Dossier pédagogique Farben

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FARBEN

THÉ

RE ÂT

De Mathieu Bertholet (Éditions Actes Sud-Papiers) Mise en scène Véronique Bellegarde Compagnie Le Zéphyr

Farben © Philippe Delacroix

VENDREDI 20 MARS - 20H30 Durée : 1h30

DOSSIER PÉDAGOGIQUE LA FAÏENCERIE-THÉÂTRE DE CREIL Allée Nelson, CS 50012, 60104 Creil Cedex 03 44 24 01 01 - www.faiencerie-theatre.com Direction Grégoire Harel


FARBEN

De Mathieu Bertholet (Éditions Actes Sud-Papiers) Mise en scène Véronique Bellegarde Compagnie Le Zéphyr

VENDREDI 20 MARS - 20H30 Durée : 1h30 Avec Olivier Balazuc, François Clavier, Héléne Delavault, Laurent Joly, Odja Llorca, Sylvie Milhaud. Scénographie Véronique Bellegarde / Lumière Philippe Sazerat / Images Olivier Garouste / Composition musicale Médéric Collignon / Création sonore Tom Ménigault / Machines scientifiques et théâtrales Olivier Vallet / Costumes Laurianne Scimemi / Administration Fabienne Coulon / Diffusion Olivier Talpaert - En votre Compagnie. Remerciements à David Lescot et à Philippe Binard / Théâtre des Amandiers de Nanterre et à la Mousson d’été. Coproduction Le Zéphyr et Le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, scène nationale, avec l’Aide à la création du CnT et le soutien de l’ADAMI-Copie Privée et du Ministère de la Défense – Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives Farben a été crée une première fois en résidence de création en 2012 au Théâtre de SaintQuentin-en-Yvelines puis à la Manufacture CDN de Nancy, au Théâtre de l’Union, CDN du Limousin et au Carreau Scène Nationale de Forbach Re-création en résidence et avec le soutien du Nouveau Relax à Chaumont (Haute Marne)

Ce spectacle est programmé dans le cadre du FASTE #3 - Forum Arts Sciences Technologies Éducation, temps fort de la saison où l'on célèbre pendant 17 jours les arts et les sciences. Dans le cadre du Forum nous vous proposons en amont de chaque spectacle des Apéros arts-sciences à 19h00 pour discuter, échanger et apprendre au contact de chercheurs passionnés et brillants. • APÉRO ARTS-SCIENCES •

HISTOIRE DE L’ACCÈS DES FEMMES AU SAVOIR >> 19h00 > Salon Canneville >> 1h00 >> Entrée libre

À VENIR BINÔME

ÉDITION # 5 LE POÈTE ET LE SAVANT

Conception et réalisation Thibault Rossigneux Compagnie les sens des mots • Création Artiste compagnon de La Faïencerie-Théâtre NOCES CHEZ LES ÉPINOCHES de Gustave Akakpo, auteur, à la suite de sa rencontre avec Wilfried Sanchez, écotoxicologue (INERIS, Région Picardie, Faïencerie-Théâtre de Creil). LUNDI 23 MARS - 19h00 > PONT-ST-MAXENCE >> La Manekine EXTRÊMOPHILE d’Alexandra Badea (L’Arche Éditeur), auteure, à la suite de sa rencontre avec Bernard Ollivier, spécialiste en microbiologie des environnements extrêmes (IRD – MIO – Région PACA – Culture Science) SAMEDI 28 MARS - 20H30 > MONTATAIRE >> Le Palace

En présence de SYLVAINE TURCK-CHIEZE, présidente de l’association Femmes et Sciences, et de SUZANNE MATHIEU, de l’association Femmes et Ingénieurs.

Vous pourrez également profiter de cette sortie pour découvrir une exposition de photographies d’art sur les sciences intitulée La recherche de l'art #3.

→ Exposition photo / du 12 au 25 mars, du mardi au samedi de 14h à 18h et les soirs de spectacle à partir de 19h00 - Entrée libre - LA RECHERCHE DE L’ART # 3 / Photographies de Rebecca Topakian, Anne-Sophie Tritschler, B. Bellabas, Camille M. • AUTOUR DU SPECTACLE •

ATELIER DRAMATURGIE >> Samedi 21 mars - 14h00 à 17h00

Tarifs : 10€ abonné / 15€ non-abonné / 5€ pour les lycéens partenaires Véronique Bellegarde metteuse en scène, vous propose un atelier de sensibilisation à la mise en scène. En partant des travaux de jeunes auteurs européens, elle vous accompagnera dans le décryptage de la dramaturgie de textes courts.

Informations pratiques La Faïencerie-Théâtre de Creil Allée Nelson CS 50012 60104 CREIL Cedex Action culturelle // Education Artistique Laurence Cabrol 03 44 24 95 74 actionculturelle@faiencerie-theatre.com Renseignements // Réservations Caroline Porebski 03 44 24 01 01 accueil@faiencerie-theatre.com

