Article de licence - Juin 2011

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Le confort des sans-abris : l’architecture en question. Faustine Le Meunier

Fort intéressée par la question du logement en France, et plus précisément par la situation des sans abris face à la notion du chez-soi, mon article découle de mes différentes expériences de terrain : bénévolat dans un centre d’accueil pour femmes en situation d’errance (La Halte Femmes prés de la gare de Lyon à Paris) , rencontre avec des architectes ayant créé un centre d’hébergement et visite sur place , recherches documentaires, le tout m’ayant permis de réfléchir à l’éventuel pouvoir de l’architecture, considérée comme créatrice de confort au quotidien en direction des gens de la rue. C’est dans cet esprit tourné vers le souci d’améliorer le sort des personnes en situation de logement précaire que je me suis orientée vers l’étude d’un projet d’architectes assez exceptionnel, le CHAPSA (Centre d’Hébergement et d’Aide aux Personnes Sans Abri). Situé à Nanterre, ce centre d’hébergement de nuit a pour vocation de répondre, à sa mesure, aux besoins grandissants estimés à ce jour en France à 133 000 personnes sans abri, à 38 000 dans l’obligation de résider à l’hôtel et à 79 000 hébergées chez des particuliers 1. Mais ce vaste bâtiment actuellement destiné à accueillir 300 personnes en situation difficile répond t-il aux critères de confort et d’esthétique habituellement exigés en terme d’architecture?

détenus inculpés pour vagabondage et mendicité y sont retenus. L’endroit devient de moins en moins répressif, on vient alors y chercher refuge et soins.

Plan de situation de la ville de Nanterre, source : Bruno Jean Hubert.

Le projet du Centre d’Hébergement des d’Aide aux Personnes Sans Abri (CHAPSA), un hébergement de nuit Le CHAPSA est un bâtiment d’accueil de nuit des sansabri situé au sein de l’hôpital de Nanterre, ancienne prison à la limite de la ville. En 1887, quatre cents

Dans les années 1990 et face aux besoins grandissants de locaux aux normes et mieux appropriés à l’accueil des SDF, Henri Emmanuelli alors ministre, lance un projet de concours public à Nanterre qui fait partie d’un vaste programme social d’aide aux plus démunis. Le concours du CHAPSA est remporté par l’équipe d’architectes Hubert & Roy qui livreront le bâtiment en 2001.J’ai pu apprendre d'eux que lorsqu’ils ont découvert le site, il y avait d’épouvantables baraquements Algeco 2 dans lesquels s'opérait un

1 Chiffres d’après l’article « Etre sans domicile, avoir des conditions de logement difficiles », Pierrette Briant, Nathalie Donzeau, INSEE, 6 janvier 2011.

2 Entretien de l’auteur avec Bruno Jean Hubert, le 6 avril 2011 à Paris.


système de tri des personnes durant lequel on les mettait systématiquement sous la douche et on brûlait leurs affaires. Très touchés par ces conditions plus que rudimentaires, c’est avec le personnel hospitalier, le psychologue et le chef des surveillants policiers que les deux architectes vont retravailler le programme du concours, dans l’idée que leur volonté de service à rendre à la société est bien manifeste.

Image du site d’insertion du projet CHAPSA dans l’hôpital de Nanterre, Source : Bruno Jean Hubert

Rencontre avec les architectes C’est dans le cabinet d’architecture Hubert & Roy à Paris dans le quartier des Gobelins, que Bruno Jean Hubert me reçoit et accepte de répondre à mes questions sur le projet du CHAPSA. Avec son associé Michel Roy, ils ont procédé à une démarche peu commune en matière de mise en œuvre du projet. Dans un premier temps, les personnels futurs utilisateurs du site ont déterminé les grandes lignes du programme et décidé que le directeur de l’hôpital ferait partie du jury du concours. Dans un second temps, après avoir visité plusieurs hôpitaux afin d'affiner leur conception du projet, et de manière à procéder à une expertise, les architectes ont souhaité instaurer un travail préliminaire de discussion avec le personnel de l’établissement, convaincus qu’ils étaient incapables de se mettre à la place des SDF, et complètement étrangers à leur vie. Ainsi, pendant 6 mois, ils ont retranscrit des scénarios de vie, répondu à des

