L ’ enf er mementpa rl ess y s t èmesdec ont r ôl eda nsl emét r opol i t a i n. Quel sdi s pos if spourquel sr es s en s?
«L ar épons ena t ur el l eàl ac ompl ex i t éc ’ es tunni v ea us upér i eurd’ a bs t r a con. » VI RI L I OPa ul , Pe ns e rl av i t e s s e , 2008
L EME UNI E RF a usne Mé moi r eder e c he r c heAr tAr c hi t e c t ur ee tPol ique S ousl adi r e condeJ . F OLe tY . ROCHE R-2013
Faustine LE MEUNIER Mémoire de recherche Art Architecture et Politique Sous la direction de Jac FOL et Yann ROCHER 2013
Image page de garde : Station de métro Bastille en 1906
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I) Préambule a) Entrée en matière b) Prise de conscience c) Contexte général d) Modes d’analyse et outils
II) Ville, métro et vie, fragments d’une société a) Un peu d’histoire b) Etre un individu dans le métro 1. La personne individuelle dans le métro, outil dessiné par l’Homme pour l’Homme. 2. Les autres, des inconnus dans le métro 3. Des groupes et des Hommes 4. Seul dans un groupe
III) Métro, libère moi a) Espaces public fractionnés, espaces fermés dédiés Bastille, Viaduc de Passy, boulevard Diderot, Gare de Lyon, Château de Vincennes, Entrée station de métro Passy, Gare d’Orléans
b) Des voyages saturés de messages Entrée du métro station pasteur, Saint Mandé, Place de la nation, La station de métro Passy, Saint Jacques
IV) Les sens en éveil a) Au-delà des images 1. Saisons, heures de pointe, heures creuses 2. Les odeurs 3. Les sons, les diffuseurs d’image et les écrans RATP 4. La vitesse et distance et rythme 5. Flux de foule, escalators et couloirs, des trajectoires dessinées 6. Les abonnements et cartes magnétiques nominatives, et les zones 7. Les agents sécurité La sécurité, les règles de bonne conduite.
b) Tout espoir n’est pas perdu
V) L’enfermement sécuritaire, un besoin individuel, une inconscience collective ? a) Synthèse b) Entre sacrifice et bénéfice, la balance sécuritaire. Annexes Bibliographie, sources
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I) Préambule
« Mais déjà le métro m’avait enseigné que l’on peut toujours changer de ligne et de quais, et que si l’on n’échappe pas au réseau, il permet pourtant quelques beaux détours. »1 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, 1986
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.117
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a) Entrée en matière Qui aujourd’hui n’a pas à faire à une caméra de surveillance, un code d’identifiant à retenir, un outil de travail ou de loisir qui enregistre des données personnelles ? Le monde qui nous entoure est organisé par une société de surveillance cachée derrière un revers fonctionnel, confort que l’on est bien aise de trouver quand on souhaite aller toujours plus vite, pour rentabiliser nos journées bien courtes d’humains pressés. De nombreux ouvrages ont été écrits sur le sujet et l’inquiétude n’est pas récente, déjà, en 1949, George ORWELL publie son très connu 1984, roman de fiction mais également d’anticipation, caractère confirmé au regard de la multitude d’événements visionnaires que l’auteur avait pu prédire à l’époque et que l’on vit aujourd’hui quotidiennement. Par la suite, de nombreux essais sur les conditions de détention des prisonniers et la surveillance qu’on leur a toujours infligées font leur apparition. Surveiller et punir de Michel FOUCAULT paraît en 1975 et Alvaro Escobar Molina en 1989 nous fait découvrir son ouvrage : L’enferment. Après le 11 Septembre, l’auteur de roman Jonathan RABAN écrit la fiction Surveillance, quotidien torturé d’habitants de Seattle. Et de très nombreux essais sur le thème du contrôle, de la ville sous surveillance, de la fragmentation des espaces urbains sont actuellement en vogue. Les quelques auteurs lus pour cette recherche ayant mené des études sur ces thèmes sont Marc AUGE, Jean BAUDRILLARD, Paul LANDAUEUR, Jacques PEZEU MASSABUAU, Antoine PICON, Peter SLOTERDIJK, Wolfgang SOFSKY. Par suite, les problématique et question centrale de cette recherche sont : L’enfermement par les systèmes de contrôle dans le métropolitain, quels dispositifs pour quels ressentis ? Puisque certes, des études sur le comportement sociétal des voyageurs en souterrain ont été menées, parallèlement à d’autres sur les systèmes de surveillance dans les villes, mais qu’aucune n’a fait l’objet d’une identification de ces systèmes de contrôle dans le métropolitain –dispositif pourtant témoin d’urbanité- et des réactions qu’ils provoquent sur les voyageurs, il semblait instructif de mener à bien ces observations urbaines en un lieu spécifique permettant ainsi de les préciser d’avantage. Face au caractère unique car souvent instantané et à la multiplicité des situations observées, nous nous avons regroupé, dans la problématique, de nombreux termes spécifiques, sous le ressenti plus global d’enfermement. Ainsi, afin de clarifier le propos de l’étude qui suit, nous allons préciser qu’il sera question d’enfermement quand seront observés : -Des dispositifs physiques : enfermement par forme de boite, translucide ou opaque, ajourée ou non, limites physiques par mur ou parois, translucides ou opaques, ajourés ou non, frontières à franchir comme les tourniquets, contacts physiques forcés tant avec les autres utilisateurs qu’avec des éléments du souterrain. -Des limites sensorielles : enfermement par l’obligation de supporter des atmosphères particulières au métro par les odeurs, les luminosités, les couleurs, le contact physique, par une stimulation constante du sens de la vue et de l’ouïe. -Des dispositifs de surveillance : enfermement par tout dispositif qui contraint les mouvements et actions et qui enregistre ces actions ou des informations personnelles des utilisateurs du métro.
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-Des dispositifs publicitaires et/ou voués à transmettre un message : enfermement par une stimulation et une incitation constante à la consommation. Tous les éléments, dispositifs, ressentis qui contribuent à contraindre et forcer des confrontations ou des utilisations, non choisies par le voyageur souterrain, autrement dit, obligatoires sont donc ici considérés comme provocateurs d’enfermement. Les objectifs poursuivis par la recherche sont donc d’identifier et de lister de la façon la plus exhaustive et la plus précise possible les dispositifs de contrôle et d’enfermement aux entrées ainsi que dans toute l’enceinte du métro afin d’en observer les influences sur les espaces ainsi que sur les voyageurs souterrains. Pour y parvenir, nous allons procéder par différentes étapes, d’abord un regard sur le contexte général de surveillance sécuritaire, puis des lectures sur le sujet, ensuite la méthode de reconduction photographique (expliquée par suite) sera support d’étude de certains espaces du métro et enfin en complément des reconductions, la retranscription de dispositifs identifiés lors d’observations dans le souterrain. L’hypothèse centrale de cette recherche est une adaptation des lieux du métro à la sécurité et une adaptation inconsciente des utilisateurs du métro à des dispositifs et des processus de cheminement, de contrôle, de bonne conduite qui modifient leurs rapports aux lieux et aux autres personnes présentes dans le souterrain.
b) Prise de conscience Cette étude, d’abord motivée par des ressentis quotidiens, fut d’autant plus encouragée lorsqu’un dimanche après midi de Septembre, vers 15h, sur une des voies pour les trains grandes lignes de Saint Lazare, un nombre important de voyageurs embarquait dans le train terminus à Serquigny. J’avais bien repéré l’un d’entre eux, l’allure peu commune, car la quarantaine il aurait pu facilement se fondre dans une masse de jeunes en partance pour une « rave party ». Ce qui m’attira de la sympathie pour lui et participa à l’attention que j’ai pu lui porter, fut qu’il promenait son chien, clochette au cou, sans muselière ni laisse. Me félicitant que certains passent au-delà des règles de sécurité instaurée par la SNCF -quand on remarque que beaucoup d’entre nous, au regard de leur agressivité dans la guerre pour les places assises, devraient également porter une muselière- je trouvais une place dans un wagon, un peu au hasard. Assise entre un jeune garçon blond, une femme âgée et un trentenaire au journal, j’aperçus l’homme au chien monter dans le wagon. Le canidé, plutôt libre de ses mouvements passa une première fois dans l’allée de sièges, fit demi tour et retourna à son maître, resté près de l’entrée du wagon. Si l’on aurait pu croire que le chien, bien dressé, avait parcouru le wagon pour trouver une place assise à son maître, il n’en fut rien, -et là je compris que je m’étais vraiment trompée sur l’individu à l’allure peu commune- l’homme n’alla pas s’asseoir mais se dirigea vers le garçon blond et lui somma, sur un ton très calme mais directif, de le suivre pour arrestation. Le chien n’avait rien laissé transparaître, pour nous tous, voyageurs de ce dimanche, seul le maître était à même de voir les signes de l’animal. Un peu choquée par la facilité de cette arrestation qui 7
avait un air quelque peu surnaturel, je vis que mon voisin au journal me fixait, haussant les sourcils, désemparé. Pourquoi n’avait-on rien fait, mon voisin et moi face l’impuissance de ce jeune homme, sans aucun doute mineur ? Pendant tout le trajet que parcourt le train entre Paris et la Normandie, des tas de scénarios au caractère un peu futuriste me venaient à l’esprit, révoltée qu’attraper quelqu’un semble si banal et facile. Au temps des cowboys, il fallait parfois des mois et des mois pour retrouver un bandit, il ne faut bien sûr pas refuser le progrès en bloc, mais par quels moyens peut-on savoir quel jour et à quelle heure et dans quel wagon de quel train se trouve un jeune garçon blond, à l’allure tout à fait banale ? Quelle que fut la raison de cette arrestation, la scène me trotta plusieurs jours dans la tête, bien décidée à faire la lumière sur des moments d’inconscience de nos vies parce que vécus comme des habitudes… Et ce garçon aurait pu être vous ou moi, n’importe qui et tout le monde.
c) Contexte général Notre société aujourd’hui – en Occident en tous les cas - fonctionne avec des systèmes de bases de données dont le but qu’on nous expose comme premier, est de nous simplifier la vie. La liste est longue, il y a les cartes de crédit, les cartes d’accès aux espaces réservés de travail ou même de vie, le téléphone portable, les dossiers médicaux informatisés, les cartes de fidélité, les abonnements de transport en commun…Si gain de temps il y a, il va de paire avec perte de contrôle sur notre vie privée. Nos boîtes mails peuvent être régulièrement consultées par d’autres utilisateurs, nos ordinateurs portables sont conçus pour enregistrer absolument toutes les informations traitées par son système… Dans certains espaces publics, il faut même se mesurer à des caméras à reconnaissance faciale, ayant accès à une base de données de visages à identifier. Nous vivons dans une grande prison à ciel ouvert et nous n’en sommes pas plus dérangés que chacun pense que ces dispositifs sont là pour le bien de notre vie en société…Fichés pour rien, ou plutôt fichés pour toute action, la récolte des informations personnelles par le système commence très tôt dans nos vies. Le fichier « base élève », mis en place par l’éducation nationale retrace toute la vie de l’élève à l’école primaire, jusqu’à son origine de naissance et la situation de couple de ses parents. Par la suite, au collège et au lycée, il devient compliqué de cacher une mauvaise note quand chaque jour les professeurs inscrivent sur « pronote » les résultats de chaque élève de leurs classes. Et si par suite toutes ces informations doivent être scrutées par la justice, elles pourront être retenues contre l’individu qu’elles concernent alors qu’elles n’ont originellement pas obligatoirement de lien avec ce pour quoi cette personne est incriminée… Il va de soi que nombreuses de ces informations personnelles et des nouvelles du monde sont stockées sur internet, outil qui nous donne accès à quasi-toute information sans réelle frontière ressentie. Pourtant, c’est bien là le danger, on ne peut pas maîtriser –sauf si on travaille dans le domaine- les frontières de ce monde parallèle et donc on ne peut pas savoir qui consulte, par où transitent, comment, et en quelle localisation immatérielle du territoire internet sont stockées ces informations.
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Tout peut se retourner contre nous et dorénavant la véritable solitude ne se trouve qu’après de nombreux efforts de renoncement à un certain confort sans lequel nous ne nous rappelons pas avoir vécu.
d) Modes d’analyse et outils Ainsi, la ville est une mine d’or en ce qui concerne tous les dispositifs les plus aboutis d’un protectionnisme-voyeurisme collectif, auquel chacun, malgré lui, participe. Caméras de surveillance, portails à carte à puce, abonnements de transports en commun… Le sujet, si vaste, englobe chaque moment d’une vie, chaque mètre carré d’une ville, dans toutes les dimensions de l’espace. Par conséquent, on essaiera de se focaliser sur un des transports en commun dans la ville, le métropolitain. Pourquoi ? A première vue, il semble accessible à tous- si l’on exclu le fait qu’il faille acheter un titre de transport pour avoir accès en règle aux quais - ; ainsi nous sommes nombreux à en avoir déjà fait l’expérience. Et c’est justement grâce à des expériences quotidiennes que nous allons essayer de décrypter le métro de Paris. Cette expérience nous laisse une image assez proche de la réalité, mais cette image n’est pas la réalité et elle contribue à nous tromper au quotidien car on a tendance à transposer des automatismes et des réflexes de méfiance expérimentés en surface, mais de manière bien plus appuyée car la claustration du souterrain inquiète par nature. On trouve dans le métro des hommes qui cohabitent –il y a donc échanges de nature sociale- et autour desquels des dispositifs de sécurité, en grand nombre sont installés. Ces dispositifs ont été installés à la manière d’un collage parfois étrange car en ses débuts, le métro ne transportait pas une population réunie autour des mêmes mœurs que ceux que nous connaissons. Le métro a été pensé il y a plus de 110 ans, mais il persiste dans nos villes et notamment à Paris car il y est devenu indispensable. Il a dégagé les rues de la ville de flux importants de voyageurs et en souterrain, une vie et des atmosphères se sont peu à peu créées dans une crainte grandissante dont nous allons essayer de décrypter les origines. Pour cela plusieurs méthodes ont été mises en œuvre : L’expérience personnelle, l’observation sous un nouvel angle : la sécurité, des recherches historiques ainsi que les lectures de plusieurs ouvrages- voir liste en annexe- dont certains ont fait l’objet d’une étude approfondie : -L’aventure du Métropolitain, GUERRAND Roger-Henri, Paris, éditions La Découverte, 1986. - La Communauté Illusoire, AUGE Marc, Rivages Petite Bibliothèque, Mars 2010. - Le citoyen de verre entre surveillance et exhibition, SOFSKY Wolfgang, l’Herne 2011.
-Les demeures de la solitude Formes et lieux de notre isolement, PEZEU-MASSABUAU Jacques, Editions L'Harmattan, 2007. 9
- Sociologie et anthropologie, MAUSS Marcel, Sociologie d’aujourd’hui, Puf 1950. - Télémorphose, BAUDRILLARD Jean, Sens et Tonka, 2001. -Un ethnologue dans le métro, AUGE Marc, Pluriel Hachette Littératures, 1986.
Le propos sera également appuyé sur la méthode de reconduction, expliquée par suite, d’une grande importance pour mettre en pleine évidence et justifier les observations faites dans le métro.
La méthode de reconduction photographique consiste à comparer visuellement deux images d’un même lieu, produites à des instants différents. Ce même angle de prise de vue, et ces situations figées dans le temps créent un espace temps défini -dont les limites sont ces deux photos- et permettent un raccourci dans cet espace temps durant lequel ont pu s’opérer des mutations physiques –évidemment les odeurs, températures, tout ce qui échappe à la vision mais répond aux autres sens, n’étant pas retranscri photographiquement- qui sont généralement incontestables. Généralement est nécessaire ici car on sait qu’il est facile de modifier numériquement des photographies. Un tel abus ne servirait qu’à discréditer l’étude conduite. Malgré tout, n’oublions pas que les photographies anciennes présentées ici –un nombre restreint en raison du caractère aléatoire de la trouvaille lors de la chasse aux vieux clichés- ont fait l’objet de cartes postales, elles renferment donc des éléments remarquables de l’époque à laquelle elles ont été prises, et répondent évidemment à quelques mises en scènes nécessaires à rendre l’image « belle ». Si l’on peut se permettre de ne pas estimer cela comme une modification du réel trop importante à réfuter les propos qui suivent, -et je pense que c’est le cas- je demande alors au lecteur- si je peux le fairede porter confiance en ces images devenues outils d’une réflexion sur notre présent. Ainsi, après avoir trouvé d’anciennes photographies du métro parisien, il fut décidé de se rendre sur place, à l’endroit même depuis lequel avaient étaient pris, des années auparavant ces clichés historiques, pour en produire de nouveaux, actuels. Stopper le temps devint alors une aide à la réflexion car il est ainsi facile de décrire le flagrant des différences observées entre les deux images, mises l’une à côté de l’autre.
