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Intervention de Michel-Louis LEVY, Administrateur de l'INSEE, en retraite, membre du Conseil de surveillance de la Caisse Nationale des Allocations Familiales. Co-fondateur et ancien président du Cercle de Généalogie Juive. Membre fondateur de Judeopedia.org

E

n octobre 1989, j'ai publié dans la revue de l'Alliance Israélite Universelle (aujourd'hui, ce sont les Cahiers du Judaïsme) un article intitulé "les non-juifs existent-ils ?". Une note indiquait la première version de ce texte a été lue au colloque "l'étrangère parmi vous" organisé par les associations familiales protestantes dont le président est PPK à l'Abbaye de Fontevraud les 8 et 9 octobre 1988. Cette note précisait dans un paragraphe de l'introduction ainsi rédigé : l'auteur lit la bible en profitant des modestes connaissances d'hébreu que lui a donné sa condition de juif français ayant fait sa barmitsvah, et l'ayant fait faire à ses deux fils.

Carmy, créateur du service national de statistiques sous l'occupation devenue l'INSEE à la libération et auteur du numéro qui est devenu notre numéro de sécurité sociale.

Par ailleurs, l'honnêteté oblige à indiquer que c'est en milieu protestant, fort attentif aux textes bibliques, que l'auteur a trouvé quelques curiosités sympathiques pour sa démarche ; les catholiques et les juifs orthodoxes à qui il l'a soumise, ne se sentaient pas vraiment concernés. Que le catholicisme occulte l'ancien testament n'est pas nouveau, mais d'une certaine façon, la pratique pharisienne le fait aussi, elle a une telle révérence pour le texte de la Torah qu'elle préfère en commenter les commentaires plutôt que les renouveler. Or, les catholiques et les juifs orthodoxes ne sont pas les seuls à manquer d'intérêt pour ma démarche biblique ; Il y a aussi les tenants de la laïcité républicaine. Les 14 versets de la Genèse que je citais à l'appui de mon exposé de Fontevraud, j'aurais bien été en peine de les citer dans le bulletin mensuel de l'INED "Population et société" dont j'étais rédacteur depuis 1977 a fortiori dans les publications d'INSEE dont j'avais été responsable auparavant.

Mon passage de l'INSEE, administration publique à l'INED, institut de recherches m'a permis de commencer à approfondir les textes bibliques et de les rapprocher de mes préoccupations statistiques. En 1981, à un congrès d'ADLF (Association des Démographes de Langue Française), je fis une communication intitulée "réflexion sur les évaluations du nombre de juifs en France" qui faisait référence à l'attitude de la tradition biblique à l'égard des dénombrements ambigus, hésitants et contradictoires puisqu'à l'expérience de Moïse organisant les recensements des enfants d'Israël, s'oppose celle du roi David puni par l'épidémie de peste pour en avoir organisé un à la fin du deuxième livre de Samuel. Ces travaux rencontraient évidemment les préoccupations de PPK également féru des textes de l'Ancien Testament et des problématiques de la gestion des associations réceptrices de crédits publics.

En France, dans les administrations publiques, cela ne se fait pas. Je citais tout au plus, par exemple, au début d'un livre sur l'information statistique paru en 1975, les recensements des enfants d'Israël qui font l'objet du livre des Nombres et le recensement du Quirinus, dans le récit de la nativité de l'Evangile de Luc. Pour le reste, à l'INSEE, je m'intéressais en terme exclusivement laïcs d'une part à la montée d'activité professionnelle des femmes et à la baisse de la fécondité, d'autre part en risque lié à l'interconnexion des fichiers administratifs depuis l'article du Monde sur le projet Safari en mars 1974, à la création de la CNIL par la loi du 6 janvier 1978 et au fait que d'aucun rapprochait la persécution antisémite sous le régime de Vichy à la création par le contrôleur général René de

Président du Conseil d'Administration de l'INED de 1986 à 1989 a rappelé Michel Tribalat, PPK m'invita au colloque de Fontevraud. Avant l'immigration, le phénomène qui retenait l'attention était la montée du non-mariage que le démographe et sociologue Louis Roussel avait baptisé du joli nom de "cohabitation juvénile". Je puis écouter sur ces thèmes les leçons du Doyen Carbonnier sur le mariage civil, de France Quéré sur les évolutions de la famille et du couple, ou d'Evelyne Sudereau, sur les effets pervers de l'allocation de salaire unique qui encourageait les mères célibataires à ne pas se marier. On peut retrouver dans mes éditoriaux leurs bibliographies, l'écho des éminents auteurs qui venaient à Fontevraud. En même temps que ma communication de 1988, je commençais à plaider pour la présentation à l'école publique de la Bible. Je publiais coup sur coup deux articles,


