Ne Pas Perdre le Nord - Mémoire de diplôme - Fanny H. THIBAULT

Page 1

Ne Pas Perdre Le Nord Vers un cycle vertueux d’autonomie, de solidarité et d’urbanité à Salluit, Nunavik



Fanny Thibault Mémoire de diplôme d’architecture Sous la direction de P. Dahan INSA Strasbourg Septembre 2017


Préambule Au cours de ce mémoire, je souhaite vous faire voyager dans de toutes autres latitudes, là où la nature à première vue aurait semblé hostile à la vie, au milieu de roches, de glaces et de plantes basses, là où le soleil peut disparaître des semaines durant ou bien ne plus quitter le ciel, mais où une civilisation unique, vigoureuse, résistante a vu le jour il y a près de 2000 ans. Je voudrais vous emmener chez les Inuit de Salluit, Village Nordique du Nunavik Québécois. Pour choisir le sujet de mon travail de diplôme en architecture, je me suis laissé porter par une curiosité née de longue date dans un contexte familial marqué par le Grand Nord, et auquel j’ai eu la chance d’être confrontée il y a une dizaine d’années lors d’un séjour sur la pointe sud du Groenland. Mes études en Génie Climatique et Energétique puis en architecture à l’INSA de Strasbourg ont consolidées mon intérêt pour la vie dans les extrêmes, de par la diversité des typologies de bâti vernaculaire et les contraintes auxquelles elles ont su répondre en tirant habilement parti de leurs contextes. A une époque de mondialisation où identité culturelle et changements climatiques sont aux cœur de nos préoccupations, nos regards se tournent souvent vers ces sociétés traditionnelles menacées de disparaître alors qu’elles ont tant à nous apprendre. Notamment en 2013, l’INSA a été faite partenaire du projet de recherche « Habiter le Nord Québécois » mené par l’Université de Laval au Québec, lors d’un atelier durant lequel des étudiants travaillèrent sur des propositions d’aménagement urbain, de logements ou encore d’améliorations thermiques des bâtiments pour les Inuits modernes de Salluit, tout au nord de la province. Après avoir réalisé mon mémoire de recherche de quatrième année d’architecture sur l’Habitat dans le Grand Nord, j’ai donc décidé de prolonger et d’appliquer mes observations par la conception d’un projet d’équipement public dans ce même village de Salluit.

1


La sédentarisation forcée qui a eu lieu dans les années 1960 au Nunavik a engendré en quelque génération seulement le changement du mode de vie des Inuit, la dépendance au gouvernement provincial et la perte totale de repères culturels. Répartis par le gouvernement en 14 villages nordiques le long des côtes, composés d’habitats sociaux pavillonnaires disposées sur des radiers, les Inuit vivent actuellement dans une urbanité qui s’oppose au « Land », ce territoire de toundra qui constitue leur deuxième maison, et qui n’encourage pas les pratiques communautaires et solidaires propre à leur culture. Souffrant de leur dépendance administrative et matérielle au gouvernement Canadien et Québécois, les Inuit du Nunavik ont un besoin urgent de construire une modernité qui leur est propre, composant avec leurs traditions et les nouveaux enjeux mondiaux, de s’approprier ou même transformer cette urbanité allochtone inadaptée à leur culture. Quel rôle l’architecte du sud peut-il jouer dans ce contexte ? Comment, en acteur du sud, agir en faveur d’une autonomie nordique ? Au travers de ce projet, je souhaite concevoir, tout en évitant fascination et passéisme, un lieu vecteur de solidarité et d’autonomie pour Salluit, et un programme qui réponde aux enjeux actuels de la vie moderne Inuit. Face aux défis urbains présents dans tous les villages nordiques, je souhaite proposer une démarche architecturale et constructive qui puisse être généralisée, adaptée, et qui puisse évoluer en fonction des besoins de la population locale, mais une formalisation qui réponde à un lieu physique et humain défini.

2


3


Démarche Le maintien des valeurs cultuelles traditionnelles dans un cadre de vie moderne et sédentaire étant un enjeu central, mon attention s’est portée sur l’équipement singulier du congélateur communautaire. Existant à ce jour dans presque tous les 14 villages nordiques du Nunavik sous sa forme la plus rudimentaire, c’est un petit équipement dans lesquels les chasseurs déposent une partie de leur butin pour le partager avec les membres du village. Il est un exemple de la capacité des Inuits à maintenir des institutions traditionnelles en les adaptant pour créer leur propre société moderne. Après une analyse du rôle et du fonctionnement de l’équipement, j’ai étendu mes recherches sur l’alimentation plus générale au Nunavik pour constater la pertinence d’un programme faisant interagir différentes étapes de la chaine alimentaire : production traditionnelle et expérimentale de nourriture, réutilisation de l’animal pour l’artisanat, distribution, préparation et consommation de la nourriture dans une structure collaborative et solidaire. Tout en développant les intensions globales sur la démarche que je voulais établir pour ce projet et sur les thématiques architecturales à développer, j’ai ensuite analysé le village de Salluit, pour mieux anticiper ses potentiels de développement futur et choisir une implantation. Enfin, je me suis rendue au Nunavik durant 10 jours pour rencontrer la population, échanger, observer et ressentir, valider et infirmer mes hypothèses, afin de concevoir, a terme, un projet qui réponde au mieux aux aspirations des Sallummiut et tienne compte des réalités de la vie dans cette belle vallée glacière au nord du 62° parallèle.

4


Sommaire Préambule Démarche

1

I. Contexte Culturel et Géopolitique

7

4

L’Identité Arctique L’Identité Inuit

11 19

II. Nunavik

35

Histoire Société Moderne : Ruptures et Continuités Architecture : Construire au Nunavik

42 57 77

5


III. Salluit

95

Démographie Economie et ressources Morphogénese Diagnostique urbain Un développement contrains

101 102 103 106 112

IV. Projet

115

Méthode Programme Etude d’Implantation Présentation du Site Premières intentions Formalisation architecturale

117 119 131 139 156 163

Inspirations Bibliographie Remerciements

183 189 192

6


I.

Contexte Culturel et Géopolitique L’IDENTITÉ ARCTIQUE L’IDENTITÉ INUIT

7


Ce premier chapitre a pour but de mettre en contexte le projet d’architecture à Salluit. De part le fort caractère ethnologique du projet, ce mémoire ne peut se passer de parler d’identité et d’appartenance. L’identité culturelle d’un Sallummiut se définit a plusieurs niveaux : Municipal comme membre de la communauté de Salluit, mais aussi régional, comme Nunavimmiut, car souvent sa famille se trouve répartie à travers les 14 villages nordiques du Nunavik, et ses ancêtres nomadisaient sur ce territoire vaste sans connaître de frontières. Au-delà encore, il appartient au groupe ethnique Inuit, partageant des traits culturels, linguistiques, génétiques avec l’Inuit du Groenland, de l’Alaska, et même de Tchoukotka Sibérienne. Enfin, l’Inuit est intrinsèquement un habitant du Nord, de l’Arctique, avec ses caractéristiques climatiques, son aridité, ses ressources fauniques qui ont permis a ses ancêtres de subsister dans un mode de vie et des croyances qu’il partage avec le restant des habitants de l’arctique. L’architecture vernaculaire, dans le monde entier, reflète une façon d’habiter, de croire, de penser, de vivre ensemble et avec son environnement propre à un contexte naturel et culturel donné. Les vertus de cette diversité sont à mes yeux à préserver, même dans le contexte actuel modernisé et mondialisé. Dans ce qui pourrait être à première vue une homogénéité de l’architecture contemporaine, je crois en des variations et des subtilités qui reflètent encore maintenant notre identité, notre appréhension du monde et notre culture. Il est donc important de prendre conscience des spécificités d’un mode de pensée et de l’importance qu’auront ces variations parfois infimes, à peines perceptibles, de la façon dont nous construisons, occupons, et même qualifions nos espace habités. Ce chapitre a donc pour but de comprendre la sensibilité esthétique Inuit et la logique traditionnelle de l’habitat vernaculaire.

8


9


10


L’Identité Arctique RUSSIA

AR

IC CT

A

C IR

T RC

IC

C LE

C IR

) (6 6 .5 6 °RUSSIA

C LE

(6 6 .5 6 ° )

FINLAND SWEDEN FINLAND NORWAY SWEDEN

NORTH POLE

NORWAY NORTH POLE

ICELAND GREENLAND (DENMARK)

ALASKA (USA)

ICELAND GREENLAND (DENMARK)

ALASKA (USA)

Salluit Salluit

CANADA CANADA

Permafrost Limite des arbres

Permafrost

10 ˚C Isotherme

Limite des arbres

Calotte Glacière 2012 10 ˚C Isotherme

Calotte Glacière 2002

Calotte Glacière 2012

Routes Maritimes

Calotte Glacière 2002 Routes Maritimes

11


« Face aux vicissitudes du climat et aux aléas de l’histoire, l’avenir des peuples circumarctiques dépend très largement de leur capacité à trouver des points de jonction entre tradition et transition » M-F. ANDRE, Le Monde Polaire – Mutations et Transitions

12


UN CLIMAT, DONC DES RESSOURCES Le terme « Grand Nord » désigne une vaste région qui a longtemps nourri dans l’esprit des populations « du sud » une image d’un imaginaire, inconnu, riche en espaces vastes et déserts, en steppes, en lumières boréales froides, en quotidiens autochtones exotiques. En réalité le Grand Nord se défini tout d’abord astronomiquement par la limite du cercle polaire arctique au 66°33’, le caractérisant ainsi par l’incidence des rayons solaires et par conséquent par un bilan énergétique déficitaire. Une deuxième limite de l’arctique, plus évolutive, est basée sur l’isotherme de la température maximale de 10°C au mois le plus chaud, nommé « Ligne de Köppen ». Cette définition, migrante en raison du réchauffement climatique, coïncide à peu près avec la limite de la forêt boréale, qui marque la transition des peuplements forestiers continus de la Taïga au paysage de la Toundra. Du fait d’un climat très sec et très froid, le Grand Nord est donc caractérisé par une faune basse constituée d’arbustes dans le bas arctique, et uniquement d’herbes et de lichens dans le haut arctique. Les paysages sont constitués de glaces, roches et d’étendues vertes.

13


ENTRE NUIT POLAIRE ET SOLEIL DE MINUIT De part les latitudes hautes, dans le nord, « été » est équivalent à « jour », et le mot « hiver » est indissociable de « nuit ». Ainsi, au long de l’année, le paysage, le climat, le territoire, se déclinent en deux scénarios contrastés. Le contexte a deux visages, qui ne s’alternent non pas chaque jour mais tous les six mois.

DES RESSOURCES, DONC UN HABITAT Une caractéristique principale de la vie dans le Grand Nord est donc la subsistance dans un climat aride, avec pour ressource principale la faune marine et terrestre : phoques, baleines, narvals, poissons, fruits de mer d’une part, rennes, caribous, ours polaires, oiseaux, loups d’autre part. L’animal est au cœur des civilisations nordiques. Afin de suivre les déplacements des troupeaux de gibier ou les migrations d’animaux marins, elles ont adopté un mode de vie nomade ou semi-nomade, transhumant selon la disponibilité saisonnière des ressources. Les habitations avaient alors, comme le paysage, deux visages : d’hiver et d’été, de nuit ou de jour.

14


15


16


DU NOMADISME A LA SEDENTARITE En ce début de 21ème siècle, rare sont les peuples autochtones qui vivent encore dans le nomadisme et les pratiques traditionnelles. Une fois découverts par les explorateurs « du sud », se sont succédé au fil des derniers siècles des périodes de trocs et échanges de biens, missionnaires, politiques coloniales, revendications territoriales… Et ce, aussi bien en Laponie, Sibérie, au Groenland, en Alaska qu’au nord du Canada. Tous vécurent ainsi un processus de transition assez rapide de leur mode de vie autochtone à un accès aux technologies modernes et à une sédentarisation souvent forcée. Sur les 4 000 000 habitants de l’Arctique, 80% vivent désormais en zones « urbaines ». Ces populations se sont vu imposer des modèles de bâti mais aussi plus généralement de sociétés allochtones en l’espace d’une génération, et les politiques menées par le passé, qu’on peut qualifier de colonialistes, ont eu tendance à dévaloriser la culture autochtone, jugée primitive. Les peuples circumarctiques partagent aujourd’hui leur histoire récente d’assimilation et des enjeux géopolitiques qui, après une longue existence en marge, les placent au sein de la diplomatie mondiale (changements climatiques qui ouvrent de nouvelles routes maritimes, gisements énergétiques,…). Ces dernières décennies, une dynamique d’auto-gouvernance, du nord par le nord, a commencé à prendre place. Des institutions se sont formées entre les populations autochtones à travers l’arctique pour faire face aux gouvernements du sud et protéger leurs droits. Me préoccuper en premier abord des habitats traditionnels à travers tout le Grand-Nord et des transitions de mode de vie, m’a peut-être sensibilisée particulièrement aux processus violents qu’ont vécu l’ensemble des peuples autochtones nordiques, et donc à la nécessité qu’ont les architectes aujourd’hui d’aider les municipalités de façon adaptée dans la réalisation de leurs projets.

17


18


L’Identité Inuit Ce chapitre a pour but de donner un aperçu de la culture Inuit, pour appréhender au mieux la perception des espaces et de la vie en communauté, afin d’apprendre de l’histoire et de concevoir un projet qui intègre les spécificités culturelles des usagers.

ORIGINE Autour de 200 après J.C, les Thules sont apparus aux côtés des groupes ethniques d’Alaska et de Sibérie nommés Punuk et Birnik. Leurs connaissances technologiques et leurs savoirfaire (parmi lesquels les kayaks et umiaks pour la chasse en eau ouverte, les harpons flotteurs, les traîneaux tractés par le chiens, les lunettes en os, les couteaux à neige...) leur ont permis de migrer hors de l’Alaska. Ils sont les ancêtres du peuple Inuit qui migra au fil des siècles à travers l’arctique américain, le Groenland, le nord-est de la Sibérie. La majorité des autres peuple autochtones circumpolaires se situent sur le continent Asiatique, dans le Grand Nord sibérien mais certains, comme les Tchouktches, ont interagi avec le peuple Inuit de part et d’autre du Détroit de Béring. Les Inuit sont un donc groupe ethnique partageant des similarités culturelles et linguistiques communes. Ils sont aujourd’hui au nombre de 150 000, répartis à travers l’arctique, au Groenland, en Amérique et en Russie.

19


20


CROYANCES ET PERCEPTIONS Le mouvement perpétuel des peuples nomades et l’hostilité du territoire induit un rapport à l’imprévu et au temps très différent du nôtre, nécessitant d’être toujours dans l’instant, dans la rigueur et dans l’efficacité. L’importance des détails est une réelle philosophie. La flexibilité, la souplesse, d’adaptabilité se retranscrivent des technique constructives des habitats jusqu’aux modes de pensée.

21


UN TERRITOIRE QUI PENSE ET VIT La perception nordique du temps, de l’espace, du territoire, est en lien étroit avec les croyances animistes et chamanistes, où souvent des formes d’esprits ou autres présences immatérielles possèdent la mainmise sur les forces de la nature et le destin des êtres vivants de la toundra.