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II) Ville, métro et vie, fragments d’une société
« Il ne faut pas craindre de noter ici une mesure, qui est à la gloire de nos gouvernements. Rien ne s’oppose en principe à ce qu’une fois entré dans le métro, le voyageur (s’il a pris soin de se munir de vivres) y passe la journée : il lui suffit à temps de changer de voiture… Le danger demeure qu’il en prenne l’habitude, force chaque jour la dose, à la fin ne puisse plus s’en priver. C’est ce qu’on appelle la métromanie. » PAULHAN Jean, La Métromanie ou les Dessous de la capitale, 1946
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a)Un peu d’histoire Comme dit précédemment, on utilisera ici le cas du métro, grand dispositif urbain de transport en commun, pour évoquer des faits de société actuels, en lien direct avec l’enfermement physique et le sentiment d’enfermement. Pour bien situer les événements et la genèse des espaces du métro dans le temps, il apparaît nécessaire de remettre en contexte rapidement quelques événements historiques survenus en souterrain depuis sa mise en service. Les éléments qui vont constituer ce bref historique ont été reconstitués essentiellement à l’aide du livre de Roger-Henri GUERRAND, L’aventure du Métropolitain, écrit en 1986. Dans cette continuité, nous allons essayer de voir quels ont été les évolutions des espaces des gares de métro et des voitures de train. A la fin du XIXe siècle, Paris souffrait de ses rues saturées de voitures, bus et tramway. La circulation y était rendue très difficile car certaines routes trop étroites ne pouvaient permettre le croisement des véhicules dont le code de la route imposait une allure lente. C’est face à ces problèmes importants, qu’on décida de s’atteler à imaginer le métro, sous l’influence de l’Underground de Londres et pour permettre aux parisiens de pouvoir circuler à nouveau à pied dans leur ville devenue dangereuse. « Le projet de chemin de fer métropolitain fut voté le 9 Juillet 1897 par le conseil municipal de Paris : 52 voix pour, 12 contre, 11 abstentions. L’infrastructure serait construite par les soins de la Ville. Il s’agissait des travaux souterrains, tranchées, viaducs, nécessaires à l’établissement de la plate-forme du métro ou à la remise en état des voies publiques empruntées. La Ville prenait en outre à sa charge l’implantation des quais de voyageurs dans les stations, à l’exclusion des ouvrages y donnant accès. […] Le réseau initial comprenait six lignes d’une longueur totale de 65kilomètres : 1) 2) 3) 4) 5) 6)
Porte de Vincennes – Porte Dauphine ; Ligne circulaire par les Boulevard extérieurs ; Porte Maillot – Ménilmontant ; Porte de Clignancourt – Porte d’Orléans ; Boulevard de Strasbourg – Pont d’Austerlitz ; Cours de Vincennes – Place d’Italie par Bercy. »2
Le grand chantier du métropolitain débute donc en octobre 1898, et le dernier tramway circule en Mars 1937. C’est alors le début d’une longue période de transports souterrains, avant que le tramway ne refasse apparition à Paris, et depuis 20 ans pour permettre de voyager de porte à porte, quasiment tout autour de la ville. Au regard de son importante fréquentation de voyageurs dés le début de sa mise en service, on peut constater que le métro, alors dirigé par la CMP (La Compagnie du Chemin de Fer Métropolitain) 2
GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 40
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connu rapidement un franc succès. Roger-Henri GUERRAND, dans son ouvrage, nous informe de quelques chiffres : « de juillet à décembre 1900, le métro transporta 17 660 286 voyageurs et, l’année suivante, 55 882 027. En 1905, ce chiffre sera déjà plus que triplé. » Ce grand nombre de voyageurs impliqua donc des règles de sécurité, une adaptation des voyageurs à la circulation souterraine, et une probabilité d’accident à ne pas négliger malgré des progrès techniques incessants. Parmi ces évolutions, il en fut une importante quand en août 1903, un violent incendie qui tua plusieurs passagers, fut à l’origine du remplacement des wagons en bois par des wagons en métal rouge et vert, en service constant jusqu’en 1983. Par la suite, la CMP met en place un système de blocage automatique des rames en circulation dès qu’une avarie de fonctionnement est signalée sur le réseau. Si aujourd’hui on fait la critique des dispositifs techniques de sécurité et des atmosphères ressenties dans le métro, cependant, il ne faut pas négliger le fait que malgré des dysfonctionnements, -gares en cul-de-sac, quais qui manquent de largeur et encombrés d’objets divers- chaque espace du souterrain a été pensé et dessiné. A la suite d’un concours qui ne sut pas convaincre les acteurs de la CMP et la ville de Paris, ce fut finalement Hector Germain Guimard, artiste de l’art nouveau qu’on embaucha au dessin des entrées du métropolitain. Jean-Camille Formigé quant à lui, fut choisi pour dessiner le métro aérien. « Le but était alors de faire du métropolitain une véritable œuvre d’art dans la capitale. […] mais la Compagnie de Métropolitains Parisien décida que la publicité serait plus appropriée à y trouver sa place »3. Ainsi, et on reviendra longuement sur ce thème, la publicité a accompagné dès ses débuts le décor du métropolitain et a évolué en faveur d’une invasion d’images en souterrain. Et ces images de publicité allaient être apposées en de nouveaux couloirs de métro, et vues par de plus en plus de voyageurs, quand à la sortie de la Guerre, l’arrivée de nouvelles lignes allait permettre une mobilité bien plus fluide dans la capitale mais à revers d’un enfermement déjà ressenti : « Les nouvelles lignes ont changé les conditions d’existence de millions d’hommes et de femmes, mais avec l’obligation de les emprunter de façon impérative : pour la plus grande majorité des habitants de la région parisienne, la « liberté » de ne pas s’en servir est une pure fiction. » 4 Les parisiens déjà bien habitués à leur transport en commun souterrain en constante évolution, vont voir se créer le 1er Janvier 1949, la RATP, Régie Autonome des Transports Parisiens, établissement public à autonomie financière qui va alors diriger le métropolitain. De plus, l’année 1955 voit apparaître le RER, nouveau moyen de transport instauré suite à la construction de 200 000 logements en banlieue. Une petite parenthèse est nécessaire ici sur le fait des raisons pour lesquelles je n’ai pas choisi d’intégrer l’étude du RER dans cette recherche. Dispositif de transport plus récent, les gares et entrées de stations ont été pensées avec l’expérience des espaces du métro. Les accès et quais répondent à un besoin de sécurité des voyageurs en cas d’évacuation d’urgence par exemple. On verra par la suite que les raisons à la multiplication des dispositifs de sécurité ont évoluées avec le temps. On ne protège plus le voyageur des anomalies matérielles, mais on protège le voyageur des autres voyageurs, devenus ennemis potentiels. A cela vient s’ajouter le fait que le RER n’est que partiellement enterré, hors les relations et échanges entre voyageurs en espace souterrain devaient 3 4
L’aventure du Métropolitain, GUERRAND Roger-Henri, éditions La Découverte, 1986.p 70 L’aventure du Métropolitain, GUERRAND Roger-Henri , éditions La Découverte, 1986. P 86
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faire partie intégrante du sujet. Même si par une logique un peu surprenante mais irrévocable, quasiment toutes les avancées sécuritaires, –renouvellement d’air, circulation, signalétique- on été mises en place après des accidents importants, le RER, fédéré par le STIF (Syndicat des Transports d’Ile-de-France), a forcé la RATP à moderniser encore son réseau de métropolitain. Il y a deux niveaux de modernisation qui sont flagrants : une sécurité plus importante des voyageurs lors du transport et une évolution de l’atmosphère des gares et stations. C’est ainsi qu’en 1971, toutes les lignes de métro sont rattachées à un « poste de commande et de contrôle centralisé » (PCC), les trains y sont alors reliés par un téléphone. Cette avancée technologique va permettre à la RATP d’assurer une régularité d’arrivées des trains en gare et de commencer à obtenir une rentabilité maximale d’exploitation du système. En revanche, le conducteur perd sa liberté de manœuvre, le fonctionnement du train est automatique en marche normale. La RATP cherche à éradiquer toute erreur humaine dans le fonctionnement du réseau. « Le conducteur […] peut signaler rapidement toute anomalie dans la marche du train et recevoir des instructions. De plus, en cas de défaillance humaine, constatée par le déclenchement de la « veille automatique » - elle provoque l’arrêt automatique du train – […] L’ère de l’automatisation s’ouvrait à la RATP. »5 Pour ce qui était de l’esthétique des stations, comme depuis son origine, on a cherché à harmoniser le métro d’un bout à l’autre de son réseau. Il fallait une ligne de conduite commune à chaque rénovation pour rendre remarquable le souterrain et limiter les changements brutaux d’ambiances entre les stations qui venaient s’ajouter à celui d’un moment de vie en souterrain, souvent inhabituel à l’Homme. « En 1973, une politique fixant les principes fondamentaux de rénovation des stations fut définie par la RATP. […] (dans les stations) en partie basse, un socle revêtu de carreaux de couleur et portant un mobilier moderne, sièges, corbeilles à papier, distributeurs de confiserie ; en partie haute, un bandeau lumineux, coloré sur les faces verticales. »6 Aujourd’hui, quiconque a déjà emprunté le métropolitain parisien, a vu ces éléments de décoration qui subsistent de nos jours, -certains sont classés et ne peuvent être détruits ou remplacés- preuve qu’ils ont été pensés pour durer dans le temps, même si quelques stations très délabrées auraient bien besoin d’une remise à neuf. Depuis ces modifications des années 70, le métro n’a guère changé, seules quelques interventions ponctuelles se sont vues mises en place. Les bancs, d’une simplicité à couper le souffle aux origines du métro, ont étés peu à peu remplacés par des sièges individuels ou des « reposes fesses » en station debout pour en interdire, sans aucune gène, l’utilisation aux personnes sans abri qui cherchent un endroit où dormir. D’autres objets, dont on fera le tour par la suite, ont également trouvé leur place dans le métro devenu - en plus de sa qualité première de transport -, un lieu où chacun se croise. Les voyageurs y sont de plus en plus nombreux, à tel point qu’il faut souvent, aux heures de pointe, laisser passer plusieurs trains avant de pouvoir trouver une place dans un wagon… Ces voyageurs de plus en plus nombreux forment également des groupes très souvent hétéroclites, que le métro, par ses systèmes de contrôle permet de dénombrer et de surveiller. Ainsi, on retrouve dans le métro des mécanismes d’individualité et de groupe directement 5 6
Roger-Henri Guerrand, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 129 Roger-Henri Guerrand, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 135
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issus de notre apprentissage en société et dont la RATP se sert parfois pour assurer le « bon » fonctionnement –selon les avantages que la RATP peut y trouver- du souterrain.
b) Etre un individu dans le métro « La simple idée de se distinguer d’autrui annonce l’individu, celle de s’en écarter semble en promouvoir l’image »7 Après cette brève introduction historique, nous pouvons affirmer que le métro est fonction de l’Homme et inversement, que l’Homme est fonction du métro. D’une part, parce que l’un, le métro, transporte l’autre et qu’il a donc été pensé entièrement à son échelle –dimensions des ouvertures, des sièges, hauteur des marches…- et d’autre part parce que si l’on décide d’emprunter le métro, il y aura forcement des influences importantes dues au fonctionnement du métro sur le déplacement effectué –vitesse, directions, horaires…-. De plus, on a déjà pu évoquer des évolutions du souterrain à la suite de dysfonctionnements liés à des comportements ou a des capacités humaines comme l’installation de plans pour se repérer, des ascenseurs, des escalators…Le métro a sans cesse évolué avec l’Homme et donc la société dans laquelle on évolue, puisque le métro est dédié à l’Homme, il est logiquement sociétal. En effet, malgré quelques adaptations des voyageurs au monde souterrain, les faits de société de la ville en surface se retrouvent en souterrain, et de manière concentrée. C’est pour ces raisons qu’il est apparu indispensable ici, de se pencher succinctement sur des faits de sociologie actuels. Pour structurer le propos, nous allons essayer de suivre les étapes d’un parcours métropolitain. Le voyageur qui prend le métro seul fait une action individuelle, au milieu d’autres qui ont également des actions individuelles ou qui concernent leur petit groupe de voyageurs en commun. Pourtant, tous ces voyageurs utilisent l’outil commun métro. Ce voyageur dont il est question –qui peut être n’importe qui ou personne- regarde les autres voyageurs et remarque inconsciemment qu’il ressemble beaucoup à ces autres voyageurs. Respect des règles, mouvements, réactions, tenues du corps, habillement. Certains lui ressemblent plus que d’autres, lui permettant d’intégrer un groupe. Ce groupe rassure, permet de se juger et de juger les autres du groupe.
1. La personne individuelle dans le métro, outil dessiné par l’Homme pour l’Homme 7
PEZEU-MASSABUAU Jacques, Les demeures de la solitude Formes et lieux de notre isolement, Editions L'Harmattan, 2007, P.16 15
Lorsqu’on prend le métro, on le fait souvent pour soi même, seul, parfois à plusieurs, mais c’est toujours dans un but finalement très personnel. « Même lorsque l’esprit de l’individu est entièrement envahi par une représentation ou une émotion collective, même lorsque son activité est entièrement vouée à une œuvre collective : haler un bateau, lutter, avancer, fuir dans une bataille, même alors, nous en convenons, l’individu est source d’action et d’impression particulières. »8 La première étape du voyage en métro est le franchissement de la limite entre ville en surface et souterrain. Cette importante étape se fait systématiquement grâce à une entrée de métro, parfois une bouche, d’autres fois simplement par des tourniquets –quand la gare de métro est accolée à une grande gare par exemple-. On franchit alors une frontière entre monde en surface et monde souterrain. Selon Marc AUGE, la frontière ne se franchit jamais de la même manière et elle transforme celui qui la franchit à chaque fois. On peut y penser pour la frontière entre ville en surface et espaces souterrains du métro, mais sur un autre plan, ces observations valent aussi, car si à ses débuts le métro ne débordait pas de Paris intramuros, il s’étend aujourd’hui au-delà, et constitue parfois cette frontière entre des communes d’Ile de France extramuros et Paris-centre. « En outre le réseau ne cesse de croître, d’étendre ses ramures en dehors de l’agglomération parisienne stricto sensu, se chargeant du même coup de noms parfaitement exotiques aux yeux du Parisien traditionnel (Les Juilliottes, Croix-de-Chavaux) et parfois subtilement romanesques parce qu’ils évoquent à la fois les idées de frontière et de départ (Saint-Demis-Porte de Paris, AubervilliersPantin-Quatre-Chemins). »9 Ces frontières de distances et de niveaux constituent la première étape de ces rites rattachés aux lois du souterrain. Il en existe beaucoup d’autres comme celles du choix entre comportement moral ou fraude, le choix d’un itinéraire ou encore de la politesse ou non. On pourrait raconter tous ces rites comme des actes individuels d’un voyageur qui serait inconscient des autres. Cependant, il faudrait être soit très égocentrique, soit seul dans une rame de métro totalement automatisée et ceux sur toute la durée du trajet, pour un face à face avec la machine et donc un voyage en solitaire. Comme des situations telles ne sont pas celles majeures du voyageur quotidien ou même occasionnel, nous ne les traiterons pas. Ce qui en revanche est certain, c’est que le voyageur, conscient ou non des autres, parcourt un espace souterrain pensé à son échelle. Signalisation des entrées, signalisation à l’intérieur des stations, hauteur des bippeurs magnétiques ou des composteurs de tickets, les typologies de wagons…Sont des éléments qui ont évolué en fonction de la fréquentation du souterrain. Installation de caméras de surveillance, d’écrans géants Bluetooth, la suppression des banquettes sont des mutations qui témoignent de l’évolution des mœurs de notre société.
2. Les autres, des inconnus dans le métro
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MAUSS Marcel, Sociologie et anthropologie, Sociologie d’aujourd’hui, Puf 1950, P.290
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P. 39
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« Il ne suffit pas de parler la même langue pour parler le même langage et se comprendre. »10 Toutes ces évolutions du métro dans le temps sont preuve qu’il y a d’autres voyageurs dans le métro. Ces inconnus, on sait qu’ils sont là car on peut les voir, les entendre et parfois les toucher. « Tous ceux que j’y rencontre sont des autres, au sens plein du terme : il y a fort à parier qu’une partie notable de mes compagnons d’occasion ont des croyances ou des opinions dont je n’entends même pas le langage, et je ne parle évidemment pas là des étrangers et de tous ceux dont la couleur de peau peut faire augurer qu’ils appartiennent à d’autres milieux culturels que moi. »11 Ces « autres », voyageurs, agents de la RATP, habitants du métro, on les regarde et on est confronté à leur regard. Ce regard nous touche profondément on se sent exposé à l’autre, inconnu à qui on ne veut pas forcement dévoiler une certaine intimité. Cette retenue mène à éviter le regard de l’autre et le contact avec l’autre, et à trouver une échappatoire –téléphone portable, livre, musique…-. Parfois, bien plus que le regard, c’est le corps qui est sollicité dans le besoin d’éviter tout contact. En cas de contact forcé, inévitable, chacun doit s’adapter à un environnement dans lequel il faut se convaincre que c’est ainsi et que cet autre aussi, celui avec qui il y a contact, doit s’en sentir mal à l’aise. La proximité avec d’autres aux heures de forte affluence, est souvent désagréable parce qu’elle franchit la limite de l’espace « kinetique»12 privé. La bulle protectrice que l’on voit pénétrée lorsque quelqu’un s’approche de trop près est souvent mise à rude épreuve dans le métro où dès lors, toute éventualité d’échange amical est perdue. Sans méchanceté profonde, notre éduction, les réflexes que nous a inculqués notre société nous amènent à nous méfier des ces « autres » que l’on voit, qui nous regardent et avec qui parfois, le métro force les contacts physiques. « Le voyageur de la RATP est bichonné comme aucun autre au monde. […] Certes, mais le métro n’est plus sûr et voilà qui gâche tout, prétendent des esprits chagrins. [ …] Et d’abord, par quelle grâce spéciale le métro, comme tout lieu public, ne serait-il pas le vecteur de dangers potentiels ? »13 On a peur de ces voyageurs inconnus malgré une majorité qui respectent une certaine discipline dans leur utilisation du métro. L’heure est à la méfiance et au soupçon face à une diabolisation médiatique constante des « autres ». « N’importe qui, n’importe quand, méfiez vous des autres. », même si le message est plus déguisé que ça il est malheureusement diffusé et nous sommes devenus suspicieux au point de pouvoir soupçonner son voisin sans même le connaître –et justement, moins on le connaît, plus on le soupçonne. Le métro, lieu aux atmosphères spécifiques, où l’on est jugé en jugeant les autres, amplifie ce réflexe de méfiance. Pourtant, et c’est bien là le travers de notre méfiance, nous sommes aussi des « autres » et nous n’avons pas forcément, à l’instant de notre voyage en métro, quelque chose à nous reprocher. De plus, pour en revenir à la sociologie « générale », celle qui n’évoque pas que le métro, Marc AUGE semble penser qu’il n’existe aucune définition possible de l’être humain dans laquelle il n’est pas « existentiellement ouvert, offert, à l’extérieur et à l’altérité. » C’est-à-dire que l’être humain, s’ouvre 10
AUGE Marc, La Communauté Illusoire, Mars 2010, Rivages Petite Bibliothèque. P. 17 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.24 12 En danse, l’espace kinétique est celui qui entoure le corps dans son très proche environnement, ultime frontière avant le corps. 13 GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 146 11
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aux autres parce qu’il en a besoin même si c’est dans un intérêt très personnel. Ainsi, on a non seulement conscience des autres, et on a même besoin des autres pour se reconnaître en temps que tel, s’identifier, se juger.