questions logistiques, sociales, et réfléchi sur les besoins attendus tant par les futurs hébergés que par le personnel de service. Toujours avec ce grand principe défendu par Hubert & Roy que la manière dont les gens vivent fait qu’on approche le programme et qu’on doit être un peu anthropologue en temps qu’architecte, qu'on doit exercer notre curiosité pour comprendre comment ça fonctionne. Ces études et réflexions préliminaires leur ont permis de comprendre un peu mieux la vie des gens à héberger, pourquoi ils arrivent dans ce bâtiment, et de constater que cette population à abriter est très diversifiée. Ils ont donc pu remettre un peu en question la logique sécuritaire du programme de base, pour -avec le directeur de l’hôpital- l’assouplir et remettre en cause le processus systématique de l’accueil avec douche, destruction des affaires… Il était très important pour eux que le bien-être de la personne prime : Il serait hypocrite de dire que l’on fait un établissement pour réinsérer les gens, on fait un établissement pour faire en sorte qu’ils soient le moins mal possible, pour qu’ils retrouvent le contact humain avec la société[…]et l’architecte est bien placé pour comprendre en terme d’espace ce que tout cela signifie… En effet, c’est un plan très composé que les architectes Hubert & Roy nous proposent pour le CHAPSA. De la rue au centre, environnement urbain Les architectes ont pu, dans un premier temps et sur le terrain, constater que la population dans le besoin avait pour principal but de se mettre à l’abri de la ville ellemême, car elle est pour eux souvent extrêmement violente puisque ils sont sur le trottoir ou sur un banc, elle est violente par le froid, et parce qu'ils sont seuls, c'est une sorte de cycle. Bruno Jean Hubert a consciencieusement réfléchi au quotidien de cette population afin de concevoir au mieux le CHAPSA. A commencer par le souci d’atténuer la transition entre le monde de la ville qu'ils viennent de quitter et l'univers fermé du centre par la mise en œuvre d'un jardin central, visible de l'extérieur. Un jardin qu'ils découvrent dès leur entrée et qui leur est accessible à tout moment. Mon interlocuteur m’exprime le regret qu’il éprouve face au manque de ce type de centre dans Paris, et pourtant


il en faudrait, même des plus petits, aux portes de Paris, par exemple, pour que les gens puissent les rejoindre facilement. Organisation interne et générale du bâtiment

douches soient ouvertes sur le dessus pour favoriser l'arrivée de la lumière et la vue sur le toit. Finalement l’organisation des pièces les unes par rapport aux autres dépend beaucoup, pour des raisons pratiques et fonctionnelles, du processus d’arrivée des personnes au CHAPSA. Le plan semble inspiré du travail de l’architecte Louis Kahn, avec l’accueil comme espace servi, et tout autour de ce dernier les douches, le réfectoire, les cabinets de consultations comme espaces servants.

Croquis de concept du bâtiment, source : Bruno Jean Hubert

Le concept des architectes était de protéger les sans abri de l’extérieur grâce à un grand mur d’enceinte tout en leur donnant toujours vue sur le grand jardin central à l’atmosphère apaisante et en recouvrant le tout d’une toiture symbolique d’un chez-soi. Ce grand mur a également été conçu pour ne pas que les résidents de nuit s’enfuient vers les locaux de l’hôpital. Le bâtiment étant prévu pour accueillir 300 personnes, les chambres ont été placées en étages, au calme, sur deux niveaux, et les espaces communs au rez-de-chaussée pour des raisons logistiques. En effet il était indispensable de placer les pièces de service accessibles par l’extérieur pour les livraisons et l’espace d’accueil au rez-dechaussée. Dans l’obligation de créer un espace pour recevoir les incinérateurs de tout l’hôpital, Bruno Jean Hubert m’explique qu’avec son associé ils ont décidé de le placer en limite pour y avoir accès et puis évidemment qu'il soit distinct complètement du reste du bâtiment. Egalement distincte du bâtiment d’accueil, une infirmerie avec des chambres a été prévue pour les personnes malades qui ne peuvent pas repartir le lendemain matin. Un point important sur lequel les deux architectes ont beaucoup travaillé a été celui de l’accueil avec sa partie douche. En effet, ils voulaient absolument atténuer le côté douche forcée dés l’arrivée des personnes, rituel tristement rébarbatif de l'ancienne époque. Pour la partie accueil, douche, réception si on peut dire, on a dit qu’on ne voulait pas de cet espèce de processus d’arrivé systématique, donc on a proposé, ce qu’ils ont tout de suite accepté, d'avoir un lieu qui soit plus un espace de bain, de balnéo. Ils ont également veillé à ce que les

Plan RDC d’organisation générale du bâtiment, production de l’auteur.


