Cultiver les vertus en famille

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CULTIVER LES VERTUS

EN FAMILLE

UN CHEMIN DE BONHEUR

Mame

Direction : Guillaume Arnaud

Direction éditoriale : Sophie Cluzel

Direction artistique : Thérèse Jauze

Édition : Vincent Morch

Direction de fabrication : Thierry Dubus

Fabrication : Florence Bellot

Mise en pages : Text’Oh

© Mame, Paris, 2025 www.mameeditions.com

ISBN : 978-2-7289-3661-8

MDS : MM36618

Tous droits réservés pour tous pays.

AVANT-PROPOS

COMMENT ÊTRE HEUREUX ?

Voilà une question impossible à écarter. Elle revient toujours car elle est profondément inscrite en nous : le bonheur est l’horizon de notre existence.

La quête du bonheur est donc universelle, et aucune personne normalement constituée ne refuse le bonheur. S’il peut arriver de le rejeter pour un temps, souvent à cause d’une situation de profonde souffrance, ce refus d’être heureux est une impasse. Alors, on cherche quand même à s’en approcher, au moins en espérance.

L’APPORT DU CHRISTIANISME

Si le bonheur est un désir universel, les moyens de l’atteindre sont néanmoins très variés. Et, parfois, ils se contredisent. Par exemple, le consumérisme occidental pense le trouver dans l’accumulation des biens matériels, tandis que les spiritualités d’Extrême-Orient insistent sur le détachement des choses de ce monde.

Pour le christianisme, la réponse à la question du bonheur tient en quatre lettres : DIEU. Pour les chrétiens, Dieu est la Source du bonheur. Il est bienheureux en lui-même, et son bonheur est infini. Or, ce bonheur

parfait, il a souhaité le partager. Par pure gratuité, par pur amour, sans aucun mérite de notre part. Nous pouvons alors relier notre quête du bonheur à notre vocation : tous désirent être heureux car tous sont appelés par Dieu au bonheur. En ce sens, la foi confirme l’intuition universelle.

Devant un tel cadeau, qui pourrait rester indifférent ? Nous, chrétiens, devrions être touchés, bouleversés par ce don immense. Pourtant, cette promesse n’a rien d’évident, car nous ne quittons pas le monde. Nous vivons comme nos frères et sœurs en humanité, connaissons exactement les mêmes joies et les mêmes peines qu’eux. Le concile Vatican II l’exprime en ces termes : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ1. » Le chrétien est donc réaliste : le bonheur peut se savourer sur terre, mais pas de manière profonde et durable. Le bonheur ressemble, en quelque sorte, à un beau ciel de Normandie ou de Bretagne : il est variable et changeant et nul n’en est le maître. Il ne prévient pas quand il arrive, pas davantage quand il part.

1. Concile Vatican II, constitution pastorale Gaudium et Spes, 1965, n° 1.

être

?

C’est dans un acte de foi et de confiance que nous acceptons donc ce paradoxe : notre vie est un chemin semé d’épines et d’étoiles. Aucune vie n’échappe aux épreuves, mais nulle n’est privée de consolations. Nous cheminons vers le jour sans déclin où Dieu sera tout en tous. Mais avant d’y parvenir, il faut nous frayer un chemin entre ombres et lumières. Comment faire pour goûter tout de même à ce bonheur terrestre ? Bien qu’il soit variable et changeant, existe-t-il des conditions pour l’accueillir ? Est-il possible de cultiver des attitudes intérieures pour l’attirer ? Et le garder aussi longtemps que possible ?

LES VERTUS, RÉPONSE À LA QUESTION DU BONHEUR

Nous répondons à ces questions par un mot : vertus. Nous ne pouvons pas décider de nos états d’âme, mais nous pouvons cultiver notre âme. Autrement dit, le bonheur ne nous appartient pas, mais il est en notre pouvoir de cultiver des attitudes spirituelles pour l’accueillir. Et telles sont les vertus : des dynamiques intérieures qui nous aident à approcher du bonheur. Elles ne rendent pas heureux à coup sûr – c’est entendu –mais leur exercice régulier dispose notre être à goûter le bonheur.

Nous restons un peu passifs devant le bonheur car nous ne sommes pas capables de le provoquer à coup sûr. Mais, grâce aux vertus, nous sommes actifs dans la réception de ce don. La différence entre une vie sans vertu et une vie vertueuse est donc semblable à celle qui existe entre le sommet d’une montagne et une belle vallée : quand il pleut, les deux reçoivent également la pluie, mais le sommet s’assèche vite, tandis que la vallée est toujours verte et fertile. Les vertus sont donc des leviers spirituels qui nous permettent d’accueillir le bonheur terrestre et de cheminer vers le bonheur céleste, le second étant la perfection du premier.

Les chrétiens le savent : nous sommes faits pour le ciel, le paradis, la béatitude, c’est-à-dire la vie sans fin, en présence de Dieu. L’horizon proposé à tous, c’est la vie éternelle. Le chemin proposé aux chrétiens pour s’approcher de cet horizon, c’est une vie en fidélité à l’Évangile. Les pas à poser au long de ce chemin visent à nous conformer au Seigneur Jésus, par le moyen des vertus. Le Maître nous précède. Comme disciples, nous marchons à sa suite, dans une lente et longue configuration. En mettant nos pas dans ceux du Seigneur, nous nous engageons sur un chemin exigeant et passionnant. Exigeant, car il est étroit et resserré ; passionnant, car sur ce petit sentier des milliards sont passés avant nous et des milliards passeront après nous.

notre proposItIon : CuLtIver Les vertus

EN FAMILLE

Cet ouvrage s’adresse essentiellement à vous, parents, pour vous aider à faire de votre famille une école des vertus, en prenant celles-ci comme horizon de votre éducation. En effet, c’est le lieu le plus facile pour les apprendre par imitation car elles sont essentiellement pratiques, et se mettent en œuvre dans le quotidien. Tous peuvent progresser, grands et petits, et chaque jour est l’occasion d’un progrès.

