5 histoires
Combattre des créatures effrayantes dans les profondeurs d’un château, devenir fin limier pour démasquer un traître, découvrir la vie passionnante d’un chevalier du XIIe siècle, être invincible pour l’amour d’une démone, pleurer de rire aux aventures pittoresques d’un drôle de héros… Tout devient possible avec Z’AZIMUT !
Dans ce livre : • Cinq histoires courtes autour d’une passion, les chevaliers.
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• Cinq genres pour passer du rire à l’angoisse.
• Des auteurs confirmés qui entraînent le lecteur dans des aventures palpitantes : Brigitte Coppin, Victoire Labauge, Jean-Marc Ligny, Emmanuel Viau.
Illustration : André Benn. Mise en couleur : Laurence Busca.
à partir de 9 ans
5 histoires de chevaliers
de chevaliers
5 histoiresde chevaliers
4,95 €
www.fleuruseditions.com
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Sommaire Le chevalier maudit d’Emmanuel Viau illustré par André Benn
Le mystère de l’épée volée de Victoire Labauge illustré par Dominique Rousseau
Guillaume, le chevalier errant de Brigitte Coppin illustré par Daniel Redondo
La Démone des Batailles de Jean-Marc Ligny illustré par Victor de la Fuente
La geste d’un preux chevalier d’Emmanuel Viau illustré par Bruno Bazile
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La Démone des Batailles de Jean-Marc Ligny illustré par Victor de la Fuente
ul ne savait d’où il venait. Nul ne connaissait son nom. Personne ne pouvait dire quel feu, quelle foi l’animaient. Faute de mieux, on l’appelait le Chevalier Sombre. Car sombre il était, d’apparence – armure taillée dans la carapace d’un carabe noir, bouclier d’antifer et cape noirs, pégase noir aux ailes comme des suaires –, et de caractère – taciturne et solitaire. Certains le prétendaient magicien, d’autres le croyaient possédé par un démon. Car il était invincible : flèches et javelots ne l’atteignaient pas, les coups d’épée ricochaient sur son armure de chi-
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tine. De la magie assurément, une assistance divine peut-être, démoniaque sans doute… Ceux qui l’avaient dans leur camp étaient certains de vaincre. Ceux qui se battaient contre lui tremblaient pour leur vie. Le Chevalier Sombre était impitoyable : pas de quartier, pas de blessés, pas de prisonniers, telle semblait être sa devise. De la cruauté ? Certes non : tuer ne lui procurait aucun plaisir, et il abrégeait promptement les souffrances de ses victimes. Il ne combattait pas pour le pouvoir, ni pour l’or, ni pour la gloire, ni pour la terre, ni même pour un dieu. Quelles étaient ses raisons ? Mystère. Toutefois les causes qu’il embrassait étaient nobles, justes et généreuses. Le Chevalier Sombre n’était pas un mercenaire : personne ne pouvait se vanter d’avoir fait appel à ses services, avec ou sans rétribution. Il apparaissait ici ou là, selon son bon vouloir, influait sur le destin, puis repartait comme il était venu, au sein de la nuit pourpre, sa complice…
Lorsqu’une caravane marchande signala la présence du Chevalier Sombre dans le comté de Trim, une autre rumeur circulait, très alarmante : une horde de Hanns, ces terrifiants barbares mihommes mi-gorgones, venus du lointain Orient du Soleil Rouge, auraient envahi le comté voisin de Gaït. Ils s’y livreraient au massacre et au pillage 86
