La guerre du dhofar (1965 1976)

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LA GUERRE DU DHOFAR (1965–1976) : UN MODÈLE DE CONTRE-RÉBELLION


Les CAHIERS de la DREX

Les Cahiers du retex Synthèses du retour d’expérience signées par le général commandant le CDEF, ils présentent les enseignements que l’armée de Terre tire des opérations et des exercices des forces terrestres françaises ou des armées étrangères, dans les domaines de la doctrine, des équipements et de la formation. Les Cahiers du retex sont, soit périodiques et, dans ce cas, sont complétés par un bilan des mesures prises par le commandement (exploitation), soit centrés sur une opération ou une phase particulière d’une opération. Les Cahiers de la recherche doctrinale Ils constituent des études à caractère historique ou thématique destinées à appuyer l’élaboration de la doctrine et du retour d’expérience de l’armée de Terre sans, pour autant, s’y substituer. Fruit de travaux de recherche leur contenu n’a pas de valeur officielle. Les Cahiers de la réflexion doctrinale Destinés à enrichir la pensée militaire sur la base d’études personnelles, de témoignages où d’expériences particulières, ils sont ouverts à toutes les personnes désireuses d’y contribuer. Le contenu de ces Cahiers n’a pas de valeur officielle et n’engage que les auteurs.

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LA GUERRE DU DHOFAR : UN MODÈLE DE CONTRE-RÉBELLION

Cette étude a été réalisée sous la direction du bureau recherche de la division recherche et retour d’expérience par M. Tony MORIN, étudiant stagiaire au bureau recherche. Mise en page du Cahier de la recherche doctrinale au CDEF/DAD/Section Publications par Mme Sonia RIVIÈRE. Couverture : Un ancien rebelle aux côtés d’un SAS et d’un membre de l’aide civile au développement dans le Dhofar. Source : JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005, p. 128.





sOMMAIRE sOMMAIRE CONsTATs PRINCIPAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 INTRODUCTION : PRÉsENTATION DU DHOFAR ET CONTEXTE DE LA RÉBELLION . . . . . . . . . . . . 13

PREMIÈRE PARTIE – D’UNE DÉFAITE PROGRAMMÉE A UN RETOURNEMENT DE sITUATION DÉCIsIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 ChapitRE i – DEs stRuCtuREs CiviLo-miLitaiREs inaDaptéEs faCE a unE RébELLion qui pREnD DE L’ampLEuR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 1.1 – Le développement de la rébellion : du Front de Libération du Dhofar au Front Populaire de Libération du Golfe Arabe Occupé . . . . 21 1.2 – Un pouvoir incapable de fournir une réponse appropriée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 ChapitRE ii – soRtiR Du CERCLE viCiEuX Et amoRCER un CERCLE vERtuEuX : un nouvEau suLtan pouR unE nouvELLE poLitiquE Et unE nouvELLE aRméE

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2.1 – L’intervention britannique, l’arrivée du Sultan Saïd bin Qabus et ses premières actions . . . . . . . 24 2.2 – Adapter les Forces Armées du Sultan à la contre-rébellion : un enjeu majeur . . . . . . . . . . . . . . . 25

DEUXIÈME PARTIE – sTABILIsER LE DHOFAR PAR L’INTÉGRATION DEs MODEs D’ACTIONs CIVILs ET MILITAIREs. . . . . . . 29 ChapitRE i – agiR suR L’EnsEmbLE Du spECtRE DE La ContRE-insuRRECtion : séCuRisER Et apaisER L’EnviRonnEmEnt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 1.1 – Actions contre la guérilla : conquérir les esprits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 1.2 – Actions civiles : gagner les cœurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 ChapitRE ii – LE RECRutEmEnt DEs unités REtouRnéEs Et LEuR RôLE Dans LEs opéRations miLitaiREs Et non-miLitaiREs

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2.1 – Recruter les firqats : entre surprises et challenges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 2.2 – Une intégration complète au dispositif de contre-rébellion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

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CONCLUsION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

ANNEXE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Annexe I - Tract de la propagande loyaliste en 1971 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

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CONsTATs PRINCIPAUX



Constats principaux

Constat n° 1 : Le succès d’une contre-rébellion dépend pour une large part du bon fonctionnement des structures étatiques. Celles-ci doivent être stables, crédibles et un programme politique faisant concurrence à celui des rebelles doit pouvoir être établi rapidement.

Constat n° 2 : Les opérations de contre-rébellion menées par des troupes locales permettent de gagner plus facilement la confiance de la population locale.

Constat n° 3 : Un commandement civilo-militaire coordonnant à la foi les opérations militaires et civiles est la structure la plus adaptée pour diriger la contre-rébellion.

Constat n° 4 : Les unités rebelles retournées coopèrent plus facilement s’il elles sont bien traitées au moment de leur ralliement. Elles ne doivent ni être faite prisonnières ni être interrogées ; simplement être « invitées à discuter ». Autrement dit, un rebelle rallié ne doit pas être traité en ennemi.

Constat n° 5 : Former les unités anciennement rebelles nécessite d’être en permanence à leur contact. La confiance réciproque est la clef de la réussite de leur formation.

Constat n° 6 : Dans la guerre du Dhofar, les unités retournées ne peuvent être utilisées de la même façon que les unités régulières. Les troupes régulières qui combattent à leur côté doivent s’adapter à leur comportement sous peine de les rendre inefficaces et récalcitrantes.

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INTRODUCTION PRÉsENTATION DU sULTANAT D’OMAN ET CONTEXTE DE LA RÉBELLION



Introduction – Présentation du sultanat d’Oman et contexte de la rébellion

Oman : pays enclavé L’Oman est le deuxième pays de la péninsule arabique en terme de superficie. En 1965, il partage ses frontières avec l’Arabie Saoudite, la République Démocratique Populaire du Yémen (ou Yémen du Sud) et plusieurs émirats sous tutelle britannique (qui forment aujourd’hui les Émirats Arabes Unis). Sa capitale est Mascate. Sa position géographique en fait également le gardien du détroit d’Ormuz ; passage où transite à l’époque environ 80 % du pétrole mondial. Sa population est alors estimée à environ 1 million d’habitants1. L’Oman est un pays de tradition maritime (Sinbad le marin est originaire de Sohar, une ville au nord du pays) et son empire a atteint les côtes d’Afrique de l’Est et celles du Pakistan. Le pays compte donc une minorité africaine mais surtout baloutche (provenant du Pakistan) en plus de la majorité arabe. La majorité des habitants appartient au courant ibadite, la troisième voix de l’islam néanmoins proche du sunnisme, qui se distingue par une approche démocratique de la politique 2. Jusqu’en 1970, le pays porte le nom de Sultanat de Mascate et d’Oman. Il est sous tutelle britannique, tout comme la quasi totalité des côtes de la péninsule arabique. L’Oman n’est ni un protectorat ni une colonie mais il est lié à la Grande-Bretagne par une série de traités dont le premier remonte à 1798 (il a pour objet une assistance militaire). L’intervention britannique dans le système politique reste minimale, les Britanniques appliquant le principe du « divide and rule » 3. Le Sultan (le titre n’existe que depuis la deuxième moitie du XIXe siècle) reçoit une aide financière de la part des Britanniques, aide qu’il redistribue ensuite aux divers pouvoirs politiques afin d’assurer une certaine stabilité. Le jeu politique de l’Oman comporte ainsi trois acteurs dont les pouvoirs se juxtaposent : le Sultan, soutenu par les Britanniques contrôle la région de la capitale (son pouvoir politique sur le reste du pays reste plus symbolique que réel) et l’essentiel de l’économie. Il est le chef des armées. L’imam, chef religieux du pays entretient également une petite armée. Enfin les Cheiks, chefs des différentes tribus 4. Au cours du XXe siècle, les Britanniques assistent militairement le Sultan à plusieurs reprises pour mater différentes rébellions. La dernière avant celle de 1965 intervient en 1958 lorsque l’imam fait sécession dans le nord du pays, avec l’aide de l’Arabie Saoudite. Sa défaite marque la disparition de la fonction d’Imam contraint de s’exiler ; le Sultan devient alors le chef religieux. À partir de cette date, les Britanniques occupent deux bases permanentes en Oman : une à Salalah (capitale du Dhofar) et une sur l’île de Massirah. De plus, tout le corps des officiers des forces armées du Sultan est composé de Britanniques. En 1962, le sultanat d’Oman entre dans la 30 e année de règne de Saïd ibn Taymour. Par rapport à ses prédécesseurs qui adoptaient une attitude désinvolte vis-à-vis de la politique du pays, Taymour est plus volontariste. Il s’attache à renforcer le contrôle de l’État à travers le pays et sa principale préoccupation est de se détacher de l’influence britannique, notamment en matière financière. Cette obsession empêche tout développement du pays

Sultan Saïd ibn Taymour (1932-1970).