De plus, chacun aura des vertus qu’il pourra mettre au service des autres. Les qualités des uns inviteront les autres à combler leurs défauts. Chacun pourra partager ses avancés, ses succès, ses difficultés. Vous pouvez vous entraider sur ce chemin, et ce ne sont pas toujours les parents qui donneront à leurs enfants… La vie spirituelle est peut-être l’un des rares domaines où les enfants peuvent, parfois sans le savoir, donner des exemples édifiants à leurs aînés et à leurs parents.

La famille chrétienne permet de vivre la communion des saints à une échelle facilement accessible.

Plus précisément, ce livre vous invite à cultiver sept vertus : les quatre vertus cardinales (prudence, justice, courage et tempérance) et les trois vertus théologales (foi, espérance et charité). Nous commencerons par rappeler quelques fondamentaux sur les vertus, puis

nous évoquerons en détail ces sept vertus, en invitant à chaque fois à cultiver une attitude spirituelle :

– s’asseoir, pour cultiver la prudence ; – rendre à chacun ce qui lui est dû, avec la justice ; – ne pas perdre cœur, grâce au courage ; – habiter sereinement le plaisir, par le moyen de la tempérance ; – percevoir l’invisible, avec la foi ; – entrer dans le temps long, grâce à l’espérance ; – enfin imiter Dieu, par le moyen de la charité.

Cet ouvrage propose une approche éminemment pratique. Nous ne souhaitons pas parler de vertu avec des mots rares et brillants : il y a déjà des ouvrages sur la théorie des vertus, très bien écrits, quoique parfois très abstraits. Nous proposons plutôt d’ouvrir une porte très concrète sur leur mise en œuvre. Des suggestions pratiques seront évoquées pour cultiver plus spécifiquement chaque vertu au sein de votre couple et dans votre famille. Chaque vertu sera mise en lien avec un sacrement en particulier.

UNE ATTITUDE ACTIVE

Il n’est pas anodin que le titre de cet ouvrage, Cultiver les vertus en famille, fasse référence au jardinage, car celui-ci n’est pas une science exacte : bien que reposant sur des principes universels, chaque jardin est unique.

Il en va de même pour nous. Si le Seigneur est le jardinier, notre intériorité est le jardin qu’il se plaît à cultiver. Nous travaillons avec lui, mais comme assistants, pas comme jardiniers en chef. Ainsi, la culture de notre jardin intérieur suppose une synergie, une coopération, une rencontre : si vous êtes seuls aux commandes ou si vous attendez tout de Dieu, la récolte sera maigre ; si vous acceptez de travailler avec le Maître, alors vous serez surpris, positivement, du résultat. Il faut donc chercher le point d’équilibre où Dieu fait sa part et l’humain, la sienne.

EN GUISE INTRODUCTION

VOUS AVEZ DIT VERTU ?

À L’ORIGINE DU MOT

« Vertu » vient de vir qui peut se traduire par « homme » ou « courage ». Par extension, virtus désignera la force virile et, plus largement, les valeurs et les qualités propres à une chose : « La vertu d’un être, c’est ce qui fait sa valeur, autrement dit son excellence propre1. » La vertu permet de poser des actes bons et, ainsi, de se bonifier. Elle est l’habitude de faire le bien. Elle permet de donner le meilleur de soi-même.

AGIr pour être heureux

La vertu permettant de poser des actes bons, elle permet de mener une vie bonne. C’est pourquoi l’exercice de la vertu permet de répondre à la question du bonheur. Cette quête du bonheur étant éminemment pratique, la vertu vise l’action : « La vertu est disposition à l’acte, pas au sentiment2. » Il est inutile de lire un livre sur les vertus sans passer aux actes, ce serait une perte de temps ! En revanche, découvrir les vertus pour mieux agir est un levier décisif pour bonifier nos vies.

1. André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, Le livre de poche, 2018, p. 12.

2. Pascal Ide, Construire sa personnalité, Éd. du Jubilé, 1991, p. 32.

Un peu de théorie est donc la bienvenue pour les déployer.

LA RÉVOLUTION DU CHRISTIANISME

Avant le christianisme, les vertus étaient pratiquées pour elles-mêmes : il s’agissait de cultiver les vertus, mais sans connaître celui qui en constituait l’origine et le terme : le Christ. Avec lui, il n’est plus question d’acquérir des qualités physiques et spirituelles à la force du poignet, mais de rencontrer celui qui est considéré comme l’alpha et l’oméga de toutes les vertus. Dans cette perspective, les vertus ne sont plus des fins en soi.

Elles deviennent des chemins vers Dieu : « Le but d’une vie vertueuse consiste à devenir semblable à Dieu1. »

De plus, la vertu n’est plus réservée aux héros et aux grands, comme dans l’Antiquité : désormais tous peuvent la cultiver. L’Évangile a permis le passage de l’amour des vertus aux vertus de l’amour2 .

Deux Groupes De vertus…

La théologie morale distingue deux types de vertus : – les vertus morales, qui engagent notre relation avec les autres ;

1. Saint Grégoire de Nysse (335-395), Sur les Béatitudes, 1.

2. Voir Gilles Jeanguenin, Les Vertus dépoussiérées par saint François de Sales, Éd. de l’Emmanuel, 2012, p. 19.

– les vertus théologales, qui engagent notre relation avec Dieu.

