JDD du 26 juin 2016

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JDD | 26 juin 2016

Au Festival de Chaillol, dans les Hautes-Alpes, le trio Goldberg nous charme au milieu des prés. ALEXANDRE CHEVILLARD-FESTIVAL DE CHAILLOL

Les festivals S’évader hors des sentiers à tout prix une campagne non polluée par le bruit, nous apportons une qualité d’écoute inestimable. » Et qu’on ne lui fasse pas croire qu’il faut caresser le public dans le sens du poil, soigner sa zone de confort et ne programmer que ce qui se voit et se ALEXIS CAMPION Une qualité d’écoute inestimable valide à la télévision. « C’est mépriCe sont quatre coups de cœur, Son Festival des forêts ne joue sant ! Nous constatons au contraire quatre festivals différents les uns effectivement pas dans la cour que les gens, petits ou grands, cultides autres mais, dans le grand vés ou pas, ont une des mastodontes fourre-tout des manifestations de qui convoitent les grande capacité à l’été, proches par leur démarche stars et attirent les « NOS ÉVÉNEMENTS recevoir et ressenaudacieuse. Consacrés aux mufoules, tels Carcas- APPORTENT LEUR tir des œuvres sinsiques dites « savantes » classiques, sonne ou Carhaix, gulières, étranges… contemporaines, expérimentales qui cette année PROPRE MYTHE AUX Mais pour gagner ou traditionnelles, ouverts aux cette confiance organisent des VIEILLES PIERRES résidences d’artistes et à la créadu public, il nous concerts à 75 ou tion, le Festival des forêts (Oise), 80 € la place pour QUI, EN ÉCHANGE, faut un cadre et ceux de Chaillol (Hautes-Alpes), de Pharrell Williams NOUS PASSENT LEUR une attention à Labeaume (Ardèche) et de Noirlac ou Maître Gims, et chaque détail. » (Cher) sont de véritables invitad’autres autour de ÉNERGIE » Une mission délitions à s’ouvrir à des répertoires 50 € avec Louane Bruno Ory-Lavollée cate, aussi cruciale aussi neufs que pointus et, aussi, à ou Les Insus… que payante, il en est sûr : « C’est en redécouvrir de magnifiques coins Pour bien moins réveillant la curiosité de gens que l’on de France. cher – rarement plus de 32 € et Pour ce faire, ils programment prouve notre force et le bien-fondé souvent moins de 20 –, la manivolontiers des virtuoses pas forcéfestation pilotée par Ory-Lavollée de nos actions. » ment médiatiques mais acceptant s’offre deux créations mondiales Sauf que là où ces miracles sans sourciller de rencontrer leurs du compositeur Philippe Hersant ; opèrent, les élus ne voient parpublics, de jouer en pleine nature un concert sous l’eau par le bioafois que des coûts et des galères ou dans de petites églises devant cousticien marin Pierre Lavagne de de parking dans leurs petites moins 200 spectateurs. Pour Paul Castellan ; un autre dans les arbres agglomérations. « Ils ne se posent Fournier, directeur des Traversées avec la harpiste Delphine Benhaque trop rarement la question de de l’abbaye de Noirlac, tout comme mou. « Nous sommes convaincus l’efficience de nos structures sur pour Bruno Oryque le contempoleurs territoires, témoigne Bruno Lavollée, présiOry-Lavollée. Sur les sept dernières rain est l’avenir du classique. Nous années, nous avons doublé notre dent du Festival « À L’ÈRE DES avons un projet public alors que nos subventions des forêts, une TABLETTES ET DES fort qui par ailleurs ont baissé d’un tiers. Notre plus telle démarche implique 500 écogros financeur reste le bénévolat s’inscrit à l’op- PORTABLES JAMAIS d’une centaine de personnes chaque posé de l’image ÉTEINTS, PRENDRE LE liers à l’année avec élitiste trop soudes ateliers d’éveil. saison ! » Pour s’en sortir, il relève TEMPS, REVENIR AU vent accolée Nous jouons aussi depuis trois ans un autre défi : faire un rôle de mise en entrer le mécénat dans son proa u x m u s i q u e s SENS ET AUX SENS vie du patrimoine. jet. « Nous l’avons hissé à hauteur classiques et contemporaines. N’EST PAS UN LUXE » Nos événements de 80.000 € avec le soutien de 40 Ancien directeur entreprises. Une évolution positive Paul Fournier apportent leur du Centre Pompropre mythe aux mais qui n’enlève rien à la violence pidou, magistrat vieilles pierres et à la responsabilité de la puissance à la Cour des comptes, auteur de qui, en échange, nous passent leur publique lorsque, au plus haut nirapports inspirés et d’un essai sur énergie. » veau, elle se montre dépourvue de la politique culturelle (Aimez-vous À Noirlac, Paul Fournier met stratégie concernant la culture… » Beethoven ? Éloge de la musique l’accent sur l’idée d’accompagneDes inquiétudes qui résonnent ment des publics. « À l’ère des aussi en Ardèche, où Labeaume classique, éd. Le Passeur), Oryen musiques a pourtant de longue tablettes et des portables jamais Lavollée estime faire partie des « trop rares festivals » jouant réeléteints, prendre le temps, revenir au date prouvé son ancrage territorial lement la carte de l’artistique avec sens et aux sens n’est pas un luxe. et, surtout, son inventivité pour une dynamique incitant le public Que ce soit dans une abbaye ou dans organiser des concerts inoubliables À l’opposé du star-system, le Festival des forêts, ceux de Chaillol, Labeaume et Noirlac misent tous sur la création avec succès… À condition d’être soutenus

