L’essentiel sur Le lupus systémique (2e partie) Coordonné par le Pr Yannick Allanore
3 Les auto-anticorps du lupus systémique Quels sont ceux utiles pour le clinicien ? ������������������������������������������ p. 133 Pr Olivier Meyer (Paris)
4 La néphropathie lupique Que retenir pour le rhumatologue ? �������������������������������������������������� p. 139 Dr Alexandre Karras (Paris)
5 Le risque cardiovasculaire Comment l’évaluer et le prendre en charge ? �������������������������������� p. 144 Pr Yannick Allanore (Paris)
3 Les auto-anticorps
du lupus systémique Quels sont ceux utiles pour le clinicien ? n La diversité des auto-anticorps (ciblant plus de 100 auto-antigènes différents) illustre l’hyperactivation de l’immunité acquise à médiation humorale, mais ne doit pas faire oublier que seuls certains de ces anticorps sont utiles en clinique, soit pour une aide au diagnostic, soit pour leur valeur pronostique (association à certaines manifestations viscérales, suivi évolutif sous traitement). Nous envisagerons en premier lieu les principaux anticorps antinucléaires, puis nous passerons en revue quelques auto-anticorps utiles au clinicien : antiphospholipides, antiribosomes, anti-C1q et divers autres marqueurs de pratique courante.
Anticorps à visée diagnostique Anticorps ayant valeur de critères de classification
Il s’agit de certains anticorps antinucléaires et antiphospholipides. En effet, parmi les critères
*Service de rhumatologie, Hôpital Bichat, Paris. Mail : olivier. meyer@bch.aphp.fr
Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
de classification, ACR 1982 modifiés en 1997, du lupus systémique, figure un critère “immunologique” (n°10) qui comporte plusieurs déterminations d’autoanticorps : il s’agit des anticorps anti-ADN natif ou des anticorps anti-Sm d’une part, des anticorps antiphospholipides sous la forme soit d’un anticoagulant circulant de type lupique, soit d’anticorps
Pr Olivier Meyer*
anticardiolipines d’isotype IgG ou IgM, soit d’une fausse sérologie syphilitique d’autre part. Une seule de ces anomalies sérologiques permet de remplir le critère n°10 à condition, pour les anticorps antiphospholipides, d’avoir été reconnus positifs à 2 reprises à 12 semaines d’intervalle. Le critère n°11 est représenté par un test global de dépistage des anticorps 133
DOSSIER
L’essentiel sur Le lupus systémique
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Tableau 1 – Critères de classification SLICC/ACR 2012 du lupus systémique. Critères cliniques
Critères immunologiques
• Lupus cutané aigu (rash malaire, lupus bulleux, rash maculopapuleux, rash photosensible) • Lupus cutané chronique (discoïde, localisé ou généralisé, verruqueux, panniculite, muqueux, tumidus, engelure, chevauchement avec lichen plan) • Ulcérations orales (palais, bouche, langue) ou nasales • Alopécie non cicatricielle • Synovite (≥ 2 arthrites) ou arthralgies (≥ 2 articulations) avec raideur matinale > 30 minutes • Sérite : pleurésie sèche ou liquidienne ou péricardite • Atteinte rénale : protéinurie/créatininurie ≥ 500 mg/24 h ou cylindres hématiques • Atteinte neurologique : convulsions, psychose, multinévrite, neuropathie périphérique ou des nerfs crâniens, état confusionnel • Anémie hémolytique • Leucopénie (< 4 000/mm3 au moins une fois ou lymphopénie (< 1 000/mm3 au moins une fois) • Thrombopénie (< 100 000/mm3 au moins une fois)
• Anticorps antinucléaires à taux significatif •A nti-ADN natif à taux significatif (si ELISA : exiger 2 fois la limite supérieure de la normale du laboratoire) • Anti-Sm • Antiphospholipides : o Anticoagulant circulant lupique o Fausse sérologie syphilitique o Anticardiolipine à taux moyen ou élevé o Anti-b2-glycoprotéine I • Hypocomplémentémie o C3 o C4 o CH50 • Test de Coombs érythrocytaire positif (en l’absence d’anémie hémolytique)
Un patient est classé lupus systémique si : 4 critères dont 1 clinique et 1 immunologique, ou si atteinte rénale lupique et présence d’ANA ou d’anti-ADN natif.
antinucléaires positif à un taux significatif. Plus récemment, en 2012, le groupe SLICC (systemic lupus international collaborating clinics) a proposé un autre système de critères de classification (toujours basé sur un minimum de 4 critères) et devant comprendre au moins un critère clinique et un critère immunologique (Tab. 1). Parmi ces critères immunologiques, on trouve la présence d’anticorps anti-nucléaires à un taux significatif, ou la présence d’anti-ADN natif également à un taux significatif, ou la présence d’anticorps anti-Sm, ou la présence d’anticorps antiphospholipides sous forme d’un anticoagulant circulant, ou d’une fausse sérologie syphilitique, ou d’un taux moyen ou élevé d’anticardiolipine, ou d’un taux significatif d’anticorps anti-β2 GPI. Il existe 2 autres sous-critères immunologiques représentés, soit par un test de Coombs érythrocytaire positif (même en l’absence d’hémolyse), soit par une hypocomplémentémie dosée par le 134
CH50 (dosage fonctionnel) ou le C3 ou le C4 (dosages pondéraux). Bien qu’il ne s’agisse que de critères de classification, l’usage fait que ces critères immunologiques sont régulièrement utilisés pour faire le diagnostic positif de lupus systémique. C’est dire s’il faudra être exigeant sur la méthode de dosage employée et sur le seuil minimal de positivité à exiger pour retenir le critère.
Anticorps antinucléaires
Ces auto-anticorps apparaissent très précocement, souvent plusieurs années avant le premier signe clinique (1, 2). ❚❚Dépistage global Il s’effectue en routine par une réaction d’immunofluorescence indirecte (IFI) sur frottis de cellules tumorales humaines, habituellement de la lignée HEp2. Il faut exiger du laboratoire un double résultat donnant le titre des anticorps et l’aspect de la fluorescence. Plusieurs aspects sont
possibles pour un même sérum selon la dilution considérée, témoignant de la présence de multiples anticorps antinucléaires au cours du lupus. Les aspects homogènes et mouchetés sont évocateurs du diagnostic, mais un aspect membranaire périphérique, et même nucléolaire, sont possibles. Le titre minimal à retenir chez l’adulte est le 160e (voire pour certains auteurs le 320e) car des taux faibles (80e) sont fréquents (20 %) dans la population générale (3). A côté du test d’IFI, on voit apparaître des tests de dépistage global en ELISA avec une soupe d’antigènes nucléaires, ou des antigènes purifiés ou recombinants, et d’autres automates type “Bioplex” équipant certains gros laboratoires d’auto-immunité. La sensibilité de ces nouvelles méthodes serait au moins égale à celle de l’IFI (4-7). Aujourd’hui, 99 % des LES non traités ont des anticorps antinucléaires par IFI sur cellules HEp-2 au moment du diagnostic. Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
❚❚Anticorps anti-ADN natif La méthode de référence est le test radio-immunologique de Farr en phase liquide. Ce test est très spécifique (> 90 %) du diagnostic de lupus, mais il peut être négatif, même au début en l’absence de traitement, n’éliminant pas le diagnostic (seuls 65 à 75 % des lupus ont eu, ou auront des anti-ADN natif ). Le maniement des radioisotopes lui a fait préférer d’autres méthodes plus simples d’emploi : • la méthode d’IFI utilisant un parasite agent de la trypanosomiase murine : Crithidia luciliae. Cette méthode, assez peu sensible, nécessite une lecture manuelle et une technicienne entraînée pour éviter les faux positifs (spécificité 96 %) (Fig. 1). Elle est semi-quantitative et permet de confirmer une méthode en phase solide telle que la deuxième présentée ci-dessous. • l’ELISA anti-ADN natif. C’est la méthode la plus utilisée en routine, mais les trousses sont de sensibilité et de spécificité assez différentes d’une marque à l’autre. Seuls les taux élevés d’isotype IgG ont une réelle valeur diagnostique (83 à 97 % de spécificité). Elle est semi-quantitative et peut être utilisée pour le suivi biologique d’un malade à la condition de procéder au dosage toujours avec la même trousse dans le même laboratoire (8, 9). ❚❚Anticorps anti-nucléosomes Il s’agit d’anticorps reconnaissant soit l’ADN, soit les histones liées à l’ADN (H2A, H2B, H3 ou H4) (30 %) dans la chromatine, soit un épitope conformationnel fait à la fois d’ADN et d’histones (70 %). L’antigène utilisé par les réactifs commerciaux est soit un mono-nucléosome purifié, soit des polynucléosomes formés de chromatine avec l’histone H1 (H1 stripped chromatine) et dans ce cas on parle souvent d’anticorps Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
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Figure 1 - Anticorps anti-ADN natif : kinétoplaste de Crithidia luciliae. Fluorescence intense du kinétoplaste (ADN) à différencier de la fluorescence modérée du noyau.