Le chiffre exact est difficile à établir en l’absence de recensement fiable. Les imams et les cheikhs sont élus par un conseil (choura) et doivent gouverner avec lui. Les ibadites ne représentent qu’1 % des musulmans. Outre l’Oman, on les retrouve sur l’île de Djerba en Tunisie, dans la vallée du Mzab en Algérie et dans le Djebel Nafousa en Libye. 3 « Diviser et régner ». 4 La population d’Oman est organisée selon un système ancestral de tribus. La tribu n’est pas une structure solide et immuable, c’est un ensemble de différents groupes d’intérêts mués par un « esprit de corps » (ibn Khaldun). Ainsi, il n’est pas rare de trouver deux membres d’une même tribu (voir d’une même famille) à la fois du côté du Sultan et chez les rebelles. Ces groupes fissionnent et fusionnent donc selon les circonstances. Ces tribus sont divisées en une multitude de sous-ensembles dont la cellule de base est la famille et ne se définissent que par des représentations (généralement une affiliation généalogique, parfois pure construction). Seuls les étrangers donnent un sens politique à la tribu afin de rendre cet environnement plus « lisible ». 1 2

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Introduction – Présentation du sultanat d’Oman et contexte de la rébellion

car aucune recette engrangée n’est dépensée par l’État. Le pays est complètement isolé du reste du monde. Les habitants ont interdiction de le quitter ainsi que leur propre village sans la permission directe du Sultan. Tout produit venant de l’extérieur est banni y compris les vêtements, les médicaments, les livres et la radio. Le pays ne compte qu’un seul hôpital situé dans la capitale. L’État n’entretient que trois écoles qui n’assurent pas l’éducation au delà du primaire et sont interdites aux femmes. Le peu de routes qui traversent le pays ne sont pas entretenues. Il en est de même de la quasi totalité des infrastructures. À l’extérieur, l’Oman n’entretient de relations diplomatiques avec aucun pays sauf le Royaume-Uni, les États-Unis et le Pakistan (en raison de la forte proportion de Baloutches vivant sur le territoire). Ses relations avec l’Arabie Saoudite sont très conflictuelles, celle-ci ayant soutenu la révolte de l’imam contre le Sultan en 1958 et réclamant des territoires au nord du pays. À l’est d’Aden, la situation est plus problématique. Dans ce qui est actuellement le Yémen, les Britanniques sont engagés dans une lutte armée contre des rebelles nationalistes qui réclament le départ des troupes de la Couronne. Ces groupes dissidents tissent des liens avec l’URSS et la Chine. À l’indépendance du Yémen du Sud en 1967, ils se retrouvent directement en contact avec le Dhofar.

Le Dhofar : territoire sans État

Paysage typique du Dhofar. Au premier plan, les plateaux du djebel. Au second plan, un wadi caractérisé par une végétation dense.

La région du Dhofar se situe à l’ouest d’Oman et s’étend sur une superficie d’environ 10 000 km2. La ville principale est Salalah. En 1965, la région n’est reliée à la capitale que par une seule route, difficilement praticable car non bitumée. L’essentiel de l’activité économique de la région se situe sur le littoral. À environ 50 km des côtes s’élève le djebel, chaine montagneuse dont les sommets abrupts peuvent atteindre 3 000 mètres d’altitude. Toute cette partie de la région subit de juin à septembre la mousson (ou khareef), ce qui rend la végé tation particulièrement dense, surtout dans les wadis (vallées). Le reste du Dhofar est désertique.

Ces conditions physiques rendent toute opération militaire dans le Dhofar particulièrement difficile. L’absence de voies de communication limite les mouvements de troupes. De plus, la période de la mousson restreint fortement l’engagement des forces aériennes que ce soit pour l’appui feu ou pour les opérations héliportées. Le manque d’eau combiné aux difficultés d’approvisionnement compromet également l’installation de bases avancées dans le djebel. De manière générale, la géographie physique du Dhofar, surtout dans le djebel, est très défavorable pour une armée conventionnelle. La population qui compte entre 30 et 40 000 individus dont environ 10 000 vivent dans les montagnes est, comme dans le reste du pays, organisée selon un système tribal. On dénombre quatre grands ensembles : les Bayt Kathir, les Mahri, les Qarawi et les Chahiri. Ils ne se répartissent pas homogénéiquement sur le territoire, leur membres se retrouvant à la fois sur le littoral (pour la pêche) et dans les montagnes (pour l’élevage). Ces tribus ne sont pas mélangées avec les autres présentes sur le reste d’Oman. De plus, les Dhofaris sont sunnites contrairement à la majorité omanaise de confession ibadite.

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Introduction – Présentation du sultanat d’Oman et contexte de la rébellion

Tous ne parlent pas le même langage et ne se comprennent pas forcement entre eux. Ces tribus sont régulièrement amenées à se combattre, principalement pour l’accès à l’eau et aux pâturages. Tous les hommes sont armés. La région est donc enclavée de part sa géographie mais aussi de part sa population. plus que le reste du pays, le Dhofar est un territoire sans état. La province ne compte qu’une seule école et n’a pas d’infrastructure médicale. Il n’y a ni électricité ni eau courante. La femme du Sultan est originaire du Dhofar. Malgré cela, ibn Taymour cultive une haine très forte envers les Dhofaris comme en témoigne ce proverbe omanais : « Si ton chemin est bloqué par un serpent et un dhofari, tue le dhofari en premier ». Plus concrètement, les Dhofaris sont soumis à des taxes 300 % plus élevées que dans le reste du pays 5. Les communautés ne respectant pas les règles du Sultan se voient infligées des punitions collectives telle que la condamnation des puits avec du ciment. Aucun fond n’est alloué au développement du pays. Même à partir de 1967, quand les ressources pétrolières du pays commenceront à être exploitées, les fonds dégagés ne seront pas dépensés, ni pour la région, ni pour l’ensemble du pays.

Le début de l’insurrection Cette situation conduit à l’émergence de plusieurs groupes clandestins tels que la Société Bienveillante du Dhofar, l’Organisation des Soldats du Dhofar et la branche locale du Mouvement Nationaliste Arabe. Leurs membres sont des Dhofaris qui ont fui le pays vers l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou l’Irak pour rechercher éducation et travail. Ces personnes sont sensibilisées aux doctrines panarabe et marxiste sans toutefois les développer et les faire apparaitre car leur mouvement, essentiellement séparatiste, est peu idéologisé. Entre 1963 et le début de 1965, ces groupes s’illustrent à travers des actions terroristes de petite envergure (embuscades, sabotages, minages, etc.) localisés autour de la ville de Salalah. La plus marquante de ces actions est l’attaque d’un camp de la compagnie pétrolière américaine MECOM en 1963 par un petit groupe de Dhofaris dirigé par un ancien proche du Sultan, Mussalim Bin Nufl. L’attaque, qui détruit un camion et tue un garde, apparaît comme le premier acte visible de rébellion. Cependant, aucune revendication audible n’émerge de ces groupes qui agissent indépendamment les uns des autres et n’ont pas de véritable organisation. De plus, les Forces Armées du Sultan possèdent la liberté d’action dans la région et la contre-rébellion se limite alors à des expéditions punitives sur les villages récalcitrants. La résistance fournie par les rebelles (et la population) demeure encore faible. Néanmoins, les mauvaises conditions socio-économiques font du Dhofar un terreau favorable au développement d’un mouvement insurrectionnel. Cette « première phase de la guerre révolutionnaire » ou proto-insurrection 6 gagne peu à peu une population de plus en plus décidée à se séparer du pouvoir central. La proximité du Sultan qui gouverne depuis 1958 dans son palais de Salalah associée à son attitude exclusivement répressive, attise le ressentiment de la population à son égard. Cette attitude brutale de la part des militaires (sous commandement britannique) pousse peu à peu les habitants à fuir dans les montagnes. Mais c’est surtout l’inaction du pouvoir en matière d’actions civiles qui les jette dans les bras de la rébellion qui apparaît comme la seule porte de sortie. Dans la continuité des guerres révolutionnaires post seconde guerre mondiale, la guerre du Dhofar révèle en effet l’importance du facteur civil dans ce type de conflit, sans lequel la stabilisation

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Halliday, F., Arabia without sultans, New York, Vintage Books, 1975, p. 328. LACHEROY Charles, Scénario type de guerre révolutionnaire, Centre militaire d’information et de spécialisation pour l’Outre-mer, 4e trimestre 1955. Sur le concept de proto-insurrection, voir BYMAN Daniel, Understanding Proto-Insurgencies, Rand counterinsurgency study, 2007.

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Introduction – Présentation du sultanat d’Oman et contexte de la rébellion

ne peut être réalisée et la contre-rébellion efficace. En quoi l’intégration complète des actions civiles et militaires demeure-t-elle être une condition sine qua non du succès dans une contre-rébellion ? La première partie de cette étude est consacrée à la transition entre le point culminant de la rébellion et le début de son recul. Quant à la seconde, elle se concentre sur les principaux aspects qui font le succès de cette campagne pour les forces du Sultan encadrées par les Britanniques.