« Un chasseur la vit et courut à son village, criant « Grands esprits, aidez-nous ! » L’eau s’écrasa sur la baie tandis que la créature émergea des profondeurs. Et puis, la terre devint noire, avalant la créature »

gravure de Tivi Etok, 1975

22


UN TERRITOIRE INFINI QUI N’APPARTIENT A PERSONNE L’inuit ne possède pas la terre, mais doit plutôt contribuer à l’équilibre naturel des choses qui l’entourent : la sagesse inuit est de garder la « bonne distance » pour ne pas troubler l’ordre cosmique ou social. L’habitat du nord fait partie d’un tout. Il ne possède pas le territoire qu’il habite puisque celui-ci n’est pas investi de façon permanente. Cette absence culturelle de la propriété du sol se ressent aujourd’hui dans les villes sédentaires du nord, dans la manière qu’ont les habitants de pratiquer l’espace urbain, les interstices, dans le lien entre paysage bâti et territoire naturel. Les rassemblements d’individus sous forme de villes ou villages sont une notion qui ne s’applique pas aux modes de vie nomades. Les regroupements d’habitation sont de géométrie peu définie, de taille variable, et ne possèdent pas de forme structurante ou d’espaces publics. Le caractère éphémère permet de retranscrire directement les phénomènes de rapprochement et de dissociation sociale par l’ajout ou la suppression d’une unité de logement.

23


L’unité territoriale des nomades n’est donc pas la commune mais l’établissement, ou « settlement » comme l’ethnologue Marcel Mauss l’a décrit dans son essai sur les Variations saisonnières des Eskimo. Il s’agit de groupements de familles étendues ou nucléaires qui occupent de façon irrégulière dans le temps et l’espace un domaine. L’établissement est constitué à la fois des habitations et des sentiers et ports qui y amènent. Il a un nom, des frontières mentales, une unité linguistique, morale et religieuse.

24


ECONOMIE TRADITIONNELLE

« Les régions arctiques sont caractérisées par un climat rigoureux, une végétation clairsemée et des ressources alimentaires essentiellement animales. Capital pour les sociétés traditionnelles de l’Arctique, l’animal est donc abondamment exploité pour sa chair, sa peau, ses os, ses dents et, quand il en possède, ses bois, ses cornes ou ses fanons. »

CULTURE DE L’OPTIMISATION

Claire Houmard, 2015

FLOTTEURS, KAYAKS CHASSE, PÊCHE, TRAPPAGE

VÊTEMENTS, TISSUS

VIANDE, GRAISSE NOURRITURE AIGUILLES, PERLES, OUTILS PEAUX, FOURRURES

25


Traditionnellement, les Inuits n’ont pas une culture du gaspillage. Dans un environnement où les ressources naturelles sont si rares, rien ne se perd, rien ne se jette, tout s’utilise. Ainsi, toutes les parties de l’animal chassé sont exploitées : les muscles, la graisse, les organes, le sang pour la nourriture, mais aussi les os, pour fabriquer outils, harpons, aiguilles, ou perles d’ornement, les tendons, utilisés comme fils et cordages, la peau et fourrure pour les vêtements, les tentes et les kayaks, les intestins pour fermer la petite ouverture disposée au dessus du couloir d’entrée de l’igloo, etc. Les phoques étaient même vidés entièrement, puis gonflés pour fabriquer des flotteurs, nommé « Avataq », utilisés pour repérer l’animal touché au harpon dans l’eau. Les thuléens, ancêtres des Inuit, utilisaient les os de baleine comme structure pour leurs maisons semi-enterrées, couvertes ensuite de peaux, de tourbe et de pierre. Cette utilisation totale de la matière constitue un cycle vertueux, la chasse permettant ainsi non seulement de subsister mais aussi s’équiper pour la chasse future.

26


CULTURE DU DON ET DE LA RECIPROCITE Les groupes Inuit étaient composés généralement de plusieurs familles. Peu nombreux sur un territoire vaste, un réseau existait entre groupes, pour éviter la consanguinité et pour former des réseaux de chasse et s’entre-aider en fonction de la nourriture disponible dans la région. Encore aujourd’hui, lorsque la chasse a été fructueuse, les butins sont partagés, de même lorsque certaines personnes sont dans le besoin, comme les aînés ou les veuves, elles bénéficient en priorité de l’aide des membres de la communauté. Cette forme de solidarité est profondément ancrée dans la culture Inuit et la différencie des sociétés « à contrat » occidentales. Elle se caractérise aussi par l’absence de réciprocité directe entre la personne qui donne et celle qui reçoit :

« Le don n’est pas nécessairement retourné à celui qui l’a donné mais à tout membre de la communauté. Le don n’engage donc pas deux personnes l’une vis-à-vis de l’autre mais engage toute la communauté » Thibault Martin, Modernité Réflexive au Nunavik

Aujourd’hui, les Inuit témoignent de leur volonté de perpétuer l’esprit de communauté, par opposition à l’individualisme qui a été importé du sud au travers, notamment, de la typologie urbaine et domestique.

27


HABITATS VERNACULAIRES Dépendant principalement de la chasse et de la pêche, ainsi que de la cueillette en été, les Inuits nomadisaient plusieurs fois par an, vivant en établissements constitués de tentes de peaux éparpillées en été, nommé Tupik, et d’igloos de neige agglomérés en hiver. Le patrimoine culturel est donc, pour les autochtones nomades, plus intellectuel que matériel. Si nous, au sud, avons des marqueurs forts des différentes époques de notre culture – ruines, quartiers médiévaux, patrimoine industriel, moderniste – à réinterpréter et réinvestir, il ne reste en revanche pour les nomades presque aucune trace matérielle de leur mode de vie passé s’ils cessent à un moment donné de monter et démonter leurs habitats éphémères.

HABITAT D’ETE Le Tupik est une tente composée de perches disposées en forme de cône et sur lesquelles sont placées des peaux, généralement de caribou, ou éventuellement de phoque selon la région. Elles sont tendues par des poids à leur base. Les peaux sont parfois cousues ensemble, et le nombre de couches décuplé si besoin pour augmenter l’isolation, ce à quoi contribuent aussi les poches d’air ainsi formées entre les peaux. Des peaux fines et tannées ou des intestins sont utilisés pour leur translucidité pour laisser entrer la lumière dans l’habitat. Il n’y a pas d’ouverture à la jonction haute des perches, et l’entrée pout être rendue hermétiquement close. Disposés selon la topographie, dans les creux de vallons, les tupiks s’intégraient parfaitement au paysage rocheux.

28


29


HABITAT D’HIVER La maison de neige ou igloo est une formidable illustration de l’adaptabilité de la population à un territoire à première vue sans ressources matérielles. L’utilisation de la neige lui permet de ne porter aucun matériau de construction lorsqu’elle nomadise. Notons que le terme « Igloo » veut en réalité dire « habitat » en inuktitut et ne se limite donc pas étymologiquement à la maison de neige. L’entrée se fait par un long couloir qui débouche par une ouverture semi-souterraine. La pièce centrale de l’igloo est un dôme de 3,5 à 6m de diamètre, qui accueille une famille étendue. Le tunnel d’entrée comprend deux ou trois plus petits dômes pour le stockage. Une fenêtre est souvent intégrée au dessus de l’entrée, fermée par une couture d’intestin de phoque ou un morceau de glace fraîche. Deux personnes pouvaient en quelques heures construire cette structure autoporteuse, efficience thermiquement, assez grande pour abriter une famille entière. La répartition des tâches est précise ; les hommes coupant et plaçant les blocs tandis que les femmes pelletaient la neige pour recouvrir la structure. On note des variations de taille et de complexité spatiale en fonction de conditions économiques, sociales et environnementales du groupe ethnique. Dans toutes ces variantes, plus où moins complexes, les constructions d’hiver étaient parfaitement adaptées à la taille de la famille, ne laissant pas d’espace vide, tout lieu y était fonctionnel ou attribué à un occupant.

30


Geraldine Moodie Fullerton Harbour, Nunavut, August 1906

31


ESPACE DOMESTIQUE Pour l’igloo comme pour la tente le lieu de vie est une pièce unique, organisé autour de la ou des lampes. Au fond, une plate-forme sert de couchage à la famille, recouverte de peaux, éventuellement compartimentée pour définir des « cellules » pour les individus. Aucune cloison n’isole la famille des éventuels hôtes qui entreraient dans l’espace domestique. La continuité sensorielle avec l’extérieur est marquée, surtout pour la tente d’été. Le rapport est si étroit entre la famille et la tente que la structure de l’une se modèle sur la structure de l’autre.

32


ESPACE « PUBLIC » Les igloos d’hiver n’étaient pas des habitats isolés mais possédaient au contraire souvent un rapport direct à un ensemble d’autres unités d’habitation. Elles pouvaient se voir liées ensembles en une même structure « composite » : plusieurs dômes, habités souvent par une même famille étendue, étaient reliés par des tunnels commun ou des parois attenantes. Les dômes annexes évoqués plus haut pour le stockage ou comme maison de chiens, pouvaient alors être partagés entre les différentes familles ou avoir un usage de salles de festivités, accueillant des activités communautaires comme des événements de danse, musique et jeux.

Fig. 1. Copper Inuit Snow House. The names on each sleeping platform refer to family members occupying the house at the time it was documented by Jenness. ‘‘A

four-roomed dwelling with a dance house’’, from The life of the Copper Eskimo: Report of the Canadian Arctic Expedition 1913–1918, by Diamond Jenness, 1922, fig. 20, p. 75. Canadian Museum of Civilization.

33


34


II. Nunavik GÉOGRAPHIE HISTOIRE SOCIÉTÉ MODERNE : RUPTURES ET CONTINUITÉS ARCHITECTURE : CONSTRUIRE AU NUNAVIK

35


ᓄᓇᕕᒃ “la terre où nous sommes arrivés”

36


Le Nunavik est un territoire Québécois de plus de 500 000 km² situé au nord du 55ème parallèle. 13 000 habitants, dont 90% sont d’appartenance Inuit, y vivent répartis dans 14 municipalités nordiques dont la capitale est Kuujjuaq. Il n’existe pas de transport routier entre les différents villages : les déplacements se font généralement par avion, et par bateau le long de la côte lorsque les glaces le permettent. Si le Nunavik est occupé depuis plus de 800 ans par les communautés Inuit, l’existence de frontières administratives et une gouvernance régionale nous font entrer dans la dimension contemporaine de la vie des Inuit, par opposition à la culture traditionnelle que nous avons présentée dans le chapitre précédent. Ce chapitre fait donc état de la transition du quotidien nomade au quotidien sédentaire des communautés Inuit du nord Québécois, marqué par de forts enjeux urbains et architecturaux.

37


°

55

NUNAVIK

PROVINCE DU QUEBEC

Québec Ottawa

Montréal

38


CARACTERISTIQUES GEOGRAPHIQUES Le climat du Nunavik est aride, froid, avec des hivers pouvant durer jusqu’à huit mois, de début octobre à fin avril. Avec seulement une à deux heures d’ensoleillement en moyenne pour des journées courtes de 5h au minimum, les températures descendent souvent à -30°C, parfois jusqu’à -40°C. La neige peut s’accumuler jusqu’à 2.5m, mais la morphologie et la végétation du territoire le rendent particulièrement vulnérable aux vents pouvant atteindre 140 km/h, tassant alors souvent la neige en une fine couche très compacte et formant par endroit des congères importantes. Les blizzards sont fréquents. Vers mai, les glaces dégèlent et la neige fond, laissant place à quelques mois d’été où les températures atteignent jusqu’à une quinzaine de degrés Celsius et les journées s’allongent à plus de 20 heures au maximum. 25 20 15 10 5 0 -5 -10 -15 -20 -25 -30

39


Encore constituée de forêts au sud, la végétation se fait de plus en plus rare au fur et à mesure qu’on remonte vers le nord, passant de la toundra forestière à la Toundra arctique arbustive puis finalement, à l’extrême Nord, à la Toundra arctique herbacée. On peut faire la corrélation entre la limite des arbres et les caractéristiques des sols du territoire : elle correspond en effet au passage d’un pergélisol sporadique à un pergélisol continu. Le pergélisol (ou permafrost) est une couche de sol ou de roche dont la température reste inférieure à 0 °C pendant au moins deux ans consécutifs. Son épaisseur peut varier selon les changements climatiques ou les perturbations de la surface.

Températures moyennes mensuelles Strasbourg Québec Kuujjuaq Salluit

40


Répartition de la végétation et du pergélisol au Nunavik

TOUNDRA ARCTIQUE HERBACÉE TOUNDRA ARCTIQUE HERBACÉE

TOUNDRA ARCTIQUE ARBUSTIVE TOUNDRA ARCTIQUE ARBUSTIVE

TOUNDRA FORESTIÈRE TOUNDRA FORESTIÈRE LIMITE DES ARBRES LIMITE DES ARBRES

PESSIÈRE À LICHENS PESSIÈRE À LICHENS

PERGÉLISOL CONTINU (90-100%) PERGÉLISOL CONTINU (90-100%)

PERGÉLISOL DISCONTINU ÉTENDU (50-90%) PERGÉLISOL DISCONTINU ÉTENDU (50-90%) PERGÉLISOL DISCONTINU SPORADIQUE (10-50%) PERGÉLISOL DISCONTINU SPORADIQUE (10-50%)

ILÔLS DE PERGÉLISOL (0-10%) ILÔLS DE PERGÉLISOL (0-10%)

41

FOSSE DE L’UNG FOSSE DE L’UNG


Histoire Les premiers peuplements d’Amérique ont vu le jour il y a 10000 ans environ, lors de la première migration venue d’Asie par le Détroit de Béring. S’étant alors principalement déplacées vers le sud pour former les peuples Amérindiens, le nord-est du continent fut occupé seulement il y a 6000 ans, après le recul des glaciers, permettant une migration vers le Groenland. La première vague d’occupation de ce qui est aujourd’hui le territoire du Nunavik a eu lieu il y a 4000 ans, issue d’une nouvelle migration depuis la Sibérie. Il s’agit des Paléo-esquimaux, qui s’éteignirent toutefois et auxquels se succédèrent le peuple dorsétien, qui disparu lui aussi autour de l’an mille, laissant place aux peuples Thuléens aussi nommés Néo-esquimaux, qui sont les ancêtres directs des Inuit. Disposant de technologies plus avancées, les Thuléens purent subsister dans les conditions climatiques extrêmes, et laissèrent des traces d’habitats semisédentaires caractérisées par l’utilisation de la pierre et d’os de baleine, dont les plus anciens remontent à l’an 1200 environ. Ces différentes vagues migratoires donnèrent naissance à des ethnies autochtones variées. La population amérindienne du Canada est aujourd’hui de 700 000, dont 11 000 sont d’appartenance Inuit.

42


DES PREMIERS CONTACTS A LA SEDENTARITE C’est à a fin du 17ème siècle qu’ont lieu les premiers contacts entre les Inuit et les européens, tout d’abord lors de séjours ponctuels d’explorateurs Quallunaat (mot définissant les hommes blancs du sud), puis de baleiniers et pêcheries commerciales. Peu à peu les Inuit ont accès à des produits importés tels que des armes, qui facilitent les pratiques de chasse et de pêche. Le premier poste de traite de fourrure géré par la Compagnie de la Baie d’Hudson est créé en 1829 à Kuujjuaraapik. Avec l’arrivée des missionnaires et des administrations, l’influence de la culture Quallunaat se confirme et la politique coloniale prend place. La dynamique des campements et les pratiques de chasse se voient peu à peu affectées par les échanges commerciaux, et au fur et à mesure, certains groupes se rapprochent de ces postes, deviennent interlocuteurs des négociations, les dépendances s’accentuent, notamment aux services de santé. Les comptoirs de la Compagnie de la Baie d’Hudson prennent de l’ampleur et leur emplacement est choisi pour leur accessibilité d’une part, mais aussi stratégiquement de sorte à assoir la souveraineté du gouvernement fédéral qui y installe infrastructures de communication et de police. Ces sites deviendront les futures municipalités nordiques du Nunavik.