antichromatine. Une méta-analyse récente évalue la sensibilité comparée des tests antinucléosomes à 61 % et la spécificité à 94 % avec un odds ratio en faveur du diagnostic de lupus de 40,7. Comparativement les performances des tests anti-ADN natifs sont de 52,4 % pour la sensibilité et de 94,9 % pour la spécificité avec un odds ratio de 28 (10). On peut donc indifféremment utiliser l’une ou l’autre des 2 catégories d’anticorps pour confirmer un diagnostic de lupus. ❚❚Anticorps anti-histones Contrairement aux anti-ADN et aux antinucléosomes, ces anticorps ne sont pas spécifiques du lupus et leur recherche en première intention ne doit pas être faite. Leur prescription (test ELISA) n’est justifiée qu’en cas de négativité des anti-ADN ou anti-nucléosomes chez un patient ayant une forte suspicion clinique de lupus : c’est le cas de certains lupus induits médicamenteux au cours desquels seuls seront présents des anti-histones (en réalité beaucoup de médicaments induisent des anti-ADN natif : citons la sulfasalazine, la minocycline, les anti-TNFα). Les anti-histones H1 et H2B sont responsables de la formation des cellules LE ou
cellules de Hargraves, test historique tombé en désuétude et abandonné dans les critères ACR dès 1982. Qu’il s’agisse des anti-ADN, des antinucléosomes ou des antihistones, les taux d’anticorps s’élèveraient souvent parallèlement à l’évolutivité clinique du lupus et sont utilisés comme marqueur immunologique de l’activité du lupus avec des exceptions nombreuses. ❚❚Anticorps anti-Sm et autres antigènes nucléaires solubles Plusieurs types d’antigènes nucléaires solubles sont à l’origine d’auto-anticorps dans le lupus, mais seuls les anti-Sm sont quasi spécifiques de cette maladie. Il s’agit de complexes ribonucléoprotéiques de petite taille présents dans le nucléoplasme, mais aussi parfois dans le cytoplasme (du fait de navettes entre les deux compartiments cellulaires) : “snRNPs et scRNPs”. On évoquera la présence de tels auto-anticorps devant un aspect moucheté de la fluorescence nucléaire à un titre élevé (11). Leur détection est assurée aujourd’hui par des tests ELISA ou LIA. En pratique, on utilisera généralement un test ELISA global de dépistage, puis un ELISA spécifique à partir des principaux antigènes, soit recombinants, 135
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soit purifiés pour caractériser et éventuellement quantifier les autoanticorps. Les principaux autoanticorps anti-sn RNP sont : • les anti-SmD détéctés chez 8-10 % des lupus caucasiens, 30 % des lupus des sujets noirs (Afrique et Afro-américains) et 30 % des Asiatiques (12). • Les anti-U1 RNP 70 kD, A et C détectés chez 30 à 40 % des lupus de toutes ethnies. Les principaux anti-scRNPs sont les anti-SSA (Ro) 60 kD et 52 kD détectés chez 35 % des lupus en général, beaucoup plus fréquemment dans certains tableaux cliniques, tels que le lupus cutané subaigu (80 %), le lupus des sujets âgés (60 %), les lupus avec déficit congénital en C4, C2 ou C1q (90 %), les lupus néonataux cutanés ou avec bloc auriculoventriculaire congénital (> 85 %), les lupus avec syndrome de Sjögren. Ils sont plus rares dans les lupus à début juvénile (13). Les anti-SSA 60 kD sont habituellement les premiers auto-anticorps à précéder le début clinique du lupus. Les anti-SSB (La) détectés chez 10 % environ des lupus, incitent à rechercher un syndrome de Sjögren associé. Un même malade peut avoir simultanément plusieurs de ces auto-anticorps : Sm + U1RNP, SSA ± SSB, mais aussi SSA et Sm + U1 RNP, notamment chez les sujets noirs. Contrairement aux anti-ADN et aux antinucléosomes, le titre des antiSm (et autres anti-snRNPs) ne varie pas (sauf exception) avec l’activité de la maladie. ❚❚Anticorps anti-PCNA Présents chez moins de 5 % des lupus, cet anticorps est faiblement dépisté en immunofluorescence indirecte sur cellules HEp2 puisqu’il donne une fluorescence moucheté des seules cellules en phase de la 136
division cellulaire (aspect pleiomorphique). Ils ne sont cependant pas spécifiques du LED (14).
