N° 20 Février 2009
Les Monographies de Contribuables Associés
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Ce que nous coûte la complication administrative par Jacques Bichot, économiste, Professeur émérite à l’Université Jean Moulin (Lyon 3)
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N° 20 Février 2009
Ce que nous coûte la complication administrative
Sommaire Introduction : La complication, c’est de la complexité inutile ....................................................................... p. 4 I. Lois et décrets : le cancer de la prolifération et de la complication A. Lenteur et inefficacité......................................................................................................................... p. 8 B. Point de principes, des décisions au coup par coup................................ p. 8 C. L’inflation normative entraîne un surcoût des administrations centrales de 1 Md€. ....................................................................................... p. 9 D. La complication des procédures judiciaires coûte 900 M€ en frais d’avocats....................................................................................................................... p. 10 E. La complication des textes juridiques coûte 700 M€
.......................... p. 11
F. La complication arrange le gouvernement, l’administration et le Parlement............................................................................................... p. 13
II. La redistribution par l’État détruit énormément de valeur A. Les exonérations de cotisations sociales coûtent 600 M€. ........ p. 16 B. Subventions et réductions de cotisations sociales engendrent des gaspillages.............................................................................................. p. 18 C. Les allègements généraux de charges coûtent 3,6 Mds€. ............ p. 20 D. La loi Tepa favorisant les heures supplémentaires coûte 1 Md€. ... p. 22
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III. La complication du système des retraites A. La complication des retraites des salariés................................................ p. 24 du privé coûte 1 Md€ B. La complication des retraites des salariés indépendants non agricoles coûte 150 M€. ........................................................... p. 26 C. La complication des retraites acquises dans différents régimes de base coûte 500 M€............................................................. p. 28
IV. La complication sabote la formation continue A. La complication du système collecteur de fonds coûte 155 M€. .............................................................................................................. p. 31 B. L’empilement des financeurs publics de la formation continue coûte 150 M€. ................................................................ p. 31 C. Le formalisme des obligations en matière de formation professionnelle coûte 2 Mds€.................................................... p. 32
V. Une complication croissante et coûteuse : le dispositif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion A. Un organigramme révélateur.................................................................................... p. 34 B. La complication de l’aide aux SDF coûte 300 Mds€. ................................ p. 36 C. La complication des minima sociaux coûte 2 Mds€................................ p. 38
Conclusion : La complication appauvrit les Français.............. p. 41 3
Introduction LA COMPLICATION, C’EST DE LA COMPLEXITÉ INUTILE. Le monde est complexe. C’est vrai aussi bien de la société, de l’homme, que de la nature. Il n’y a pas besoin d’en rajouter ! Pourtant, les pouvoirs publics et les administrations ne s’en privent pas ! C’est à cet ajout d’une couche de complexité artificielle venant se superposer à la complexité naturelle, inévitable, que l’on se réfèrera tout au long de cette monographie en employant le mot « complication ». Que se passe-t-il quand on complique ce qui est déjà complexe par nature ? On crée des difficultés supplémentaires, des obstacles à la compréhension, à l’analyse, à la décision, à l’action. Des efforts plus importants sont requis pour arriver à un résultat identique, et souvent même moins bon. Bref, la complication engendre des coûts, des dépenses inutiles, dont on aurait fait l’économie si l’on n’avait pas appliqué la devise « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
La complication, obstacle à la relance Une prise de conscience est en cours. Ainsi Les Échos du 22 décembre 2008 titraient-ils sur six colonnes, à propos du plan de relance français : « Urbanisme, marchés publics, installations classées : la relance passe par la simplification ». Et les journalistes d’expliquer : « Au-delà des 26 milliards d’euros injectés dans l’économie, le plan comporte une batterie de mesures de simplification des procédures. » On s’est donc heureusement rendu compte, en haut lieu, que les entreprises hésitent à investir non seulement parce que la conjoncture est morose, mais aussi parce que les formalités sont trop pesantes, les procédures trop compliquées. S’il faut 18 mois pour lancer un appel d’offre et sélectionner l’entreprise qui l’emporte, tellement les dossiers à constituer sont épais et compliqués, l’augmentation des commandes publiques ne produit que tardivement un effet positif sur l’activité et l’emploi. C’est l’éternelle histoire du carabinier qui arrive toujours en retard parce que, avant de se mettre en route, il lui faut remplir cinq formulaires en trois exemplaires. La crise fait ainsi réaliser qu’imposer un véritable parcours du combattant à tous ceux qui cherchent à travailler pour l’État ou
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les collectivités territoriales peut être dommageable à l’économie. Elle montre que la préférence pour la complication a un coût – en l’espèce, la réduction de la capacité des pouvoirs publics à lutter à temps contre la dépression débouche sur plus de chômage et moins de production. Le coût est ici humain plus encore que monétaire. La complication ne conduit pas seulement au gaspillage de l’argent des contribuables, mais aussi au malheur d’hommes et de femmes privés du moyen de gagner leur vie. Ces personnes coûtent à la collectivité (indemnités de chômage) au lieu de lui rapporter par leur travail, et en plus elles sont malheureuses, parfois même traumatisées.
Il faudrait une équipe nombreuse et des années de travail pour dresser un bilan complet du coût de la complication. L’ambition de cette monographie est plus modeste : dans quelques cas concrets, estimer les avantages d’une évolution vers la simplicité. Nous verrons comment cette forme de coûts cachés peut être détectée, analysée, quantifiée, et par là contribuer à créer un état d’esprit simplificateur. Et pourquoi la complication prospère, alors même que tant de chefs d’État et de hautes personnalités déclarent qu’elle est nuisible, et donnent consigne de la combattre. Pour venir à bout de cette hydre, il faut comprendre comment repoussent ses têtes, en plus grand nombre, au fur et à mesure que l’on en coupe quelques-unes.
La complication prospère, alors même que tant de chefs d’État et de hautes personnalités déclarent qu’elle est nuisible, et donnent consigne de la combattre.
Inutile de se faire des illusions : la complication zéro n’existe pas. Nous ne proposons pas d’éradiquer toute complication, c’est-àdire toute complexité inutile des règles, organisations, procédures… : il serait déjà bien d’inverser le mouvement, de remplacer par un recul, fût-il léger, la croissance de la complication à laquelle nous assistons depuis des décennies. Le secteur public n’a pas le monopole de la complication : le secteur privé en produit lui aussi, et les entreprises auraient tout intérêt à faire le ménage chez elles. Cependant, les pouvoirs publics et les administrations détiennent la palme de la complication la plus élevée. « Qui trop embrasse, mal étreint » : la présente recherche ne prétend pas faire le point sur tous les aspects et tous les acteurs de la complication ; elle se concentre sur le secteur le plus atteint par cette redoutable épidémie.
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I. LOIS ET DÉCRETS : LE CANCER DE LA PROLIFÉRATION ET DE LA COMPLICATION L’inflation de textes normatifs a été maintes fois dénoncée, notamment par le Conseil d’état, qui lui a consacré deux de ses rapports publics : ceux de 1991 (« L’instabilité juridique ») et de 2006 (« Sécurité juridique et complexité du droit »). Ce dernier rappelle que « la complexité croissante de notre droit constitue une préoccupation constante des citoyens, des élus locaux, des entreprises, notamment des PME, et des juristes. » Il rappelle également que cette complexité excessive « a été évoquée à de nombreuses reprises par les plus hautes autorités de l’État, qu’il s’agisse du Président de la République, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, du Président du Conseil constitutionnel »... Et il cite un rapport gouvernemental relatif aux mesures de simplifications de l’année 2003 : « La complexité croissante de notre droit est devenue une source majeure de fragilité pour notre société et notre économie. »
La complexité croissante de notre droit est devenue une source majeure de fragilité pour notre société et notre économie.
Le rapport Warsmann sur la simplification du droit En juin 2008, le Premier ministre a commandé un rapport destiné à « formuler une méthodologie de la simplification du droit ». Il s’est adressé à Jean-Luc Warsmann, député des Ardennes, Président de la Commission des lois à l’Assemblée. Le 29 janvier 2009, il a remis à François Fillon un « Rapport sur la qualité et la simplification du droit » de 203 pages plus les annexes. Les termes de la lettre de mission sont révélateurs du problème qui nous occupe : « Notre pays souffre d’une inflation normative dénoncée unanimement par les responsables politiques, les praticiens, les juridictions et les acteurs économiques. Cette production normative mal maîtrisée porte préjudice à la qualité de la règle de droit, affecte le crédit de l’action publique, génère des coûts pour la collectivité et constitue un facteur d’insécurité juridique. » Le rapporteur formule de nombreuses propositions, qui toutes s’efforcent de servir les deux objectifs qu’il fixe à une politique de simplification du droit : « la réduction du « fardeau administratif », et « le renforcement de la sécurité et de la cohérence juridique ». C’est ce que souhaitent très majoritairement les Français.
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Ce premier chapitre commence à quantifier, fût-ce « à la louche », ce « fardeau administratif » que la complication du droit fait peser sur nos épaules à tous. L’une des propositions – ô combien réjouissante - de Jean-Luc Warsmann est d’accélérer la construction de l’outil informatique dit « Oscar », destiné à évaluer les coûts administratifs engendrés par chaque réglementation. Ce qui suit, s’il s’agissait d’une pièce de théâtre, ne s’intitulerait donc pas « En attendant Godot », mais « En attendant Oscar » ; espérons simplement que Oscar, à la différence du Godot de Samuel Beckett, finira par arriver ! Force est malheureusement de constater que la prise de conscience de l’inflation normative ne débouche pas sur grand chose : en dépit de quelques efforts localisés (« recodification » du code du travail entre 2005 et 2008, par exemple), globalement aucune simplification n’a été réalisée depuis des décennies. Pire, le rythme de croissance de la complication ne paraît nullement diminuer. Quand un Président de la République, un gouvernement ou un ministre dresse le bilan de son action, il s’enorgueillit toujours des lois rédigées à son initiative, mais jamais des dispositions légales ou réglementaires supprimées – il y en aurait d’ailleurs trop peu, en dehors de celles qui ont simplement été priées de laisser la place à d’autres, encore plus touffues, pour constituer un palmarès flatteur. Le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics1 a mis le doigt sur une source très importante de complication législative et réglementaire : selon son rapport d’étape de juillet 2005, les administrations centrales « ne voient d’autres façons d’intervenir sur les évènements que par la production de lois et de règlements ».
Les administrations centrales ne voient d’autres façons d’intervenir sur les évènements que par la production de lois et de règlements.
On pourrait en dire autant des hommes politiques nationaux : un ministre, en France, conserve trop peu de temps le même maroquin pour pouvoir agir comme manager sur le bon fonctionnement des services. Pour montrer son utilité, il lui faut réagir à l’événement – et surtout à l’événement médiatisé2 – en annonçant une nouvelle loi, ou à tout le moins de nouvelles mesures réglementaires. Exemple : l’attention qu’il faudrait porter au fonctionnement quotidien des tribunaux et des prisons est remplacée par une énième réforme du code pénal. De là résulte également la « logique de la sédimentation » pointée par le Conseil d’État dans son Rapport public 2006, « consistant à prendre successivement des textes sur le même sujet sans réévaluation d’ensemble du dispositif et sans abrogation en conséquence de tout ce qui est devenu inutile, superfétatoire, redondant ou encore obsolète. » 1. Il existe depuis 1946, dans la mouvance de la Cour des comptes, dont le Premier président est son président. 2. Cela n’est pas nouveau ; la politique spectacle a été analysée notamment par Daniel Schneidermann dans Où sont les caméras ? Belfond, 1989, et Jean-Marie Cotteret dans Gouverner c’est paraître, PUF, 1991.
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A. Lenteur et inefficacité L’inflation de textes normatifs est telle que la qualité du travail s’en ressent et que les délais s’allongent de façon anormale. Exemple : dans le JO du 18 janvier 2009, la partie « LOIS » contient trois items : « LOI n° 2009-61 du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation » : il a fallu trois ans et demi pour qu’une loi vienne ratifier (comme il se doit) une ordonnance portant sur un point important du droit civil !
