est une

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Lésions rétiniennes périphériques

modification dégénérative liée à l’âge qui survient communément en périphérie, souvent en un motif réticulaire. Là encore, ces lésions ne favorisent pas le décollement de rétine. ❚❚Les dégénérescences microkystiques typiques ou réticulées En ce qui concerne les dégénérescences microkystiques typiques ou réticulées (peripheral cystoid degeneration), l’absence de potentiel rhegmatogène évolutif n’indique aucune prévention par photocoagulation laser. Au total, ces lésions fréquentes et bénignes ne doivent pas faire envisager de traitement préventif.

Les lésions fréquentes favorisant le décollement de rétine

À l’opposé, certaines lésions sont reconnues comme prédisposant au décollement de rétine. Ainsi, les dégénérescences palissadiques (lattice degenerations) sont associées à 20 % des décollements de rétine. Ces anomalies de la surface vitréorétinienne, petites plages jaunâtres d’orientation circonférentielle, comme posées sur la rétine, sont composées d’un réseau de lignes blanches entrecroisées, d’orientation radiaire ou circonférentielle, de petits dépôts blancs granuleux et d’amas pigmentaires (2) (Fig. 1). Elles correspondent à des taux variables d’atrophie des couches de la rétine interne, associée à une condensation et une adhérence du vitré au niveau de la lésion (anomalie de l’interface vitréorétinienne). Les trous atrophiques et les déchirures au niveau des palissades pourraient provenir de cet amincissement extrême des couches

Figure 1 - Dégénérescence palissadique.

internes. Les dégénérescences palissadiques sont retrouvées chez 6 à 10 % de la population générale, et même bilatérales chez un tiers à un quart des patients affectés, elles doivent donc être évaluées dans le contexte ophtalmologique de risque rhegmatogène de chaque patient. En effet, bien que des palissades soient retrouvées dans 20 à 30 % des yeux présentant un décollement de rétine, peu de patients ayant des dégénérescences palissadiques développent un décollement de rétine : en fait moins de 1 % de ces patients (3). Le traitement est donc recommandé seulement en présence de facteurs de risque associés (décollement de rétine de l’œil adelphe, chirurgie du cristallin, myope fort ou vitrectomie). En pratique, même dans les cas où le laser est réalisé, la déchirure peut provenir d’une zone adjacente au bord du laser, annihilant l’effet prophylactique de la photocoagulation. Ceci rappelle

Pratiques en Ophtalmologie • Février 2014 • vol. 8 • numéro 71

que la réalisation d’un traitement prophylactique par laser ne protège pas à 100 % de la survenue d’un décollement de rétine. En effet, les dégénérescences palissadiques conduiront à un décollement de rétine soit par une déchirure tractionnelle au niveau des bords postérieurs ou latéraux des palissades ou, moins souvent, par un trou atrophique dans la zone palissadique (cas de patients plutôt jeunes, myopes, asymptomatiques, sans que la fixation soit impliquée et sans décollement du vitré). Ces trous atrophiques causés par l’atrophie des couches internes ne font donc pas appel à un mécanisme de traction vitréenne et, de ce fait, ne se compliquent que rarement de décollement de rétine : ils ne nécessitent donc pas de traitement préventif systématique. Notons que les dégénérescences givrées sont des variantes des dégénérescences palissadiques. 43


à savoir

Les excroissances rétiniennes périphériques

Ce sont des lésions constitutio­n­ nelles, indépendantes de la réfraction. ❚❚Les Cystic retinal tufts Ce sont des élévations blanchâtres souvent équatoriales, fréquemment associées à une petite prolifération pigmentaire à leur base (2). Elles correspondent à des petites aires focales périphériques d’hyperplasie gliale et l’adhérence vitréorétinienne forte au niveau de ces lésions pourrait être responsable de la survenue de déchirures à cet endroit. Les déchirures liées à cette attache anormale seraient responsables de 10 % des décollements de rétine, mais les lésions sont présentes à la naissance chez 5 % de la population. Sachant que le risque de développer un décollement de rétine au niveau de ces lésions est d’environ 0,28 %, un traitement prophylactique n’est pas indiqué (4). ❚❚Les Zonular Traction Tufts Elles correspondent à un déplacement postérieur d’une partie de la zonule épaissie résultant en une projection sur la rétine antérieure. Ces lésions prédominantes dans le quadrant nasal seraient présentes chez 15 % de la population et bilatérales dans 15 % des cas (série autopsique). Elles seraient responsables de 6 % des décollements de rétine. Cependant, les déchirures au niveau de ces lésions sont souvent cliniquement insignifiantes et les décollements de rétine localisés et non progressifs. Un traitement prophylactique n’est donc pas recommandé (2). ❚❚Les déchirures rétiniennes Enfin, de façon indiscutable, les déchirures rétiniennes (défects de pleine épaisseur de la rétine neuro-sensorielle) peuvent permettre 44