Anticorps antiphospholipides
Ces anticorps sont détectés globalement chez 30 % des lupus, mais ne sont pas spécifiques puisqu’ils constituent le marqueur indispensable du syndrome primaire des anticorps antiphospholipides et des rares syndromes secondaires associés à d’autres situations (connectivites non lupiques, cancer, prise médicamenteuse, accidents obstétricaux divers...). Plusieurs tests, non redondants, basés sur des principes différents, sont disponibles pour la détection des anticorps antiphospholipides. ❚❚Sérologie syphilitique dissociée Les réactions utilisant des antigènes cardiolipidiques (et non tréponémiques) sont essentiellement le VDRL (test d’agglutination) car la réaction de Bordet Wasserman (déviation du complément) est abandonnée. Le VDRL détecte seulement les IgM anticadiolipine. Les réactions utilisant des antigènes tréponémiques (TPHA, immunofluorescence, Nelson) seront négatives en l’absence de syphilis ou de tréponématose, d’où le nom de “sérologie syphilitique dissociée” donné à cette situation. Sa fréquence est de 20 % dans le lupus. ❚❚Tests d’hémostase/anticoagulant circulant de type lupique Les anti-phospholipides interfèrent en inhibant l’action “activatrice” de la coagulation in vitro des activateurs phospholipidiques utilisés dans les tests d’hémostase. Les tests les plus sensibles à la présence de ces anticoagulants circulants phospholipidiques sont ceux qui explorent la voie intrinsèque
de la coagulation (TCA/APTT, dRVVT, temps de Kaolin...) et non la voie extrinsèque (TP) ou le temps de prothrombine dilué (dPT). Un seul test n’est pas suffisant pour détecter tous les anticoagulants circulants lupiques et des recommandations internationales ont été édictées avec remise à jour périodique afin d’optimiser et de standardiser les procédures (15). La première étape du dépistage doit obligatoirement comporter 2 tests, le dRVVT en première intention et le TCA. Il n’est plus recommandé d’inclure le temps de thromboplastine diluée en dépistage. Il peut être important de poursuivre la recherche d’anticoagulant circulant lupique même devant un TCA normal. Devant un allongement anormal du TCA ou/et du dRVVT, la mise en évidence d’un inhibiteur de la coagulation nécessite la réalisation d’une épreuve de correction en étudiant le mélange volume à volume du plasma à tester avec un pool de plasma normal. Les valeurs des seuils pathologiques font également l’objet de recommandations internationales. Enfin la confirmation de la dépendance en phospholipides de l’inhibiteur de la coagulation constitue la 3e étape pour différencier anticoagulants circulants lupiques d’un anticorps anti-facteur de la coagulation (tel un anti-facteur VIII). Un raccourcissement du temps de coagulation traduit alors la présence d’un anticoagulant circulant lupique (test de neutralisation). Les tests d’hémostase ne sont pas quantitatifs, mais sont mieux corrélés au risque de thrombose ou d’accident obstétrical que les autres méthodes, notamment ELISA. Environ 20 % des lupus ont un anticoagulant circulant, mais à peine la moitié ont des manifestations cliniques associées. Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
❚❚Anticorps anticardiolipine Ces anticorps sont dosés par des ELISA spécifiques des IgG ou des IgM. Seuls les taux moyens et élevés ont une valeur diagnostique. La fréquence des IgG anticardiolipine est de 25 à 50 % au cours du lupus, augmentant avec la durée du suivi. Ils sont associés soit à l’activité de la maladie, soit aux manifestations cliniques de thrombose et aux complications obstétricales. ❚❚Anticorps anti-β2 glycoprotéine 1 Leur mise en évidence se fait par un ELISA spécifique des IgG ou des IgM selon des modalités qui nécessitent encore des ajustements pour être homogénéisées d’une trousse commerciale à l’autre (16). La β2-glycoprotéine 1 est le cofacteur protéique principal lié aux phospholipides et la cible principale des anticoagulants circulants détectés par le test dRVVT. Les anticorps anti-β2 GPI sont présents chez 20 % environ des lupus systémiques. Qu’il s’agisse d’anticardiolipine ou d’anti- w2 GPI, voire d’anticoagulant circulant, il est nécessaire de procéder à un examen de confirmation 12 semaines plus tard afin d’éliminer les situations, fréquentes, où ces anticorps seraient transitoires (infections, médicaments...).
Autres anticorps à visée diagnostique ❚❚Auto-anticorps antiérythrocytaires Détectés par le test de Coombs indirect, ces anticorps “chauds” sont des IgG fixant le complément. Ainsi, le test de Coombs chez les lupiques (25 à 50 % de malades positifs) est habituellement de type IgG ou IgG/complément, plus rarement complément seul. Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
L’hémolyse clinique à Coombs positif est en revanche exceptionnelle dans le lupus (< 5 %). ❚❚Anticorps anti-ribosomes Autrefois détectés sur des coupes de tissus en immunofluorescence indirecte, les anti-ribosomes sont désormais détectés par ELISA avec des peptides recombinants de la protéine Po ribosomale. Ces anticorps sont présents chez 15 à 20 % des lupus systémiques mais ne sont pas spécifiques. Ils peuvent exister en l’absence d’anticorps antinucléaires et anti-ADN (parmi les exceptionnels lupus “séronégatifs”) (17). Les anti-ribosomes seraient plus fréquents chez l’enfant et seraient associés, du moins dans certains travaux, à l’atteinte rénale, aux troubles psychiatriques (18) à type de dépression ou aux hépatites lupiques. ❚❚Anticorps anti-C1q Les anticorps dirigés contre la protéine C1q de la voie classique du complément sont dosés par ELISA et sont présents chez 40 % des lupus. Ils sont habituellement associés aux atteintes rénales prolifératives (classes histologiques III et IV). Plus que leur sensibilité, c’est leur valeur prédictive négative qui est intéressante puisqu’il est quasiment exclu d’observer une atteinte de classe III ou IV lorsqu’il n’y a pas d’anticorps anti-C1q (19). ❚❚Facteurs rhumatoïdes IgM (FR) Environ 20 % des lupus ont un test au latex positif. Il s’agit volontiers des lupus du sujet âgé, des lupus avec Sjögren ou associés à une polyarthrite destructrice de type PR associée (rhupus). Les lupus avec FR auraient moins souvent une atteinte rénale sévère (les anticorps anti-protéines citrullinées sont rares (10 %) et s’observent principalement en cas de PR associée).
❚❚Autres anticorps antiphospholipides/cofacteurs Seuls les anticorps contre le complexe phosphatidyl sérine/ prothrombine sont utilisés en routine et peuvent venir compléter la recherche des anti-phospholipides classiques déjà étudiés dans les rares cas de syndrome antiphospholipides dits “séro-négatifs”. ❚❚Anticorps d’usage non courant On citera les anticorps anti-bactinine, marqueur de l’atteinte rénale, les anticorps anti-NR2 (récepteur du glutamate) associés aux lupus neurologiques (non thrombotiques).
Clinique et profil anticorps : principales associations cliniques
Diverses associations clinico-immunologiques sont désormais classiques : • phénomène de Raynaud et anticorps anti-U1-RNP ; • glomérulonéphrite proliférative et anti-C1q ; • lupus cutané subaigu et anti-Ro/ SSA ; • lupus avec syndrome de Sjögren et anti-Ro/SSA ; • lupus néonatal et anti-Ro/SSA ; • dépression lupique et anti-ribosomes ; • thromboses/accidents obstétricaux et anticorps anti-phospholipides. Parmi les anticorps anti-phospholipides, les associations les plus fortes sont, par ordre décroissant : les anti-coagulants circulants, puis les IgG anti-β2 GPI, puis les IgG anti-cardiolipine. Les associations, chez un même malade, de 2 types d’anticorps, et a fortiori 137
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de 3, sont les situations où le risque est le plus élevé (20, 21).
Anticorps du lupus marqueurs biologiques d’activité de la maladie
Certains auto-anticorps sont utilisés dans la surveillance régulière, leur fluctuation (surtout en cas d’élévation rapide) étant habituellement, mais pas toujours, utile pour prédire une poussée ou, à défaut, contemporaine d’une poussée. Citons principalement les anti-ADN natif, les anti-nucléosomes
et les anti-C1q (22). Les exceptions sont nombreuses dans les deux sens représentant 20 % des cas environ (lupus sérologiquement quiescents et cliniquement actifs ou lupus sérologiquement actifs et cliniquement quiescents (6 à 15 %) (23). Ainsi d’autres marqueurs, indépendamment du taux du complément CH50, C3 ou C4 sont activement recherchés afin de pouvoir mieux surveiller les patients.
Pour conclure Au total, les autoanticorps du lupus systémique sont multiples et jouent un rôle probable
dans la survenue de certaines manifestations cliniques de la maladie (activation du complément, cytotoxicité directe ou via des complexes immuns...). Plusieurs des marqueurs diagnostiques sont irremplaçables alors que peu d’entre eux sont des indicateurs fidèles de l’activité, et a fortiori de la sévérité, n du lupus systémique.