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Deux rectificatifs concernant des erreurs de références commises, les unes dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2009, les autres dans la loi de finances (LF) pour la même année. Il faut dire que ces textes sont des mastodontes : 54 pages de JO (l’équivalent d’un roman ou essai de 150 pages environ) pour la LFSS et 101 pages pour la LF (autant de mots que dans un roman de 300 pages). La LF avait déjà fait l’objet d’un premier rectificatif en date du 31 décembre 2008, le texte initial comportant des erreurs dans un tableau relatif aux … essieux de camions ! n
C’est cela aussi, l’inflation législative : inscrire, dans les textes de niveau le plus élevé, quantité de dispositions de rang subalterne.
Le tarif des taxes par essieu, appelé à être réévalué chaque année, figure dans un texte de loi, alors qu’il relève logiquement d’un décret, ou plus probablement d’un simple arrêté. C’est cela aussi l’inflation législative : inscrire, dans les textes de niveau le plus élevé, quantité de dispositions de rang subalterne. Cela engorge le Parlement. Submergé par des textes fleuves bourrés de dispositions qui ne sont pas réellement de son ressort, il ne fait pas correctement son travail : au lieu d’exiger et de vérifier des études d’impact préalables sérieuses relatives aux projets de loi qui lui sont soumis, au lieu de contrôler que les lois votées donnent les résultats prévus, ses membres jouent les stakhanovistes de l’amendement microscopique, ou de l’amendement d’obstruction quand ils sont dans l’opposition. B. Point de principes, des décisions au coup par coup Des milliers de taxes, de barèmes, de prestations, de rémunérations, doivent sans utilité, comme la taxe à l’essieu, faire l’objet chaque année d’une réévaluation par voie législative ou réglementaire, faute d’une disposition générale indiquant des modalités de réévaluation « par défaut », c’est-à-dire en l’absence de décision particulière. Cela fait partie d’une tendance des pouvoirs publics français à tout régler au coup par coup, à l’aide de décisions législatives ou réglementaires discrétionnaires et spécifiques, au lieu d’édicter des règles générales et stables. Il en résulte une multiplication de textes inutiles3, qui justifient l’hypertrophie
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3. Comment croire que tout est utile dans les quelque 100 000 pages contenues dans les 62 codes regroupant la partie codifiée du droit positif français ? (dénombrement effectué par Philippe Sassier et Dominique Lansoy, Ubu loi, Fayard, 2008.)
des bureaux chargés de les rédiger : les effectifs des administrations centrales et des cabinets ministériels sont de ce fait pléthoriques, et néanmoins incapables de dégager le temps nécessaire pour effectuer une préparation réellement professionnelle des décisions importantes, accaparés qu’ils sont par des myriades de décisions lilliputiennes. Des centaines d’arrêtés inutiles, faute de règle générale Des centaines de montants monétaires (indemnités, primes, prestations, barèmes fiscaux, conditions de ressources…) doivent être modifiés chaque année par arrêté, simplement parce que les pouvoirs publics préfèrent prendre des décisions au coup par coup. Pourtant, une règle générale peut être fixée « par défaut », c’est-à-dire qu’elle jouerait seulement en l’absence de décision explicite, laissant ainsi la possibilité de donner un « coup de pouce » ou un « coup de frein » si le gouvernement le juge utile. Exemple au JO du 18 décembre 2007 : « Arrêté du 17 décembre 2007 fixant le montant annuel de référence de l’indemnité pour charges pénitentiaires attribuée à certains personnels des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire », qui abroge le précédent (du 8 novembre 2006) et fixe le nouveau montant. Une simple indexation sur le point de la fonction publique éviterait chaque année d’avoir à « pondre » des douzaines d’arrêtés de ce type, qui encombrent inutilement les parapheurs des ministres (l’arrêté pris comme exemple était signé par trois d’entre eux : justice, budget et fonction publique) et le JO.
Les effectifs, pléthoriques, des administrations centrales et des cabinets ministériels sont accaparés par des myriades de décisions lilliputiennes.
C. L’inflation normative entraîne un surcoût des administrations centrales de 1 Md€ Le rapport que la Cour des comptes a consacré en novembre 2003 à « La déconcentration des administrations et la réforme de l’État » est révélateur des surcoûts qui en résultent. Il révèle que plusieurs circulaires du Premier ministre demandant aux ministres une réduction du nombre des directions et des effectifs en administration centrale, du fait de la déconcentration des services, sont restées quasiment sans effet. Sur les 50 000 fonctionnaires environ4 affectés à ces administrations centrales, on peut estimer à 10 000 au minimum le nombre de ceux dont elles se passeraient sans difficulté si la surproduction législative et réglementaire n’était pas aussi massive. Comme il s’agit, pour une forte 4. Le rapport cité indique que le nombre exact est mal connu, les effectifs budgétaires ne coïncidant pas avec les effectifs fonctionnels.
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proportion, de fonctionnaires de rang A, le coût par fonctionnaire (traitement, primes, charges sociales, locaux et autres frais de fonctionnement) n’est certainement pas inférieur à 100 000 e. On en déduit facilement ce que nous coûte directement, du fait qu’il entraîne une hypertrophie des administrations centrales et des cabinets, le recours à une sorte de planche à lois et règlements5, analogue à la « planche à billets » monétaire : L’inflation normative coûte au bas mot 1 Md€ par an en frais de fonctionnement inutiles des administrations centrales. D. La complication des procédures judiciaires coûte 900 M€ en frais d’avocats
Un droit positif plus simple se traduirait par une redistribution des moyens qui améliorerait considérablement l’efficacité, au profit de l’immense majorité des contribuables.
D’autres majorations du coût de fonctionnement des administrations résultent de la complication. Leur estimation est délicate. En outre, la simplification se traduirait dans certains cas par une amélioration du service rendu plutôt que par une baisse des coûts. C’est notamment vrai pour le service public qui est le plus directement impacté par la complexité des lois et règlements : la justice. Les tribunaux et la police judiciaire voient leur productivité fortement réduite par l’abondance, la complexité souvent inutile, et l’instabilité des règles de procédure qu’ils doivent suivre, et des règles de droit qu’ils doivent appliquer. Vu les conditions déplorables dans lesquelles fonctionnent certains tribunaux6, les séances « d’abattage » auxquelles procureurs, juges et greffiers sont contraints de procéder pour que soient jugées tant bien que mal des centaines de milliers de « petites » affaires dont les média ne font pas leurs choux gras, on s’interroge sur les subtilités procédurales qui conduisent à mobiliser des dizaines ou des centaines d’heures de travail de magistrats pour certains procès. Un droit positif plus simple se traduirait par une redistribution des moyens qui améliorerait considérablement l’efficacité, au profit de l’immense majorité des justiciables. Peut-on chiffrer les dommages qui en résultent ? Il est impossible (dans l’état actuel des statistiques) de savoir combien d’entreprises font faillite parce que devant les tribunaux de commerce engorgés les débiteurs de mauvaise foi parviennent, en jouant sur la procédure, à retarder - jusqu’à ce qu’ils aient organisé leur insolvabilité - la décision qui les contraint à payer. On ne peut pas davantage mesurer exactement combien de malfaiteurs sont remis en liberté du fait d’un vice de forme insignifiant, auquel le code de procédure donne une importance disproportionnée.… Nous estimons que 20 % des honoraires des avocats correspondent à du temps employé à mettre en œuvre des arguties rendues possibles
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5. Nous avons utilisé l’image de la « planche à décrets », par analogie avec la célèbre « planche à billets », qui symbolise l’inflation monétaire, dans un article de la revue Futuribles : « France : l’inflation législative et réglementaire », Futuribles, mai 2007. 6. Voir Olivia Recasens, Jean-Michel Décugis et Christophe Labbé : Justice, la bombe à retardement – Dans les coulisses du tribunal de Bobigny, Robert Laffont, 2007. Ce tribunal de Seine Saint-Denis est un cas extrême, mais il n’a hélas pas le monopole des conditions de fonctionnement calamiteuses.
par un droit hyper-formaliste qui ne reflète pas la simple justice, ou à se défendre contre de telles manœuvres. Ce chiffre d’affaires étant de l’ordre de 4,5 Md€ en 2007, on aboutit à 900 M€ de surcoût pour les frais d’avocat. Ce chiffre ne tient pas compte des autres destructions de valeur provoquées par la complication inutile du droit positif. La complication inutile des règles de procédure coûte aux justiciables au bas mot 900 M€/an en frais d’avocat. E. La complication des textes juridiques coûte 700 M€/an Jetons un coup d’œil sur la loi de finances pour 2009 – loi n° 1425 du 27 décembre 2008. Parmi ses 198 articles, j’en ai choisi un au hasard, le quatorzième. Il est relatif à l’impôt sur les sociétés, plus particulièrement celles qui font partie d’un groupe. L’examen des articles auxquels il se réfère montre qu’il s’agit principalement de toiletter les textes dans lesquels figurent des modalités, notamment de paiement, relatives à une « imposition forfaitaire annuelle » qui semble être supprimée. Sa lecture est édifiante : Le code général des impôts est ainsi modifié : 1. Les deuxième et troisième alinéas de l’article 223 septies sont supprimés ; 2. Les quatrième et cinquième alinéas du même article sont supprimés ;
La lecture du Code général des impôts est édifiante.
3. a) Les articles 223 M, 223 octies, 223 nonies, 223 nonies A, 223 decies, 223 undecies, 1668 A et le 5 de l’article 1920 sont abrogés ; b) Le premier alinéa ainsi que les sixième à douzième alinéas de l’article 223 septies sont supprimés ; c) La deuxième phrase du premier alinéa de l’article 223 A et, dans le huitième alinéa du même article, les mots : « , de l’imposition forfaitaire annuelle » sont supprimés ; d) Au quatrième alinéa du c du 6 de l’article 223 L, les mots : « de l’article 223 M et » et les mots : « l’imposition forfaitaire annuelle et » sont supprimés ; e) Aux IV de l’article 234 duodecies et de l’article 235 ter ZC, les mots : « et l’imposition forfaitaire annuelle mentionnée à l’article 223 septies » sont supprimés ; f) La troisième phrase du premier alinéa de l’article 239 octies est supprimée ; g) Au 1 de l’article 1681 septies, les mots : « l’imposition forfaitaire annuelle et » sont supprimés. »
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Est-ce vraiment cela la loi que nul n’est censé ignorer ? Encore s’agit-il là d’un article ayant pour objet, et pour effet, de simplifier l’épouvantable code des impôts. Il montre que la complication tire en quelque sorte vengeance de sa suppression : il est compliqué de se débarrasser d’une disposition compliquée ! Il a fallu beaucoup de travail pour mettre en place l’imposition forfaitaire, et il en faut à nouveau beaucoup pour abolir ce dispositif une fois sa nocivité (qui aurait pu être détectée au moment où l’on étudiait sa création !) enfin reconnue.
Des milliers de personnes hautement qualifiées perdent leur temps à des tâches improductives imposées par le goût des pouvoirs publics et des administrations pour la complication.
Le travail ainsi gaspillé n’est pas seulement celui des fonctionnaires, membres de cabinets ministériels, et ministres. C’est, plus encore, celui des fiscalistes auxquels doivent avoir recours les sociétés, soit en les embauchant, soit en les consultant, et de toutes les personnes amenées à interroger ces spécialistes et à tirer des leçons de leur expertise. Des milliers de personnes hautement qualifiées perdent ainsi leur temps, obligées qu’elles sont de le consacrer aux tâches improductives qui leur sont imposées par le goût qu’ont pour la complication pouvoirs publics et administrations. Le prix de leur travail se répercute inéluctablement dans nos impôts et dans le prix des biens et services que nous achetons ; il diminue la compétitivité des entreprises françaises en gonflant leurs frais généraux. Pour dérouter l’utilisateur : ne pas dénommer ce dont il est question Le décret n° 2008-1435 du 22 décembre 2008, publié au JO du 30 décembre 2008, est « relatif à la protection sociale complémentaire des agents contractuels de droit public de l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 du code du travail ». Quelle est donc cette mystérieuse institution ? Tout d’abord, l’article de la partie législative du code du travail cité par le décret ne se contente pas de mentionner cette institution : il la crée en disposant que « Une institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière a pour mission de : » (suit la liste des missions de cette nouvelle institution). L’intitulé du décret est donc incorrect, puisque le verbe « mentionner » signifie faire référence à quelque chose qui existe déjà. Il est navrant que, du rédacteur initial au ministre (celui de l’Économie, dans le cas présent), aucune des personnes impliquées dans la mise au point, le contrôle et la signature de ce texte n’ait relevé l’injure faite à la langue française et à la logique !