Figure 2 - Déchirure rétinienne.

au vitré liquéfié d’envahir l’espace potentiel entre la rétine neurosensorielle et l’épithélium pigmentaire, et donc entraîner un décollement de rétine rhegmatogène (Fig. 2). Celles-ci ont des formes diverses : à clapet ou en fer à cheval, déchirures rétiniennes géantes (s’étendant sur plus de 90 degrés de circonférence), opercules (trous à opercule), dialyses… Les déchirures à clapet surviennent quand une bande de rétine est tirée en avant par une traction vitréorétinienne, alors que les trous à opercule résultent de la traction d’une petite pièce de rétine complètement libre de la surface de rétine adjacente. Ces déchirures seront donc les lésions à rechercher de façon systématique en présence de décollement postérieur du vitré.

Le décollement postérieur du vitré

Ceci nous rappelle que l’indication de traitement des lésions rétiniennes est souvent posée en raison d’une symptomatologie aiguë, c’est-à-dire quand le patient

rapporte des photopsies ou des corps flottants (myodésopsies). La recherche de signes adjuvants comme du pigment vitréen peut orienter l’examen : en effet, 50 à 70 % des patients ayant une hémorragie intravitréenne associée ont des déchirures rétiniennes, alors qu’on ne retrouve des déchirures que chez 10 à 12 % des patients n’ayant pas d’hémorragie intravitréenne simultanée (5).

La prise en charge

Nous retiendrons donc la prise en charge ci-après (6). ❚❚Les déchirures rétiniennes symptomatiques Elles sont communément traitées de façon prophylactique. En effet, environ 15 % des yeux avec un décollement postérieur du vitré symptomatique présentent une ou plusieurs déchirures, et celles-ci sont à haut risque de décollement de rétine (7). Les trous à opercule sont moins à risque de décollement car il n’y a pas de traction résiduelle sur la rétine adjacente ; un traitement n’est

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Lésions rétiniennes périphériques

donc pas indispensable. Cependant, si l’examen à la lampe à fente révèle une traction vitréenne persistante sur les marges du trou, il devient comparable à une déchirure à clapet et une prophylaxie doit être considérée. De même, un trou large, une localisation supérieure ou la présence d’hémorragie vitréenne peuvent justifier une prophylaxie. Les trous atrophiques sont souvent des découvertes fortuites chez un patient présentant un décollement postérieur du vitré. En absence de traction, un traitement n’est pas requis. ❚❚Les déchirures rétiniennes asymptomatiques En cas de déchirures rétiniennes asymptomatiques, le traitement n’est pas systématique car les déchirures à clapet asymptomatiques entraînent rarement un décollement de rétine. Pour certains auteurs (American Academy of Ophthalmology), elles ne seraient généralement pas traitées chez l’œil emmétrope et phaque. Cependant, en cas de dégénérescences palissadiques associées, de myopie, d’aphakie ou de décollement de rétine de l’œil adelphe, le risque de décollement de rétine est augmenté et le traitement doit être reconsidéré. De façon générale, le traitement d’une déchirure même asymptomatique ne sera pas critiqué en France. Les opercules et trous atrophiques asymptomatiques, eux, n’entraînent que rarement un décollement de rétine et ne sont généralement pas traités.

À retenir • Les lésions rétiniennes périphériques sont fréquentes et la plupart ont un risque rhegmatogène très faible voire absent. • Les déchirures rétiniennes symptomatiques sont traitées de façon systématique. • Les déchirures rétiniennes asymptomatiques peuvent être traitées, notamment en cas de facteur de risque rhegmatogène associé (myopie forte, aphakie ou décollement de rétine de l’œil adelphe). • La présence de lésions palissadiques, avec ou sans trou atrophique, ne requiert pas de prophylaxie en absence d’autres facteurs de risque rhegmatogène. • Le laser prophylactique ne protège pas à 100 % de la survenue d’un décollement de rétine.

❚❚La présence de palissades Enfin, la présence de palissades avec ou sans trou atrophique, ne requiert pas de prophylaxie en l’absence d’autres facteurs de risque. Ces lésions surviennent dans 6 à 10 % des yeux et sont retrouvées dans 20 à 30 % des yeux avec un décollement de rétine. Les données disponibles sont limitées mais une étude de 11 ans de suivi (3) d’yeux présentant des dégénérescences palissadiques non traitées montrait la survenue d’un décollement de rétine dans 1 % des cas. Là encore, l’association à une myopie forte ou à un décollement de rétine de l’œil adelphe, la présence de déchirures à clapet ou l’aphakie sont des facteurs de risque et suggèrent un traitement prophylactique.