Mots-clés : Lupus systémique, Auto-anticorps, Suivi, Diagnostic
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4 La néphropathie lupique Que retenir pour le rhumatologue ? n L’atteinte rénale est fréquente dans le lupus érythémateux systémique (LES), notamment dans certains groupes ethniques comme les patients asiatiques ou noirs. Elle touche entre 25 et 40 % des patients, et sa survenue est souvent précoce dans l’évolution de la maladie lupique, voire inaugurale.
La néphropathie lupique : est-ce grave docteur ?
La présence d’une atteinte rénale a une valeur pronostique majeure dans la maladie lupique. Même si la prise en charge thérapeutique actuelle permet d’éviter l’évolution vers la dialyse dans la grande majorité des cas, la présence d’une insuffisance rénale modérée ou d’un syndrome glomérulaire chronique va avoir un retentissement important sur la survie du patient à long terme (1). On sait ainsi que les patient(e)s ayant une néphropathie lupique ont un taux de survie à 20 ans de 30 % inférieur à celui des patient(e)s sans atteinte rénale (2). Cette surmortalité est probablement multifactorielle, reflétant possiblement une maladie systémique plus sévère ou une immunosuppression plus lourde (et donc plus de complications infectieuses). Elle est aussi vraisemblablement liée à une surmorbidité cardiovasculaire (CV) secondaire à l’insuffisance rénale, puisqu’il est désormais bien établi que la maladie CV est la première cause de mortalité au cours du lupus mais surtout que la dysfonction rénale représente un facteur de risque CV tout aussi important que le diabète *Service de néphrologie, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. alexandre.karras@egp. aphp.fr
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Dr Alexandre Karras* ou le tabagisme (3). Ces données expliquent l’importance du dépistage de la néphropathie mais aussi de sa prise en charge spécifique précoce, permettant de limiter les conséquences à long terme sur les plans fonctionnel et vital.
Quand y penser et comment la dépister ?
Il n’y a aucun marqueur immunologique pouvant prédire la survenue de la néphropathie au cours du lupus. Il faut néanmoins souligner le fait qu’elle atteint le plus souvent les lupus florides au plan extra-rénal, avec présence fréquente (mais inconstante) d’anticorps anti-Sm et anti-C1q ainsi que d’une consommation du complément.
Quels sont les signes ?
Les signes de néphropathie sont souvent frustres. Le syndrome de néphropathie glomérulaire chronique, associant protéinurie de faible débit (< 3 g/24 h), hématurie microscopique et insuffisance rénale lentement progressive est le tableau le plus fréquent. On peut toutefois rencontrer des tableaux plus “bruyants”, avec des œdèmes qui révèlent un syndrome néphrotique (protéinurie > 3 g/24 h, hypoalbuminémie < 30 g/l) ou une
insuffisance rénale aiguë en rapport avec une glomérulonéphrite rapidement progressive. La survenue d’un accident thrombo-embolique au cours d’un LES doit bien sûr faire penser au syndrome des antiphospholipides mais aussi au syndrome néphrotique, circonstance caractérisée par une hypercoagulabilité sanguine. Pour finir, la constatation d’une hypertension artérielle récente et parfois sévère doit faire rechercher une néphropathie silencieuse ou une micro-angiopathie thrombotique associant anémie hémolytique mécanique, thrombopénie et dégradation aiguë de la fonction rénale, dans le cadre d’un SAPL ou d’un PTT.
Que faire en pratique ?
En pratique, toute poussée lupique doit amener à contrôler la présence d’une HTA, d’une insuffisance rénale (dosage de la créatininémie), d’une protéinurie ou d’une hématurie. Le rythme de surveillance dépend de l’activité du lupus et des antécédents, mais peut être résumé selon les recommandations de l’ACR (Tab. 1). La bandelette urinaire est un test de dépistage simple et peu coûteux, très sensible (mais peu spécifique), devant faire partie de l’examen clinique dans toutes les maladies systémiques. En cas de bandelette 139
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Le lupus systémique
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Tableau 1 - Rythme de surveillance des paramètres rénaux selon les recommandations de l’ACR (5).
DOSSIER
TA, bandelette urinaire
Créatininémie, protéinurie
LES sans antécédent de néphropathie
Tous les 3-6 mois
Tous les 6 mois
Néphropathie lupique active
Tous les mois
Tous les mois
Néphropathie lupique en rémission
Tous les 3 mois
Tous les 3 mois
Grossesse chez patiente avec néphropathie en rémission
Tous les mois
Tous les 3 mois
Tableau 2 - Classification ISN/RPS 2003 des glomérulonéphrites lupiques. Classe I
Glomérules normaux en microscopie optique mais dépôts mésangiaux en immunofluorescence
Classe II
Glomérules avec prolifération mésangiale et dépôts mésangiaux en immunofluorescence
Classe III
Glomérulonéphrite proliférative focale : moins de 50 % des glomérules sont atteints
Classe IV
Glomérulonéphrite proliférative diffuse : plus de 50 % des glomérules sont atteints
Classe V
Glomérulonéphrite extramembraneuse sans prolifération cellulaire
Classe VI
Glomérulosclérose avancée (> 90 % des glomérules détruits)
Dans les classes III et IV on distingue les formes actives (A), incitant à instaurer un traitement immunosuppresseur et les formes chroniques (C) le plus souvent cicatricielles et non évolutives.
urinaire positive, il est essentiel de vérifier l’ECBU (confirmant l’hématurie et écartant l’infection urinaire) mais aussi de quantifier la protéinurie. Il n’est désormais plus recommandé de réaliser un dosage de la protéinurie sur urines des 24 h ; un simple dosage du rapport protéinurie/créatininurie sur un échantillon urinaire matinal suffit pour apprécier la fuite protidique en s’affranchissant des erreurs d’échantillonnage. Quant à la mesure de la créatinine plasmatique, elle doit toujours être interprétée en fonction du contexte clinique, en la comparant aux chiffres antérieurs mais surtout en calculant le DFG estimé par la formule MDRD (qui tend actuellement à remplacer la classique formule de Cockcroft et Gault). Le clinicien devra s’alerter si la protéinurie est > 0,05 g/mmol de créatininurie ou si le DFG estimé est < 60 ml/min/1,73m2.
Est-ce que la biopsie rénale est incontournable ?