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PREMIÈRE PARTIE D’UNE DÉFAITE PROGRAMMÉE À UN RETOURNEMENT DE sITUATION DÉCIsIF



Première partie – D’une défaite programmée à un retournement de situation décisif

3.2 – Repérer et détruire les chefs, les cellules et les hommes de main Chapitre I – Des structures civilo-militaires inadaptées face à une rébellion qui prend de l’ampleur 1.1 – Le développement de la rébellion : du Front de Libération du Dhofar au Front Populaire de Libération du Golfe Arabe Occupé

L’année 1965 marque une étape cruciale dans le développement de la rébellion. En mai, un cargo rempli d’armes et de combattants à destination du Dhofar est intercepté par les forces iraniennes. Cet événement conduit le Sultan à réagir en procédant à une vague d’arrestation dans le Dhofar. Cette vague ainsi que les nombreuses expéditions punitives menées depuis le début de la rébellion par les Forces Armées du Sultan (FAS) poussent une partie des habitants à fuir vers le djebel et à rejoindre les insurgés. Le 9 juin 1965, un nouveau mouvement fait son apparition : le Front de Libération du Dhofar (FLD) 7 qui s’illustre par l’attaque d’une patrouille des FAS. Ce mouvement, qui est en fait un véritable parti politique, prend de l’ampleur en absorbant les autres organisations clandestines de la région et en recrutant les candidats à la rébellion. Sa ligne idéologique est un mélange entre séparatisme dhofari et nationalisme arabe. Il parvient à obtenir le soutien (armes, hommes, entraînement et propagande) de l’Egypte, de l’Irak et de l’Arabie Saoudite. En 1966, le FLD tente d’assassiner le Sultan mais échoue. Cette action rend la situation au Dhofar encore plus difficile : Salalah est entourée de barbelés, tout mouvement de personnes est strictement contrôlé et les Dhofaris sont exclus de l’armée. Le sultan sombre dans la paranoïa. Les fas deviennent de fait une force d’occupation se séparant donc de la population qui leur est désormais hostile. À ce moment de l’insurrection, les revendications des rebelles se concentrent exclusivement sur l’amélioration des conditions de vie au Dhofar et contre le Sultan en place, comme en témoigne le slogan du FLD : « le Dhofar pour les Dhofaris ». En 1967, les Britanniques se retirent d’Aden. Nouvellement indépendant, le Yémen du Sud prend le nom de République populaire du Yémen du Sud puis République démocratique populaire du Yémen. Le pays se tourne vers le socialisme. Les insurgés trouvent dans ce pays un allié important qui fournit matériels et refuge. Suite à la défaite de Nasser lors de la guerre des Six Jours, le nationalisme arabe perd de son prestige. La ligne idéologique du FLD évolue donc pour se tourner vers le marxisme-léninisme exporté par le voisin yéménite. Cette conversion idéologique permet aux Dhofaris de recevoir l’aide de la Chine et de l’uRss qui leur fournissent argent, équipements, entrainement et conseillers. Le FLD change également de nom en s’associant au Front Populaire de Libération du Golf Arabe Occupé (FPLGAO), un parti politique yéménite. Il milite pour la création d’un État socialiste regroupant les monarchies du golfe Persique. Les anciens chefs séparatistes du FLD perdent le leadership de la rébellion qui tombe aux mains des communistes yéménites. Cela scelle la fin de l’aide de l’Arabie Saoudite peu favorable à la nouvelle ligne politique prêchée par la rébellion.

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Un chef rebelle, peu avant sa reddition.

La date exacte et l’origine de la création du FLD sont difficiles à établir avec exactitude. Les dates varient selon les sources entre 1962, 1964 et 1965. Quant à ses origines, le Front aurait été fondé par Bin Nufl en Arabie Saoudite avec ses compagnons de l’attaque de la MECOM (qui ne semble pas être revendiquée par le FLD, ce qui devrait exclure la date de 1962), en fusionnant les trois organisations proto-insurrectionnelles citées plus haut ainsi qu’avec des éléments rencontrés en Egypte et en Irak, principaux soutiens à l’étranger du Front. Ils seraient également entrés en contact avec l’imam en révolte de 1958. Son premier congrès formel se tient le 1er juin 1965.

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Première partie – D’une défaite programmée à un retournement de situation décisif

Ce changement a également des répercussions sur l’action des insurgés à l’intérieur du Dhofar. Si le FLD avait déjà tenté de supprimer les liens tribaux pour s’assurer le contrôle du djebel en divisant le Dhofar en trois zones administratives (Est, Centre, Ouest), le FPLGAO va encore plus loin. La propagande et la politique communiste se mettent alors en marche dans le djebel assurant l’endoctrinement et le déplacement des populations, supprimant les liens tribaux, détruisant les mosquées et tuant les chefs religieux. Les enfants sont envoyés dans des écoles au Yémen du Sud et les meilleurs éléments de la rébellion partent pour des camps d’entraînement en URSS et en Chine. La population subit plus ces mesures qu’elle ne les accepte. La violence physique et psychologique dont font preuve les communistes pour appliquer leur politique, génère des tensions au sein de la population et des insurgés ; tensions qui seront exploitées par la contre-insurrection. La pénétration idéologique est pourtant une réalité, surtout à l’ouest où des témoignages rapportent que les habitants arborent des badges à l’effigie de Mao ou de Marx. Cette conversion est surtout portée par les femmes séduites par les promesses d’égalité de la Révolution. À cette période, on estime le nombre de combattants réguliers du FPLGAO à environ 2 000 auxquels s’ajoutent environ 3 000 miliciens chargés de défendre les « zones libérées ». Ces forces sont Roquette Katyusha récupérée en 1975. équipées de fusils d’assaut Kalachnikov, de mitrailleuses, de mortiers de 60 et 80 mm, de lance-roquettes RPG7. Plus tard, ils recevront des canons sans recul de 75, 82 et 120 mm (RCL : Recoiless), des Katyushas de 122 mm et des missiles SA-7 antiaériens. Les insurgés sont donc supérieurs tant par le nombre 8 que par l’équipement 9 aux forces du Sultan. En revanche, l’organisation militaire rebelle souffre de quelques faiblesses que révèlera un rapport d’un commissaire politique de la Zone Centrale capturé en 1971 par les troupes du Special Air Service (SAS) 10. Le document montre que les rebelles, s’ils ont été bien entraînés aux maniements des armes à feu, manquent de compétences techniques comme la mise en œuvre de radios. Les officiers ne font pas procéder à des reconnaissances et la dimension retour d’expérience n’est pas abordée. Certains guerriers font preuves d’amateurisme et ont tendance à gaspiller les munitions en s’acharnant notamment sur les avions hors de portée de leur fusil d’assaut. Malgré ces quelques lacunes, le FPLGAO contrôle au printemps 1970 tout le djebel. La seule route vers le reste du pays (Midway Road) est bloquée et la base aérienne de Salalah est régulièrement soumise à des bombardements. Les FAS sont incapables de mener des incursions de plus de 24 heures dans le djebel en raison de leur mauvaise préparation opérationnelle, de leur équipement et de leur logistique inadaptés. Seules quelques villes côtières (Salalah, Taqa et Mirbat) échappent encore à l’influence des insurgés. Les FAS comptent environ 3 000 hommes, dont certains sont des mercenaires baloutches peu appréciés des civils et des militaires eux-mêmes. 9 Les FAS sont majoritairement équipées de fusils semi-automatiques Lee-Enfield datant de la Seconde Guerre mondiale. 10 JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005, p. 131. 8

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Première partie – D’une défaite programmée à un retournement de situation décisif

1.2 – Un pouvoir incapable de fournir une réponse appropriée Face à cette situation de plus en plus préoccupante, les réponses apportées par le Sultan ibn Taymour sont insuffisantes. Sur le plan militaire d’une part, l’Oman accuse un retard considérable. Du fait du manque d’éducation, les soldats des Forces Armées du Sultan ne savent ni lire ni écrire. Les Omanais ne sont pas autorisés à exercer des fonctions de commandement, une loi les empêchant d’obtenir un grade plus élevé que celui de lieutenant (Taymour craignant un coup d’État militaire). De ce fait, les officiers supérieurs se composent exclusivement d’étrangers, Britanniques ou Pakistanais. Les fonctions de support (logistique, santé, génie, renseignement, etc.) sont également assurées par des officiers étrangers et restent très peu développées. Les FAS n’ont qu’un seul chirurgien, ne disposant pas d’infrastructures dignes de ce nom. L’équipement des soldats est également largement obsolète. Leurs fusils datent de la Seconde Guerre mondiale et leurs uniformes sont inadaptés pour la guerre dans le Dhofar. Ils ne possèdent pas non plus de carte détaillée de la région. De plus, et ce malgré la pression de ses conseillers, le Sultan refuse de dépenser la moindre somme pour une quelconque augmentation des effectifs de ses forces ou pour améliorer leur matériel. Cette situation de sous-équipement se retrouve aussi dans l’Armée de l’Air du Sultan d’Oman (AASO). Elle ne dispose pas d’hélicoptère et seulement quatre avions cargo Beaver assurent l’ensemble du transport aérien du pays. Aucune évacuation sanitaire ne peut donc être effectuée directement sur le front et les blessés sont contraints d’attendre parfois plusieurs jours (le temps qu’un Beaver soit disponible) pour être soignés à l’hôpital de Mascate et parfois même jusqu’à Bahreïn ! L’AASO est également dirigée par des officiers britanniques. Les pilotes parlant anglais, cela entraîne d’importants problèmes de coordination quand il n’y a aucun officier britannique présent au sol. Le sultan alimente lui-même de par son attitude le cercle vicieux qui s’installe dans le Dhofar. aucune approche autre que militaire du conflit n’a été envisagée. Le seul ordre des FAS consiste en l’élimination physique de l’ennemi. Aucune police ou gendarmerie n’est déployée et le renseignement n’est pas assuré. Sur le plan civil, aucune politique, d’une quelconque forme, n’est engagée. De ce fait, une victoire dans ce conflit doit nécessairement passer par une mise à l’écart du Sultan Saïd bin Taymour afin de casser la spirale descendante engagée depuis 1965.