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L'HISTOIRE Deux coups de feu dans l'aurore. Berlin-Dahlem se réveille en sursaut. Le front est loin, mais aujourd’hui la guerre était dans la maison d’à côté. Mai 1915, Clara Haber perd son sang dans le gazon mouillé. Près d'elle, son fils, son mari avec son arme de service. Pas de larmes. Le mari remonte les marches vers la villa, il prend le téléphone et dicte une annonce mortuaire. Il fait ses valises, donne des ordres au personnel de la maison et de son laboratoire. Il quitte Berlin, direction le front de l'Est. Il y avait une fête hier soir dans cette villa. Des officiers, des scientifiques et leurs femmes ont fêté le succès de Fritz Haber et de son Institut dans les tranchées d’Ypres. On fêtait la mort de dix-huit mille hommes, tombés dans la première attaque au gaz de l'histoire. Ils étaient des ennemis, une bonne raison de fêter ça. Clara se traîne dans la maison depuis le matin. Elle ne veut pas. Ce soir, elle se disputera avec son mari pendant sa fête et elle montera très tôt dans sa chambre. Les gens parleront. Ils penseront, ils diront : Fritz en aime une autre, une plus jeune, une plus belle, une vraie femme, pas une de ces scientifiques, pas une de ces femmes modernes. Mais ils auront tort. Oui, Fritz en a une autre, mais Clara ne s’y intéresse pas. Elle ne peut plus supporter que leur science, leur travail aient mis fin à tant de vies. En 1890, ils se sont rencontrés à Breslau. Pendant de longues années, Clara s’est battue pour réaliser son rêve : elle veut devenir chimiste. Et ce n’est pas simple. Il y a encore très peu de femmes dans les universités et les vieux professeurs n'aiment pas enseigner au sexe faible. En 1900, elle est la première femme docteur en chimie de l'Université de Breslau.

© Maurice L’Ampoule

Lors d’un voyage de travail à Fribourg, elle revoit Fritz. Il est devenu un chimiste réputé. Il veut l’épouser. Elle hésite et finit par accepter, touchée par l’idée de deux bureaux « égaux » qui se feront face dans un même laboratoire. Un mariage pour encadrer la recherche commune.

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Mais les choses se passent autrement. Pour Fritz rien n’est facile non plus. Il est juif. Aussi difficile pour lui d'obtenir un poste universitaire que pour sa femme d'étudier. Elle le soutient, cuisine, nettoie, fait tout ce qu’une femme a fait depuis des siècles, mais sans grand talent. Elle espère qu’un jour tout ira mieux, qu’ils pourront employer du personnel et qu’elle pourra travailler avec son mari au laboratoire. Mais les choses se passent encore autrement. Elle (ils) a (ont) un fils et son destin est scellé. Plus jamais elle ne fera de chimie ; son mari ne veut pas la voir « traîner » au laboratoire. Fritz Haber commence à être reconnu professionnellement. Son travail avance. Il invente une méthode pour produire de l’azote avec de l’air. Sa situation financière et sa réputation s’améliorent. On l’appelle à Berlin où on lui offre son propre Institut. Clara a montré qu’une femme de son époque pouvait être plus qu’une mère. Fritz veut montrer qu’un juif peut être aussi un bon allemand. Il veut -à tout prix- aider l'Allemagne à faire une avancée significative dans les tranchées de la Grande Guerre. Depuis le début de la guerre, il concentre ses recherches sur une nouvelle arme : le gaz de combat. Il utilise les relations qu'il a tissées dans l’industrie chimique durant ses années de travail. Il cherche un produit qui soit facile à exploiter dans l’Allemagne isolée par le Blocus et trouve des produits dérivés de la fabrication d’engrais. Après de nombreux tests dans son Institut et sur le terrain près de Cologne, la première attaque a lieu le 22 avril 1915. Durant la guerre, il développe de nombreux gaz, du gaz de chlore en passant par le gaz Moutarde jusqu'au Zyklon B. Il ne sait pas que 25 ans plus tard, des millions d'autres juifs mourront de sa découverte dans les chambres à gaz. Le titre : Farben = « couleur » en allemand Les usines IG Farben : groupe d’usines allemand d’où sortira le Zyklon B. Cette pièce s'appelle Farben parce que les gaz de combat sont colorés, et parce que Clara rêve en couleurs. (Mathieu Bertholet)

NOTES POUR LA MISE EN SCÈNE Farben associe une construction dramatique innovante et des faits historiques dont les résonances humaines et politiques sont plus que jamais actuelles ; les possibles dérives de la science et du pouvoir. Elle questionne la responsabilité morale du scientifique. C’est une pièce documentaire structurée de façon architecturale et plastique, visuelle et particulièrement rythmée. Les actes sont des couleurs de gaz. Les scènes sont minutées comme une bombe à retardement. La tension dramatique est forte. L’histoire nous touche. Les tableaux oniriques sont riches, évocateurs et appellent une qualité picturale et musicale. Un mélange détonnant de classicisme et de modernité : La juxtaposition d’une forme très contemporaine et de l’Histoire crée un frottement qui met en relief son intemporalité. Elle ravive notre regard. Farben est un objet artistique nouveau avec un sujet fort abordé sans didactisme, par la conscience et le prisme des émotions de Clara Immerwahr. J’ai été saisie par le destin de cette femme, première chimiste allemande, qui croyait dans l’humanité et dans la science. Une fois de plus, la folie du pouvoir, l’intérêt, l’orgueil ont eu raison des idéaux. Son suicide est un symbole fort. Il résonne comme un geste visionnaire et politique. LA FAÏENCERIE-THÉÂTRE DE CREIL Allée Nelson, CS 50012, 60104 Creil Cedex 03 44 24 01 01 - www.faiencerie-theatre.com Direction Grégoire Harel