3. Des groupes et des Hommes Ainsi le voyageur du métro se rend compte qu’il y a d’autres personnes autour de lui et que de surcroît, il a besoin de ces autres différents pour s’identifier. En observant donc ces autres personnes, il peut remarquer des similitudes de comportement, de langage, de style vestimentaire, de génération semblables aux siens. « … mes itinéraires sont semblables à ceux des autres, que je côtoie quotidiennement dans le métro sans savoir où ils sont allés en classe, où ils ont vécu, et travaillé où ils en sont et où ils vont, alors qu’au moment même où nos regards se rencontrent et se détournent, après s’être parfois attardés un instant, ils sont peut-être eux aussi en train d’esquisser un bilan, de faire le point ou, qui sait ? D’envisager un changement de vie et, accessoirement, de ligne de métro. »14 En imaginant de tels scénarios, on se met à la place de l’autre, celui qui lui aussi nous regarde, comme nous avons déjà pu l’évoquer. C’est à ce moment, en prenant conscience de cet échange réciproque, que l’on peut remarquer que certains de ces autres nous ressemblent. « L’autrui par rapport auquel les hommes se situent à différent niveaux d’organisation est en effet lui-même relatif : l’autre d’un autre sous-groupe n’est plus un autre si c’est le groupe qui s’assemble. Autrement dit, même dans l’acception la plus objective et la plus institutionnelle de l’altérité, un même individu peut être alternativement considéré ou non comme un autre ; il y a de l’autre dans le même, et la part de même qui est dans l’autre est indispensable à la définition du moi social, le seul qui soit formulable et pensable. »15 Tout le monde est l’autre et l’autre est tout le monde, y compris sois même, par cette logique de raisonnement, Jean BAUDRILLARD évoque le terme d’ « êtres individués », c’est-à-dire « non divisibles en eux-mêmes et non-divisibles entre eux »16. Ce phénomène s’explique par des habitudes communes, des consommations semblables –on mange tous les mêmes plats préparés-, un accès à l’information lissé et qui semble infini alors que très restreint… Tous ces attributs communs font de nous des êtres de communauté qui ne peuvent exister seuls puisque tout au long de nos vies, dans la grande majorité des cas, on est entouré d’autres et dès le plus jeune âge, on apprend en copiant ces autres qui nous entourent. Nous formons donc des groupes d’individus sans lesquels nous serions perdus -car qui n’appartient pas à un groupe aujourd’hui est considéré comme en marge de la société, nous reviendrons sur ce point par suite-, ces groupes sont de natures différentes et chacun n’est pas lié définitivement à un groupe. On peut appartenir à plusieurs groupes à la fois, en quitter un un instant pour le réintégrer par la suite, tout dépend des facteurs qui font le groupe. 14
AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.11 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.70 16 BAUDRILLARD Jean, Télémorphose, Sens et Tonka, 2001, P.31 15
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« L’altérité immédiate (mais hélas ! Déjà un peu lointaine), c’est d’abord celle des jeunes gens, des « jeunes » comme on dit à la télévision. Jeunes : ceux dont la jeunesse signifie d’abord aux autres que la leur s’est éloignée. Certains portent un anneau à l’oreille ou se teignent en vert une touffe de cheveux ; ce sont à la fois les plus dérangeants et les plus familiers : semblables à l’image que nous nous faisons d’eux-parce qu’elle est reproduite à foison dans la presse et les publicités- et qu’ils veulent donner d’eux-mêmes pour la même raison. »17 Malheureusement, il y a certains d’entre nous qui sont rejetés des groupes qui font notre société parce que souvent jugés comme trop différents et ne répondant plus a aucun critère d’appartenance à ces groupes d’individus. « Ils ne jouent pas, ils ne jouent plus le jeu dont nous acceptons les règles (juridiques, artistiques, morales économiques…) Toutes amarres rompues, sans autre lien au monde que le texte peu sur déposé à leurs pieds (écrit parfois à même le sol), ils symbolisent par la négation et jusqu’au vertige le tout du social, terriblement concrets, terriblement complets –trous noirs dans notre galaxie quotidienne. »18 Pourtant, ces hommes que l’on rejette et finit même par ne plus remarquer, on s’en rapproche à trop vouloir adhérer à un ou des groupes, puisque dans le groupe on est anonyme, on se protège par la masse, une identité commune qui noie l’individu. « Dans cet ensemble, l’individu disparaît : il devient anonyme, simple numéro dans une foule dont il est cependant partie intégrante. J’y trouve, l’avouerai-je, une sorte de sensation mystique, délivré pour quelques instants de ma personne, respirant et réagissant avec la masse, jouissant de sa force et de sa puissance. » André SIEGFRIED dans Géographie humoristique de Paris, 1951.19 A la différence que si certains d’entre nous cherchent à disparaitre, d’autres, ceux qui sont marginalisés, donneraient beaucoup pour disposer d’un peu d’attention. Dans un groupe, les sentiments personnels persistent mais ne s’expriment aux autres qu’en la totalité du groupe. Le plus souvent, ces émotions collectives se manifestent lors de manifestations ou avant les grands matchs de foot. On peut voir des foules de gens menés par un élan collectif, redonnant du même coup au métro un vent de joie dont il est souvent privé. Il faut cependant faire la part des choses, si des groupes se forment, si des élans d’émotions collectives en émanent et même si nous sommes ce que l’on retrouve dans le reflet de l’autre, un groupe est toujours formé de personnes différentes –si minimes soient ces différences- et un groupe peu également exister dans une hétérogénéité prononcée. « La Parisien de telle ou telle station, comment le définir, où le trouver ? Comment admettre qu’il puisse être la clé du concret et du complet ? Je les vois passer chaque soir à Sèvre-Babylone, pressés dans les wagons ou courant dans les couloirs – hommes et femmes, jeunes et vieux, écoliers, dactylos, professeurs , employés, clochards, Européens, Africains, Tziganes, Iraniens, Asiatiques, Américains- tous ces voyageurs souterrains si différents les uns des autres, dont les mouvements quasi-réguliers- comme ceux de l’océan Atlantique, avec ses marées hautes et basses et ses périodes
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.27 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.86 19 Dans GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P168 18
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de fortes ou de mortes eaux- suggèrent cependant qu’une même attraction les anime et les ébranle, les rassemble et les disperse. »20 Une énergie de groupe anime tous les voyageurs du métro, emportés par les mouvements de foule et formant des masses hétérogènes de voyageurs malgré tout semblables car banals, « passe partout »…Jean BAUDRILLARD a également pensé ces relations d’individu à groupe, de groupe à groupe, et d’individu dans le groupe, malgré une vision parfois un peu noire de notre société, il a pu décrypter une facette récente de cette synergie de groupe. « Et les gens sont fascinés, fascinés et terrifiés par l’indifférence du Rien-à-dire, Rien-à-faire, par l’indifférence de leur existence même. La contemplation du Crime Parfait, de la banalité comme nouveau visage de la fatalité, est devenue une véritable discipline olympique, ou le dernier avatar des sports de l’extrême. Tout ceci renforcé par le fait que le public est mobilisé lui-même comme juge, qu’il est lui-même devenu Big Brother.»21
4. Seul dans un groupe D’après les observations précédentes, on aime tous, consciemment ou non, l’appartenance à un groupe car on s’y affirme, on y existe au regard des autres du groupe et de autres des autres groupes, en revanche, on ne pourra jamais aller contre le fait que le groupe empêche la solitude, au contraire… « L’essentiel n’est pas le secret de la vie privée, mais la mise en scène publique de soi-même. Qui n’est pas vu n’existe pas, telle est la loi de la société des médias. On n’a pas peur d’être observé mais de ne pas l’être. Nos contemporains semblent passer leur temps à déposer leur image là ou ils le peuvent. […] Les gens veulent à tout prix apparaitre sur les écrans de la nation pour montrer aux spectateurs les banalités de leur existence. Une fois les projecteurs démontés, ils disparaissent de nouveau dans la foule, sans tambour ni trompette. » 22 Cette disparition de soi n’est pas vécue comme brutale dans le métro, elle fait partie du quotidien et des habitudes intégrées au processus de voyage en souterrain qui font que cohabitation entre êtres vivants faits pour vivre en surface et espaces souterrains clos fonctionne. Dans le métro on est habitué à entrer sous terre, valider son titre de transport, être à proximité d’étranger qu’on effleure mais à qui on n’adresse pas la parole. On y expose son style vestimentaire, sa coiffure, ses opinions politiques sans que cela ne choque particulièrement les autres voyageurs, habitués. « Ces « habitudes » varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances et les modes, les prestiges. Il faut y voir des techniques et l’ouvrage de la raison pratique collective et individuelle, là où on ne voit d’ordinaire que l’âme et ses facultés de répétition. »23
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.75 BAUDRILLARD Jean, L’élevage de poussière, dans le quotidien Libération du 28 mai 2001 22 SOFSKY Wolfgang, Le citoyen de verre, entre surveillance et exhibition, l’Herne 2011, P. 20 23 MAUSS Marcel, Sociologie et anthropologie, Sociologie d’aujourd’hui, Puf 1950, P.369 21
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Depuis quelques années, ce respect incontesté des règles de bonne conduite instaurées par les voyageurs eux même – la politesse et le respect des autres voyageurs- se voit malmené par une pratique d’automatismes remis en questions parce que peut être jugés vieux - jeu ou exagérés. En tout cas, dés 1986, le mécanisme est en marche, vers un individualisme prononcé. « Comme tout univers de contact sociaux, le métro avait fini par donner naissance à un code minimal de politesse : pendant très longtemps, les voyageurs les plus proches des portes descendirent pour faciliter la sortie tandis que ceux qui attendaient sur le quais se rangeaient avant de monter. […] Si tel voyageur est sur votre chemin, c’est qu’il s’apprête à vous devancer dans l’évasion hors de la géhenne ambulante. Et, par suite, selon la chaleur, votre hâte, votre humeur, le ton de votre « Vous descendez ? » changera, et oscillera de la requête à l’ordre. « Descendez-vous à la prochaine ? » aurait un autre contenu affectif, moins appuyé, plus courtois, d’une intonation différente. » Remarquons d’ailleurs une nette tendance actuelle à remplacer cette requête par une injonction, lancée parfois d’une voie roque : « La porte, s’il vous plaît ! » Est-ce le signe d’une évolution des mœurs ? » 24 Oui, et il en va de même pour les règles imposées par la RATP, qui comme nous avons déjà pu le constater, a toujours fait son possible pour faire respecter les lois du métro aux voyageurs par des campagnes d’affiches, des agents de police, la mise en place de sanctions…Pourtant, chacun reste libre de ses mouvements et qui n’a pas déjà surpris un autre voyageur en train de frauder ? Que pense-t-on alors dans notre fort intérieur ? « Il est pas gêné celui là », « c’est à cause d’eux qu’on paie si cher nos abonnements », « Méfiance, il a fraudé, il pourrait aussi voler… ». Posons nous maintenant la question suivante : qui n’a jamais oublié sa carte d’abonnement RATP quelque part ou encore subi un dysfonctionnement de la puce magnétique et ne s’est jamais retrouvé obligé de frauder aux tourniquets ? Pour n’importe quelle raison que ce soit, tout le monde peut être amené à frauder dans le métro, et c’est le jugement des autres qui est alors le plus pervers. La méfiance et la peur sont dangereuses car elles poussent souvent à des réactions disproportionnées. « On est au-delà du panoptique de la visibilité comme source de pouvoir et de contrôle. Il ne s’agit plus de rendre les choses visibles à un œil extérieur, mais de les rendre transparentes à elles-mêmes, par perfusion du contrôle dans la masse, et en effaçant du coup les traces de l’opération. »25 L’idée même de groupe a ses limites, et ces limites sont bien fragiles face à la méfiance que l’on peut avoir des autres, même ceux du groupe auquel on appartient. En un temps record, la méfiance peut détruire toutes les facettes d’une demi-confiance ou non-méfiance dont les étapes de mise en place ont été longues et laborieuses. « En sorte que l’observateur soucieux d’exprimer au mieux l’essence du phénomène social constitué par le métro parisien devrait rendre compte non seulement de son caractère institué et collectif, mais aussi de ce qui, dans ce caractère, se prête aux élaborations singulières et aux imaginations intimes sans lesquelles il n’aurait plus aucun sens. Il devrait, en somme, analyser ce phénomène comme un fait social total au sens que Mauss donne à ce terme et Lévi-Strauss précise et complexifie à la fois en en rappelant les dimensions subjectives. Il serait conduit à une analyse de ce genre tout autant par le caractère massif, public et presque obligatoire de la fréquentation du métro à Paris (qui 24 25
GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 111 BAUDRILLARD Jean, L’élevage de poussière, dans le quotidien Libération du 28 mai 2001
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le distingue de certains de ses homologues dans le monde) que par l’évidence quotidienne de son caractère à la fois solitaire et collectif. Car telle est bien, pour ceux qui l’utilisent chaque jour, la définition prosaïque du métro : la collectivité sans la fête et la solitude sans l’isolement. »26 Cette triste combinaison doit sûrement son fait au facteur souterrain du métro qui change les rapports visuels entre inconnus. Sous terre, on ose plus regarder l’autre. « Dans l’autobus, les gens restent tels qu’on les voit dans la rue. Ils regardent à travers les glaces ; le spectacle les distrait : ils demeurent masqués, cuirassés, illisibles. Sous terre, au contraire, ils se décomposent très vite. C’est dans l’ordre des choses, n’est-ce pas ! A peine entrés, assis, vous les voyez tels qu’en eux-mêmes enfin, non pas l’éternité, mais le métro les change. Ici, plus rien pour occuper leurs yeux, pour les distraire d’eux-mêmes. L’œil bovin, chacun s’enfonce en soi : il devient sa propre statue, ou plutôt son miroir. Car s’il se fige et se décompose, l’enterré pour quelques minutes ne meurt pas ; seulement son âme se défait de sa chair et lui monte à la figure, comme le sang quand on rougit. »27 Mais ce n’est pas tout, Marc AUGE évoque un phénomène de société récurent qui pourrait bien lui aussi porter le chapeau : la « surmodernité » ou « individualisation des références », c’est-à-dire le désir de chacun d’interpréter les informations dont il dispose, de manière autonome, et non de s’en référer à un sens interprété par un groupe. De plus, ces groupes du métro n’existent dans le souterrain que pendant la durée d’un voyage. Paul VIRILIO lui évoque le double tranchant de la surmodernité. Plus nous vivons le direct, plus nous avons besoin de l’histoire pour nous rattacher à l’humain, « nous adorons l’instantané mais nous n’existons que dans la durée ». Si l’on prend du recul et qu’on essaie de se souvenir des dernières personnes croisées dans le métro, mis à part ceux que l’on croise souvent, sur le chemin du travail, se souvienton des autres ? Certains n’existent que le temps d’un voyage, ce dernier terminé, ils ne font plus partie de nos vies, et eux ne se souviennent pas de nous non plus. Groupe ou non, même aux heures de pointes nous sommes seuls. « Solitude : ce serait sans doute le maître mot de la description que pourrait tenter de faire le phénomène social du métro un observateur extérieur. Le paradoxe un peu provocateur de cette proposition tiendrait simplement de la nécessité où se trouverai assez vite cet observateur d’écrire le mot « solitudes » au pluriel, signifiant […] le caractère limite du rassemblement imposé par les dimensions des wagons (le contenant) et les horaires de travail qui en déterminent la fréquentation (le contenu) »28 En conclusion, les rapports humains dans le métro sont complexes et changeants. Rien n’est simple parce que l’environnement souterrain est exceptionnel et inhabituel malgré des accoutumances et des mimétismes institués et pour accentuer les difficultés, même l’assurance gagnée par l’identité reconnue de soi grâce au groupe est fragile, car on se méfie sans cesse des autres, en passe de devenir à tout instant ennemi potentiel. A cela vient s’ajouter tout un ensemble de dispositifs complexes assignés à faire régner l’ordre et la sécurité dans le métro, pour des voyageurs nombreux 26
AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P. 54
27
MARGERIT Robert, Thème pour un best-seller , in La Gazette des lettres, 1952.
28
AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.56
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mais toujours seuls et dans l’incapacité de réaction face à ces barrières de contrôle qui complexifient son périple métropolitain. « La clôture individuelle rendrait également passif voir asocial et imposerait un état d’attente. »29
29
PEZEU-MASSABUAU Jacques, Les demeures de la solitude Formes et lieux de notre isolement, Editions L'Harmattan, 2007, P.113
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III) Métro, libère moi.
« Chaque fois que je vais à Paris et que je suis obligé de bousculer mes semblables dans le métro, j’ai plus envie de bêler que de parler. On ne s’est pas préoccupé d’organiser la ville pour que la condition humaine y soit digne. Je ne peux pas tolérer qu’au nom de la productivité, la beauté soit sacrifiée. La ville impose une sorte de claustration. Comment s’épanouir dans cette masse pétrifiée faite de béton et de bitume, où le regard se heurte sans cesse à une enseigne ou à un panneau publicitaire qui vous rappellent l’univers marchand dans lequel vous êtes immergé ? Et cet encombrement insensé de voitures, qui se taillent la meilleure part d’espace au détriment de celui qui devrait être réservé à la déambulation humaine et être favorable à la rencontre, à la convivialité ? Dans cet univers, je me suis toujours senti grouillant et non vivant. Les êtres se croisent, se rencontrent peu. Comme s’ils étaient dans un désert d’une nature étrange. La solitude y est pire que nulle-part ailleurs. ».30 RABHI Pierre, Graines de possibles 2005
a) Espaces public fractionnés, espaces fermés dédiés 30
RABHI Pierre in Graines de possibles Pierre RABHI, Nicolas HULOT, Weronika ZARACHOWICZ, 2005, éditions Calmann-lévy. P56 24
Nous avons précédemment constaté que le voyageur du métropolitain a un but bien défini : se rendre le plus efficacement possible à destination. Dans ce périple, il doit s’adapter à des espaces souterrains, affronter le regard et le jugement des autres, s’identifier à un groupe et tout cela pour finalement décider de s’isoler au plus profond de lui-même. Mais ce n’est pas la simple –si compliquée soit-elle- relation aux autres voyageurs qui perturbe le plus ce voyageur. En effet, la typologie des espaces parcourus, les atmosphères qui en émanent et les fonctions qu’on leur a attribuées ont également une influence majeure sur les ressentis, et les comportements de chacun de nous. « Henri Vicariot et son équipe ont remarqué que le comportement des foules de voyageurs placés dans des volumes de vastes dimensions traduisait un incontestable désarroi psychologique, voire une inhibition des réactions élémentaires. Ce qui implique la nécessité de créer une ambiance rassurante, apaisante, voire euphorique et une excellente signalisation, d’ailleurs de tradition dans le métro parisien. »31 Voila pourquoi les espaces du métro sont tels, aujourd’hui plus saturés de voyageurs et de systèmes de contrôles que rassurants. Et nous allons voir par la suite que le système d’autodéfense par l’abstraction du voyageur face au trop d’éléments à voir, à intégrer au parcours, à contourner, à toucher, est aussi provoqué par l’accumulation des systèmes de contrôle dans le métro. Paul LANDAUEUR, spécialiste des dispositifs urbains attenants à la sécurité explique bien la complexification permanant des espaces urbains en faveur d’une sécurité qu’on paie au prix fort. Il explique dans son livre L’architecte la ville et la sécurité, que les périmètres de sécurité impliquent une généralisation de la ville à une « différenciation progressive entre trois types d'espaces : une zone ouverte, sans distinction entre domaine privé et domaine public, à laquelle succède une zone contrôlée nécessitant une vérification d'identité ou un accompagnement ; zone derrière laquelle se situe un espace réservé aux détenteurs d'autorisation d'habilitation ou d'un billet d'entrée. » L’étude qui suit va nous mener à Bastille, sur et sous le pont Bir-Hakeim, au boulevard Diderot, à la gare de Lyon à Vincennes, et dans les stations Passy et Gare d’Orléan, mobilisant la méthode de reconduction, support à des observations sur la mutation des espaces du métro, et des espaces urbains en lesquels sont implantées les bouches de métro.
31
GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 122
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Bastille, 1908 – 2012 :
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La station Bastille, construite en 1905, est particulière de par son ouverture de tout son long sur la voie publique. La raison majeure de cette particularité est qu’elle est accolée à l’extrémité du canal Saint Martin. Ainsi, aux origines de la ligne 1, le métro passait en extérieur sur cette portion, laissant le canal à la vue des voyageurs. Cette particularité et le fait que les abords et la station elle-même soient très fréquentés, ont amené la ville de Paris à installer des barrières à l’aplomb du «fossé est de la Bastille ». Le lieu n’est pas sécuritairement géré de la même manière que pour la majeure partie des autres stations de métro. Un mur et un auvent sont venus refermer le côté accolé au canal, bloquant la vue et stoppant du même coup l’apparition magique du métro à découvert dans la ville. Le quartier alentour a également beaucoup changé, on le voit en arrière plan des deux photographies. Auparavant, il existait une entrée monumentale à cette gare d’opéra Bastille, mais au moment où les œuvres d’Hector GUIMARD ont été décriées –a partir de 1914-, celle de la Bastille à malheureusement été détruite. Aujourd’hui, c’est l’opéra Bastille qui occupe la pointe de l’ilôt entre la rue de Lyon et la rue de Charenton. Des nouveaux trains circulent sur la ligne 1, complètement automatisée depuis cette fin d’année 2012, les wagons MP 05, sont montés sur pneus, ce qui explique les rails différents de ceux d’origine, comme nous le verrons par suite. Cette automatisation du réseau est allée de paire avec l’installation, en mars 2011 de portes appelées couramment « anti suicide » et que la RATP a baptisées « portes palières ». Ces portes sont terrorisantes, le voyageur n’a même plus à faire un geste pour qu’elles s’ouvrent, de tout façon elles s’ouvriront quoiqu’il arrive. Nous sommes comme des bêtes enfermées qui nous jetons hors de notre cage, dès qu’elles s’ouvrent. Ces portes sont une barrière physique supplémentaire qui nous sépare de l’extérieur. Par conséquent, l’enfermement du voyageur dans la rame est double avec ce système car il y a dorénavant deux portes à franchir entre quai et intérieur de wagon. Sur la photographie récente on peut voir un morceau de la grande fresque de la station, évoquant la révolution française, exposée depuis 1989, elle témoigne d’un désir de peau neuve pour le métro. D’après Roger-Henri GUERRAND, l’objectif à l’époque de la pose de cette œuvre d’art, était de rendre les stations de métro plus attractives et d’en faire un lieu de culture ou s’exposerait l’art, l’histoire…Un revers bien mérité après le désir de rationalisation et d’esthétique industrielle voulue en supprimant les œuvres Art Nouveau si reconnues d’Hector GUIMARD. Par conséquent, cette reconduction met en avant l’évidence de volonté importante à accentuer les limites au cours du temps entre ville et métro. La RATP met la ville à distance et le voyageur dans une situation végétative où il doit se laisser guider par les couloirs, les portails qui s’ouvrent en temps voulu et des champs de visions restreints et ciblés. Ce dernier n’a même plus la liberté de parcourir le métro à sa manière car de plus en plus d’interdits se glissent entre ses volontés personnelles et un voyage qui en principe –hélas cela ne peut pas être vrai à cause de toutes les manières dont on nous observe- ne regarde que lui.
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Viaduc de Passy - actuellement pont Bir-Hakeim - vu depuis le quai de Grenelle, rive gauche, 1906 – 2012
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On peut s’étonner ici, de la vraisemblance des deux clichées. Il semble au premier abord que presque rien n’ait changé à cet endroit de Paris entre 1906 et 2012. Le cas est ainsi d’autant plus intéressant car le minimum, les interventions les plus discrètes mais celles auxquelles on ne peut plus couper de nos jours, ont été mises en place. Autrefois réservés aux machines portuaires de déchargement des péniches, les quais ont été ouverts à la circulation automobile, pour désengorger Paris d’un trafic trop dense – le métro ne suffisant plus pour accomplir cette tâche- déshumanisant complètement du même coup les bords de Seine. Des panneaux routiers ont été installés en conséquence, ils témoignent de la multiplicité des messages et indications présents dans la ville et aujourd’hui nécessaires à sa bonne organisation, comme il le sera développé par suite. Un lampadaire est également venu trouver sa place, sûrement par souci de sécurité au moment où l’exploitation des bords de Seine à changé. On peut également remarquer qu’une péniche de plaisance s’est amarrée là et un panneau de code maritime a été posé sur la façade du pont laissant présager du passage fréquent de bateaux. Ces bords de Seine devenues plus propices aux circulations ont ainsi été agrémentés d’arbres pour les rendre plus agréables, empêcher les sorties de route trop violentes des voitures et stabiliser les quais. En ce qui concerne les dispositifs répondant au fonctionnement du métro, on peut noter que le viaduc de Passy a persisté dans sa forme d’origine. Seule la rame de métro a changé au cours du temps, afin de répondre aux besoins d’une fréquentation de plus en plus importante. Nous reviendrons plus précisément sur le sujet dans cette même partie. Pour ne rien oublier à propos de cette reconduction, il faut dire que les immeubles accolés à la station de métro Passy, -en arrière plan des deux photos- ont perdu les petits dômes recouvrant leurs tourelles. Le Viaduc de Passy, actuellement rebaptisé pont Bir-Hakeim date de 1878. Le franchissement métallique a été construit pour l’exposition universelle de cette même année. Ce n’est qu’à partir de 1905 qu’il est modifié pour accueillir automobiles, vélos, piétons et la ligne 6 du métro. Mis à part le garde - corps du premier niveau du pont qui a été remplacé, ce dernier restera en l’état puisqu’inscrit aux monuments historiques depuis juillet 1986. Ici, comme souvent en ville, les différents flux de circulation ont été séparés, afin de les régulariser et d’assurer la sécurité des citadins, ne laissant presque aucune spontanéité possible aux piétons comme aux cyclistes et aux automobilistes. En effet, le métro circule au dernier niveau du viaduc, en dessous la voie pour vélos est cernée de deux routes pour véhicules motorisés et les trottoirs sont réservés aux piétons. Sous le pont passent les bateaux.
