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En retrouvant mon vieux journal de colo, un parfum d’enfance m’a saisi. Ce mois d’août éclatait dans ma tête en fines bulles de mémoire. J’y retrouvais Choufleur, Têtdanchois et Lila, la pichenette, les couleuvres, et les flèches polynésiennes. J’avais neuf ans et c’était vachement bien.

LA COLO

Rémi Courgeon

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C’est en déménageant que je l’ai trouvé, au fond de la bibliothèque : mon journal de colo. En l’ouvrant, un parfum d’enfance a envahi la pièce. J’entrais par effraction dans les secrets de ce petit Moi oublié. L’été de mes neuf ans courait sur le papier, s’échappait d’entre les fautes d’orthographe et éclatait dans ma tête en fines bulles de mémoire.

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Derrière le bâtiment central de la colo, il y avait un carré d’herbe rase entouré d’une haie. On s’y donnait rendez-vous pour jouer à la pichenette. Jeu savoureux, car interdit. À tour de rôle, on plantait un Opinel entre nos pieds, suivant une règle qui changeait à chaque fois, au gré de notre mauvaise foi. La grande Lila était la plus forte d’entre nous. Elle possèdait un couteau dont la lame dépassait la largeur de la main et jouait toujours pieds nus. Elle racontait que la pichenette datait de la préhistoire. Les premiers hommes n’avaient alors pas d’orteils, jusqu’à ce qu’ils s’en découpent une dizaine à coups de lancer de silex. Le jour où elle reçut un couteau dans le pied, elle remit ses chaussures et partit en boitant. — Quand ma mère va découvrir mon onzième doigt de pied, elle va me tuer !

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Dans le dortoir des garçons, mon lit était placé juste en face de la porte. Au-dessus de ma tête, quand la pièce était sombre et le couloir allumé, je pouvais voir en projection inversée sur le mur tout ce qui se passait à côté. Le dortoir devenait chambre noire et le trou de serrure l’objectif. Chaque soir j’étais au cinéma. J’ai gardé le secret quelque temps. Mais ce lit, dont personne ne voulait le premier jour, devint malgré moi une place de choix où s’agglutinaient des grappes de curieux, sitôt les lumières éteintes. La tête à l’envers, nous y observions les baisers de notre moniteur avec la monitrice des filles, et tous nos espoirs de la séduire s’envolèrent à jamais.

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Un jour, on l’a appelé Choufleur et ça lui est resté. Il était petit, portait des lunettes et parlait avec une voix cassée. C’était notre souffre-douleur. Chacune de nos farces rebondissait sur lui en feu d’artifice. La plus fameuse reste le coup du pipi dans son shampooing : on l’a vu sortir des douches, nu comme un haricot, en hurlant : — J’veux pas devenir chauve ! J’veux pas devenir chauve ! Un soir, à la veillée, les choses ont changé. De sa voix rauque, Choufleur a parlé. C’était la première fois qu’on l’écoutait. Les yeux dans le feu, il nous a raconté une histoire vraie. Celle de son frère aîné arrêté par la police alors qu’il incendiait une voiture. Le commissaire lui avait donné le choix entre la prison et les pompiers. Devenu pompier, il s’était alors couvert de gloire ; sauvant des vieux, des bébés et même des animaux. L’histoire nous fascina et l’héroïsme du grand frère rejaillit alors sur Choufleur. Longtemps après, j’appris que Choufleur n’avait que des sœurs.

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Ça s’appellait O’Bull. C’était une poudre acidulée qu’on nous distribuait à la cantine et qui transformait l’eau en limonade. À sec sur la langue, c’était insupportable. Bien sûr, la grande Lila adorait ça. Un matin, on en a mis un sachet dans le bol de Choufleur encore endormi. Quand la dame de service y a versé du lait chaud, le bol s’est mis à mousser comme dans un rêve. La mousse a monté vers les yeux ensablés de Choufleur, envahi la toile cirée, englué nos tartines. Quelques jours après, on a vu débarquer le fermier d’à côté, au volant d’une camionnette de lait qui ressemblait à une baignoire qui déborde. Le coupable ne fut jamais découvert.

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