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>> LA FORME ET LE TRAITEMENT L’architecture de la pièce est micro-séquencée par des fragments de multiples et courts formats comme autant de morceaux de puzzle. L’auteur propose aussi des “à-côté“, “des miniatures“, que l’on peut choisir d’insérer à son gré. La forme est ludique et découpée. Sept lieux différents et une centaine de séquences, pour une durée globale d’une heure et demie environ. Quatre tableaux colorés découpent l’histoire, nommés : Jaune citron, Vert acide, Bleu ciel, Rouge sang. La mise en scène est conçue dans un mouvement fluide et en métamorphose continue. L’onirisme Chaque épisode est traité en considérant les effets de chacune des couleurs sur le psychisme de Clara. C’est par le prisme des visions de Clara que se déroule l’histoire. Ses rêves sont évoqués par des illusions d’optique ; apparitions dans des gaz et des liquides, dans un univers magique et inquiétant, tout en métamorphose. Le gazon de l’institut devient le champ de bataille d’Ypres et les êtres en deviennent d’autres. Les hallucinations de Clara s’entrechoquent au réel. Cette période est aussi celle de Freud et de L’interprétation des rêves et de la peinture expressionniste. Des machines théâtrales, conçues par Olivier Vallet, à la lisière des arts et de la science sont les supports de cet univers onirique ; “Le miroir liquide“ (film de savon géant), “L’instrument à brumes“ (écran de fumée pour projeter des images) sont manipulés par les personnages de la pièce. Ils sont les joueurs des “Règles pour le jeu“ proposées par l’auteur. Écriture de signes dans l’espace Cette dramaturgie singulière appelle un traitement de l’espace structuré et graphique ; Des marquages sont tracés au sol et les lignes de visions sont fragmentées. Des jeux de miroirs et de reflets créent de fausses perspectives mouvantes. L’espace est dessiné et mobile ; ludique et cadré. Cette rigueur permettra à la fiction de se poser lisiblement sur la forme et de laisser ressortir les enjeux humains et politiques. La fiction reste au premier plan. Les enjeux de la musique Là aussi se juxtapose un classicisme présent dans le texte (valse viennoise, lied de Wagner…) et une musique contemporaine, composée par Médéric Collignon. La cantatrice, jouée par Hélène Delavault, se mue parfois en chanteuse de cabaret berlinois et interprète des chansons inédites de Frank Wedekind et de Kurt Tuchlosky (en ajouts à la pièce). La poussée de mouvements artistiques déstructurés heurte la tradition. Véronique Bellegarde

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MATHIEU BERTHOLET De Berlin au Grütli de Genève, en passant par Los Angeles, Mathieu Bertholet est un jeune dramaturge suisse qui puise dans l’histoire, les mythes antiques, les mythologies du jour, le cinéma et l’architecture, la matière de pièces dans lesquelles le questionnement sur le monde contemporain importe autant que le renouvellement des formes théâtrales. Sa compagnie MuFuThe est en résidence actuellement en Valais (Suisse). Il est responsable de formation Master de mise en scène à la Manufacture de Lausanne et co-responsable du département d’écriture dramatique à l’ENSATT. Depuis janvier 2015 Mathieu Bertholet est directeur du Théâtre de POCHE/GV (Suisse) exclusivement consacré aux écritures contemporaines.

Moi, jeune homme, j'ai écrit une pièce sur cette femme parce qu'elle me touche. Moins par son précoce combat féministe que par son ambition de réaliser son rêve. Clara Haber ne s'est jamais battue en tant que femme contre un monde d'hommes. Elle a, humaine avec des rêves trop grands, tout entrepris avec envie et plaisir : ses études, son couple, son enfant. Trop naïve comme le sont souvent les gens trop bons elle n’a malheureusement pas su voir les conséquences de ses choix. Elle a fait confiance à Fritz qui ne pouvait pas vivre avec une femme comme elle. Je me suis approprié cette histoire parce qu'elle est l’image d’une époque et qu’elle pose tant de questions à notre nouveau siècle. J'ai écrit l'histoire d'une femme avec des rêves trop grands. J'ai écrit l'histoire d'un homme et d'une femme qui se sont consacrés à la science avec la même conviction : faire le bien de l'Humanité. Et pourtant, en une nuit, sont morts dix-huit mille soldats anonymes et la première femme chimiste de Breslau. Tout deux ont porté la responsabilité de leurs rêves. Fritz croyait en l’Allemagne, en la recherche et en la science. Clara, en une science pour l'Humanité. Cette pièce s'appelle fArbEn, parce que les gaz de combat sont colorés, et parce que Clara rêve en couleurs. Mathieu Bertholet

CLARA IMMERWAHR D’origine juive, Clara était issue d’une riche famille laïque, elle naquit le 21 juin 1870 à Breslau. Son père était un scientifique notable qui fit ses classes avec Robert Bunsen comme professeur. Clara connut Fritz Haber en 1886, à 15 ans à peine. Il en avait 18. En 1892, leurs fiançailles furent rompues par Siegfried Haber, suite à l’un des nombreux conflits qui l’opposa à son fils. Clara se mit à étudier la chimie et elle a été la première femme à recevoir un doctorat de l’université de Breslau. Il fallut attendre neuf ans et 1901 pour que Fritz retrouve Clara lors du 8ème congrès de Fribourg. C’est là qu’ils renouèrent leur idylle et que Fritz renouvela sa demande en mariage. Clara, d’abord hésitante, finit par y consentir et leur mariage eut lieu trois mois plus tard, le 3 août 1901. À Karlsruhe, où ils s’installèrent, Clara dut s’occuper seule des travaux domestiques, peu compatibles avec les dons évidents qu’elle possédait. Elle fut contrainte de ralentir ses travaux en laboratoire, pour les abandonner totalement LA FAÏENCERIE-THÉÂTRE DE CREIL Allée Nelson, CS 50012, 60104 Creil Cedex 03 44 24 01 01 - www.faiencerie-theatre.com Direction Grégoire Harel