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Deuxièmement, la loi qui crée cette « institution nationale publique » pour, notamment, fusionner l’ANPE et l’UNEDIC, omet de lui donner un nom : impossible de la nommer simplement dans les textes officiels. Pourtant, dans la communication gouvernementale, une expression a été adoptée : Pôle emploi. Mais elle ne fait pas partie du corpus normatif (lois et règlements). Résultat : plus de cent articles du code du travail y font référence sous la forme alambiquée dont le décret ci-dessus mentionné fournit un exemple – le dernier en date à l’instant où nous écrivons. Il est probable qu’une quantité de travail équivalant à des dizaines de milliers de temps pleins est consacrée à décoder des textes sibyllins tels que celui-ci, à les transcrire dans un langage compréhensible, à demander et fournir des explications, organiser ou suivre des formations. Faisons cependant comme si seulement 16 millions d’heures, l’équivalent de 10 000 temps pleins, étaient consacrées à cette tâche stérile : traduire des textes abscons qui auraient pu (et dû !) être écrits dès l’origine de façon accessible à l’honnête homme : en prenant 70 000 € comme coût moyen de chacune de ces années gaspillées par d’inutiles complications rédactionnelles, on aboutit à 700 M€ gaspillés. Le coût engendré par une rédaction inutilement compliquée des textes juridiques se monte au bas mot à 700 M€ par an. F. La complication arrange le gouvernement, l’administration et le Parlement. Policiers et magistrats sont tenus d’appliquer à la lettre les règles de procédure, sauf à voir leurs efforts réduits à néant pour vice de forme. Il n’en va pas de même de tous les services administratifs, non plus que des simples citoyens. Heureusement, car de l’aveu même d’un préfet, « le pays ne peut fonctionner que parce que la plupart des textes en vigueur ne sont pas appliqués7» . Mais alors, pourquoi tous ces textes ?
Comment parvenir à laisser sa marque dans le texte d’une loi ou d’un décret ? En se rendant indispensable par la haute technicité du texte.
À l’origine d’une loi, il y a généralement un ministre, voire le Président de la République, surtout s’il s’agit d’un hyper-président. Ce ministre est entouré de conseillers – son cabinet – et de hauts fonctionnaires – les directeurs, sous-directeurs et chefs de bureau des administrations centrales sur lesquelles s’étend son autorité. Tout ce beau monde a envie, comme le ministre, d’exercer un pouvoir. Mais comment parvenir à laisser sa marque dans le texte d’une loi ou d’un décret ? En se rendant indispensable par la haute technicité du texte. Il leur faut un pouvoir de technocrates : le pouvoir de ceux qui 7. Claudius Brosse, L’État dinosaure, Albin Michel, 2000, cité par Philippe Sassier et Dominique Lansoy, op. cit.
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maîtrisent une technique et qui disposent, pour la mettre en œuvre, du temps qui fait défaut à leurs ministres. Parfois, s’agissant de sujets effectivement très techniques, c’est naturellement le cas. Mais le plus souvent, la technicité de la chose ne coule pas de source : il faut alors la créer de toute pièce. Compliquer le droit positif, c’est le moyen dont dispose la haute fonction publique pour prendre le pas sur les hommes politiques. Les bureaucrates se déguisent en technocrates ; ce déguisement leur est fourni par la complication des dispositions juridiques, complexité artificielle qui requiert une technicité particulière, que peu de personnes possèdent en dehors d’eux.
Pour faire passer les lois en ayant recours à la discipline majoritaire, mieux vaut que les braves députés et sénateurs « de base » n’y comprennent pas grand-chose.
Mais pourquoi les ministres ne tapent-ils pas du poing sur la table, de façon à imposer des dispositions simples, compréhensibles par le commun des mortels, et par eux-mêmes ? C’est qu’ils y trouvent leur compte : pour faire passer les lois en ayant recours à la discipline majoritaire, mieux vaut que les braves députés et sénateurs « de base » n’y comprennent pas grand-chose. La soi-disant « technicité » du texte permet aux ministres de manœuvrer l’Assemblée et le Sénat comme ils l’ont été par leurs états-majors. Alors, dira-t-on, ce sont les parlementaires qui vont se révolter. Pas du tout, car la complication des lois fait aussi, d’une certaine manière, leur affaire. Ces textes fleuves comportant quantité de mesures disparates et arbitraires se prêtent admirablement au jeu des amendements et du lobbying. Il y aura toujours quelques amendements que pourront faire passer, le cas échéant sous une forme modifiée, les députés ou sénateurs qui souhaitent montrer à leurs électeurs qu’ils sont actifs, qu’ils défendent leurs intérêts et leurs convictions. Quid alors des électeurs ? Beaucoup vont regretter la complexité inutile des lois et de leurs décrets d’application, mais pas au point de se mobiliser pour amener leur élu à réagir vigoureusement : ils préfèrent vaquer à leurs occupations que de se lancer dans un combat ayant peu de chances d’être gagné. Les plus enclins à agir au niveau politique, en revanche, constateront vite que la complication est un atout dans leur jeu : elle permet de trouver des points sur lesquels leurs opérations de lobbying aboutiront, de remporter ces petits succès dont, auprès de leurs mandants militants, syndicalistes ou associatifs, ils pourront se targuer, le cas échéant après avoir habilement monté en neige les quelques blancs d’œufs ainsi mis à leur disposition par le personnel politique. En définitive, si contraire soit-elle à l’intérêt général, la production de complication prospère parce que chacun de ses accroissements
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convient à bon nombre d’intérêts particuliers. Cela montre que le marché politique ne possède pas, même en démocratie, la sympathique propriété qu’Adam Smith avait découverte dans le marché économique : amener des hommes mus par leurs intérêts égoïstes à se comporter d’une manière qui, en définitive, s’avère être profitable au plus grand nombre. La complication comme rideau de fumée La complication ne s’explique pas seulement par les intérêts invoqués ci-dessus. Parmi les autres raisons de son succès, Jacques Calvet, qui travailla aux Finances avant de devenir un grand patron, en indique une : rendre la vérité inaccessible, ou du moins très difficile à découvrir, et impossible à expliquer aux citoyens. Quelques lignes d’un « point de vue » qu’il a publié dans Les Échos du 28 novembre 2007 : « L’incroyable tuyauterie pouvant exister comme un réseau de pipe-lines se mordant la queue entre l’État et les organismes de sécurité sociale, sans parler de nos nombreuses collectivités locales, permet à ceux qui ne veulent rien voir de ne rien voir, et à ceux qui voudraient être informés de rester incapables de comprendre et, à plus forte raison, de décrire à l’opinion publique ce patchwork de relations. »
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II. LA REDISTRIBUTION PAR L’ÉTAT DÉTRUIT ÉNORMEMENT DE VALEUR Dans l’Énéide, un Troyen, voyant arriver le colossal cheval de bois qui allait causer la ruine de sa ville, s’exclame : « Je crains les Grecs, y compris lorsqu’ils font des présents ». Sans doute devrions-nous adapter cette formule aux cadeaux que font les pouvoirs publics, car ils coûtent fort cher à la société civile.
La redistribution par l’État est coûteuse : pour donner 100, il doit prélever 105 ou 110, voire davantage.
L’État ne peut donner aux uns que ce qu’il prend aux autres : il ne distribue pas, il ne fait jamais que redistribuer. Et cette redistribution est coûteuse : pour donner 100, l’État doit prélever 105 ou 110, voire davantage. De plus, elle peut amener les agents (vous, moi, les entreprises, les associations, les collectivités territoriales….) à engager d’importantes dépenses (de temps et d’énergie comme d’argent) si cela permet d’obtenir un cadeau. Si, en dépensant 50, je peux amener l’État à me donner 100 (et par conséquent à vous prendre 110), je suis gagnant : pourquoi m’en abstiendrais-je, dès lors que cela est non seulement légal, mais recommandé ? Pourtant cela aboutit à dissiper en démarches stériles une grande partie de ce qui est prélevé. Quelques exemples de cette redistribution qui, en compliquant tout, en brouillant les pistes, détruit énormément de valeur : A. Les exonérations de cotisations sociales coûtent 600 M€ Divers éléments de rémunération sont exemptés de cotisations sociales. En général, la mesure a été prise pour favoriser un dispositif jugé bénéfique pour les salariés et pour le pays, comme la participation ou l’intéressement, compléments au salaire basés sur les résultats de l’entreprise, ou encore les tickets restaurant et les cotisations aux complémentaires santé. La question de savoir si les indemnités de licenciement constituent un élément de rémunération peut faire l’objet de discussions, mais ce n’est pas ce qui importe ici. Montants des exemptions d’assiette en 2005 Dispositifs 1. Participation et actionnariat salarié
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Montant des rémunérations exemptées de cotisations 16,5 Mds€
1.1 Participation
(7,0)
1.2 Intéressement
(5,9)
1.3 Plan d’épargne en entreprise
(1,5)
1.4 Stock-options
(2,1)
Dispositifs
2.
Aides directes aux salariés
2.1. 2.2. 2.3. 2.4.
Titres restaurant Chèques vacances Avantages accordés par les comités d’entreprise Chèque emploi service universel (2006)
3.
Prévoyance complémentaire, retraite supplémentaire
Montant des rémunérations exemptées de cotisations 5,1 Mds€ (2,1) (0,3) (2,6) (0,1) 13,6 Mds€
3.1 Prévoyance complémentaire 3.2 Retraite supplémentaire
(10,7) (2,8)
3.3 Perco (Plan d’épargne collective)
(0,1)
4.
Rupture du contrat de travail
4.1. Indemnités de licenciement 4.2. Indemnités de mise à la retraite TOTAL
5,8 Mds€ (4,9) (0,9) 41,0 Mds€
Source : Rapport d’information sur l’état des comptes de la sécurité sociale fait par M. Alain Vasselle, Sénateur, Sénat, 9 juillet 2008
Ces exonérations compliquent la tâche des employeurs (services du personnel et de la comptabilité, s’il s’agit d’une entreprise de taille suffisante ; petits patrons) qui doivent faire toutes sortes de distinguos lorsqu’ils établissent les bulletins de paye et les déclarations à l’URSSAF. Elles les amènent également à consacrer temps et énergie à chercher comment en bénéficier le plus possible, c’est-à-dire comment augmenter la part de la rémunération qui prend ces formes privilégiées. Consacrer cette ressource rare à innover, à chercher de nouveaux débouchés, à mieux répondre aux besoins de la clientèle et du personnel, serait autrement bénéfique pour le pays.
Ces exonérations compliquent la tâche des employeurs qui doivent faire toutes sortes de distinguos lorsqu’ils établissent les bulletins de paye et les déclarations à l’URSSAF.
Au total, les sommes destinées au financement de la protection sociale ne sont nullement minorées, car ces exonérations n’ont aucun impact sur les dépenses de la sécu : leur poids est simplement reporté sur les éléments de rémunération qui ne sont pas exemptés de cotisations. La tâche des organismes de recouvrement est augmentée, car les contrôles deviennent plus délicats à effectuer, et doivent être plus nombreux, puisque tous ces dispositifs sont susceptibles d’être utilisés de façon
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excessive par rapport aux règles en vigueur, dans le but de maximiser le rapport entre ce que perçoivent les salariés et ce que débourse l’entreprise. Ces contrôles absorbent de l’énergie à l’intérieur des entreprises comme dans les URSSAF, particulièrement lorsqu’ils débouchent sur des contentieux. Les tensions et le stress qu’engendrent certains d’entre eux découragent les patrons de petites entreprises, qui ont souvent une véritable allergie à la paperasse et aux rapports compliqués avec les administrations. Le manque à gagner pour la collectivité (et pour la sécurité sociale !) des renoncements aux créations et agrandissements d’entreprises qui résultent du « ras-le-bol » de chefs d’entreprises par ailleurs doués et performants est difficile à chiffrer, mais il n’est que trop réel. Supposons que le coût de gestion des exemptions par les URSSAF soit le double de celui du prélèvement des cotisations. Ce dernier étant de l’ordre de 0,5 %, des exemptions portant sur 41 Mds€ de rémunérations majoreraient le coût de fonctionnement des URSSAF de 200 M€ environ.