Plan de rez-de-chaussĂŠe du CHAPSA source : Bruno Jean Hubert


Processus d'arrivée, règlement intérieur, la sécurité, des espaces adaptés Ce processus qui parait assez logique et simple reste très impersonnel et difficile à mettre en place, car il positionne l’individu dans une démarche forcée et une position de soumission. En effet, les personnes arrivent tout d’abord en bus depuis Paris. Il est facile de perdre tout repère pendant le trajet. Arrivés au CHAPSA, tout le monde descend du bus et se voit enfermé dans un sas, au sein d’un bâtiment lui-même enveloppé d’un mur d’enceinte pour empêcher la fuite. Les règles sont déjà à ce stade très sécuritaires. L’enregistrement des noms sur des ordinateurs se fait dans l’accueil, après avoir attendu dans le sas bondé, ensuite vient le rangement des affaires personnelles dans des casiers, la douche obligatoire et enfin la destruction des vêtements jugés trop usés et sales. Tout cela force ces sans abri à perdre encore un peu plus de leur identité. Il faut les obliger sans que ce soit un parcours obligatoire. Bruno Jean Hubert visiblement très touché par le caractère quasi inhumain de ce mécanisme sur lequel il n’a pas eu son mot à dire a donc tenté de l’atténuer en donnant toujours vue sur le grand jardin, en faisant entrer beaucoup de lumière dans l’espace d’accueil, en créant des douches agréables et confortables et en utilisant un revêtement bois pour redonner un peu de chaleur à la pièce.

Apres la douche, le repas est pris en commun dans le réfectoire en fond de bâtiment, avec vue sur le jardin. Les sans abri peuvent ensuite regagner la chambre qui leur a été attribuée pour une nuit. Tout au long de leur séjour au CHAPSA, les sans abri sont surveillés par des agents de police et ne peuvent ressortir du bâtiment. L'œuvre architecturale aussi pour les SDF? Très impliqué dans ce projet de centre d’hébergement, l’équipe Hubert & Roy a mis un point d’honneur à y prêter tout son talent en soignant la structure du bâtiment, les atmosphères, les agencements des pièces...Heureux de disposer d’un budget équivalent à celui débloqué pour construire un lycée, ils ont fait en sorte que l'architecture joue un rôle de par l'air, la lumière, l'espace, les plantes, les odeurs dans le bien être, le réconfort et favoriser des moments plus agréables pour ces gens qui sont vraiment mis au rebut. Persuadé que son savoir est d’une grande utilité pour améliorer le cadre bâti, Bruno Jean Hubert m’explique qu’il a pris soin d’imaginer l’utilisation de chaque espace par ces sans abri dont il a essayé de comprendre le quotidien. On a travaillé avec un paysagiste, le jardin protecteur planté protégeait l’intériorité du bâtiment. Pour l’équipe d’architectes, l’innovation spatiale était d’accueillir les gens autrement, par le travail de la lumière avec coté jardin, un grand vitrage très haut associé à une toiture en bois mise au point avec Marc Malinowski3 et qui repose sur des poteaux métalliques très minces ce qui allie chaleur du bois à une très grande légèreté de l'ensemble.

Coupe du bâtiment qui montre l’importante toiture, source : Bruno Jean Hubert

Nous avons mis les chambres en haut car quand on est dedans, on peut voir le lointain sans être gêné par la Photographie de l’espace d’accueil avec les douches face aux casiers de rangement, source : Bruno Jean Hubert

3 Ingénieur, architecte, enseignant à l’ENSAPM.


toiture. On voulait que à la fois les gens, pour qui on refabrique un toit comme s'ils venaient à l'abri de ce grand pli en bois, ne se sentent pas enfermés et aient des vues lointaines du ciel au dessus des toits de l'hôpital. C’est censé apporter la sérénité, et donc le bâtiment entier est un grand pli de toit qui rentre à l'intérieur et donne l’impression de se retourner. C'est vraiment doublement symbolique, on accueille les gens on les met dans un grand pli on leur permet de regarder loin, le tout autour de ce jardin 4.