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lorsqu’elle connut les premiers malaises dus à sa grossesse difficile. Les complications lors de la grossesse de Clara provoquèrent chez Fritz de nombreuses manifestations d’anxiété. Il fut atteint d’une gastrite durant plusieurs semaines, si bien qu’à la naissance de son fils Hermann, ce fut Fritz qui devint le principal accablé. Trois mois plus tard seulement, Fritz accepta un voyage de quatre mois aux États-Unis, laissant Clara s’occuper seule de son enfant. Dès son mariage, Clara Immerwahr souffrit de la froideur, de l’indifférence et des absences répétées de son mari. Le point qui les opposa violemment fut les prises de position de Haber pendant la guerre de 14-18. Dès le début, Clara Haber a fait l’impossible pour dissuader son mari d’entreprendre des recherches qu’elle juge criminelles et contraires à l’éthique scientifique la plus fondamentale. Elle a tenté en vain de faire comprendre à Fritz Haber à quel point son travail sur les gaz toxiques corrompait et pervertissait l’essence même de la chimie. Elle a plaidé au nom des principes humanitaires et, finalement, elle a exigé qu’il abandonne immédiatement ses recherches. Mais Haber a refusé de l’écouter au nom des intérêts supérieurs du pays. Un savant, lui a-t-il répondu, appartient au monde en temps de paix et à son pays en temps de guerre. Les gaz pouvaient permettre à l’Allemagne de gagner la guerre et lui-même luttait pour une Allemagne triomphante, pilier de justice et d’ordre, soutien de la culture et de la science. L’obstination de son mari va révolter Clara. « Elle aurait pu décider la séparation ou le divorce, note Morris Goran. Elle aurait alors tenté d’être à nouveau reconnue en tant que Clara Immerwahr, savante et militante humanitaire. Elle aurait aussi pu effacer la tache que le nom de Haber associé aux gaz empoisonnés, lui avait infligée. Mais elle ne réfléchissait pas de manière logique et elle agit dans le feu de la dispute. » Désespérée par l’attitude de son mari, Clara se suicide d’un coup de revolver, un soir du printemps 1915, alors que Haber dirige une attaque aux gaz sur le front Est.

FRITZ HABER (9 décembre 1868 à Breslau - 29 janvier 1934 à Bâle). Chimiste allemand ; il a reçu le prix Nobel de chimie de 1918 pour ses travaux sur la synthèse de l'ammoniac, importante pour la fabrication d'engrais et d'explosifs. Il est également considéré comme le « père de l'arme chimique » pour ses travaux sur le chlore et d'autres gaz toxiques largement utilisés pendant la Première Guerre mondiale, ainsi que pour la mise au point du Zyklon B. D'origine juive, il fut contraint à l'exil en 1933 et mourut sur le chemin de Bâle en Suisse. Il n'a jamais su comment les nazis utilisèrent le fruit de ses recherches. Durant la période de 1894 à 1911 à Karlsruhe, Fritz Haber développe en compagnie de Carl Bosch le procédé Haber, un procédé de formation catalytique de l'ammoniac à partir d'hydrogène et d'azote dans des conditions de haute température et haute pression, que BASF adoptera en 1909. Il devient riche et influent. En 1914, il est l'un des signataires du Manifeste des 93 (page 10) : ce document, publié en Allemagne dans La Revue Scientifique le 4 octobre 1914 en réaction au repli allemand lors de la bataille de la Marne, soutenait la politique guerrière du Reich et de son Kaiser. Il obtient la médaille Liebig en 1914 (distinction décernée par la Société des chimistes allemands.). LA FAÏENCERIE-THÉÂTRE DE CREIL Allée Nelson, CS 50012, 60104 Creil Cedex 03 44 24 01 01 - www.faiencerie-theatre.com Direction Grégoire Harel

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Il a reçu le prix Nobel de chimie de 1918 pour ses travaux. Le procédé Haber a été une étape importante dans la chimie industrielle, car il a séparé la production de produits azotés, comme les engrais, les explosifs et les matières premières chimiques, des ressources naturelles terrestres, en particulier du nitrate de sodium, dont le Chili était l'un des principaux (et presque unique) producteur. La disponibilité soudaine d'engrais azotés bon marché a permis d'éviter une catastrophe malthusienne. Les prix Nobel des années de guerre (1914 à 1919) furent décernés en juin 1920. Les Français, les Britanniques et les Américains boycottèrent la cérémonie en raison des activités d'Haber pendant les hostilités. Travaux militaires et premier mariage : Pendant la Première Guerre mondiale, il travaille activement à la mise au point d'armes chimiques et l'emploi du chlore comme gaz de combat (« vagues dérivantes ») et reçoit l'accord de l'état-major allemand. La première offensive allemande au chlore, sous sa supervision, est réussie mais ne parvient pas à obtenir la percée décisive pour des raisons essentiellement stratégiques. La première épouse de Fritz Haber, Clara, également chimiste de formation, réprouve ce dévoiement de la science et se donne la mort quelques jours après cette première attaque. Haber avait connu Clara à l’âge de dix-huit ans (elle en avait alors quinze) et il avait voulu la demander en mariage. Mais leurs parents respectifs s’étaient opposés au projet, jugeant Haber trop jeune. Les deux jeunes gens avaient pu se fiancer quand Haber s’était mis à travailler pour le compte de son père, mais les fiançailles avaient été rompues à la suite de la malheureuse affaire du chlorure de chaux. Sous l’influence de Haber, Clara s’était entre-temps mise à étudier la chimie et elle avait été la première femme à recevoir un doctorat de l’université de Breslau. A Fribourg, Fritz et Clara renouent leur ancienne idylle et se marient trois mois plus tard, au cours de l’été 1901. Cette surenchère dans la barbarie, c’est plus que la femme de Haber ne peut en supporter. Dès le début, Clara Haber a fait l’impossible pour dissuader son mari d’entreprendre des recherches qu’elle juge criminelles et contraires à l’éthique scientifique la plus fondamentale. Elle a tenté en vain de faire comprendre à Fritz Haber à quel point son travail sur les gaz toxiques corrompait et pervertissait l’essence même de la chimie. Elle a plaidé au nom des principes humanitaires et, finalement, elle a exigé qu’il abandonne immédiatement ses recherches. Mais Haber a refusé de l’écouter au nom des intérêts supérieurs du pays. Un savant, lui a-t-il répondu, appartient au monde en temps de paix et à son pays en temps de guerre. Les gaz pouvaient permettre à l’Allemagne de gagner la guerre et lui-même luttait pour une Allemagne triomphante, pilier de justice et d’ordre, soutien de la culture et de la science. L’obstination criminelle de son mari va révolter Clara. « Elle aurait pu décider la séparation ou le divorce, note Morris Goran. Elle aurait alors tenté d’être à nouveau reconnue en tant que Clara LA FAÏENCERIE-THÉÂTRE DE CREIL Allée Nelson, CS 50012, 60104 Creil Cedex 03 44 24 01 01 - www.faiencerie-theatre.com Direction Grégoire Harel