Les employeurs passent certainement plus de temps que les URSSAF à gérer les exemptions dont ils bénéficient. Disons le double.
Les employeurs passent certainement plus de temps que les URSSAF à gérer les exemptions dont ils bénéficient. Disons le double. Les exemptions augmenteraient donc d’environ 400 M€ les frais de fonctionnement des services du personnel (ou « des ressources humaines »). Les exemptions dont bénéficient certains éléments de rémunération, en compliquant la tâche des employeurs et des URSSAF, coûtent environ 600 M€ par an. B. Subventions et réductions de cotisations sociales engendrent des gaspillages Les réductions de cotisations sociales constituent en France la catégorie la plus importante de mesures censées être en faveur de l’emploi. Leur efficacité est discutée : certains économistes estiment que grâce à elles le nombre des emplois est plus élevé, dans des proportions variables selon les auteurs et les modèles ; d’autres en doutent ; quelques-uns pensent même que ces dispositions, à long terme, sont plutôt défavorables à l’emploi. Ces réductions constituent une variété de subventions : même si l’État ne verse pas un chèque aux employeurs, en réduisant pour certains emplois le taux des charges patronales et en adressant aux organismes de sécurité sociale des chèques du montant de ces réductions, il subventionne ces emplois. Sans trancher la question de leurs effets sur l’emploi, il est possible de montrer que les subventions et réductions de cotisations patronales engendrent des gaspillages considérables (voir l’encadré).
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Microéconomie des subventions et réductions de charges Une entreprise engage des ressources pour obtenir des subventions, ou des réductions de cotisations sociales ; ces dernières ont le même effet que des subventions du montant économisé sur les versements aux organismes sociaux. La microéconomie indique dans quelle mesure la firme est disposée à engager des dépenses dans le but d’obtenir des recettes : elle commence par les dépenses les plus rentables, celles qui sont très inférieures aux recettes obtenues ; et elle continue tant que le supplément de recettes est supérieur au supplément de dépenses qui permet d’en bénéficier. Autrement dit, tant qu’il est possible d’obtenir 100 € de subventions ou réductions de cotisations sociales employeur en entreprenant des démarches et en supportant des manques à gagner pour un total inférieur à 100 €, une entreprise bien gérée le fait. Le manque à gagner peut provenir de l’embauche de personnes relativement peu productives par rapport à leur rémunération : apprentis, personnes souffrant d’un handicap ou d’un défaut d’insertion.. Dans ce cas, la collectivité paye pour des coûts de formation ou de remise en condition, ou encore pour l’accès des handicapés à une vie normale : il n’y a rien à redire. Mais des manques à gagner et des coûts sont liés à la complication des procédures à suivre pour obtenir subventions et exonérations : pendant qu’il remplit un dossier administratif, le responsable d’une petite entreprise n’est disponible ni pour rechercher des clients, ni pour encadrer ses salariés, ni pour chercher comment développer son offre de produits et services ; quant aux entreprises plus importantes, elles sont obligées d’étoffer leur service du personnel et leur comptabilité simplement pour répondre aux exigences des administrations qui conditionnent l’octroi des subventions ou des réductions de charge.
Tant qu’il est possible d’obtenir 100 e de subventions ou réductions de cotisations sociales employeur en entreprenant des démarches et en supportant des manques à gagner pour un total inférieur à 100 e, une entreprise bien gérée le fait.
Quand les procédures administratives sont compliquées et chronophages (dévoreuses de temps), notamment en raison de la multiplicité des filières à connaître et de l’épaisseur des dossiers à remplir, l’entreprise cherche logiquement à ne pas embaucher des cas « lourds », des personnes à productivité fortement réduite, de façon à compenser l’importance des coûts d’obtention des subventions par la légèreté des manques à gagner inhérents à l’emploi de personnes en difficulté. Dès lors les pouvoirs publics achètent de plus en plus de rédaction de paperasses (y compris les dossiers
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transmis par internet) et de moins en moins de participation des entreprises à l’emploi des personnes en difficulté et à la formation sur le tas. Les exonérations de cotisations liées aux réductions du temps de travail, par exemple, étaient destinées à pousser les entreprises à embaucher, à faire travailler plus de personnes moins longtemps chacune. Les entreprises qui n’avaient pas de besoin urgent de compenser les réductions d’horaires par des embauches ont rationnellement concentré leurs efforts sur la confection des dossiers destinés à prouver aux administrations qu’elles remplissaient l’une des conditions ouvrant droit aux subventions même en l’absence d’embauche.
Le coût , pour le contribuable, du traitement des dossiers par les administrations s’ajoute à la part des subventions englouties en pure perte dans la transformation des entreprises en officines de pêche aux subventions.
L’analyse microéconomique standard montre ainsi que les pouvoirs publics, en prenant des dispositions compliquées pour amener les entreprises à se comporter d’une certaine façon en échange de subventions, achètent surtout du travail administratif stérile réalisé au sein des entreprises pour donner du grain à moudre (des dossiers à traiter) aux services dont ils ont la responsabilité. Le coût du traitement des dossiers par les administrations s’ajoute, dans l’addition inévitablement présentée au contribuable, à la part des subventions engloutie en pure perte dans la transformation des entreprises en officines de pêche aux subventions. C. Les allégements généraux de charges coûtent 3,6 Mds€ D’après le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale (septembre 2008), les allégements Aubry et Robien n’ont plus joué aucun rôle en 2008 : le seul allégement général est désormais la réduction des charges patronales sur les bas salaires dit « allégement Fillon ». Celui-ci a minoré les ressources de la sécurité sociale d’environ 22 Mds€ ; ce manque à gagner a été compensé par des Impôts et taxes affectés (ITAF), dont le montant (un peu plus de 40 Mds€ en 2008) couvre non seulement l’allégement général sur les bas salaires, mais aussi tout un ensemble d’allégements et exonérations spécifiques : > Exonération des heures sup (loi Tepa) : 2,8 Mds€ > Apprentissage et autres contrats comportant un aspect formation : 1,3 Md€ > Salariés de l’Outre-mer, des zones franches urbaines…. :1,7 Md€ > Détenus, micro-entreprises, jeunes entreprises innovantes : 0,2 Md€
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Le reste des ITAF (une douzaine de milliards) sert à des régimes ou fonds (par exemple le Fonds solidarité vieillesse, FSV). Aux allégements compensés par des ITAF s’en ajoutent d’autres, non compensés, la sécurité sociale étant censée en retirer un avantage. Les plus connus concernent les emplois familiaux (0,9 Md€ d’allégements) et les aides à domicile (0,6 Md€). Les efforts effectués par les employeurs et les salariés pour rentrer dans une catégorie bénéficiant d’une exonération de charge - même s’ils peuvent monter marginalement jusqu’à 100 % de l’exonération obtenue restent souvent modestes : par exemple, il existait des emplois rémunérés au SMIC avant les exonérations sur les bas salaires, même si le nombre de ces emplois a sensiblement augmenté en réponse aux subventions. On limitera à 10 % du montant des exonérations l’estimation du « prix d’achat » de celles-ci payé par les bénéficiaires, soit 2,8 Mds€. À cette somme s’ajoute le fait que l’augmentation de l’offre d’emplois peu qualifiés attire des populations que leur manque de qualification aurait ordinairement tenues à l’écart : elle stimule une immigration composée de travailleurs peu compétents. Cette immigration est coûteuse pour la sécurité sociale et les pouvoirs publics. À défaut de pouvoir chiffrer ce coût, son existence conduit à considérer les 2,8 Mds€ précédents comme un minimum. Au niveau des frais de recouvrement, les allégements ne procurent aucune économie aux URSSAF, bien au contraire, et ils conduisent l’administration fiscale à recouvrer des taxes qui, autrement, pourraient être supprimées. Il existe donc un surcoût.
La complexité croissante de la législation applicable aux prélèvements obligatoires facilite la fraude.
Sachant que le coût moyen de calcul et recouvrement de l’impôt dépasse en France 1 %, que les ITAF n’ont pas de raison, comme les gros impôts indirects, TVA et TIPP, de se situer en dessous de la moyenne, et que le coût de déclaration et versement par les contribuables (personnes physiques ou morales) n’est certainement pas inférieur aux frais de recouvrement, 40 milliards8 d’ITAF remplaçant des cotisations sociales ou de la CSG se traduisent par 800 M€ de coûts supplémentaires. Au total, les allègements de charges sociales, en compliquant le travail des employeurs et des administrations, génèrent une dépense stérile de l’ordre de 3,6 Mds€ par an. Encore cette estimation ne tient-elle pas compte de l’analyse effectuée par le Conseil des prélèvements obligatoire selon laquelle « la complexité croissante de la législation applicable aux prélèvements obligatoires, par exemple sur les allègements de charges sociales (avec 43 dispositifs différents), facilite la fraude. » (Les Échos du 20 février 2007) 8. Le calcul mérite d’être effectué sur les 40 Mds€, et non seulement sur les 28 servant à compenser les allègements passés en revue, car les autres 12 Mds € servent à alimenter des régimes ou des fonds qui auraient pu l’être, sans frais supplémentaires, grâce à des taux de cotisation légèrement plus élevés
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D. La loi Tepa favorisant les heures supplémentaires coûte 1 Md€ Les avantages consentis pour les heures supplémentaires illustrent la tendance des pouvoirs publics à handicaper l’économie sous prétexte de l’aider. La loi Tepa du 21 août 2007 instaure divers avantages au profit des salariés qui font des « heures sup » et des entreprises qui les leur font faire. Mais ce texte est si compliqué à appliquer qu’il augmente fortement le travail administratif requis des employeurs et plus spécifiquement de leurs services des ressources humaines (RH, jadis service du personnel). Et bien entendu, ce travail stérile coûte cher.
La gestion de la complication absorbe des compétences et du travail qui sont perdus pour la production de biens et services.
Pour profiter de l’allégement de cotisations sociales sur les heures sup, il faut en effet calculer leur nombre, et c’est là que la galère commence. Une première circulaire, de 23 pages, a été publiée à ce sujet le 1er octobre 2007, date à laquelle les nouvelles dispositions entraient en vigueur ; « elle oblige à relever tous les jours d’absence ou de jour férié chômé par le salarié », pour les faire entrer dans le calcul, même si l’entreprise, pour se simplifier la vie, pratiquait un calcul forfaitaire des heures sup dans le cadre de la mensualisation des salaires. Toutes les modalités de calcul sont à revoir : « un vrai casse-tête », selon Les Echos du 29 janvier 2008 et bien d’autres sources d’informations sur les entreprises. Après un pas de clerc sous forme de lettre ministérielle bientôt annulée, une nouvelle circulaire, de 25 pages cette fois, a octroyé « la possibilité que les heures supplémentaires effectuées régulièrement au mois ou à l’année profitent également du dispositif ». Tout le travail effectué pour se conformer à la première circulaire (« modification des fiches de paie, explication du dispositif aux salariés, communication des avancées à l’inspection du travail et aux URSSAF ») s’est révélé être finalement inutile. Une fois ces péripéties achevées, il reste une usine à gaz dont le fonctionnement requiert les services de spécialistes. Comme on peut le lire dans La Tribune du 27 novembre 2008 en conclusion d’un article qui faisait le point sur les aspects de cette loi Tepa relatifs aux heures sup, « afin de bien maîtriser les modalités d’exonération des heures supplémentaires, n’hésitez pas à contacter votre expert comptable pour un diagnostic personnalisé ! » L’intérêt du pays serait-il de multiplier les experts-comptables et les salariés du service des ressources humaines, de plus en plus absorbé par la gestion des complications administratives découlant du droit social, plutôt que les chefs d’entreprise, les ingénieurs, les techniciens, les opérateurs et les vendeurs ? La gestion de la complication absorbe des compétences et du travail qui sont perdus pour la production de biens et services. Un énorme travail est effectué sans aucune création de valeur, simplement parce que les pouvoirs publics ont édicté des règles inutilement compliquées9.
