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Dimanche 7 octobre Je m’appelle Lisa et je ne peux pas dire quand ça a commencé. Avant, papa se levait toujours en premier ; il s’enfermait dans la cuisine, fouettait de la crème qu’il mettait dans le café de maman (elle adore le café crème) et ajoutait du chocolat en poudre dessus. « Comme dans un palace », il disait, tout fier, en le lui apportant au lit. Elle était toute belle et souriait parce qu’il n’avait jamais oublié… Maman, elle, quand papa parlait au téléphone, soupirait et disait tout bas qu’il avait un accent « vraiment craquant » (il faut dire que papa vient d’Italie du Nord). Elle a raison, moi aussi j’adore quand papa parle… mais je trouve que maman, qui est du sud de la France, elle aussi a un joli accent. Seulement, depuis quelque temps, papa ne parle presque plus, et maman non plus. Le matin, son café, elle se le fait toute seule au micro-ondes et, quand papa parle, elle ne l’écoute plus.
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Ce soir, pour une fois, papa et maman sont en train de parler. Mais quand j’arrive, ils s’arrêtent. Je suis sûre qu’ils se disputaient. Dans ces cas-là, c’est toujours pareil : papa part au cinéma. Moi, j’aime bien aller au cinéma avec mon père, mais quand il se dispute avec maman il va toujours voir un film de karaté. Et depuis quelque temps on voit un film de karaté par jour…
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Tout a changé, sauf une chose : le soir, papa et maman viennent à tour de rôle me raconter une histoire, et ça, j’adore. On a un jeu. Je ferme les yeux et, quand ils entrent dans ma chambre, je dois deviner si c’est papa ou si c’est maman, mais attention, rien qu’à l’odeur. C’est facile, parce que même sans parfum ils sentent pas pareil du tout. Mon papa, dans le cou, il sent la banane au four, alors que ma maman, elle sent la crêpe au miel… Rien à voir. Si je devine, je gagne, et c’est moi qui choisis l’histoire. Si je perds, c’est eux. J’ai d’abord cru que c’était une histoire quand papa a commencé à me parler d’une très vieille ville qui flottait sur l’eau et qui se noyait dans la brume, mais cette fois, c’est pas une histoire. Il me dit que les masques accrochés au mur de la cuisine viennent de là-bas, de la ville sur l’eau. C’est là qu’il est né. Cette ville mystérieuse est menacée par un grand danger : très lentement, elle coule, elle s’enfonce dans l’eau. Ça sera très long, mais malheureusement c’est sûr : elle se noie et il faut l’aider. Comme il est architecte, on lui a demandé de chercher une solution pour
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sauver cette ville magique. Je commence à avoir sommeil, et je trouve que c’est plutôt un travail de docteur ou de maître-nageur… Mais papa a autre chose à me dire. Je me bagarre contre le sommeil, je sens qu’il ne faut pas que je m’endorme. Il se met à parler tout bas. Entre maman et lui, ça ne va pas très bien. Il va partir. Et avec maman, ils veulent me demander ce que j’ai envie de faire : partir en Italie avec lui ou rester en France avec elle. Je pourrai changer d’avis si je veux. Ma couette pèse soudain une tonne. Je sens un grand poids sur la poitrine. Comment choisir ? Papa, maman, partir, rester, le sommeil m’appuie sur les paupières… Papa veut savoir ce que je pense… Moi aussi, j’aimerais bien savoir ce que je pense ! Sans beaucoup bouger les lèvres, je demande comment s’appelle sa ville magique. « Venise, répond papa, mais chez moi on dit Venezia. » Je n’entends plus rien d’autre, parce que ça y est, j’ai commencé à traverser la nuit. J’ai l’impression de sentir le baiser de papa sur mon front. Est-ce que c’est lui que je sens
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quitter la chambre pour laisser entrer maman sans rien dire ? Est-ce que c’est l’odeur de ma maman qui m’arrive, est-ce que c’est elle qui s’approche pour sentir le parfum de mon sommeil, comme toutes les nuits ? Je m’éloigne déjà, je navigue au large, et j’entends ce nom au loin, Venezia… Je tangue, un pied déjà dans le rêve, et Venezia, dans ma tête, ça sonne comme « viens, Lisa ». Venezia… Maman referme la porte doucement, et je sens déjà le vent et les gouttelettes sur mes joues…