Les vertus morales peuvent se cultiver sur la base de la volonté et de la persévérance, indépendamment de la foi. En revanche, les vertus théologales ne peuvent pas se déployer sans une relation à Dieu. Un athée peut très bien être vertueux dans bien des vertus, mais la foi, l’espérance et la charité lui échapperont… jusqu’au jour où il fera la rencontre du Christ. À ce propos, il est à noter que les chrétiens ne peuvent pas négliger les vertus morales. Ce serait contre-productif de déployer une vie spirituelle intense sans avoir des fondations humaines solides. … pourtAnt

InterConneCtÉs

Les vertus font système : tels les membres d’un corps, elles sont interdépendantes. C’est donc ensemble qu’elles brillent ou ensemble qu’elles sont ternes. Si bien que la diminution d’une vertu met les autres en péril : « Perdre une vertu, c’est perdre toutes les autres1 ! » Inversement, la croissance d’une vertu bénéficie à toutes les autres. Il est donc capital de jeter, avec les vertus morales, des bases solides qui seront couronnées par les vertus théologales.

1. Pascal Ide, Construire sa personnalité, p. 95.

L’ART DU JUSTE MILIEU

La vertu est définie par Aristote comme la ligne de crête qui évite deux défauts opposés : « In medio stat virtus » (« la vertu se tient dans le juste milieu »). Par conséquent, « toute vertu est fondée sur la mesure1 ». Attention, cependant, à ne pas confondre médiété avec médiocrité, car la médiété est un optimum et une excellence.

L’exercice de la vertu est donc caractérisé par un équilibre, sans cesse à cultiver, car jamais atteint. Un peu comme la marche, qui est un déséquilibre contrôlé, l’exercice des vertus n’est pas statique mais dynamique et suppose un ajustement incessant. Nous sommes toujours en apprentissage et nous avons toujours des progrès à faire. Autrement dit, les vertus sont en perpétuelle acquisition : « Toute vertu morale ou théologale est de l’ordre de la progression jamais achevée, non de la perfection2. »

DÉFINITION

La vertu ne peut naître sans un minimum de répétition, tout à l’image d’un sportif qui s’entraîne pour progresser. Son acquisition suppose une éducation qui

1. Sénèque (8 av. J.-C.-65 apr. J.-C.), Lettres à Lucilius, LXVI.

2. François duthel, Lettre des Équipes Notre-Dame, n° 257, p. 9.

n’est pas livresque mais pratique : « La vertu ne s’apprend pas en lisant des livres, mais d’abord au contact d’hommes d’expérience et par imitation1. » Pour le dire autrement : « C’est en imitant la vertu qu’on devient vertueux2. » Elle infuse lentement et sûrement dans nos vies.

Cela dit, il serait dangereux de réduire la vertu à une habitude car ce mot peut évoquer la routine. Ce qui donnera une âme à un acte vertueux, ce n’est pas l’habitude mais l’habitus, à savoir le fait que cet acte est à la fois spontané et habité, toujours nouveau. L’habitus est ce qui donne vie à nos actes. Il est important de bien saisir cet état d’esprit pour pratiquer la vertu, sans quoi la répétition sera peu épanouissante et la vertu perdra beaucoup de son intérêt.

« Nous sommes ce que nous faisons habituellement », écrit Aristote. C’est pourquoi nos actions ne sont pas neutres : elles nous façonnent. Les plis de l’âme peuvent donc être travaillés pour leur donner une bonne forme, mais l’inverse est vrai : de mauvaises habitudes produisent des réflexes malsains.

Ainsi, il est possible d’adopter la définition suivante de la vertu : « Une disposition stable acquise par répé-

1. Pascal Ide, Construire sa personnalité, p. 34.

2. André Comte-SponvIlle, Petit traité des grandes vertus, p. 26.

tition à poser des opérations bonnes, facilement, agréablement et sans erreur1. »

UNE LENTE TRANSFORMATION

L’acquisition des vertus n’est pas une autoflagellation : « Maîtriser n’est pas mépriser2 ! » Le but n’est pas de se briser, mais de progresser. L’humble acceptation de ses défauts est un point de départ décisif pour bien grandir. Puis viendra le temps de l’exercice des vertus. Enfin, la grâce transfigurera nos efforts, comme le dit Jésus à saint Paul : « Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse3. » Ainsi, la croissance dans la vertu est un chemin indéfini, qui suppose le don de Dieu et l’effort de la personne humaine. Si l’un des deux termes disparaît, la vertu s’évanouit : soit parce que nous prétendons l’acquérir à la force du poignet, soit parce que nous pensons qu’elle sera accordée sans effort.

S’ENTRAIDER

Les vertus s’apprennent facilement par imitation. Le saint curé d’Ars le notait en ces termes : « La vertu passe du cœur des mères dans le cœur des enfants qui

1. Pascal Ide, Construire sa personnalité, p. 24.

2. Ibid., p. 258.

3. Deuxième lettre aux Corinthiens 12, 9. Toutes les citations bibliques sont tirées de la Traduction officielle liturgique (Mame, 2013).

font volontiers ce qu’ils voient faire1. » Ainsi, comme parent, il est plus simple de commenter un acte en expliquant en quoi il est vertueux (ou non) que de noyer vos enfants par une théorie trop abstraite. Par conséquent, les jeunes peuvent grandir en vertu par imprégnation. N’oubliez pas que vous êtes en première ligne dans cette transmission : il est important d’aider l’enfant à comprendre ses échecs et de ne pas le laisser seul dans une impasse. Il a droit à l’erreur, et vous avez le devoir de l’accompagner.

1. Bernard Nodet, Jean-Marie Vianney, curé d’Ars. Sa pensée, son cœur, Éd. du Cerf, 2006, p. 226.

PRENDRE LE TEMPS DE S’ASSEOIR

LA PRUDENCE

« L’homme avisé regarde où il met les pieds. »

Proverbes 14, 15.