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sans pratiquement rencontrer de résistance, violant les femmes, brûlant les maisons, rapinant bétail et récoltes. On rapportait même qu’ils dévoraient des bébés vivants et que sous les huit pattes de leurs aragnes, la terre devenait stérile. Le comté de Gaït n’était qu’à trois jours de marche de Dimbuk, la paisible capitale de Trim – et encore, au pas pesant des lourds bougours des marchands. Pour les nerveux aragnes des Hanns, c’était à peine une course : ils risquaient de déferler sur Dimbuk d’un moment à l’autre, horde issue des Enfers… que seule la magie pouvait arrêter, estimaient les villageois. La magie du Chevalier Sombre. C’était aussi l’avis d’Orphan, comte de Trim et seigneur du château suspendu de Dimbuk. Dès qu’il avait appris que le Chevalier Sombre rôdait dans la région, il avait envoyé des émissaires à travers tout le comté, avec mission de l’inviter au château coûte que coûte. Non pas qu’Orphan s’estimât incapable de faire face : son château était inexpugnable et bien des armées s’y étaient cassé les dents. Il flottait audessus d’une butte escarpée riche en antifer qui repoussait puissamment ses fondations de fonte. Malgré leur férocité, les Hanns n’en viendraient pas à bout. Mais le seigneur ne s’inquiétait pas seulement de sa personne : il songeait à son pays, au comté de Trim, à la misère et à la désolation que la horde y répandrait s’il ne parvenait pas à l’arrêter. Il pen87
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sait à ses propres soldats, paralysés de peur à la simple évocation des Hanns : ils iraient se battre, certes, mais pour mourir, non pour vaincre. Nul doute que la présence du Chevalier Sombre à leurs côtés leur redonnerait courage… Les émissaires s’en revinrent tête basse, épuisés, bredouilles : aucun n’avait approché, ni même seulement vu le Chevalier Sombre. Certains, en revanche, avaient rencontré des réfugiés, des fuyards de Gaït, leurs maigres biens sur le dos, souffrance et terreur au fond des yeux. Ils avaient raconté des horreurs, des saccages, des tueries, des tortures ; ils avaient souligné la cruelle absence des seigneurs de Gaït, partis guerroyer dans les Marches du Sud et n’ayant laissé sur place que des garnisons restreintes, vite anéanties ; ils avaient insisté sur l’implacable férocité des Hanns, que rien n’arrêtait, ni la force, ni la ruse, ni la prière, ni la pitié. – Les Hanns font-ils mine de vouloir attaquer le comté de Trim ? s’enquit Orphan, du haut de son trône orné de serres d’oiseau-roc acérées comme des faucilles – un monstre qu’il avait chassé lui-même. – Cela n’a pas été dit, mais c’est plus que probable, estima l’émissaire. Les Hanns ne connaissent pas de limites. – Alors il faut nous préparer à la guerre, se résigna le comte de Trim. Prends une nuit de repos, et demain tu iras porter un message aux seigneurs d’Aarim, de Neftim et de Kalimbuk. Le messager acquiesça et se retira. 88
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Mais Orphan n’eut même pas le temps d’alerter ses vassaux. Au crépuscule vert du Premier Soleil arriva le dernier de ses émissaires, porteur de fâcheuses nouvelles : une avant-garde de Hanns avait pénétré la frange nord-est de Trim, et ravageait la contrée de Kalimbuk à feu et à sang. Et toujours aucune trace du Chevalier Sombre… Alarmé, le seigneur de Dimbuk ne put dormir. Il resta seul dans la grande salle d’apparat, dans la nuit pourpre du Petit Soleil, assis dans son fauteuil devant la cheminée de marbre bleu – qu’un page alimentait en permanence –, à ruminer de désolantes pensées, à échafauder des stratégies aussi folles qu’irréalistes. De quelque manière qu’il tournât la question, il savait que sans alliés, il envoyait ses troupes à la mort. Or, le temps qu’il réunît une coalition, les Hanns auraient gravement saccagé le pays… Que faire ? Au déclin du petit astre rouge, vers la mi-nuit, un grattement crissa sur l’huis de la salle d’apparat. – Oui, entre, fit Orphan agacé, croyant que c’était le page qui apportait des bûches. La grande porte s’ouvrit en grinçant. Les pas qui résonnèrent sur le dallage de pierre rendaient un son nettement métallique. Le seigneur se leva à demi, cherchant son épée du regard. Là-bas, dans l’obscurité près de l’entrée, une silhouette reflétait faiblement la lueur rougeâtre du foyer. Une brillance chitineuse, l’éclat sombre d’une carapace de carabe. 89