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Immerwahr, savante et militante humanitaire. Elle aurait aussi pu effacer la tache que le nom de Haber associé aux gaz empoisonnés, lui avait infligée. Mais elle ne réfléchissait pas de manière logique et elle agit dans le feu de la dispute. » Désespérée par l’attitude indigne de son mari, Clara se suicide d’un coup de revolver, un soir du printemps 1915, alors que Haber dirige une attaque aux gaz sur le front Est. La constante de Haber désigne la dose minimale de gaz fatale à l'homme. La « constante de Haber » s’applique selon la formule P = C / T, où C est la constante, P le poids de gaz en milligrammes par mètre cube et T le temps d’exposition en minutes. On peut, grâce à elle, calculer la dose mortelle d’un gaz en fonction du temps d’exposition. Un institut berlinois porte toujours son nom (Fritz-Haber-Institut der Max-Planck-Gesellschaft) ainsi qu'un autre à Karlsruhe et le centre de recherches en dynamique moléculaire de l'Université hébraïque de Jérusalem, le Fritz Haber Center for Molecular Dynamics Research. Membre du conseil de surveillance du groupe militaro-industriel IG Farben dès sa création en 1925, Haber fut aussi actif dans les recherches sur les réactions de combustion, sur la séparation de l'or de l'eau de mer, sur l'effet adsorption et en électrochimie. La plus grande partie de son travail eut lieu de 1911 à 1933 à l'Institut de physique et d'électrochimie de Berlin-Dahlem. Il s'intéressa également aux pesticides et mit au point le Zyklon B, produit qui sera employé des années plus tard dans les chambres à gaz des camps d'extermination. En 1932, il fut encore lauréat de la Médaille Rumford. Haber étant juif selon l'idéologie des nouveaux maîtres de l'Allemagne, les lois nazies l'obligèrent à prendre sa retraite après la promulgation des lois antisémites et à émigrer en 1934, malgré tous ses bons et loyaux services. Il avait obtenu un poste à Cambridge mais mourut la même année lors de son passage à Bâle.

© Philippe Delacroix

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MANIFESTE DES 93 (INTÉGRALITÉ DU DOCUMENT CITÉ DANS FARBEN) “Appel au monde civilisé“ En qualité de représentants de la science et de l'art allemand, nous, soussignés, protestons solennellement devant le monde civilisé contre les mensonges et les calomnies dont nos ennemis tentent de salir la juste et noble cause de l'Allemagne dans la terrible lutte qui nous a été imposée et qui ne menace rien de moins que notre existence. La marche des événements s'est chargée de réfuter cette propagande mensongère qui n'annonçait que des défaites allemandes. Mais on n'en travaille qu'avec plus d'ardeur à dénaturer la vérité et à nous rendre odieux. C'est contre ces machinations que nous protestons à haute voix : et cette voix est la voix de la vérité. Il n'est pas vrai que l'Allemagne ait provoqué cette guerre. Ni le peuple, ni le Gouvernement, ni l'empereur allemand ne l'ont voulue. Jusqu'au dernier moment, jusqu'aux limites du possible, l'Allemagne a lutté pour le maintien de la paix. Le monde entier n'a qu'à juger d'après les preuves que lui fournissent les documents authentiques. Maintes fois pendant son règne de vingt-six ans, Guillaume II a sauvegardé la paix, fait que maintes fois nos ennemis mêmes ont reconnu. Ils oublient que cet Empereur, qu'ils osent comparer à Attila, a été pendant de longues années l'objet de leurs railleries provoquées par son amour inébranlable de la paix. Ce n'est qu'au moment où il fut menacé d'abord et attaqué ensuite par trois grandes puissances en embuscade, que notre peuple s'est levé comme un seul homme.

© Maurice L’Ampoule

Il n'est pas vrai que nous avons violé criminellement la neutralité de la Belgique. Nous avons la preuve irrécusable que la France et l'Angleterre, sûres de la connivence de la Belgique, étaient résolues à violer elles-mêmes cette neutralité. De la part de notre patrie, c'eût été commettre un suicide que de ne pas prendre les devants.