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Un coin du boulevard Diderot – Reuilly, années 1900 - 2012
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Nous sommes ici boulevard Diderot, dans le 12eme arrondissement de Paris. Le plus frappant à la comparaison de ces deux photos est la suppression du carrousel, dispositif d’entrée dessiné par Hector GUIMARD pour le métropolitain. Ce changement nous permet de dater le cliché ancien aux années 1900… « Dès avant 1914, de nombreux ouvrages de Guimard sont remplacés peu à peu, aux applaudissements des « vrais amoureux de Paris ». La CMP veut fondre dans le décor consacré par les siècles et elle choisit un modèle d’entourage en fer forgé, à montant carrés, d’aspect « moderne » et discret. Ces entrées sont signalées aux passants pas un candélabre : à mis hauteur, il supporte un écriteau avec l’inscription « métro » et se termine par un globe lumineux. Dans les années 30, ce triste ensemble s’enrichit, sur le coté opposé à l’escalier, d’un panneau éclairé par transparence. Il porte le nom de la station, le numéro de la ligne et le plan de Paris que recouvre celui des lignes du réseau. L’esthétique industrielle était encore dans son enfance et le métro ne se situait plus à l’avantgarde de l’art décoratif… »32 Cette suppression du carrousel -qui ne permet plus la protection des voyageurs contre les intempéries- supprime tout rassemblement confiné sous cet abri, rend chaque allée et venue, chaque activité dans les escaliers complètement visible par tous, à découvert. Cette suppression rend l’identification, ainsi que la distance de visibilité de la bouche de métro complètements différentes. On ne cherche plus cet abri typique de fer forgé et de verre pour repérer une entrée de métro, mais le simple lampadaire annoté « métro » qui s’allume la nuit tombée. L’importance même de la présence de la bouche d’entrée et du métro auquel on cherche à accéder a donc changé, l’emprise au sol de cette entrée est aujourd’hui beaucoup moins importante, minimisée au maximum. Au début du siècle dernier, l’innovation qu’apportait l’arrivée du métro à Paris a fait qu’on le considérait comme un événement sans pareil, l’objet d’une carte postale. Il est aujourd’hui banal et son caractère bien plus lisse et discret en surface ici, témoigne bien de ce changement temporel. Nous verrons par suite que ces évolutions de direction du regard, de conscience des objets et de manière de cheminer sont en évolution constante dans le métro. Ainsi on ne fera dorénavant plus du métro une œuvre d’art mais un élément fonctionnel, répondant à des nécessités de repérage rapide et efficace. C’est à l’époque où les entrées de métro à la GUIMARD on été décriées que les bouches de métro se sont retrouvées complètement banalisées. Pour l’heure, il existe encore de nombreux types de ces balises de localisation de l’entrée des gares… Simplement, le fait d’avoir dégagé un peu l’espace donne l’impression d’un accès plus aisé et peut-être moins « coupe-gorge » qu’auparavant. On peut également remarquer que même si la vue a été partiellement dégagée, le point de fuite reste toujours dissimulé par le panneau qui informe du nom de la station, du plan, et des lignes de métro accessibles. Cependant, côté escalier, ce n’est pas un plan qu’on nous présente mais une publicité. On est quasiment contraint et forcé de poser le regard sur cette affiche, imposée sur notre trajectoire. La maligne association de l’utile –ici le métro- à la consommation fait très bien fonctionner le système. La publicité utilise le métro comme moyen de communication et de multiplication des informations. On force la confrontation pour mieux lobotomiser les utilisateurs qui se retrouvent enfermés dans des désirs de consommer, parce qu’on rêve d’un mieux, pendant le pénible voyage matinal, souvent serré dans un wagon où la chaleur est humide. 32
GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, éditions La Découverte, 1986. P. 71
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Mais pour le moment, restons à la surface et notons que l’arbre qui était implanté devant l’entrée à dorénavant été remplacé par une poubelle, cette dernière n’a sans doute pas été directement installée là dés l’arbre coupé mais cette étrange apparition nous rappelle le contexte de consommation dans lequel nous vivons. En effet, alors même que l’on sort du métro, on tombe nez à nez avec une poubelle dans laquelle on nous suggère de jeter le journal que l’on vient de lire ou encore les papiers des friandises achetées aux distributeurs du métro. En évoquant la consommation, il faut noter que même en plein jour, les panneaux de signalisation et les lampes dans l’escalier sont allumés, témoignant du même temps de la nécessité d’éclairer le sombre souterrain qui généralement n’a pas d’ouverture sur l’extérieur. Un autre changement majeur et qui lui, évoque la multiplication des véhicules, est la mise en place de petits poteaux anti-voitures, qui fragmentent et sectorisent l’espace de manière à le réguler et à trier les types d’utilisateurs admis dans ces différents espaces. Pour ne rien oublier, on peut voir que des dispositifs temporaires visant à isoler des travaux de voiries, ont été installés à gauche de l’entrée de la bouche, mais ne vont sans doute pas modifier le paysage urbain actuel. Finalement, les seuls éléments qui ont traversé le temps sont les façades d’immeubles sur la droite de l’image, le sol pavé, et la boite aux lettres qui a changé de style mais pas de place. Nous verrons également que ce n’est pas le seul endroit où bouche de métro et boîte aux lettres de départ de courrier sont associés…
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Gare de Lyon, années 1900 – 2012
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Dans le 12eme arrondissement de Paris, prés de la gare de Lyon, cette entrée de métro qui mène aux lignes 1 et 14 date de Juillet 1900. La couverture de verre a été ici aussi supprimée, cependant, et contrairement aux carrousels, cette couverture ne créait pas d’espace enclos. Seule la barrière de métal de style Art Nouveau d’Hector GUIMARD d’origine est restée. L’actuel panneau d’affichage qui signale la bouche a également été dessiné par GUIMARD même s’il n’est pas d’origine, en effet nous verrons que les plans des lignes affichés aux bouches de métro sont arrivés quelques années après l’inauguration des premières stations. Par contre, comme partout, il y a de la publicité associée à ces informations relatives et indispensables au bon fonctionnement du métro. Sur la droite de l’image, on peut remarquer que le mur a été rehaussé, suite à des travaux de rénovation de tout l’espace extérieur de la gare. Ce mur permet d’isoler la rue du parking à scooter. Quoi qu’il en soit, cet élément segmente l’espace et répond à un désir d’attribution de fonction spécifique à chaque morceau de territoire. Tous les petits commerces ambulants à gauche de la bouche de métro ainsi que la cabane du fond sur l’ancienne photographie ont disparu, le trottoir s’est largement rétréci pour laisser place à l’imposant trafic routier. Avec ce trafic sont arrivés les panneaux de la route, les autocars et arrêts de bus. Comme dans beaucoup de cas, l’espace est devenu saturé, rempli d’informations et d’objets de toutes sortes. Les lampadaires ont également été remplacés et plus personne ne distribue le journal, il faut se servir soi même dans le métro, témoignage d’une société individualiste où le contact humain est moins bien accepté que le contact avec la machine, même si quelques personnes sont encore embauchées aux heures de pointes pour distribuer « Métro ». Panneaux publicitaires, panneaux routiers de direction, arrêts de bus, trafic dense, parking à scooter, sont venus, entre autre, segmenter et occuper fortement l’espace, le remplir sans modération, le rendant complètement saturé et très hostile à la libre déambulation, malgré tout, les passants autour de la bouche de métro sont toujours là aujourd’hui, comme à l’époque de l’ancien cliché, ils n’ont simplement pas la même manière de pratiquer la ville, à l’heure actuelle très contraignante.
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Ch창teau de Vincennes, 1934 - 2012
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Mise en service en 1934, la station Château de Vincennes, a vu l’identité alentour du lieu beaucoup changer, grandement s’urbaniser. La vue n’est plus du tout dégagée, ici aussi, le lieu est devenu saturé d’éléments en tout genre malgré l’absence totale -et en opposition avec l’ancienne photographie- de voyageurs. On peut d’ailleurs se questionner sur le naturel de cette photographie où l’on ne voit que des hommes endimanchés à qui on a surement demandé de pauser. Les rails de chemin de fer ont été remplacés par un service de bus et tous les dispositifs de vente et d’informations comme des guichets et des télévisions qui affichent les horaires de passages y ont depuis longtemps trouvé leur place. Ainsi, des poteaux de délimitation des espaces piétons interdisent dorénavant l’accès aux véhicules à moteurs dans certaines zones et des trottoirs ont été faits pour les piétons, les pavés ont été remplacés par du bitume. En plus de ces apports, une imposante couverture a été mise en œuvre portée par de nombreux poteaux qui enlèvent toute fluidité à l’espace. Le panneau de plan du métro a été remplacé par un électrique lumineux et un gros M de signalisation a été installé hors de l’espace couvert. Ce plan de métro, sur l’ancien cliché, fait partie des premiers à avoir été mis en place quelques années après l’ouverture du souterrain pour en faciliter la pratique. « Et d’abord, ne pourrait-on lire le nom de chaque station à leur entrée extérieure, comme à Londres et à Berlin ? Il fallut cinq ans de discussions pour que la CMP consentît enfin à mettre en place cette signalisation élémentaire. (en 1910 donc) Les conseillers (municipaux parisiens) durent encore batailler pour obtenir des plans du réseau. […] En 1930, M. de Puymaigre, conseiller municipal auquel on doit déjà les carnets de billets aller-retour, s’avise de la mauvaise lisibilité des plans affichés dans les stations. Toutes les lignes sont dessinées en noir et seul leur numéro d’ordre permet de ne pas les confondre. M.de Puymaigre propose donc que chaque ligne ait sa couleur. »33 On peut également voir une poubelle, non loin des distributeurs de journaux allant dans le sens encore ici de la société de l’individualisme, de la consommation et de l’incitation au respect des règles en communauté. De plus, deux vélos accrochés aux barres de la rambarde témoignent de l’interdiction de ces derniers dans l’enceinte du métropolitain car considérés comme dangereux, tout comme les bouteilles de gaz et les déodorants en bombe… En 1934, il semble qu’au sortir de la bouche de métro, seule était implantée une voie de chemin de fer pour grandes lignes et les cabanons du fond de l’image laissent présager que tous ces hommes se rendaient peut être à Vincennes pour travailler. Aujourd’hui, plus d’espace en mutation, ni de libre circulation, tout est figé et celui qui décide de ne pas y prêter attention risque de se faire rapidement écraser par un bus. L’espace autour de la bouche est devenu utilitaire, il n’a plus aucun espace permettant l’évasion imaginaire, on nous donne tout à voir ici encore, l’espace est fragmenté et saturé.
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GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, éditions La Découverte, 1986. P. 62
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Entrée station de métro Passy, ? – 2012
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La reconduction montre ici l’entrée de la station Passy, direction Charles de Gaulle Etoile, qui semble avoir été largement agrémentée dans le temps de dispositifs fonctionnels faisant souvent entrave à la fluidité des espaces, comme nous le verrons par suite. Ces nombreuses mutations sécuritaires sont hélas, celles que l’on retrouve couramment dans les stations du métro, la seule différence ici, est qu’elles sont concentrées en un même point, en raison de la localisation de l’entrée de la station, -dans les marches de la rue de l’Alboni, 16eme arrondissement - qui rend impossible tout agrandissement de l’entrée du métro. Il a fallu, afin de pouvoir installer les portails automatiques de contrôle, implanter un sas d’entrée tant bien que mal pour contenir les voyageurs en cas d’affluence. Ainsi, le simple panneau « Entrée » installé là à l’origine a bel et bien disparu, au profit d’une installation complexe, que le voyageur doit franchir. Concernant les dispositifs mis en place autour de la station, on peut remarquer, au second plan que la barrière de bois opaque surplombant la gare, a été remplacée par une grille métallique, sûrement plus solide mais qui permet la transparence et ainsi a le don de ne pas stopper le regard. Cette grille a pris l’apparence voisine de celle qui court le long des escaliers et qui a perdurée dans le temps, seule une pancarte indiquant la direction des rues situées en haut des escaliers y a été accolée. En évoquant ces escaliers il faut remarquer qu’une rampe centrale a été installée. Cette objet a pour vocation principale à servir d’appui lorsque l’on empreinte les escaliers mais elle sert aussi, de façon déguisée, à séparer les flux de citadins. Comme pour la circulation automobile, le réflexe de beaucoup d’entre nous ici est de passer à droite de la rampe en montant, c’est-à-dire de longer la station, et de passer de l’autre coté de la rampe en descente. Ou encore, lors de l’arrivée d’un train, que l’on monte ou descende les escaliers, on longe la station, tandis que si l’on est juste de passage, on empreinte le couloir d’escalier le plus éloigné de la porte du métro pour éviter la cohue. Cette manière de séparer les flux, de les dédier à un type de déplacement sur laquelle nous reviendrons, permet d’éviter les croisements que certains pensent problématiques. C’est pour cette raison qu’il y a souvent plusieurs entrées aux stations de métro, et même ici, deux portes ont été faites –une pour rentrer dans la station, l’autre pour en sortir- afin de diviser le groupe de voyageurs en groupes de directions. L’ancienne photographie ayant été prise depuis la cour privée des habitations voisines, on ne peut pas distinguer sur la photographie récente le grillage, en bas à gauche du cliché, qui sépare l’espace privé de la voix publique. En revanche, tout un ensemble de limites a été instauré entre ce passage en escalier et la cour voisine. Deux rambardes, une basse et une à mi-hauteur sont venues isoler complètement le talus qui borde les marches, sûrement pour empêcher le promeneur d’y marcher et peut être pour créer une sorte de sas entre le jardin voisin et la rue. Ironie du sort, une femme voyant veine sa recherche d’un banc, attends assise sur cette barrière mi-hauteur, un « smart-phone » à la main, comme beaucoup d’entre nous, savons le faire pour se distraire pendant l’attente. A sa gauche, on peut voir le derrière d’un panneau d’affichage des plans de la ville et du métro, informations non disponibles aux voyageurs à l’heure de la mise en service du métro, d’où leur absence sur le vieux cliché. De l’autre côté de l’escalier, la RATP et la ville de Paris ont décidé de murer la station, la rendant impénétrable une fois les rideaux de fer des deux entrées clos. La grille d’origine a été supprimée sur la partie palier des escaliers. Ce mur de brique tend à rompre totalement la transparence qui existait
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avant entre lieu de passage des métros et ville. Le regard est bloqué sur un foisonnement d’informations relatives à l’utilisation du métro suivant les règles de bonne conduite RATP. En hauteur, sur le mur d’entrée, un auvent a été prévu pour protéger les personnes qui attendent ou souhaitent acheter ou recharger leurs titres de transport à la machine automatique. Sous cet abri est suspendue une caméra de surveillance, la vague sécuritaire en a fait un objet malheureusement indispensable aux lieux publics et qui aujourd’hui, rassure par sa seule présence. Nous approfondirons le sujet dans la partie suivante. Sous l’auvent on trouve donc la machine automatique de vente de billets, deux écriteaux, un qui nous informe de la présence de caméras de vidéosurveillance, et un autre sur lequel il est notifié l’interdiction de fumer .En ce sens, un cendrier a été installé près de cet écriteau, du côté de la porte d’entrée de la station. L’interdiction de fumer dans les transports en commun date de 1975. Une lampe néon, maintenant typique du métro parisien éclaire l’ensemble. Sur les deux photographies, on peut apercevoir quelques éléments qui interagissent avec le voyageur au moment de rentrer dans la station. Auparavant, seule une grille, plutôt d’ouverture étroite faisait office de passage entre ville et métro. Ensuite, une barrière à hauteur de poitrine canalisait les voyageurs dans un couloir en attendant d’être contrôlé par le chef de station. On voit à droite de l’image, la cabane e ce dernier où l’on pouvait acheter des tickets. Par conséquent, le quai était moins large qu’aujourd’hui et les tourniquets mécaniques ont remplacé les contrôles du chef de station. « C’est l’automatisation qui mettra une fin brutale à la légende de ceux qui resteront les témoins essentiels de premier âge d’or métropolitain. (les poinçonneurs). [ …] Dans cette anticipation, Paul Guimard – futur conseiller du président Mitterrand – voyait juste. Si les poinçonneurs ne nous attendent plus, à l’entrée des quais, ils règnent néanmoins, de façon invisible, par machines interposées… »34 Les mêmes lampes que celle sous le auvent sont installés dans le sas et la liste des stations desservies par la ligne 6 direction Charles de Gaulle Etoile informe le voyageur. La photographie de la situation actuelle semble saturée, elle comporte beaucoup plus d’informations que l’ancienne, ceci est lié au fait que les espaces dédiés au métro se sont complexifiés, diversifiés et dédiés, toujours à cause d’une sur-fréquentation des lieux par des populations hétérogènes et craintives des autres voyageurs.
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GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 110
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Gare d’Orléans, 1906 - 2012
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La station de métro de la gare d’Orléans a été mise en service en Juin 1906, et d’après le cachet de la poste, l’ancien cliché semble avoir été pris la même année. L’aspect que l’on ressent le plus de la transformation entre les deux époques est l’encombrement de l’espace. Ce dernier, dans la première photographie, est beaucoup plus lisible que dans la seconde, sans doute parce qu’il y a moins d’usagers sur le quai. Mais ce n’est pas la seule raison. Au premier plan de la vue actuelle, un distributeur lumineux est implanté à l’angle d’un tournant, afin qu’il soit visible par tous. Il représente alors un obstacle à la fluidité des déplacements de personnes. Une fois de plus, c’est un face à face direct avec la consommation, contre laquelle il est devenu difficile de résister. Par suite, l’agencement des différents objets entre eux laisse perplexe. En effet, un distributeur de nourriture côtoie une poubelle, faut-il y voir là une incitation directe à consommer ce que l’on vient d’acheter car une poubelle se trouve là pour en jeter le papier ? C’est largement possible en vue des dispositifs avancés des acteurs de la consommation pour la faire fonctionner. L’architecture de métal de la structure porteuse de la gare et la transparence qu’elle crée est toujours en partie visible, et évoque la surveillance et l’enfermement empirique. Et d’ailleurs, cette structure constituante, est partiellement cachée par les grandes affiches publicitaires accrochées dessus. Ici non plus, on ne nous laisse pas le choix, notre œil est obligatoirement amené à survoler cette propagande puisqu’elle tapisse les murs de la station et qu’il faut chercher entre deux publicités les informations nécessaires à se diriger dans les couloirs du métro. Les couleurs vives, les publicités éclairées, les mots écrits en gros attisent la curiosité et renforcent le phénomène en attirant l’œil. De plus, la publicité apparaissait auparavant sur des supports existants, maintenant on en crée des nouveaux. C’est sans doute la traduction d’une nécessité à changer souvent d’affiches et donc de faciliter les interventions de nettoyage lorsque trop d’affiches se superposent. On peut également remarquer que les panneaux d’indication de direction, pour rejoindre les autres lignes ont été remplacés par des plus récents, lumineux et plus nombreux. Et le système d’éclairage a lui aussi été changé. Les petites lampes qui renvoyaient à une atmosphère un peu plus chaleureuse ont été remplacées par des néons, plus efficaces. Les longs bancs n’existent plus car aujourd’hui, on a tendance à n’installer que des sièges d’une personne, ou même seulement des reposes fesses à station debout –difficile de connaitre le vrai nom de ces choses- pour empêcher les sans domicile fixes de s’en servir comme couchette. C’est une de manière déguisée pour réguler l’accès à certains types d’usagers pour un certain type d’utilisation… Le responsable de quai, sur le quai donc, n’a plus son activité à l’heure actuelle, il a malheureusement été remplacé par de nombreuses caméras de surveillances qui enregistrent tout, ainsi, son poste de travail a été supprimé. Le contrôleur de l’entrée de station s’est lui aussi transformé, mais en tourniquet composteur de tickets –ils sont installés dans certaines stations dès 68-. Tout est automatisé car on n’accepte plus l’erreur humaine, et la fréquentation du métropolitain est devenue telle qu’il faudrait un nombre trop important d’agents présents dans les stations suivant l’idée de la RATP qu’il faut que tout soit contrôlé et sans cesse. Le marquage au sol à évolué, sur l’ancienne photo on ne distingue pas très bien mais il semble que ce soit de grandes croix, qui étaient dessinées sur les quais, en tous les cas, le marquage au sol actuel sert à indiquer l’avant du train et à délimiter le bord du quai, notamment pour les aveugles grâce aux 41
petits picots en relief. Dans certaines stations, l’emplacement des portes est même dessiné au sol avec des flèches directrices pour indiquer aux personnes comment sortir et rentrer ! Ceci dans l’idée qu’il faut respecter les règles de bonne conduite dans le métro pour que l’ordre y règne. Enfin la rame de métro a changé, à l’origine en bois elle s’est modernisée pour plus de confort et plus de régularité dans les horaires de passage, comme nous avons déjà pu l’évoquer. C’est avec cette reconduction qu’apparaît clairement le phénomène de collage dans le métro, espace étriqué qui a du s’adapter à une fréquentation toujours plus importante. Les objets se superposent, une poubelle côtoie un distributeur de friandises, d’ailleurs habilement placé sur une trajectoire obligatoire des voyageurs, les incitant à acheter, et une impressionnante enfilade de panneaux publicitaires viennent cacher l’esthétique structure de métal qui soutient la couverture de la station. La simplicité n’est plus au rendez-vous, et dorénavant il y a un temps pour descendre du wagon, quitter la zone dangereuse du bord du quai, jeter un œil sur une publicité qui donne envie d’acheter, tomber nez à nez avec un distributeur puis une poubelle, qui nous donnera bonne conscience lorsqu’elle recevra le papier du gâteau que l’on vient d’acheter.