43


44


Le milieu du 20ème siècle marque un tournant dans les politiques menées. Favorisant jusqu’alors l’autosuffisance et la culture traditionnelle, le gouvernement opte pour la sédentarisation et l’assimilation. Il entreprend le déplacement massif des Inuits, notamment en abattant leurs chiens de traîneaux, l’école devient obligatoire et le langage inuit, l’Inuktitut, est fortement dévalorisé. Cette période de scolarisation en internat marque encore aujourd’hui l’esprit des Nunavimmiut, et constitue la rupture la plus forte avec le passé.

45


Vers la fin des années cinquante, les villages sont constitués d’un mélange entre bâtiments en dur Quallunaat : magasins, églises, administrations, écoles, résidences des employés du sud ; et de groupements d’habitations inuit : vernaculaire, mais aussi cabanes de bois, construites avec les matériaux disponibles. Le début de la sédentarisation est donc initié en partie par les Inuit, puis encouragé par le gouvernement. Des projets de construction de logements à grande échelle sont en effet menés dès 1959. Le premier programme souhaite encourager l’accès à la propriété privée, le gouvernement donnant des subventions pour l’achat de maisons. En 1965, le Programme d’Habitation Locative Esquimau est adopté : 500 maisons de trois chambres à coucher sont construites au Nunavik, 1600 au total dans l’Arctique canadien. Durant toute la période de sédentarisation, il existe des traitements différenciés entre habitants Inuit et employés du gouvernement qui viennent du sud. Ceux-ci bénéficient de logements plus grands, de meilleure qualité, avec des infrastructures d’eau courante. Pour les Inuit, les habitats sont des modules préfabriqués, très rudimentaires au départ, souffrant de manque d’isolation, d’étanchéité, puis s’étoffant au fur et à mesure pour s’adapter techniquement aux conditions nordiques : toujours basés sur le modèle de maison de banlieue américaine, il s’agit jusqu’à aujourd’hui de maisons sur pilotis, individuelles ou jumelées, disposées en bande à une certaine distance les unes des aux autres. Cette typologie architecturale et urbaine est bien sur inappropriée aux Inuit qui n’ont pas été consultés à propos de leurs besoins ; le savoir-faire local concernant la conception du logement, les matériaux utilisés ou encore le mobilier ont été exclus du processus.

46


PREMIERS TRAITES D’INDEPENDANCE ET NAISSANCE D’UN GOUVERNEMENT LOCAL Les services communautaires offerts à cette époque étaient peu développés et ils étaient administrés par l’État, principalement le gouvernement fédéral, mais aussi, à compter des années 1960, par le gouvernement du Québec. La participation des populations locales à l’administration de ces services a débuté au cours des années 1970. Toutefois, la création d’entreprises coopératives Inuits à compter des années 1960 témoignait déjà d’une volonté de prise en charge dans les communautés : La Fédération des Coopératives du Nouveau-Québec, FCNQ, a été fondée en 1967 afin de fournir au mouvement coopératif en rapide croissance les pouvoirs et services nécessaires à la population et travailler pour l’essor collectif. Un jalon fondamental du retrait du gouvernement du Canada sur le territoire est la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois (CBJNQ) en 1975, qui libérait les Inuit et les Cris du Québec de la juridiction de la controversée loi Canadienne sur les indiens et leur donnait certains outils économiques et politiques pour se développer. La convention définit des catégories de terres aux environs des villages (catégorie I et II) sur lesquelles les Inuits bénéficient de droits spéciaux sur les ressources minières, la propriété foncière, l’aménagement du territoire, le chasse et la pêche et la protection de l’environnement. En contrepartie, les droits sont abandonnés au profit du gouvernement québécois sur les terres de catégorie III, grande majorité du territoire, qui peut ainsi y développer les grands projets hydro-électriques qui constituent encore aujourd’hui une source majeure d’approvisionnement du sud.

47


Des indemnités importantes sont versées aux Inuit et les entités administratives spécifiques, relevant du gouvernement du Québec, sont crées : L’Administration régionale Kativik, la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, la Commission Scolaire Kativik, et la société Makivik. Tous ces organismes sont gérés par des Inuit et constituent jusqu’à ce jour un réseau complexe de gouvernance locale qu’il faut décrypter pour comprendre les processus de construction au Nunavik.

48


LA SOCIETE MAKIVIK - ᒪᑭᕝᕕᒃ Makivik, qui en inuktitut signifie « s’élever », s’occupe du développement social et économique. Son mandat est : • • • •

De recevoir, administrer, distribuer et investir l’indemnité pécuniaire destinée aux Inuit, conformément aux dispositions de la CBJNQ, Lutter contre la pauvreté et promouvoir le bien-être, le progrès et l’éducation des Inuit; Encourager, promouvoir et protéger le mode de vie, les valeurs et les traditions des Inuit, ainsi que contribuer à leur préservation; Développer les communautés inuit et améliorer leurs moyens d’action

La division Construction de la Société Makivik a la responsabilité de la construction de logements sociaux, de la gestion et de l’entretien de ces logements par le biais de l’Office Municipal d’habitation Kativik (OMHK) et de la Société d’habitation du Québec (SHQ). L’OMHK fut fondée en 1998 suite à une entente entre Kativik et le gouvernement provincial, qui marqua la responsabilisation des Inuit dans la gestion des programmes d’habitation et du parc de logements sociaux.

49


SOCIETE D’HABITATION DU QUEBEC (SHQ) : La SHQ, principal organisme gouvernemental responsable de l’habitation sur le territoire québécois, a été créée en juin 1967. Lorsque la compétence en termes de logement au Nunavik a été transférée du gouvernement fédéral Canadien au gouvernement québécois en 1981, la SHQ est devenue propriétaire des logements existants et responsable de la création, la rénovation et de la construction de logements sociaux dans les villages du Nunavik. Les loyers seuls ne suffisant pas à couvrir les frais d’exploitation, c’est la SHQ qui paye la différence. Le financement de la construction de nouveaux logements sociaux au Nunavik ainsi que du déficit d’exploitation de ce parc de logement se partage désormais entre le gouvernement fédéral du Canada (60%) et le gouvernement provincial du Québec (40%) via la SHQ. la SHQ étend son rôle jusqu’à l’élaboration de standards d’efficacité énergétique et à la conception de systèmes constructifs adaptés, dans les limites d’un programme d’aide sociale. Ces standards et méthodes de construction ont contribué à produire l’image actuelle des villages du Nunavik, les diverses typologies de logement étant toutes affublées des mêmes matériaux et présentant tous le même degré d’esthétisme architectural. L’OMHK et la SHQ sont donc les premiers interlocuteurs et décisionnaires Inuit dans les projets de construction.

50


L’ADMINISTRATION REGIONALE KATIVIK (ARK, KRG) L’administration régionale Kativik (ARK) a été créée en 1978, suivant la signature de la convention, dans le but d’offrir des services publics aux Nunavimmiuts. Les Inuits ont opté pour un régime de nature municipale dirigé sur une base non ethnique. Cette gouvernance s’articule autour de deux paliers : les villages nordiques, au niveau local et l’ARK au niveau supra-local. La plupart des responsabilités de l’ARK sont définies dans la Loi sur les villages nordiques et l’Administration régionale Kativik (Loi Kativik). Elle possède les compétences d’une municipalité locale sur le territoire en dehors des villages nordiques, de même que certaines compétences dans les villages nordiques, comme la police, le transport et la salubrité des bâtiments. L’ARK fournit des services de soutien, de gestion et d’assistance technique dans des domaines tels que l’environnement, l’aménagement du territoire, l’administration publique etc.. Le gouvernement du Nunavik est territorial et non ethnique. Il doit respecter les cadres législatifs québécois et canadien. En 1999 a été crée la Commission du Nunavik, en charge de proposer une forme gouvernementale au Nunavik. En mai 2011, le Premier ministre Jean Charest annonce son « Plan Nord ». Ce plan, d’une durée de 25 ans, prévoit « de développer le territoire nordique dans le respect des communautés, de promouvoir le développement durable, tout en agissant de façon socialement responsable ». Mais 66% des électeurs Inuit ont voté contre l’entente de principe d’un futur gouvernement régional au Nunavik.

51


LES VILLAGES NORDIQUES Douze des treize communautés Inuits existant à l’époque de la signature de la CBJNQ, dont Salluit, ont été constituées en municipalités entre 1979 et 1981. Puvirnituq fut instituée en tant que municipalité en 1989, et Umiujaq, créée à même la population de Kuujjuarapik, a été instituée en tant que municipalité en 1986. Les villages nordiques ont essentiellement les mêmes pouvoirs et compétences que les autres municipalités du Québec : fourniture des services tels l’approvisionnement en eau potable, la collecte et le traitement des eaux usées, la collecte des déchets, les loisirs et la culture, l’aménagement, etc. Toutefois des spécificités existent en ce qui concerne le régime foncier : le régime fiscal ne repose pas sur la taxe foncière, mais plutôt sur un système de tarification des services (eau potable et eaux usées, déchets, administration générale) qui met en relation la taille et la vocation des bâtiments et la consommation des services. Les villages nordiques sont généralement établis sur des terres de catégorie I qui appartiennent collectivement aux Inuits. Il n’y a pas de marché foncier et la plus grande partie du parc immobilier est constituée de logements sociaux, de résidences pour les employés affectés aux services gouvernementaux, notamment de santé et d’éducation, d’édifices publics, ainsi que des immeubles appartenant à l’ARK et à des sociétés et institutions du Nunavik pour leurs fonctions respectives.

52


LES CORPORATIONS FONCIERES Les corporations foncières sont des organismes ethniques, c’est à dire qu’elles ont pour rôle de soutenir spécifiquement les droits de la population Inuit, contrairement aux municipalités et à l’ARK qui ont à charge la gestion du territoire du Nunavik ou des villages dans leur globalité, habitants originaires du sud compris. Les corporations gèrent directement l’aménagement et les droits du territoire, la création des plans d’aménagement des villages, la préparation technique et logistique des projets de construction, aident aussi le village pour les permis de construire et reçoivent les redevances des exploitations minières qu’elles redistribuent ensuite aux Inuit et investissent dans des projets de construction publique.

Résumé : Civilisations et organismes présents sur le territoire du Nunavik depuis l’an 1000

53


CONCLUSION Après une longue période de domination politique du gouvernement Canadien puis du gouvernement provincial québécois, le pouvoir est donc graduellement passé dans les mains autochtones à travers la création de nombreuses entités administratives Inuit. Les responsabilités concernant le parc immobilier, composé de nombreux logements sociaux et de bâtiments publics, s’est répartie en plusieurs sous-entités rendant les processus de financement et de décision complexes à appréhender. Aujourd’hui, le gouvernement fédéral et provincial, la société Makivik et de l’OMHK, de l’ARK, de la SHQ et des municipalités et corporations foncières locales interagissent et se complètent, dans le but de pallier aux problèmes de surpopulation, aux besoins d’équipement publique et aux enjeux de développement urbains.

54


55


56


Société Moderne : Ruptures et Continuités

Les quatorze villages nordiques qui constituent aujourd’hui la vie “urbaine” du Nunavik, par opposition à la multitude de groupements familiaux d’autrefois, se sont donc formés sous l’impulsion du gouvernement Canadien et Québécois. D’échelle très variable, ils rassemblent de 200 à plus de 2500 habitants.

57


Le passage d’un modèle traditionnel à un modèle allochtone s’est effectué rapidement, en quelques générations seulement. Le temps des igloos et des traineaux de chiens est aujourd’hui définitivement révolu. La ville sédentaire est née au milieu du territoire vaste et les espaces intérieurs s’opposent aux valeurs et activités traditionnelles. Les habitants se déplacent en motoneige, consomment des produits importés du sud par avion ou par bateau, car aucune route n’y mène. Pour nourrir ce projet, je me suis intéressée aux phénomènes de ruptures et continuités qu’ont vécues les Inuit, d’une part sur le plan social, économique et cultuel et d’autre part en termes d’architecture et d’urbanisme.

58


DÉMOGRAPHIE

Nunavik

Québec

France

507 000 km²

1 356 547 km²

672 369 km²

12 324 Habitants

7 903 001 Habitants

67 595 000 Habitants

0,024 Habitants/km²

5,83 Habitants/km²

100,5 Habitants/km²

L’indice de fécondité très important des communautés inuit entraîne une croissance beaucoup plus rapide de sa population que celle de l’ensemble du Québec. En effet, la population du Nunavik est passée de 5 860 habitants en 1986 à 12 324 en 2014, et le taux de croissance continue encore d’augmenter.

59


013

INFORMATIONS G AGE

Nunavik

MORTALITÉ PAR S

Québec

85-89 80-84 75-79 70-74 65-69 60-64 55-59 50-54 45-49 40-44 35-39 30-34 25-29 20-24 15-19

15% 10 5

5-9 0-4 15

10

5

0

5

10

15 %

La pyramide des âges de la population du Nunavik est très différente de celle de la moyenne québécoise : une population très jeune et peu de personnes âgées. En 2011, l’âge médian de la population du Nunavik est de 22,8 ans, soit environ la moitié de celui de la province qui est de 41,5 ans. Toutefois, le groupe d’âge des 65 ans et plus ne cesse de gagner en importance, sans doute en raison de la hausse de l’espérance de vie. Malgré tout, la jeune population inuite crée une grande demande de services, que ce soit en ce qui concerne les logements, l’éducation et les soins de santé pour les familles avec enfants ou encore la formation professionnelle. Cette dernière est sollicitée à la fois pour un investissement futur dans l’économie inuite traditionnelle, mais aussi pour une formation contemporaine. 60

Nunavik

Québ


TROUBLE SOCIAUX ET REVENDICATIONS CULTURELLES

Nunavik Québec

« Or, quand la famille se réduit, quand les solidarités se disloquent, que reste-t-il ? Voilà le nouveau paradoxe. Si l’occidentalisation favorise l’individualisme au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire l’autonomie individuelle et la prise de responsabilité personnelle, elle développe en même temps l’égocentrisme, l’égoïsme, ainsi que la dégradation des solidarités traditionnelles. » Edgar Morin, dans « Le Monde n’a plus de temps à perdre »

61


Depuis leur sédentarisation, les Nunavimmiuts, comme les autres peuples du Nord, font face à des phénomènes de société inquiétants. Taux de suicide parmi les plus hauts du monde, dépendances à l’alcool et aux drogues, précarité, décrochage scolaire sont autant de phénomènes préoccupants. Même si l’espérance de vie a augmenté ces dernières décennies, elle reste toutefois plus faible que dans le reste du Québec. Les autres facteurs augmentant le taux de mortalité sont généralement liés aux conditions de vie rude, l’absence de structure de santé, l’hostilité de l’environnement… On peut tenter d’expliquer ce mal être, aussi profond que répendu, par le tiraillement des nouvelles générations entre deux mondes, développement et déstructuration, soutient et destruction, défense et exploitation. Avec une sédentarisation qui a eu lieu il y a soixante ans environ, les personnes qui ont connu ou sont nées dans les igloos et tentes se font de plus en plus rares. Les Inuits du Nunavik sont donc dans une période décisive dans la transmission de leur culture. La nouvelle génération est née dans les villages, utilise les moyens de communication des jeunes du reste du monde, mange la nourriture du sud, s’habille à la mode… Mais la fierté culturelle se ressent, ainsi que la volonté, surtout auprès des parents, de perpétuer les pratiques de chasse, d’artisanat, d’art pour ne pas les faire sombrer dans l’oubli. Il est donc important aujourd’hui de créer les lieux favorisant le partage des savoirs et la transmission intergénérationnelle. Trouble sociaux, surpopulation, ces lieux se doivent d’être aussi des supports de refuge et de solidarité. De nombreux équipements autour de la famille, de l’aide aux femmes, des jeunes, de réhabilitation des personnes à problèmes d’addiction, voient le jour où sont demandés par la population dans les villages.