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9. Il est parfois difficile de savoir à qui incombe la responsabilité de cette complication. Ainsi, pour la loi Tepa, une députée UMP interviewée dans Le Cri du contribuable n° 41 du 17 janvier 2008 soutient-elle que le « vrai casse-tête, que les entreprises ne pourront jamais appliquer » résulte d’un « vrai décalage entre ce que nous [les parlementaires] avons l’intention de faire et ce qui est pondu par les ministères. »
Complexité du droit social : les DRH n’en peuvent plus Tel est le titre d’un dossier publié par Les Échos, le quotidien économique bien connu, le 29 janvier 2008. Le chapeau vaut à lui seul le détour : « Termes abscons, contenus flous, mise en œuvre difficile …Les textes régissant le droit social [droit du travail et droit de la protection sociale] sont d’une complexité grandissante, au point que les juristes et les DRH eux-mêmes commencent à s’y perdre. Une tendance qui favorise l’insécurité juridique croissante, multiplie les sources de contentieux, pour finalement décourager l’envie d’innovation sociale. Sans compter le coût induit pour les entreprises, qui recourent davantage aux experts juridiques. » Pour les entreprises, le coût de ces complications est certes compensé par les allégements de charge que leur accorde la loi. Mais qui va se substituer à elles pour financer la sécurité sociale, dont les dépenses, évidemment, ne diminuent pas ? L’État, c’est-à-dire le contribuable … ou le déficit budgétaire. Le coût du travail n’est pas diminué, puisque la loi fait passer le taux de majoration pour les heures sup, dans bien des cas, de 10 % à 25 %, et que des frais de personnel administratif se sont substitués à des cotisations sociales. Les citoyens payent donc l’addition sans bénéficier en contrepartie d’une baisse des prix. Les diminutions de charges patronales résultant de la nouvelle législation des heures sup ont été estimées à 3,3 Mds€ pour 2008 par la Commission des comptes de la sécurité sociale dans son rapport de juin 2008. Compte tenu de l’unanimité avec laquelle est pointée du doigt l’augmentation des coûts administratifs stériles engendrés par ces exonérations, il est difficile d’imaginer qu’ils puissent être inférieurs à 30 % de celles-ci, soit un milliard d’euros.
Les textes régissant le droit social (droit du travail et droit de la protection sociale) sont d’une complexité croissante, au point que les juristes et les DRH eux-mêmes commencent à s’y perdre.
La loi Tepa, du fait de sa complication, engendre une destruction nette de valeur (un travail inutile) s’élevant au moins à 1 Md€/an.
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III - LA COMPLICATION DU SYSTÈME DE RETRAITES Le simple fait que chaque salarié du secteur privé perçoive au moins deux pensions, l’une de la CNAV et l’autre d’une caisse ARRCO, à laquelle s’ajoute une pension AGIRC s’il s’agit d’un cadre, augmente considérablement les frais de gestion. Le travailleur a en effet deux comptes, l’un tenu par la CNAV et l’autre par l’ARRCO, sur lesquels sont conservées les données relatives à ses rémunérations et cotisations, au lieu d’un seul ; deux opérations de liquidation ont lieu ; puis le retraité perçoit deux pensions.
On économiserait la moitié des frais de gestion relatifs au versement des pensions des salariés du privé s’il n’y avait qu’un seul régime obligatoire au lieu de deux ou trois.
Et comme 40 % des nouveaux retraités sont « polypensionnés », c’est-àdire relèvent d’au moins deux régimes de base, cela veut dire pour eux 4 ou 5 régimes en comptant les complémentaires : la situation est encore plus compliquée.
A. La complication des retraites des salariés du privé coûte 1Md€ Commençons par le cas le plus simple et le plus fréquent, celui des salariés du privé qui ne travaillent toute leur vie que sous ce statut. Beaucoup de frais de gestion sont multipliés par deux du fait de la division entre un régime « de base », celui de la sécurité sociale (CNAV), et un régime complémentaire : par exemple, le coût d’un virement est le même quelle que soit la somme concernée ; on économiserait donc la moitié des frais de gestion relatifs au versement des pensions s’il n’y avait qu’un seul régime obligatoire au lieu de deux ou trois. Il en va de même pour les frais engendrés par la tenue des comptes des cotisants. Certains coûts, notamment ceux relatifs à la gestion des minima (minimum vieillesse et minimum contributif) échappent à cette duplication, puisqu’ils incombent uniquement à la CNAV, mais là encore la complication du système majore fortement les coûts de gestion : le minimum vieillesse fait en partie double emploi avec le minimum contributif, et se compose de deux étages, l’un portant la pension au niveau de l’Allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), et le second consistant en une allocation supplémentaire. La comparaison des frais de gestion AGIRC et ARRCO montre combien les frais diminuent, en pourcentage des pensions versées, lorsque le montant unitaire de la pension augmente. Selon le rapport d’activité de l’ARRCO pour 2007, et le rapport de gestion de l’AGIRC pour la même année, les résultats sont les suivants :
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Gestion AGIRC et ARRCO en 2007 Pensions versées Frais de gestion
Coûts de gestion en % des prestations
ARRCO
37 Md€
1,32 Md€
3,6 %
AGIRC
19,4 Md€
0,35 Md€
1,8 %
Autrement dit, la gestion administrative absorbe 1,8 % des sommes disponibles pour verser des pensions AGIRC, en moyenne plutôt confortables (709 € par mois), contre 3,6 %, le double, s’agissant des pensions ARRCO, en moyenne plus modestes (270 € par mois). Cela montre éloquemment combien les frais de gestion diminueraient si une seule structure au lieu de trois percevait les cotisations et versait les pensions – des pensions dont le montant unitaire serait plus important. La CNAV, quant à elle, fonctionne avec des coûts proportionnellement encore moindres : 0,93 Md€ pour 80,8 Md€ de prestations d’assurance vieillesse10, soit 1,15 % de frais de fonctionnement par rapport aux prestations versées. Ce pourcentage doit être majoré du coût de collecte des cotisations par les URSSAF et du fonctionnement de leur maison mère, l’ACOSS ; cette dernière évalue les frais de recouvrement des cotisations à 0,34 % des sommes encaissées, ce qui fait passer le pourcentage des frais de gestion à 1,5 % (1,15 % pour le calcul et le versement des prestations, et 0,34 % pour le recouvrement des cotisations). Ce pourcentage est à rapprocher du montant moyen de la pension de la sécurité sociale : 585€ par mois. Compte tenu de la complication du régime général par rapport au régime des cadres, la CNAV réalise une performance très honorable : elle parvient à fonctionner de façon plus économique alors même qu’elle distribue des prestations de montant inférieur dont le calcul est plus compliqué. Cela peut être imputé en partie à la multiplicité des institutions de retraite complémentaire (il en existe une trentaine pour les cadres) face aux économies d’échelle dont bénéficie une institution gérant les retraites de 30 millions de personnes.
Un régime unique pour les salariés du privé fonctionnerait sans difficulté avec des frais de 1,5% en proportion des pensions versées.
Nous sommes en droit de penser qu’un régime unique pour les salariés du privé fonctionnerait sans difficulté avec des frais de 1,5 % en proportion des pensions versées. Le calcul a minima des économies qui pourraient être réalisées est dès lors facile : > Dépense actuelle : 1,32 + 0,35 + 0,93 = 2,60 Md€ > Dépense pour un régime unique : 1,5 % x (37 + 19,4 + 80,8) = 2,06 Md€ 10. Source : États financiers combinés de l’assurance vieillesse et des comptes individuels de la CNAVTS 2007. Ce poétique intitulé en dit long, à lui seul, sur la tendance à la complication en matière de sécurité sociale …
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Autrement dit, la complication causée par l’empilement de deux ou trois régimes par répartition, Sécurité sociale, ARRCO et AGIRC, coûte au bas mot 540 millions d’euros. Au bas mot, car ce calcul ne tient pas compte des économies d’échelle liées à l’accroissement du montant unitaire des pensions, dont on a vu l’importance11. De plus, un régime unique adoptant des règles plus simples que celles du régime général, comme le sont celles des régimes complémentaires, réaliserait des économies par rapport aux performances actuelles de la CNAV. On peut estimer que les frais liés à l’encaissement d’une cotisation unique seraient les mêmes que ceux inhérents à la cotisation vieillesse du régime général ; si l’on estime, ce qui est très prudent, que l’AGIRC et l’ARRCO ne dépensent en encaissement que 0,34 %, comme la CNAV, il s’agit là de 192 millions de coût inutile s’ajoutant aux 540 millions déjà mis à jour pour ce qui est de la gestion des prestations.
Les employeurs feraient eux aussi de sérieuses économies s’ils n’avaient à verser qu’une cotisation au lieu de deux (ou trois pour les cadres).
Le coût de gestion des retraites des salariés du privé serait donc inférieur de 730 millions au minimum – et probablement plus d’un milliard, en tenant compte des facteurs d’économie qui n’ont pu être chiffrés dans cette estimation rapide – si la France, comme la plupart des autres pays, était dotée pour ces salariés d’un seul régime de retraites par répartition au lieu de trois, fonctionnant selon des règles du type de celles des régimes complémentaires, moins compliquées que celles de la sécurité sociale. La complication des retraites des salariés du secteur privé coûte 730 millions d’euros, et même probablement plus d’1 Md€. Il s’agit là d’un coût pour les seules administrations gestionnaires des retraites. Les employeurs feraient eux aussi de sérieuses économies s’ils n’avaient à verser qu’une cotisation au lieu de deux (ou trois, pour les cadres). Quant aux salariés, ils perdraient moins de temps à classer leurs papiers, à essayer d’estimer leurs droits et à faire liquider leurs pensions ; pertes de temps et causes d’énervement diminueraient : tout le monde serait gagnant ! B. La complication des retraites des salariés indépendants non agricoles coûte 150 M€ Estimons le coût de la complication inhérente à la multiplicité des régimes auxquels se rattachent les travailleurs non salariés12 : exploitants agricoles, artisans, commerçants, et membres des professions libérales. Les statistiques fournies par le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) de septembre 2008 permettent d’effectuer des estimations, sauf en ce qui concerne les exploitants agricoles.
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11. Le taux de 1,5 % pour la CNAV correspond à des pensions s’élevant en moyenne à 585 € ; or nous appliquons ce même taux à des pensions uniques supérieures de 70 % du fait qu’elles représenteraient les retraites complémentaires en même temps que celles de la sécurité sociale. 12. Pour les bénéficiaires des régimes spéciaux, y compris les fonctionnaires, il n’existe pas de régime complémentaire : il n’y a donc pas lieu d’examiner le coût de l’empilement des régimes. Cela ne veut pas dire que la complication de ces régimes n’est pas coûteuse !
Exploitants agricoles : en 2007, le régime de base a versé 8 632 M€ de prestations vieillesse et engagé 182,6 M€ de frais de gestion courante, soit 2,12 % ; le régime complémentaire, pour 444,4 M€ de prestations, n’aurait dépensé que 1,6 M€ en frais de gestion courante. Ce dernier chiffre étant tout à fait invraisemblable - le rapport de la CCSS prévient d’ailleurs que les clés de répartition de ses charges par la Mutualité sociale agricole sont largement arbitraires – il est difficile de savoir ce que coûte l’empilement du régime de base et du régime complémentaire. Peut-être pas très cher, du fait que l’organisme gestionnaire est le même : il y a là un élément de simplification. Pour les autres travailleurs indépendants, l’empilement des régimes (de base et complémentaires) produit des surcoûts analogues à ceux observés pour les salariés du privé. Malgré la fusion en un Régime social des indépendants (RSI) des assurances vieillesse des industriels et commerçants, d’une part, et des artisans, d’autre part, les comptes des deux catégories restent séparés. En ce qui concerne les professions libérales, les données relatives au barreau, qui n’adhère pas à la caisse des autres professions libérales, la CNAVPL, ne sont pas suffisantes pour effectuer nos estimations : le coût de la complication, c’est aussi une certaine obscurité ! RSI-AVIC (industriels et commerçants) : 3 355 M€ de pensions et 158,8 M€ de frais de gestion ( 4,7 %) pour le régime de base, plus 383 M€ de prestations et 40,9 M€ de frais de gestion (10,7 %) pour le régime complémentaire obligatoire. Ce dernier distribue des pensions fort modestes, ce qui entraîne des frais disproportionnés ; on peut estimer que l’existence d’un seul régime économiserait les trois quarts de ces frais, soit 30 M€. RSI-AVA (artisans) : 2 749 M€ distribués par le régime de base, pour un coût de 124,8 M€ (4,5 %) ; 751 M€ et 145,8 M€ pour le régime complémentaire (19,4 % de frais de gestion !). Selon la règle utilisée précédemment, les trois quarts de ces frais, 109 M€, résultent de la superposition inutile de deux régimes. Par prudence, ne retenons que 100 M€.