Toute anomalie inexpliquée de 140
Figure 1 - Néphropathie glomérulaire de classe IV (A) en microscopie optique (trichrome de Masson).
la protéinurie ou de la fonction rénale au cours de l’évolution d’un LES doit conduire à la réalisation d’une biopsie rénale, sauf contreindication absolue. Cette affirmation, chère aux néphrologues, a été reprise récemment dans les recommandations de l’ACR et de l’EULAR (4, 5) pour le dépistage et la prise en charge de la néph-
ropathie lupique. Ce geste, certes invasif, est essentiel pour étayer le diagnostic, établir le pronostic rénal et guider la thérapeutique. Elle permet essentiellement d’identifier le type de glomérulonéphrite lupique, parmi les 6 classes (Tab. 2) de la classification internationale actuelle (ISN/RPS 2003) (6). On distingue ainsi les GN lupiques Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
Le lupus systémique
MMF (2-3 g/j) à préférer si sujet noir +Corticoïdes (bolus MP x3 puis 1 mg/kg/j)
DOSSIER
Traitement de la néphropathie lupique proliférative active (classe III ou IV) CYC +Corticoïdes (bolus MP x3 puis 1 mg/kg/j) Protocole Eurolupus (500 mg/15j pdt 3 mois) puis relais MMF ou AZA
Protocole NIH (1000 mg/30j pdt 6 mois)
EVALUATION A M6 NON AMELIORATION AMELIORATION
MMF (1-2 g/j) ou AZA (2 mg/kg/j) +Corticoïdes petites doses +Hydroxychloroquine
Switch MMF vers CYC ou CYC vers MMF AMELIORATION
NON AMELIORATION RTX ou Association MMF+ICN
MMF = Mycophénolate Mofétil, MP = Méthylprednisolone, CYC = Cyclophosphamide, AZA = Azathioprine, RTX = Rituximab, ICN = Inhibiteurs de la calcineurine (cyclosporine, tacrolimus) Figure 2 - Prise en charge d’une néphropathie glomérulaire lupique proliférative active (adapté d’après les recommandations de l’ACR (5)).
de classe I et II, peu sévères et ne justifiant pas de traitement spécifique, les GN lupiques prolifératives de classe III et IV (Fig. 1) devant conduire à un traitement immunosuppresseur approprié, la GN lupique de classe V caractérisée par de simples dépôts extramembraneux de complexes immuns et pour finir la GN lupique de classe VI, qui est le stade terminal de la maladie rénale, ne pouvant désormais plus répondre à une quelconque intervention thérapeutique immunosuppressive. A côté des modifications glomérulaires, la biopsie rénale peut mettre en évidence des lésions interstitielles, telles une infilRhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
tration satellite d’un syndrome de Sjögren ou des lésions vasculaires comme dans un syndrome des antiphospholipides (7) nécessitant un traitement spécifique.
matiquement décomposé en deux périodes : le traitement d’attaque (permettant la rémission de la maladie) et le traitement d’entretien (visant à diminuer le risque de récidive) (Fig. 2).
Traitement de la néphropathie lupique proliférative : où en est-on en 2013 ?
Le traitement d’attaque de la néphropathie lupique
Trente ans après les premières publications émanant de l’équipe du NIH (8), incitant à l’utilisation du cyclophosphamide dans la néphropathie lupique proliférative, plusieurs essais thérapeutiques ont permis de proposer d’autres solutions thérapeutiques. Le traitement de cette affection est sché-
Les corticoïdes restent la pierre angulaire du traitement d’attaque de la néphropathie lupique. Les protocoles “modernes” de ces dernières années tendent certes à proposer une décroissance plus rapide des stéroïdes dans les premiers mois de traitement, mais aucun essai n’a comparé à ce jour différents schémas d’administration de ces trai141
Le lupus systémique
DOSSIER
tements qui génèrent toujours beaucoup d’effets secondaires, notamment au plan métabolique et phosphocalcique. ❚❚Cyclophosphamide L’adjonction d’un immunosuppresseur est considérée comme incontournable dans les glomérulonéphrites lupiques prolifératives actives (classe III et IV). Les fortes doses de cyclophosphamide proposées par Boumpas et le groupe du NIH (8) dans les années 1980 (1g/m2/mois pendant 6 mois puis tous les 3 mois pendant 2 ans) ont progressivement été remplacées par un schéma allégé, nommé Eurolupus (9). Ce nouveau schéma d’attaque de la néphropathie lupique, comportant 6 bolus de cyclophosphamide à 500 mg sur une durée de 3 mois, a montré une efficacité comparable au protocole classique, tout en réduisant la dose cumulée de cytotoxiques et en diminuant le risque de gonadotoxicité. ❚❚Mycophénolate Mofétil L’arrivée néanmoins de nouvelles molécules, et notamment du Mycophénolate Mofétil (MMF), a permis d’envisager un traitement ne comportant plus du tout d’agent cytotoxique. Nous disposons désormais de plusieurs études démontrant que le MMF est au moins équivalent au cyclophosphamide dans cette indication, voire supérieur dans certains groupes ethniques comme le patient noir ou latinoaméricain (10). Il doit néanmoins être prescrit à bonnes doses (3 g/ jour), en vérifiant la bonne absorption du produit et en gardant en tête qu’il expose à une toxicité digestive et des risques infectieux non négligeables. Le cyclophosphamide garde pour l’instant une place dans les néphropathies les plus sévères, avec insuffisance rénale aiguë, no142
tamment chez les patientes ayant déjà procréé et ne cumulant pas des doses élevées de ce produit. ❚❚Rituximab et belimumab A la lumière des premières séries rétrospectives non contrôlées publiées, le rituximab semblait également assez prometteur dans cette indication (11). L’étude LUNAR a toutefois été assez décevante, montrant que la déplétion lymphocytaire B par rituximab, ajoutée au traitement par corticoïdes et MMF, n’augmentait pas le pourcentage de patientes en rémission de la néphropathie après un an de traitement (12). Ce traitement est pour le moment réservé aux formes réfractaires aux autres immunosuppresseurs, en attendant d’autres études avec le rituximab dans le lupus. Quand aux autres biothérapies, notamment le belimumab, nous ne disposons actuellement d’aucune donnée quant à son efficacité dans la néphropathie lupique.
Le traitement d’entretien de la néphropathie lupique
Au décours du traitement d’attaque de la néphropathie et après l’obtention d’une rémission, un relais doit être pris pour une durée d’au minimum 2 à 3 ans, avec un traitement immunosuppresseur dont le but est d’éviter la récidive de la maladie rénale. ❚❚Quels sont les médicaments ? Ce traitement comporte habituellement des faibles doses de corticoïdes, de l’hydroxychloroquine mais aussi un agent immunosuppresseur. L’essai Eurolupus a montré que l’azathioprine (à la dose initiale de 2 mg/kg/j) était tout aussi efficace que l’administration trimestrielle de cyclophosphamide proposée dans le schéma du NIH, avec une bien moindre toxicité au plan ovarien et carcinologique (9).