62


DE L’ÉCONOMIE TRADITIONNELLE À L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ La transition de mode de vie s’est aussi traduite par une modification de l’économie, passant d’une économie de subsistance, où l’unité de production était la cellule domestique ou le groupement, à l’économie de marché, basée sur l’industrialisation. Le lieu de production diffère pour ces deux systèmes : si autrefois le territoire fournissait les ressources, l’économie moderne associe la ville aux emplois et aux biens consommables. Les relations sociales sont elles aussi altérées par la forme de consommation : pour la première, ce sont les besoins immédiats de la famille et de la communauté qui sont satisfaits, avec pour base une économie solidaire où le don sans réciprocité était habituel. Pour la deuxième, on remplace les échanges sociaux par des services impersonnels basés sur l’échange monétaire. Il existe plusieurs théories sur le passage d’une économie traditionnelle à une économie de marché. L’une d’elle postule que lorsqu’une communauté commence à acquérir des biens, la dépendance au marché s’impose et se substitue aux échanges traditionnels. Ce postulat est toutefois nuancé par d’autres visions : on peut y voir une vision relativement « euro centrique » du changement social, qui sous-estime les particularités culturelles d’une société donnée. En effet, on peut constater au Nunavik que les deux formes d’économies peuvent cohabiter, sans que la dualité des systèmes soit forcément une étape transitoire. L’économie de marché, qui se traduit par les emplois dans les villages (majoritairement des services à la population) et par l’importation de biens du sud par avion et par bateau, n’a pas tout à fait remplacé l’économie traditionnelle basée sur la chasse et la pêche.

63


Les nouvelles générations se sont approprié le mode de vie international, les logements en dur, les réseaux électriques et internet, les technologies sont ancrées dans le quotidien et ont permis d’accéder à un confort de vie bien supérieur à celui de leurs ancêtres. Mais l’importation de toutes ces nouvelles ressources a des conséquences et des coûts. Autrefois, tout était basé sur l’optimisation des ressources, désormais on fait face à un consumérisme cher et polluant. Il est intéressant de constater que la valeur fondamentale de l’optimisation des ressources semble persister dès lors qu’on touche au territoire, alors que dans le cadre moderne de la vie dans les villages, les marchandises, une fois consommées, restent sur place et finissent dans des centres de décharges à ciel ouvert, ou semées dans le paysage, notamment à cause du manque de qualification pour la réparation et le réemploi des machines et objets. Il semblerait donc qu’il existe une dualité entre les pratiques modernes, marquées par le gaspillage et le non-respect du territoire, et les pratiques traditionnelles, pour lesquelles transparait encore cette culture du réemploi. Par exemple, chaque famille possède toujours une voire plusieurs cabanes dans le territoire, utilisées surtout lors des saisons douces, et construites à partir de la récupération des divers matériaux qui se trouvent dans les décharges ou entre les maisons.

Photo : Déchets jonchant les abords de la baie à Salluit

64


ALIMENTATION La chasse, la pêche et la cueillette ayant été au centre du quotidien Inuit, il est évident que l’alimentation est un repère culturel central chez les Inuit et qu’elle a aussi évolué avec la sédentarisation. C’est aussi elle qui traduit au mieux la possibilité d’un équilibre entre les pratiques traditionnelles et la vie contemporaine dans les villages. Aujourd’hui, les habitants du Nunavik ont un régime alimentaire majoritairement issu des produits importés du sud et distribués dans les coopératives et supermarchés. Toutefois, la précarité et le coût exorbitant de la vie dans le nord engendrent des problèmes importants d’insécurité alimentaire. D’après une enquête de santé conduite en 2004, près d’une personne sur quatre avait déclaré avoir manqué de nourriture récemment. En plus de l’accès difficile à la nourriture, les Inuit font face a des problèmes d’hygiène alimentaire et de santé important, du fait de la consommation excessive de produits sucrés et gras. Les produits tels que légumes et fruits et produits laitiers, ne sont pas assez frais et globalement peu consommés dans les foyers.

65


Petite Inuit portant un panneau “J’ai besoin de lait” lors d’une protestation des habitants de Puvurnituq contre la précarité alimentaire, en 2017.

66


Narval tué à l’aide d’un harpon et d’un “Avataq”, bouée en peau de phoque

67


“Peu importe que le fusil ait remplacé le harpon, que le bateau à moteur ait supplanté le Kayak, la chasse demeure un élément du mode de vie inuit [...] C’est important que nous, les Inuits, n’oublions pas d’où nous venons. Nous venons de la Terre. Nous sommes des chasseurs, si nous l’oublions, si nous arrêtons de chasser et de camper, nous perdons notre identité. Citoyen Inuit

Photo d’un jeune chasseur à Salluit, novembre 2016

68


Même si la consommation de viande et poisson issue de la chasse et de la pêche a fortement diminué avec la sédentarité, sa place reste essentielle à la fois dans le régime alimentaire et dans les aspirations Inuits. La chasse reste l’activité sociale par excellence, pratiquée avec toute la famille, tout le monde se réjouit dès l’arrivée du printemps de pouvoir aller « on the Land », sur le territoire. Le seul frein qui empêche une pratique plus fréquente est le manque de moyens, car la chasse et la pêche se font aujourd’hui avec les outils techniques modernes qui engendrent des coûts d’essence et nécessitent du matériel à acheter et entretenir.

Deux profils distincts pratiquent aujourd’hui le territoire : les membres des familles plus aisées, « clans forts » ayant encore un statut particulier au sein de la hiérarchie des villages, qui pratiquent les activités traditionnelles pour le plaisir, et les chasseurs/ pêcheurs « professionnels », plus ancrés dans la tradition. A Salluit, ils sont aujourd’hui une dizaine en tout. Autre tendance notable, presque tous les ménages partagent encore des aliments récoltés avec les autres membres de la communauté.

69


En 1975, la Convention de la Baie James et du Nord Québécois contenait des dispositions visant à la création d’un « Programme d’aide aux Inuit pour leurs activités de chasse, de pêche et de piégeage. Après consultation auprès des communautés, c’est à partir de 1982 qu’une loi prévoit officiellement le versement de subventions auprès de l’ARK de la part du ministère des Ressources naturelles et de la Faune. Ces budgets sont répartis ensuite parmi les 14 villages nordiques et la communauté de Chisasibi. Plus souvent appelé « Programme d’Aide aux Chasseurs », celuici a pour objectif de « favoriser, d’encourager et de perpétuer, comme mode de vie, les activités de chasse, de pêche et de piégeage des Inuits et d’assurer aux communautés inuites un approvisionnement en produits provenant de ces activités ». Au-delà du soutien des activités de chasse à proprement parler, les subventions sont destinées à dédommager notamment : • Les chasseurs des coûts pour l’achat, la fabrication et l’entretien du matériel communautaire nécessaire, • Pour l’essence que nécessitent les déplacements sur le Land, • L’organisation des opérations de recherche et de sauvetage, • La commercialisation des produits et des sous-produits provenant des activités de chasse, la fabrication d’objets artisanaux à partir de ceux-ci • La participation des bénéficiaires à des activités et des études portant sur la faune et leur habitat Le programme rembourse donc une partie des coûts de production de la chasse, toutefois, cette somme n’a pas vocation à « employer » les chasseurs. Ces aides s’obtiennent en effet en échange du don des butins au reste de la communauté. La viande cédée au village est entreposée dans des congélateurs communautaires, généralement administrés par des employés du programme.

70


LE CONGÉLATEUR COMMUNAUTAIRE C’est donc avec la naissance des villes du Nunavik et sous l’impulsion du programme d’aide au chasseur qu’est né l’équipement du congélateur communautaire. Il s’agit d’un petit bâti présent dans presque toutes les municipalités qui répond au besoin de congeler la viande issue de la chasse et de la pêche traditionnelle.

71


Ainsi les chasseurs, qui partent chasser souvent en motoneige sur de longues distances ramènent leurs prises, les préparent et en entreposent une partie dans le congélateur, duquel toute la communauté peut se servir, notamment les personnes défavorisées et dans l’incapacité de pratiquer elles-mêmes la chasse. Ces congélateurs sont un reflet voire une emphase des phénomènes de la vie et de la ville au Nunavik : Ils constituent un parfait exemple de la capacité des Inuits à composer entre leur culture traditionnelle et modernité qui engendre une évolution inévitable de leur société. Ils sont nés du changement climatique : En effet avec le réchauffement climatique et des exigences sanitaires accrues, le sol gelé ne suffit plus à assurer une conservation sûre. Encore à ce jour, 88% des Inuit utilisent ces équipements et consomment de la nourriture traditionnelle. Le congélateur communautaire est une manière de soutenir la pratique autosuffisante de la chasse. C’est par là aussi un vecteur culturel et social qui encourage les Inuits à continuer un mode de vie communautaire basé sur le partage, dans un environnement humain et économique pour le moins difficile.

72


Etapes de la chasse au congĂŠlateur :

73


74


LES SERRES NORDIQUES La deuxième piste d’action considérée actuellement est la production locale d’aliments notamment à travers l’agriculture nordique. Le développement de serres était en effet inclus dans le « Plan Nord » et le « Plan Nunavik » proposé par le gouvernement en 2011, et dans le « Réseau bioalimentaire du Nord-du-Québec » Cette démarche n’est pas nouvelle : déjà par le passé, des projets de culture avaient été mis en place par la Compagnie de la Baie d’Hudson, ou encore des projets de fermes expérimentales dans les années 50 et 60, et des serres ont été testées à échelles individuelles, sous initiatives personnelles. Plus généralement dans le Nord, des jardins communautaires existent dans d’autres provinces nordiques du Canada, ou même des opérations commerciales dans le Yukon, au Groenland ou en Islande, et des stations de recherches, au Groenland, au Nunavut et à Kuujjuarapik. A Kuujuaq, une ancienne structure bâtie il y a vingt ans pour un projet de reboisement, puis abandonnée, fut convertie en une serre il y a environ 5 ans. Le but était de développer un modèle d’agriculture nordique communautaire, qui pourrait de plus adresser les défis sociaux, économiques et environnementaux du Nunavik et cibler les défis entourant la sécurité alimentaire. Les lots sont répartis dans les familles qui en font la demande mais intéressent aussi de nombreuses associations locales. Le projet fut si bien reçu qu’une deuxième serre fut installée, amenant la surface totale à 220m² environ. Etant donné la dimension de ces installations, il est évident que l’agriculture nordique n’a pas vocation de couvrir l’ensemble des besoins alimentaires de la communauté, mais elle donne une base pour l’accès à une nourriture saine et locale, peut générer des emplois, servir à des projets de réinsertion, d’éducation.

75


Face au succès de cette première serre communautaire, de nombreux axes d’améliorations sont en expérimentation, comme des compost pour créer sur place de la terre de bonne qualité, des projets de permaculture, d’aquaponie… Il est question d’installer ainsi des structures similaires dans d’autres vilages du Nunavik, notamment à Salluit, Kangiqsujuaq, Kuujjuarapik et Quaqtaq.

76


Architecture : Construire au Nunavik Le climat, la rareté des ressources et les distances à parcourir pour livrer les matériaux de constructions ont une forte incidence sur les typologies architecturales au Nunavik. Cette partie fait état des pratiques actuelles, qui émanent d’un certain nombre de contraintes, et de leur incidence sur la pratique du milieu bâti, de l’espace urbain à l’espace domestique. A l’exception de Kuujjuarapik qui se trouve tout à fait au sud, les villages ont été construits sur des sols argileux gelés, contenant du permafrost, aussi appelé pergélisol au Québec. La couche active est la partie supérieure du pergélisol où la température atteint plus de 0 °C pendant une partie de l’année. Elle connaît des cycles annuels de gel et de dégel. Lorsque la température du sol augmente, la couche active s’épaissit et le pergélisol sous-jacent s’amincit.

Photo : route déformée par la fonte du pergélisol

77


Or il y a un lien direct entre la nature de la surface roche/sol et les caractéristiques du pergélisol : Les sols argileux riches en sédiments peuvent contenir beaucoup de glace. Lorsque la concentration de glace dans les couches supérieures est élevée, les sols sont vulnérables aux dégels, aux affaissements et aux glissements de terrain. C’est seulement depuis les années 2000 que, sous l’impact du réchauffement climatique, l’instabilité des sols argileux a commencé à menacer les infrastructures et bâtiments des villages. Après avoir notamment dû déplacer des quartiers résidentiels entiers suite à de tels glissements de terrain, ou mettre en place des systèmes de refroidissement du sol sous les infrastructures routières, le développement urbain prend désormais en compte la nature des sols disponibles. Les sols solides formés de substrat rocheux, de till ou de sable contiennent peu de glace donc, lorsque survient le dégel, il y a un faible impact sur l’intégrité structurelle.

78


LES SOLS CONSTRUCTION SUR RADIERS Le mode d’implantation le plus répandu au Nunavik est la construction sur radier : après avoir enlevé la couche active du sol on la remplace par des pierres concassés d’une épaisseur de plus d’un mêtre, qui recouvre le sol naturel pour offrir une assise solide et pour isoler thermiquement le sol de la chaleur émise par le bâtiment. Pour la même raison, les constructions sont surélevées du sol par des vérins ajustables, afin de laisser passer l’air sous le plancher et empêcher le pergélisol de dégeler. Ces radiers sont déployés sur de large périmètre autour des bâtiments et, dans les pentes, des quantités importantes de gravier sont nécessaires pour le nivellement. C’est pourquoi les ressources de pierre naturelle extraite dans des carrières proches des villages commencent désormais à s’épuiser. Ce mode constructif a totalement déconnecté le paysage bâti de celui du territoire, plaçant tous deux en totale opposition. En effet, le terrain naturel est quasiment absent des villages. Considérant la place qu’a le territoire dans l’affect des Inuit, il est inévitable que cette typologie urbaine génère un rejet de la part de ses habitants. De plus, le réchauffement climatique et l’instabilité des sols argileux entrainent une remise en question de ces méthodes d’implantation, tournant l’attention notamment vers les affleurements rocheux considérés jusqu’alors comme « inconstructibles ».