Acteurs essentiels de l’économie et du vivre-ensemble, les rassemblements culturels estivaux sont à la fête mais restent confrontés à diverses inquiétudes budgétaires, sécuritaires ou existentielles

V

oici l’été et sa pluie d’affiches colorées vantant des festivals plus attirants et garnis les uns que les autres. En France, à l’année, on dénombre plus de 3.000 rendez-vous musique, théâtre, cinéma ou danse. En termes d’offre et de diversité culturelle, ce chiffre nous place en tête des pays européens. Mieux, le bal de 2016 s’ouvre sans « cartocrise », cette carte alarmiste qui, l’an passé, dénombrait la liste des manifestations menacées ou annulées pour cause de rigueur budgétaire. Pourtant, les incertitudes persistent. Le dossier des intermittents, dont l’accord du 28 avril censé calmer les esprits n’a pas été ratifié par le Medef et la CFDT, reste inflammable. Alors qu’il se débat avec sa loi travail, le pouvoir vient de prendre les devants afin de ne pas déclencher d’orage : par décret, il a rendu l’accord d’avril applicable dès mi-juillet, ce qui a pour effet immédiat de retarder l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention d’assurance chômage, et donc de réjouir les milieux artistiques. Subventions instables Il y a aussi la sécurité, priorité absolue depuis les attentats du Bataclan, qui engage des frais. Elle représente désormais 5 % des budgets et

aurait bondi de 30 % dans les plus grands rassemblements de musiques actuelles. En toile de fond de ces aléas, il y a toujours la lutte constante des petits festivals livrés à la concurrence de leurs voisins, dépendants de la bonne volonté des élus locaux et de leurs subventions instables. La refonte des régions – passées de 27 à 18 au 1er janvier – ajoutée à la suppression de la dotation publique aux collectivités territoriales (11 milliards sur trois ans), fait toujours courir la crainte d’aménagements brutaux. Dans ce contexte, les uns convoitent les artistes les plus chers et misent sur le gigantisme. Les autres cultivent leur âme en tablant sur la qualité artistique, sur leur singularité, leur créativité, leurs liens noués avec des bénévoles et des partenaires locaux. Selon une étude de la Sacem, 1 € investi dans un festival rapporte 3 € au territoire qui l’accueille. Et c’est, bien sûr, l’ensemble du spectacle vivant qui bénéficie de cette énergie. Pour l’exemple, en 2015, 76 % des 1.887 festivals de musiques actuelles recensés en France étaient payants : ils ont généré 155 millions d’euros de billetterie, soit un tiers de la recette de ces musiques à l’année. AL.C.

à découvrir, à apprendre, à se surprendre et se dépasser… « Là où d’autres, avec des chanteurs connus de tous sinon rebattus, n’ont qu’une fonction festive d’animation territoriale. »


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