Quant à la place du MMF dans le traitement d’entretien, elle reste débattue. Dans l’essai européen MAINTAIN, il n’a pas montré d’avantage en comparaison avec l’azathioprine dans la prévention de la rechute (13). Par contre la publication récente des résultats de l’étude ALMS suggère que le MMF est légèrement supérieur à l’azathioprine (14). Cette discordance provient peut-être du fait que cette dernière étude a inclus un nombre plus important de patients non caucasiens, qui pourraient avoir une meilleure réponse au MMF. ❚❚Précautions et durée Lors du choix de la molécule à utiliser dans le traitement d’entretien, il faut également garder en mémoire le fait que le MMF est un médicament tératogène, et qu’il doit être arrêté avant toute grossesse, contrairement à l’azathioprine qui ne confère pas de risque fœtotoxique. Quant à la durée du traitement d’entretien, il n’existe à ce jour aucun essai publié étudiant la durée optimale de prescription de ces molécules, qui comportent malgré tout un risque infectieux au long cours. Une étude française (WIN-lupus), actuellement en cours, répondra peut-être à cette question importante en pratique quotidienne. ❚❚L’importance du traitement symptomatique Dans tous les cas, la prise en charge de ces patients doit également comporter un traitement symptomatique, notamment en cas de dysfonction rénale résiduelle. La prescription d’un agent antihypertenseur et anti-protéinurique de type IEC ou ARA2, mais aussi l’optimisation des paramètres métaboliques (diabète, dyslipidémie, surcharge pondérale) est essentielle pour la néphroprotection Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
Le lupus systémique
phosphocalciques, hématologiques) nécessitent pour ces patients une approche multidisciplinaire et une collaboration active entre internistes, rhumatologues, dermatologues et néphrologues. n
Mots-clés : Lupus systémique, Néphropathie lupique, Traitements, Prise en charge, Diagnostic
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DOSSIER
au long cours, et ceci même si la maladie immunologique est bien contrôlée. Par ailleurs, la détection et le traitement spécifique des complications de la maladie rénale chronique (troubles ioniques,
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L’essentiel sur Le lupus systémique
DOSSIER
5 Le risque cardiovasculaire Comment l’évaluer et le prendre en charge ? Pr Yannick Allanore*
Introduction Le lupus systémique est une maladie systémique qui peut être de mauvais pronostic en raison de ses complications d’organe. Toutefois, grâce aux progrès dans l’utilisation des immunosuppresseurs, des agents anti-infectieux et des traitements d’atteintes d’organes spécifiques, la survie s’est améliorée. Une méta-analyse portant sur environ 20 000 malades a confirmé ces progrès en montrant un pourcentage de survie globale à 5 ans passant de 75 % dans les années 1950 à 93 % puis 95 % dans les années 1990 et 2000 (1). Toutefois, les progrès connaitraient un plateau suggérant que de nouveaux domaines sont les déterminants actuels de la surmortalité au cours du lupus. Les principaux facteurs identifiés dans cette métaanalyse comme pesant négativement sur la mortalité sont l’atteinte rénale et les manifestations neuropsychiatriques. Par contre, les manifestations cardiovasculaires et les infections ne sont péjorativement associées dans ce travail. Ce dernier point pourrait découler de la méthodologie de ce travail qui prend en compte la mortalité globale au terme du suivi des malades. D’autres travaux ont suggéré par des analyses à différents temps de suivi, et pas seulement au terme de ce dernier, une distribution bimodale au cours du lupus avec i) des décès par atteintes rénales ou infections dans les premières années de la maladie ii) plus tardivement, les complications cardiovasculaires seraient au premier plan. Les atteintes cardiaques peuvent entrer dans le cadre spécifique de la maladie avec des péricardites, myocardites, troubles électriques, valvulopathies et vascularites. Toutefois, cet article porte uniquement sur l’athérome accéléré, ses déterminants et sa prise en charge, qui semble en cause dans la surmortalité tardive qui pourrait devenir de plus en plus préoccupante avec l’amélioration de la prise en charge des complications précoces. Les aspects méthodologiques les plus récents seront détaillés.
Evènements cliniques athéromateux non fatals
De nombreuses études de suivi de cohortes ou cas-contrôles ont montré une augmentation du risque d’infarctus du myocarde au cours du lupus systémique. Le risque le plus élevé est souvent rapporté pour les malades les plus jeunes suggérant un risque d’athé-
*Université Paris Descartes, Hôpital Cochin (Rhumatologie A) et INSERM U1016, Paris
144
rome accéléré en relation avec la maladie. Par exemple, une étude suédoise a rassemblé presque 300 cas venant d’une région limitée de ce pays (2). Le suivi assez exhaustif à 7 ans a montré les résultats suivants en comparaison de la population générale : le ratio d’incidence standardisée pour les évènements cardiovasculaires était globalement de 1,27 (IC95 % : 0,82-1,87) mais il était de 8,00 (IC 95% : 1,65-23,38) pour les femmes âgées de 40 à 49 ans. Concernant spécifiquement les
infarctus du myocarde, le SIR global était de 2,31 (IC95 % : 1,34-3,7), de 1,75 (IC95 % : 0,84-3,22) pour les femmes et de 8,7 (IC95 % : 1,131,4) pour les femmes entre 40 et 49 ans. Dans la très connue Nurses’ Health Study qui a porté sur 119 332 femmes suivies 28 ans, l’incidence d’évènements cardiovasculaires chez les femmes sans évènement antérieur a montré l’apparition de 8 169 évènements cardiovasculaires et 148 cas incidents de lupus systémique (3). Après ajustements pour de nombreux facteurs confondants, le risque relatif d’évènements cardiovasculaires chez les femmes avec lupus comparées aux contrôles était de 2,26 (IC 95% : 1,45-3,52) et celui d’infarctus du myocarde de 2,25 (IC 95% : 1,37-3,69). Les limites de cette étude sont toutefois l’âge avancé des malades lupiques (en moyenne 53 ans) et l’inclusion uniquement d’individus de race blanche. Dans cette même étude le risque d’accident vasculaire cérébral était de 2,29 (IC95 % : 0,85-6,15). D’autres études ont montré que pour ce risque également, il était plus significatif pour les malades les plus jeunes. Il n’y a pas de travaux qui portent spécifiquement sur le risque d’artérite des membres inférieurs mais quelques études signalent des formes précoces qui confortent l’hypothèse d’athérome accéléré au cours du lupus systémique. Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
Mortalité cardiovasculaire
De nombreuses études ont montré une surmortalité d’origine cardiovasculaire au cours du lupus systémique. Par exemple, des données suédoises assez exhaustives basées sur des registres hospitaliers, ce qui sélectionne toutefois les formes les plus graves de lupus, ont montré un SMR global (période 19641994, 4 737 malades comparés à la population générale suédoise) de 3,63 alors qu’il était de 2,97 pour toute cause cardiovasculaire et de 3,03 pour les infarctus mortels (4). Grâce à ce suivi prolongé, les auteurs ont analysé les changements de mortalité selon les causes et confirmé l’absence de progrès pour la mortalité cardiovasculaire alors que dans le même temps les causes rénales et infectieuses régressaient. Il est cependant possible que les progrès obtenus dans les atteintes rénales contribuent à augmenter relativement le risque cardiovasculaire car ces malades sévères, vivant plus longtemps, pourraient être particulièrement à risque d’athérome. Cette hypothèse est soutenue par exemple par un travail sur le devenir de malades avec lupus et glomérulonéphrite ayant reçu une greffe rénale. La comparaison de 77 malades avec lupus transplantés (87 transplantations) à des contrôles également transplantés mais dans d’autres contextes a montré des taux de survie chez les malades lupiques à 1, 5 et 10 ans de 94 %, 83 %, et 71 % contre 96 %, 92 %, et 85 % (P = 0,018) chez les contrôles. De plus, les évènements cardiovasculaires sont, de façon marquée, la principale cause de décès dans le groupe lupique (67 % versus 40 % ; P = 0,03). Dans le même temps, la survie des greffons était quant à elle similaire dans les 2 groupes (5). Une synthèse de la littérature présentée sous forme de Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
plusieurs méta-analyses, conforte ces résultats en estimant la surmortalité cardiovasculaire globale, par infarctus ou par accident vasculaire cérébral à 2 voire 3 en insistant sur un risque à distribution bimodal, chez les patients jeunes mais également chez ceux avec un âge avancé. Ceci suggère un risque “aigu” en relation avec l’activité de la maladie puis un risque plus tardif vraisemblablement lié à l’accumulation des dégâts (6).