79


80


L’INFRASTRUCTURE En raison du sol gelé et du froid, les villages ne sont pas équipés de réseaux de distribution d’eau ou d’égouts. Toutes les maisons sont équipées individuellement de réservoirs d’eau potable et d’eaux usées placés dans les espaces chauffés du bâtiment, alimentées et purgées par camions qui circulent en permanence dans les rues. Le stock de pétrole est fourni de la même manière, le réservoir se situant à l’extérieur du logement. Comme les maisons sont approvisionnées et vidangées uniquement par camions, la circulation de ceux-ci dans la ville a dicté l’amplitude de l’infrastructure routière qui devient omniprésente. Elle dicte même par moment l’orientation d’une maison, prévalant sur l’orientation par rapport au contexte bâti et paysager. Construits sur un modèle Nord-américain, les villages sont ainsi caractérisés par une trame très lisible, de routes formant des angles droits marqués et de bâtiments aux distances égales les unes des autres. Les aménagements du village sont souvent répétitifs, standardisés, monotones, et ne répondent pas à la richesse naturelle, écologique et symbolique des paysages du Nunavik.

81


L’ESPACE PUBLIC La construction rapide et récente des villages à partir des comptoirs s’est faite autour de noyaux d’équipements publics et institutionnels. Les quartiers résidentiels et nouveaux équipements se sont ensuite rapidement distendus. Les cœurs de villages regroupent des bâtiments à usage public ou communautaire (administratif, commercial, culte, éducatif, récréatif, santé, services municipaux...) qui ont le potentiel de générer de l’activité, de l’intensité et des déplacements pour animer la vie locale. Mais mis à part ces équipements, il n’existe pas de lieux destinés à la rencontre informelle, ni d’ailleurs d’espaces extérieurs qui fédèrent spontanément les habitants. Le paysage est composé de trois entités : l’espace intérieur, l’infrastructure extérieure, et le territoire. Dans les villes du sud, ces espaces publics se sont crées autour de lieux symboliques, culturels, sociaux, et ont été intégrés aux planifications urbaines. Informellement, des lieux d’échanges et de flanâge sont en réalité déjà ancrés dans les pratiques quotidiennes des Inuit : hall de la Coop, parvis de l’aréna et de l’église, cour d’école, ils ponctuent le va-et-vient à pied, en voiture, en quad ou en motoneige, à la fois destination et repères dans le village. Comment renforcer leur visibilité et leur usage? Quelle typologie et aménagements pourraient avoir des espaces publics dans ces contextes urbain et climatique ? Existent-t-ils en hiver ? En été, deviennent-il complémentaire au Land ? Je souhaite alors dans ce projet explorer de nouvelles possibilités et proposer aux habitats une ouvelle forme de pratique de l’extérieur.

82


ETALEMENT RESIDENTIEL L’explosion démographique couplée aux contraintes des sols engendre un phénomène d’étalement résidentiel. Les logements sont des prototypes répliqués les uns à la suite des autres, et disposés en grappe autour de l’infrastructure routière. Le contexte économique et géographique force les opérations de constructions à être réalisées sur de très courtes périodes, entre la fonte des glaces autour de juin et le début de l’hiver, en octobre. Cet aspect joue aussi un rôle dans les choix constructifs, qui découlent de programmes standardisés et de méthodes familières, et des typologies de logements répliqués pour optimiser la saison des chantiers, composant ainsi des paysages résidentiels assez uniformes.

Morphologie d’Umiujaq

83


Cette uniformité ne répond pas à la variété des types de ménages de la population : Familles nucléaires, étendues, monoparentales, jeunes couples, aînés,… Dans un territoire à la fois vaste et contraint, la pertinence de l’étalement et la question de la densité du bâti semble difficile à appréhender. La configuration actuelle est critiquable au vu de l’isolement de ces nouveaux quartiers et des distances à parcourir dans des climats rigoureux, à pied pour les familles les plus précaires. De plus, une plus grande densité peut être associée à la notion d’efficacité énergétique. Mais l’acceptabilité culturelle des modèles entre aussi en compte : les Inuit font part de leur souhait d’habiter dans des maisons tournées vers le territoire, la baie en particulier, et rejettent généralement une trop grande proximité avec d’autres foyers. On peut alors faire le parallèle avec les variations saisonnières des groupements vernaculaires : Maisons de neige densément accolées en hiver sur un territoire vaste et sans limite, où tout se relie en chien de traineau d’une part, habitats sporadiques de familles nucléaires, sur un territoire limité et contraint. Ces variations de densité peuvent être à réintégrer dans les processus de construction moderne par des dispositifs architecturaux à l’échelle du groupement d’habitation, afin de répondre à la fois aux contraintes techniques et climatiques, et aux aspirations culturelles Inuit. Morphologie de Puvirnituq

84


LE LOGEMENT

« We don’t need housing, we need homes »

Pour suivre les tendances démographiques des communautés inuit, le parc résidentiel nécessiterait la construction annuelle d’un minimum de 80 unités. Un manque invariable de 1000 logements reste à combler dans le Nunavik. Pour suivre les tendances démographiques des communautés inuit, le parc résidentiel nécessiterait la construction annuelle d’un minimum de 80 unités. Encore aujourd’hui, 90% de la composition du parc résidentiel du Nunavik est composés de logements sociaux locatifs financés par la SHQ et appartenant à l’OMHK. À ce jour, devenir propriétaire de sa maison est une chose bien difficile au Nunavik, les coûts de construction étant pharamineux du fait de l’importation des matériaux et du coût de la main d’œuvre du sud.

85


Des premières maisons installées dans les années 60, comme les abris rudimentaires « Rigid Frame » et « Matchbox », les maisons se sont optimisées techniquement pour répondre aux différents problèmes d’entretien et de pérennité.

86


MAISON JUMELÉE DE LA SHQ A l’image de la maison jumelée de la SHQ, qu’on trouve en grand nombre à Salluit, les maisons construites dernièrement sont caractérisées par leur grande adaptation aux contraintes techniques et climatiques du nord. Elles sont érigées sur des vérins ajustables déposés sur les radiers compacts, permettant de limiter les effets du vent et de protéger le sol de l’échauffement. L’isolation est sur-épaissie d’environ 25% par rapport au sud du Québec. Un double plancher chauffé contribue à l’isolation, ainsi que l’accès constitué de séquences de vestibules, et une bonne compacité. La pente du toit cherche à optimiser l’équilibre entre l’accumulation de neige et l’obstruction du vent. Les prises d’air pour l’entre-toit et la ventilation intérieure sont intégrées à la façade, tout en évitant l’infiltration de neige, et l’accumulation de glace est évitée par un système actif de plomberie chauffée en toiture.

87


88


Si elles sont conçues pour résister aux agressions d’usage et de climat et répondre aux usages élémentaires du logement, les maisons du Nunavik ne sont pas bien adaptées à la culture Inuit qui persiste dans la sédentarité. Il s’agit d’un « environnement bâti dans le Nord et conçu dans le Sud » : Les Inuit sont impliqués au niveau de l’OMHK et de Makivik, mais les individus n’ont aucun pouvoir de décision quant à la construction de leur propre habitat, ni dans même dans le choix de leur logement, qui leur est attribué selon des systèmes de listes d’attentes et de critères sociaux. L’absence de typologies diversifiées, en complément du logement social, freine les initiatives et la participation Inuit dans la construction des logements.

89


APPROPRIATIONS DE L’HABITAT SEDENTAIRE

Annie Pootoogook

90


Dans ces villages du nord conçus et construits par le sud, le passé et le présent se rencontrent pour créer une pratique tout à fait unique de l’espace domestique et public. Dans un environnement culturel nouveau, les pratiques traditionnelles se retrouvent dans la façon dont les Inuit occupent l’espace et les usages qu’ils y font. Dans les maisons par exemple, la nourriture traditionnelle est encore souvent préparée et consommée à même le sol. Habitués à vivre ensemble dans un espace où les partitions sont plus ambigües, de nombreuses familles peuvent placer des matelas dans les pièces de vies, comme un campement commun. De la même manière, la notion d’intimité et de passage entre espace public et privé n’est pas la même qu’au sud : on entre dans la maison de l’autre sans sonner, simplement en s’annonçant, comme c’était le cas pour une tente ou un igloo dépourvu de frontière physique et sensorielle. L’espace urbain est lui aussi réinterprété : les espaces interstitiels autour des maisons sont utilisés pour le stockage des motoneiges (« skidoo »), traineaux, pour installer les niches de chiens, et les innombrables cabanons entre les rangées de maisons font un terrain de jeu hors paire pour les enfants. Ces objets ne sont toutefois pas des marqueurs de propriété, la propriété n’était présente ni culturellement, ni dans la réalité puisque les habitations sont locatives. Si les infrastructures routières prennent une place prépondérante sur le territoire bâti, il existe tout un réseau de cheminements alternatifs qui passent entre les logements et les bâtiments publics, avec aucune règle de distance à garder. Les réseaux de connections informels qui s’y faufilent ne sont pas les mêmes que le tracé cartésien des routes, comme une forme d’adaptation à la grande taille des îlots, et ne sont pas non plus les mêmes en hiver ou en été.

91


En hiver, ces tracés de rues n’existent plus vraiment, la neige fait tomber les limites du terrain et le territoire est une unité. On peut venir de loin, du territoire, en motoneige, jusqu’au pas de sa porte. Le climat est rude, mais les déplacements sont rapides. En été, au contraire, on peut s’attarder à l’extérieur, les chemins sont aussi multiples mais ne permettent pas de se déplacer aussi facilement sur de longues distances. Le confort des piétons peut alors dépendre de la distance à parcourir, des pentes, des types de sols (glissant, boueux, mouillé) et du paysage le long du parcours. Ces exemples font partie d’une multitude de nuances de comportements qui montrent que le mode de vie inuit prend sa place et qui marquent une forme d’appropriation ou de rejet du modèle bâti imposé. Ils laissent à penser que lors de la conception, l’architecte a pour tâche de réinterpréter et réinventer le modèle du sud pour créer des espaces centrés sur l’humain et appropriés à cette dualité entre pratiques traditionnelle et moderne.

92


« La tradition n’est pas figée dans le passé, elle est au contraire dynamique et se réinvente tout au long de l’histoire d’une société […] Selon les Inuit, la tradition appartient à ce qui peut être qualifié de « atuqsaq », c’est-à-dire d’utilisable car ayant fait la preuve de son efficacité tout en étant sans cesse réactualisé par un usage régulier » Bordin, 2003

93


RÉCIT PHOTOGRAPHIQUE : RESSENTIS D’UN VOYAGE À SALLUIT AVRIL 2017




L’HUMAIN














L’URBAIN





















LA NATURE













96


III. Salluit ᓴᓪᓗᐃᑦ “Les Gens Maigres”

«We are resilient. We are strong. We are coping » Susie Alaku, NV Salluit

97


Presentation Démographie Economie et ressources Morphogénese Diagnostique Urbain Un développement contraint

98


Presentation Salluit est le village le plus septentrional du Nunavik. Niché au fond d’une vallée glacière, il est bordé à l’est et l’ouest par des montagnes aux pentes raides et par le ruisseau Kuuguluk. Il se tourne au nord vers la baie de Salluit (aussi nommée Sugluk), elle-même un bras du détroit d’Hudson. Historiquement, de nombreuses familles nomadisaient dans la région, et plus à l’est aux abords de la Baie Déception, reconnue pour son potentiel de chasse et de pêche.

99


Le village dispose d’un aéroport dans les hauteurs au sud, qui constitue, avec le bateau lorsque la baie est libérée des glaces, la seule source d’approvisionnement. Dernier arrêt de la ligne administrée par la compagnie Air Inuit, il faut 6h à 8h de vol pour l’atteindre depuis l’aéroport de Montréal.

100


TEMPÉRATURES

TEMPÉRATURES

E BR EM

12 10 8 6

JANV IER

4 2

FE V ER RI

NO V

E EMBR DEC

TEMPÉRATURE

EXTÉRIEURES

0 -2 -4

OCT OBR E

S MAR

-6 -8 -10 -12 -14 -16 -18 -20 -22 -24

AVRI L

RE TEMB SEP

-26

T

M AI

AO U JUILL ET

JUIN

Hiver : -10 à -30°C

Mi-saison : -10 à 0°C

101

Eté : 0 à 15°C


ENSOLEILLEMENT

24 22 20

JANV IER

18 16 14

E BR EM

FE V ER RI

NO V

E EMBR DEC

HEURES DE JOUR

ENSOLEILLEMENT

12 10 8 6 4 2

AVRI L

RE TEMB SEP

S MAR

OCT OBR E

0

T

M AI

AO U JUILL ET

JUIN

Salluit

Paris

102


DEMOGRAPHIE Salluit compte aujourd’hui près de 1 360 habitants pour une superficie de 14 km². La croissance démographique du village est importante : avec une augmentation de la population de 15,8% entre 2001 et 2006, puis d’encore 25 % entre 2006 et 2011, le besoin en nouveaux logements est urgent. En 2009, 120 demandes d’habitations sociales étaient déposées. 22 logements en duplex à 2 chambres ont été construits en 2007 et 16 autres en 2009, largement moins que les 308 habitations sociales prévues par un plan quiquénal de 2007 à 2012. Le taux d’occupation des logements s’elevait en 2009 à 5,6 personnes par logement soit 1,6 personnes par pièce à vivre. A titre de comparaison, au Québec, un logement est considéré comme surpeuplé pour une occupation supérieure à 1 personne par pièce à vivre. Les habitants témoignent de cas où près de quinze personnes peuvent cohabiter dans un 5 pièces. Dans le rapport « Community Building de Salluit : Les Sallumiut et l’urbanisme » réalisé par l’Université Laval et le bureau municipal, la surpopulation est présentée comme une cause directe des phénomènes sociaux de tension et violence au sein des espaces domestiques : « Ce malaise social se révèle spacialement enraciné dans les espaces résidentiels surpeuplés, en plus de profondes racines historiques et sociales » Au-delà du besoin d’un parc résidentiel en plus grande quantité et qualité, l’auteur pointe du doigt le manque d’espace de refuge et d’échappatoire faces aux troubles dans l’espace domestique.

103


ECONOMIE ET RESSOURCES Salluit fait partie des villages qui bénéficient de redevances minières grâce à l’exploitation de nickel par la compagnie Raglan sur le territoire appartenant aux Inuit. Ces redevances sont distribuées aux habitants d’une part, et investies dans des projets publics d’autre part. Grace à cela, le village peut aspirer à une certaine autonomie par rapport au gouvernement fédéral et provincial. Néanmoins, le manque d’emplois et la précarité restent très présents. En déambulant dans le village et en rencontrant ses habitants durant 9 jours, j’ai pu toutefois constater le dynamisme dont font preuve les Sallummiut pour faire face aux contraintes économiques. Il existe dans ce lieu une part de force et de poésie que les études scientifiques et les statistiques ne peuvent retranscrire. Ainsi, une multitude de petits programmes ont été mis en place par différentes institutions et acteurs pour pallier aux problèmes d’insécurité alimentaire : repas pour les enfants avant l’école, petit programme de cuisine communautaire mené par le centre d’éducation pour adultes, programme de paniers alimentaires distribués aux familles les plus défavorisées par le centre de soin… Le sujet de l’équipement alimentaire et culturel a eu une formidable résonnance auprès de la population, et les acteurs étaient unanimes sur le besoin d’une infrastructure dédiée.