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Première partie – D’une défaite programmée à un retournement de situation décisif

Chapitre II – Sortir du cercle vicieux et amorcer un cercle vertueux : un nouveau Sultan pour une nouvelle politique et une nouvelle armée 2.1 – L’intervention britannique, l’arrivée du nouveau Sultan Qabus bin Saïd et ses premières actions En 1970, la situation au Dhofar est si critique qu’elle pousse le gouvernement britannique à s’impliquer de manière plus importante dans le conflit. Cette intervention se fait pour des raisons géopolitiques évidentes. Si le pays venait à passer sous le contrôle d’un mouvement communiste aidé par l’URSS et la Chine, cela aurait des conséquences importantes sur l’économie et le monde occidental serait fortement déstabilisé. Les motivations anglaises ne sont donc pas spécialement liées au sort de la population du pays, bien que les Anglais aient fréquemment demandé au Sultan d’entreprendre des réformes économiques et sociales. Ce conflit reste ancré dans la logique géopolitique de la Guerre froide. Le Sultan refusant de changer sa stratégie de contre-rébellion, le gouvernement britannique décide de prendre contact avec son fils Qabus Bin Saïd afin de renverser ibn Taymour. Qabus a étudié à l’université militaire de Sandhurst et a servi dans l’armée britannique. Lorsqu’il retourne en Oman en 1966, il est arrêté et placé sous résidence surveillée par son père au prétexte qu’il a été « corrompu par l’Occident ». Le 23 juin 1970, qabus parvient avec l’aide britannique à renverser son père 11. Cumulant les fonctions de chef d’Etat, chef des armées, chef religieux, premier ministre, ministre de la Défense et des affaires étrangères, ce nouveau dirigeant agit en « despote éclairé ». Les soldats britanniques sont présents en Oman depuis la révolte qui a eu lieu au nord du pays en 1958. Un traité signé la même année leur laisse la gestion des bases aériennes de Salalah et de l’île de Qabus ibn Saïd. Massirah. mais cela est insuffisant pour contenir les insurgés. En raison du contexte économique 12 et politique 13 de l’époque, la GrandeBretagne ne peut envoyer un contingent complet comme ce fut le cas en Malaisie par exemple. Le gouvernement britannique choisit donc la discrétion : deux escadrons du 22 nd Special Air Service (SAS) sont envoyés sous le pseudonyme de British Army Training Team (BATT). Officiellement, leur rôle est de former les troupes du sultan mais ils prennent finalement une part active aux opérations militaires et civiles dans le Dhofar. sont envoyés également environ 150 officiers chargés d’encadrer les fas. 300 officiers supplémentaires assurent la formation des nouvelles recrues des fas. Enfin le 55 th Field Surgical Team (FST, une équipe de médecins et de chirurgiens) est envoyé à Salalah. L’opération est tenue secrète afin d’éviter l’ingérence des médias qui gênent les actions de propagande et qui risquent de diffuser la cause des rebelles.

Toujours aujourd’hui, les détails de cet événement sont peu clairs, particulièrement en ce qui concerne le rôle du gouvernement britannique. Mais il est évident que Qabus a reçu l’aide directe de quelques officiers anglais proches de Bin Taymour. 12 Depuis 1968, l’Angleterre connaît une grave crise économique. 13 Avec l’enlisement américain au Vietnam, il devient délicat pour une nation occidentale de s’engager dans un conflit de haute intensité sans que cela ne soit assimilé à du « néo-colonialisme ». Une intervention de grande envergure présente donc le risque de subir la propagande communiste. De plus, le conflit en Irlande du Nord draine alors l’essentiel des ressources militaires de la Couronne avec plus de 4 000 soldats engagés. 11

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Première partie – D’une défaite programmée à un retournement de situation décisif

Dès son arrivée au pouvoir, qabus revoit entièrement la politique de l’état à l’égard de l’insurrection. Avec les conseils d’officiers britanniques 14, le Sultan établit et annonce rapidement son programme de lutte contre la rébellion. C’est la première fois que la dimension politique du problème est prise en compte afin d’appuyer les opérations militaires qui restent néanmoins nécessaires pour lutter contre la guérilla menée par le FPLGAO. A l’été 1970, qabus annonce que tout rebelle acceptant de se rendre se verra offrir l’amnistie. Cette première mesure montre très vite ses effets. Les effectifs du FPLGAO diminuent du fait des défections. Cela a surtout pour effet de provoquer une césure dans le mouvement. Les éléments originaires de la rébellion, c’est-à-dire du FPL qui désirent une amélioration des conditions de vie dans le Dhofar, se désolidarisent des éléments communistes qui aspirent à une révolution nationale et régionale. Le FPLGAO connaît une crise de légitimité et se sépare peu à peu de la population qui a mal vécu les violences des communistes à leur arrivée dans la Qabus visite ses troupes. région. Cette mesure, associée aux fonds débloqués pour l’occasion, permet de débuter très rapidement la formation des unités retournées. Ces Surrendered Enemy Personnel (sEp), nommés Firqats 15, sont employés directement au combat avec les SAS. La deuxième mesure politique importante consiste en une action diplomatique poursuivant deux objectifs. Le premier est de faire reconnaître le sultanat d’Oman par la communauté internationale. Ainsi, le pays intègre les Nations Unies le 7 octobre 1971 et la Ligue arabe la même année. Cette reconnaissance diplomatique permet au pays d’obtenir une aide militaire de pays alliés tel que l’iran qui à partir de décembre 1973 envoie un contingent de 1 500 soldats, dont une force navale et du matériel. Cette reconnaissance permet d’accomplir le deuxième objectif : l’isolement du Yémen du sud dans la région. Cela se concrétise par la signature d’accords entre l’Oman et l’Arabie-Saoudite mettant fin à une longue période d’antagonismes.

2.2 – Adapter les Forces Armées du Sultan à la contre-rébellion : un enjeu majeur Comme l’affirment la plupart des théoriciens, une contre-rébellion nécessite une grande quantité de troupes pour être efficace sur le terrain. Contrairement à son père, le nouveau sultan Qabus bin Saïd assimile ce principe et entame la modernisation complète de son armée. Les fonds issus de la manne pétrolière lui permettent notamment d’augmenter les effectifs, les faisant passer de 3 000 à 10 000 en seulement deux années. Cette augmentation est essentielle non seulement parce que le contingent britannique est réduit mais surtout par la nécessité d’installer durablement l’autorité de l’État dans le Dhofar et plus particulièrement dans le djebel. Les Britanniques n’ayant pas vocation à rester en Oman, les FAS doivent devenir une armée accomplie, capable d’assurer pleinement la sécurité du pays. C’est avant tout l’armée nationale qui doit gagner les cœurs et les esprits de la population. Pour les officiers britanniques sur place, ce sont les Omanais avant tout qui doivent régler ce problème 16. Notamment ceux du lieutenant-colonel commandant le 22 nd SAS John Watts, sur lesquels nous reviendront par la suite. Firqat est le mot arabe pour compagnie ou unité de combat. 16 The answer had to be found by the Omanis themselves. Dans JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005, p. 36. 14 15

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Première partie – D’une défaite programmée à un retournement de situation décisif

Au moment où Qabus prend le pouvoir, les FAS ne disposent pas encore de corps d’officiers supérieurs. Les soldats omanis ayant désormais accès à un plan de carrière complet, ceux-ci sont envoyés dans des écoles militaires en Angleterre. Vingt et un volontaires partent en 1971, une centaine en 1972. L’augmentation des effectifs des FAS nécessite sur place un plus grand nombre de formateurs britanniques effectuant des rotations tous les trois mois. Chaque nouvelle recrue reçoit une formation de six mois durant lesquels sont enseignées les bases de lecture et d’écriture mais aussi de tactique. Positions défensives devant la base aérienne de Salalah. Les instructeurs anglais ont également pour tâche de gonfler le moral à ces troupes qui ont subi pendant 5 ans les attaques des rebelles sans jamais vraiment être en mesure de répliquer efficacement. Elles ont développé une réelle phobie du djebel. Les BATT 18 les soumettent à des exercices réguliers allant du tir à la patrouille de nuit incluant toutes les tactiques de combat que réclame le terrain difficile du Dhofar. De plus, la présence des FST 19 à Salalah améliore considérablement le moral des FAS qui peuvent désormais, et contrairement aux rebelles, bénéficier de premiers soins peu de temps après avoir été blessés. Elles montrent dès lors plus d’ardeur au combat 20. Des unités du Génie, toujours formées par les Britanniques, sont créées et déployées afin d’assurer la construction d’infrastructures civiles (hôpitaux, écoles, etc.) et militaires (pistes d’atterrissage, baraquements, etc.) dans les zones reprises. Les FAS sont également entraînées à l’emploi de l’artillerie pour l’appui feu mais aussi pour la défense de la base aérienne de Salalah 21. Les soldats de cette artillerie d’Oman sont souvent sélectionnés parmi les meilleures recrues des FAS. L’entraînement se fonde sur un système de récompenses symbolisé par un foulard blanc. Ce système montre vite son efficacité car il s’avère très motivant pour les recrues. Cette motivation est accrue par le fait que le Sultan visite fréquemment ses troupes.