Le coût de la complication, c’est aussi une certaine obscurité !
Comment compliquer la revalorisation de la valeur de service des points de retraite Le décret n° 2007-1900 du 26 décembre 2007 relatif au régime complémentaire obligatoire d’assurance vieillesse des artisans complète l’article D. 635-8 du Code de la sécurité sociale, relatif à « la revalorisation de la valeur de service du point de retraite du régime complémentaire d’assurance vieillesse des professions artisanales » par un alinéa ainsi rédigé : « Cette revalorisation peut être différenciée selon la date d’acquisition des points et la date de prise d’effet de la pension. Elle peut également être différenciée pour les points attribués au titre des périodes d’activité artisanales [sic] ou assimilées [sic] antérieures au 1er janvier 1979. » 27
Vous qui pensiez que la RSI avait été créé pour remplacer deux régimes par un seul, détrompez-vous : artisans et commerçants gardent chacun le leur, comme le montre ce décret qui ne concerne que les premiers.13
Il y a les surcoûts liés au fait que beaucoup d’assurés sociaux, environ 40% d’entre eux, sont ou deviendront « polypensionnés » (ressortissants de plusieurs régimes de retraite de base).
CNAVPL (professions libérales) : 773,6 M€ de pensions versées par le régime de base entraînent des frais de gestion se montant à 31,6 M€, soit 4,1 %. Pour les régimes complémentaires, gérés séparément par chacune des sections professionnelles, la situation est aux antipodes de celle du RSI : les pensions complémentaires, à 1 715 M€, représentent plus du double des pensions de base, pour des frais de gestion qui restent raisonnables, 95,4 M€(5,6 %). Une partie de ces frais est peut-être liée à la gestion des réserves confortables possédées par les régimes complémentaires, qui montent jusqu’à dix années de prestations. On peut penser dans ce cas que l’unification des régimes de base et complémentaires, les seconds absorbant le premier, économiserait la majeure partie des frais de fonctionnement du premier, soit 20 M€ sur 31,6. Le coût de la complication des retraites des travailleurs indépendants non agricoles s’élève à au moins 150 millions d’euros par an. C. La complication des retraites acquises dans différents régimes de base coûte 500 M€ Il reste à estimer les surcoûts liés au fait que beaucoup d’assurés sociaux – environ 40 % d’entre eux – sont ou deviendront « polypensionnés », c’està-dire ressortissants de plusieurs régimes de base. Le nombre de pensions de base est très supérieur de ce fait au nombre des retraités, et il existe aussi une prolifération de pensions complémentaires : par exemple une personne ayant été agent contractuel de l’État, d’une collectivité territoriale ou d’un hôpital, puis salarié du privé, ne perçoit qu’une pension de base (de la sécurité sociale), mais deux ou trois pensions complémentaires : IRCANTEC, ARRCO, et le cas échéant AGIRC. Si l’on estime à cinq euros le coût de versement d’une pension, soit 60 € par an pour une pension versée mensuellement, et 20 € pour un versement trimestriel, l’existence d’environ 5 millions de pensions de base (que l’on supposera versées mensuellement) et autant de pensions complémentaires (supposées versées chaque trimestre) « inutiles », c’està-dire qui n’existent qu’en raison de la multiplicité des régimes, le surcoût est facile à chiffrer : 300 M€ pour les doublons « de base », et 100 M€ pour les doublons « complémentaires », soit 400 M€. 13. L’erreur peut aussi être de ne pas avoir mis « activité » au pluriel.
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Bien entendu, il existe d’autre surcoûts liés au grand nombre de polypensionnés, que ce soit au niveau de l’encaissement des cotisations, de la tenue des comptes, de la liquidation des pensions…. Ils pourraient difficilement représenter moins de 100 M€. Le coût de la complication des retraites acquises dans différents régimes de base s’élève à au moins 500 millions d’euros. Au total, le simple fait d’avoir une mosaïque de régimes au lieu d’un régime unique de retraites par répartition se traduit par une augmentation des frais de gestion que les estimations les plus prudentes fixent à 1 380 millions d’euros, et qui pourrait bien atteindre, voire dépasser, les 2 milliards. À ces chiffres il conviendrait d’ajouter tous les coûts supportés par les caisses, mais aussi par les employeurs et les ménages, du fait de la complication inutile des règles utilisées pour calculer cotisations et pensions.
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IV. LA COMPLICATION SABOTE LA FORMATION CONTINUE En 2006, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris fit réaliser une évaluation du système français de formation continue par deux économistes du travail particulièrement réputés : > Pierre Cahuc, prix de thèse de l’Association française de sciences économiques en 1989, Prix du meilleur jeune économiste en 2001, aujourd’hui professeur à l’école polytechnique et membre du Conseil d’analyse économique.
Le système de formation professionnelle français est opaque, éclaté, complexe et trop peu transparent pour assurer efficacement l’adaptation de la main d’œuvre et la promotion sociale.
> André Zylberberg, directeur de recherche au CNRS, co-auteur avec Pierre Cahuc de l’ouvrage de référence Labor Economics, une brique de 872 pages publiée par le prestigieux MIT. Le titre de cette étude, accessible sur le site d’André Zylberberg, n’est pas tendre : La formation professionnelle des adultes, un système à la dérive. Et le ministre aujourd’hui en charge du secteur pose le même diagnostic ! (voir encadré) Le diagnostic de Laurent Wauquiez, secrétaire d’État à l’emploi « Aujourd’hui, décrocher une formation relève du parcours du combattant. Trop de gens finissent par renoncer à leur projet, car le montage administratif du dossier est excessivement complexe, sans parler des circuits de financement… » (Interview paru dans La Croix du 23 janvier 2009). À la dérive, pourquoi ? Laissons ces spécialistes s’exprimer. Ils écrivent en conclusion de leur étude : « Le système de formation professionnelle français est opaque, éclaté, complexe et trop peu transparent pour assurer efficacement l’adaptation de la main-d’œuvre et la promotion sociale. » Opacité, complexité, éparpillement, ce sont précisément les attributs de la complication qui portent, selon ces économistes, la responsabilité de l’inefficacité mais aussi de l’inéquité (qu’ils jugent forte) de ce système. Or il ne s’agit pas de petits budgets. En 2006, la dépense nationale de formation professionnelle continue et d’apprentissage s’est élevée à 27,1 Mds€14. Si l’on en retranche 6,6 milliards consacrés aux jeunes, restent 20,5 Mds€ pour la formation continue stricto sensu.
14. L’erreur peut aussi être de ne pas avoir mis « activité » au pluriel.
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Un diagnostic de l’Institut Montaigne « Les multiples dispositifs en faveur de la formation continue des salariés entretiennent la complexité d’un système peu lisible et insuffisamment performant. Cette multiplicité des dispositifs (plan de formation, DIF, congé individuel de formation, congé de bilan de compétence, congé de validation des acquis de l’expérience, période de professionnalisation) compromet l’accès à la formation des moins bien informés et renforce à la fois l’inéquité et l’inefficacité du système. » Henri Lachman et Nicolas Colin, Amicus Curiae (publication de l’Institut Montaigne), juin 2008. A. La complication du système collecteur de fonds coûte 155 M€ La contribution des entreprises transite à hauteur de 5,1 Mds€ par les Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), qui étaient en 2006 au nombre de 99. Les frais de gestion de ces OPCA sont énormes : 414 M€, soit plus de 8 % des sommes gérées. Cela est dû à leur nombre et à la complication du système, sans parler du financement du paritarisme (32 M€ officiels), qui constitue lui-même un système compliqué, grand producteur de complication. Par comparaison avec les frais de gestion des organismes de protection sociale, 5 % serait déjà beaucoup. On peut donc considérer que la complication du système d’organismes collecteurs des cotisations d’entreprises destinées à la formation professionnelle coûte 155 M€ par an.
La formation professionnelle continue est corsetée par de nombreux dispositifs prédéfinis qui contraignent fortement le choix des acteurs.
B. L’empilement des financeurs publics de la formation continue coûte 150 M€ « Le système français de formation professionnelle souffre d’un amoncellement de dispositifs orchestrés par une multitude d’acteurs dont les objectifs et les interventions sont mal coordonnés », expliquent Cahuc et Zylberberg. Il ne s’agit pas seulement de dispositifs légaux et réglementaires : l’Accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003, par exemple, contribue fortement, selon ces économistes, à ce qu’ils appellent « l’accumulation des contraintes institutionnelles ». À leur avis, « la formation professionnelle continue est ainsi corsetée par de nombreux dispositifs prédéfinis qui contraignent fortement le choix des acteurs. » Cette contrainte ne saurait étonner : loi, règlement ou convention collective, tout dispositif normatif a cet objectif et produit cet effet. Ce que nous
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apprend l’analyse réalisée, c’est que le manque de souplesse résultant de l’amoncellement de règles est fortement contreproductif. Ce fait est peu connu parce que, du moins en France, comme le constatent nos deux économistes, « l’évaluation des politiques d’emploi demeure embryonnaire pour ne pas dire inexistante », y compris pour la formation continue. Un rapport rédigé en 2004 par Jean Marimbert, ancien directeur général de l’ANPE, vient à l’appui de ce diagnostic. On y lit : « la coexistence d’au moins trois financeurs transforme trop souvent en parcours du combattant l’identification des possibilités d’accès à des stages et surtout le montage administratif et financier des solutions de formations adaptées à la situation particulière d’un demandeur d’emploi et nécessitant pour ce faire de combiner des participations des trois financeurs. Le temps consacré par des agents du service public pour l’emploi à cette gymnastique est évidemment perdu pour des tâches strictement opérationnelles d’orientation et de suivi des demandeurs d’emploi. »
L’évaluation des politiques d’emploi demeure embryonnaire, pour ne pas dire inexistante.
Autrement dit, comme pour les constructions de bâtiments publics, la multiplicité des financements entraîne des frais administratifs importants : beaucoup de temps et d’énergie sont consacrés à négocier des accords ; les discussions entre administrations absorbent une part importante de leurs moyens. Supposons que ces coûts de transaction (vocabulaire classique en économie) stériles absorbent 20 % de la part des budgets de fonctionnement des dites institutions correspondant à la gestion des formations, et que ces budgets, estimation modeste, s’élèvent à 5 % des sommes affectées aux formations. Cela ferait 1 % de ces sommes gaspillées du fait des complications inhérentes à la multiplicité des financeurs. Cela peut paraître peu mais, sur 14,9 Mds€, cela représente quand même 150 M€. L’empilement des financeurs publics de la formation continue génère des coûts de transaction de l’ordre de 150 M€ par an. C. Le formalisme des obligations en matière de formation professionnelle coûte 2 Mds€ Considérons maintenant le manque d’efficacité d’un système qui, pour donner un peu à chacun, multiplie les formations inefficaces, notamment au niveau du Droit individuel à la formation (DIF) institué par la loi du 4 mai 2004, sur lequel l’appréciation de Cahuc et Zylberberg est négative au point qu’ils en préconisent la suppression15. Cette inefficacité est due pour une large part aux contraintes institutionnelles imposées aux entreprises par l’activité normative des pouvoirs publics et des partenaires sociaux : celle-ci engendre une complication bureaucratique
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15. Le DIF complique la vie des entreprises en les obligeant à offrir à chaque salarié 20 heures de formation par an, « qui n’améliorent nullement les perspectives professionnelles, mais qui sont mises en œuvre simplement parce qu’elles sont en apparence gratuites et constituent une obligation pour les employeurs », écrivent, en caricaturant un peu, Cahuc et Zylberberg.
qui fait obstacle à l’adéquation des formations aux besoins tant des hommes que des entreprises. Lois, règlements et conventions collectives imposent des obligations formelles précisées de façon minutieuse : le DIF, par exemple, porte sur 20 heures par an, cumulables pendant 6 années consécutives ; le budget consacré à la formation doit atteindre tel pourcentage des frais de personnel, selon la taille de l’entreprise, et si ce « crédit » n’est pas intégralement dépensé pour des formations, il devra l’être sous forme du versement du montant manquant à un organisme agréé. C’est le système « former ou payer », typiquement caporaliste : on croirait entendre une variante des histoires de militaires qui, en fin d’année, font tourner les moteurs de véhicules à l’arrêt pour aller jusqu’au bout du budget carburant qui leur a été alloué. L’analyse effectuée par Cahuc et Zylberberg en montre les effets pervers. Un système qui fait de la formation une obligation administrative récolte de la soumission aux règles compliquées fixées par la bureaucratie. Les formations vraiment utiles, en particulier les formations de longue durée nécessaires aux personnes dont le bagage initial est inconsistant, sont sacrifiées au profit d’un amoncellement hétéroclite d’opérations qui ne sont pas toujours franchement professionnalisantes. Si l’on estime que 10 % de l’effort de formation hors apprentissage, soit 20,5 Mds€ en 2006, est gaspillé de ce fait, certaines des formations réalisées correspondant simplement à l’accomplissement d’une formalité obligatoire, sans avoir d’utilité réelle, on arrive à 2 Mds€ : En imposant des contraintes arbitraires qui conduisent à pratiquer des formations sans intérêt, le droit positif de la formation continue engendre environ 2 Mds€ de gaspillages par an.