Photographie du jardin, source : Bruno Jean Hubert

Bruno Jean Hubert me confie avoir passé beaucoup de temps avec Marc Malinowski à faire un travail de précision, afin de pouvoir changer le mode de vie des gens qui vont utiliser le bâtiment en restant convaincu qu’une structure intelligente c’est celle qui est au service des lieux. L'intime, l'isolement l’anonymat face aux espaces de vie commune et la médiation Il est toujours difficile de gérer les relations entre des personnes en difficulté. Une des règles d’or consiste à les mettre toutes sur un pied d’égalité sans faille. Pas évident face à la population hétérogène que va accueillir 4 Entretien de l’auteur avec Bruno Jean Hubert le 6 avril 2011 à Paris.

le CHAPSA. Souvent certains principes comme l’enregistrement des noms dans des fichiers informatisés, ou la douche quasi obligatoire ne facilitent pas la tâche. Au CHAPSA, beaucoup d’activités se déroulent en commun, les repas, les ateliers de peinture, de lecture, le partage du jardin, les nuits dans des chambres communes de deux, quatre, voire six personnes. Ceci permet à chacun de retrouver un peu de sociabilité, tâche très délicate quand on vit dans la rue et qu’on a perdu tout repère au monde. L’anonymat au sein d’un groupe n’est pas facile à vivre quand on est déjà délaissé. Aussi, l’un des rôles principaux du centre est d’apporter une médiation aux personnes en détresse. Des consultations médicales et psychologiques ainsi qu’un suivi social adapté à chacun sont réalisés dans le secret médical. A cet effet, un espace de soins, sur toute une aile du bâtiment, est l’espace réservé à la discussion et au recueillement. Après la livraison du Projet, Bruno Jean Hubert m’explique qu’avec son associé Michel Roy, ils ont dû faire face à plusieurs critiques, notamment au niveau de l’échelle du bâtiment et sur le fait qu’accueillir 300 personnes était de la folie, trouvant plus judicieux de créer plutôt cinq ou six bâtiments de 60 personnes . . N’ayant pas mot à dire, les architectes ont fait de leur mieux pour répondre au programme avec pour objectif premier le confort des sans abri, succès que je vais pouvoir juger par moi-même sur place.

Le CHAPSA 10 ans après. J'ai eu beaucoup de difficultés à trouver un plan d'accès au CHAPSA. Je ne sais même pas si ce centre « Fourestier » où je me rends est bien le bon, un peu anxieuse de m'en aller voir ce monde étrange où on envoie nos reclus, arrachés à la ville et à ses repères. No man's land de la nuit, on vient enfermer ces SDF au beau milieu d'un hôpital, pour les exclure encore plus de notre société, où ils ne trouvent plus leur place...Nanterre Université, je remonte le chemin de fer le long des bâtiments de l'Université. Au loin, je peux voir la grande arche de la défense. Puis le panneau Colombes marque l'entrée d'une ville aux maisons plus petites. Enfin, j'aperçois un panneau:« Hôpital


M.Fourestier ». Rue de Metz, avec quelques magasins désaffectés, des tours, des bureaux et des maisons abandonnées. Puis une cité résidentielle qui marque l'entrée de Nanterre, avec ses briques rouges. Enfin, la rue Côtes d'Auty, et tout près, un grand mur d'enceinte. Je me demande comment un bus peut arriver jusqu'ici et surtout tourner dans ce quasi cul de sac pas plus large qu'un chemin de campagne. Je jette un coup d'œil, c'est bien là ! Je suis dans une mini ville. Les voitures y circulent comme sur la route. Les murs extérieurs du CHAPSA sont très beaux. Je commence à faire le tour du bâtiment, du côté de ce qui semble être les accès de service. En face, un bâtiment plus ancien dont les fenêtres laissent apparaître des piles de gants, serviettes de toilettes et draps est flanqué de panneaux annotés« réception linge sale » et « réception linge propre ». Je suis bloquée, je ne peux pas faire le tour du bâtiment.

