5 minute read
WE ARE FAMILY
from femmes 222
L'ESTIME DE SOI pierre angulaire de la construction infantile
Dès son plus jeune âge, l’enfant adopte un comportement reflétant la façon dont il se perçoit. Peu importent ses capacités réelles, l'accompagnement bienveillant des adultes est indispensable au quotidien.
TEXTE : AURÉLIE HANTZBERG
« C'EST BIEN LE FILS DE SON PÈRE ! »
Cette phrase dans la bouche des femmes de sa famille revient comme un refrain incessant et cinglant. « J'aurais espéré des mots plus doux de la part de ma grand-mère. Mon père avait un physique avantageux, des yeux clairs, une peau mate, il était vraiment beau mais jamais cela n'a été évoqué. Seule ma maladresse, mon élocution hésitante d'enfant timide me seront sans cesse reprochées. » Beau garçon, la ressemblance troublante avec son père sera pour lui un fardeau.
Il restera pour sa grand-mère, le fils de celui qui n'a pas su aimer sa fille comme elle le méritait. Lourd tribut de leur relation avortée, Johan ressentira longtemps cette rancœur. « J'étais un petit garçon un peu gauche, pas très bon lecteur, pour moi c'était l'héritage de mon père et je n'y pouvais rien j'étais comme ça. » Johan finit par y croire. Il se forge une carapace rude, rongée par la timidité et la peur de mal faire. « Pendant des années, j'ai cru que j'étais comme lui. Et puis ma rencontre avec ma femme a tout changé. Elle m'a immédiatement renvoyé une image positive de moi-même. Je l'ai entendu me dire des mots que j'avais attendus pendant toute mon enfance. » Même s'il se déclare désormais affranchi de ce lourd bagage qu'on a voulu lui faire porter pendant des années, il tient néanmoins à citer un souvenir douloureux.
Lorsqu'il annonça à sa famille son désir de devenir ébéniste. Le couperet tomba, une fois de plus : « Ton père n'a jamais rien fait de ses dix doigts, je ne suis pas sûr que tu sois plus doué que lui. » Cette phrase prononcée par sa mère résonnera longtemps en lui, puis avec le soutien de sa petite amie, il se lancera corps et âme dans cette formation. Malgré les encouragements de ses professeurs et son évolution rapide, Johan doutera longtemps de ses capacités. Il obtiendra son diplôme avec brio, mais ne trouvera pas grâce aux yeux des membres de sa famille. « Je crois que c'était rassurant pour tout le monde de penser que j'étais comme mon père. Sauf que moi je suis tout sauf rude et infidèle ! J'aime les choses raffinées et délicates, travailler le bois, la littérature et les costumes taillés sur mesure ! », plaisante-t-il.
De cette expérience, Johan a tiré des leçons qu'il applique au quotidien avec ses enfants. « Quelle que soit la journée que nous passons, même si je dois les disputer, il ne s'écoule pas une journée sans que je dise à mes enfants quelque chose de positif sur leur petite personne. Pour moi c'est un devoir, au même titre que les nourrir ou les loger », conclut-il.
D'AMOUR ET D'EAU FRAÎCHE
Les auteurs ayant travaillé sur l’acquisition de l’estime de soi ont souligné l’importance, pour le bon développement de cette dernière, de l’expression et de la démonstration par le cercle proche des sentiments… et cela indépendamment de leurs performances ! Peu importe que vous pensiez au fond de vous que votre enfant ne soit pas très doué en course à pied ou en dessin. L'important est qu'il
se sente soutenu. Donnez-lui les clés pour qu'il progresse ! Ainsi, le sentiment même d'amour serait plus bénéfique à l'enfant que la réussite en elle-même.
Et cela se vérifie en classe ! L’estime de soi des élèves populaires auprès de leurs camarades peut donc être plus élevée que celle des premiers de la classe. L’enfant comprendra alors que sa valeur propre, d'où découle son amour propre, ne dépend pas que de sa performance, mais représente un repère stable, relativement indépendant des échecs ou des réussites.
Par ailleurs, la sensibilité à l'échec est fortement influencée par le relationnel: les enfants peu confiants seront d’autant plus hésitants à prendre des décisions qui donneront lieu à des commentaires ou pire à une évaluation systématique du cercle familial. Une bonne estime de soi doit être considérée comme un outil, permettant, ou non, de s’adapter à son environnement. Il existe par exemple un lien fort entre l’estime de soi d’un enfant et ses résultats scolaires.
Plus précisément, il semble qu’une bonne estime de soi permette à l’enfant confronté à des difficultés d’adopter des stratégies de résolution de problèmes adaptées: éviter le renfermement sur soi en recherchant des conseils auprès des proches, prendre du recul sur ses propres comportements et se confronter sans crainte à la réalité.
LE CHAMP DES POSSIBLES
Chez l'enfant, l'estime de soi recouvre de nombreuses dimensions de sa personnalité : le physique, les capacités scolaires, les compétences physiques, la conformité entre pairs et la popularité. Chez l'adulte, les dimensions influent directement l'une sur l'autre. Une bonne estime de soi au niveau social pourra avoir des conséquences directes sur la dimension professionnelle ou intime. Chez les plus jeunes, les ressentis sont plus segmentés. Un enfant pourra présenter une estime de soi très élevée concernant son apparence physique sans que cela n'influe sa perception de ses compétences athlétiques. Un autre phénomène cognitif intervient également. L'enfant peut avoir tendance à hiérarchiser les dimensions de sa personnalité. S'il estime que le sport n'est pas une valeur reconnue au sein de son environnement familial, il pourra perdre toute confiance en lui sur un terrain et se brider dans sa progression. La perception familiale doit donc rester ouverte et respectueuse pour permettre au petit homme de devenir un adulte confiant, sûr de sa valeur et de ses possibilités. Dans une société où les individus sont sans cesse évalués et comparés, les parents, véritables phares dans la tempête, doivent libérer leurs enfants des comparaisons inutiles et faire de l'estime de soi, un repère stable que l'enfant ne perdra pas de vue une fois adulte. ●