« J’ai toujours, près de moi, six fidèles amis. C’est à eux que je dois tout ce que j’ai appris. Leurs noms sont : Quand, Où, Quoi, Comment, Pourquoi et Qui. »

Rudyard Kipling.

pourQuoI est-IL ImportAnt De CuLtIver

LA pruDenCe ?

Dans la vie, les écueils ne manquent pas d’arriver, mais plus spécialement à ceux qui ne sont pas prévoyants. Une fois parti en vacances, vous découvrez, par exemple, que vous avez oublié un objet important, sans pouvoir faire marche arrière (un chargeur, un cadeau à offrir, un livre à rendre). Vous vous mordez les doigts de cet oubli fâcheux mais ce n’est pas la première fois : vous êtes habitué de ce genre d’omission. Ou encore, vous découvrez une erreur dans votre

déclaration d’impôts. C’est vrai, vous étiez un peu « à la bourre », mais tomber dans le panneau à ce point, quelle erreur de débutant ! Enfin, pour terminer ce panorama, vous êtes toujours en retard, pressé par l’agenda, et vos décisions sont toujours prises sur un coup de tête. Elles vous plombent souvent car ce n’est pas vous qui menez votre vie, c’est plutôt elle qui vous mène.

Comment rebondir ? En cultivant la vertu de prudence. Elle est en net recul dans un monde qui accélère de plus en plus et qui prend de moins en moins le temps d’anticiper. L’intelligence artificielle risque même d’accélérer encore ce mouvement. La prudence semble une « espèce menacée » et tend à se réduire comme peau de chagrin. Pourtant, il est bon de cultiver cette vertu qui nous évite bien des maux. Il est temps de quitter le sable de l’imprudence pour bâtir sur des fondations plus solides ! Voyons comment faire.

Qu’est-Ce Que LA pruDenCe ?

Ajuster les moyens au but

La prudence est la vertu qui permet d’ajuster les moyens pour atteindre son but. Elle concerne toutes les activités humaines : des plus simples au plus complexes, des plus communes au plus rares, celles pratiquées seul ou en groupe. L’image bien connue de

l’Évangile est celle d’un homme qui souhaite bâtir une tour1 : s’il est prudent, il va chercher à ajuster son projet avec ses ressources ; s’il se lance au contraire le nez au vent sans réfléchir, il va au-devant de bien des maux. Souvent, en effet, nous souffrons de notre propre imprudence. Mais si nous partons de ce que nous pouvons faire, nous ne risquerons pas de viser trop haut et nos projets réussiront.

Détecter les obstacles

Puisque la vie comporte immanquablement des dangers, il convient de développer la faculté de les détecter. Telle une carte marine qui recense les récifs dangereux, la prudence nous permet de tracer notre chemin sereinement. Sans elle, nous risquons de payer cher notre négligence : « Qui n’obéit pas au gouvernail, obéit à l’écueil ! » Certes, le prudent n’est pas immunisé contre les accidents et les imprévus : la vertu de prudence ne sera en aucun cas une « assurance tous risques » contre les aléas de l’existence. Mais sa mise en pratique aidera toutefois à éviter bien des obstacles. un acte d’intelligence pratique

La prudence est un acte d’intelligence, mais d’intelligence pratique : c’est pourquoi elle est accessible à tous. Le « bon sens paysan » préserve parfois d’erreurs

1. Voir Luc 14, 28-30.

commises par des esprits brillants, comme le confirme cette histoire. Le 23 septembre 1999, la sonde américaine Mars Climate Orbiter s’écrase sur la Planète rouge. C’est un échec cuisant pour la Nasa. L’addition est salée : en quelques minutes, 325 millions de dollars ont été volatilisés ! Une enquête est ouverte pour comprendre la raison de ce crash. La cause est rapidement identifiée. Il s’agit d’une erreur de débutant, dans laquelle de brillants ingénieurs sont tombés à pieds joints : une équipe a travaillé en mètres et une autre, avec le système anglo-saxon, en pieds. La sonde n’a pas pu compenser cet écart et a fini par se désintégrer.

Une simple mesure de prudence, en coordonnant les méthodes de travail par exemple, aurait permis d’éviter cette fin dramatique. Preuve que l’intelligence ne rend pas nécessairement prudent : il faut toujours passer par l’étape du discernement, puisque bien souvent « le diable est dans les détails ».

La vertu des chefs

La prudence permet de conduire sa vie mais aussi celle des autres – ainsi est-elle tout particulièrement nécessaire pour les chefs. Les décisions qui engagent un groupe humain étant lourdes de conséquences, elles doivent être prises avec sagesse, discernement et réflexion. Ce fioretti de saint Thomas d’Aquin l’illustre. On cherche un frère apte à gouverner un couvent

dominicain et, pour cela, on prend conseil auprès de Thomas. Il demande alors qu’on lui présente trois moines, ayant chacun une qualité différente : un saint moine, un moine intelligent, et enfin un moine prudent. Alors, le saint déclare : « Le plus intelligent, qu’il étudie ; le plus saint, qu’il prie ; mais le plus prudent, qu’il gouverne. » Cela dit, rien n’interdit au saint et à l’intelligent de développer, eux aussi, la prudence. Cette vertu, comme toutes les vertus morales, peut se déployer moyennant du temps, de la bonne volonté et l’imitation de bons exemples. Si tous ne sont pas destinés à devenir des chefs, tous peuvent déployer la vertu des chefs, la cheffe des vertus cardinales.