Conclusion

Le traitement systématique prophylactique du décollement de rétine ne s’applique donc qu’aux déhiscences secondaires à un décollement postérieur du vitré symptomatique. Dans le cas de

lésions dégénératives vitréo­ rétiniennes comme les palissades (ou le givre), le traitement prophylactique s’envisage chez les patients ayant des antécédents de décollement de rétine de l’œil adelphe. En pratique, il faut faire un arbitrage avec les connaissances disponibles : l’examen de la périphérie des personnes à haut risque, dont les myopes surtout à l’âge du décollement postérieur du vitré ou en présence de symptômes, semble raisonnable. En cas de lésion identifiée, leur traitement permet de réduire le risque de décollement. Cependant, il reste essentiel d’informer le patient des symptômes devant l’amener à consulter, et surtout de le prévenir de la nécessité d’une surveillance ultérieure car le risque de décollement de rétine n’est pas totalement réduit à néant n par le traitement.

Mots-clés : Lésions rétiniennes périphériques, Laser, Déchirures, Décollement, Rhegmatogène

Bibliographie 1. Berrod J-P, Conart J-B. Lésions dégénératives de la périphérie rétinienne. EMC - Ophtalmol 2013 ; 10 : 1-12. 2. Lewis H. Peripheral retinal degenerations and the risk of retinal detachment. Am J Ophthalmol 2003 ; 136 : 155-60. 3. Byer NE. Long-term natural history of lattice degeneration of the retina. Ophthalmology 1989 ; 96 : 1396-1401 ; discussion 1401-2. 4. Byer NE. Cystic retinal tufts and their relationship to retinal detachment. Arch Ophthalmol 1981 ; 99 : 1788-90. Pratiques en Ophtalmologie • Février 2014 • vol. 8 • numéro 71

5. Byer NE. Natural history of posterior vitreous detachment with early management as the premier line of defense against retinal detachment. Ophthalmology 1994 ; 101 : 1503-14. 6. Ophthalmology AA of. 2010-2011 Basic and Clinical Science Course Complete Set. American Academy of Ophthalmology ; 2010. 7. Byer NE. What happens to untreated asymptomatic retinal breaks, and are they affected by posterior vitreous detachment? Ophthalmology 1998 ; 105 : 1045-9 ; discussion 1049-50.

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En pratique

Test de Lancaster Comment bien l’interpréter ? David Lassalle*

Introduction Le test de Lancaster est un examen couramment utilisé dans l’étude des troubles oculomoteurs acquis. Il est important de connaître ses avantages, ses indications et aussi d’en souligner les limites ou les défauts techniques, de façon à optimiser son interprétation.

Figure 1 - L’appareillage.

Description de l’appareillage

L’appareillage se compose : • d’une paire de lunettes rouge et vert ; • de deux torches dont la source lumineuse projetée à travers un filtre (rouge pour l’une et vert pour l’autre) crée des fentes lumineuses nettes, fines, ayant sur l’écran une longueur de 3 à 4  cm ; • d’une mentonnière permettant de maintenir la tête immobile et de positionner les yeux du sujet à la hauteur du point central de l’écran ; • d’un écran variant selon les modèles (nous utilisons un écran dérivé directement de celui de Lancaster avec des lignes verticales et horizontales) ; • de graphiques mettant en évidence la déviation de chaque œil tour à tour, l’autre œil étant fixateur (Fig. 1). *Orthoptiste, CHU de Nantes david.lassalle@fnro.net

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La méthode d’examen

La table est placée de façon à ce que les yeux du sujet soient à 1 mètre du point central de l’écran et à la même hauteur que lui. Ainsi, une déviation de 1 cm représente une dioptrie. L’examen doit se faire dans une pièce très sombre. Le verre rouge est placé devant l’œil droit et le verre vert devant l’œil gauche. La tête est fixée sur la mentonnière. Il faut veiller à ce qu’elle soit verticale et bien immobile. L’opérateur prend la torche rouge et donne la verte au sujet. La fente rouge est projetée verticalement au point central. La position réelle de la fente verte, lorsque le sujet a déclaré qu’il la voyait superposée à la rouge, est notée sur le graphique de gauche. On étudie ainsi la déviation de l’œil gauche. L’œil droit caché par le verre rouge regarde la fente rouge qui est fixe et le sujet déplace à volonté la fente verte, vue par l’œil gauche, qui est donc l’œil dévié. La position de la

fente verte donne ainsi la déviation dans le sens horizontal, vertical et de torsion. Les huit autres positions du regard sont explorées de la même façon. On inverse les torches pour avoir le tracé de l’œil droit. L’œil gauche devient donc fixateur, l’œil droit dévié.