Un système qui fait de la formation une obligation administrative récolte de la soumission aux règles compliquées fixées par la démocratie.
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V. UNE COMPLICATION CROISSANTE ET COÛTEUSE : LE DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION L’exclusion a des dimensions assez nombreuses, telles que le logement, la santé, l’emploi, la pauvreté monétaire, les troubles de la personnalité et ceux des rapports humains ; il s’agit d’un phénomène naturellement complexe. Mais ce n’est pas une raison, bien au contraire, pour en compliquer le traitement. Considérons l’usage professionnel de l’informatique. Un bon logiciel (de traitement de texte, de comptabilité….) est celui qui simplifie la vie de son utilisateur. Si l’usage du logiciel est compliqué, bonjour l’envolée des coûts de personnel !
Les textes et les institutions consacrés à la lutte contre l’exclusion devraient, comme les logiciels, viser la simplicité d’usage.
Par exemple, comme économiste j’ai besoin d’un traitement de texte facile à utiliser, pour consacrer mes ressources intellectuelles limitées à réfléchir en profondeur aux problèmes que j’essaye d’analyser, plutôt qu’à la technique du logiciel. L’outil est au service de la mission à accomplir ; c’est pourquoi il doit se faire discret, simple d’utilisation. Si les responsables des organismes d’insertion sont submergés par la complication bureaucratique, par les exigences, les lenteurs et les incohérences des organismes qui leur fournissent des moyens et les contrôlent, c’est autant de disponibilité en moins pour faire leur véritable travail : s’occuper des exclus. Les textes et les institutions consacrés à la lutte contre l’exclusion devraient donc, comme les logiciels, viser la simplicité d’usage, et cela d’autant plus que le but est de résoudre des problèmes humains d’une grande complexité. Comme on va le voir, ce n’est malheureusement pas le cas. Leur complication fait que leur utilisation absorbe une partie trop importante des ressources disponibles pour s’attaquer au problème de l’exclusion. A. Un organigramme révélateur Le récent (2008) « Que sais-je » de Julien Damon16 sur l’exclusion contient un graphique qui illustre ce qu’il appelle la « bureaucratisation de la lutte contre l’exclusion ». Il illustre aussi la croissance de la complication dans ce secteur, et l’osmose entre complication et bureaucratisation. Il s’agit des instances qui, à un niveau départemental, ont été mises en place pour mener ou coordonner la lutte contre l’exclusion et la grande pauvreté. Depuis les lois de décentralisation, au début des années 1980, le département est de plus en plus chargé de mettre en œuvre les politiques
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16. Ce spécialiste des problèmes sociaux, et particulièrement de l’exclusion, a notamment publié : La question SDF ; critique d’une action publique (PUF, 2002) et Les quartiers sensibles (La Documentation française, 2004).
en direction des exclus, et il dispose en la matière d’une certaine latitude. À défaut d’avoir su créer un guichet unique, ayant mission d’orienter vers l’organisme le mieux à même de l’aider toute personne ou famille en situation de détresse, on est passé en vingt ans d’une instance, la « cellule pauvreté-précarité », à un empilement de 11 instances. Tous les sigles présents dans le tableau ci-dessous sont explicités, sauf un : CHRS, qui signifie « Centre d’hébergement et de réinsertion sociale ». Chef d’œuvre administratif
On est passé en vingt ans d’une instance, la « cellule pauvretéprécarité », à un empilement de 11 instances.
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B. La complication de l’aide aux SDF coûte 300 Mds€ Julien Damon a particulièrement étudié ce qui est fait pour les personnes « Sans domicile fixe », dites SDF. Entre les chambres d’hôtel payées par des administrations, les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les centres d’hébergement d’urgence et les CHRS, environ 100 000 places sont disponibles, « avec des modes de gestion et de financement différents et effroyablement compliqués ». Les crédits d’État affectés à l’urgence sociale et à la réinsertion ont explosé depuis le début du siècle, dépassant le milliard d’euros depuis 2006. Les prestations sociales perçues par les personnes « sans résidence stable », notamment le RMI et la CMU (qui procure l’assurance maladie gratuite) représentent 400 millions par an. Si l’on y ajoute les sommes dépensées par les collectivités territoriales et les dons des particuliers, on dépasse largement 1,5 Md€ ; Julien Damon écrit même que « on peut raisonnablement estimer que les pouvoirs publics dépensent de 2 à 3 milliards d’euros spécifiquement pour les SDF. Cela reste une estimation fragile, mais minimale. »
Les pouvoirs publics dépensent de 2 à 3 milliards d’euros spécifiquement pour les SDF.
2 Mds€ pour 100 000 personnes, cela fait 20 000 € par personne et par an, 1 667 € par mois, soit l’équivalent du SMIC, toutes charges sociales incluses. En soi, quand on connaît les difficultés à surmonter avant que ne soit « remise à flot » une personne en grande détresse, ce n’est pas forcément trop. En revanche, ce qui est difficilement admissible, c’est que de tels budgets produisent des résultats tellement modestes que très peu de personnes réussissent leur réinsertion. Comment expliquer ce défaut d’efficacité de la lutte contre l’exclusion ? La complication n’est pas seule en cause, mais sa responsabilité est lourde. « Trop grande complexité de l’arsenal législatif et réglementaire ; émiettement des compétences ; faiblesse des systèmes d’information ; accumulation préoccupante de mesures provisoires qui s’éternisent » : le diagnostic du spécialiste est sans appel, et souligne le lien entre cette préférence pour la complication et la « culture de gestion encore trop peu tournée vers l’efficacité » qui caractérise le « complexe bureaucratico-assistanciel. » Un SDF parmi tant d’autres : Genadijus Cet homme originaire de Lituanie a été interviewé par une journaliste, Véronique Mougin, auteur du livre Les SDF, Le cavalier bleu, 2005. À son arrivée (quelques mois avant l’entrée de son pays dans l’Union européenne, ce qui lui a valu de ne pas être éligible au RMI), Genadijus aurait dû être soit renvoyé dans son pays, soit pris
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en charge en vue de son intégration dans la société et l’économie française. Au lieu de quoi, les services compétents ( ?) l’ont abandonné à lui-même. Un Ukrainien qui avait trouvé refuge dans les bois de Versailles l’y a emmené : son insertion s’est réalisée, non dans la société française, mais dans un petit groupe de marginaux vivant sous la tente. Il a fait son possible pour travailler : au noir, à décharger la marchandise au marché à 4 h du matin. Mais une chute nocturne dans le bois où il habite, une foulure non soignée, lui ont fait perdre son job et l’ont rendu boiteux. Maintenant que la Lituanie a intégré l’Union européenne il peut, lui, intégrer … le RMI. Pourtant, dit-il, « tout ce que je veux, c’est un emploi. Aujourd’hui je prendrais n’importe quel job. » L’absence de traitement du problème à l’arrivée de Genadijus a beaucoup accru la difficulté de sa solution. Initialement, un homme de 36 ans, en bonne santé, et animé par une forte volonté de gagner sa vie, aurait probablement pu être mis à peu de frais en situation de travailler. Maintenant, à supposer qu’on s’occupe de lui autrement qu’en lui donnant de l’argent à ne rien faire, il faudra beaucoup d’efforts pour surmonter son découragement et le handicap qu’il a récolté. La pléthore d’organismes, de textes législatifs et réglementaires, n’est visiblement pas ce qu’il faut pour que soit effectuée une intervention (peu coûteuse) au moment opportun ; elle favorise au contraire la dégradation de la situation, et ouvre sur la perspective d’avoir à payer des décennies pour un marginal : quel gâchis !
La pléthore d’organismes, de textes législatifs et réglementaires, ouvre sur la perspective d’avoir à payer des décennies pour un marginal.
Combien coûte la complication de l’aide aux SDF ? Bien sûr, son coût est d’abord humain : des dizaines de milliers de personnes qui restent dans la rue, en marge de la société, et dont la probabilité d’insertion diminue avec le temps. Mais il y a aussi un coût pour le contribuable. 20 000 SDF de moins, objectif raisonnable pour une opération de simplification des procédures et des structures jumelée avec une approche plus professionnelle et moins bureaucratique des problèmes, ce serait 300 M€ économisés chaque année. En traitant de façon désordonnée la question des SDF, les pouvoirs publics français gaspillent au bas mot 300 M€ par an.
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C. La complication des minima sociaux coûte 2 Mds€ Un récent numéro de Recherches et Prévisions17 fait le point sur le système français de minima sociaux, prestations accordés aux titulaires de revenus très faibles afin qu’ils atteignent un niveau de vie à peu près décent. Il en existe dix, pour 3,5 millions d’allocataires, et environ 6 millions de bénéficiaires (enfants d’allocataires….). Cette multiplicité de dispositifs est une spécificité française : les autres pays n’en ont pas tant. Depuis le milieu des années 1970, un nouveau dispositif a été créé chaque fois que les pouvoirs publics ont pris conscience qu’il existait une proportion non négligeable de pauvres dans telle ou telle catégorie de la population. Apparurent successivement : > un minimum invalidité en 1947 ; > le minimum vieillesse en 1956 ;
La gestion et la réforme de ce patchwork de dispositifs hétéroclites dépassent les capacités de l’administration et des pouvoirs publics.
> l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) en 1975 ; > l’Allocation de parents isolés (API) en 1976 ; > pour les chômeurs, en 1979, l’aide au secours exceptionnel, devenue en 1984 Allocation de solidarité spécifique (ASS) ; > l’Allocation veuvage en 1980 ; > l’Allocation d’insertion (AI), destinée à un public hétéroclite comprenant des personnes libérées de prison, des demandeurs d’asile, des victimes d’accidents du travail…., en 1984 ; > en 1988 le RMI, qui a aujourd’hui 1,2 million de bénéficiaires, en attendant son remplacement progressif par le RSA ; > en 1998, l’Allocation équivalent retraite, pour les chômeurs ayant validé au moins 160 trimestres d’assurance vieillesse (cette prestation est mise en extinction à compter du 1er janvier 2009) ; > en 2001, le Revenu de solidarité (RSO), réservé aux départements d’Outre-mer. La gestion et la réforme de ce patchwork de dispositifs hétéroclites dépassent les capacités de l’administration et des pouvoirs publics, comme on le constate lors de certains cafouillages. Exemple : la mise en extinction par la loi du 21 août 2003 de l’assurance veuvage et son remplacement par l’octroi de pensions de réversion à n’importe quel âge. Ces dernières n’ont aucun sens pour de jeunes mères au foyer ayant des enfants à charge : elles n’ont pas besoin d’une minuscule rente viagère versée à un âge précoce, mais d’un coup de main important et temporaire pour reprendre pied et trouver un emploi. Malheureusement la spécificité de leurs problèmes fut oubliée quand se manifesta une volonté politique
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17. Recherches et Prévisions n° 91, mars 2008. Ce numéro contient un article de synthèse, Emmanuelle NauzeFichet, « Le système français de minima sociaux », et huit autres articles dédiés à ce thème.
de supprimer un dispositif : elles furent recasées au hasard de logiques bureaucratiques déconnectées de la réalité18. La multiplicité des dispositifs n’est pas la complication principale, car la diversité des problèmes à traiter est grande, et chacun requiert des instruments adaptés : de même que l’on n’utilise pas les mêmes instruments pour soigner une carie dentaire et un cancer du côlon, de même les prestations destinées à des chômeurs en fin de droit proches de la soixantaine ne sont pas forcément celles qui conviennent pour une personne handicapée de vingt ans ou un accidenté de la vie autour de la quarantaine. Le problème tient plutôt au fait que chaque dispositif est géré par un service spécifique : chacun a « ses pauvres » ; chacun est destiné à les soutenir, plutôt qu’à les faire s’en sortir. Tel est d’ailleurs le problème auquel la transformation du RMI en RSA cherche à apporter une solution. Espérons que ce changement ne sera pas seulement un de ces « aménagements paramétriques » dont Julien Damon dénonce la fréquence excessive, avec pour conséquence que « le système est très instable ». La « valse des mesures », titre d’un article que j’avais consacré en 1987 dans la revue Droit social à l’instabilité des dispositions visant à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes, est hélas toujours d’actualité, dans toutes les dimensions du social. Les minima invalidité puis vieillesse furent les premiers minima sociaux ; leur logique, celle de prestations qui ont les plus grandes chances d’être perçues jusqu’au décès, semble avoir déteint sur les dispositifs qui devraient avoir pour vocation d’aider leurs bénéficiaires à retrouver leur autonomie. La propension bureaucratique à la segmentation compliquée s’est traduite par la création foisonnante d’emplois aidés et de structures d’insertion subventionnées, depuis les CHRS jusqu’aux entreprises d’insertion, sans articulation efficace entre eux et les minima sociaux à vocation temporaire.