complexe qui accepte qu’on me fasse visiter sous condition de ne pas prendre de photographie. Monsieur S. m’explique alors qu’il est le responsable entre autres de la directrice du CHAPSA qui ne répond toujours pas au téléphone. Il prend alors la décision de me faire visiter lui-même le bâtiment. . Organisation interne et générale du bâtiment, des problèmes de premier ordre Pendant mon attente dans le bureau des policiers, l’un d’eux me confie ce qu’il a sur le cœur, non mécontent qu’on s’intéresse à son cas. Il me dit que c’est mal conçu et que ça tombe en ruine, que la grande grille d’accès à la cour n’a jamais fonctionné, et que donc les cars s’arrêtent devant.

Photographie de le grille et du SAS d’entrée, production de l’auteur

Photo de l’arrière du bâtiment et ses accès de service production de l’auteur

Après une longue négociation avec deux policiers chargés de la sécurité, de nombreux coups de téléphones sans réponse pour cause de réunion générale et quelques questions à un des agents, la situation se débloque finalement. On me conduit dans le bureau de monsieur S. directeur de la vie sociale et de l’insertion du centre hospitalier. Ce dernier me conduit très cordialement dans le bureau de la directrice du

Il m’explique qu’avant il y avait des lavabos dans l’entrée mais trop dangereux, la direction les a fait enlever .Pour ce qui est de l’accueil, il me dit que les grandes baies vitrées pour l’aération sont un vrai cauchemar quand il faut les nettoyer et qu’avec le temps, ça tombe en ruine. Depuis sept ans qu’il est là, il n’a pas vu d’évolution positive. Il m’évoque également le fait que son travail est rendu plus difficile face à l’absence de normes handicapés dans le bâtiment et regrette le manque de moyens alloués pour rénover. Après que cet agent de police en ait terminé de ses critiques qui en disent long sur l’état du centre dix ans


après son ouverture, je pénètre dans le sas avec monsieur S. La pièce est vide, la peinture écaillée, les écritures sur les murs et les trous près des baies vitrées vieillissantes témoignent du passage régulier de personnes en détresse. Une porte donne sur la cour près de la grille d’entrée, c’est donc par là que les personnes sans domicile entrent. L’accueil est effectivement très dégradé, des morceaux de plâtre arrachés des murs et des restes de prises électriques jonchent le sol, les pigeons ont couvert tous les murs de fientes et détérioré tout le toit dont le bardage tombe au sol. Par contre, les douches situées au milieu de cet espace ont gardé leur caractère intime et discret voulu par leurs concepteurs. Nous ne dépassons pas le seuil de l'espace médical -qui m’apparait alors comme un cocon protégé assez sombre et très privé- mais allons en direction du réfectoire en passant par la cage d'escalier face à laquelle fse trouvent deux ascenseurs. Au fond du réfectoire très lumineux malgré son plafond plutôt bas, des grandes baies vitrées donnent sur le jardin. La visite se poursuit à l’étage. Les escaliers étroits mais lumineux mènent sur un très large couloir, entièrement carrelé de blanc, qui me fait froid dans le dos. Du premier étage, je vois sur ma gauche l'espace d'accueil et le jardin tandis que sur ma droite s'alignent les chambres d'où s'offre une vue sur la ville de Nanterre. Monsieur S. me dit que les chambres sont toutes identiques y compris à l’étage du dessus. On termine alors par le jardin. Le sol est bétonné et gris, d'une tristesse incroyable. Un homme dort sur un banc, dans cette cour enclavée, où les arbres peuvent se compter sur une main. Au terme de cette visite, je constate que les pièces sont effectivement agencées entre elles de manière assez logique et subtile pour répondre au processus d’arrivée des personnes au CHAPSA .Mais l' état des lieux me désole un peu. Processus d'arrivée, règlement intérieur, sécurité, des espaces adaptés Les sans abri arrivent donc par car, passent la grille d’entrée à pied, ce qui remet en question le principe sécuritaire d’origine qui consistait à faire entrer le bus dans la cour, refermer la grille et ensuite seulement faire