CE QUE LA PRUDENCE N’EST PAS

La prudence n’est pas l’inaction

Ni attentisme ni exposition disproportionnée au danger : la prudence est le juste milieu qui permet d’agir sans subir de dommages. Le prudent n’est donc pas celui qui reste les bras croisés : il cherche plutôt à larguer les amarres au bon moment, dans les bonnes conditions. Il agit dans le bon tempo : ni trop tôt (car il prend le temps de réfléchir), ni trop tard (car il ne se perd pas dans ses réflexions). Par conséquent, si le prudent ne se lance pas dans son projet, s’il diffère son départ, c’est que les conditions pour réussir ne sont pas

encore réunies. Il fait donc preuve d’humilité devant les circonstances qui s’imposent à lui. Il n’abandonne pas mais « recule pour mieux sauter », comme le dit si bien la sagesse populaire.

La prudence n’est pas le refus des risques

L’art de la prudence consiste à réunir les bons ingrédients pour que l’action soit couronnée de succès. Dans une situation donnée, le prudent définit en conscience les critères à vérifier sur la base des lois morales, des règlements, de son expérience et de son bon sens. Mais il ne s’englue pas dans des vérifications interminables, car il sait bien que le risque zéro n’existe pas.

Or, aujourd’hui, le principe de précaution, qui n’a rien à avoir avec la vertu de prudence, semble l’emporter et « se transforme en principe d’inaction1 ». Vivre, c’est accepter de prendre un minimum de risques. Et être prudent, c’est plutôt essayer de maîtriser les risques, dans la mesure de nos moyens, et de vivre au mieux avec eux.

1. François Asselin, Famille chrétienne, n° 2006, p. 12.

ConCrÈtement : Les poInts D’AppuI DE

LA PRUDENCE

Considérer le temps comme un allié

Comme le souligne la sagesse populaire : « La précipitation est mauvaise conseillère. » Être prudent suppose de « lever le nez du guidon » pour inscrire dans son agenda le temps de la réflexion. Si anticiper permet de décider sereinement, la précipitation, au contraire, saborde l’exercice de la prudence. L’imprudent, piégé par son agenda, est pris au dépourvu. La vie finira par décider pour lui et, souvent, le conduira là où il n’aurait pas voulu aller. La prudence permet donc d’habiter le temps et évite de le subir.

prendre le temps de s’asseoir

Dans la Bible, le maître enseigne en position assise.

C’est ce que fait Jésus au début du Sermon sur la montagne : « Voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui1. »

Le disciple est également dans cette position pour écouter : « Marie, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole2. » Cette position est enfin celle de celui qui médite : « Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour

1. Matthieu 5, 1.

2. Luc 10, 39.

calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout1 ? »

En deux mille ans, nos conditions de vie ont énormément changé. Pourtant, nous ne sommes pas si différents de l’homme biblique. Pour le dire autrement : il existe de grandes constantes dans la nature humaine. Le monde change, mais pas notre être profond : nous avons donc la même « pâte humaine » que nos lointains prédécesseurs. En dernière analyse, nous avons les mêmes défis à relever qu’eux. La parole de Dieu nous exhorte donc à prendre le temps de nous asseoir pour discerner. Si nous ne prenons pas ce temps, nous sommes imprudents et nous nous exposons à commettre de nombreuses erreurs.

De l’importance de discerner

Pourquoi s’arrêter pour discerner ? D’abord parce que personne ne prendra ce temps à notre place. C’est nous qui décidons de nous arrêter pour réfléchir avant de construire la tour de notre vie. Si nous ne prenons pas ce temps, elle risque d’arrêter de s’élever, faute de matériaux suffisants ou d’un plan correctement établi. Elle pourrait aussi s’effondrer, si ses fondations ne sont pas assez solides : « Et celui qui entend de moi ces paroles sans les mettre en pratique est comparable à un

1. Luc 14, 28.

homme insensé qui a construit sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé, ils sont venus battre cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet1. »

Ensuite, nous avons tout intérêt à sacrifier quelques heures de réflexion en amont d’un engagement significatif. Il est bon d’affiner son discernement comme on affûte une hache : « Si je disposais de neuf heures pour abattre un arbre, j’en emploierais six pour affûter ma hache2 ! » Le temps investi n’est jamais perdu ; il sera même retrouvé avec les intérêts.

Enfin, devant notre objectif et avec les moyens dont nous disposons, nous pouvons choisir soit de nous lancer dans l’aventure, soit de réviser notre projet. Cette humilité est un rempart contre la folie des grandeurs. Elle évite de foncer tête baissée dans un chemin sans issue. Autant redimensionner humblement une tour, mais qui finira par sortir de terre, plutôt que de laisser inachevé un projet trop ambitieux !

Quelques critères de discernement

Quels sont les principaux critères pour poser un bon discernement ? En voici quelques-uns :

1. Matthieu 7, 26-27.

2. Abraham Lincoln (1809-1865).

– d’abord, il y a un critère central : le bien produit de bons fruits, le mal produit de mauvais fruits, selon le mot bien connu du Christ : « Un arbre bon ne peut pas donner des fruits mauvais, ni un arbre qui pourrit donner de beaux fruits1 » ; – pour évaluer ces fruits, il faut laisser passer un peu de temps car, au commencement, il n’est pas toujours simple de séparer le bon grain de l’ivraie, tant ils peuvent se ressembler. Plus le temps passe, plus les fruits deviennent manifestes et visibles : le choix en est donc facilité. Le discernement ne peut donc être posé que dans un temps moyen ou long ; – le fruit du Saint-Esprit se diffracte en plusieurs manifestations : « Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi2. » En discerner certaines est un indicateur pertinent d’un discernement juste. En revanche, si aucune n’est présente, nous avons certainement fait fausse route et il serait bon de reprendre notre discernement pour considérer de nouvelles options ; – parmi ces fruits qui suivent une prise de décision, la paix est un critère important à vérifier. Si cette décision nous laisse sereins, elle est sans doute bonne. En revanche, si nous sommes agités et si nous perdons