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Les œillères grillagées du heaume – taillé dans la tête de l’insecte géant – étaient closes, masquant le visage. Néanmoins Orphan le reconnut : – Le Chevalier Sombre ! Celui-ci s’avança dans la lumière, souleva son casque insectiforme. Ses traits étaient fins, pâles, jeunes encore mais graves et tourmentés, encadrés de longs cheveux noirs. Il posa sur le comte impressionné des yeux sans couleur définie. – J’ai ouï dire que tu avais besoin d’aide…
Le surlendemain, à l’aube verte du Premier Soleil, la petite armée d’Orphan fondit sur le camp avancé des Hanns comme une nuée de sucerelles sur un bougour malade. Galvanisés par le Chevalier Sombre dont la silhouette funeste évoquait la mort – la mort qu’ils portaient chez les barbares –, les cinq cents soldats avaient marché sans trêve ni repos, abreuvés, nourris et encouragés par les habitants des fermes et des villages qu’ils traversaient. Au fur et à mesure de leur avance, leurs rangs avaient grossi de volontaires qui s’enrôlaient avec enthousiasme, armés de fourches, pioches et haches… Au total, c’est près de mille combattants déterminés qui déferlèrent sur le campement des Hanns, au bord de la rivière Tsaï, en cette pâle aurore de Basse Saison. Certains de leur suprématie et de la terreur qu’ils 90
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inspiraient, les Hanns n’avaient pas cru bon de poster des gardes autour du camp. Aussi l’effet de surprise fut-il total, durant lequel les soldats et les volontaires les plus hardis eurent beau jeu de crever les toiles d’aragne, d’embrocher tous ceux qui bougeaient dessous, de taillader ceux qui tentaient de sortir, de clouer au sol ceux qui dormaient près des foyers éteints. Mais bien vite les Hanns se ressaisirent. Empoignèrent leurs sabres courbes, leurs dagues ondulées, leurs javelots empennés, leurs dards empoisonnés. Ripostèrent avec une sauvagerie décuplée par la rage de voir tant des leurs gisant ensanglantés. Frappèrent de tous côtés, aveuglément, bondissant de-ci de-là, poussant des hurlements à glacer le sang, hypnotisant leurs adversaires de leurs regards de feu. Les volontaires, terrorisés, ignares au combat et férocement décimés, ne tardèrent pas à reculer, puis à s’enfuir dans une débandade générale, gênant les manœuvres des troupes d’Orphan qui tentaient d’encercler le camp. Celles-ci n’étaient pas non plus à la fête : inférieures en nombre, alourdies par leurs lourdes armures d’antifer, encombrées de longues lances et de pesantes rapières, face à l’agilité diabolique des Hanns – barbares à demi-nus, à la peau squameuse, le visage dévoré par de grands yeux reptiliens, une chevelure grouillante et urticante comme un nid de serpents – dont les armes fines et légères semaient la mort en un éclair. D’assaillants assurés 91