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Il n'est pas vrai que nos soldats aient porté atteinte à la vie ou aux biens d'un seul citoyen belge sans y avoir été forcés par la dure nécessité d'une défense légitime. Car, en dépit de nos avertissements, la population n'a cessé de tirer traîtreusement sur nos troupes, a mutilé des blessés et égorgé des médecins dans l'exercice de leur profession charitable. On ne saurait commettre d'infamie plus grande que de passer sous silence les atrocités de ces assassins et d'imputer aux Allemands la juste punition qu'ils se sont vus forcés d'infliger à des bandits. Il n'est pas vrai que nos troupes aient brutalement détruit Louvain. Perfidement assaillies dans leurs cantonnements par une population en fureur, elles ont dû, bien à contrecœur, user de représailles et canonner une partie de la ville. La plus grande partie de Louvain est restée intacte. Le célèbre Hôtel de Ville est entièrement conservé : au péril de leur vie, nos soldats l'ont protégé contre les flammes. Si dans cette guerre terrible, des oeuvres d'art ont été détruites ou l'étaient un jour, voilà ce que tout Allemand déplorera sincèrement. Tout en contestant d'être inférieur à aucune autre nation dans notre amour de l'art, nous refusons énergiquement d'acheter la conservation d'une oeuvre d'art au prix d'une défaite de nos armes. Il n'est pas vrai que nous fassions la guerre au mépris du droit des gens. Nos soldats ne commettent ni actes d'indiscipline ni cruautés. En revanche, dans l'Est de notre patrie la terre boit le sang des femmes et des enfants massacrés par les hordes russes, et sur les champs de bataille de l'Ouest les projectiles dum-dum de nos adversaires déchirent les poitrines de nos braves soldats. Ceux qui s'allient aux Russes et aux Serbes, et qui ne craignent pas d'exciter des mongols et des nègres contre la race blanche, offrant ainsi au monde civilisé le spectacle le plus honteux qu'on puisse imaginer, sont certainement les derniers qui aient le droit de prétendre au rôle de défenseurs de la civilisation européenne. Il n'est pas vrai que la lutte contre ce que l'on appelle notre militarisme ne soit pas dirigée contre notre culture, comme le prétendent nos hypocrites ennemis. Sans notre militarisme, notre civilisation serait anéantie depuis longtemps. C'est pour la protéger que ce militarisme est né dans notre pays, exposé comme nul autre à des invasions qui se sont renouvelées de siècle en siècle. L'armée allemande et le peuple allemand ne font qu'un. C'est dans ce sentiment d'union que fraternisent aujourd'hui 70 millions d'Allemands sans distinction de culture, de classe ni de parti. Le mensonge est l'arme empoisonnée que nous ne pouvons arracher des mains de nos ennemis. Nous ne pouvons que déclarer - à haute voix devant le monde entier - qu'ils rendent faux témoignage contre nous. A vous qui nous connaissez et, avez été, comme nous, les gardiens des biens les plus précieux de l'humanité, nous crions : Croyez-nous ! Croyez que dans cette lutte nous irons jusqu'au bout en peuple civilisé, en peuple auquel l'héritage d'un Goethe, d'un Beethoven et d'un Kant est aussi sacré que son sol et son foyer. Nous vous en répondons sur notre nom et sur notre honneur. Ce qui allait être la Première Guerre mondiale venait de commencer. Le premier choc fut la rapide offensive allemande à travers la Belgique neutre, stoppée près de Paris lors de la première bataille de la Marne en septembre 1914. La communauté internationale s'étant émue des atrocités allemandes en Belgique lors de l'invasion de ce pays, ce manifeste fut rédigé pour démontrer au monde entier le soutien sans équivoque des intellectuels allemands au kaiser Guillaume II, à la cause de l'Empire allemand et à l'armée allemande. 4 octobre 1914

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INTERVIEW DE MATHIEU BERTHOLET SUR FARBEN Paru dans : “Une guerre qui n’en finit pas“ Sous la direction de Christophe Gauthier, David Lescot et Laurent Véray (éditions Complexe)