descendre les personnes pour éviter qu’elles ne s’échappent. Elles accèdent ensuite au sas d’entrée, où aucune fenêtre ne peut s’ouvrir et où ne se trouve aucun banc pour s' asseoir. Toujours encadrés par des agents de sécurité, les résidents nocturnes vont être enregistrés à un guichet protégé des agressions par une plaque de plexiglas. Les douches sont évidement très sécurisées, avec un accès séparé pour les hommes et les femmes. Toutes les portes de séparation des pièces sont coupe feu, et fermées à clef quand on ne les utilise pas, même les cages d’escaliers pour éviter l’accès à l’étage avant le coucher. Ceci limite les espaces à surveiller en permanence. Dans le réfectoire, tous les couverts et verres sont en plastique, les assiettes en carton et la cuisine fermée à clef. Les précautions de sécurité à cet endroit du bâtiment sont presque équivalentes à celles des prisons. Les chambres fonctionnent sur le même principe, elles ne contiennent rien d'autre que des lits. Des draps jetables seront amenés le soir par les occupants de la pièce. Le large couloir de circulation pavé de carreaux blancs permet aux gardiens d’effectuer leur ronde de nuit, et d'assurer l'entretien de l’étage, ce qui n’a pas toujours été le cas, là c'est nickel vous voyez, parce que pendant des années on n'avait pas de surveillance la nuit, on a fait une demande, un dossier, et on a obtenu des postes pour qu'il y ait des agents à chaque étage 5. L'œuvre architecturale aussi pour les SDF? Des problèmes techniques handicapants et le strict nécessaire Les architectes se sont efforcé de concevoir un bâtiment à la fois fonctionnel et esthétique, et ont déployé beaucoup d’énergie à recueillir des informations pour le rendre encore plus efficient et confortable. C’est la raison pour laquelle ils ont fait appel à un paysagiste pour créer le jardin, à un ingénieur pour la structure du bâtiment. Ce qui a abouti à un ensemble bien équilibré et agréable: quand on a ouvert le CHAPSA, il y a un SDF, en voyant l’accueil, qui a hurlé « c’est le club med 5 Entretien de l’auteur avec monsieur S. directeur de la vie sociale et de l’insertion du centre hospitalier, le 25 avril 2011.


des clochards ici ! » 6 Mais un problème récurrent et prévisible est que les matériaux sont constamment dégradés: peinture écaillée, rampes d' escaliers arrachées( pour être revendues! ), couleur du sol passée à force de lavages... L'équipe Hubert & Roy avait prévu ces dégradations volontaires. De son côté, monsieur S. m’en parle comme quelque chose de banal : Ah non! mais nous on trouve que c'est nickel ; revenez demain matin et vous allez voir l'état... La seule chose que l’on peut reprocher aux architectes c’est de n’avoir pas pensé que les grandes baies vitrées constamment ouvertes laisseraient entrer les pigeons qui causent beaucoup de dégradations. Quant à la toiture, elle subit des infiltrations mais monsieur S m’explique qu’ un projet de rénovation est en cours.

L'intime, l'isolement l’anonymat face aux espaces de vie commune et la médiation Lors de mon arrivée, l’un des policiers m’a expliqué que la population qui fréquente le centre a changé en dix ans. A l'époque où ça a été construit, on n'avait que des vrais clochards ici; ça a changé, vous avez plein de Maghrébins qui sont arrivés, des gens d'Europe de l'est, des Afghans, de tout, de partout. Cette diversité d'origines ne facilite pas les relations entre résidents car ils ont chacun leur problématique et doivent s’adapter à une vie en groupe pas forcément librement consentie. Pour rendre les rapports moins conflictuels, des règles de vie en société sont mises en place. Dans le réfectoire, par exemple, des papiers de couleur affichés aux murs rappellent les consignes à respecter pour que le repas se déroule en toute sérénité. Les effets personnels de chacun sont rangés dans des casiers dès l’arrivée pour éviter les vols. Les activités proposées (ateliers peinture, dessin, lecture), les séances de douche, les consultations individuelles obligatoires font que très peu de place est laissée à l’isolement. Le centre a également mis en place un système d’accompagnement de la personne vers la recherche d’un emploi et d’un logement, ainsi qu'en matière de suivi médical. 6 Entretien de l’auteur avec Michel Roy, architecte, le 6 avril 2011 à Paris.

