Sous la plume de l’historienne Brigitte Coppin et le pinceau de l’aquarelliste Christian Jégou, ce livre nous entraîne au cœur du XIVe siècle, comme si on y était !
Un château B. Coppin / Ch. Jégou
1369, la guerre de Cent Ans dévaste la France. L’envahisseur anglais sème la désolation. Forteresses assiégées, villages en ruine, les populations trouvent refuge derrière les murailles des villes. Dans ce tourbillon de terreur, Johan, apprenti charpentier, est embauché sur le chantier d’un château. Courage, honneur, trahison… notre héros déjoue un complot fomenté par le Prince Noir et, dans les rues encombrées, rencontre l’amour sous les traits de la belle Margot. Des pages documentaires sur les châteaux forts, les chevaliers, les nobles, les villageois, la vie quotidienne, les métiers, la mode… enrichissent ce récit chargé d’aventures.
20 € TTC
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Brigitte Coppin & Christian Jégou
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l ne reste plus qu’à franchir le fleuve. Tandis que les voyageurs piétinent sur le pont, Johan observe la ville sur l’autre rive. À certains endroits, on distingue de vieilles palissades. C’est là qu’ils vont travailler : le roi Charles a ordonné que son royaume soit fortifié afin de mieux résister aux Anglais, et la ville embauche des ouvriers pour achever l’ouvrage au plus vite. – Il y a sûrement plusieurs équipes… murmure Simon d’un ton réjoui. Agacé, Johan ne répond pas. Bientôt, son cousin sera maçon aux côtés de son père. Tandis que lui n’a personne pour le soutenir. Ses parents sont morts. Qui l’aidera à devenir maître charpentier ?
– Ça n’avance pas ! grommelle l’oncle Étienne, sans cacher son inquiétude. – Il n’y a qu’une porte ouverte de ce côté ! ronchonne un colporteur. – Ça coûte trop cher de payer un arbalétrier à chaque porte… renchérit un autre. Et tous deux tombent d’accord pour dire qu’il y a trop de réfugiés. Johan n'a pas envie de les écouter. Il regarde là-haut le château éclairé par le soleil couchant. En bas, il fait déjà sombre et la cloche des monastères sonne le dernier office du jour. Pourvu qu’ils soient entrés avant le couvrefeu, c’est tout ce qu’il souhaite !
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i La bataille de Poitiers (1356) Moins nombreux que les Français, les Anglais, dirigés par le Prince Noir, se sont retranchés sur le plateau de Maupertuis, près de Poitiers. Ils sont appuyés par les redoutables archers gallois qui font pleuvoir une grêle de flèches meurtrières sur les fiers chevaliers de France. Malgré leur résistance acharnée, ceux-ci doivent se rendre. Prisonnier, le roi Jean II le Bon est emmené à Londres où il attend le paiement d’une rançon colossale. Son fils aîné, le futur Charles V, devient “lieutenant du royaume” avant de lui succéder en 1364.
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C’est la guerre Cette histoire se déroule en 1369. La guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre a officiellement commencé en 1337 et durera jusqu’en 1453. Dès le début, les armées françaises perdent de grandes batailles : sur la mer à l’Écluse (1340), puis sur terre à Crécy (1346) et à Poitiers (1356). Après le traité de Brétigny signé en 1360, les Anglais récupèrent le Poitou et occupent l’Aquitaine, gouvernée par le Prince Noir, fils aîné du roi Édouard III d’Angleterre. À partir de 1364, le roi de France Charles V met tout en œuvre pour défendre son royaume. Il fait bâtir de nouvelles murailles autour des villes et des châteaux ; il envoie ses frères – le duc de Berry et le duc d’Anjou – faire respecter l’autorité royale aux frontières ;
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et il choisit un excellent chef, Bertrand Du Guesclin, qui réorganise les armées royales et harcèle les Anglais. Mais la guerre coûte cher ! Les Français voient augmenter les taxes sur les marchandises et doivent payer un nouvel impôt : les aides. Le résultat de ces efforts se fait attendre. En 1369, le royaume est dévasté par des troupes anglaises et surtout par les Grandes Compagnies : des bandes de soldats ou de mercenaires qui pillent les villages, dévalisent les marchands, torturent et tuent. Un climat de peur s’installe. On se cache, on stocke les provisions ; toutes les entrées des villes sont surveillées, les milices et le guet sont renforcés…
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La tour Solidor de Saint-Servan (Ille-et-Vilaine), construite de 1375 à 1382, contrôle l’entrée des bateaux dans l’estuaire de la Rance. Une tour de bois dressée sur une motte dominant le logis seigneurial, tel est le modèle des premiers châteaux dans le nord et l’ouest de l’Europe.