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Viaduc de Passy vue depuis la station de métro Bir-Hakeim, 1917 – 2012
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La reconduction exacte s’est avérée difficile ici car une barrière et un panneau d’interdiction : « passage interdit au public DANGER » empêchent de se rendre au point de vue exacte d’où l’ancien cliché a été pris. Ces barrières instaurent une limite entre une zone accessible à toute personne pouvant s’introduire dans la station et une zone où seuls certains employés RATP peuvent se rendre. Ainsi, on ne peut pas assurer que certains dispositifs dont il va être question n’existaient pas en 1917, date de la première photo. Comme on est sur la ligne 6 les rails sur la photo de la situation actuelle, sont ceux qui correspondent à un système de métro sur pneumatique, mis en service en 1974 sur cette ligne. Ce sont des rails beaucoup plus larges, bordés par un liseré rayé jaune contre lequel des roues du wagon s’appuient pour ne pas dérailler. Par conséquent et à la mesure du temps, les wagons ont eux aussi évolués. « A Pâques 1952 en effet, sur la ligne –désaffectée depuis 1939- qui relie les stations Portes-des-Lilas et Pré-Saint-Gervais (750 mètres), apparait le métro sur pneus. Il est conduit par l’automotrice MP 51 fonctionnant en pilotage automatique intégral. Après quatre années d’essais satisfaisants, tous les jours, de 13 h 30 à 19 h 30, le nouveau matériel est mis en service, au mois de Novembre 1956, sur la ligne Châtelet-Mairie des Lilas. »35 Les progrès mécaniques et électriques réalisés entre 1917 et 2012 sont grands et se ressentent ici par l’incroyable quantité de câbles qui courent le long de la rambarde du pont. Sur l’ancienne photographie, on voit de larges poteaux métalliques qui supportent des câbles dédiés simplement au transport d’énergie. Aujourd’hui, ces fils aériens ont été remplacés par des câbles qui longent les voies, beaucoup plus faciles d’accès en cas de panne. De plus, les informations transférées dans ces câbles sont bien plus nombreuses : électricité, signaux de circulation –on distingue le feu qui donne l’autorisation de départ-, Téléphone, vidéo …Trois armoires techniques, sûrement électriques accompagnent ce réseau de câbles. Ne pouvant toujours pas affirmer que ce dispositif existait en 1917, on remarque sur la photographie de 2012 qu’un miroir permet au conducteur de surveiller les entrées sorties des voyageurs du métro, assurant ainsi un peu plus la sécurité. Le panorama sur la ville de Paris en arrière - plan, montre comme nous l’avons déjà observé, des bords de Seine beaucoup plus plantés aujourd’hui qu’au début du siècle passé. Les quais sont aujourd’hui bien plus encombrés par le trafic routier et tous les dispositifs qu’il implique. Les bâtiments situés à l’emplacement de l’actuel palais du Trocadéro, constituaient l’ancien palais, construit pour l’exposition universelle de 1878 et démoli en 1935. L’image actuelle du lieu est complètement saturée par rapport à l’image des années 20. Un foisonnement d’éléments relatifs au bon fonctionnement du métro est venu grignoter l’espace et l’encombrer. Mis à part quelques bâtiments alentour, seul le pont Bir-Hakeim n’a pas changé. Tous ces exemples d’entrées de métro dans des espaces urbains ou des stations très fortement isolées de la ville ont montré qu’un grand nombre d’espaces auparavant dégagés et plutôt libres et ouverts à la déambulation, se sont retrouvés complètement fragmentés, segmentés et parfois même dénaturés par une nécessité à laquelle on ne peut plus échapper aujourd’hui, celle de dédier les espaces à une seule et unique fonction pour générer la sécurité. 35
GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, éditions La Découverte, 1986. P 104
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« En un mot, la protection physique des lieux s’estompe au profit de la gestion des déplacements. »36 On a ainsi vu ces dernières années se multiplier les potelets anti-voitures sur les trottoirs, les voies réservées à un type de véhicule, les accès réglementés. De surcroît, et c’est le sujet de la partie suivante, introduite par un exemple -celui de la station Pasteur- qui répond à la fois au thème que l’on vient d’étudier et à celui de la multiplication des messages, codés ou directs dans le métro.
b) Des voyages saturés de messages Cette partie de l’étude, toujours basée sur la méthode de reconduction, est dédiées à l’observation de la prolifération des objets porteurs de messages dans les espaces du métro car ils ont également grande influence sur nos comportements en souterrain. L’objet le plus évident et qui vient à l’esprit est la publicité. Ce n’est pas le seul mais son importance est telle qu’on ne manquera pas, par l’intermédiaire de Roger-Henri GUERRAND d’en expliquer la provenance. « L’amorce d’un changement radical fut l’œuvre d’un spécialiste de la communication : M.Tordo, directeur de Métro-Bus Publicité, la régie publicitaire des transports en commun de Paris, estimait vraiment très triste l’aspect général des stations. Comment en faire le support attrayant qu’exigeait le public, curieux de nouveautés après la grisaille de l’Occupation ? Tout commença par Franklin-D.-Roosevelt qui se garnit de vitrines dans un décor d’aluminium oxydé. […] Or leur succès fut immédiat : les présentations d’objets dans le métro se révélèrent très attractives. Ensuite, Havre-Caumartin fut équipée de diaporamas publicitaires, Opéra et Chaussée-d’Antin, transformées sur le modèle de Franklin-D.-Roosevelt, offraient des vitrines didactiques consacrées aux musées de Paris, aux réalisations d’EDF, à la femme, à l’enfant. Les rampes fluorescentes remplacent peu à peu l’ancien éclairage assuré par de tristes ampoules jaunes. On pouvait maintenant lire à son aise dans les stations. Ces heureuses mutations que prélude à une création qui allait résoudre avec éclat le conflit des nécessités industrielles et des valeurs esthétiques. »37 (Si nombreuses sont les citations et études sur la publicité, que nous avons regroupé toutes celles trouvées puis étudiées mais non intégrées au texte en une annexe.) Ainsi, les panneaux publicitaires n’étant pas le seul support de diffusion de messages mais également non la seule technique, nous verrons également le fonctionnement inverse, c’est-à-dire les dispositifs qui prennent des images des utilisateurs du métro et qui les font voyager au-delà des lieux où elles ont été prises grâce à la vidéosurveillance, entre autres.
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LANDAUEUR Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009, P.4 GUERRAND Roger-Henri L’aventure du Métropolitain, éditions La Découverte, 1986. P 106
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« Qu’il s’agisse du regard des usagers sur l’espace public, ou du regard des habitants sur les abords de leur logement, c’est bien la vision qui constitue la meilleure garantie contre les passages à l’acte délictueux. »38 La dissuasion par la présence de caméras est de mise dans le métro, et Paul LANDAUEUR évoque le phénomène de « doublement de l’espace urbain physique d’une strate d’information invisible et immatérielle. » Pour introduire sans tarder ces thèmes, nous allons étudier le cas de l’entrée de la Station Pasteur, dont la reconduction, idéale comme transition entre ces deux parties, répond à la fois à une mutation d’un espace en plusieurs espaces distincts ainsi qu’à un paysage saturé de messages…
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LANDAUEUR Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009, P.8
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Entrée du métro station pasteur, années 1910 – 2012
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Cette reconduction de l’entrée du métropolitain de la ligne 6, boulevard Pasteur dans le 15eme arrondissement met en avant l’important lien entre situation de la sortie de métro et développement de la ville autour de cette sortie. En effet, au début du siècle passé, la bouche de métro semblait s’imposer sur le boulevard de manière autonome, un peu comme une porte vers une autre dimension. Aujourd’hui, cette entrée est largement pourvue en extérieur de dispositifs citadins directement liés à l’utilisation de cette gare de métro par les voyageurs. Par conséquent, certains arbres qui bordaient autrefois le boulevard ont été supprimés. Les bâtiments de cette partie du 15eme arrondissement n’ont pas sensiblement connus de changement durant cette dernière centaine d’années, mis à part l’immeuble d’habitation à droite de l’image, sans doute reconstruit après guerre. Au dernier plan de ces deux clichés, on peut distinguer la tour Eiffel dans ce beau panorama de la ville en direction de la station Sèvres-Lecourbe. Dans les changements survenus dans la vie quotidienne des citadins, l’un des plus importants reste le fort développement des moyens de transports privatifs. Un nombre incroyable de voitures, de scooters, de motos circulent dans Paris. Avec ce trafic et l’instauration du code de la route en 1921, de nombreux panneaux de circulation ont trouvé leur place dans la ville, et plus l’espace traversé est complexe, plus les indications sont nombreuses, encombrant d’autant plus le champ visuel. La différence est flagrante entre ces deux photographies. Le cas ici est de circonstance, d’une ville pourvue d’axes dégagés où l’on ne voit que des piétons, on est aujourd’hui confrontés à un carrefour complètement saturé de voitures, et de deux roues à moteur. Toute cette occupation du lieu produit une difficulté à lire l’espace d’autant plus que cette affluence amène la publicité -avec au troisième plan à droite de l’image, un panneau d’affichage- qui s’installe là où elle peut être au maximum vue. Plus qu’une difficulté à lire l’espace, une difficulté à circuler à pied en toute sécurité est bien largement présente, c’est pourquoi des poteaux anti stationnement –au premier plan de l’image- ont été plantés dans le sol de béton, créant une zone interdite aux voitures, seul confort restant pour les piétons. Cependant, même si le cas est bien plus probable en extrémités des lignes du métro, il se peut que certains véhicules garés là soit condamnés à attendre leur propriétaire jusqu’au soir, une fois leur journée de travail et leur trajet de métro terminé. Plus fréquemment sans doute, les usagers des lignes souterraines sont amenés à emprunter, à la sortie du métro, d’autres transports en commun ou services, allant vers des lieux non desservis par ce dernier. Au cours des années, un arrêt de bus –lui aussi décoré par la publicité-, une station de taxi, et un très grands nombre de Vélibs ont été installés autour de la bouche de métro pour satisfaire au mieux le voyageur dans son déplacement qu’il souhaite toujours plus rapide et à distance importante. Les déplacements de nuit impliquent un éclairage efficace qui contribue lui aussi à sécuriser la ville, car là où on voit, on peut être vu, en conséquence, deux lampadaires, de factures différentes, éclairent aujourd’hui de chaque côté de la bouche de métro. Entre ces deux lampadaires, juste en face de la sortie du métro, un cabanon de vendeur de journaux s’est installé, et le kiosque à publicité, à droite de l’image vers 1910, a été déplacé, juste à côté de ce cabanon. Cette situation plus propice à la rencontre avec le voyageur a été pensée en sa faveur, il pourra ainsi s’acheter un journal, lecture propice à égayer son voyage sous la ville. En revanche, la contribution à ce « confort » est lourde, ces deux masses opaques, situées pile dans la percée de la ville offrant le beau panorama, visible sur l’ancien cliché, est complètement obstrué ; le point de fuite est brisé, il y a enfermement du regard, 48
qui se bloque sur des informations qu’on nous impose. Toutes ces mutations traduisent d’un intérêt différent à la ville que l’on vit, on laisse de côté le romantisme et la promenade au profit du fonctionnel. A proximité directe avec la bouche de métro, et toujours pour faciliter le voyage, un plan des lignes a été affiché et des poubelles installées pour permettre de jeter instantanément son ticket de métro ou son journal à la sortie de la bouche. Comme déjà remarqué précédemment, une boîte aux lettres de départ de courrier est judicieusement placée près du métro, ce qui facilite sa localisation et permet de poster son courrier au même moment que celui choisi pour effectuer son trajet souterrain. Les gardes - corps -dessinés par Hector GUIMARD- de la bouche font également office d’accroche à vélos privés, largement en sous nombre face aux Vélibs. Ainsi, l’entrée de métro d’Hector GUIMARD a perduré dans le temps, et la fréquentation en nombre de personnes aux alentours de la station du début du siècle dernier, semble à peu près similaire à aujourd’hui. En revanche, s’il y a conclusion à faire, cette reconduction permet de remarquer que le métro est un élément moteur à la mutation de la ville. En surface il donne naissance à un nœud de concentration de services –transports, stationnement, presse, poste- qui tendent à saturer la ville.
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Saint Mandé, années 1920 - 2012
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Cette fois, la photographie ancienne de l’entrée du métro Saint Mandé de la ligne 1, située dans le Val De Marne, nous dévoile une bouche pourvue des barrières et candélabres d’après 1914, de style industriel. En effet, inaugurée le 24 mars 1934, les entrées à la GUIMARD ne se construisaient plus. Jamais couverte donc, Saint Mandé a toujours eu son plan de métro affiché comme une fierté en plein air, à la disponibilité de tout passant. « Mais le plan de métro reste indispensable à une efficace circulation souterraine, et les énoncés qu’il autorise s’expriment naturellement en terme impersonnels qui soulignent à la fois la généralité du schéma, l’automaticité de sa mise en œuvre et le caractère répétitif de son utilisation. »39 Sur l’ancien cliché c’est ce plan sans couleur qui apparaît face aux voyageurs déjà engagés dans les escaliers. Cette position rendant la lecture difficile en cas d’affluence, a été revue à l’efficacité. On a alors affiché le plan de l’autre côté du panneau, et on n’a pas manqué de nous imposer de la publicité côté escalier. La vue qui était dégagée à l’origine se retrouve complètement saturée de multiples publicités et affichages. Un kiosque à publicité, un kiosque à journaux –qui pousse le voyageur à acheter une lecture pour agrémenter son trajet- ont été installés, à droite de l’image, un grand panneau publicitaire, plus indépendant, a été rajouté. Et pour finir, le panneau d’information du métro a lui même été automatisé et est prêt à recevoir lui aussi une série de publicités. C’est presque le chaos visuel, le collage de toute cette information empêche l’œil de se poser plus loin qu’à 5 mètres. Il devient alors presque impossible d’identifier le lieu dans lequel on se trouve caché derrière tous ces obstacles. Tous ces panneaux perdraient leur efficacité la nuit s’ils n’étaient pas évidemment équipés de systèmes d’éclairage… Dans cette continuité, l’espace de la grande place des Tourelles, complètement dégagé à l’origine a été réduit à néant. La pelouse a été complètement recouverte de dalles, des arbres ont été plantés, on a voulu rentabiliser au maximum l’espace libre. Aujourd’hui, les espaces libres en ville se font rares car propices à l’appropriation et aux comportements spontanés, Ils ne sont ainsi pas considérés comme assez sécuritaires car ils provoquent des comportements inattendus. C’est pour cela qu’on cherche à tout prix à les restreindre, voire à les supprimer. C’est cette même logique qui a fait installer au sol, ces immenses bacs à fleurs dont on a du mal à saisir l’utilité sinon un contrôle déguisé en un embellissement de la ville. En effet, leur actuelle fonction n’est autre que le contrôle total du cheminement piéton des riverains et l’impossibilité pour les vélos et autres deux roues de circuler sur les trottoirs, ou de s’accrocher là, contre les grilles du métro. Et dans cette accumulation d’éléments perturbateurs, on peut voir, à droite de l’image qu’un vélo a justement trouvé à s’attacher contre un obstacle à voiture, limite entre territoire piéton et rue. On peut remarquer également que du peu qu’on aperçoit de la rue, un rond point à été mis en place, ainsi qu’un feu tricolore de circulation, sans doute pour diminuer le nombre d’accidents quant à la recrudescence du nombre de véhicules utilisant cet axe.
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.51
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Les lampadaires ont été remplacés par des plus performants, plus hauts et donc qui éclairent une surface plus importante au sol, le soir venu. Pour couronner le tout, une petite caméra de surveillance à grand angle a été installée sur un des lampadaires afin de guetter à la fois les activités de la rue et également l’entrée du métro. Pour en revenir au métro justement, le poteau de signalisation a été supprimé, ainsi que les lumières de l’escalier. La photographie ne nous permet pas de savoir si ces dispositifs ont trouvé leurs équivalents actuels. En revanche, un système de rideau de fer électrique pour fermer le métro le soir a été installé, grille surement plus performante que celle d’origine et clairement destinée à empêcher toute personne désireuse de s’y réfugier, d’y rester pour la nuit. A Saint Mandé, comme nous pouvons dorénavant l’identifier, l’espace a été fractionné, voiture, vélo, scooter n’ont plus accès total à l’esplanade qui a été complètement recouverte d’objets divers, dénaturant du même coup ce riche espace qui à l’origine tirait ses qualités d’une simplicité rassurante. Qui y prend le métro aujourd’hui est à coup sur informé de la une du jour, et se renseigne du même coup sur le prix de la dernière voiture à la mode. Nous n’avons plus le choix de l’information, nos regards ne sont plus libres et comme nous l’évoqueront par suite, cette réduction du choix de l’information réduit nos chances d’être des humains différents, et autonomes.
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Place de la nation, annĂŠes 1900 - 2012
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Place de la nation dans le 12eme arrondissement, la station a été mise en service en 1900. Le carrousel d’Hector GUIMARD à également été supprimé, pour les mêmes raisons que celles citées plus haut. Cet événement permet de dire que la photographie ancienne a été prise entre 1900 et 1914 et dorénavant, les vélos peuvent s’accrocher aux barreaux de fer de la barrière de l’escalier. Ainsi, Le métro est actuellement signalé par le grand M jaune –apparu à la fin des années 60- qui s’éclaire la nuit tombée. Les personnes de la photographie ancienne semblaient toutes porter des bagages ce qui nous rappelle le côté extraordinaire du métro à l’époque, d’autant plus qu’il faisait l’objet des cartes postales…Le métro s’est banalisé et rares sont les aventuriers qui osent y pénétrer avec des grosses valises aujourd’hui quand ils savent qu’ils vont devoir passer les tourniquets, arpenter des kilomètres de couloirs et emprunter des escalators en panne. De plus et pour en revenir à cet ancien cliché, le lieu, la place de la Nation, semblait très cossu. Un grand espace entretenu, très dégagé, lisible. Ce n’est plus du tout le cas, en arrière - plan, le carrefour semble avoir été changé en rond point et des dizaines de voitures et autres véhicules s’entassent, surplombées par trois panneaux publicitaires, des panneaux d’indications routiers, des arbres, des travaux… L’espace est complètement saturé, cette atmosphère désordonnée est cependant régulée par des dispositifs directionnels tels que les panneaux routiers, la haie qui empêche les piétons d’aller sur la route ou encore la présence du banc qui leur signale que cet espace leur est destiné. A tous ces éléments viennent s’ajouter poubelle et boîte aux lettres à la sortie de la bouche de métro, des grands lampadaires plus efficaces, une cabine de téléphone et une étrange antenne râteau dont on ignore l’utilité et donc la raison de sa présence. Comme pour le cas précédent, de Saint Mandé, la fameuse place de la Nation s’est vue gérée en zones dédiées. Finie la grande place horizontale vide où l’on pouvait profiter des grands espaces et trouver un moment de répit pour respirer entre deux rues densément construites. Dorénavant on cherche à tout gérer et l’entrée du métro, œuvre d’art a ses débuts est aujourd’hui devenue lieu banal et fonctionnel où l’on peut poster son courrier, jeter sa peau de banane et savoir comment se rendre à Conforama, le paysage est devenu d’une triste banalité.
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La station de mĂŠtro Passy, vers 1910 - 2012
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C’est la typologie de la rame -Sprague Thomson série 500 600-, remplacée aujourd’hui par une de type MP 73, qui permet de dater à peu prés à 1910 l’ancien cliché. Cette rame MP 73, mise en service à partir de 1974 et montée sur pneumatiques, a forcé la RATP à changer son système de rails. Cette dernière à souhaité minimiser les bruits et les vibrations dues aux types de rames antérieures, et mieux assurer la régularité des trains. Cependant, le chantier trop long et trop coûteux de remplacer tous les rails du réseau a été petit à petit abandonné laissant mixte le système sur l’ensemble des lignes RATP. « Pour ses 75 ans, la RATP s’offrait le nec plus ultra procuré par les technologies d’avant-garde, en l’espèce le MF 77 ; […] Une suspension électropneumatique donnant une conduite plus souple, silencieuse et sans à-coups : on atteint le 100 km/h sans s’en apercevoir. [ …] Des sièges individuels remplacent les banquettes doubles […] D’autres mesures tendent à augmenter l’impression de sécurité des voyageurs. Les portes s’ouvrent plus facilement par un bouton –poussoir ; une liaison téléphonique permet au conducteur de lancer des messages ; la présence de vitrages à chaque extrémité des voitures brise l’effet d’isolement ; les matériaux ont été choisis pour éviter tout risque d’incendie. »40 La station semble beaucoup plus fréquentée aujourd’hui qu’en 1910, en effet, sur l’ancien cliché, on peut apercevoir, dans l’ombre de la rame, quelques personnes qui descendent du train, mais le quai d’en face est complètement vide. Ce n’est pas faute de mobilier, en effet, aux deux époques de prise des photographies, la station a été bien fournie en éclairage et sièges. Remplacées, les anciennes lampes -qui rappellent celles qu’on peut trouver au porche des vielles maisons-, ont laissé place à des lampes néons au caractère bien plus industriel, moins gourmandes en électricité et surtout qui propagent un faisceau lumineux blanc –celui des ampoules est jaune- plus puissant. Quant à l’évolution du type de sièges installés en station, elle reflète le phénomène récurant du besoin de distance avec l’autre de notre société actuelle, chacun sa place et le moins de contact possible –aussi bien physique, visuel que par le biais de la parole- avec des inconnus. En effet, des sièges qui, à l’origine étaient accolés les uns aux autres, se sont petit-à-petit espacés au cours du temps, faisant de chacun une entité autonome, réduisant du même coup le nombre de places assises. Et surtout -et le pire-, ne permettant plus à cette enfilade de siège, de se transformer en banquette, (au risque, comme déjà dit, de pouvoir y accueillir quelques personnes sans-abri). Mais nous reviendrons largement par la suite sur cet effort à dessiner des éléments de l’espace de manière à ne pas générer notre immobilité devenue trop propice aux « actes de délits ». Ainsi, cette affluence de voyageurs et les accidents survenus au commencement de la mise en service du métro, ont participé au travail d’un traitement des quais plus adaptés à informer les utilisateurs. En effet, un panneau jaune annoté du message : « Ne pas descendre sur la voie, danger de mort » (essayer de trouver la date) orne à présent tous les bords de quai des stations, et une signalétique d’évacuation d’urgence comme dans les bâtiments publics a trouvé sa place au plafond de la station. Des bandes en léger relief tapissent le sol pour essayer de matérialiser l’approche du bord de quais, outils indispensable lors de l’utilisation du métro par des personnes mal voyantes. On peut remarquer que la transparence originelle des poutres de la structure porteuse a été rompue. Non pas que cette dernière ait été doublée, mais on a profité de la présence de ces poutres 40
GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 134
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métalliques pour y encastrer des « boîtes », dont l’usage est sûrement d’assurer le passage de câbles électriques, non nécessaires lors de la construction de la station. Un plan de Paris et du Métro, comme dans chaque station a fait son apparition à la gare de Passy, accompagné de l’indispensable et connue poubelle métallique, que la vague écologique tente d’éliminer au profit de celles à double bac, pour déchets recyclables ou non. Pour poursuivre sur la lancée des informations à destination des voyageurs, cette reconduction est évocatrice au sens où elle montre que les anciens panneaux très simples de direction des trains ont été remplacés par des affichages électriques, annonçant même la durée d’attente des deux prochains trains. Et pour aller plus loin, au-delà de la station dans laquelle on se trouve, la RATP à installés des postes de télévision d’information sur l’état du trafic permettant de rentabiliser au maximum le temps du voyage, et enfermant du même coup l’utilisateur dans une logique de gain de temps. Par suite, les grandes enseignes ont très rapidement compris l’intérêt qu’elles allaient pouvoir porter au métropolitain, dont elles ont depuis toujours, agrémenté les murs de publicités, profitant d’un moment transitoire d’attente d’une rame pour scander leurs slogans à des voyageurs -du coupdisposés. Ce collage étouffant d’informations diverses, n’ayant pas toujours grand rapport entre elles, est l’un des facteurs les plus enfermant des stations de métro. Elles sont disposées avec une telle densité que le regard du voyageur, même le plus averti, ne peux y échapper, n’ayant d’autre point de fuite disponible. On peut remarquer que la station n’a jamais été couverte au cours des années, même si une rénovation des auvents d’origine s’est imposée. Cet atout permet de diminuer l’impression d’enfermement que le voyageur peut subir dans d’autres stations, et l’air y est ainsi plus respirable. Cependant, cette transition plus douce est complètement entravée par la grille –qui a toujours existé et semble t-il attiré quelques curieux- qui sépare, en arrière plan de l’image, l’ouverture qui donne sur l’intérieur de la gare, et la ville qui la surplombe. De plus, sont apparus des portails automatiques et tourniquets qui régulent maintenant les entrées, et participent, cette fois ci, à créer une grande limite physique entre l’intérieur de la station et la ville alentour, qui semble au passage avoir été agrémentée de grands arbres, peut être afin de camoufler quelque peu, l’entrée de la station. La station Passy fait partie de celles de la ligne 6 –dont nous avons pu voir ultérieurement l’entréepour la plupart réaménagées selon des codes communs. Le majeur avantage de ces rénovations est qu’elles ont permis de libérer les murs de la station des publicités pour y installer des expositions temporaires. La scénographie de ces exhibitions, aussi simple soit-elle est peut être un peu exagérée car on a recouvert tous les pans de murs de grandes vitres de verre épais pour protéger les expositions. Ces grandes parois de verre ont instauré une limite physique supplémentaire infranchissable entre voyageur et objets interactifs du métro divisant encore l’espace en zones dédiées.