Le principe

Le test repose sur le principe de la confusion. La dissociation oculaire est obtenue à l’aide de lunettes rouge et vert. Le verre rouge est, par convention, placé devant l’œil droit. On projette sur un écran les fentes lumineuses. L’œil droit ne voit que la fente rouge et l’œil gauche ne voit que la fente verte.
 On demande au sujet de placer les fentes, de telle façon qu’il les voit superposées. Lorsque cette superposition subjective est réalisée, s’il existe un écart entre les deux fentes, cet écart mesure la

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Test de Lancaster

déviation oculaire. Supposons une déviation de l’œil gauche en dedans. L’œil droit, caché par le filtre rouge, fixe la fente rouge en O sur l’écran. On demande au patient de superposer, subjectivement, la fente verte sur la fente rouge. Or cette fente verte n’est vue que par l’œil gauche, qui ne voit pas la fente rouge. Si la correspondance rétinienne est normale, si donc les deux maculas sont des points correspondant, la fente rouge étant vue par la macula droite, la fente verte devra donc obligatoirement se trouver sur la ligne visuelle de la macula gauche, donc en M sur l’écran, pour paraître superposée à la fente rouge (pour que les deux fentes soient vues dans une même direction). Elle ne peut pas être ailleurs. Cette technique prouve que l’angle mis en évidence par un test rouge/vert est l’angle subjectif, et non la déviation objective. En effet, si la correspondance rétinienne est anormale, la fente verte se trouve par exemple en A ou en B.  Dans ce dernier cas, l’orthophorie paraîtra parfaite alors qu’en réalité un angle objectif important peut exister (Fig.  2).

L’interprétation des résultats

L’interprétation classique des résultats du test de Lancaster permet la mise en évidence de : l’œil atteint, le (ou les) muscle(s) parétique(s) et la déviation secondaire.

neuf positions du regard (Fig. 3).

Le (ou les) muscle(s) parétique(s)

Le test de Lancaster met en évidence une déficience des mouvements oculaires dans le champ d’action du muscle paralysé. Lorsque le sujet positionne la torche en avant du point exploré, l’œil est alors dans le champ d’action du muscle déficient (Fig. 4).

La déviation secondaire

La déviation secondaire est provoquée par l’hyperaction du synergique controlatéral du muscle parétique (par exemple hyperaction secondaire du droit médial droit pour une paralysie du droit externe gauche) (Fig. 5).

La neutralisation

La neutralisation de l’image d’un œil peut rendre l’examen difficile ou impossible.

La correspondance rétinienne anormale

Le test nécessite une correspondance rétinienne normale. L’angle mis en évidence est subjectif. Il ne donne donc aucune indication sur la déviation objective dans les cas de correspondance rétinienne anormale.

La mauvaise vision

L’examen ne peut être réalisé chez le malvoyant, puisqu’il faut que le sujet puisse situer l’image des torches, ni chez le borgne ou l’amblyope fort, qui ne se servent que d’un œil.

Les limites
 Le daltonisme

En principe, un test rouge/vert est irréalisable en cas d’anomalie du sens chromatique. En cas d’anomalie légère, si ces sujets ne voient pas la couleur des fentes, ils peuvent cependant se rendre compte que l’une est fixe et que l’autre est mobile. En revanche, ce test est irréalisable en cas d’anomalie très marquée car le sujet ne voit pas la fente rouge.

Figure 2 - Principe de l’examen.

L’œil atteint

L’œil atteint est celui dont le cadre de déviation est le plus petit. En effet, dans une paralysie oculomotrice, qui n’est pas trop ancienne, la déviation primaire est plus petite que la déviation secondaire. Le test de Lancaster montre donc la déviation primaire d’un côté et la déviation secondaire de l’autre, dans les

Figure 3 - Lancaster d’une POM du III droit.

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En pratique

Les paralysies bilatérales

Lors d’atteintes binoculaires, les données du test de Lancaster sont insuffisantes puisque les mouvements de l’œil qui sert de référence sont anormaux et ce, quel que soit l’œil fixateur.