Farben, écrite par un jeune auteur suisse, Mathieu Bertholet, est une pièce d’un genre hybride prenant comme matière la vie de Clara Immerwahr, femme de Fritz Haber. Première femme chimiste allemande, Clara se trouve rapidement contrainte de n’exercer sa science que dans sa cuisine, dans l’ombre de son mari, lequel restera pour la postérité l’inventeur des gaz de combats utilisés pendant la première guerre mondiale. Si elle n’est pas à proprement parler une pièce documentaire Farben est une pièce scrupuleusement “documentée“. C’est la singularité de l’écriture théâtrale de Mathieu Bertholet que de combiner un matériau authentique, fruit d’une démarche proche de celle du chercheur, de l'archiviste, à une forme inventive, novatrice, sophistiquée. Parmi les auteurs de sa (jeune) génération (il a étudié l’écriture de scène à l’Académie des Beaux Arts de Berlin), Mathieu Bertholet est celui qui puise le plus volontiers à la source de l’histoire du XXème siècle. Outre et cet intérêt pour la démarche historique, c’est aussi à une évocation des esthétiques des siècles passés que nous convie son oeuvre, de l’expressionnisme théâtral allemand (on songe à Gaz de Georg Kaiser, 1919), mais aussi aux tableaux d’Otto Dix, tandis que sa manière de croiser les langages, poétique et scientifique rappelle lointainement Georg Buchner. C’est une écriture que l’on dirait adossée à une imagerie. Composée de scènes courtes, lapidaires, parfois récurrentes ou instantanées, Farben, s’appuie sur une dramaturgie en forme d’expérience de chimie, mais une expérience prenant pour objet les êtres euxmêmes. La pièce est découpée en actes portant chacun le nom d’une couleur qui est celle d’un gaz aux propriétés létales (gaz de chlore, futur gaz moutarde, Sulfate de cuivre, Zyklon B, Taboon). Elles sont aussi les quatre couleurs de l’expressionnisme pictural. L’heure et la date est minutieusement notée, comme consignée par un laborantin, ce qui permet à Bertholet d’étendre son récit sur plus de vingt-cinq ans, et de pratiquer le retour en arrière, la dilatation et l’extrême concentration du temps. Sa dramaturgie s’appuie sur une stricte économie et son évocation de la Belle Époque ne nécessite l’intervention que de neuf personnages. La pièce fonctionne par clés, elle recourt à un dispositif où le symbole tient une place importante : ainsi ces tableaux oniriques récurrents situés à Ypres, lieu de la première attaque massive à l’arme chimique le 22 avril 1915 ; ou encore le titre même Farben, “couleurs“ en allemand renvoyant aussi bien aux teintes des précipités chimiques qu’à l’entreprise I-G Farben, qui produisit le Zyklon B durant la seconde guerre mondiale. La pièce semble se situer dès son ouverture dans un “état de guerre“, guerre mouvante, évoquée sous forme de trace ou de séquelles (les monologues d’un “Survivant“, déclinant comme un leitmotiv les effets exacts du gaz moutarde sur les victimes), mais la guerre s’étend aussi au-delà des champs de bataille, pour gagner le domaine social, les rapports entre les sexes, entre les allemands et les juifs, entre la tradition et la modernité, et aussi les territoires intimes, le couple, jusqu’au fort intérieur de l’individu… >> Échange entre David Lescot et Mathieu Bertholet, auteur de Farben (Extraits) D.L : Pour commencer, j’aimerais que tu nous parles de la manière dont tu as construit cette pièce. De très nombreux éléments sont tissés entre eux ; on y trouve une recherche que l’on devine documentaire, un usage de l’archive qui porte sur la science, l’histoire et les personnages eux-mêmes, mais aussi une invention fictionnelle, un aspect plus individuel, intime, des visions et une imagerie assez particulières. Tout cela donne un texte très impur, - c’est justement ce qui m’intéresse- très hybride, à la fois épique et dramatique et je sais que tu as une manière de procéder, de construire tes pièces qui n’appartient qu’à toi. LA FAÏENCERIE-THÉÂTRE DE CREIL Allée Nelson, CS 50012, 60104 Creil Cedex 03 44 24 01 01 - www.faiencerie-theatre.com Direction Grégoire Harel

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M.B : Cette pièce est assez particulière. C’est ma première pièce, je l’ai écrite en allemand, c’est important je crois. Je précise que je ne suis pas un historien, je suis juste un auteur, mais dans la mesure du possible, tout ce qui est raconté dans cette pièce est vrai, en tout cas, relève de ce que j’ai pu découvrir au cours de ma recherche historique. Donc tous les éléments présents dans la pièce, les dates, correspondent à des choses qui ont eu lieu. (….) L’un des problèmes a été de ne pas écrire un essai historique, mais de se servir de l’histoire comme d’un matériau. Je me sers de l’histoire comme d’un matériau de la même façon que je me sers de la langue comme d’un matériau. Si j’ai écrit Farben en allemand, c’est parce que ce n’était pas ma langue maternelle, mais parce que je l’ai apprise à l’université et que j’avais une espèce de distance par rapport à la langue que je n’avais pas par rapport au français. C’est comme un sculpteur qui se sert de quelque chose à l’extérieur de lui pour créer quelque chose de nouveau ; on a une relation différente à la langue comme au matériau quand ce n’est pas ancré en soi. C’est tout à fait important pour moi. Choisir un matériau préexistant, une histoire, une biographie qui se situe à un moment précis dans l’histoire, me permet de ne pas me concentrer sur la fiction. Ce ne sont pas les rebondissements qui m’intéressent, mais comment je fais pour raconter une histoire et au-delà, comment je fais pour que cette histoire ait un effet sur les spectateurs, c’est à dire pour qu’ils sortent de la salle, “différents“, ou avec une réflexion. Ce que j’ai voulu mettre en valeur ici, c’est la manière dont l’histoire s’est produite. Et c’est vraiment arrivé comme je l’ai écrit : en 1916, une femme s’est suicidée dans son jardin, et ce suicide était un acte politique contre l’engagement de son mari. Cette histoire authentique à plus de valeur à mes yeux que si j’avais dû en inventer une, même similaire. Donc, j’ai amassé du matériau pendant un an et demi, et à un moment il a fallu passer à l’écriture. C’est toujours plus difficile quand on en sait beaucoup trop sur ses personnages et il faut trouver une entrée. J’avais l’impression que je devais parler de couleurs, que cela devait être le point central de cette pièce, parce que la couleur est centrale pour les expressionnistes allemands qui sont contemporains de l’histoire que je raconte, parce que sans le savoir ni le vouloir Fritz Haber est en train de construire, ce qui va devenir la IG-Farben, le conglomérat industriel allemand, dont la base était la fabrication des couleurs, mais qui s’est constitué en vue de fabriquer des gaz de combat. Ce que j’ai appris par ailleurs, c’est que chacun de ces gaz que Fritz Haber a inventés avait une “couleur“ assez précise, une “forme“ physique et une manière d’agresser les victimes. Par exemple un tableau de la pièce s’intitule “Jaune citron“, c’est l’évocation des cloques que le gaz produit sur le corps ; un autre tableau s’intitule “Vert acide“ parce que lorsque vous portiez une montre ou des bijoux, votre peau prenait une teinte vert-de-gris à l’endroit ou le métal était en contact. Mais ce qui est le plus important et récurrent dans la pièce, c’est le bleu ciel qui est la couleur du Zyklon B utilisé plus tard dans les chambres à gaz. Le Zyklon B se présente sous la forme de petits cristaux bleu-blanc qui rappellent la glace, d’où la grêle qui tombe sur toute la pièce, d’où l’évocation de l’iceberg contre lequel s’échoue le Titanic. En effet, le Titanic est le premier grand échec de la science, de la science comme progrès, et il arrive deux ans avant le début de la première guerre mondiale, comme en prémonition de ce qui va se produire. J’ai du donc organiser tout ce matériau ; je me suis intéressé à la théorie des couleurs de Goethe. Puis j’ai repris un vieux truc de cinéma, le flash-back : le début de la pièce est en réalité la fin, et j’ai repris cette théorie selon laquelle, au moment de mourir, on voit défiler sa vie devant soi. D.L : C’est aussi le principe esthétique de l’expressionnisme. Selon le poète autrichien Théodor Daubler, le récit expressionniste est construit comme une vision rétrospective de la vie au moment de la mort. Je vois en tout cas dans la pièce une résurgence de nombreux motifs expressionnistes. M.B : Oui, cela a du fonctionner comme une espèce de contamination, tant je m’étais concentré sur cette période. Il y a l’idée du flash-back, entendu comme le retour sur soi, et j’y ai ajouté une dimension LA FAÏENCERIE-THÉÂTRE DE CREIL Allée Nelson, CS 50012, 60104 Creil Cedex 03 44 24 01 01 - www.faiencerie-theatre.com Direction Grégoire Harel

