Les antiques grilles de la station de métro venait à peine de se refermer. Le préposé, particulièrement jeune et fluet pour sa taille, dissimulé dans son long manteau sombre, avait disparu à l’angle du carrefour aussi brusquement qu’il avait surgit de la bouche d’ombre, quelques instants après la sortie des derniers voyageurs. La rue luisait doucement sous la pellicule uniforme et graisseuse que la pluie du début de soirée avait laissée derrière elle. Un minuscule véhicule électrique jaune, sans doute en chasse, passa silencieusement et à faible vitesse devant le banc où notre homme avait fini par s’installer. Il avait cessé ses cents pas. Entièrement détendu, les mains dans les poches, il observait le ciel depuis plusieurs minutes, quand il parût prendre conscience d’un fait capital, qu’il avait peut-être crû bon de négliger jusqu’alors. Il s’était à demi redressé et auscultait maintenant fiévreusement les poches de sa veste de montagne en nylon rouge et de son pantalon de toile grise encore tout détrempés. Sa respiration s’était accélérée et la vapeur d’eau qui se formait à chaque expiration montait en brèves volutes dans les reflets bleutés de la lampe halogène qui le surplombait. Son visage long et émacié, s’était étrangement animé. Sur son front dégagé par la coupe paramilitaire et sous sa barbe de plusieurs jours, la sueur s’était remise à perler. Les mouvements erratiques de ses yeux sombres et injectés, s’étaient désynchronisés des gestes désordonnés de la fouille en règle qu’il s’auto administrait comme dans un rêve… Le véhicule jaune repassait, dans un ultime ralenti qui se figea presque imperceptiblement à la hauteur du banc. Les phares s’éteignirent et simultanément où peut-être même l’instant d’avant, un colosse se déplia souplement par la portière du conducteur, gagna le trottoir d’un bond, et porta la main à la gorge de l’homme qui n’esquissa pas d’autre geste de défense que de porter sa main à ses yeux. Un crépitement sec. Le corps se ploya en deux et glissa du même mouvement du banc vers le sol. Le crâne cogna le bord du trottoir. L’agresseur, sans ralentir une fraction de seconde le cour de son action, hissa le corps inerte sur ses épaules et le porta jusqu’au véhicule pour l’installer à la place du mort. Les phares se rallumèrent aussitôt et toujours sans un bruit, le véhicule démarra rapidement et tourna sur la gauche au carrefour. Le seul témoin de l’enlèvement ne put pas même dire s’il avait une plaque d’immatriculation, ni quel était le modèle. C’était un minuscule véhicule jaune, sans doute électrique…