Châteaux des villes et châteaux des champs D’innombrables châteaux forts ont été bâtis en Europe entre 900 et 1500. Un tous les 30 km, pensent les historiens en s’appuyant sur les textes anciens et les recherches archéologiques. Tant de châteaux ne peuvent se ressembler. Leur aspect et leur plan varient selon la région et l’époque, selon leur fonction, ou la richesse du seigneur. Construits d’abord en bois, parfois dressés sur une motte, ils contrôlent un pont ou un péage, surveillent une frontière. Ils servent parfois à loger une garnison, ou une famille seigneuriale, ou encore la vaste maisonnée d’un comte au cœur d’une cité… Tous les châteaux forts ont cependant un point commun : ils expriment la puissance d’un seigneur. Devant leurs hautes tours, leurs murs épais et leurs nombreuses archères, qui oserait les attaquer et résister à l’autorité du maître ?
Le château de Villandraut (Gironde) fut rebâti à partir de 1306 par le pape Clément V qui fit élever plusieurs résidences fortifiées dépourvues de donjon.
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D’abord refuge cathare, le château de Puylaurens (Aude) fut fortifié par Saint Louis vers 1250 et devint une place stratégique sur la frontière franco-espagnole.
Entre 1261 et 1265, le comte Rodolphe de Habsbourg fait élever à Ortenberg (Bas-Rhin) un logis surmonté d’une étroite tour de guet.
Entouré de murailles concentriques, l’énorme donjon de Douvres est l’un des plus célèbres d’Angleterre. Il fut édifié vers 1180, sous Henri II Plantagenêt.
Château de l’empereur Frédéric II d’Allemagne vers 1240, Castel del Monte (Italie) ressemble à une couronne. Il possédait huit tours, huit salles par étage du logis… et l’eau courante. 15
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i Le métier de crieur À cette époque où il n’existe ni journaux ni affiches, les nouvelles circulent grâce aux crieurs professionnels, qui annoncent dans les rues aussi bien les ordonnances royales que les victoires et les dangers, un nouveau règlement sur les animaux errants ou la recherche d’un enfant perdu… Ces officiers sont payés par le roi, le seigneur ou la ville, et assermentés, c’est-à-dire engagés après avoir prêté serment.
ar-dessus les têtes, Johan finit par apercevoir le crieur de la ville. À en juger par les visages consternés autour de lui, la nouvelle n’est pas réjouissante ! Mais il ne faut pas s’attarder ici. Le forgeron pourrait oublier sa proposition ! Johan n’a pas fait quinze pas qu’il découvre un enfant accroupi sous un porche, très occupé à tailler un bout de bois. – Voilà un futur charpentier ! lance-t-il en guise de bonjour. Tiens bien la lame vers le bas, sinon gare à tes doigts !
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Surpris, l’enfant se réfugie auprès d’une jeune fille assise à l’écart, derrière un étal de menus objets. – Vous ne risquez pas de faire du profit en restant cachée là ! s’exclame Johan. Montrez-vous davantage ! La jeune fille hésite. – Vous les fabriquez ? demande-t-il en désignant les bourses de cuir. – Non, je les vends. Je vends aussi des nouvelles. – Celle que le crieur vient de donner ? Elle fait oui de la tête. Il s’écarte d’un pas en secouant la sienne : il ne va pas payer pour savoir ce que toute la ville apprendra avant midi ! – Une armée anglaise est partie d’Angoulême. Elle approche en pillant les villes et les châteaux, récite-t-elle d’un trait. C’était donc cela ! Il la remercie d’un geste puis, perplexe, se retourne avant de s’éloigner. Il lui a semblé que la voix de la jeune fille tremblait lorsqu’elle a parlé. Comme si elle allait pleurer…
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ohan a touché sa paie du jour et le maître charpentier a l’air content de lui. Cela se fête ! Alonso, le maçon qu’il a rencontré sur le chantier, a décidé de l’emmener à la taverne du Cheval ailé. Johan a tout juste eu le temps de ranger ses outils dans le grand coffre que le maître a fermé à clé. Délivré de sa besace, il a le cœur léger et, dans sa bourse, quelques deniers dont il est très fier. La rue s’éloigne du fleuve. Tout en bavardant, les deux compagnons franchissent une porte gardée par un arbalétrier qui les remarque à peine. Dans le faubourg, de l’autre côté de la muraille, les attend un affreux spectacle. Maisons éventrées, effondrées… une vraie désolation. – C’est pour empêcher l’Anglais de prendre position, explique Alonso en contemplant les ruines d’un œil indifférent. – Je dirais plutôt qu’on a utilisé les pierres pour renforcer la muraille, répond Johan, qui constate les travaux
achevés depuis peu. Heureusement, le faubourg n’a pas été entièrement rasé. La rue se poursuit entre les vignes et les vergers alourdis de beaux fruits mûrs. Un peu plus loin, ils aperçoivent sur un pignon l’enseigne du Cheval ailé. Des gens assis sur des bancs se font servir des chopines. Tout est paisible. – Pourvu que l’Anglais ne vienne jamais jusqu’ici ! murmure Johan, le cœur serré. Alonso ne répond rien. Si bavard tout à l’heure, il semble perdu dans de sombres pensées. Quel étrange garçon, vraiment !