GALULA David, Contre-insurrection, théorie et pratique, Paris, Economica, 2008, p. 129. British Army Training Team, pseudonyme de SAS opérant dans le Dhofar. 19 Field Surgical Team, un groupe de médecins et de chirurgiens. 20 AKEHURST John, We won a war, Salisbury, Micheal Russel (Publishing) ltd, 1982 21 Principale base du Dhofar, Salalah est régulièrement harcelée par les rebelles. Équipés de cannons sans recul (RCL) et de mortiers, ils utilisent des tactiques de hit and run le plus souvent de nuit. Afin de contrer ces attaques, les Britanniques déploient en avant de la base un cordon de plusieurs postes fortifiés (nommés hedgehogs). L’observation et la conduite de tirs de contre-batterie nécessitant des compétences avancées, ce sont principalement les soldats britanniques qui assurent ces missions, en attendant la formation des FAS à Rostaq. L’opération comprenant la défense de la base et la formation de nouvelles recrues porte le nom de Cracker battery. 17 18

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© S. Scott.

L’unicité et la continuité étant des traits fondamentaux du système de commandement en contrerébellion 17, un Quartier général interarmées est installé à la base aérienne de Salalah. Ce commandement regroupe les FAS, l’AASO et la Marine du Sultan d’Oman opérant dans le Dhofar. Cette approche se développe auprès des officiers des troupes terrestres et de l’aviation qui partagent le même mess à Salalah. Cela contribue à créer des relations de confiance et à faciliter les communications en dehors (le retour d’expérience se fait directement de combattants à combattants) et durant (les hommes développent certains automatismes et utilisent le même vocabulaire) les engagements avec les rebelles.


Première partie – D’une défaite programmée à un retournement de situation décisif

Cette réorganisation de l’armée s’accompagne de l’achat de nouveaux armements. Ainsi les FAS voient leurs anciens fusils Lee Enfield remplacés par des fusils semi-automatiques FN L1A1 en dotation dans l’armée britannique (ce qui simplifie la formation des nouvelles recrues). Les FAS se dotent en mitrailleuses GPMG L7A2 de 7,62 mm, arme redoutable dans l’appui des fantassins. Du matériel pour les opérations de nuit est également fourni du matériel pour les opérations de nuit comme des fusées éclairantes ainsi que toute une panoplie de matériel nécessaire aux opérations comme des radios ou tout simplement des pelles-bêches. Le Sultan élargit les capacités de son armée en engageant une force de gendarmerie 22. Ces hommes sont chargés de contrôler les zones reprises aux rebelles permettant ainsi aux troupes conventionnelles de se consacrer exclusivement à la reconquête du djebel et à la lutte contre la guérilla. L’armée de l’Air est également modernisée. Elle reçoit des Augusta Bell 205, hélicoptères qui manquaient tant aux opérations dans le djebel et essentiels pour l’évacuation des blessés, le transport de troupes et le ravitaillement. Le Sultan achète des BAC Strikemaster, avions d’attaques au sol chargés de l’appui feu des troupes. Des Skyvan arrivent en ajout des vieux Beaver ; leur capacité d’emport supérieur à ces derniers (un peu plus de 3 t contre 900 kg) les rend indispensable lorsqu’il s’agit d’installer et de ravitailler les bases avancées dans le djebel.

Le Skyvan, cheval de trait des FAS.

Ce nouvel équipement est intégralement fourni par la Grande-Bretagne, ce qui permet aux Britanniques de contrôler (c’est-à-dire de refuser) certaines demandes du Sultan. Ainsi, lorsque celui-ci demande des bombes au napalm, Londres refuse en raison de l’impact psychologique et politique de cet armement. La présence des officiers britanniques est décisive dans le succès des opérations. Leurs connaissances techniques, qu’ils transfèrent ensuite aux officiers omanis, prennent tout leurs sens lorsqu’il s’agit d’assurer les fonctions d’appui et de soutien. De plus, les officiers britanniques présents à oman ne sont pas des conseillers mais font partie intégrante de l’armée. Cela apporte deux avantages : – le fait de travailler ensemble amène les Britanniques et les Omanis à une réelle coopération, dépassant les barrières de la culture et de la langue. Cela renforce la capacité opérationnelle des troupes sur le terrain car les ordres sont transmis en anglais et exécutés plus facilement ; – étant intégrés aux FAS, les officiers britanniques sont donc sous le commandement du Sultan ce qui leur donne une légitimité auprès de la population. N’impliquant pas directement Londres, cette chaîne de commandement est également plus commode quand il s’agit d’effectuer des opérations sur le territoire du Yémen. Les Britanniques se sont ainsi souvenus d’une citation d’un de leurs grands anciens : « N’essayez pas de tout entreprendre par vous-même. Il est préférable que les Arabes fassent les choses de façon acceptable plutôt que vous ne les fassiez parfaitement. Ceci est leur guerre et vous êtes ici pour les aider, 22

Oman Gendarmerie. Il s’agit d’une force paramilitaire fonctionnant comme une force de police rurale.

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Première partie – D’une défaite programmée à un retournement de situation décisif

pas pour gagner à leur place » 23. Le principe est retenu mais pas appliqué systématiquement, notamment en ce qui concerne les fonctions soutien comme le service de santé et le génie qui restent assurés principalement par les Britanniques.

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T.E. Lawrence, 27 articles, 1917, The Arab Bulletin.

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DEUXIÈME PARTIE sTABILIsER LE DHOFAR PAR L’INTÉGRATION DEs MODEs D’ACTIONs CIVILs ET MILITAIREs



Deuxième partie – stabiliser le Dhofar par l’intégration des modes d’actions civils et militaires

À son arrivée au Dhofar en 1970 le lieutenant-colonel John Watts, commandant le 22 nd SAS Squadron est chargé d’une évaluation générale de la situation sur le terrain. Constatant l’étendue du travail à accomplir, il établit rapidement une stratégie afin de vaincre l’insurrection séparatiste et communiste. S’inspirant de la campagne de Malaisie, son plan se présente en cinq points : 1. Organiser un système de renseignement efficace ; 2. Organiser une campagne d’information destinée à contrer la propagande communiste ; 3. Organiser un programme de recrutement et de formation d’anciens rebelles et les intégrer aux opérations de contre-rébellion ; 4. Mettre en place un système de soins accessible à tous les Dhofaris ; 5. Mettre en place un système vétérinaire pour le bétail du djebel. Prenant en compte l’intégralité du spectre de la contre-insurrection et assurant une synergie et une continuité entre les actions militaires et civiles, les Britanniques montrent ainsi leur maîtrise de ce type particulier de conflit.

Chapitre I – Agir sur l’ensemble du spectre de la contre-insurrection : sécuriser et apaiser l’environnement En période de stabilisation, la population devient le centre de gravité des belligérants. Toute action menée doit être pensée en fonction des effets à produire sur elle. En contre-insurrection, l’armée doit entreprendre des actions civiles autant, sinon plus, qu’elle ne combat la guérilla 24. Pour les officiers britanniques, la mission est donc de « sécuriser le Dhofar pour en engager le développement » 25. La contre-insurrection se fait en deux temps avec en premier lieu une phase de sécurisation ; une fois celle-ci assurée, la phase de développement commence. La conquête des cœurs et des esprits doit se faire dans un environnement sécurisé et apaisé.

1.1 – Actions contre la guérilla : conquérir les esprits La sécurisation consiste à isoler physiquement la population des rebelles. Le but est de créer un sentiment de sécurité qui rassure les habitants. Ce dernier facteur fait défaut au début de la campagne comme le montre la déclaration d’un paysan : « Vous dites que vous allez rester ici pendant longtemps. Qu’est-ce que vous entendez par « longtemps », une semaine, deux semaines ? L’armée n’est jamais restée pendant les périodes de mousson. Les communistes, eux, sont ici toute l’année. Dès que vous partirez, ils reviendront et puniront tous ceux qui vous ont aidés. ». La population n’est pas hostile aux loyalistes,

Poste d’observation britannique dans le djebel.