1. Matthieu 7, 18.

2. Lettre aux Galates 5, 22-23.

la paix, c’est un appel à reconsidérer notre discernement ; – enfin, des confirmations peuvent être reçues. Nous pouvons accueillir des événements qui confirment le choix que nous sommes sur le point de faire pendant notre réflexion. Ils peuvent aussi intervenir après, comme un encouragement à avancer dans la voie retenue. En leur absence, notre discernement est fragile et il est important de différer notre décision.

relire notre histoire

Pour cultiver la prudence, il est bon de prendre régulièrement le temps de relire notre histoire. Ce regard posé sur le chemin parcouru est toujours édifiant. Il permet, en premier lieu, de faire un bilan sur la période écoulée (journée, semaine, mois ou année). Ce bilan est factuel. Comme il s’appuie sur notre mémoire, pour bien l’effectuer, il est tout indiqué de disposer d’un agenda papier, car le cerveau photographie mieux les événements sur ce support que sur un écran. De même, il est très utile de rédiger chaque soir quelques lignes dans un «  Journal des grâces ».

Y écrire ses joies en fin de journée est un excellent exercice pour développer la gratitude.

En second lieu, le bilan étant effectué, il est possible de passer à la relecture à proprement parler. On passe alors du regard objectif au regard de foi. Autant le

bilan est praticable par tous, autant cette relecture suppose un regard chrétien. Grâce à lui, nous pouvons chercher les traces de Dieu dans notre histoire. Comment Dieu s’est-il invité dans nos vies ? Comment l’avons-nous accueilli ? Relions-nous les événements entre eux dans une certaine cohérence ? Pouvons-nous en déduire le pas suivant que Dieu nous invite à poser ?

Demander conseil

Le conseil demande une certaine humilité car il n’est jamais facile d’aller chercher une parole de sagesse. Cela suppose de sortir de nous-mêmes, de présenter notre questionnement à une personne de confiance, et d’intégrer un autre regard que le nôtre dans notre discernement. Le conseil est précieux pour bien décider.

Sans lui, nous restons seuls face à nos questions. Avec lui, de nouvelles perspectives s’ouvrent : « Sans concertation, le projet avorte ; un conseil élargi lui donne consistance 1 . » Ceux qui prennent conseil enrichissent leur discernement, ceux qui ne le cherchent pas risquent de se fier à leur seule opinion.

Deux écueils sont toutefois à souligner. Le premier consiste à se fier aveuglément à un seul conseil : l’erreur consiste alors à laisser un autre décider à notre place. Un conseil doit participer à notre discernement, non le 1. Proverbes 15, 22.

remplacer. Déléguer une décision est dangereux, car on risque de la subir. Le second écueil consiste à recueillir trop de conseils. Au-delà d’un certain nombre notre vision se brouille, ce qui complique notre décision. En somme, le conseil n’échappe pas à la règle générale de la vertu qui est le juste milieu : ni trop, ni trop peu.

être attentif aux signaux d’alerte

Les signaux d’alerte doivent être entendus afin de reconsidérer nos choix s’ils se révèlent mauvais.

En effet, avant de tomber dans le ravin de l’imprudence, il y a souvent quelques panneaux, comme le souligne l’histoire suivante. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe fut en pleine reconstruction. En Italie, on commença à parler de Giovanni Battista Giuffrè, un banquier. Il offrait à ses clients des placements à des taux d’intérêt qui allaient de 20 % à 100 %, ce qui lui permettait de se faire appeler « le banquier de Dieu ». D’autant plus que, parmi ses clients, il comptait des couvents et des diocèses…

Malgré les avertissements du pape Pie XII, les clients du « banquier de Dieu » roulaient sur l’or et ne changeaient rien dans leur comportement. Cela ne dura qu’un moment, et l’heure des comptes finit par sonner. Le 17 avril 1958, ce fut la faillite. Au total, il y eut 25 000 perdants et des milliards de lires disparues à

jamais1 – 25 000 imprudents qui n’avaient pas pris le temps de s’asseoir et qui durent prendre le temps de rembourser jusqu’au dernier centime.

CuLtIver LA pruDenCe en CoupLe :

PRENDRE LE TEMPS DE S’ASSEOIR

Le couple chrétien qui souhaite entrer plus profondément dans le mystère du mariage se doit de cultiver des espaces en couple. Il s’agit de passer de deux vies menées en parallèle à une profonde unité conjugale.

Attention : il ne s’agit pas de fusionner mais de vivre une alliance, qui conserve les personnalités des conjoints tout en élevant leur unité dans le Christ :

« Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair2. »

Or, cette unité n’est pas spontanée. Autrement dit, beaucoup de couples y parviennent, mais beaucoup d’autres stagnent et ne déploient pas leur être conjugal, ou si peu. Ils vivent côte à côte, sans avoir réussi à cheminer vers l’unité.

Pour déployer la richesse de l’être conjugal, il est donc tout indiqué de cultiver régulièrement un horizon commun. Celui-ci a pu être formulé dans vos lettres d’intentions ou votre projet de vie. Certes, entre vos rêves de fiancés et aujourd’hui, bien des choses ont

1. Soit l’équivalent de millions d’euros.

2. Matthieu 19, 6.

changé. Mais il revient à chacun d’entre vous de ne pas laisser passer le temps sans vous asseoir ensemble. Si ce moment n’est pas sanctuarisé dans vos agendas, le temps file comme un TGV, les années passent, et qu’avez-vous vécu ensemble ?

Les Équipes Notre-Dame, fondées par le père Henri Caffarel en 1947, invitent leurs membres à pratiquer le devoir de s’asseoir. Ce point de repère peut être inspirant pour tous les couples chrétiens. L’idée est de se réserver un temps en couple régulièrement (au moins mensuellement), sans être dérangés, pour évoquer sa vie conjugale. Le cœur de cible de cet exercice consiste à relire le temps écoulé depuis le dernier échange pour en tirer de bonnes résolutions et progresser dans ses relations avec l’autre. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’un exercice cérébral mais conjugal.