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Saint Jacques, 1945 – 2012
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La station Saint Jacques de la ligne 6, est très similaire à la station Passy –étudiée précédemment-. Situées sur la même ligne de métro, l’ouverture haute de ces stations est due au fait que la ligne 6 est tantôt aérienne, tantôt souterraine. L’ancien cliché daterait de1943, et la ligne 6 que nous connaissons actuellement était à l’origine la ligne numéro 2 et allait de la place de l’Etoile à la place d’Italie. Comme nous sommes ici sur la ligne 6, on retrouve logiquement la typologie de rame sur pneus dont les raisons de la mise en service partielle ont été expliquées précédemment. Et la semi-ouverture de la station, conçue ainsi est restée telle jusqu’alors. Aujourd’hui, on peut remarquer que les places assises sur le quai sont bien moins nombreuses qu’en 1943. De plus, les bancs, comme dans toutes les stations de métro, sans exception, ont été remplacés par des sièges individuels, toujours pour ces mêmes raisons de craintes de « l’autre » et contre l’installation des SDF. Les anciennes lampes ont été là aussi remplacées par des néons blancs en longueur. Sur les côtés de la station, les murs ont étés transformés en vitrine derrière lesquelles on peut lire des informations historiques sur la ligne 6. « La RATP ne pouvait échapper à l’air du temps. Bravant la contradiction entre son espace souterrain, vécu jusqu’alors comme transitoire par les usagers, et la volonté de le considérer désormais comme un territoire urbain à investir, elle n’a pas hésité à inscrire, dans son premier plan d’entreprise (19761980), des opérations susceptibles de « valoriser le temps de transport ». L’expression « qualité de vie », autre leitmotiv des années soixante-dix, apparaissait dans le même texte, le métro étant invité à y concourir dans son cadre propre. […] Le plan de 1974 risquait le mot « d’événement » à créer dans le métro, « sous forme d’expositions temporaires ou sous toute autre forme ».»41 Ces expositions ont ainsi pour but de divertir le voyageur durant son trajet. Il n’est pas sûr qu’on porte grande attention à ces expositions un peu répétitives, accessibles aux seules personnes qui lisent le français et l’anglais mais au moins, la surface qu’elles occupent au mur ne laisse aucun espace à la publicité. Cette bonne nouvelle permet le retour à une unité esthétique trop souvent malmenée dans le métro, au regard de certaines stations bariolées d’affiches aux esthétiques différentes et qui parfois, placées côte à côte, forment des non-sens. A Saint Jacques, le traitement des quais est le même qu’à la station Passy. Ici aussi on peut voir le message: « Ne pas descendre sur la voie, danger de mort », les bandes de bordures de quai en relief, la signalétique d’évacuation d’urgence et l’affichage du temps d’attente des deux prochaines rames, autant d’éléments qui ont fait leur apparition pour faciliter et rendre plus fonctionnel le souterrain. Le mobilier typique de la RATP est évidemment de circonstance ici, on retrouve les poubelles de métal tous les 5 mètres sur chaque quai, les sièges, les boitiers électriques –d’ailleurs on a également cachés les fils entre les doubles poutres treillis, comme à Saint Mandé- les panneaux lumineux du nom de la station. Ces deux dernières reconductions témoignent d’une nécessité pour la RATP d’unifier l’esthétique des stations du réseau, peut - être pour se sentir rassuré dans chaque station par un effet de déjà vu et d’habitude. 41
GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 142 et 145
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Si la méthode de reconduction ne peut pas tout montrer puisqu’elle cible des lieux, les treize cas étudiés plus haut témoignent de transformations bien relatives à des espaces précis mais qui sont principalement de deux natures comme nous avons pu le voir : la fragmentation des territoires et l’abondance d’informations, l’un étant très souvent accompagné de l’autre puisqu’ils se complètent et s’accentuent. Face à une intention de simplifier les grands espaces en voulant les dédier, on a en fait encombré de barrières les territoires, les rendant disloqués et délaissés par endroits tandis qu’en d’autres, le passant, puisqu’il passe, subit des agressions visuelles, son horizon n’est plus que publicités, informations fonctionnelles ou trafic routier. Et si ce n’était qu’une histoire, si grave soitelle, d’encombrement visuel, et de collage de zones dédiées –excusons cette association de deux mots si durs-, il suffirait de prendre le RER pour aller passer un week-end à la campagne se ressourcer, mais malheureusement, le problème est au-delà du traitement des espaces urbains et métropolitains, c’est pour cela que nous vous proposons maintenant d’aller au-delà des images de ces reconductions.
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IV) Les sens en éveil
« C’est bien là –bulle ou boîte encore- que se définit toujours la relation personnelle dedans/ dehors. Selon Bachelard « tout ce qui est au-dedans serait à la mesure de l’être intime, par contre, au dehors, tout serait sans mesure, opposerait ainsi un espace intime à l’espace indéterminé » ».42 PEZEU-MASSABUAU Jacques, Les demeures de la solitude Formes et lieux de notre isolement, 2007
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PEZEU-MASSABUAU Jacques, Les demeures de la solitude Formes et lieux de notre isolement, Editions L'Harmattan, 2007, P.75
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a)Au-delà des images Cette partie qui propose d’aller aux delà des images est dédiée à identifier à l’écrit la majeur partie – tout révéler nécessiterait une vie- des dispositifs de sécurité ou liés à celle-ci qui ne sont pas mis en évidence par la méthode de reconduction, autrement dit, ce qui se ressent par les autres sens que celui de la vue en un instant donné arrêté. Les thèmes abordés seront ceux de la temporalité, les odeurs, les sons et images en mouvement, la vitesse et les rythmes, les flux de foule et trajectoires, les abonnements et zones tarifaires, les agents de sécurité.
1. Saisons, heures de pointe, heures creuses Dans le métro, il faut faire face à des temporalités très marquées. Ces temporalités s’étalent sur l’année et sur le temps d’une journée de fonctionnement du métro et y rythment les différentes atmosphères ressenties en souterrain. Nos comportements d’utilisateurs changent en fonction de ces évolutions d’ambiance plus ou moins supportables. Ainsi pourrait-on dire, dans un discours d’une extrême précision que le métro est différent à chaque fois qu’on le visite, mais les changements les plus remarquables sont ceux liés aux saisons de l’année. En hiver, le choc de température entre les rues de Paris et le ventre du métro est foudroyant. Couverts de pulls, écharpes, et gros manteaux, supporter l’étouffante chaleur moite est une véritable épreuve, et d’autant plus quand il a y beaucoup de monde dans le wagon. L’été, au petit matin ou dans le milieu d’après-midi de semaine, on peut trouver la fraîcheur sur certaines lignes de métro, soulagement parfois béni quand on remarque que les odeurs désagréables y sont bien plus fortes qu’en hiver. En revanche, ces moments de fraîcheur se font pourtant rares et aux heures de pointe, le contact physique avec les autres voyageurs est parfois encore plus difficile à supporter car en tenue estivale, c’est souvent la peau qui est en contact direct avec notre entourage, et les moustiques qui en profitent pour attaquer une ou deux personnes. Quelque soit la saison de l’année, l’encombrement du métro dépendra toujours des heures de pointes et heures creuses régies par les journées de travail des voyageurs, les soirées du samedi ou des grands événements (fête de la musique, match de foot…). Les heures de pointe supposent toujours une chaleur extrême, quelques voyageurs énervés qu’un rien froisse, une compression proportionnelle à l’audace des derniers montés dans les wagons et la promesse de quelques bousculades. Rien de bien agréable, et l’impatience face à un voyage trop long qui retarde l’échéance d’une libération physique du corps. Voyager en heures creuses est souvent bien plus agréable et tranquillisant, on a plus d’espace, l’air y est plus respirable et les contacts physiques moins fréquents. Parfois même, le métro berce et on peut se surprendre à s’assoupir sur un siège. Ces moments privilégiés apportent également un rapport aux autres voyageurs différent. Marc Augé pense que les heures creuses du métro rendent la rencontre possible car on y est : « moins anonyme qu’aux heures de pointe ». Ce facteur peut parfois en devenir gênant car presque mis à nu par le regard de personnes inconnues, on peut vite se sentir mal à l’aise. De plus, la méfiance envers les autres allant bon train, un voyage seul avec un ou deux inconnus dans un wagon presque vide peut vite devenir très stressant… 62
En tous les cas, plus on vit une atmosphère comme désagréable, plus on a tendance à s’enfermer en soi, comme pour s’épargner le profond ressenti du moindre détail dérangeant de notre situation de voyageurs contraint et se protéger d’une épreuve singulière à ces espaces étriqués que forme le métro.
2. Les odeurs Les atmosphères du métro, rythmées par les saisons sont souvent marquées par des odeurs amères, âpres ou factices qui s’installent au détour d’un couloir, faute d’une ventilation du dédale souterrain efficace. « Dès les premiers pas dans l’escalier, je retrouve avec un même plaisir l’haleine tiède, un peu fétide, de cette espèce de grand serpent souterrain qui se nourrit d’hommes, de femmes et d’enfants. Je ne déteste pas le parfum très secret des dessous de Paris. J’ai aussi toujours admiré l’asphalte scintillant, comme si on y avait incorporé des pierres précieuses en poudre, dont sont faites les marches et les quais ; je n’en ai vu nulle part de pareil. »43 Cette odeur si particulière du métro, décrite ici par Henri CALET, peut se retrouver à chaque visite métropolitaine, hormis lorsqu’on est monté dans une rame. Après, c’est une odeur de souffre, ou de métal chaud, qui parfois émane des tunnels noirs de circulation des trains. Si l’on est sur une ligne montée sur pneumatiques, il est facile de prédire l’arrivée imminente du métro à hauteur d’une station, à la légère odeur de caoutchouc brûlé provenant du système de freinage du train. Ces dernières sont les odeurs caractéristiques du métro dans sa globalité, celles dont on est à peu près certain qu’on va les sentir lors de tout voyage souterrain. Il existe également des odeurs spécifiques à des lieux ou a des moments du métropolitain. Les caniveaux qui courent le long des murs de faïence sont souvent sollicités pour recevoir des eaux usées s’échappant de quelques fissures ou de l’urine humaine faute de toilettes à disposition dans le métro. Ces eaux stagnantes dégagent évidemment des odeurs assez fortes qui se mêlent parfois, et surtout dans la nuit du samedi au dimanche, à des vapeurs d’alcool divers. On retrouve également dans le métro, les odeurs de tout ce que les voyageurs transportent – souvent de la nourriture- et celles que nos corps peuvent dégager. Quelques boulangeries installées aux carrefours des changements de ligne –entre le RER C et la ligne 4 par exemple- ont installé des diffuseurs d’odeur « pain au chocolat tout juste sorti du four », senteur chimique qui devrait attirer le client. A ce mélange plus ou moins désagréable, la RATP a voulu ajouter sa touche personnelle quand après le passage d’un agent de service nettoyage, on peut reconnaître l’odeur de la javel, mêlée à celle du citron ou encore, au détour d’un couloir celle sucrée d’un mélange de fruits rouges propagée par des diffuseurs automatiques. « On peut bien sûre imaginer de prendre le métro pour le plaisir, à la recherche d’émotions qu’il arrive à tous de ressentir fugitivement. Depuis des années, un courant d’air d’origine inconnue balaie
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CALET Henri, Le Tout sur le tout, 1948 in L’aventure du Métropolitain, GUERRAND Roger-Henri, Paris, éditions La Découverte, 1986
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les couloirs de Ségur, éveillant, j’imagine, chez plus d’un passant des nostalgies marines ou des fureurs océanes. »44 Toute cette palette d’odeurs prenantes et imposées supprime un degré de liberté de plus aux voyageurs qui doivent, quoiqu’il arrive, la supporter.
3. Les sons, les diffuseurs d’image et les écrans RATP Ainsi, le métro met les sens à l’épreuve, comme on a pu le voir précédemment, le contact forcé sollicite le toucher et quelques dysfonctionnements de ventilation nous rappellent que nous sommes dotés d’un odorat. On va voir maintenant que la RATP a mis à profit le sens de la vision des voyageurs, bien malgré nous… En 1984 la RATP expérimente, Roger-Henri GUERRAND nous raconte: « C’est bien le seul réseau à faire de l’animation culturelle une constante de ses plans annuels de développement. A cet égard, sa toute dernière innovation à consisté à tenter une expérience de diffusion vidéo à l’intérieur d’une voiture de la ligne historique n° 1 (Vincennes-Neuilly) et à installer dans les couloirs et sur les quais de certaines stations des moniteurs diffusant des nouvelles et de la publicité. […] La « musique d’ambiance » se glisse de plus en plus dans les lieux publics […], et il serait peut être urgent de réclamer des plages de silence. »45 En effet, dans le métro, il n’existe jamais de silence, même dans les 4 heures de fermeture du grand souterrain, on peut facilement s’imaginer le goutte à goutte des fuites d’une paroi, au détour d’un couloir ou l’agitation de quelques souris vivant là. Pendant les heures d’ouverture, ce sont les bruits causés par les voyageurs, ceux des dispositifs du métro –bruit de validation des titres de transports, tourniquets, fermeture des portes, annonces RATP-, et les mélodies des musiciens du métro qui se superposent. Même si tout cet ensemble de bruits divers peut vite tourner au cauchemar, certains de ces signaux sonores sont un outil de repérage fort pratique et utile. « …le voyageur chevronné, […] se reconnait à la parfaite maitrise de ses mouvements : dans le couloir qui le conduit au quai, il marche sans paresse mais sans hâte, sans que rien le laisse voir, ses sens sont en éveil. Lorsque, comme surgi des murs de faïence, le bruit d’une rame se fait entendre, affolant la plupart des passagers d’occasion, lui sait s’il doit presser le pas ou non , soit qu’il apprécie en pleine connaissance de cause la distance qui le sépare du quais d’embarquement et décide de tenter ou non sa chance, soit qu’il ait identifié l’origine du tintamarre provocateur et reconnu dans ce leurre (spécifique des gares où passent plusieurs lignes […]) un appel venu d’ailleurs, l’écho trompeur d’un autre train , la tentation de l’erreur et la promesse de l’errance . Parvenu sur le quai, il sait où arrêter ses pas et déterminer l’emplacement qui, lui permettant d’accéder sans effort à la porte d’un
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.46 GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 161
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wagon, correspondant en outre exactement au point le plus proche de sa « sortie » sur le quai d’arrivée. »46 Une fois monté à bord, il n’y a plus grand risque d’être touché par le choc des portes automatiques qui se referment violemment. En revanche, pour le voyageur qui, dans sa course effrénée veut absolument atteindre la rame avant de la rater, ou pour les voyageurs malvoyants ou encore ceux qui somnolent sur une banquette dans le wagon, la sonnerie prenante de fermeture des portes est un important repère temporel. Ces portes fermées, le voyage commence, et peut être plus ou moins bruyant. Si la ligne est montée sur pneus, le trajet est bien plus paisible que lors d’une circulation sur rails de métal. Dans ce dernier cas, il arrive souvent d’entendre un fort sifflement et d’importants cliquetis qui ponctuent le voyage. Malgré tout, ces bruits de roulement que l’on va bientôt regretter, car ils ont largement tendance à disparaître, sont déjà complètement supprimés sur la ligne 1, devenue automatique. Les trajets y sont certes, plus calmes, mais les voix robotiques enregistrées, toujours les mêmes, rendent parfois nostalgique des annonces du conducteur que l’on pouvait entendre avant, et qui «étaient parfois ponctuées d’humour. Ainsi, cet échange entre conducteur et voyageurs n’existe plus sur la ligne 1 et ne sera bientôt plus qu’un vieux souvenir. La distance se creuse entre humain et machine, dorénavant, nous sommes guidés par elle il n’y a plus de conducteur, simplement quelqu’un derrière un ordinateur qu’il est impossible de maîtriser à 100%. Si donc les annonces sonores improvisées ont tendance à disparaître, celles préenregistrées ne sont pas les seules à délivrer des messages d’information. Depuis les années 90, la RATP a installé dans les stations de métro, des écrans semblables aux téléviseurs domestiques des années 80. Généralement placés près des tourniquets d’entrée, ou à des croisements de couloirs stratégiques, sur le chemin d’un changement de ligne, les messages écrits informent sur l’état du trafic, ou encore les règles de sécurité à respecter dans l’enceinte du souterrain. Cependant, ces annonces s’adressent uniquement aux voyageurs qui peuvent ou savent lire le français et qui n’ont pas de problème de vue, car ils sont simplement inscrits, en lettre noires plutôt petites, sur fond de couleur. Ce support visuel a été voulu par la RATP pour renvoyer une image moderne du métro, malgré cela, ces dispositifs semi efficaces sont toujours doublés d’annonces vocales, afin d’informer tous les voyageurs lors de perturbations du trafic. Si les petits écrans d’information RATP étaient déjà une étape du processus d’intrusion d’un objet domestique, le téléviseur, dans le métro, les nouveaux écrans géants, installés dans le souterrain depuis la fin d’année 2008 défraient la chronique. La télé s’invite donc dans ce que Marc Augé appelle « le dernier des espaces publics ». Face à ce nouvel invité du métro, le collectif antipub « Les Déboulonneurs » à réagit au quart de tour… « Yvan Gradis, 54 ans […] milite depuis 1981 […] « Pour moi, une telle publicité, c’est une agression, un cancer du paysage. Ça brûle l’esprit ». Les écrans numériques publicitaires […] Il y en a aujourd’hui 400 sur les murs. Pendant leur installation, les militants antipubs protestaient notamment contre les capteurs permettant d’enregistrer les regards des passants et de capter leur réseau mobile pour envoyer des messages via Bluetooth. Ces capteurs ont été désactivés par la RATP
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.16
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en 2009. […] Pour Antonin Moulard, jeune Déboulonneur de 25 ans, ces explications ne sont pas suffisantes. « Aujourd’hui, la technologie publicitaire disposée dans le métro n’est pas transparente. Et l’espace public appartient à tout le monde. On n’a pas à nous imposer de la publicité contre notre gré. » »47 Comme évoqué précédemment, se pose ici le dilemme d’imposer des images marchandes à des passants dans un espace considéré comme public. Le métro, largement pratiqué est un outil formidable pour les publicitaires, et c’est bien là le problème car il ne peut pas se passer un seul voyage en métro sans un face à face répétitif et imposé avec la publicité. Et quelle publicité puisqu’elle ne se réduit plus maintenant à une image fixe qu’il est déjà difficile d’ignorer mais elle attire dorénavant le regard et le captive avec une facilité déconcertante. Cette multiplication et répétition d’images amène à un non choix des informations. « Le pire dans cette obscénité, dans cette impudeur, c’est le partage forcé, c’est cette complicité automatique du spectateur, qui est l’effet du véritable chantage. »48 Ainsi, la télévision s’invite dans le métro sans grande difficulté car même si certains d’entre nous –si peu nombreux soient-ils - réagissent, on n’est généralement et malheureusement pas surpris par ces écrans géants qu’on accepte comme une fatalité, avec l’inconscience des conséquences qu’ils ont sur nous. La RATP – possiblement endettée- aura peut être donné son accord à la demande des publicitaires, enclins à innover en ce qui concerne leurs moyens de transmission, pensant peut être que les voyageurs, trop obsédés par leur but ou leur distraction ne prêtent plus attention aux images fixes exposées sur leur trajet. Les derniers espaces découverts des parois des stations ont donc été utilisés pour apposer ces écrans de plus de deux mètres de haut, ajout à ce vaste collage d’objets déjà en présence dans le métro pour marteler les esprits d’options d’achat..