Ce principe entre dans la doctrine britannique lors de la publication du manuel Anti-Terrorism Opérations in Malaya (ATOM) en 1952. 25 AKEHURST John, We won a war, Salisbury, Micheal Russel (Publishing) ltd, 1982. 24

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Deuxième partie – stabiliser le Dhofar par l’intégration des modes d’actions civils et militaires

mais elle subit la terreur des rebelles, en particulier des communistes. Les FAS doivent s’installer de façon permanente pour limiter cette peur, leur présence assurant de fait un climat de confiance et de sécurité. Les multiples opérations militaires lancées dans le djebel ont donc d’abord pour objectif de séparer physiquement la population des rebelles, puis de chasser ces derniers. Des campagnes d’épandage de kérosène sont lancées sur les cultures autours des villages tenus par les rebelles afin de forcer ces derniers à se déplacer. Tenant compte des particularismes tribaux, les Britanniques écartent l’option des hameaux stratégiques 26 et des déplacements de population qu’ils avaient pratiqués lors de leur campagne en Malaisie et que les Français ont aussi utilisée en Algérie. La première grande opération interarmées, c’est-à-dire réunissant les SAS, les Forces du Sultan (FAS et AASO) et les firqats 27, a lieu en octobre 1971 et vise à l’installation de deux bases permanentes dans le djebel. Ces deux bases, une à Jibjat et une autre à Medina al Haq (aussi appelée White City) fonctionnent comme des FOB actuelles et permettent de lancer des opérations dans tout le djebel en fournissant toute la logistique nécessaire. Cette opération nommée « opération Jaguar » sert également de laboratoire pour l’établissement de lignes de défense servant à rompre l’approvisionnement de la guérilla. Si cette première expérience appelée Leopard Line est un échec 28, la suite sera plus fructueuse avec l’établissement de Hornbeam Line à la fin de l’été 1972. Ces lignes 29 repoussant à chaque fois l’ennemi un peu plus vers la frontière yéménite permettent aux programmes de développement de s’exécuter dans de bonnes conditions. Les FAS tentent également leur propre opération baptisée Simba à l’été 1972 dont le double objectif est de bloquer l’arrivée de renforts en provenance du Yémen et d’encercler les rebelles présents dans le Dhofar. C’est un échec mais les FAS ainsi qu’une firqat tiennent la ville de Sarfait (la plus à l’ouest du Dhofar) qui « absorbe » une partie des infiltrations rebelles. La Demavend Line est quant à elle tenue par les Iraniens dont le contingent se déploie sur le territoire en 1973 30. Midway Road est complètement sécurisée la même année. Cette manœuvre d’est en ouest est le cœur de la contre-guérilla. Elle vise l’anéantissement des moyens de combat des rebelles. Ces lignes fractionnent le djebel entravant ainsi les mouvements des rebelles tout en les repoussant vers le Yémen. Elles permettent de lancer des offensives contre les poches de résistance rebelle et sur les différentes positions d’artillerie qui menacent Salalah. Ces lignes compartimentent donc le djebel séparant zones d’opérations coercitives (le djebel est « dégrossit » des éléments combattants rebelles) et zones d’opérations visant les cœurs et les esprits (avec une population devenue centre de gravité des opérations ; c’est la « finition »). Ce terme provient des opérations américaines aux Vietnam qui à partir de 1967 consistent à isoler la population de la guérilla en la regroupant dans des villages crées pour l’occasion. Il est ainsi plus facile de la contrôler. Le concept est inspiré des expériences britanniques en Malaisie (new village) et françaises en Algérie (camp de regroupement de la population). 27 Terme désignant les unités rebelles passées dans le camp loyaliste. 28 Echec due en grande partie aux difficultés d’approvisionnement durant la mousson. 29 Elles sont organisées de la même manière que les barrages français établis aux frontières durant la guerre d’Algérie. Quatre seront établies à travers le djebel pendant la campagne. 30 Le Shah d’Iran ne souhaitant pas voir émerger un État révolutionnaire de l’autre côté du détroit d’Ormuz, il envoie des troupes se battre aux côtés de celles du Sultan. Peu expérimentés, les soldats iraniens sont surtout employés en missions statique, comme la défense de la ligne Demavend. 26

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Deuxième partie – stabiliser le Dhofar par l’intégration des modes d’actions civils et militaires

Afin de conquérir les esprits des Dhofaris, des opérations de propagande sont menées en amont des opérations purement militaires. Pour des raisons culturelles, les Britanniques ont recours à des interprètes arabes, qui savent formuler leurs phrases pour qu’elles atteignent le cœur des Dhofaris. Dès le début de la campagne, il est décidé que la propagande loyaliste doit être propre 31. Autrement dit, elle ne doit pas diffuser d’informations qui déforment la vérité. Si la propagande diffusée par Radio Aden (la radio des rebelles) venait en effet à exploiter une faille, la propagande loyaliste perdrait un crédit difficile à retrouver. De plus, si les annonces des loyalistes corroborent la réalité, Radio Aden sera discréditée. Combinée à l’annonce d’amnistie du Sultan Qabus, la propagande permet de rallier un nombre significatif de rebelles dès le début de la campagne et notamment l’ancien leader du Front de Libération du Dhofar, Mussalim bin Nufl. Ce dernier déclare qu’ « il est inutile pour les Dhofaris de continuer le combat à partir du moment où le nouveau Sultan accepte d’accéder à leur demande et même plus ». Il rejoindra lui-même les firqats peu de temps après. La diffusion de cette propagande est assurée par plusieurs vecteurs : les firqats, des tracts 32, panneaux d’affichage et radio. Pour contrer Radio Aden, Radio Dhofar est donc crée. Mais la population du djebel ne possède pas de récepteur. Ils sont donc mis à leur disposition à bas prix dans les différents souks de la région. Si les récepteurs sont payants, c’est que les Dhofaris s’avèrent bien plus réticents à céder un bien acheté plutôt qu’un bien offert lorsque les rebelles tentent de leur confisquer. Cependant, l’émetteur de Radio Dhofar reste peu puissant et il faut compter sur le mode de circulation de l’information le plus ancestral qui soit : le bouche à oreille, méthode archaïque certes mais qui, d’après Patrouille britannique au milieu des populations. les observations du major general Jeapes, Relativement exposés, les soldats montrent néanmoins un niveau de protection minimum. reste incroyablement rapide et efficace 33. Conquérir les esprits nécessite également d’entreprendre des actions d’éclat qui peuvent marquer immédiatement la population. Les 28 et 29 novembre 1971 une opération menée par les firqats et les FAS conduit 500 chèvres en provenance du djebel vers Salalah afin que celles-ci puissent être vendues au marché. Cette opération de grande envergure combine à la foi des aspects civils et militaires. Civil, car elle permet aux familles du djebel de reprendre une activité économique. Militaire, car l’escorte du troupeau est conséquente (avions, blindés, artillerie, etc.). Cette démonstration de force du gouvernement associée à la dimension économique et sociale de l’opération s’avère bien plus efficace que n’importe quelle action de propagande 34 ; elle concrétise les promesses du gouvernement 35. JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005, p. 36. Voir annexe : Tract de la propagande loyaliste en 1971. 33 JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005, p. 37. 34 Ibid., p. 143. 35 Lors de son déploiement au Kosovo, le général Saqui de Sannes a conduit une opération similaire : avec l’aide d’une ONG suisse, il fait escorter un troupeau de 100 vaches qu’il répartit entre Serbes et Albanais. Sur cette opération, il témoigne : « Cela fait toujours rire tout le monde, mais ceci dit, moi, avec mes 8 000 hommes et mes 4 bataillons, je ne pouvais rien faire. Mais l’ONG suisse avec les 100 vaches suisses qui sont arrivées m’a réglé le problème. Donc nous, nous avons assuré la sécurité, le transport […]. Donc je me suis occupé de cette affaire autant que des opérations militaires qu’on a pu mener. C’était vraiment ma mission. C’est extrêmement important pour nous, chefs militaires, ce n’est pas quelque chose d’annexe ces actions là. ». Propos recueillis sur Forum de doctrine militaire 2001 : Vers une vision européenne d’emploi des forces terrestres, CDES, Ministère de la Défense. 31 32

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Deuxième partie – stabiliser le Dhofar par l’intégration des modes d’actions civils et militaires

Les actions purement militaires ont aussi un impact sur les esprits lorsqu’elles revêtent un caractère héroïque. C’est le cas de la bataille de Mirbat. Au matin du 19 juillet 1972, une force de plus de 250 rebelles attaque la petite ville côtière de Mirbat. Seuls neuf hommes des BATT leur font face. Ils tiennent leurs positions pendant trois heures de combat intense jusqu’à l’arrivée des avions d’attaque au sol et des renforts qui débloquent la situation vers midi. Ce fait d’armes majeur dans l’histoire des SAS porte un coup décisif au moral des rebelles qui ne tenteront plus d’offensive majeure.