Ce temps en couple agit comme un révélateur car il permet une meilleure connaissance de soi et de son conjoint. Vous verrez votre vie de couple et de famille avec un regard progressivement plus affûté. Avec deux paires d’yeux, deux cœurs rapprochés et deux intelligences harmonisées, vous y verrez plus clair pour discerner et décider. Ce temps vécu en vérité et en charité peut ainsi vous aider à grandir ensemble dans la vertu de prudence.

CULTIVER LA PRUDENCE COMME PARENTS

habiter sereinement le temps numérique

Tout couple est confronté au défi du temps numérique qui a fait son apparition avec l’explosion d’Internet. Depuis les années 2000, nos vies ont été significativement impactées par l’essor d’une communication quasi immédiate. L’avantage perçu est le gain de temps dans nos démarches. La perte est moins visible mais bien réelle, car l’horizon temporel semble se rétrécir à la notification suivante. L’intelligence devient alors prisonnière d’un jeu de ping-pong numérique entre les émetteurs et les récepteurs. Tout cela limite le temps de discernement et fragilise la vertu de prudence. S’il semble délicat de se passer totalement des outils numériques, l’écran doit rester un moyen au service de l’humain : attention à ne pas sombrer dans « l’autisme technologique1 » !

Il s’agit donc, concrètement, de cultiver des espaces de déconnexion. Voici quelques suggestions : – lire l’ouvrage Déconnexion. Reconnexion. Une spiritualité chrétienne du numérique ?2 ; – limiter l’usage quotidien des écrans pour les enfants : trente minutes en semaine, une heure le week-end ;

1. Pape François, Amoris laetitia, 2016, n° 278.

2. Ludovic Frère, Artège, 2017.

– préférer un film regardé en famille à des écrans consultés chacun de son côté ; – à partir d’une heure fixée, éteindre tous les écrans ; – proposer régulièrement des activités et des soirées sans écran à vos enfants (marche en forêt, visite de musées, jeux de société, lecture de poésies, etc.) afin de développer leur créativité et leurs talents artistiques.

Vous pouvez, pour cela, vous inspirer des activités proposées par 52 soirées sans écran1 .

Dépasser l’émotion par la parole

Devant une situation périlleuse ou un danger imminent, ce n’est pas un discours sur la prudence qui jaillira en premier mais un réflexe de protection. Et c’est bien normal d’agir ainsi, même si un cri ou un geste un peu sec vous échappe. Quand la situation est grave, nous réagissons dans l’instant, pour parer au plus pressé ! Mais l’enfant peut recevoir cette émotion comme étant assez violente. Il est bon, une fois le danger passé et l’émotion retombée, d’en reparler ensemble.

Pourquoi était-il important d’agir ? Qu’est-ce qui était dangereux ? Qu’est-ce qu’il faut éviter à l’avenir ?

L’enfant peut ainsi intégrer la situation dans sa mémoire, pour éviter de la reproduire. Cela l’aidera à

1. Adeline et Alexis Voizard, Mame, 2024.

grandir dans la vertu de prudence et il sera désormais plus vigilant.

Des check-lists pour ne rien oublier

Un autre levier pour cultiver la prudence en famille est l’établissement de check-lists. Par définition, ce sont des listes d’actions à réaliser, ou d’objets à emporter, pour que l’on soit sûr de ne rien oublier. Elles sont utilisées dans des domaines très variés : aéronautique, organisation personnelle, événementiel, compétitions sportives, opérations chirurgicales… Il est tout indiqué d’en établir quelques-unes pour vos activités familiales : sport, loisirs, vacances, etc.

CULTIVER LA PRUDENCE EN FAMILLE

recueillir la prudence des anciens

La prudence n’est pas le fait des jeunes enfants : ils sont par nature imprudents, puisqu’ils ignorent les dangers. Il faut donc les en protéger. Il est ainsi légitime que le petit enfant soit placé dans un lit fermé pour ne pas en sortir à l’insu de ses parents. Il ne s’agit pas de limiter sa liberté, mais de lui permettre de grandir harmonieusement.

Prudence rime donc avec expérience. C’est pourquoi elle est plutôt le fait de l’âge mûr. Ainsi, les parents et les anciens sont d’excellents référents pour se mettre

à l’école de la prudence : « Un vieillard assis voit plus loin qu’un jeune homme debout » (proverbe africain).

La Bible aussi nous invite à recueillir le trésor de sagesse que dispensent les aînés : « Interroge ton père, il t’instruira ; les anciens te le diront1. » Cette sagesse pratique accumulée par les anciens se transmet assez facilement à travers les récits qu’ils font de leurs vies.

Ainsi, faites-les parler, sollicitez leur mémoire, feuilletez en famille de vieux albums photos, et n’hésitez pas non plus à aiguiser la curiosité de vos enfants : « Tu sais, ce n’était pas du tout comme cela quand BonneMaman avait ton âge… Elle ne t’a jamais raconté une histoire à ce sujet ? »

Favoriser la rencontre entre les générations

Les générations précédentes ayant accumulé une sagesse qu’il est indispensable d’assimiler, nous sommes en dette envers elles : « Nous sommes comme des nains assis sur les épaules de géants. Nous voyons donc plus de choses que les anciens et de plus éloignées, non par la pénétration de notre propre vue ou par l’élévation de notre taille, mais parce qu’ils nous soulèvent et nous exhaussent de toute leur hauteur gigantesque2. » Mais, depuis 1968, une crise de transmission frappe de plein fouet l’Occident. Beaucoup de jeunes en payent le prix