104


MORPHOGENESE En 1960, Salluit n’était qu’un poste de traite où venaient nomadiser les communautés dans le but d’accéder au troc de fourrures et de biens. Au commencement de la sédentarisation, les premiers équipements furent construits au bord de l’eau : le poste de traite qui est aujourd’hui le magasin « Northern » au bord du fleuve, l’église, les premières administrations… constituent ce qu’on appelle le « Vieux Salluit ». Les habitations des employés venus du sud étaient situées à proximité, et encore autour de ce noyau, les habitations Inuit. La ville s’est étendue seulement à partir de 1979, année où elle est devenue une municipalité nordique officielle. Le vieux salluit s’est tout d’abord densifié avec de nouvelles habitations et de nombreux équipements : commerciaux, hotel, bureau minicipal, centre communautaire, centre de jeunesse… constituent à ce jour les principaux lieux de rassemblement et d’administration. Un deuxième centre d’équipement est situé vers le milieu de la ville comprenant l’école, l’administration régionale, services sociaux, garderie, les infrastructures de télécommunication, le poste de police et de pompiers. 105


Encore plus sur les hauteurs ont été construites dans les années 2000 des infrastructures de plus grande ampleur: Arena de hockey, infirmerie, centre de réhabilitation et centre d’éducation pour adultes. On y trouve aussi le réservoir d’eau et la station de production electrique. En retrait du vieux Salluit, un nouveau quartier résidentiel, nommé Salluit II par la population, a été construit pour répondre à l’expansion démographique importante, et actuellement, Salluit III voit le jour sur les hauteurs de la vallée, qui offrent de meilleurs sols pour la construction. Au fond de la vallée, la corporation fonctière Qaqqalik a fait construire ses luxueux bureaux ainsi qu’un centre d’hébergement déstiné aux travailleurs saisonniers du domaine de la construction. En novembre 2016, l’ancien congélateur communautaire, désuet, a été remplacé par un nouveau, a proximité du bureau municipal, dans le vieux Salluit. Celui-ci reprend la configuration habituelle des congélateurs du Nunavik et n’est pas optimisé en termes d’usage et d’hygiène.

106


107


DIAGNOSTIQUE URBAIN Au-delà des problématiques qu’engendre la typologie urbaine au Nunavik et la construction sur radier qui ont déjà été présentées, on peut noter plus spécifiquement pour Salluit les atouts et les dysfonctionnements de son paysage bâti. De par le développement à partir du front de mer, les équipements publics sont concentrés vers la baie, pour un étalement résidentiel de plus en plus loin dans la vallée. Marcher des dernières habitations de Salluit III vers la Coop prend environ 30 minutes, dans le froid et des zones fortement exposées au vent. Le hall de la Coop s’improvise en lieu de sociabilisation informel, ainsi que l’espace extérieur aux abords des écoles secondaire et primaire. Lors de mon séjour au village, les fêtes de Pâques réunissaient les habitants sur la baie glacée, puis le soir, dans la salle communautaire. Celle-ci est constituée d’une unique salle vaste, qui sert du gymnase la plupart du temps. Elle n’est ouverte que lors d’événements ponctuels organisés par la ville ou peut être parfois à l’initiative des habitants pour une occasion particulière. Le centre pour les jeunes, très proche, a un fonctionnement similaire. Ouvrant à des heures précises, des animateurs salariés y sont présents pour accueilir les enfants, puis les adolescents dans la soirée, et organiser des activités avec eux. Il manque donc de lieux protégés (intérieurs ou tempérés) à accès libre, pour promouvoir les rencontres plus informelles.

108


Lieux de rencontre : la salle communautaire

Opaque à la rue, on ne peut savoir ce qui s’y passe. Pourtant, l’activité sociale qu’elle porte pourrait générer des espaces extérieurs similaires à une place publique.

109


Des équipements isolés les uns des autres… Ici, le centre d’éducation pour adultes, à mi chemin entre la colline et salluit II.

« Espace public » : l’école

110


APPROPRIATIONS La typologie rudimentaire des bâtiments – parallélépipèdes aux couleurs vives – marque les esprits et devient la cartographie mentale du village : « Le centre communautaire ? C’est le bâtiment vert, là bas ». « Moi, j’habite à Salluit II. Dans la maison bleue à côté de… » Dans un paysage où règnent les tonalités de gris, bruns, ocres, et une totalité de blanc tachetée de noir en hiver, ces couleurs dénotent et dessinent l’entité qu’est la vie urbaine en opposition au territoire.

111


LE RESEAU INFORMEL Les sentiers mènent généralement aux frontières du village où ils filent ensuite vers les flancs rocheux à travers les goulots ou autres passages praticables entre les rochers. Ils ont une grande importance quand il s’agit de créer des raccourcis pour rejoindre l’arrière du village. Deux chemins principaux peuvent être empruntés : le premier à travers la colline centrale, passe près de l’Aréna puis du centre d’éducation pour adultes pour descendre tout droit à travers un terrain argileux peu constructible. Le deuxième est tracé par la rivière gelée pendant les mois d’hiver. ETÉ HIVER

112


113


UN DEVELOPPEMENT CONTRAINT La croissance démographique entraine une expansion rapide du village, mais Salluit est contrainte dans son développement : tout d’abord, par son enclavement dans la vallée étroite, et ensuite, par ses sols riches en permafrost. Les ingénieurs québecois ayant une culture de fondation sur radier, c’est la solution qui fut favorisée jusqu’alors et le village fut ainsi construit sur le fond de la vallée, majoritairement constitué de sols riches en glace. Avec le réchauffement climatique actuel, des affaissements et glissements de terrains ont déjà détruit des infrastructures et notamment dix nouveaux logements dans les années 2000, qui ont dû être déplacés vers des zones jugées plus stables. C’est suite à cela que le village s’est développé plus au sud, aux arrières d’une colline rocheuse qui scinde la vallée. Depuis plus de vingt ans, des recherches scientifiques ont été menées sur le territoire de Salluit pour déterminer plus finement la composition des sols et explorer des alternatives de techniques d’implantation.

Dépôts contenant beaucoup de glace : Dépot à granulométrie fine d'origine marine riche en glace Dépot quaternaires épais mal drainés à couverture tourbeuse, riche en glace Sable, gravier et blocs (till) en couverture épaisse sur socle rocheux Sables, gravier, blocs en couverture mince sur socle rocheux Roc et dépôts contenant très peu ou pas de glace : Dépot sable, graviers stratifiés Socle rocheux

114


Pour le moment, les plans d’aménagements réalisés par la Corporation Foncière renforcent encore le développement vers le sud et le long de la route de l’aéroport.

115


Pour conclure, Salluit est en quelque sorte une emphase des problématiques vécues par les quatorze villages nordiques : par sa situation géographique à la pointe nord du Nunavik, donc par son isolement et ses ressources rares, par l’instabilité de ses sols, les questionnements au sujet de son développement, par le besoin de soutenir la vie sociale et solidaire, mais aussi par la beauté de son territoire et la volonté de ses habitants de construire un avenir meilleur. Les enjeux sont donc de l’ordre socio-économique d’une part - comment animer leur quotidien? Quels lieux communautaires alternatifs? Quelles solutions pour une économie locale et durable? - et de l’ordre de la stratégie urbaine et architecturale d’autre part - quel avenir pour le développement du village? Comment pallier à l’etalement résidentiel? Comment renouer avec le territoire? Comment construire des logements plus adaptés?

116


IV.

Projet MÉTHODE PROGRAMME ETUDE D’IMPLANTATION PRÉSENTATION DU SITE PREMIÈRES INTENTIONS FORMALISATION

117


118


Méthode Les enjeux du projet sont composés de ce que j’ai nommé, au cours du déroulement, trois « strates » : La strate globale du nord et du Nunavik, dont les enjeux architecturaux et urbains sont aujourd’hui : •

L’intégration des acteurs locaux dans l’aménagement et la construction, en favorisant les techniques de constructions réalisables par des mains d’œuvre locales, et une conception appropriable par les usagers et évolutive avec leurs besoins futurs

La construction de bâtiments culturellement et techniquement appropriés au contexte du Nunavik, et en particulier qui réinterprète à la fois les formes d’architectures traditionnelles et contemporaines

Un re-questionnement de l’étalement urbain et de la construction sur radier sur du permafrost qui fond et s’affaisse

La création de liens et de cohérence au sein du bâti, notamment questionner l’infrastructure routière pour replacer le bâti non plus en opposition mais comme lien au territoire.

La strate programmatique qui adresse les enjeux sociaux économiques : •

L’instauration d’économies circulaires et le renforcement de la solidarité propre à la culture inuit, dans le but notamment d’adresser l’insécurité alimentaire dû à une nourriture « du sud » exclusivement acheminée par avion,

La création de cadres propices à la transmission des savoirs traditionnels et notamment de la chasse et de la pêche, qui est si chère encore même aux jeunes génération.  119


Au travers de la conception d’un équipement alimentaire au Nunavik, je souhaite donc : •

Repenser l’articulation entre morphologie existante et développement futur de la ville,

Explorer l’articulation entre les pratiques traditionnelles et les usages contemporains et valoriser les enjeux sociaux,

Repenser le mode constructif afin de créer une architecture qui s’adapte voire tire parti du contexte physique et humain au-delà du 55ème parallèle.

Comment contribuer à améliorer le processus urbain et architectural ? Comment contribuer à la construction de l’équilibre entre la tradition et la modernité, à l’évolution durable de cette tradition ? La troisième strate est celle de Salluit et des spécificités de ce village : Le projet souhaite initier une démarche, un processus qui pourrait s’appliquer à toutes les communes du Nunavik. Mais il faut trouver un compromis entre une proposition qui dans son programme, sa fonctionnalité et ses solutions constructives adresse les enjeux globaux, et dans sa formalisation, l’agencement des espaces, son implantation sur le territoire, réponde à un contexte spécifique : Il s’agit d’arrêter de faire de l’architecture conçue et fixée dans nos latitudes puis implantée dans le Nord sans aucune considération pour le contexte physique, matériel et humain.

120


Programme RÉINVENTER LE CONGÉLATEUR COMMUNAUTAIRE Comme la ville du Nunavik, le congélateur communautaire est né dans la précipitation de la sédentarisation et ne répond aujourd’hui pas de façon optimale aux enjeux sociaux et économiques et techniques qu’il présente. Dans sa formalisation, il ne répond pas bien aux usages et appuie la dépendance en ressources, énergétique notamment, du Nunavik. Son implantation urbaine ne valorise pas les enjeux sociaux de vie communautaire, il s’implante généralement mal dans un tissu urbain incohérent et ne génère aucun lien humain. C’est pourquoi l’administration régionale Kativik a mandaté des architectes pour étudier les améliorations possibles de cet équipement en étudiant l’utilisation qui en est faite dans trois municipalités. Le rapport de cette étude décrit les espaces que doit contenir le congélateur, les contraintes de températures, et les équipements qu’ils doivent contenir. Actuellement, les congélateurs sont généralement constitués d’un dôme métallique, isolé ou non, dans lequel se trouve une chambre de congélation isolée thermiquement. Les phases de préparation de la viande se font sous le dôme métallique ou dans des annexes raccordées. Cet espace de préparation doit contenir de nombreux équipements techniques : Baignoire de lavage/ rinçage/trempage, balance, appareils d’emballage, rangements, table et comptoir, armoire barrée à couteaux, scie à ruban, hachoir à viande, étalages... La résistance des revêtements intérieurs aux opérations de lavage est importante ainsi que la qualité globale des traitements de surface pour maintenir un environnement qui répond aux exigences d’hygiène. On préconise de placer les compresseurs, qui émettent beaucoup de chaleur, dans un espace séparé.

121


CongĂŠlateur de Kuujjuaraapik

122


Le rapport identifie les différentes étapes qui ont lieu du retour de chasse jusqu’à la congélation et les espaces qui en découlent. •

Un premier espace, chauffé et comprenant un vestiaire, sert de reception et pesage des prises, ainsi que d’espace d’entrée pour les utilisateurs. Une salle mécanique est comprise dans la zone chauffée.

Un deuxième espace, refrigéré à 10°C, est destiné à la préparation qui comprend les actions suivantes : l’entreposage dans un réfgrigérateur, l’emballage, la congélation temporaire, le découpage, rincage, trempage, lavage les prises.

Le troisième espace est celui de la congélation, à -18°C, qui a uniquement comme fonction l’entreposage.

L’objectif de la distinction de ces trois espaces est d’appliquer rigoureusement le principe de marche en avant afin d’assurer au mieux le respect de la chaîne du froid.

Réinterpretation des etapes de la congélation et des températures des espaces

123


En m’appuyant sur le bilan très fonctionnel de l’étude qui a été menée et en constatant l’étendue des enjeux du congélateur communautaire, mon projet souhaite re-questionner complètement cet équipement et développer tous ses potentiels sociaux, énergétiques, urbains. Avec la promotion de la chasse et de la pêche traditionnelle, et l’évolution démographique rapide de Salluit, le besoin d’un second équipement de stockage de la viande va rapidement se faire sentir à Salluit. Surtout, il est pertinent de s’adresser aux habitations de Salluit II et III, qui doivent traverser tout le village pour se rendre aux deux seuls supermarchés.

UNE SERRE NORDIQUE À SALLUIT? Mais la faune naturelle ne pourra pas suffire indéfiniment à la population croissante, ainsi les programmes de serre nordique prennent tout leur sens dans une démarche de développement durable de l’alimentation dans le nord, et peuvent se placer en complémentarité à la nourriture traditionnelle. Je souhaite ainsi se faire rencontrer ces deux pratiques porteuses de symbolique fortes, en un même lieu : la chasse, moyen de subsistance ancestral autour de laquelle toute la culture inuit s’est bâtie, et l’agriculture, indissociable de la sédentarisation des civilisations, marque de l’évolution des modes de vie. Concernant l’acceptabilité d’un mode de production alimentaire qui n’est pas culturellement ancré dans la tradition Inuit, le congélateur est luimême un modèle de syncrétisme culturel et d’adaptation à une société qui évolue. Enfin, il s’agirait ainsi de combiner plusieurs sources d’alimentation et d’adresser autant la production de l’aliment que sa conservation.

124


Leur complémentarité s’étend jusqu’aux fonctionnements énergétiques : l’un utilise des compresseurs pour évacuer la chaleur d’une enceinte close, l’autre utilise l’énergie passive solaire pour favoriser les cultures végétales. Dans un contexte nordique à bilan énergétique déficitaire, la chaleur extraite de l’un peut alors intelligemment bénéficier à l’autre.

“ When local agriculture and food production are integrated in community, food becomes part of a community’s problem-solving capacity rather than just a commodity that’s bought and sold.” HELLER,M. Food Connections, Capital Area Community Food Profile

125


CLORE LE CYCLE ALIMENTAIRE : CONSOMMATION ET DISTRIBUTION COMMUNAUTAIRE Considérant ensuite qu’une autre valeur portée par cet équipement de congélateur communautaire est le partage, intergénérationnel et inter-social, l’aide aux personnes défavorisées, mais aussi la transmission culturelle, il semble pertinent de traiter à travers le programme aussi les autres étapes de cette chaîne alimentaire : Distribution, préparation, consommation d’aliments traditionnels et nouveaux au travers d’un comptoir solidaire et d’une cuisine communautaire. Les produits issus de la serre et les produits préparés dans la cuisine communautaire pourront eux aussi alimenter aussi le congélateur.