4. La vitesse et distance et rythme Les écrans évoqués précédemment contribuent parfois à aménager une pause dans le parcours du voyageur souterrain -détournement du regard, marche ralentie, attention prononcée envers l’objet…-. Ces éléments qui influencent les temporalités du parcours métropolitain sont nombreux. Marc AUGE évoque pour le sujet le phénomène de la « surmodernité » comme une « surabondance spaciale » qui permettrait d’avoir accès à toutes les informations mondiales en quasi instantané ou encore de se déplacer très vite et n’importe où. C’est cette facette de la « surmodernité », la vitesse qui joue un très grand rôle dans le rythme de nos vies actuelles – de citadins en tous les cas-. « Les parcours du métro dispersent aux quatre coins de Paris des hommes et des femmes pressés ou fatigués, rêvant de voitures vides et de quais déserts, pris dans l’urgence de leur vie quotidienne et ne repérant sur le plan qu’ils consultent ou les stations qui défilent que l’écoulement plus ou moins rapide de leur durée singulière appréciée en terme d’avance et de retard.
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SUDRY Cerise, article Les antipubs ont agi par « nécessité » dans Métro Mardi 9 octobre 2012
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BAUDRILLARD Jean, L’élevage de poussière, dans le quotidien Libération du 28 mai 2001
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Il n’est donc pas si certain que nous découvrions sous terre les sources d’un nouvel élan social, d’une solidarité ni même d’une complicité. »49 Le métro de Paris est un outil de déplacement rapide qui permet de traverser la capitale en quarante minutes environ, performance importante lorsqu’on s’aperçoit du temps qu’un automobiliste ou même un bus prend pour parcourir à peu près le même itinéraire, surtout vers 18h, moment d’encombrement des rues le plus important de la journée. Pourtant, cette rapidité ne nous satisfait jamais pleinement lorsqu’il faut attendre une rame pendant trois minutes, en laisser passer une ou deux car elles sont surchargées de voyageurs, ou encore que l’on patiente à un arrêt pour « régulation du trafic ». Paul VIRILIO explique le phénomène en justifiant que « quand on augmente la vitesse, on augmente l’impatience »50 . On se retrouve donc dans un cercle infernal où plus on va vite, plus on veut aller vite, mais il est alors d’autant plus difficile de se rendre compte de cette vitesse, distance divisée par un temps, qui fausse nos repères spatiaux et nous oblige parfois à nous déconnecter d’une réalité trop violente de distances estompées. La distance est camouflée par l’importance du temps, car en métro souterrain, on ne peut voir la ville qui défile en surface, on ne peut pas imaginer ou se représenter tout ces lieux physiques sous lesquels on chemine. D’ailleurs le métro empêche de bien connaître sa ville, il crée des raccourcis entre point de départ et point d’arrivée, supprimant du même coup de nombreuses informations sur la vie en surface en les changeant par des murs de faïence, des distributeurs automatiques ou encore des publicités alléchantes. Il devient alors impossible de connaître ces éléments de la ville qui se trouvent entre point de départ et point d’arrivée. Comment prendre conscience de l’étendue, de la densité d’une ville lorsqu’on la parcourt en souterrain ? L’échappatoire à cette ignorance reste le métro aérien qui laisse libre d’une prise de conscience des distances parcourues. Par conséquent, un rythme différent de ceux que l’on peut suivre en surface est imposé dans le métro. Dans les couloirs qui mènent aux wagons, chacun marche à son rythme, dicté par un objectif individuel. Malgré tout, des éléments qu’on ne peut contrôler accompagnent ou parfois vont à l’encontre de ce rythme. La publicité, les bruits, les tourniquets, les couloirs embouteillés, les vacanciers avec leurs valises qui cheminent à faible allure, l’attente d’un métro sur le quai. Une fois dans le wagon, on ne choisit pas le moment où les portes vont se refermer, ni la vitesse de croisière du train, et le rythme des néons, le bruit du cliquetis des rails deviennent une nouvelle unité de mesure du temps. « Les régularités du métro sont évidentes et instituées. Le premier comme le dernier métro tirent peut être quelque attrait poétique de se voir ainsi assigner une place immuable dans l’ordonnancement du quotidien, symboles du caractère inéluctable des échéances, de l’irréversibilité du temps et de la succession des jours. »51
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.34 VIRILIO Paul, Penser la vitesse, Stéphane PAOLI, 48 min 34 sec. La Generale de Production, ARTE France. 2008 51 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.50 50
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5. Flux de foule, escalators et couloirs, des trajectoires dessinées Il existe bien d’autres éléments sur lesquels nous n’avons aucune possibilité d’influence et sur lesquels nous reviendrons, pour l’heure, nous allons évoquer l’un des seules libertés qu’il nous reste dans le métro et qui pourtant, n’existe que parce qu’elle est contrainte de toutes les autres obligations : la manière de cheminer. « L’usager du métro ne manie pour l’essentiel que du temps et de l’espace, habile à prendre sur l’un la mesure de l’autre. Mais il n’a rien d’un physicien ou d’un philosophe kantien ; il sait s’adapter aux rigueurs de la matière et à l’encombrement des corps, amortissant d’un mouvement du poignet l’élan d’une porte que lui renvoie sans ménagements un gamin égocentré, piquant sans trembler le billet de sa carte orange dans la fente étroite du portillon d’entrée, frôlant les murs et prenant à la corde son dernier virage, deux à deux les dernières marches, avant de sauter dans la voiture entrouverte, d’échapper d’un coup de reins aux mâchoires de la porte automatique et d’exercer des avant-bras une insistante pression sur la masse inerte de ceux qui, l’ayant précédé, n’imaginent pas qu’un autre puisse les suivre. »52 L’étau des contraintes vient se resserrer d’avantage lorsque l’on pratique le métro aux heures de pointe, et qu’un grand nombre d’usagers empruntent les mêmes couloirs, forçant d’avantage à contraindre nos manières de cheminer. Ces couloirs, en outre, ont été aménagés pour résister dans le temps à ces utilisations accrues. Roger-Henri GUERRAND dans L’aventure du Métropolitain, écrit en 1986 que la station Charles -de-Gaulle-Etoile, en service depuis février 1970, fut l’objet, pour l’architecte Pierre DUFAU, d’un travail sur l’emploi de matériaux « durables, solides et faciles à entretenir » en vue d’une foule involontairement destructrice car en déplacement continuel, et à cause des seules quatre heures de trêve journalières qui permettent les réparations. La distance entre bouche du métro et quais –dans un sens ou dans l’autre- est collectif mais individuel car même si les autres voyageurs ont une influence sur nos manières d’avancer, dans certains espaces du métro, comme entre Saint-Lazare, Opéra et Madeleine, où l’on peut voir passer près de 800 personnes à la minute, chacune de ces 800 personnes voulant atteindre son but , se faire un place dans ces couloirs, escalators, escaliers, trottoirs roulants pour cheminer à sa manière. « Sauf à considérer que l’effacement des relations dite « traditionnelles », fondées sur l’enracinement territorial ou sur une communauté de destin, a détruit toute possibilité de partage, les lieux d’immobilité sont les seuls susceptibles de générer une attention à autrui. »53 Donc quand on est mobile, on ne s’occupe que de soi même, dés qu’on est en attente sur un quai, ou immobilisé dans un wagon, on prend conscience des autres après un moment d’individualité entière. Et c’est bien parce que si lorsque dans le flux de la foule, on décide de s’arrêter, cela provoque à coup sûr, un certain désordre nécessitant par la suite des excuses multiples, qu’un rythme soutenu des déplacements est nécessaire dans le métro pour garder une fluidité efficace lors des déplacements. En ce sens, les escaliers et escalators ont toujours posé problème dans le métro, un escalier est difficile à franchir lorsqu’on est chargé et un escalator en panne est encore plus dur à monter qu’un escalier classique, à cause de la hauteur disproportionnée de ses marches.
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.16 LANDAUER Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009, P.45
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« Regarde les tous ces beaux qui se laissent porter par le système, […] tu vois ceux qui s’arrêtent de marcher dans les escaliers mécaniques, […] c’est les mêmes qui font les grèves pour protester des que les escalators ils tombent en panne. »54 Si tout autour de nous va vite, alors on se sent obligé de suivre ce même rythme, d’emboîter le pas. Cette marche pressée, imposée même aux voyageurs qui ont le temps, occasionne un déplacement collectif assez typique du métropolitain. La typologie même des couloirs du souterrain a été pensée pour permettre le passage de ces flux à allure soutenue. Ils sont sobres, et répondent à une logique purement fonctionnelle, seules les images publicitaires les habillent tristement. Cette fonctionnalité est poussée jusqu’au bout lorsqu’en certains endroits les couloirs sont à sens unique, ou ponctués d’un escalator, ne laissant pas d’autre choix que de l’emprunter. « La réduction des possibilités de croisement et la différenciation des parcours pour limiter les risques de rassemblement s’assimilent ainsi souvent aux aménagements récents consistant à organiser un partage de la voirie sous la forme de « sites propres », soit l’attribution d’un couloir spécifique à chaque mode de déplacement. »55 Comme en ville, le métro a depuis longtemps, fractionné ses espaces de déambulation pour éviter tout conflit d’utilisateur. Les accès aux quais d’une même ligne mais vers des destinations différentes sont distincts, sur certaines lignes –la 14 par exemple- il existe des quais seulement pour sortir des wagons et d’autres seulement pour y monter. Tous ces systèmes de différenciation que Paul LANDAUER qualifie de « prévention situationnelle » empêche la rencontre et individualise encore davantage les parcours du métro durant lequel la solitude est de plus en plus imposée au service de la sécurité. De toute façon, ces confrontations, lorsqu’elles existent, comme à Châtelet, ou aux environs de Saint Lazare, nous déplaisent car elles obligent parfois au contact physique avec des inconnus, devenu l’un des grands interdits de notre société. Nous sommes aveugles de ne pas comprendre que ces moments que nous avons du mal à supporter, ceux des confrontations aux autres voyageurs, existent dans des espaces d’échanges, ici dans le métro, souvent aux carrefours des correspondances, sont les seuls lieux encore vivants du métro. « Différents commerces s’installent peu à peu, officiellement ou a la sauvette, dans ce carrefour qu’on appelle correspondance et revers à la sacralisation progressive d’un lieu où se concentrent toutes les composantes et les allégories du monde moderne (la presse et l’actualité du jour, le commerce et la mode, la publicité et les idéaux qu’elle relaie et façonne, la fonction publique derrière ses guichets, la loi et ses représentants- plus visibles à Républiques qu’à Franklin-Roosevelt peut être- et aussi la jeunesse, le travail, les vacances à venir- affichées sur les murs comme une promesse-, l’étranger, touriste ou immigré). »56 Ces attributs communs avec des lieux de la ville en surface ne sont pas vécus de la même manière dans le métro sans nul doute –comme évoqué précédemment- parce qu’ils se déroulent en souterrain. Par suite, s’il existe des répliques souterraines de situations de la ville en surface, les espaces transitoires entre ville et souterrain, leurs localisations et leurs effets sur la ville sont d’une importance capitale. Ces entrées de métro portent des noms dont on ne connaît pas toujours 54
Huber dans le film La Haine, Mathieu KASSOVITZ. 1995 , 1h24,17secondes.
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LANDAUER Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009, P.44 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.112
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l’origine mais qui sont devenus maintenant plus repères spatiaux que supports à une leçon d’histoire. Ces stations, déployées sur tout le territoire de la ville de Paris ont une influence sur le foncier, l’implantation de commerces et le quotidien des riverains car elles donnent accès à un formidable moyen de transport au service de très nombreux voyageurs. « Un diable boiteux à la mesure du siècle, qui décalotterait d’un coup l’agglomération parisienne sur toute sa surface, découvrirait un bien étrange agencement, gigantesque jeu de société, labyrinthe aux innombrables issues, dispositif scénique, plutôt, mais démultiplié : plusieurs dizaines de plateaux en effet non seulement se répartissent en réseaux sur toute l’étendue de la zone urbaine et périurbaine mais s’étagent sur plusieurs niveaux, envahis à intervalles réguliers par une foule plus ou moins compacte de figurants de tous ordres obéissant à quelque mystérieux metteur en scène, dieu architecte de cet univers souterrain. »57
6. Les abonnements et cartes magnétiques nominatives, et les zones Le métro a son influence sur la ville en surface par les dispositifs physiques qui s’y associent mais aussi par des limites non physiques déterminées par la RATP, les zones de territoires, tracées de manière concentriques autour de la capitale et jusqu’à 80 kilomètres de distance avec cette dernière. C’est depuis le 1er mai 1984 que cinq zones tarifaires ont été instaurées pour permettre de se rendre en banlieue. Ces zones sont aujourd’hui au nombre de six. Elles sont le moyen à double tranchant de rapprocher les habitants de toute l’Ile de France du centre de la capitale mais aussi de les en éloigner car ces personnes qui souvent habitent à une certaine distance de Paris car ils n’ont pas les moyens d’y vivre doivent payer leur abonnement RATP jusqu’à trois fois plus cher qu’un Parisien du centre, creusant encore les écarts entre les classes sociales, différences que le métro ne devrait pas mettre en avant… Ce système de zones va de paire avec celui des abonnements, alternative confortable par un gain de temps et d’argent aux tickets de transport à usage unique, très utilisés pas les voyageurs de passage à la capitale. Les voyageurs quotidiens, souvent des travailleurs, des étudiants, des écoliers ou des habitants de la région, ont tout intérêt –et c’est là l’intelligence du système des cartes RATP- à souscrire à un abonnement. « […] le codage magnétique de chaque titre de transport contient tous les renseignements pouvant être lus par les machines. Dans le métro, la mise en service progressive du péage automatique a débuté en 1972. […] Or l’électronique a ses limites, surtout quand elle s’affronte à des passagers chargés de bagages ou a des enfants dans leurs poussettes. […] Or le voyage dans le métro, s’il se définit en général comme individuel, est simultanément et éminemment contractuel. Le titre de transport peut varier, et donc la nature du contrat, entre les formes relativement contraignantes, comme la carte hebdomadaire qui assigne à son utilisateur un parcours déterminé, et des formes beaucoup plus souples et libérales, comme la carte orange, mensuelle, ou la carte annuelle, qui
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.91
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multiplient le privilège, reconnu à tout billet ordinaire, d’autoriser son détenteur à voyager sous terre aussi longtemps qu’il lui plait entre l’heure du premier et celle du dernier métro.» 58 Ces informations, contenues sur nos cartes magnétiques, que souvent l’on considère comme peu importantes sont pourtant bien personnelles. Souscrire à un abonnement implique remplir un dossier RATP avec nom, prénom, adresse postale, adresse internet, âge, numéro de téléphone, profession, nombres d’enfants… Et par la suite, les cartes à puce de ces abonnements et les tourniquets sur lesquels on les valide, enregistrent nos parcours. Une fois rentré chez soi, la RATP continue de nous traquer au moyen de texto et courriels électroniques incitant à se rendre sur notre espace client internet, y donner son avis. Si à l’époque de la mise en place des tourniquets automatiques nous étions seulement comptés, de manière anonyme, aujourd’hui on est surveillé dans le métro. Toutes les informations récoltées dans les espaces du métro à propos des voyageurs contribuent à former une strate superficielle d’éléments individuels en parallèle de nos espaces actuels de vie.
7. Les agents sécurité La sécurité, les règles de bonne conduite. Toutes ces informations dont il a été question précédemment nous sont subtilisées sans grande résistance car on pense que c’est une nécessité pour assurer la sécurité de chacun dans le souterrain. Il est certains qu’un tel dispositif, en raison de sa fréquentation, de la morphologie de ses espaces, doit être régi par des règles de sécurité spécifiques. « Transgressée ou non, la loi du métro inscrit le parcours individuel dans le confort de la morale collective, et c’est en cela qu’elle est exemplaire de ce que l’on pourrait appeler le paradoxe rituel : elle est toujours vécue individuellement, subjectivement, seuls les parcours singuliers lui donne une réalité et pourtant elle est éminemment sociale, la même pour tous, conférant à chacun ce minimum d’identité collective par quoi se définit la communauté. »59 Certaines de ces règles sont indiscutables, car d’une logique à toute épreuve, d’autres paraissent plus contraignantes et pas forcément indispensables. Parmi ces règles, il y a celle qui interdit l’accès au métro avec des objets dangereux comme les bouteilles de gaz, les paquets trop volumineux, les armes. Il y a aussi l’interdiction de fumer. Ces conduites à suivre se comprennent et sont bien acceptées de tous, en revanche l’interdiction formelle des quais aux vélos, rollers et aux animaux est bien souvent un handicap car nous n’avons parfois pas d’autre choix que celui de prendre le métro. A ses débuts, la RATP, bien avant les caméras de surveillance, avait mis en place une campagne d’affiches destinées à rappeler certaines règles de bonne conduite aux voyageurs. C’est donc en 1982 que la Régie lance sa première campagne « Frauder c’est bête », « Elle a revêtu la forme d’une fable représentant des fraudeurs à têtes d’animaux : profiteur comme le rat, voleuse
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AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.78 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.54
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comme la pie, rapace comme le vautour. »60 . En 1984, nouvel essai avec : « Si tu fais gaffe à tes pockets, je pick plus rien », « Si tu planques tout dans tes pockets, j’peux plus piquer », « Si tu boucles tes pockets, je pick plus ! »61 Le thème des animaux a récemment été repris par la RATP en une nouvelle tentative de campagne « éducative ». Ces affiches sont assistées aux heures de pointe par des annonces vocales qui nous somment de laisser descendre les personnes des wagons avant de monter, de veiller à nos affaires personnelles, et des agents sur les quais, en K-way rouges, « gèrent » de manière plutôt légère les flux de voyageurs en s’interposant entre foule et wagon lorsque le signal de fermeture des portes retentit. Hormis tout le personnel chargé de la maintenance du métro et les conducteurs de rames, il existe cinq types d’agents chargés de faire régner l’ordre dans le souterrain. Les agents régulateurs de flux – déjà évoqués juste avant-, les agents aux guichets près des tourniquets, les contrôleurs, la police en uniformes de la RATP et les policiers en civil. Ces agents ont pour rôle principal de dissuader les fauteurs de trouble et de rassurer les voyageurs inquiets. A l’heure actuelle, celui qui ne respecte pas les règles du métro est bien souvent très mal vu des autres voyageurs. Ce ne sont plus les seuls agents de sécurité –en nombre important pourtant- qui surveillent le souterrain. Une atmosphère de méfiance constante flotte dans le métro parce qu’on y a instauré l’inquiétude. « Le thème d’insécurité dans le métro ne serait pas si répandu, ni si vives les réactions devant tout comportement provocateur ou agressif, si l’idée du consensus contractuel n’était aussi essentielle à la définition de cette institution. »62
Pour conclure, le métro qui amène à un isolement en soi dans une obligation de supporter des odeurs nauséabondes et des écrans de télévision tous les cinq mètres, qui nous martèlent d’images répétitives, dans un espace temps déformé par des rythmes et des trajectoires imposés dans une atmosphère de méfiance où n’importe quel voisin peut vous dénoncer pour un acte commis, nous sommes constamment contraints. Trop d’informations, trop de sollicitations, un objectif de destination compliqué à atteindre, nous poussent à agir par automatisme tel des robots, verrouillant nos sens, oubliant du même coup quelques - uns de nos réflexes humains…
b) Tout espoir n’est pas perdu, l’anecdote du seau. « Nous sommes dans un temps accidentel du fait de la vitesse de la lumière, c’est à dire un instant qui ne participe ni au passé ni a l’avenir, et qui est inhabitable. Toute rupture dans la continuité est un accident. »63
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GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 139 GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 149-150 62 AUGE Marc , Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.79 63 VIRILIO Paul, Penser la vitesse, Stéphane PAOLI, La Generale de Production, ARTE France. 2008 61
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Parfois, les longs couloirs directeurs du métro sont ponctués « d’accidents », souvent temporaires et qui obligent le flux normalement dirigé des voyageurs à modifier sa trajectoire et ainsi l’utilisateur à renoncer à sa chorégraphie quotidienne, celle qu’il connaît par cœur. Ces accidents provoquent différents degrés d’handicap et suscitent plus ou moins la raillerie générale. Si c’est l’escalator, parfois seul accès aux quais, qui est en panne, et qu’il faut escalader les hautes marches d’acier dans la cohue fatiguée, énervée et déçue des voyageurs, alors la gêne est grande et les remontrances à l’échelle du traumatisme. D’autres fois, ces « accidents » provoquent un sourire furtif chez certains. Pas plus tard que ce matin du 8 Décembre, on pouvait voir, en haut des escaliers mécaniques qui mènent de la ligne 14 à Saint Lazare vers la station Saint Augustin de la ligne 9, un seau de ménage rouge, posé au sol, et rempli d’eau par une fuite goutte-à-goutte provenant du plafond. Si cette vision semblait provoquer quelques sourires, plus fort encore, l’objet posé là, avait le pouvoir de détourner le regard du voyageur de son ultime but : le fond du couloir. Peut être même que parmi les distraits, un petit nombre continuera dans son fort intérieur l’histoire de cet « accident », imaginant des scénarios d’origine de la fuite, se détournant ainsi pour un moment, de notre quotidien routinier. Ainsi, la distraction parce qu’elle a un caractère exceptionnelle, est parfois encore possible. Certains d’entre nous que plus rien n’étonne ne prêteront jamais attention au seau, d’autres peut - être un peu plus rêveurs, en profiteront pour le considérer comme une faille à se changer les idées. Toujours est –il qu’on ne peut pas généraliser sur le métro et ses usagers, qu’ils soient voyageurs, employés ou habitants puisque l’illusion du groupe persiste alors qu’on est infiniment seuls. Le mimétisme est de mode mais le chacun pour soi est d’usage. « si chacun « vit sa vie » dans le métro, celle-ci ne peut se vivre dans la liberté totale, non pas simplement parce que nulle liberté ne saurait se vivre totalement en société, mais plus précisément parce que le caractère codé et ordonné de la circulation métropolitaine impose à tout un chacun des comportements dont il ne saurait s’écarter qu’en s’exposant à être sanctionné, soit par la puissance publique, soit par le désaveu plus ou moins efficace des autres usagers. La démocratie aura incontestablement fait de grands progrès le jour où les voyageurs les plus pressés ou les moins attentifs renonceront d’eux même à emprunter le couloir d’arrivée pour sortir, sensible enfin à l’honneur que leur fait, par son appel à la morale sans contrainte, le simple écriteau « passage interdit ». Certains y restent insensibles, il faut l’avouer ( le plus étonnant étant peut être qu’il ne soient pas plus nombreux), et courent avec plus ou moins d’allégresse ou d’innocence le risque de recevoir à l’occasion d’une bousculade dont ils sont la cause première un coup de coude vengeur de l’un de ceux qui, comme moi, se font encore de la liberté une idée rousseauiste64. »65
64 65
Rousseau disait : « Il n’y a point de liberté sans lois. » AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.54
73
IV) L’enfermement sécuritaire, un besoin individuel, une inconscience collective ?