1. Deutéronome 32, 7.

2. Bernard de Chartres (vers 1070/1080-vers 1124/1130).

fort car ils ont peu de repères de sagesse pratique : « Ne pas écouter la parole des anciens, c’est se préparer à souffrir pour demain » (proverbe chinois). Il est donc important de faire se rencontrer les générations. Nous avons déjà évoqué le fait de solliciter directement les souvenirs des aînés mais, en réalité, il est assez simple d’ouvrir des espaces d’échanges informels qui mèneront assez naturellement à un partage d’expérience : bricoler en famille, jardiner en se répartissant les tâches, cuisiner ou lire un livre à plusieurs, peindre, dessiner, etc. Laissez s’exprimer votre créativité ! réunir régulièrement un conseil de famille

Votre famille doit pouvoir être un lieu de discernement où chacun exprime son point de vue. Certes, en tant que parents, les décisions vous reviennent, mais les avis de vos enfants peuvent être éclairants. Saint Benoît (480-547), qui était conscient que « souvent le Seigneur révèle à un plus jeune ce qu’il y a de mieux à faire1 », propose ainsi dans sa Règle une méthode tout à fait transposable dans le cadre familial (l’abbé étant ici naturellement remplacé par le couple parental) :

Toutes les fois qu’il y aura dans le monastère des affaires importantes à traiter, l’Abbé convoquera toute la communauté, puis il exposera lui-même ce dont il

1. Saint Benoît, Règle, § 30.

s’agit. Après qu’il aura entendu l’avis des frères, il examinera la chose en privé et fera ensuite ce qu’il aura jugé le plus utile1.

Ouvrir régulièrement un tel espace pour vos enfants est précieux pour recevoir leurs idées et constater leur créativité. Ils voient le monde autrement que les adultes : avec une logique du cœur, plus qu’avec une logique cérébrale. Ce contrepoint peut être éclairant : sans forcer la décision finale qui vous revient, il augmente votre liberté. Cela étant dit, vous aurez ensuite à cœur d’expliquer la raison de votre décision finale à vos enfants.

UN SACREMENT POUR DÉPLOYER

LA pruDenCe : LA ConFessIon

Le sacrement de pénitence et de réconciliation peut être un levier décisif pour grandir en prudence. Il est normalement préparé par l’examen de conscience. Le baptisé qui envisage de se confesser prend le temps de relire sa vie, spécialement le temps écoulé depuis sa dernière confession. Il n’est pas tant question de dresser une liste de péchés que de regarder en vérité les moments où notre vie n’a pas été conforme à la parole de Dieu. 1. Ibid.

La confession n’est pas simplement un « coup de balai » spirituel. Il y a certes l’aspect « ménage intérieur », c’est entendu, mais le prêtre donne le plus souvent un conseil, un avis, un objectif. Et même sans recevoir de parole édifiante, le chrétien qui reçoit la confession doit pouvoir trouver un nouveau cap, cultiver une ou deux résolutions. Autrement dit, il faut tenir l’aspect de « purification », sans oublier celui de l’orientation de vie.

Ce regard en vérité sur notre vie nous aide en particulier à mesurer nos manques de sagesse, nos erreurs de discernement, nos précipitations, nos indécisions, notre orgueil à ne pas recourir au conseil… et à en tirer des résolutions pratiques. Ainsi, de confessions en confessions, nous pouvons progresser dans la vertu de prudence.

En résumé

La prudence est une vertu éminente, au point que saint Thomas d’Aquin n’hésitait pas à la placer en tête des quatre vertus cardinales. Elle vise à chercher le bien en mettant en œuvre notre sagesse pratique. Elle nous permet d’éviter les écueils de la vie. Prendre le temps de discerner est devenu contre-intuitif dans un monde qui court de plus en plus vite. Le temps numérique, en particulier, menace la prudence, car il précipite nos décisions. Il est donc prophétique de prendre le temps de s’asseoir, spécialement en couple : d’abord pour relire, ensuite pour anticiper, et enfin pour décider. La bonne nouvelle est que la prudence augmente avec l’âge : l’expérience, le bon sens, la connaissance de ses erreurs forment le jugement pratique. L’âge permet aussi d’accroître la créativité, il rend possible de s’adapter aux nouveautés. La prudence se nourrit également du conseil : en enrichissant notre réflexion, il augmente notre liberté.

TABLE DES MATIÈRES

Chapitre 5. Percevoir l’invisible. La foi ..................... 115

Pourquoi est-il important de cultiver la foi ? ..................... 115

Qu’est-ce que la foi ? .........................................................

vertu théologale .................................................................

Un pont entre un Dieu invisible et les hommes .........................

Un roc pour bâtir sa vie ............................................................

Un vase pour puiser dans le cœur de Dieu ................................

Ce que la foi n’est pas .......................................................

La foi n’est pas une opinion ......................................................

La foi n’est pas une option neutre ............................................. 121

Concrètement : les points d’appui de la foi ........................

De la Parole entendue à la foi proclamée ..................................

Intégrer un mouvement d’Église ...............................................

la foi en couple : osez partager.............................

Chapitre 6. Entrer dans le temps long.

Concrètement : les points d’appui de l’espérance ...............

Entrer dans l’Écriture, source inépuisable d’espérance ..............

S’inscrire dans une chaîne d’espérance multiséculaire ................

Cultiver l’espérance en couple : entrer dans le temps

la charité en famille .............................................

lieu source pour aimer ............................................

Une mission : donner à voir Dieu .............................................

Un sacrement pour déployer la charité : le mariage ...........

Achevé d’imprimer en France par Sepec Numérique

Z.A. des Bruyères – 01960 Peronnas

Numéro d’édition : 25L0131

Dépôt légal : janvier 2025

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