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de la victoire, les soldats d’Orphan étaient passés défenseurs de leurs positions, et ils savaient que l’étape suivante serait la retraite, sinon la déroute. Que faisait le Chevalier Sombre ? Celui-ci, justement, plongeait de la colline sur son pégase noir, ailes déployées, le seigneur Orphan dans son sillage. Il se décidait enfin à s’engager dans la bataille. Du haut du promontoire rocheux surplombant le coude de la Tsaï, tous deux avaient observé l’assaut, le tumulte qui s’était ensuivi, l’avantage qui tournait en faveur des Hanns dont les cris de guerre leur parvenaient pardessus les cliquetis des armes. Dix fois déjà, Orphan avait exhorté le Chevalier Sombre à voler au secours de ses troupes, rétablir l’offensive, écraser les barbares. Celui-ci ne répondait pas, immobile sur le rocher, comme une statue d’airain. Puis soudain, il avait sorti de son fourreau une puissante épée d’acier bleu, cabré son pégase, et avait fondu tel un grand rapace sur le champ de bataille. Le Chevalier Sombre se jeta dans la mêlée comme une tornade, y ouvrit une trouée de mort et de sang, frappant d’estoc et de taille, à gauche, à droite, devant, derrière, tranchant, coupant, éventrant, tailladant sans discernement, inlassable, imperturbable, impitoyable. Les Hanns virent en lui un adversaire sérieux et concentrèrent sur lui le gros de leurs forces. Peine perdue : autour du Chevalier Sombre s’élevait un cercle de cadavres. Rien ne l’atteignait : les sabres 92
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se brisaient sur son écu d’antifer, les dagues s’émoussaient sur son armure de carabe, les dards ricochaient, les javelots déviaient leur course. Comme nimbé d’une aura de colère divine, il semait la mort autour de lui avec une régularité d’automate. Les forces des Hanns s’amenuisaient, leur confiance en eux également. Peu à peu, les soldats d’Orphan reprenaient l’avantage, repoussaient leurs adversaires vers la rivière. Soudain – par accord tacite, les Hanns étant télépathes – ils plongèrent tous dans l’eau bourbeuse de la Tsaï, abandonnant leurs aragnes et ce qui restait de leurs biens. L’armée du comte de Trim s’apprêta à crier victoire, l’autre rive étant en territoire Gaït. Mais le Chevalier Sombre en décida autrement : il cabra son pégase au regard fou, qui déploya de nouveau ses ailes membraneuses et s’envola par-dessus la rivière. Orphan et ses soldats durent se résigner à le suivre, à pourchasser les Hanns dans le comté de Gaït. Et le Chevalier Sombre les traqua sans répit, dans les jours clairs et les nuits pourpres, jusqu’à ce qu’ils fussent tous anéantis.
La nouvelle de la victoire du seigneur Orphan – et de son allié précieux – sur les terribles Hanns se répandit plus vite que celle de l’invasion des bar93
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bares. Tout au long du retour vers Dimbuk, le Chevalier Sombre fut porté en triomphe dans chaque ville, chaque village, à chaque étape. La paisible capitale de Trim fut en liesse une semaine durant. Le Chevalier Sombre était invité partout, chacun – riche ou pauvre, humble ou puissant – voulait le voir, le toucher, l’embrasser, lui offrir des cadeaux, des prières, l’inviter à dîner, à coucher, à chasser l’oiseau-roc… Orphan et ses vassaux l’accaparaient du matin au soir, cherchaient à s’attirer ses bonnes grâces, à briser sa carapace de solitude, de triste indifférence. Malgré tant de soins et d’attention, le Chevalier Sombre n’était pas heureux, ni même joyeux. Il restait souvent les yeux dans le vague, le visage crispé sur une souffrance intérieure. Il faisait les cent pas la nuit, agité par les tourments de l’insomnie. Il soupirait tel un amant après sa belle enfuie… Mais on ne lui connaissait aucun amour duquel se languir, sinon celui pour ses armes qu’il passait des heures à affûter, astiquer, fourbir, chérir. Un terrible secret le minait, une maladie de l’âme que rien ne pouvait apaiser, ni les chants, ni les danses, ni les jeux, ni les ripailles, ni les filles volages, ni les compagnons de beuverie. Même l’évocation de ses exploits guerriers – dont il eût dû tirer fierté – ne lui arrachait qu’une grimace de douleur et un geste agacé, comme si on lui rappelait de mauvais souvenirs.