1.2 – Actions civiles : gagner les cœurs Les actions civiles menées durant la guerre du Dhofar recouvrent une large partie du champ socio-économique. Elles sont réalisées en deux étapes. première étape : il s’agit d’entreprendre des actions le plus tôt possible après le combat. Elles sont assurées par les Civil Action Teams (CAT), composées de membres des SAS. Ils s’installent parmi la population et sont chargés de répondre à tous ses besoins immédiats. Ils assurent les soins élémentaires 36, la distribution de médicaments, de nourriture et d’eau potable, construisent des écoles et des mosquées. Ils travaillent partout où la population a besoin d’eux dans la mesure du personnel et des moyens disponibles. Ces équipes sont une passerelle entre le gouvernement et la population et resserrent le lien entre eux. La relation de confiance est vite établie et les habitants se présentent spontanément non seulement pour de l’aide mais également pour fournir des informations sur les rebelles. Ces CAT, par les services qu’ils apportent, amènent la population à se regrouper autour des endroits où ils sont installés, parfois de manière permanente 37. Ces mouvements de population amène les djebelis à se détacher des rebelles. Les CAT ne sont pas une solution définitive. Ils agissent en amont des grands programmes de développement assurés par le Dhofar Development Department. Malgré les fonds conséquents dégagés par le Sultan Qabus 38, ces programmes demandent du temps, ressource précieuse en période de guerre. Les CAT sont donc une solution temporaire servant à donner de la visibilité à la volonté du gouvernement de reprendre pied dans le djebel. La deuxième étape consiste en des programmes de développement de grande ampleur qui prennent forme à partir de 1973. Outre la construction de routes bitumées, d’hôpitaux et autres infrastructures, deux d’entre eux méritent une attention particulière. Le premier est la construction de puits à travers le djebel afin de fournir de l’eau courante (la ressource la plus convoitée) à la population. Ces puits, en plus de participer à la conquête des cœurs, sont aussi un moyen de pression sur les djebelis : s’ils continuent d’aider les rebelles l’eau est coupée. Sur cette base, le deuxième projet d’envergure peut être lancé : il s’agit de fermes expérimentales. Du grain, du fourrage et des animaux (des mâles reproducteurs entre autres) sont importés, de l’herbe spéciale est plantée dans divers lieux (il faut notamment réparer les dégâts causés par les bombardements sur les champs). Cela permet d’améliorer le niveau de vie et l’économie du Dhofar mais surtout cela conduit à un processus de sédentarisation Les SAS, comme toutes Forces Spéciales, sont formés pour effectuer des opérations de longue durée en plein territoire ennemi. Privés de toute aide médicale, ils comptent dans leurs rangs de nombreux hommes disposant d’une formation médicale complète et sont donc autonomes à ce niveau. 37 Certains postes de CAT sont aujourd’hui des villes où villages à part entière. 38 En 1971, $60 millions sont dépensés dans les projets de développement. En 1975 les dépenses passent à $1 Milliard grâce au choc pétrolier 36

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Deuxième partie – stabiliser le Dhofar par l’intégration des modes d’actions civils et militaires

des habitants du djebel. S’installant souvent définitivement à proximité de ces nouvelles zones de pâturages et de ces sources d’eau permanentes, ils sont plus difficilement sous la coupe de la rébellion. En effet, les Dhofaris ne sont nomades que par contrainte, se déplaçant en fonction des ressources disponibles. Ils se fixent dès lors qu’ils ont accès aux ressources dont ils ont besoin. Durant cette campagne, il n’y pas de politique de déplacement forcé de la population. Le mouvement s’est fait naturellement dès l’instant où des conditions favorables ont pu être réunies. Cette sédentarisation permet d’implanter une forme « d’État moderne » dans la région, l’État pouvant y exercer son pouvoir plus directement.

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Deuxième partie – stabiliser le Dhofar par l’intégration des modes d’actions civils et militaires

Chapitre II – Le recrutement des unités retournées et leur rôle dans les opérations militaires et non-militaires 2.1 – Recruter les firqats : entre surprises et challenges très rapidement, le Special Air Service, sous le pseudonyme de British Army Training Team, s’atèle au recrutement et à la formation des unités ennemies retournées. Les premiers retournements ont lieu très tôt ce qui est révélateur d’une part de l’efficacité de la propagande et des annonces (amnistie, programmes de développement) du gouvernement et d’autre part du fossé idéologique existant entre les deux branches de la rébellion (communiste et nationaliste). pour obtenir l’adhésion et la coopération des hommes ayant déserté les forces rebelles, ces derniers ne sont pas interrogés (au sens policier du terme) à leur arrivée. Ils sont plutôt « invités à discuter autour d’une tasse de thé », autrement dit, ils ne sont pas traités en ennemis. Cette méthode présente l’avantage d’installer rapidement un climat de confiance entre anciens rebelles et SAS. Les premiers livrent leurs informations sans qu’aucune pression n’ait été exercée à leur égard. Il est important de préserver l’honneur de ces hommes du djebel si l’on souhaite s’attirer leur sympathie et donc leur coopération. Recruter, former et mener au combat des miliciens pétris de traditions tribales n’est pas chose aisée, même pour les Britanniques pourtant rompus à cet exercice qui nécessite patience et habileté. Il est nécessaire de trouver des alternatives pour les problèmes d’équipement ; le programme est en effet victime de son succès et l’équipement pour ces firqats manque rapidement. Il faut récupérer armes et munitions sur les forces ennemies. Porter une AK-47 devient Tony JEAPES donc vite un symbole de prestige. Mais le principal challenge pour rendant visite à une firqat. les BATT reste l’adaptation aux coutumes tribales. Les djebelis ne sont pas des combattants réguliers et n’ont pas de notion de discipline militaire. Avant chaque décision importante concernant la tribu, un rassemblement regroupant les hommes est organisé afin de décider de la meilleure solution à adopter. Si le procédé présente des qualités démocratiques indiscutables 39, il devient problématique lorsqu’il est question de monter une opération militaire car les hommes peuvent tout simplement refuser d’y participer. Pour s’assurer leur participation, les Britanniques doivent faire converger au maximum leurs intérêts avec ceux des tribus. Les firqats sont donc généralement employées dans leurs propres zones tribales lorsque cela est possible. Maintenir une firqat soudée présente également des difficultés. La première d’entre-elle, appelée firqat Salahadin, a une composition multi tribale. Malgré les efforts de médiation des officiers britanniques, elle se dissout avant même le début des grandes opérations post-mousson de 1971. Les griefs opposant les tribus qui la composent sont impossibles à surmonter et la mort de leur leader achève le processus de décomposition 40. C’est pourquoi toutes les firqats montées par la suite sont monotribales (elles se composent d’un gros ensemble regroupant lui-même des sous-groupes de la tribu en question) afin d’éviter les éclatements internes qui peuvent faire le jeu des rebelles. 39 40

Les chefs tribaux sont désignés au mérite. Ce revers difficile à accepter pour les Britannique est cependant à relativiser : les dissidents ont tous rejoint d’autres firqats correspondant à leur tribu.

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Deuxième partie – stabiliser le Dhofar par l’intégration des modes d’actions civils et militaires

2.2 – Une intégration complète au dispositif de contre-rébellion Les firqats ne sont pas destinées à être employées seulement en opération de reconnaissance mais sont impliquées à tous les niveaux. Elles révèlent l’étendue de leurs capacités lorsqu’elles sont utilisées conjointement avec les BATT et les troupes régulières, apportant à ces dernières mobilité et flexibilité sur le théâtre des opérations. Mais leurs traditions ancestrales ne permettent pas de les employer dans des tactiques conventionnelles. C’est ce que démontrent les opérations de Shershitti. En 1975, une vaste opération est lancée à l’est du Dhofar ayant pour but de déloger les rebelles des caves à proximité de Defa. Les firqats sont employées directement au côté des forces régulières en première ligne. Face aux positions ennemies solidement défendues, les firqats sont rapidement désorganisées et renoncent au combat. En revanche, grâce à leur connaissance de la population les firqats permettent aux SAS de s’insérer plus facilement dans le tissu social du Dhofar. Elles sont très efficaces dans les actions de subversion. Elles agissent immédiatement après un engagement militaire 41. Elles peuvent déterminer la présence ou non d’ennemis dans la zone en parlant directement avec la population. De même, elles organisent des rassemblements de villageois dès l’arrivée des militaires afin d’expliquer la nouvelle politique du Sultan Qabus. Ces hommes reproduisent toutes les tactiques de subversion et d’endoctrinement apprises durant leur séjour dans les camps soviétiques et chinois lorsqu’ils SAS et firqats avant la prise de Sudh. étaient rebelles. Elles sont régulièrement invitées à s’exprimer sur Radio Dhofar, rien n’étant plus convainquant pour les rebelles que d’entendre d’anciens camarades les appeler à les rejoindre 42. De manière générale, elles jouent un rôle majeur dans les opérations de renseignement ; mêlées à la population, elles utilisent les mêmes procédés de collecte d’information que les insurgés. Le succès rapide des firqats pousse le FPLGAO à réagir. Face aux efforts du gouvernement légitime pour développer le Dhofar, son discours perd de sa substance. Devenu de plus en plus impopulaire, ce parti doit adoucir sa ligne politique, spécialement en ce qui concerne l’islam avec lequel il doit finalement composer. Tout comme le gouvernement, il accorde lui aussi une mesure d’amnistie pour les membres des firqats voulant revenir dans les rangs du Front. Malgré cela, la population lui est de plus en plus hostile. Il est alors privé de sources de renseignement, de protection et de soutien logistique. si les firqats ont su être employées au maximum de leur capacité, c’est grâce à la confiance que leur accordaient les britanniques. former et conduire au combat ce type d’unités demande aux britanniques d’être en permanence à leur contact.