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i Le prix et le temps du travail Selon une ordonnance royale de 1351, un aide-maçon gagne, comme un jardinier, 16 deniers par jour en hiver et 20 deniers en été. Le jour étant toujours divisé en 12 heures, du lever au coucher du soleil, celles-ci sont inégales selon les saisons. Elles comptent 30 min en décembre et 90 min en juin. L’été n’est donc pas une période de vacances ! Apparues au XIVe siècle, les premières horloges mécaniques marquent le début des heures égales.
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e retour au logement des compagnons dans un bâtiment de la basse-cour, Johan se retourne en tous sens sur la paillasse et ne trouve pas le sommeil. Trop de pensées se bousculent dans sa tête. Tout d’abord, il y a cet Alonso qui l’emmène à l’auberge et ne le rejoint qu’à la sortie ! Et puis, cette fille des rues, si experte à voler. Aurait-il dû la dénoncer ? Enfin, la demoiselle de messire Bertrand… Est-elle aussi attirante que le laisse entendre son amoureux ? Le lendemain, il ne peut s’empêcher d’observer les belles filles dans la rue, et de se demander laquelle est l’amour secret de Bertrand le bourgeois.
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Le vêtement à la fin du XIVe siècle Vers 1340, princes et seigneurs adoptent le pourpoint, une veste rembourrée sur les épaules et le torse, qui laisse voir leurs jambes, moulées dans des chausses. Ce nouveau costume est jugé indécent par les plus âgés, ou les plus sages, ou encore les bourgeois qui continuent de porter la robe, couverte d’une houppelande. Ces vêtements sont souvent “mi-partie”, bicolores à la verticale ou en diagonale. Plus la couleur est éclatante, plus elle affiche un rang social élevé, tout comme la longueur des chaussures à la poulaine.
Les dames osent des robes très ajustées, avec jupe traînante et manches pendantes. Par-dessus, un surcot orné de broderies souligne les hanches et la poitrine. Elles s’épilent le front et montrent leurs cheveux, nattés et torsadés, enfermés dans une résille d’or, rehaussés d’un listel (couronne légère fixée à un voile) ou d’un escoffion (bourrelet d’étoffe et pierreries). Les coiffures hautes n’apparaissent que vers 1385.
Le vêtement neuf étant réservé aux plus riches, les autres s’habillent d’occasion, chez les fripiers. Les ouvriers comme les paysans portent une tunique, ou gonelle, sur des caleçons de toile appelés braies. Pour les femmes, une robe lacée sur la chemise permet de se mouvoir aisément. Les deux sexes portent volontiers un simple bonnet de toile, la cale.
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Les progrès de l’instruction Les villes du XIVe siècle possèdent des écoles où les fils des bourgeois apprennent ce qu’il faut savoir pour tenir un commerce. Les filles sont instruites par des maîtresses d’école, ou des enseignantes à domicile issues de la noblesse et de la bourgeoisie. Le progrès de l’instruction est lié au développement de l’écrit. Les livres sont plus abordables depuis l’apparition du papier, fait avec des vieux tissus et moins coûteux que le parchemin. Les ateliers de copistes se multiplient dans les villes ; ils travaillent à la préparation de livres pour les écoles et les universités, mais aussi pour les bibliothèques privées des bourgeois. Désormais, avoir des livres chez soi n’est plus un luxe réservé aux princes.
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ù est Margot ? Johan l’a cherchée partout. – Si elle veut ce cheval, elle n’a qu’à se montrer ! bougonne-t-il en remontant vers la cour du château. C’est alors qu’il la voit, sur la margelle du puits, un jeune soldat penché vers elle. Le cœur bouillonnant, il accourt… et ralentit bientôt. Elle est en train d’écrire une lettre, dictée par le soldat… Grand Dieu, elle sait écrire ! Margot est une personne instruite ! Johan ne s’attendait pas à cela. Sans quitter sa plume, elle lui sourit. Tout ému, il se racle la gorge. – Margot, bafouille-t-il, j’ai quelque chose pour toi… Je voudrais te le montrer maintenant. Pourtant, il lui faut attendre qu’elle ait achevé la lettre avant de l’entraîner jusqu’à l’écurie
de maître Jacques. Mais là, quelle récompense de voir le visage de la jeune fille s’illuminer lorsqu’elle découvre le superbe cheval ! – Je pourrai le vendre et envoyer de l’argent à mon père, acheter des vêtements à Colin… Elle en pleure et ne sait comment le remercier. Et lui n’ose pas la prendre dans ses bras ! En traversant la cour, ils croisent l’épouse de maître Jacques, qui s’étonne devant l’écritoire que Margot porte à l’épaule. – Ce bel objet est à vous ? La jeune fille hoche gravement la tête. – C’est tout ce qui me reste de ma famille. Puis elle ajoute très vite : – Je sais lire, écrire, compter. Je voulais enseigner… – Alors, vous pourriez apprendre à mes filles ! s’exclame la femme du quartenier. Leur maîtresse est partie à cause de la guerre.
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