FRÉDÉRIC DESFRENNE
@unecabaneparjour
FRÉDÉRIC DESFRENNE
@unecabaneparjour
De l’interstice, 8
Par les sentiers sauvages, 10
D’aventures en aventures, 13
Encabané, 17
En chemin, 36
En cabane, 37
L’orage, 38
Au crépuscule, 39
Au coin du feu, 40
Sous les étoiles, 42
Et l’aurore, 46
La simplicité, 66
La philosophie, 69
La consolation, 71
Le retournant, 74
La vastitude, 92
Terres de cabanes, 95
Les Alpes du Nord, Belledonne, 96
Les Alpes du Nord, la Chartreuse, 97
Les Alpes du Nord, le Vercors, 99
Les Alpes, Les Écrins, 100
Les Alpes du Sud, les Alpes de Haute-Provence, 101
Les Alpes du Sud, le Dévoluy, 103
Les Alpes du Sud, le Queyras, 104
Les Alpes du Sud, le Mercantour, 105
La Lozère, 106
Les Pyrénées, 107
Les Vosges, 109
En France, les traversées, 112
La promesse, 132
La cabane tipi, 133
En cab-ânes, 135
Les cabanes de Laura, 140
Le cœur des cabanes, 144
En cabanes, 157
Nature writing, 157
Pour continuer l’aventure, 158
Remerciements, 159
Cinquante ans plus tard, j’habite dans ce qu’on appelle les balcons de Belledonne, à près de 900 mètres d’altitude. Ce petit pays « tiraillé entre les influences d’en bas et celles d’en haut », disait le géographe Raoul Blanchard, est adossé à la montagne et borde la vallée du Grésivaudan qui relie Grenoble à Chambéry. Ma maison, une ancienne ferme dans un hameau niché dans une combe, est au bord d’un chemin qui ne mène nulle part car le massif de Belledonne n’est traversé par aucune route. Au bout de cette impasse, un parking et des sentiers qui vous emportent vers les sommets. À une époque où l’on guettait des espaces de liberté accordés par des attestations qu’on signait soi-même, j’ai posé une carte IGN sur la table de la cuisine et tracé un périmètre. Ce qu’on avait appelé le conseil sanitaire de défense avait posé dans la journée ses limites de déplacement : 3 heures, 10 kilomètres. Ce soir-là, j’ai passé une partie de la soirée à observer le territoire délimité. J’hésitais entre rejoindre un lac, grimper un sommet en aller et retour et effectuer une boucle en forêt. Au bord du trait, j’ai aperçu sur la carte le symbole d’une cabane non gardée (une maison de couleur rose, évidée en son centre avec une porte). D’après mes calculs, il y avait un peu plus de 14 kilomètres aller-retour et 655 mètres de dénivelé positif-négatif, en trois heures, c’était sportif mais jouable.
Nous avions emménagé quelques mois plus tôt en plein affolement du monde. Je n’avais donc pas exploré les environs comme je l’avais espéré lorsque nous avions décidé d’habiter là. Durant des semaines comme tant d’autres, j’avais arpenté le moindre recoin accessible en quelques pas. Au loin, les sommets devenus encore plus sauvages me toisaient. Je suis parti le lendemain, avant l’aube, à la frontale, le chien en longe. Nous courrions presque, semblant avoir le mal à nos trousses. Lui aussi avait la pleine mesure du moment et tirait droit devant. Je trébuchais parfois sur une racine mais rien n’affectait notre allure. Le jour s’était levé sur un col et son alpage. Un sentiment de liberté m’envahissait, la fuite était salutaire, l’échappée salvatrice.