126


CLORE LE CYCLE DE L’ANIMAL : ATELIERS Dans la même logique de promotion de la transmission de savoir, qui est pour l’instant une chose faite principalement dans la Toundra sur les lieux de campements de chasse et d’été, je complète le programme du congélateur communautaire par des espaces d’atelier, offrant un lieu aux pratiques artisanales de tannerie, couture, fabrication d’outils à partir des carcasses animales préparées, activités pour l’instant réalisées dans les domiciles, souvent à même le sol, dans des lieux trop petits et inadaptés. Ces espaces peuvent être aussi dédiés à la réparation et l’entretien de materiel. On retrouve ainsi la valeur d’optimisation de la matière propre a la culture Inuit. Locaux de la tannerie “Nunavik furs”, à Kuujjuaq

127


USAGERS ET FONCTIONNEMENT CONGÉLATEUR COMMUNAUTAIRE : Bénéficiaires du programme d’aide aux chasseurs : Chasseur réguliers (souhaitent moderniser la chasse), Chasseurs occasionnels (voient la chasse comme un idéal identitaire et authentique) Bénéficiaires du système de don de viande : Livrés, ou venant se servir. SERRE NORDIQUE : Association gérante , Jardiniers : Foyers disposant d’un carré de terre dans la serre, Associations composés d’ainés, d’enfants, de jeunes, de personnes en réinsertion, etc., Visiteurs, passants, observateurs, programmes éducatifs CUISINE COMMUNAUTAIRE : Alimentée par les usagers de la serre et du congélateur, complété par les achats au supermarché. Cuisinier pour des groupes Groupes venant cuisiner et manger pour eux-mêmes Programmes d’éducation à la nutrition et à la cuisine ATELIERS : Chasseurs et leurs proches venant travailler une carcasse Artisans, artistes Tout autre usager ayant besoin ponctuellement d’un accès à un espace de travail ou une machine (réparation de matériel, projet personnel, ...) COMPTOIR Alimenté par les produits bruts de la serre et du congélateur ou des produits transformés de la cuisine et des ateliers. Administrateur de l’équipement : interface avec le public, gestion des calendriers et de l’inventaire 128


En faisant interagir l’ensemble de ces programmes au sein d’un équipement, mon intention est de valoriser le fonctionnement inuit de la réciprocité et du don, la production de nourriture locale, la création d’emplois et de créer une émulsion d’économie solidaire dans un lieu de partage, de transmission mais aussi de refuge face aux troubles domestiques. Toutes les interactions permettent de boucler les cycles alimentaires, énergétiques et le cycle de l’animal et de les réintégrer dans le quotidien Inuit.

129


FONCTIONNEMENT ENERGÉTIQUE ET SAISONNIER - Les congélateurs communautaires existant actuellement fonctionnent toute l’année durant. Il paraît bien sur étrange d’avoir à congeler un espace clos lorsque les températures extérieures atteignent des minimum de -40°C et ne montent jamais au dessus de -10°C pendant l’hiver. On pourrait envisager un système de récupération de l’air extérieur et régulation de la température pour minimiser les besoins énergétiques. Toutefois, les retour d’expérience de ce type d’installations montrent peu de succès : le manque d’appropriation des bâtiments de la part des usagers ainsi que le manque de main-d’oeuvre technique sur place rend difficile la gestion et l’exploitation des systèmes, qui finissent souvent dégradés par exemple par le gel et le mauvais entretient. Néanmoins, il pourrait être plus crédible d’envisager un espace de congélation d’hiver non isolé, visible, dans lesquels seraient placées les prises lorsque les températures assurent une conservation constante. Le congélateur serait alors mis en fonctionnement uniquement à l’arrivée du printemps. - La serre peut fonctionner du printemps (mars/avril) à l’automne (octobre) environ. Durant ces mois, la durée du jour et l’ensoleillement sont suffisants pour tempérer un espace clos, translucide et non isolé. La serre bénéficie de la récupération de chaleur des compresseurs en complément des apports solaires/ Mis a part cela, elle reste totalement passive. En fonction de la quantité de chaleur extraite par le congélateur, peut être que les espaces d’ateliers, cuisine et comptoir pourront aussi être chauffés en partie grace à ce système.

130


Les usages attribués aux espaces évoluent eux aussi selon la saison. L’été est une saison très active, au niveau de la culture de la serre ainsi que des activités de chasse. De nombreux habitants partent sur le “L and” sur de longues périodes, le gibier est très présent. Il en découle des activités d’artisanat et de préparation des animaux. Celles-ci s’étendent jusqu’à l’automne.

131


En hiver, où la chasse est moins abondante et les activités hors du village moins fréquentes, le besoin de se rencontrer, partager, est plus grand. Les ateliers, qui offrent de grandes surfaces ainsi que du matériel, peuvent aussi être utilisés pour la réparation des équipements en prévision de la prochaine saison de chasse. Au stage actuel du projet, j’envisage aussi d’utiliser directement la serre comme espace de congélation d’hiver. Le cycle annuel de la vie du bâtiment sera donc marqué par des variations importantes, à la fois du contexte paysager et climatique et des usages qui en seront fait.

Référence : travaux d’étudiants en architecture de l’université de Montréal sur l’usage d’un espace tempéré

132


Etude d’Implantation SCÉNARII DE DÉVELOPPEMENT Considérant les problématiques auquelles fait face Salluit aujourd’hui en terme de d’expansion, une première étape du projet fut l’analyse des différentes options ayant été proposées par différents experts, architectes, universitaires, par les habitants, ou bien celles qui me parraissaient propices personnellement. A plusieurs reprises au cours de sa courte histoire, il fut envisagé de déménager tout a fait le village à un autre endroit, à cause des contraintes de développement d’une part, mais aussi par attachement aux territoires ancestraux de chasse pratiqués autrefois : il n’est pas anodin que la Baie Décéption soit appelée “Salluit Aippanga” , « deuxième Salluit ». En 2010, les localisations de Tikiraatsiak, à deux kilomètres à l’ouest, ou même Kikkalualuk, cinq kilomètres à l’est, furent aussi envisagées. Ayant toutefois conclu que le Salluit actuel était ici « chez eux », le défi pour le village est désormais de construire un avenir durable dans la réalité des contraintes locales.

133


134


SCENARIO 1 : ACCOMPAGNER L’EXPANSION ACTUELLE Les nouveaux quartiers et les terrains sur lesquels les corporations foncières prévoient de construire surplombent légèrement la vallée, donc la vue porte loin vers le paysage, mais sont aussi fortement isolés du centre du village. Totalement dépourvus d’équipements à ce jour, ces nouveaux quartiers pourraient avoir besoin d’une activation sociale et économique, de lieux de rencontre auquel mon programme répondrait. Mais le développement vers le sud pose question : Les nouvelles habitations n’ont plus de lien à la baie, qui est essentiel dans la culture Inuit, l’étalement et la topographie les isole du coeur du village, et cette solution semble peu durable au vu des affleurements rocheux épars.

135


SCENARIO 2 : DENSIFIER LA ZONE INTERMEDIAIRE Les universités, notamment l’université d’architecture de Laval, essayent parallèlement de mettre en avant les potentiels qui existent au sein du village, sur les zones peu denses, les affleurements rocheux qui ont justement été délaissés par la construction jusqu’alors. Le haut de la colline surplombe à la fois la rive et l’arrière de la vallée. Cette zone intermédiaire entre le vieux Salluit et les nouvelles constructions comporte surtout des équipements et infrastructures de grande taille et peu de logements ou de lieux communautaires, elle souffre d’un certain manque de mixité.

136


SCENARIO 3 : INITIER UN DEVELOPPEMENT COTIER Si le déménagement de Salluit a été finalement abandonné, l’incertitude liée aux sols et la difficulté de la ville à se renouveler sur elle-même persiste. Le développement au sud actuel n’est pas une solution qualitative dans le rapport au territoire. Traverser la rivière pour s’étendre aux abords de la rive, utiliser des nouvelles méthodes constructives pour s’implanter sur les coteaux est une option à explorer pour l’avenir. 137


Dans un contexte naturel tellement marqué par la topographie, et un contexte culturel où le rapport au territoire est profondément ancré, il m’a semblé essentiel de prendre en compte la perception du territoire qu’offrent les trois différents scénarii de développement. Se placer en retrait dans la vallée permet d’avoir le regard qui porte loin, toutefois la sensation d’enclavement est forte et la distance ainsi que la présence de la colline au centre de la vallée empêche tout rapport direct à l’eau. Les coteaux rocheux permettent d’ouvrir la vue sur l’ensemble de la baie de Salluit, des vastes territoire de chasse et de pêche, mais aussi sur le village existant. Sur la colline au centre du village, la vue se libère à la fois vers l’arrière de la vallée et vers la baie, par dessus le vieux Salluit.

138


J’ai conclu que la densification de la zone au centre du village et l’instauration d’une plus grande mixité programmatique pourra contribuer à reconstruire le tissu existant. Lier les deux parties du village est primordial et améliorer la qualité urbaine et me semble être une priorité avant de considérer des développements vers la côte. Salluit II et III ont été construit en retrait du village, à 20 à 30 minutes de marche des équipements publics. Les seuls équipements alimentaires sont situés sur le bord de la baie. Densifier la partie centrale du village par un équipement social et alimentaire ainsi que des nouveaux quartiers résidentiels permet de créer une couture urbaine. En prenant en compte la perception de la vallée, le rapport au Fjord, l’accessibilité du territoire, je privilégie donc le scenario de l’implantation sur la colline centrale.

Distance

Densité d’équipements

139

Densité bâtie


CHOIX DE SITE J’ai cherché pour mon projet un site sur affleurement rocheux qui soit le plus central possible afin de générer des activités s’adressant à l’ensemble du village, qui offre une bonne exposition au sud mais aussi qui réponde à ma volonté d’être le plus en lien possible avec le territoire à grande échelle. Une parcelle vide sur le haut du flanc nord de la colline a alors retenu mon attention. Jugée jusqu’à lors comme “inconstructible” par les pratiques usuelles d’implantation, je lui ai reconnu de nombreux potentiels. Ce terrain en pente offre une vue imprenable sur la baie et les flancs vers le nord, tout en étant très facilement accessible par le sud. Il se trouve à proximité de nombreux équipements importants à la vie du village mais peu exploités pour cause de ne pas être dans le vieux Salluit car construits selon les pratiques usuelles : absence de relations entre eux, de visibilité de l’activité qu’ils contiennent, de relation à l’extérieur. J’y ai vu l’opportunité de réanimer cette zone ainsi que de faire la démonstration d’un nouveau rapport au contexte et au sol sur un terrain naturel.

140


Présentation du Site Le site choisi est donc un ilot libre sur le versant nord de la colline. A proximité se trouve le centre de soin, et l’arène de hockey. Au total, ce sont plus de 9000m² (120m nord-sud, 80m est-ouest) avec une quinzaine de mètres de dénivelés entre le point haut au sud-ouest et le point bas au nord est.

ETALEMENT RÉSIDENTIEL

SITE D’IM

141


RUISSEAU

BAIE DE SALLUIT

“VIEUX” SALLUIT

MPLANTATION DU PROJET

142


143


144


RELEVÉ PHOTOGRAPHIQUE

VUE VERS LE L’OUEST

145


Centre de Soin

146


VUE VERS LE NORD

Maison de Annie Alaku : une des trois seules maisons en propriĂŠtĂŠ propre de Salluit

147


148


VUE VERS L’EST

149


Piscine

RĂŠservoir : Traitement des eaux

150


VUE VERS LE SUD

Aréna de Hockey

151


152


Ce lieu est caractérisé tout d’abord par la vue qu’il offre au nord sur la baie vers laquelle je souhaite m’ouvrir, les vents qui soufflent du sud-ouest desquels il faut protéger, du soleil au sud à aller chercher en particulier pour la serre.

153


La topographie marquée aura une incidence sur les choix d’implantation mais aussi de cheminements. Les axes carrossables sont possibles uniquement transversalement, tandis que les cheminements en motoneige et piéton peuvent se faire dans toutes les directions et doivent être favorisés pour faciliter la traversée de cette zone clé entre le vieux et le nouveau village.

154


Les équipements environnants ont un rôle social important dans le village, en particulier l’arène, mais aucun espace public ne se situe à proximité. Il faudra créer des liens, des interactions avec ce contexte bâti. L’équipement pourra ainsi jouer le rôle d’espace public commun. Mais le bâti engendre aussi des nuisances visuelles et sonores dont il faut se protéger, notamment la station de production d’énergie générant un bruit important, et le réservoir d’eau (dans une moindre mesure) qui peut être considéré comme une nuisance visuelle. On prendra aussi en compte les équipements qui ne sont pas dans un périmètre immédiat mais engendrent aussi des connexions, des flux humains : piscine, écoles, centre d’éducation…

155


Le positionnement du projet ne doit pas être une entrave à la strate invisible, informelle qui existe aux environs des habitations et sur le site. En particulier, ce site est caractérisé par la présence d’un sentier qui le traverse de haut en bas. Si cette piste, utilisée par les motoneiges en hiver et les quads en été, passe par ici, peut paraître anodine à l’échelle de ce quartier, elle fait en réalité partie d’un cheminement à bien plus grande échelle, reliant les nouveaux projets résidentiels Salluit II et III au coeur du village par la voie la plus courte. Au delà de relier ces deux parties du village, elle s’étend ensuite bien plus loin que les habitations, à travers la baie lorsque celle-ci se couvre de glace, et en direction des montagnes au sud.

156


157


Premières intentions Très en amont du projet et avant même d’avoir choisi une implantation définitive, l’étude des problématiques globales du Nord et du Nunavik m’ont permi d’identifier des axes de conception généraux. Ceux ci émanent à la fois des contraintes auxquel est soumis le milieu de la construction dans ces latitudes et de la sensibilité culturelle régionale.

CONNECTIONS URBAINES, HUMAINES ET TECHNIQUES

Dans plusieurs régions du grand nord, comme en Sibérie ou encore au Nunavut, province Canadienne, la solution employée pour répondre aux besoins en eau, pétrole, chauffage est une sorte de réseau hors-sol, isolé, comprenant les tuyauteries. Elles sont parfois placées entre les maisons en arrière des rues, parfois parties intégrantes des cheminements piétons, comme une sorte de trottoir nordique. Libérant des contraintes associées à la livraison par camion, ces structures, nommées parfois “utilidors”, réduisent considérablement les quantités de radier nécessaires à l’infrastructure routière et permettent d’orienter les bâtiments plus librement, de créer des espaces partagés entre eux et la route ou encore de libérer des espaces naturels. C’est ce type d’infrastructure que je souhaite employer sur le site pour libérer l’architecture de l’emprise de la route et lier logement et programme public à l’échelle de mon site. Toutefois, il faut veiller à les disposer de sorte à ne pas créer une frontière sur le terrain qui diminuerait la permeabilité au sein du village.