Facteurs de risque classiques et déterminants de l’athérome Age
Un âge avancé est de façon récurrente un prédicteur du risque d’évènements cardiovasculaires. Ainsi, dans un travail portant sur 182 malades lupiques (âge moyen 44 ans) vierges d’évènements cliniques, le suivi après plus de 8 ans en moyenne a révélé 24 (13 %) premiers évènements cardiovasculaires (7). Dans un modèle univarié, l’âge était le facteur prédictif le plus fort (HR : 2,3 ; IC95 % : 1,7-2,1). L’âge médian pour tout évènement cardiovasculaire était de 64 ans (41-85), de 61 ans (41-85) pour un infarctus du myocarde et de 65 ans (58-69) pour un décès d’origine cardiovasculaire. Parmi les facteurs de risque traditionnels, seuls l’âge et le tabagisme étaient prédicteurs. En analyse multivariée, l’âge, la présence d’anticorps antiphospholipides, des marqueurs d’agression endothéliale et l’absence de thrombopénie étaient prédicteurs.
Genre
Alors que la majorité des cohortes montre sans ambiguïté une prédominance féminine au cours du lupus, le risque cardiovasculaire
est augmenté chez les malades de sexe masculin, comme dans la population générale. Ces résultats souffrent parfois d’une faiblesse statistique étant donné la faible représentation des hommes dans les cohortes. Toutefois, dans une cohorte de 1 249 malades lupiques suivis entre 2000 et 2008, 97 évènements cardiovasculaires chez 72 patients ont été identifiés (8). Ils incluent 13 cas d’infarctus du myocarde, 15 d’angine de poitrine, 24 d’insuffisance cardiaque, 8 d’artérite des membres inférieurs, 13 d’ischémie transitoire et 23 d’accident vasculaire cérébral. Cinquante évènements ont été attribués à l’activité de la maladie et 31 à des accidents liés à l’athérosclérose. Les facteurs associés au risque d’athérosclérose sont détaillés dans le tableau 1. En analyse multivariée, seuls le sexe masculin (OR 3,7 ; IC 95 % : 1,4–9,5) et l’âge avancé (OR : 1,1 ; IC95 % : 1,05-1,1) étaient prédicteurs (Tab. 1).
Dyslipidémie
Plusieurs études de cohorte ont montré que l’hypercholestérolémie était à risque d’évènements cardiovasculaires. D’autres travaux ont porté sur des critères intermédiaires comme la présence de plaques carotidiennes. Ainsi, à partir d’une série de 250 femmes lupiques et de 122 témoins, les relations entre différentes fractions lipidiques ou hormones régulatrices de ce métabolisme et la présence de plaques carotidiennes ont été étudiées (9 ; Tab. 2). La leptine circulante apparaît comme associée à un sur-risque, tout comme certaines fractions de HDL. Les limites de cette étude sont l’aspect transversal et aussi l’utilisation d’un critère intermédiaire, toutefois couramment utilisé. Cependant, elle approche au-delà des fractions lipidiques simples, le rôle possible des relations inflam145
DOSSIER
L’essentiel sur Le lupus systémique
L’essentiel sur Le lupus systémique
DOSSIER
mation, stress oxydant, dyslipidémie et métabolisme lipidique. Il est probable que dans l’ambiance inflammatoire et immunitaire du lupus, comme dans de nombreuses maladies systémiques, certaines fractions lipidiques oxydées aient un rôle délétère particulier. Ceci pourrait appeler des interventions thérapeutiques spécifiques.
Tableau 1 - Comparaison des caractéristiques des malades lupiques avec ou sans évènements cliniques athéroscléreux (Urowitz et al., 2010 (8)).
Hypertension
La prévalence de l’hypertension est augmentée au cours du lupus. Il est cependant difficile d’établir s’il s’agit de formes essentielles, de formes favorisées par les traitements ou les complications de la maladie avec au premier chef l’atteinte rénale. D’autres études ont utilisé le paramètre, utilisation d’un anti-hypertenseur pour montrer des associations. Toutefois, globalement, les OR obtenus sont assez faibles, en général entre 1 et 2. Une des limites méthodologiques est l’utilisation du statut au départ de la période d’observation, sans suivi prospectif de ce risque. Un travail récent a abordé ce point en analysant de façon prospective et sériée les valeurs de pression artérielle et les concentrations lipidiques pour prédire le risque cardiovasculaire dans la cohorte de Toronto. Le suivi de 991 malades a duré en moyenne plus de 7 ans et les mesures biologiques et de pression ont été réalisées en moyenne 19 ± 19 fois ; pendant ce suivi, 86 évènements coronaires sont survenus (10). Dans un premier modèle prenant en compte la première valeur de pression artérielle systolique ou la moyenne des 2 premières mesures, la pression artérielle n’était pas prédictive d’accidents coronariens. Dans ces modèles, le sexe masculin (HR : 2,01 ; P : 0,02 pour première mesure et HR : 2,04 ; P : 0,02 pour la moyenne des 2 mesures), l’âge (HR : 1,05 ; P < 0,0001), le SLEDAI (HR : 1,03 ; P : 0,01) à l’inclusion, et l’utilisation de corticoïdes (HR : 2,73 pour modèle première mesure 146
A l’inclusion
Patients avec évènements athéromatheux
Autres patients
22
615
Blancs (%)
17 (77)
328 (53)
0,03
Hommes (%)
9 (41)
72 (12)
< 0,0001
Age (années)
54,6 ± 13,1
34,6 ± 13,7
< 0,0001
Hypertension
14 (74)
197 (32)
0,002
Obésité
12 (57)
163 (28)
0,004
Tabagisme
14 (64)
225 (37)
0,01
Histoire vasculaire familiale
9 (43)
117 (20)
0,02
Hypercholestérolémie
12 (55)
228 (37)
0,1
Diabète
2 (10,5)
14 (2)
0,08
Corticoïdes
17 (77)
417 (68,5)
0,4
Anti-paludéens
16 (73)
386 (63,5)
0,4
Immunosuppresseurs
6 (27)
227 (37)
0,3
SLEDAI (score d’activité)
3,32 ± 3,09
5,53 ± 5,63
0,1
SLEDAI à 2 ans
3,02 ± 3,11
4,15 ± 3,78
0,1
Nombre de malades
Valeur de P
Tableau 2 - Analyse en régression logistique des relations entre lupus et présence de plaques d’athérome carotidiennes (McMahon et al. (9)). Variables
OR
IC 95 %
Valeur P
Quartile le plus élevé de leptine
2,8
1,07-7,4
0,03
HDL pro-inflammatoire
12,8
3,5-47,1
< 0,001
Age
1,1
1,07-12
< 0,001
Hypertension
3,0
1,1-7,7
0,01
Tabagisme actif
7,7
1,4-44,0
0,03
Histoire de dyslipidémie
3,7
0,98-9,0
0,06
Diabète
2,0
0,2-17,2
NS
Indice de masse corporelle
1,01
0,94-1,1
NS
Antériorité cardiovasculaire
0,54
0,2-2,6
NS
Ethnie non-caucasienne
1,9
0,7-4,9
NS
Prednisone >20 mg/j (au moins une fois)
2,4
0,7-8,0
NS
Durée de la maladie
1,05
0,98-1,1
NS
Indice activité SDI
0,8
0,5-1,2
NS
et 2,74 pour modèle de moyenne sur 2 mesures, P : 0,03) étaient associés à des évènements coronariens. L’utilisation de modèle temps-dépendant, prenant en compte plus de mesures, a montré que la pression artérielle systolique pouvait être prédictive mais avec des valeurs assez faibles (moyenne de toutes les mesures HR : 1,025 ; P : 0,004). Cette
méthode montre l’intérêt potentiel de mesures sériées mais tend aussi à montrer un faible poids pour l’hypertension artérielle.