À huit heures, j’ai aperçu la cabane de pierres et de bois au bout du chemin. Allait-elle être ouverte ? La commune ou l’association qui la gérait l’avait peut-être fermée ? Pas de cadenas, la cabane était encore libre. Quelle chance en ces temps muselés, me suis-je dit. J’ai poussé la porte et posé mon sac à dos sur la table. Il y avait là un poêle, des bancs, des étagères, des livres, quelques boîtes de conserve, un garde-manger, des bougies, une scie, une hache, des journaux et des matelas à l’étage. À l’extérieur, une grande table en pierre et ses bancs étaient entourés d’une clôture en bois. L’eau coulait d’un bachal, la vue sur la Chartreuse était sublime. J’étais fourbu mais tellement heureux d’être là. Assis sur le seuil de ma cabane, ma terre promise, je souriais. J’avais le sentiment d’être, au sens littéral, à l’abri du monde. C’était rassurant de savoir que ces cabanes existaient encore, leurs portes ouvertes, comme la dame de Haute-Savoie de la chanson1. Après m’être accordé un café, j’ai refermé soigneusement la porte et les volets. Il me restait une heure pour la descente ce qui était raisonnable mais ne laissait guère de marge. En chemin, je me suis souvenu de Sylvain Tesson et de son ermitage en Sibérie dans une cabane en rondins au bord du lac
Baïkal :
Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures ? Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu2 .
J’y ai vu un appel.
Qui a déjà dormi en cabane se souvient de sa première nuit encabanée. On se couche car au coin du feu, à table ou au bord du feu de camp, la fatigue nous caresse. Elle pose ses mains sur nos yeux et nous invite à lâcher prise. Se coucher en cabane n’est pas une mince affaire. En bivouac, pas ou peu de surprise, on a planté la tente, posé son matelas avec soin et si parfois un caillou sous le tapis de sol joue les invités surprises, il n’y a guère d’autre possibilité que de s’allonger dans son duvet.
En cabane, la nuit :
j’ai dormi sur une table (et en dessous)
j’ai somnolé sur des bat-flancs de pierre
j’ai peu profité de la nuit sur un banc trop étroit
j’ai ronflé beaucoup et agacé mes voisins de duvet
j’ai eu des réveils endoloris par des nuits à même le sol
j’ai ri beaucoup et dormi peu
j’ai aimé et l’on m’a aimé j’ai partagé mon duvet avec mon chien
j’ai partagé mon duvet sans mon chien
j’ai fait
des grimaces sous la frontale
j’ai été agacé par la guitare frénétique de l’étage en dessous
j’ai guetté le plus petit craquement du bois
j’ai veillé sur le feu
j’ai frémi aux courses folles des lérots sur le plancher
j’ai tendu l’oreille aux frémissements, aux bruissements du dehors
j’ai chanté (faux) au coin du feu
j’ai observé les étoiles
j’ai refait le monde à la lueur des bougies
j’ai espéré qu’il neige
j’ai lu un livre qui traînait sur une étagère
j’ai espéré qu’il s’arrête de neiger
j’ai pris conscience que toutes mes fringues sentaient la fumée
j’ai pris des résolutions
j’ai renoncé à des résolutions
j’ai observé la lune depuis le seuil
j’ai croisé des bestioles en allant soulager une envie pressante
j’ai essayé de photographier : les bestioles, la lune, la voie lactée, la cabane…
j’ai passé la nuit avec des inconnus qui ne l’étaient plus du tout à l’aube
je me suis promis de revenir là j’ai écrit sur le cahier laissé là
je me suis battu avec un moustique, j’ai perdu
j’ai pris conscience que mon meilleur ami ronfle
je me suis entendu dire que je ronflais aussi
j’ai affirmé que mon chien ne ronflait pas
je me suis levé discrètement pour finir les cookies
j’ai joué à des jeux de société aux noms imprononçables
j’ai perdu à la belote, à la manille, aux échecs, aux dames…
j’ai raconté ma vie et écouté celle des autres
j’ai consolé et j’ai été consolé
Massif des Écrins, Isère, Hautes-Alpes.
« Tout quitter pour une cabane au fond des bois. »
Combien de fois avez-vous lu, entendu cette supplique adressée à on ne sait qui si ce n’est à soi-même ?
Cette quête de dépouillement et de simplicité est-elle une esquive ou un retrait de cette société qui travaille à notre confort ?
Ce besoin de trouver refuge, de renouer avec le sauvage est-il une forme de consolation ?
À travers cet ouvrage qui oscille entre récit et essai, l’auteur explore ces échappées et vous invite, à vous ensauvager, à vous encabaner car le temps est à l’aventure.
Frédéric Desfrenne est un amoureux de la marche qui ne résiste pas à l’appel de la nature. Il trouve volontiers refuge dans une cabane pour se reconnecter à l’essentiel. Il a créé le compte @unecabaneparjour qui fédère une large communauté de cabaneurs passionnés.
www.vagnon.fr