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Un soir au dîner, quelque peu éméché et au désespoir de lui être agréable, le seigneur Orphan saisit le Chevalier Sombre par la manche et requit son attention : – Écoute-moi bien, ce que je vais te dire est très sérieux. N’es-tu pas las de ta vie d’errance et de batailles ? N’aspires-tu pas au repos du corps et de l’esprit, dans un beau palais, entouré d’un riant domaine, auprès d’une épouse aimante et dévouée ? Tout cela est pour toi, Chevalier, je t’en donne ma parole. Je t’offre le fief de Kalimbuk et son palais d’eau au bord de la Tsaï. Et je t’offre ma fille en épousailles. Tout à sa tirade, Orphan ne remarquait pas l’effet que produisaient ses paroles sur les personnes concernées : sa fille de seize ans, assise à sa gauche, ouvrait des yeux ronds et piquait un fard ; le corpulent seigneur de Kalimbuk fronçait ses minuscules sourcils, une cuisse de poulon en suspens devant la bouche. Manifestement, tous deux tombaient des nues. – Ainsi, continuait le comte, tu seras mon plus solide allié aux Marches orientales de Trim, nous n’aurons plus jamais à craindre les Hanns, et si tu me fais un fils, il pourra devenir l’héritier du comté… – Attends un peu, Orphan, l’interrompit le seigneur de Kalimbuk en se levant lourdement de sa chaise. Tu as bien parlé de donner mon palais au Chevalier Sombre ? Qu’est-ce que ça signifie ? – Ça signifie que je ne vous ai pas beaucoup 95
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vus, toi et tes troupes, à la bataille contre les Hanns au bord de la Tsaï. Ça signifie que je confie désormais le fief de Kalimbuk à un allié plus fiable et compétent, rétorqua-t-il d’un ton froid. Le seigneur de Kalimbuk devint écarlate et porta la main à son épée. Le Chevalier Sombre étendit les bras en travers de la table. – Seigneurs, inutile de vous disputer, prononçat-il de sa voix caverneuse. La proposition d’Orphan ne m’intéresse pas. Sa fille peut dormir tranquille, et le seigneur de Kalimbuk régner paisiblement sur ses domaines. Quant à moi, permettez que je me retire. Ces jours de liesse m’ont épuisé. Il quitta à grands pas la salle d’apparat, sous les yeux silencieux de la douzaine de convives. Le comte de Trim et le seigneur de Kalimbuk se rassirent, dégrisés. Dix minutes plus tard, les gardes abaissaient la passerelle du château suspendu de Dimbuk pour laisser dévaler le Chevalier Sombre au galop de son pégase noir, sa cape claquant au vent. Il s’envola par-dessus le chemin tout bruissant de murmures-de-la-nuit et s’évanouit dans les ténèbres pourpres, noire silhouette avalée par les cieux tourmentés.
Le voici, le Chevalier Sombre, plus tard, ailleurs, dans une autre contrée, un autre pays peut-être. Qui peut deviner où le conduisent ses pas ? Le sait96
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il lui-même ? D’une bataille à l’autre, de victoire en victoire, de cadavre en cadavre… Pour l’heure, il paraît fatigué : assis tête basse, bras ballants entre les genoux, sur une grosse pierre ronde d’un éboulis moussu au fond duquel cascade un torrent. Non loin, dans la pente boisée de grands arbres-à-fil, son pégase tout aussi épuisé grignote mollement les pousses de broussier qu’il déniche entre les racines-lianes. Les vribles stridulent parmi les frondaisons chevelues, estompées par la brume. Le Chevalier Sombre est seul, rigoureusement seul. Néanmoins, il parle à voix haute : – Tu n’es donc jamais rassasiée ? Il t’en faut toujours plus ? Il fixe intensément le rocher devant lui, aussi nu que la paume de sa main. Comme s’il y voyait quelqu’un. Quelqu’un s’y trouve en effet, mais seul le Chevalier Sombre peut la voir. Car c’est à lui qu’elle a choisi d’apparaître. Fata Morgana, la Fée Noire, la Fille de la Mort, la Démone des Batailles. Venue d’au-delà du rude pays des Hanns, d’audelà de l’Orient du Soleil Rouge, d’au-delà du terrible océan Violet, venue des Enfers mêmes qui, dit-on, rugissent sur l’autre rive, ou venue de plus loin encore – elle a jeté sur lui son dévolu. Le Chevalier Sombre la contemple, et son regard est éperdu d’amour. Un gracieux visage d’ivoire encadré d’une somptueuse chevelure de jais, percé de deux yeux 97
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en amande aux iris ultraviolets, un corps d’albâtre à la souplesse féline et à l’harmonie parfaite, vêtu de légers voiles noirs qui battent derrière elle comme des ailes : elle possède l’irrésistible beauté des démones… Et le Chevalier Sombre s’est laissé piéger, a sombré cœur et âme à la séduction de la Démone des Batailles. Il est désormais son esclave, son chevalier servant. Fata Morgana lui retourne son regard, mais le sien est avide. Elle glisse une langue rouge sur ses lèvres ourlées de noir. – C’est cela, petit homme… Il m’en faut toujours plus. Le Chevalier Sombre soupire, tente d’argumenter – mais il sait que c’est vain : tôt ou tard, il devra repartir en chasse. 98