C’est le cas lors de la prise de Sudh (la ville la plus à l’est du Dhofar) lors de la première opération combinée entre firqats et SAS. JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005, p. 75. 42 JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005, p. 41. 41

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CONCLUsION UN sUCCÈs À REDÉCOUVRIR



Conclusion – Un succès à redécouvrir

Sur bien des aspects, la campagne de contre-rébellion menée par les Britanniques au Dhofar peut être érigée en exemple. Les leçons des campagnes précédentes (comme les opérations menées en Malaisie) ont été retenues et dès le départ, la population est identifiée comme le centre de gravité du conflit. Toute la stratégie de contre-rébellion se fait donc en direction de celle-ci comme le montre les cinq points du lieutenant-colonel Watts qui donnent une grande importance aux actions non militaires et civiles. Négliger ce type d’action renvoie chaque action militaire à un « coup d’épée dans l’eau », non seulement inutile à moyen et long termes mais également contre-productif. C’est ce qui se produit sous le règne du Sultan Bin Taymour : incapable de saisir la réalité de la situation, son attitude rigide contribue à alimenter la rébellion. A contrario, il n’aura fallu que quelques annonces politiques du nouveau Sultan Qabus pour que celle-ci commence à se désagréger. Les troupes britanniques ont donc pu commencer les opérations en les inscrivant dans la continuité du programme politique. Toute la réussite de cette campagne est due à la prise en compte de la complémentarité entre les deux facettes, militaire et civile, de ce type de conflit, traitées simultanément par les Britanniques. Les troupes de la Couronne et les FAS établissent en cinq ans les conditions favorables au retour de l’État dans le Dhofar tout en enregistrant des pertes humaines minimales (entre 1970 et 1975, on dénombre 24 tués Britanniques et 187 Omanais contre environ 1 400 pour les rebelles) 43. Ce succès, aussi spectaculaire soit-il, n’a été possible qu’en raison de facteurs qui demeurent bien spécifiques à ce conflit. Le faible nombre d’acteurs (amis et ennemis) présents sur le théâtre des opérations a permis d’établir une plus grande cohérence dans les actions menées, comme en témoigne le choix d’un commandement unique et interarmées gérant à la foi les opérations militaires et non militaires (à l’exception du Dhofar Development Department purement civil). La discrétion des Britanniques, leur connaissance du milieu et l’absence des médias ont également réduit les frictions. Mais surtout face à un Sultan se présentant Des chefs de firqats avec le drapeau du sultanat d’Oman. comme le défenseur de l’islam et des traditions et en même temps soucieux du sort de sa population, les rebelles prônant une ligne progressiste n’ont jamais pu conquérir les cœurs et les esprits. Ce programme fondamentalement conservateur n’a pas été remis en cause par les Britanniques qui avaient bien compris 44 que tenter d’imposer par la force un modèle étranger à une population baignant dans les traditions s’avère toujours contre-productif à long terme. Bien qu’il ne faille pas négliger l’importance des opérations militaires (les combats demeurent violents jusqu’en 1975), ce sont donc ici les actions politiques qu’il faut mettre en valeur. Les grands projets de développement ne relèvent pas que d’une volonté altruiste de la part du Sultan ; ils permettent à l’État de pénétrer le territoire. Le Sultan Qabus parvient ainsi à faire converger les intérêts des différentes tribus vers les siens et se rend donc incontournable tout en respectant le jeu traditionnel tribal. Par l’intermédiaire de cet « État providence », il crée une forme d’identité nationale omanaise qui est un équilibre entre traditions et modernité, noyant ainsi les différents mécontentements. L’Oman est actuellement l’un des pays du golfe Persique les plus stables et les plus sûrs. L’éventualité d’une résurgence rebelle a disparu.

43 44

Selon des sources iraniennes de l’époque. JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005, p. 41.

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ANNEXE



Annexe

tRaCt DE La pRopaganDE LoYaListE En 1971 Au nom de Dieu, le compatissant, le miséricordieux. De la part des fidèles qui sont loyaux dans ce qu’ils entreprennent pour Dieu. Certains sont morts ; les autres sont toujours dans l’attente sans s’en s’égarer. La vérité est dans la parole de Dieu. Frères dans les montagnes, dans les plaines, dans les villages, dans les villes et partout dans ce bien-aimé pays, vous avez été l’épée protégeant votre pays, conservant votre dignité et jurant votre foi. Ne soit pas un marteau abattant les barrières de ton esprit et de tes biens qui sont dans la Religion. La Religion possède la clé de ta vie et de l’au-delà. Les communistes sont impatients de te prendre au piège ; ne leur permet pas de t’oppresser ; ne perds pas l’espoir de la délivrance. Le bon croyant est celui qui renforce la foi et la protège. Soit ce fidèle là, soit cette solide forteresse pour permettre aux égarés de trouver leur foyer. Protège ton pays, ton frère et préserve ta famille en rejoignant notre loyal Gouvernement national qui accompli des choses pour toi. Tu ne peux pas accomplir tes devoirs à moins que se soit parmi tes semblables et avec ton Gouvernement. NOUS VOUS ATTENDONS ! Les communistes ne travaillent pas au service de nos droits, ne correspondent pas à nos croyances. Les communistes sont tes pires ennemis ; ne les laisse pas te duper. Écoute mon frère ce que les communistes ont dit et fait. Ecoute, tu distingueras ainsi le bien du mal. Les communistes disent « AUCUN DIEU N’A CRÉE QUOIQUE CE SOIT ». Les communistes ne reconnaissent pas le prophète MAHOMET (que son nom soit béni) ni les autres prophètes de Dieu. Il n’y a pas de place pour le droit avec des communistes. Les communistes, mon frère, permettent des choses illégales et abolissent les droits humains. Ces choses sont connues de toi. Ils tuent les pères et laissent les enfants orphelins. Toutes ces choses ont été commises par les communistes et accomplies à TA vue. Tu es donc leur protecteur indirect. Tu es leur énergie et leur esclave et bientôt tu seras leur cible. Prends garde à toi avant qu’il ne soit trop tard. Rejoins le parti de Dieu dès maintenant. Le parti de Dieu sera le vainqueur. La victoire est tienne pour l’éternité mon frère musulman. La mort est pour les ennemis de Dieu, pour ceux qui sont aussi tes ennemis et contre la liberté, la dignité et l’islam sacrée. Les combattants musulmans de tout le DHOFAR ont rejoint le parti de l’islam sous le commandement de Qabus. Commence à travailler dur et honnêtement pour achever les communistes dans le but de satisfaire Dieu et pour purifier ce pays qui a été souillé par le sang des criminels. Commence mon frère, à rallier tes frères et trouve ta place naturelle au service du Sultan car c’est là qu’est ton intérêt. Ton Gouvernement t’accueille, s’occupe de toi, te protège, garantit tes droits et veille à leur respect. Viens librement dans la guerre sainte et profite de tout ce que ton Gouvernement a assuré et fait pour toi durant ces derniers mois. Tu es ton propre maitre ; n’essaye pas de souffrir pour les autres. Dieu garantira la victoire de ceux qui se battent pour Lui. L’islam est notre voix. La liberté est notre objectif.

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BIBLIOGRAPHIE



Bibligraphie

Bibliographie : ouvrages spécialisés : JEAPES Tony, SAS Secret War : Operation Storm in the Middle East, London, Greenhill Books, 2005 (les photographies en noir et blanc présentes dans cette étude sont tirées de ce livre). VALERI Marc, Le Sultanat d’Oman, une révolution en trompe-l’œil, Karthala, 2007. articles : HUGHES Geraint, A “Model Campaign” Reappraised: The Counter-Insurgency War in Dhofar, Oman, 1965-1975, Journal of Strategic Studies, Londres, 2009. LADWIG Walter, Supporting allies in counterinsurgency, Britain and the Dhofar rebellion, Small Wars & Insurgencies, 2008. WHITE Jim, Oman 1965–1976, from certain defeat to decisive victory, Small War Journal, 2008. site internet : http://www.britains-smallwars.com/ Documentaire tv : SAS heroes : last stand in Oman.

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CDEF

Centre de Doctrine d’Emploi des forces

Par les forces, pour les forces

Cahier de la Recherche 12 novembre 2009


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