158


159


RAPPORT AU SOL ET AU PAYSAGE La culture Inuit comporte aussi un rapport spécifique au sol, à la terre. La construction sur pergélisol a amené les maisons à êtres montées sur pilotis pour préserver le sol de la chaleur de la maison qui le ferait fondre. Cette surélévation n’est parfois pas bien reçue par les habitants, qui ont le sentiment que, en plus de perdre leur rapport au sol, les maisons qui leur ont dans un premier temps été imposées, pourront leur être enlevées d’un jour à l’autre. Elle impose aussi une séquence d’entrée spécifique, un emmarchement, un pallier, souvent sous-dimensionnés. Il faut alors réfléchir à des dispositifs pour intégrer plus naturellement cette hauteur à franchir dans le parcours et dans le volume. L’implantation sur les affleurements rocheux, donc souvent dans la pente, amène à réinterroger le rapport au terrain, l’intégration du bâti au sol, la question de la sous-face. Elle a l’avantage de ne pas endommager le terrain sur lequel on se pose.

160


SEUILS Dans les habitats vernaculaires, la notion d’intimité et de propriété est ambiguë, malgré le climat rude. La neige et les peaux utilisées permettaient d’entendre à tout moment ce qui se passait autour du campement. Ainsi, la question du seuil, la séquence d’entrée ainsi que les continuités sensorielles entre intérieur et extérieur sont à étudier. Jeux de transparence, translucidité, ajourage, dispositif spatial sont autant d’outils à mettre en œuvre pour enrichir et adapter le projet à ses usagers.

MODULARITÉ SAISONNIÈRE A l’image des habitations vernaculaires, je souhaite adapter le projet à la dualité du paysage du nord entre été et hiver. Cette évolutivité permettra d’adapter la vie du bâtiment d’une part au rythme des activités de chasse, de jardinage et d’artisanat tout au long de l’année, et d’autre part a l’évolution des échanges thermiques entre les espaces et fonction du climat extérieur.

161


La conception de lieux tampons, protégés mais non chauffés, translucides, bénéficiant d’apports solaires en été, fait aussi partie d’une réponse aux besoins d’espaces appropriables pour les usages traditionnels d’artisanat, la réparation et le stockage d’équipements, la rencontre informelle. Ces lieux peuvent être des intermédiaires entre deux parties « en dur » du projet ou deux logements, des extensions, des ajouts temporaires ou saisonniers. Les matériaux et structures peuvent s’inspirer de la construction traditionnelle des Kayaks, en bois et peaux, aujourd’hui en toile de nylon enduit d’uréthane.

Groupements - Connextions

Espaces tempérés

162


En rendant modulables les ouvertures ou les parois des espaces tempérés mentionnés précédemment, elles peuvent avoir des utilités variables : ouverture physique sur le paysage ou sur le village, prise de lumière, prise de chaleur. Le climat nordique implique une utilisation raisonnable des surfaces vitrées, et de faire des compromis entre la continuité sensible des espaces intérieurs et extérieurs d’une part et la protection énergétique d’autre part.

TECHNIQUES CONSTRUCTIVES La mise en œuvre, l’assemblage, mais aussi les interventions futures sur le bâti doivent être simples et durables, réalisables par la main d’œuvre locale. Salluit est un village jeune, la population ainsi que son quotidien évoluent rapidement. Une partie du processus d’appropriation passe aussi par la libre modification du bâti au cours de sa vie et selon l’évolution des besoins de la population.

163


MATERIAUX ET RESSOURCES LOCALES Dans la logique du cycle de ressources et de l’optimisation, et tenant compte des contraintes d’acheminements du matériel de construction et de la main-d’œuvre du sud, je souhaite valoriser tant que possible les ressources et savoir-faire locaux.

La récupération de la tôle et du bois des nombreux bâtiments désaffectés dans le village est un matériau gratuit et re-valorisable. Les habitants utilisent d’ailleurs souvent ces matériaux de récupération pour la construction des cabanes familiales parsemées sur le territoire. La neige a aussi un pouvoir isolant, mis à profit dans la construction d’igloos, qui peut être mis à profit par l’accumulation en hiver sur une toiture plate.

164


Formalisation architecturale RECHERCHES : DU PARCOURS LINÉAIRE AU CYCLE Les toutes premières esquisses de projet, hors sol, fonctionnaient souvent comme un complexe formant une intériorité, un espace qui pourrait être tempéré ou extérieur, faire office de lieu de rencontre public.

165


VUE VERS L’OUEST

Ensuite, dans l’idée de créer des espaces intermédiaires tempérés et faciliter les connections au sein du village, j’ai envisagé de concevoir le projet comme un parcours tempéré entre les équipements existant, en les frôlant, en les épaississant par endroits. La serre était alors combinée aux cheminements, surtout sur le flanc sud de la colline, du côté de Salluit II. Cette idée, assez conceptuelle, fut mise de côté lorsque je suis allée au Québec et que je me suis rendue a l’évidence que le rapport au froid n’était pas les même pour les Inuit que pour nous. Cette structure aurait constitué une frontière, une entrave aux libres déplacements, et une opposition forte avec le territoire.

Coupe de la coline : etude d’une implantation distendue

166


TYPOLOGIES D’ORGANISATION

Radiale

Linéaire

Circulaire

Après avoir testé des multiples configurations, il s’est avéré que l’organisation cyclique permetait au mieux de répondre aux interactions multiples existant entre les différentes parties du programme, qui correspondent aux flux de matières de la production de l’aliment jusqu’à sa consommation (ou sa transformation en objet d’artisanat). Elle permet de valoriser à la fois le fil conducteur du cycle des ressources et l’idée d’un parcours à travers les programmes.

COMPTOIR

CUISINE ATELIERS

PREPARATION

SERRES

CONGELATION

167


Du fait de la topographie et des parcours que je souhaite maintenir sur le site, la boucle n’est toutefois pas close. La serre épouse la pente, configurée en niveau, formant des carrés de culture distincts qui peuvent être répartis à la population et aux associations. La cuisine communautaire et l’atelier se superposent ouvrant ainsi un passage sous le bâtiment. La porositée ainsi crée correspond au sentier déjà ancré dans la pratique informelle du site et débouche au point haut.

168


Deux espaces extérieurs se dessinent donc : au centre, un lieu qui s’apparente à une cour, et au sud-ouest, en haut du site, un parvis qui est en relation directe avec l’arena et le cenre de soin. Leurs statuts, dans le contexte du Nunavik qui ne dispose pas d’espaces publics aménagés, est à inventer. Pour créer la couture urbain à l’échelle de l’îlot et encourager l’appropriation informelle, des infrastructures plus libres et souples viennent soutenir les cheminements, en longeant l’équipement, le traversant, l’épaississant, offrant des lieux d’arrêts et de travail, comme un ruban qui s’enroulerait autour de l’élément formel contenant les programmes définis.

169


Mai : Croquis des volumes et faรงades

170


Etape de mai : perspective extérieure

Le sentiment d’intériorité généré par le bâtiment reste subtil, par les vues et les passages créés. La possibilité d’étendre les activités à l’extérieurs l’animent, ainsi que sa visibilité, qui est assurée par son programme, son implantation sur le flanc de la colline et son intégration aux cheminements quotidiens des habitants. L’aménagement des espaces extérieurs est fortement affecté par la neige en hiver, qui efface toute intervention qui ne serait pas perceptible en volume. Un enjeux est donc de travailler le parvis au sud et la cour par des jeux de plateformes, éventuellement de nivellement, ou d’autres interventions qui permettent d’induire des cheminements et des sentiments de limites quelle que soit la saison.

171


Etape de mai : perspective d’un atelier et de la jonction avec la cuisine

L’esquisse présentée ici n’est qu’une ébauche de ce que pourront devenir les espaces intérieurs. Rythmé par les jeux d’opacité, de translucidité et de transparence, des liens sensoriels seront créés entre les programmes. Parallelement, les espaces très fonctionnels doivent s’alterner avec des lieux moins définis, qui pourront acceuillir un rendez-vous spontané, une personne recherchait l’isolement, créer une alternative aux espaces domestiques ou équipements publics formels.

172


APPROCHE CLIMATIQUE Etape de mai : températures des espaces en hiver, mi-saison et été

173


APPROCHE TECHNIQUE ET STRUCTURELLE Dans la suite du travail, je souhaite approfondir aussi la dimension technique du projet, par un dessin cohérent des flux compte tenu des contraintes d’approvisionnement et de rigueur climatique. Les points de livraisons et l’emplacement des cuves de stockage d’eaux propres et usées seront pensés selon les accès mais aussi les hauteurs pour mettre en place un système gravitationnel. D’un point de vue constructif, les modules se veulent simples, identiques dans la dimension et l’espacement des portiques, en bois pour permettre une préfabrication, mais aussi pour lui permettre d’évoluer dans l’avenir. Le village inuit est jeune, et je considère que de nouveaux besoins pourront émerger rapidement.

Dans le but de lier temporalité du projet, climat des espaces et les flux multipes d’usagers, le projet évolue actuellement vers un système de double enveloppe. Une première, translucide, modulable, permet de créer un premier seuil. Dedans y sont inserés les volumes isolés et fonctionnels. Entre les programmes serpente alors un cheminement

174


Dans le but de lier temporalité du projet, climat des espaces et les flux multipes d’usagers, le projet évolue actuellement vers un système de double enveloppe. Une première, translucide et modulable, permet de créer un seuil. A l’intérieur sont inserés les volumes isolés et fonctionnels. Entre les programmes serpente alors un cheminement, un SAS unifié pour tout l’équipement. Ce dispositif permet d’entrer en plusieurs points du bâtiment dans un même espace, sans hiérarchie entre les accès, que l’on vienne à motoneige depuis le bas du site, en 4x4 depuis la route, ou à pied depuis le centre de soin.

175


Recherches : Double-enveloppe, transluciditĂŠ et modularitĂŠ

176


Aussi à l’échelle de l’îlot, la temporalité et la projection dans le futur rentrent en compte. Mon projet s’inscrit dans une démarche globale de refléxion et de collaboration notamment entre l’école d’architecture, le Centre d’Etude Nordique de l’université de Laval au Québec, et l’INSA de Strasbourg. Cette reflexion s’étend de la structure urbaine aux espaces domestiques, en passant par la question du vivre ensemble et de la densité des habitations, dans le but de trouver des solutions architecturales viables et durables pour les Inuit du Nunavik. Dans ce cadre, j’ai choisis de réfléchir à la place d’un équipement communautaire qui réponde à des besoins culturels, économiques et sociaux, et qui génère une forme d’espace public adaptée à la culture et au contexte de Salluit. Si cela avait été envisagé au départ, j’ai fais le choix de ne pas concevoir de logements car s’interesser à l’espace domestique est une problématique complexe qui pourrait faire l’objet d’un tout autre projet. Toutefois, je conçois l’implantation de mon bâtiment comme complémentaire aux travaux effectués par les architectes et étudiants en architecture qui ont traité des stratégies de densification et d’adaptation culturelle de l’habitat. Ainsi je souhaite projeter mon bâtiment dans cette démarche plus générale et imaginer sa cohabitation avec un projet de logement qui réponde aux enjeux identifiés lors de mon étude des villages du Nunavik : relation au coeur de l’ilot pour acceder au territoire naturel, liberté par rapport aux infrastructures routières, espaces protégés et partagés, accompagnement des cheminements informels... En effet, raccomoder la trame urbaine de Salluit est un projet de longue haleine et favoriser la mixiter typologique et programmatique du village n’est faisable qu’en multipliant les approches et les propositions architecturales.

177


178


RENDU ÉTAPE MAI :

179


180


COUPES SUD-NORD, OUEST-EST

181


182


COUPES TRANSVERSALES

Espace traversant

183


Espace isolé

Congélateur d’hiver et d’été

Façade sud : serre

184


Inspirations

Maison Meme, Kengo Kuma - Japon 185


New Arctic Building Practice, Vandkunsten architects 186


“Nest We Grow”, Serre communautaire Lixil JS Fondation, Kengo Kuma & Associates. 187


Fragile Shelter, Hidemi Nishida Studio 188


Dorte Mandrup Arkitekter, Centre de recherche du Climat - Groenland 189


Stephan De Crook 190


Bibliographie Livres et revues : CANOBBIO, E. Mondes Arctiques, Miroirs de la mondialisation. Pais, La Documentation Française, 2011 COLLIGNON , B. Domestic Spaces and Cultural Geography. Percorsi di geografia. Tracultura, società e turismo, Mercat DAWSON, P.C., Space syntax analysis of Central Inuit snow houses, Journal of Anthropological Archaeology, 2002 DAWSON, P.C.,Analysing the effects of spatial configuration on human movement and social interaction in Canadian Arctic communities DESPLANQUES, F. Nénètses de Sibérie, Les Hommes Debout. Chêne, 2005 MAUSS, M. Essai sur les variations saisonnières des sociétés Eskimos, L’année Sociologique (tome IX, 1904-1905) MARTIN, T. Modernité reflexive au Nunavik NOPPEN, L. Architecture, forme urbaine et identité collective. Septentrio, 1995 VICTOR, P-E. Banquise : Terres inconnues du Groenland. Ed. Bernard Grasset, 1939. Habiter le Grand Nord : Maquette livre Inuit – Regroupement des travaux d’élèves de l’INSA et l’Université de Laval

191


Thèses et mémoires : AVARD, E. Northern Greenhouses: An Alternative Local Food Provisioning Strategy for Nunavik, 2015 BLOUIN, M Congélateurs communautaires des villages nordiques du Nunavik - Rapport d’inspection et programme fonctionnel et technique, 2015 BRIERE, A. L’appropriation de l’espace domestique inuit: enjeux socioculturels à Kangirsujuaq, au Nunavik, 2014 CHABOT, M. De la production domestique au marché : l’économie contemporaine des familles Inuit du Nunavik, 2001 LE MOUËL, C. Habitat Inuit au Nunavik, tentative d’appropriation d’un modèle allogène, 2014 ROSADA, M. Reinterpreting the Iglu - Towards an architecture of Inuit dwelling in the 21th Century, 2015 UNIVERSITE LAVAL, Recherche Nunavik – Document de travail, 2013 Références Électroniques : MAROIS, A. « D’un habitat mobile à un habitat fixe », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines VATE, V. « « La tête vers le lever du soleil… » », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines

192


193


Remerciements Je tiens tout d’abord à remercier sincèrement mon directeur de diplôme, Philippe Dahan, pour son accompagnement et son enthousiasme tout au long de l’année. Un grand merci à Marc Blouin pour tout le temps qu’il m’a accordé pour suivre l’évolution de mon projet, et pour m’avoir suggéré de m’intéresser à ce sujet fascinant. Merci aux acteurs d’Habiter le Nord Québécois, Geneviève Vachon, André Casault et les étudiants pour leur accueil, à l’Université Laval pour m’avoir donné l’opportunité unique d’aller à la rencontre de Salluit. Nakurmiik à tous les habitants de Salluit, l’équipe du bureau municipal, Cyril, Steve, tous ceux qui m’ont aidé à comprendre leur quotidien, leurs besoins et qui ont reçu mon projet avec tant d’enthousiasme, Merci à Chloé et Louis Piccon pour m’avoir apporté eux aussi leur regards et leurs ressentis sur le Nunavik, ainsi qu’à toute l’équipe enseignante de l’INSA. Merci à Hannah et Séverine pour les relectures et conseils, Merci Séverine, Valentin, Bastien et Gabrielle pour leur soutien et le travail qu’ils fourniront pendant les semaines à venir,

Enfin, merci du fond du cœur à ma famille et tout particulièrement à Nathalie, pour m’avoir fait découvrir toute jeune les richesses du Grand Nord, de ses paysages et de ses cultures.

194


195


196


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.