Une halte de jour est aussi mise en place pour les gens qui sont un peu trop faibles pour retourner sur Paris. Des activités de jardinage sont alors proposées et du personnel médical reste sur place toute la journée en cas de besoin. Quel bilan après 10 ans de service? Ma visite sur place m’a permis de constater que les avis différent. Le gardien n’est pas très content de certains dysfonctionnements, mais se voit plus préoccupé par les agissements de certains occupants que par l'aspect fonctionnel et esthétique du bâtiment. Monsieur S. est plutôt fier de son centre d'accueil et essaie, avec des moyens limités, de le maintenir dans un état convenable. En notant que bien des centres d’accueil n’ont pas été aussi bien conçus ni n’ont résisté au temps comme celui-ci. Je n’ai pas pu discuter avec les sans-abri présents sur place mais je pense qu’il y a autant d’avis que d’individus, même s’il est évident que l’endroit ne peut que leur paraître confortable par rapport à la rue même s'’ils doivent se soumettre à des contraintes de vie collective pas toujours faciles à supporter. Pour ma part, j’ai vu un bâtiment très dégradé car mis à rude épreuve, mais encore bien conservé après dix ans de service. Les espaces sont fonctionnels, facilitent le travail du personnel et dégagent une atmosphère accueillante et reposante. En conclusion L’étude du CHAPSA et mon questionnement sur les limites de l’architecture m’a permis de comprendre que certains projets d’architecture engagent plus particulièrement la responsabilité sociale de l’architecte. Il doit alors se poser des questions et se positionner face à notre société. A mon sens, l’architecture est l’art de s’interroger, de se confronter à des choix architecturaux soumis à de fortes contraintes…Un projet tel que le CHAPSA dont la difficulté de mise en œuvre est d’autant plus importante que l’intérêt des architectes pour ce type de projet est moindre, nécessite de la part de ses concepteurs un engagement et une foi suffisamment forts pour surmonter les obstacles et vouer toute son énergie et ses convictions au service des plus démunis pour leur assurer le minimum de bienêtre et de dignité auquel ils ont droit.


Pour l'équipe Hubert & Roy, le CHAPSA a constitué un projet exemplaire qui mériterait de faire école. Tant dans sa démarche conceptuelle que dans sa phase de réalisation, leur projet a supposé les interrogations, les doutes, voire les écueils inhérents à toute entreprise, mais que l’opiniâtreté et la volonté d’aboutir ont permis de surmonter. Une belle leçon dont j’espère tirer le meilleur profit et qui m’a confortée dans mon désir de mettre toutes mes compétences de future architecte et toute l’énergie que m'apportent mes convictions au service des déshérités de la vie.


BIBLIOGRAPHIE S.Clément, F.Fierro, J.Mantovani, M.Pons, M.Drulhe, A la croisée de lieux et de chroniques : les gens de la rue, Lyon, PUCA recherche, 2001. R.Ballain, E.Maurel, Le logement très social, Gémenos, L’aube recherche, 2002. P.Giros, B.Sarrazin, Les survivants du centre ville, visages de la rue, Paris, Fayard, 1998. C. De Boiscuillé, Balise urbaine, nomades dans la ville, Besançon, Les éditions de l’Imprimeur collection tranches de villes, 1999. C.Grémion, S.Lipiansky, Héberger, l’accueil des sans abri dans un département d’île-de-France, ed du plan construction et archiecture, 1999. P.Bourdieu (dir.) La misère du monde, Paris, Seuil, 1993. P.Bourdieu, La dinstinction : critique sociale du jugement,Minuit, 1979. P.Joffroy , « Existe-t-il des sujets qui ne sont pas abordables par les architectes ? », revue D’architectures n°196 p .62-65, Décembre 2010. P. Briant, N. Donzeau « Etre sans domicile, avoir des conditions de logement difficiles », INSEE, 6 janvier 2011. www.INSEE.fr site consulté le 9 avril 2011



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