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© Philippe Delacroix

psychanalytique empruntée à l’analyse des rêves de Freud. J’ai donc essayé de condenser certains événements, c’est à dire de mettre dans une scène plusieurs événements. Vous pouvez avoir de la grêle qui tombe, et cela évoque le Titanic comme le Zyklon B : plusieurs événements se condensent en une seule scène. Ou alors, une chose anodine devient énorme, comme la pratique du vélo par Clara Haber par exemple qui est à mettre sur le même plan que son activité de scientifique, disons plutôt de femme scientifique. (….) L’enjeu majeur de la pièce tient au rapport à la science. J’ai écrit Farben à un moment où en Allemagne avait lieu un débat sur la génétique et son contrôle, et le destin de cette femme, Clara Haber, m’est paru comme la métaphore parfaite, l’exemple parfait, de la manière dont les scientifiques doivent à un moment prendre conscience de leurs responsabilités. Ici, face à la science, on a deux personnages qui font un choix radicalement différent. L’un, Clara, s’engage vraiment à utiliser la science au profit de l’humanité, tandis que l’autre, Fritz s’engage pour le bien de sa nation.……

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AUTOUR DE FARBEN Pistes pédagogiques en direction des enseignants de collèges et lycées • Le spectacle peut concerner les classes d’histoire, de sciences, de physique et chimie, de français, d’allemand, de musique et d’art plastique. • Il est pertinent de proposer le spectacle en 2015, à la faveur du centenaire, car les premiers essais d’envoi de gaz à l’encontre des soldats français eurent lieu en 1915. • C’est aussi la date où Clara Haber, femme scientifique, mit fin à ses jours et le début de la pièce. Principaux thèmes pouvant être abordés autour du spectacle avec les élèves • L’Histoire. Études de témoignages de soldats français. (On en trouve plusieurs dans le texte). Analyse de la situation économique de l’Europe en 1915. • Portrait réel de Fritz Haber. Les conséquences de ses inventions sur le long terme. On évoquera le Zyklon B et les guerres chimiques. Quelles sont les lois internationales actuelles ? Étude de la Bande dessinée “Fritz Haber“ de David Vandermeulen de grande qualité (prix de la meilleure BD historique). • Les sciences. Le point de vue éthique dans la recherche. La responsabilité morale des scientifiques. Qu’est ce que le gaz moutarde ? Maîtrise t-on les nouvelles inventions ? • La récente invention de la photocopie en 3D peut elle servir aussi à la fabrication d’armes ? • Art et sciences. Un nouvel enjeu de la mise en scène. • L’utilisation dans le spectacle de machines théâtrales, inventées par Olivier Vallet qui a reçu le prix Arts et sciences à Grenoble. • Le début de l’impact de la psychanalyse. L’interprétation des rêves de Freud (en référence au traitement onirique de la biographie de Clara Haber). • La femme scientifique en Europe. La conquête du droit au savoir. • Le parallèle entre la première femme chimiste allemande, Clara Haber, qui finit par faire de la chimie dans sa cuisine et Marie Curie, (exactement les mêmes années) qui pu exercer sa passion librement et fut deux fois prix Nobel. (Elle est évoquée dans le spectacle par un très court film d’archives). • L’histoire de l’art. Étude de l’expressionnisme allemand. Otto Dix a inspiré le travail des artistes du spectacle. Le début du mouvement Dada et des “ready-made“. • La musique : entre tradition (des lieds classiques) et cabaret berlinois. • L’univers sonore composé par le jazzman Médéric Collignon proche des sensations de Clara Haber. • On retrouvera ces thèmes dans les propositions de rencontres publiques qui pourront nourrir le travail des élèves. Sources : Dossier faRbEn

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La Faïencerie-Théâtre de Creil est subventionnée par la Ville de Creil, le Conseil régional de Picardie, le Conseil général de l’Oise, le Ministère de la culture et de la communication (DRAC de Picardie), les Villes de Villers-SaintPaul, de Montataire et de Nogent-sur-Oise et bénéficie du soutien de la CAC de l’ONDA et de l’acsé La Faïencerie-Théâtre de Creil Allée Nelson CS 50012 60104 CREIL CEDEX Contact : Laurence Cabrol 03 44 24 95 74 l.cabrol@faiencerie-theatre.com Retrouvez-nous sur Facebook et Twitter

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