l'un dans la revue des Deux Mondes en 1989 intitulé "une théologie laïque est-elle possible ? Question à laquelle je répondais non sans naïveté, oui. L'autre, dans la revue Commentaires s'intitulait "la leçon de théologie", me prenant moi-même au mot, j'essayais d'imaginer une telle leçon, j'y définissais Dieu comme une personne morale représentant la totalité du genre humain et je faisais de Moïse, l'inventeur égyptien de l'alphabet de 22 lettres et de la semaine de 7 jours qui, déçu de n'avoir su imposer ni cet alphabet, ni le shabbat à l'administration pharaonique attachée à ses hiéroglyphes, mettait en chantier la Torah et chargeait ses partisans d'en expérimenter l'application de l'autre côté du désert. Quand PPK après le 11 septembre 2001 reprit en 2002 l'organisation des colloques de Fontevraud, et qu'il me demanda de participer, c'est cette leçon que je repris. Ensuite, tous les deux ans, mes interventions successives s'essayèrent à d'autres leçons de théologies. La seconde en octobre 2004, intitulée "le nom, le nombre et l'Etat" commentait l'histoire d'Abram devenu Abraham dans la Genèse. Le sacrifice d'Abraham que les juifs appellent ligature d'Isaac, peut être vu comme une déclaration de paternité devant l'officier d'état civil conduisant l'enfant ainsi déclaré ainsi ligoté à être prêt, dans des cas aussi rares que possibles, à mourir pour la patrie. Passant ensuite au recensement du livre des Nombres, j'en tirais la leçon que, "c'est un devoir pour toute puissance publique légitime de compter ses administrés par catégorie pertinente et de commander les investigations nécessaires, mais cela suppose le respect d'une règle absolue, nul ne sera dénombré à son insu". C'est la méconnaissance de cette règle qui entraîne l'épidémie de peste après le recensement de David dans le livre de Samuel. Encore heureux que la miséricorde divine ne demande à l'ange exterminateur au moment où il attend le futur site de Jérusalem de retirer sa main comme elle avait demandé à Abraham de ne pas étendre sa main sur Isaac ligoté. David dresse alors un autel, embryon du futur temple de Jérusalem. De même que les 10 justes de Sodome enseignent que nulle collectivité ne peut subsister sans tribunal, de même un état ne peut subsister sans une capitale.

Dans la troisième leçon, en 2006 intitulée la bible n'est pas un livre d'histoire, je m'élevais contre les recherches sur l'historicité de la bible. Je pointais en particulier l'épisode des trompettes de Jéricho. Rahab, la prostituée de Jéricho connaît au sein biblique bien sûr, deux hommes la même nuit, les deux espions envoyés par Josué. Pour ne pas avoir à se demander qui est le père, elle espère ne pas être enceinte. Elle compte donc avec angoisse tous les jours de retard de ses règles à chaque sonnerie de trompette des hébreux. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, le septième jour plus de doute, toujours pas de règle, elle tombe enceinte quand tombe l'enceinte. Quatrième leçon, en 2008 intitulée "l'état c'est Dieu". J'y expliquais que chaque décision pris implique l'élimination des décisions non prises y compris par le destin ou la providence. Ainsi, le sexe de l'enfant élimine pour les parents l'hypothèse quelquefois le rêve d'un enfant de l'autre sexe. C'est de cela, le choix du sexe dont rencontre au début de l'Exode, l'épisode où Pharaon ordonne aux sages-femmes la noyage des enfants hébreux mâles, massacre dont Moïse sauvé des eaux va réchapper. Chaque enfant qui naît élimine de même du réel tous ceux qu'il n'est pas et qu'il aurait pu être. Cela c'est le massacre des innocents qui en rend compte dans lequel les innocents des deux sexes remplacent les petits garçons hébreux. C'est le pasteur André Gounel qui participait au premier colloque de Fontevraud qui remarque ainsi que de même que celle de Moïse, la naissance de Jésus s'accompagne d'un massacre d'enfants. L'église et les églises ont toujours soigneusement distingué histoire sainte et histoire, elles n'ont jamais fait de la datation de la nativité et de la résurrection des articles de foi. Elles demandent seulement à leurs fidèles de croire, dur comme pierre, que Jésus est né un jour quelque part, comme vous. La cinquième et dernière leçon en octobre 2010, intitulée "le devoir d'être compté" et concluait : "ne dites plus, il y a eu 6 millions de juifs victimes de la Shoah, sait-on quelle sorte de juifs étaient les victimes de la Shoah ? Dites la Shoah a tué 6 millions de personnes que leurs assassins ont désigné comme juives et que leurs voisins ont quelquefois laissé désigner comme juives. Ne comptons pas les juifs, ne comptons pas non plus les antisémites, ni les racistes.


Plus généralement, ne classons-pas les gens selon leur religion. Il y a certes des catholiques, des protestants, des musulmans, des juifs en France, mais aussi des tas de gens qui ne veulent pas de ces classements pour toute sorte de raison. De même, n'énumérons pas les religions, comment peut-on parler de la deuxième religion de France, quelle est la première ? Le christianisme, le catholicisme, la libre-pensée ? Etudions la complexité du monde, comptons les pratiques, les actes libres et volontaires, signer une déclaration, remplir un formulaire, payer une cotisation, pratiquer un baptême, faire une circoncision mais ne comptons pas les croyances,

ne créons pas de catégorie binaire de fidèles ou d'infidèles, de croyants et d'agnostiques. Il existe un devoir d'être compté mais certainement pas par n'importe qui, ni n'importe comment. Toute puissance légitime a certes le devoir de compter ses administrés par catégorie pertinente et de commander les investigations nécessaires, les associations ont le devoir de décompter leurs membres à jour de leur cotisation et de rendre compte de leurs activités, mais cela suppose toujours le respect de cette règle : « nul ne sera dénombré, ni désigné à son insu ».

Sans l'insistance amicale de PPK, sans sa confiance réitérée, jamais je n'aurais entrepris ces recherches ni osé même les exposés en public, c'est de cela Jeanne-Hélène, que je veux vous témoigner ici. Je vous remercie.

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