Les défauts techniques
 L’utilisation de tests non maculaires

Le test de Lancaster utilise des tests non maculaires qui peuvent donc être vus par la rétine périphérique qui a une bonne valeur localisatrice. Or, le test est dépourvu de moyen de contrôle de la fixation ce qui fait qu’on n’est jamais sûr que le sujet localise bien avec la macula. Il est donc possible, comme on peut le vérifier aisément, de réaliser un test de Lancaster normal tout en fixant le point central, sans déplacer ses yeux, par un glissement de la fixation en utilisant sa vision périphérique. Ceci peut expliquer certaines minorations enregistrées au test de Lancaster.

L’utilisation d’un écran carré

L’emploi d’un écran carré implique que l’on teste les positions diagonales à une distance nettement plus grande que les positions verticales ou latérales. Supposons un écran de 1,20 mètre ayant un écart de 5 centimètres entre chaque carré. La distance du point central au point latéral le plus éloigné correspond à 40 dioptries alors que la distance du point central au point diagonal le plus éloigné correspond à 56 dioptries (Fig.  6).

L’utilisation d’un écran trop petit

L’emploi d’un écran trop petit ou 48

Figure 4 - Lancaster d’une POM du IV gauche.

Figure 5 - Lancaster d’une POM du VI gauche.

se contenter de réaliser le petit carré central du test fait méconnaître les paralysies légères. En effet, on peut observer un petit carré normal et un grand carré pathologique (cf. Lancaster n°6). Par ailleurs on peut également regretter que la déviation ne soit pas étudiée dans les regards extrêmes, au-delà de 20 degrés.

L’utilisation d’un quadrillage régulier

L’usage d’un système de représentation graphique basé sur un quadrillage régulier, dans lequel la valeur d’un carré est plus petite en périphérie qu’au centre, induit une erreur tangentielle qui n’est pas prise en compte. Cependant, l’erreur induite peut être considérée comme négligeable.

L’utilisation d’une projection plane

L’utilisation d’une projection plane provoque des phénomènes de fausses torsions.

L’utilisation de filtres colorés

Le procédé utilise des filtres colorés qui facilitent la dissociation (il est d’ailleurs semblable en cela à tous les tests rouge/vert). Il renseigne donc sur la position dissociée des yeux. C’est pourquoi on peut retrouver une certaine exagération des déviations enregistrées au Lancaster par rapport à la clinique. Il faudra donc toujours confronter les résultats du test de Lancaster à la clinique. Le test de Lancaster modifié par Weiss peut présenter l’intérêt d’enregistrer

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Test de Lancaster

des déviations plus proches de la vie courante, pratiqué en lumière ambiante, et notamment avec la forme à choix multiples. Ce dispositif sollicite fortement la fusion et peut mettre en évidence certaines compensations par la fusion.

Les erreurs d’interprétation
 La confusion entre une déviation oblique et une torsion

De nombreux auteurs ont tendance à qualifier de torsions des déviations mixtes, à la fois verticales et horizontales, donc obliques, alors que la véritable torsion n’est mise en évidence que par l’inclinaison du test linéaire projeté par le sujet. Le schéma en éventail de la paralysie de l’oblique supérieur est souvent l’objet d’une interprétation erronée de cet ordre (Fig. 7).

de l’oblique supérieur passée à la concomitance, etc. (Fig. 8).

Les avantages du test

Le test de Lancaster présente des avantages indiscutables : • Appareillage simple (simplicité et rapidité d’exécution). • Grande facilité de compréhension de la part du malade. • Tracé reproductible. • Interprétation aisée le plus souvent.

Conclusion

Le test de Lancaster est un outil essentiel. Il permet de confirmer le diagnostic d’une paralysie oculomotrice et d’en appré-

Figure 6 - Défauts techniques du test de Lancaster.

cier l’évolution. Il faut veiller à confronter ses résultats à l’examen clinique. n

Mots-clés : Test de Lancaster, Trouble oculomoteur acquis

Le cas des paralysies anciennes

Dans les paralysies anciennes, le tableau peut présenter un aspect de concomitance. Le procédé ne donne pas d’indication sur le siège de la paralysie : oblique supérieur gauche ou droit supérieur droit par exemple (Lancaster n°10). Une simple étude clinique des ductions et des versions permet aisément, le plus souvent, de faire le diagnostic de la paralysie.

Figure 7 - POM bilatérales du IV.

L’absence de renseignement concernant l’étiologie

Devant un déficit de l’élévation de l’œil gauche sur un tracé de Lancaster, plusieurs hypothèses concernant l’étiologie peuvent être envisagées : paralysie des deux élévateurs de l’œil gauche, déficience mécanique de l’élévation de l’œil gauche (dysthyroïdie, fracture du plancher de l’orbite) paralysie

Figure 8 - Déficit d’élévation de l’OG sans étiologie.


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