« L’effet de masse est au-delà de la manipulation, et sans commune mesure avec les causes. Ceci rend passionnant, comme tout ce qui résiste à l’intelligence. »66 BAUDRILLARD Jean, Télémorphose , 2001
66
BAUDRILLARD Jean, Télémorphose, Sens et Tonka, 2001, P. 26
74
Cette étude qui fut motivée par la problématique : « L’enfermement par les systèmes de contrôle dans le métropolitain. Quels dispositifs pour quels ressentis ? », eu pour objectifs d’identifier les systèmes de contrôle dans le métropolitain et en ses abords -que bien souvent l’on ne remarque plus par habitude- et ainsi permettre de les remettre en avant pour observer le métro sous l’angle sécuritaire afin de prendre conscience des influences de ces dispositifs sur les personnes.
a) Synthèse Ainsi, l’étude des ouvrages cités précédemment, la méthode de reconduction photographique et des observations sur site ont permis de repérer nombreux systèmes, dispositifs et éléments de contrôle du métro. Les principaux sont, pour les espaces extérieurs attenants au métro : une complexification et une division des grands espaces, à qui on attribue une fonction ; une prolifération importante de panneaux routiers, de poteaux anti-voiture, de garde corps et barrières, de marquages au sol et de lampadaires très puissants. Des publicités affichées un peu partout, de nombreuses caméras de surveillance et un trafic rattaché aux bouches de métro, de plus en plus dense et diversifié, avec des voies de circulations attribuées. Concernant les espaces intérieurs du métro : avec prise en compte des caractères sociaux identifiés dans le métro mais également existant en surface, la saturation des espaces du métro qui de plus, se complexifient avec l’aire sécuritaire, l’influence de l’infrastructure sur les trajectoires, les distances et le temps, l’enfermement par la quasi-totalité du réseau en souterrain, la confrontation avec d’autres voyageurs, l’individualisme du voyage, les lois du métro, les campagnes publicitaires et expositions culturelles, les agents de sécurité et de contrôle, les trains automatisés et les portes palières, les tourniquets automatiques, la vente de billet par machines, le prix du ticket, les abonnements et les pass magnétiques qui véhiculent des informations personnelles, les caméras de surveillance, les écrans à détection de téléphone portables bluetooth , les distributeurs de friandises, les chaises individuelles, les sas d’entrées, des sorties et entrées différenciées, des odeurs, des sons, des rythmes imposés. Ce sont autant d’éléments qui contribuent à nous enfermer sans que l’on en ait vraiment conscience. « L’obéissance peut reposer sur des motifs divers : la comparaison entre le coût de la sanction et les avantages du renoncement à la liberté, la simple peur ou l’habitude, le fait de suivre aveuglement le modèle du passé, l’aura d’une autorité, la fois dans la légalité des procédures, l’espoir utopique, la conviction religieuse ou la tradition culturelle. Le plus souvent, les motifs de la docilité s’entremêlent jusqu’à devenir méconnaissables. Car de la même manière qu’il est utile de vénérer ceux que l’on doit craindre, il est tout aussi opportun de fonder les habitudes de l’impuissance sur la puissance de l’habitude. »67 Les limites des cette recherche sont de différents types. Au niveau théorique, la reconduction a ses limites car elle évoque un instant donné précis, malgré un apport par retranscription d’observations quotidiennes dans le métro la validité et l’actualité de cette étude se limite donc dans le temps. Les limites empiriques sont elles dues à la subjectivité des ressentis lors de voyages en métro et à la 67
SOFSKY Wolfgang, Le citoyen de verre, entre surveillance et exhibition, l’Herne 2011, P. 22
75
possibilité très restreinte d’échanger avec d’autres utilisateurs quant à ces expériences, de plus il existe une importante littérature sur le sujet, qui n’a pas pu être lu dans sa totalité. Pour ce qui est de la méthode, peut être aurait-elle été plus efficace si les choix des reconductions photographiques avait pu être plus large, en approfondissant les recherches d’anciens clichés du métropolitain. De plus, la comparaison avec d’autres métropolitains que celui de Paris aurait également pu fournir des observations intéressantes à cette étude.
b) Entre sacrifice et bénéfice, la balance sécuritaire. « Si l’homme supporte mal la liberté chez les autres, c’est qu’elle n’est pas conforme à sa nature, et qu’il ne la supporte pas d’avantage pour lui-même. »68 Le métropolitain, dispositif de transport en commun extraordinaire à ses débuts est devenu indispensable à la capitale et au quotidien de ses habitants. Impossible d’imaginer Paris sans son métro, devenu au fil des années saturé, et qui a du s’adapter à la vague sécuritaire grandissante qui se développe depuis les années 90 et atteint aujourd’hui son apogée. Chaque lieu public d’une ville doit être sécurisé et surtout les endroits jugés « propices au délit ». On a pu voir précédemment que ces dispositifs de sécurisation et donc de contrôle ont quelques fois pour effet d’enfermer les personnes dans des processus de parcours spécifiques, des ressentis de peur et de claustration… Ces sentiments de méfiance de l’inconnu, évoqués précédemment, sont à la fois agrémentés par ces dispositifs de surveillance et également apaisés car beaucoup d’entre nous sont rassurés à l’idée de voir installée une caméra de surveillance dans un lieu pas très rassurant, pensant que l’objet pourrait dissuader les passages à l’acte délictueux. Entre laisser filer quelques informations personnelles dans on ne sait quelle direction, et se sentir en sécurité, le choix est souvent bien rapide. « Certaines choses paraissent pesantes, d’autres inévitables, beaucoup sont invisibles et inconnues. Les cameras promettent la sécurité, la saisie des données personnelles apporte un certain confort. Hormis quelques moments de mauvaise humeur, le citoyen de verre apprécie les facilités que lui apporte l’aire digitale. Il renonce sans rien y trouver à redire, à être anonyme, inaccessible, hors du champ d’observation. Il est totalement insensible à la perte de libertés individuelle. Il ne devine même pas qu’il y a quelque chose à défendre. Il tient trop peu à sa sphère privée pour vouloir la protéger au détriment d’autres avantages. »69 On force régulièrement nos consciences à oublier tous les désagréments liés à la société de la sécurisation des lieux fréquentés car de toute façon, nous n’avons plus le choix d’éviter ces voleurs d’informations privées et nous avons oublié que « l’autre », celui que l’on ne connait pas est notre semblable et que l’on peut être confondu à lui. « Ce que l’homme ne choisit pas lui-même, ce en quoi il est restreint et dirigé, n’entre pas dans la conscience qu’il a de lui-même et lui reste étranger. »70
68
DOSTOIEVSKI in Télémorphose, Jean BAUDRILLARD, Sens et Tonka, 2001
69
SOFSKY Wolfgang, Le citoyen de verre, entre surveillance et exhibition, l’Herne 2011, P.19
70
SOFSKY Wolfgang, Le citoyen de verre, entre surveillance et exhibition, l’Herne 2011, P. 45
76
En introduction à cette étude, nous avions expliqué que le métro avait été choisi comme sujet précis d’étude car on y retrouvait des situations d’espaces et des réactions sociales semblables à celles observées en milieu citadin extérieur pour des dispositifs de surveillance équivalents. On peut donc calquer quelques une des observations métropolitaines à des espaces citadins qui subissent également l’aire sécuritaire. Même si Marc AUGE –idéal d’un monde où toutes les frontières seraient reconnues, respectées et franchissables- ou encore Paul LANDAUEUR –trois stratégies : la ruse, la révélation et l’ouverture-, par exemple, ont déjà proposé des alternatives à l’évolution de nos villes, l’histoire n’a pas l’air de vouloir prendre un tournant différent de la situation actuelle que nous connaissons où certaines frontières sont infranchissables alors que d’autres sont constamment franchies sans respect d’intimité. Ainsi, certains types d’espaces incitent-ils au délit et peut-on seulement accuser un seul et unique facteur comme provocateur de délit ? D’après Michel FOUCAULT : « Celui qui est soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir ; il les fait jouer spontanément sur lui-même ; il inscrit en soi le rapport de pouvoir dans lequel il joue simultanément les deux rôles ; il devient le principe de son propre assujettissement. »71 Ainsi, si l’on continue dans le sens actuel d’hyper-sécurisation des lieux fréquentés, les choses n’iront pas en s’arrangeant. Ceux qui font abstraction des systèmes de contrôle devront fournir un effort de plus en plus important pour essayer de s’en détacher et espérer mener une vie tranquille alors que ceux que les dispositifs actuels ne freinent pas, sauront s’adapter et d’autant plus qu’il n’y a déjà pas un œil derrière chaque caméra alors qui va gérer tous ces dispositifs supplémentaires (surveillance instantanée, maintenance) à venir ? Comment fabriquer l’espace publique de demain sans en faire une prison à ciel ouvert, et quelles alternatives –radicales ou non- à notre actuel système de surveillance pourrait recréer du lien social dans les grandes villes souvent déshumanisées par un progrès pourtant bien utile à l’évolution de notre société ?
« Préserver la vie urbaine tout en répondant aux nouvelles contraintes de la sécurité relève du paradoxe tant les qualités qui font l’attrait de la vie urbaine semblent difficilement séparables d’une certaine dose d’insécurité. »72
71 72
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Paris Gallimard 1975, P.204 LANDAUEUR Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009,P.62
77
Annexe des citations étudiées, non inclues au texte :
A propos de la publicité et des messages dans le métro : « Dans la station elle-même, sur tous les quais et dans tous les couloirs la liste devrait être dressée de toutes les affiches qui par des moyens divers tentent d’attirer et de retenir l’attention du passantune estimation précise pouvant d’ailleurs être faite, à la suite d’observations prolongées et répétées, du succès qu’elles rencontrent auprès des divers publics qu’elles contribuent d’ailleurs à définir. »73 « [ …] Pierre Dufau a radicalement modifié le système classique de l’affichage publicitaire sur les parois des quais. S’inspirant du spectacle de la rue à Hong Kong et à Singapour, suivant ses propres déclarations, il l’a transporté au dessus des voies, ce qui lui permettait de résoudre trois difficultés : en repoussant loin des rails les passagers en attente, cette disposition combattait une certaine attirance du vide ; elle constituait un élément de transition en l’intérieur du train très éclairé et le quais plus sombre ; elle réglait du même coup tous les problèmes de conditionnement de gaines et de câblage.»74 « On peut présumer que la différence essentielle tient au caractère fixe des images du métro par opposition au caractère fugitif de celles de l’audiovisuel, cette distinction reste toutefois relative dans la mesure où, si l’on peut dire que dans le métro, à l’inverse de la télévision, c’est la spectateur qui passe et l’image qui reste, il faut ajouter que , le spectateur voyageur revenant et repassant, les deux types d’images tirent sans doute une même efficacité de leur caractère récurrent ; mais on pourrait se demander également sir la spécificité des images et des annonces du métro ne tient pas à leur caractère souterrain. »75 « Mais il est bien entendu aussi, d’une part, que ces images tirent une force particulière d’accompagner chaque jour sous terre tous ceux que leur parcours isole seulement le temps de les faire passer d’une forme de sociabilité à une autre, d’autre part, que la nature même de ces images (corps sveltes et désirables, certes, mais plus encore corps expressifs, corps état d’âme, attitudes, démarches, regards) doit être particulièrement prise en considération à une époque dont le péché mignon l’anthropomorphisme et la création incessante de Sujets historiques (Monsieur le Capital et Madame la Terre ont la vie dure), et dont toute l’imagerie et le bavardage tendent à suggérer que la vérité de l’être est dans le paraître : quelle est la forme du président, quel est l’état de l’opinion, la santé de l’entreprise ? »76 « …Le Louvre, terminé en 1968, fut aussitôt célébré par les médias. Ici, le musée est descendu dans le métro avec des reproductions de qualité, moulages en plâtre ou photographies. […] C’est un avantgoût du musée, qui donne peut-être à certains l’envie d’y aller voir d’un peu plus près. »77
73
AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.104 GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 121 75 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P.106 76 AUGE Marc, Un ethnologue dans le métro, Pluriel Hachette Littératures, 1986, P. 110 77 GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du Métropolitain, Paris, éditions La Découverte, 1986. P 125 74
78
A propos de l’effacement et l’anonymat, du quotidien : « L’être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir, tant fait l’homme qu’à la fin il disparaît. Un taxi l’emmène, un métro l’emporte, la Tour n’y prend garde, ni le Panthéon. Paris n’est qu’un songe. »78 « Notre représentation du monde s’accélère par répétition de, l’information, on n’a plus le temps pour faire la différence nécessaire à ce qui est vrai ou faux. »79
A propos de sociétés et cultures : « Il y a de plus en plus d’interdépendance, la gestion des risques est une gestion globale, la vulnérabilité est collective. »80 « C’est dans chaque individu que la notion de diversité culturelle prend un sens : l’idéal de la révolution éducative mondiale ne sera perceptible à l’horizon de l’histoire humaine qu’à partir du jour où il sera concevable de pouvoir définir chaque individu comme une synthèse originale et unique des cultures du monde. »81 « C’est grâce à la société qu’il y a une intervention de la conscience. Ce n’est pas grâce à l’inconscience qu’il y a une intervention. C’est grâce à la société qu’il y a sureté des mouvements prêts, domination du conscient sur l’émotion et l’inconscience. »82 « Pas besoin d’entrer dans le double virtuel de la réalité, nous y sommes déjà – l’univers télévisuel n’est qu’un détail holographique de la réalité globale. Jusque dans notre existence la plus quotidienne, nous sommes déjà en situation de réalité expérimentale. Et c’est de là que vient la fascination, par immersion, et par interactivité spontanée. S’agit-il de voyeurisme porno ? Non. Du sexe il y en a partout ailleurs, mais ce n’est pas ce que les gens veulent. Ce qu’ils veulent profondément, c’est le spectacle de la banalité, qui est aujourd’hui la véritable pornographie, la véritable obscénité. »83
78
QUENEAU Raymond, Zazie dans le métro, 1959.
79
VIRILIO Paul, Penser la vitesse, Stéphane PAOLI, La Generale de Production, ARTE France. 2008 VIRILIO Paul, Penser la vitesse, Stéphane PAOLI, La Generale de Production, ARTE France. 2008 81 AUGE Marc, La Communauté Illusoire, Mars 2010, Rivages Petite Bibliothèque. P. 51 82 MAUSS Marcel, Sociologie et anthropologie, Sociologie d’aujourd’hui, Puf 1950, P. 386 83 BAUDRILARD Jean, L’élevage de poussière, dans le quotidien Libération du 28 mai 2001. 80
79
A propos des dispositifs de surveillance : « Cette évolution vers une technologie de plus en plus légère et mouvante constitue certainement une manière de préserver l’immunité des réseaux de la surveillance. Car pour être efficaces, les modes de contrôle et les modalités d’intervention doivent rester imperceptibles des spectateurs. » 84 « Cette organisation par visas interposés bouleverse les notions traditionnelles d’accessibilité. Avec la multiplication des caméras, des dispositifs de filtrage et des contrôles de badge, chaque usager ou promeneur se trouve identifié individuellement, obligé de traverser ou d’utiliser des machines personnelles ou personnalisantes. Autant le contrôle douanier était organisé à l’échelle des territoires, autant les nouveaux modes de contrôle technologiques la sont à l’échelle du corps. Du coup, l’espace public ne se trouve pas seulement privé d’une quantité d’espace, désormais réservée à l’usage exclusif des responsables de la sécurité, il se resserre également autour du corps individualisé des usagers. » 85 « Ce nouveau paysage de la sécurité, si parfaitement intégré aux environnements sectorisés, interroge la pratique des concepteurs, qu’ils soient architectes, urbanistes, ou paysagistes. Car s’il permet de produire un plus grand sentiment de sécurité, n’est ce pas au prix d’une dispersion des usagers et d’une sérieuse réduction de l’hospitalité des villes ? Doit-on accepter ce prix ? Ou bien est il possible de vaincre la peur sans tomber dans l’étanchéité des conduites sociales ? »86 « On ne néglige rien, on n’ignore rien, on ne pardonne rien. Les gens sont donc condamnés à se fier exclusivement à eux même. Ils doivent réfléchir à chaque trace qu’ils laissent, calculer à l’avance les conséquences de chacun de leurs actes. Lorsque la moindre négligence, la moindre erreur, le moindre moment d‘inattention est enregistré, il n’y a plus d’acte spontané […] Si quelques données n’étaient pas effacées, et quelques traces gommées à intervalles réguliers, les gens seraient enfermés dans leur histoire comme dans la cellule d’une prison. »87 « Or aucune alternative à la ville dite « sécuritaire » ne pourra être imaginée tant que les urbanistes continuerons à tourner le dos à la sécurité. Pire, un tel refus laisse le champ libre à la mise en œuvre des manœuvres les plus cyniques de certains responsables du maintient de l’ordre. Combien d’espaces conçus pour être ouverts ont –ils ainsi été fermés quelques jours à peine après avoir été réalisés ? Combien d’aménagements, de places publiques imaginés généreusement, ont-ils été, en pratique, réduits à une simple gestion des flux ? » 88 « La sécurité est en train d’envahir nos paysages quotidiens au point de conditionner aujourd’hui les modes de fabrication de la plupart des lieux urbains. »89
84
LANDAUEUR Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009, P.38 LANDAUEUR Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009, P.41 86 LANDAUEUR Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009, P.5 87 SOFSKY Wolfgang, Le citoyen de verre, entre surveillance et exhibition, l’Herne 2011, P. 20 88 LANDAUEUR Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009,P.62 85
89
LANDAUEUR Paul, L’architecte la ville et la sécurité, La ville en débat, Puf , 2009, P.2 80
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La guerre, l’horizon, la vitesse, la conscience
Tueur en série, scène de début dans le RER et métro Non vu Non vu Autoroute dans village de campagne, séquestratio n d’une famille Univers Carcéral, Malik est condamné à 6 ans de prison. Non vu
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83
société devient entièrement basée sur le temps de vie des humains qui portent un compteur au bras. Non vu
Film
Welcome
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Docume ntaire Docume ntaire Expositi on
Penser la vitesse
Paul Virilio, Stephane Paoli
A propos de vitesse
Un monde sans humains ?
Arte
Trackers
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Société de consommati on Non visitée
Pièce de théâtre Site internet
Le 6eme continent
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