Chaque dispositif est géré par un service spécifique : chacun a « ses pauvres » ; chacun est destiné à les soutenir, plutôt qu’à les faire s’en sortir.
En fait, beaucoup de personnes ayant perdu emploi, revenu et capacité de redressement à la suite d’un accident de parcours ont besoin d’être coachées, accompagnées de façon très personnelle dans leur démarche de reconstruction. Les officines spécialisées qui leur fournissent, les unes du RMI et les autres de l’ASS, certaines des petits travaux temporaires et d’autres des emplois aidés, conviennent mal : cela revient à proposer trente-six magasins de prêt-à-porter à des personnes qui ne peuvent être habillées correctement que sur mesure. Le résultat est que trop d’entre elles errent indéfiniment dans ces boutiques bureaucratiques où rien ne leur convient vraiment, alors qu’elles ressortiraient de chez un bon tailleur convenablement vêtues pour redémarrer dans la vie. Sur les 18 milliards consacrés aux minima sociaux, ne retenons que les 18. Voir à ce sujet notre article « Veuvage et protection sociale », Droit social, Décembre 2004.
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8,5 Mds€ correspondant à la rubrique pauvreté-exclusion des comptes de la protection sociale pour 200719, et arrondissons modestement à 10 Mds€ pour inclure une partie du coût des structures d’insertion. Il y a fort à parier qu’avec deux ou trois fois moins de dispositifs, appuyés sur une législation et une réglementation dix fois moins volumineuses et complexes, mais capables de proposer des traitements sur mesure, on obtiendrait de bien meilleurs résultats. Si au point de départ les ressources étaient équivalentes, après quelques années le « stock » de cas difficiles aurait diminué, et 70 à 80 % du budget initial suffiraient pour continuer à faire de l’excellent travail. La complication générée par le complexe bureaucratico-assistanciel engendre un gaspillage d’au moins 2 Mds€ par an.
19. Etudes et Résultats n° 665, octobre 2008
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CONCLUSION La complication appauvriT les francais Il s’en faut de beaucoup que nous ayons fait le tour du sujet ! Une étude explorant tous les principaux gisements de complication bureaucratique que recèle le sous-sol français requerrait des centaines de pages, si ce n’est des milliers. Pensons par exemple au millefeuille qu’est devenue l’administration territoriale, avec 26 régions, 100 départements, 36 783 communes, 345 « pays », 16 communautés urbaines, 169 communautés d’agglomération, 2 393 communautés de communes, 5 syndicats d’agglomération nouvelle, 11 739 syndicats intercommunaux à vocation unique, 1 451 syndicats à vocation multiples et 2 943 syndicats mixtes20, sans compter les arrondissements des grandes villes, les cantons, les circonscriptions électorales, les académies... La décentralisation, au lieu de simplifier la vie des Français en appliquant le principe de subsidiarité, s’est traduite par une formidable vague de complication administrative, et la création de centaines de milliers de postes de fonctionnaires superfétatoires21. Comment compliquer le rebouchage des nids-de-poule « Mon amie Nicole vit dans un petit village. Elle m’appelle pour décommander notre RV. « Pépé est tombé de sa mobylette à cause d’un nid-de-poule. C’est pas grave, mais je m’en vais enguirlander notre maire. » Je m’invite à l’entretien. « Mais enfin Jeannot, pourquoi que le gardechampêtre répare plus les nids-de-poule comme avant ? » Jeannot lève les bras au ciel. « Mais, ma pauvre Nicole, c’est la communauté de communes qui gère tout ça ! Quand il y a un trou sur la route, c’est elle que j’appelle ! Ca me prend dix coups de fil avant de tomber sur la personne responsable, qui prend RV, qui m’envoie trois semaines plus tard deux gars qu’ont l’ordre de mesurer le nid-de-poule. Ils font un rapport. Si le nid-de-poule mesure moins de vingt centimètres sur vingt, j’ai le droit de le reboucher ! Si le nid-de-poule mesure plus, alors c’est de leur ressort. » Martine-Marie Muller, Le Pèlerin du 10 janvier 2008.
La décentralisation s’est traduite par une formidable vague de complication administrative et la création de centaines de milliers de postes de fonctionnaires superfétatoires.
Pensons aussi à la prolifération du droit européen, dans laquelle le Conseil d’État reconnaît une des sources importantes d’inflation normative. L’un des ministres les plus en vue du gouvernement actuel la mettait il y a quelques années dans le même sac que la décentralisation, écrivant :
20. Ces chiffres sont repris du journal Les Échos du 22 janvier 2009. 21. Voir par exemple Roland Hureaux, Les nouveaux féodaux, le contresens de la décentralisation, Gallimard, 2004 ; et le rapport Lambert sur « Les relations entre l’État et les collectivités locales » de décembre 2007, où on peut lire par exemple : « L’enchevêtrement des compétences représente des pertes de temps considérables qui ralentissent l’action publique et les doublons alimentent l’inflation des dépenses. »
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« Toutes les réformes nées de l’Europe, de la décentralisation et de la déconcentration se sont traduites par la sédimentation [c’est-à-dire l’empilement, l’accumulation] des structures .22» Songeons encore à l’accumulation des formalités à accomplir : certaines ont certes été rendues plus faciles, mais beaucoup se sont ajoutées, à l’instar de la masse de certificats qu’il faut faire aujourd’hui établir avant de vendre son logement, ou des démarches à entreprendre pour échapper au retrait de points de permis si par malheur une personne à qui vous avez prêté votre voiture l’a faite flasher par un radar.
Le ratio « emploicomplication sur emploiproduction » devrait constituer un indicateur toujours présent à l’esprit des dirigeants, car il mesure un gisement de productivité globale.
Songeons enfin à l’empilement des aides, tel que l’a décrit Alain Mathieu dans Le modèle anti-social français (éditions du Cri, 2008) en prenant le cas d’un bénéficiaire du RMI : prime de Noël, CMU complémentaire, exonération de taxe d’habitation et de redevance audiovisuelle, exonération de CSG et de CRDS, réduction sur la facture de téléphone, gratuité des transports en commun locaux, tarifs spéciaux pour la cantine des enfants, prise en charge partielle des factures d’eau, de gaz et d’électricité, aides pour le permis de conduire, pour la location d’une mobylette... Comment une aide transitant par dix canaux distincts, requérant donc la confection et le traitement de dix dossiers différents, ne coûterait-elle pas plus cher en frais administratifs de gestion qu’une prestation unique d’un montant équivalent ? La complication bureaucratique a donc pour effet de multiplier les emplois improductifs au détriment de leurs homologues productifs. On s’inquiète, à juste titre, de savoir combien cent travailleurs doivent entretenir de retraités. On devrait calculer de même un autre ratio : pour cent travailleurs produisant des biens et services utiles, combien de personnes travaillent-elles à accomplir des formalités, à remplir des dossiers, à mener des négociations, à recevoir des visiteurs ou à rendre visite, sans aucune utilité réelle, simplement parce que les pouvoirs publics (et aussi, d’ailleurs, des administrations privées) ont mis en place des procédures effroyablement compliquées ? Les secondes sont autant (mais pas par leur faute ! par celle de la complication bureaucratique) à la charge des premiers que les retraités à celle des actifs. Ce ratio « emplois-complication sur emplois-production » devrait constituer un indicateur toujours présent à l’esprit des dirigeants, car il mesure un gisement de productivité globale. Soit par exemple le prélèvement fiscal : s’il l’on se fixait comme objectif de se limiter dans cinq ans à une dizaine d’impôts relativement simples, abandonnant ainsi une centaine de taxes effroyablement complexes, des milliers de jeunes pourraient chaque année se diriger vers des fonctions productrices de biens et services, au lieu d’intégrer l’administration fiscale. 22. Brice Hortefeux et André Levôtre, Jardins à la française, Denoël, 2003.
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Les constructeurs automobiles ont fait de formidables progrès en terme de rendement des moteurs thermiques, et ils continuent : avec un litre de carburant, on produit de plus en plus d’énergie cinétique ; son gaspillage sous forme de chaleur recule d’année en année. Que nos dirigeants s’inspirent de cet exemple ! Sur les 42 milliards d’heures consacrées chaque année, en France, au travail professionnel, il en existe peut-être 10 milliards qui sont gaspillées, en ce sens qu’en étant bien organisés, en faisant les choses simplement et rationnellement, au lieu de tout compliquer et de tout rigidifier, nous pourrions être soit tout aussi riches en travaillant seulement 32 milliards d’heures, soit beaucoup plus riches en travaillant autant. La complication appauvrit la France, et chacun des Français. Sur ce que l’on produit en cent heures de travail réellement utile, on en prélève actuellement probablement 20 % ou davantage comme tribut exigé par la complication, pour payer du travail qui ne sert qu’à surmonter les obstacles créés par la complication bureaucratique. Quel enrichissement ce serait si nous pouvions chaque année, grâce à des réformes simplificatrices, remplacer 500 millions de ces heures de travail stérile par autant d’heures de travail réellement productif ! Certes, la partie n’est pas facile à jouer. La situation créée par des décennies de course à la complication est … complexe ! Il faut autant d’intelligence et d’opiniâtreté pour simplifier nos structures, nos procédures et nos lois que pour améliorer le rendement des moteurs à explosion. Mais serait-ce aux États-Unis seulement que l’on puisse proclamer : yes, we can !?
Sur ce que l’on produit en cent heures de travail réellement utile, on en prélève actuellement probablement 20 % ou davantage comme tribut exigé par la complication.
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Les Monographies de Contribuables Associés
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Ce que nous coûte la complication administrative par Jacques Bichot, économiste, Professeur émérite à l’Université Jean Moulin (Lyon 3)
La complication, c’est de la complexité inutile. Elle appauvrit les Français en multipliant les surcoûts dans de nombreux domaines. Concernant la redistribution par l’État : 4,6 Mds€ pour les exonérations de charges, 2 Mds€ pour la formation continue, 2 Mds€ pour la lutte contre la pauvreté et l’exclusion... De même, la complication des procédures judiciaires engendre un surcoût de 900 M€ (en frais d’avocats), celle des textes juridiques de 700 M€, celle des systèmes de retraites de 1,4 Md€. Bien que stigmatisée, y compris par les plus hautes autorités de l’État, la complication administrative s’aggrave parce qu’elle arrange ces dernières : l’administration l’utilise pour hypertrophier son pouvoir, le gouvernement pour dominer les parlementaires, et ceuxci pour pratiquer le jeu byzantin des amendements de détail destinés à montrer à leurs électeurs qu’ils sont actifs. Et puis, détricoter la complication est très compliqué... Mais la crise économique et financière rend cet effort plus nécessaire que jamais.
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