Tabac
Les travaux réalisés montrent sans ambiguïté une association entre tabagisme, évènements cliniques et mortalité cardiovascuRhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
laire au cours du lupus. Ceci a été montré dans les travaux précédemment cités (Tab. 1 et 2). Dans la cohorte PROFILE qui comprend 1 333 malades lupiques venant de 5 centres américains, la survenue d’un premier évènement artériel a été analysée (123 malades-9,8 %) (11). Le tabac est apparu comme un facteur de risque fortement associé à une survenue rapide d’évènement clinique (HR = 2,20, IC95 % : 1,40-3,46) ; dans le même modèle, l’âge (HR = 1,04, IC95 % : 1,03-1,06) et un polymorphisme du gène CRP étaient associés (HR = 1,91, IC95 % : 1,04-3,49).
Relation avec l’activité et les traitements de la maladie Score SLEDAI
Il est indiscutable que les facteurs de risque cardiovasculaires contribuent au risque d’athérome accéléré, mais ils ne suffisent pas à expliquer la totalité du sur-risque et beaucoup de travaux ont montré que des facteurs propres à la maladie étaient impliqués. L’activité mesurée souvent par le score SLEDAI a souvent été identifiée par des études anciennes mais plusieurs travaux récents ne l’ont pas trouvée comme facteur de risque en analyses multivariées (8, 9). Néanmoins, dans le travail suédois (2), une score SLEDAI élevé et des anticorps anti-cardiolipine prédisaient des évènements cliniques, même après ajustements pour l’âge ou l’antériorité cardiovasculaire ou différents facteurs de risque classiques. Toutefois, certaines critiques s’adressent à la faible sensibilité au changement de ce score. La durée de la maladie a été suggérée par certains travaux mais sans données consensuelles et par ailleurs, cette variable est fortement liée à l’âge qui, lui, est Rhumatos • Mai 2013 • vol. 10 • numéro 88
très souvent identifié comme facteur de risque indépendant d’évènements cardiovasculaires.
Signes neuropsychiatriques
Parmi les manifestations à risque de la maladie, plusieurs travaux rapportent que les signes neuropsychiatriques sont prédicteurs d’évènements cardiovasculaires. Dans la cohorte PROFILE (11), des signes de psychose et l’épilepsie étaient prédicteurs. Dans une cohorte internationale (Systemic Lupus International Collaborating Clinics - SLICC) constituée dans les années 2000 (12), des manifestations neuropsychiatriques augmentaient de presque 4 fois le risque de survenue d’évènements cliniques cardiovasculaires. La limite de cette approche est que cette atteinte dans la maladie signe une forme nettement plus sévère et surtout un recours en général à forte dose aux corticoïdes. Le lien direct n’est donc pas simple à établir. Comme déjà évoqué, les antiphospolipides sont connus pour augmenter le risque cardiovasculaire. De nombreuses études ont montré un risque indépendant, pour les différents évènements cardiovasculaires (2, 6). Dans la suite du premier travail (9), Gustafsson et al. ont étudié 208 malades lupiques inclus entre 19951999 et suivis jusqu’à 12 ans. Les causes de décès ont été particulièrement étudiées ainsi que les paramètres vasculaires y compris biologiques pouvant être prédictifs. Il y a eu 42 décès, à un âge moyen de 42 ans (SMR 2,4 ; IC 95 % : 1,73,0) dont la moitié était d’origine cardiovasculaire. Les analyses multivariées sont présentées dans le tableau 3 et le poids des anti-phospholipides y est particulièrement clair (13).
Traitements
L’étude des traitements est rendue délicate par le biais d’indi-
cations. Les malades les plus sévères reçoivent de fortes doses de corticoïdes alors que les formes mineures seront traitées par hydroxychloroquine. De plus, alors que les corticoïdes réduisent fortement et rapidement l’activité inflammatoire de la maladie, ils induisent également des perturbations métaboliques et cardiovasculaires qui augmentent directement le risque vasculaire. Nikpour et al. ont montré une augmentation du risque en relation avec l’utilisation des corticoïdes (risque indépendant multiplié par 2 pour infarctus du myocarde et décès) mais d’autres études n’ont pu le confirmer (Tab. 1 et 2). Un autre élément de discussion repose sur la façon de mesurer l’exposition entre une prise, une dose moyenne, une aire sous la courbe de la prise... Si les effets bénéfiques de l’hydroxychloroquine ont bien été montrés sur le profil lipidique ou la glycémie, son rôle sur les évènements cardiovasculaires n’a pas été démontré de façon reproductible.
Conclusion
Ces données démontrent un sur-risque cardiovasculaire par athérome accéléré au cours du lupus systémique. La distribution semble bi-modale avec un risque important chez les malades, les plus jeunes à maladie active puis, plus tardivement, lorsque le vieillissement modifie et amplifie les dégâts antérieurs. Les facteurs de risque conventionnels contribuent au risque et ils doivent être traqués et traités selon les principes appliqués à la population générale. Il est toutefois difficile d’aller plus loin à ce stade et les parallélismes proposés avec le diabète par certains ne sont pas totalement fondés. Un exemple de prudence avant d’être plus proactif provient de l’essai randomisé 147
DOSSIER
L’essentiel sur Le lupus systémique
L’essentiel sur Le lupus systémique
Tableau 3 - Modèle de Cox multivarié avec ajustements pour l’âge, les antériorités vasculaires et le marqueur rénal cystatin C (208 patients).
DOSSIER
Mortalité globale Valeur P
HR (IC95 %)
0,008
4,1 (1,4-17,3)
Tabac Score d’activité (SLICC > 1)
Mortalité cardiovasculaire
Mortalité non cardiovasculaire
Valeur P
HR (IC95 %)
0,02
3,4 (1,3-9,2)
Anticorps anti-β2GP1
0,03
3,4 (1,2-9,7)
Anticorps anti-phospholipides
0,05
2,8 (1,0-8,2)
Auto-anticorps de Sjögren Warfarine
0,05
3,4 (1,0-10,4)
0,02
1,6 (1,1-2,3)
Valeur P
HR (IC95 %)
0,05
5,6 (1,0-103,6)
0,02
1.3x10-6 (0-0,7)
CRP ultra sensible
0,04
1,3 (1,0-1,6)
Fibrinogène
0,04
3,7 (1,0-13,1)
0,05
6,7 (1,0-45,4)
α-1-antitrypsine
0,007
2,7 (1,3-5,2)
0,004
4,3 (1,6-10,7)
Soluble vascular cell adhesion molecule 1 (sVCAM1)
0,05
2,7 (1,0-6,7)
qui a étudié après 2 ans l’effet des statines sur des critères intermédiaires d’athérome (14). Contre toute attente, cet essai s’est avéré négatif et il n’y a pas lieu actuellement de généraliser les statines chez les malades lupiques. Il faudra attendre d’autres essais, chez d’autres malades, et peut-être avec des critères de jugement différents voire de nouvelles molécules.
0,02
5,3 (1,3-19,3)
Le deuxième versant est celui de l’activité de la maladie car il est établi que les malades actifs et/ou sévères génèrent des lésions vasculaires faisant le lit de l’athérome accéléré. Il faut viser la dose la plus adaptée de corticoïdes et l’effet des immunomodulateurs devra être analysé aussi sur le risque vasculaire. Enfin, les anti-phospholipides, ont une place particulière
au cours du lupus et concernant le risque vasculaire, global, et d’athérome en particulier, des travaux complémentaires sont nécessaires pour guider les pratiques et les traitements. n
Mots-clés : Lupus systémique, Risque cardiovasculaire, Athérome, Signes neuropsychiatriques
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