Symposium HERA
25 avril 2024 – Université de Mons
L’apport de la recherche systémique aux enjeux de société. Partage et échange autour des méthodologies, résultats, leviers et freins
L'organisa,on de ce symposium est rendue possible grâce au sou,en de la Région Wallonne, de la Région de Bruxelles-Capitale et d'Innoviris.
TABLE DES MATIÈRES
LE SYMPOSIUM HERA : CONTEXTE ET OBJECTIFS
La vision que porte la Fonda,on est celle d'une société durable, qui persiste et prospère en offrant une grande qualité de vie pour tou·tes ses habitant·es, de manière juste et équitable. Une société où les besoins de tou·tes sont sa,sfaits – maintenant et demain, ici et ailleurs –en respectant les limites des écosystèmes et ressources naturelles, dont toute vie dépend. Une société où les citoyen·nes acquièrent la maîtrise démocra,que du choix de leurs modes de développement. CeQe vision fait émerger des enjeux mul,ples et complexes auxquels les généra,ons actuelles et futures devront faire face pour assurer la transi,on vers des modes de développement durable.
Pour appréhender ces enjeux, iden,fier les probléma,ques sous-jacentes et faire émerger des réponses innovantes et durables, la recherche systémique occupe une place fondamentale. Dans ce contexte, le symposium HERA 2024 souhaite meQre en lumière et en lien les ancien·nes primé·es HERA qui mènent une recherche abordant un enjeu de développement durable de façon systémique.
Le symposium vise à meQre en présence des recherches abordant des théma,ques variées et mobilisant des méthodologies mul,ples afin de favoriser le dialogue et l’ouverture entre les approches, la confronta,on des solu,ons proposées et l’émergence de synergies et d’ini,a,ves inspirantes pour la communauté académique autour des enjeux et des défis liés aux objec,fs du développement durable.
Le symposium se veut également un lieu privilégié d’échanges et de partage autour des freins et leviers auxquels sont confronté·es les chercheurs et chercheuses dans l’adop,on d’une approche systémique de leur recherche.
PROGRAMME
14h15 – Introduc/on
14h15 – Chloé Lion (Fonda,on pour les Généra,ons Futures)
14h25 – Communica/on inaugurale
14h25 – François Pirson (UMONS)
L’enseignement et la recherche face au monde VUCA (Vola9le, Uncertain, Complex, Ambiguous)
14h40 – Présenta/ons des recherches et moments d’échanges (posters session)
14h40 – Coralie Muylaert et Larissa Romariz Peixoto (UMONS)
Le lien comme moteur de la transi9on : un résultat commun de deux thèses radicalement différentes aux processus de recherche innovants Quel lien entre les changements de pra9ques de consomma9on et la rénova9on des quar9ers populaires ?
14h50 – Pierre Walckiers (UCLouvain)
Sciences, narra9ves et arguments dans les négocia9ons sur les ressources géné9ques dématérialisées : un regard cri9que et holis9que sur nos rela9ons avec l'(agro)biodiversité
14h55 – Chris,ne Frison (ULiège)
Approche de recherche décoloniale et féministe pour soutenir la conserva9on de la biodiversité agricole
15h00 – Anthony RicoQa (UCLouvain)
La par9cipa9on citoyenne au guichet des administra9ons de première ligne : la proba9on en Belgique francophone comme cas d’étude
15h05 – JulieQe Van Ypersele (ULB)
Du produc9visme au post-produc9visme, l’emploi convenable en transi9on
15h10 – Louis Golard (UCLouvain)
Revue de concepts u9les à l’évalua9on des impacts environnementaux d’une technologie
ABSTRACTS DES RECHERCHES PRESENTÉES
Coralie MUYLAERT & Larissa ROMARIZ PEIXOTO (UMONS)
Le lien comme moteur de la transi0on : un résultat commun de deux thèses radicalement différentes aux processus de recherche innovants. Quel lien entre les changements de pra0ques de consomma0on et la rénova0on des quar0ers populaires ?
Inhabituel, cet abstract présente non seulement des recherches spécifiques menées dans le cadre de thèses récentes en architecture (Romariz Peixoto, 2023) et en sciences économiques et de ges,on (Muylaert, 2023), mais surtout des ponts entre deux travaux systémiques. Les sujets de recherche, pourtant très éloignés, l’un sur le projet urbanis,que dans des quar,ers populaires, l’autre sur l’économie de la fonc,onnalité dans le secteur de l’habillement, ouvrent des pistes communes pour l’effec,vité de la transi,on vers des modes de vie soutenables. Elles soulignent l’urgence de recréer des espaces collec,fs pour favoriser l’émergence de nouvelles narra,ves propices à la transi,on. Le croisement de ces deux recherches aux ques,onnements radicalement différents met en évidence la nécessité d’une approche systémique transdisciplinaire et d’une perméabilité entre méthodologies en vue d’iden,fier et de mobiliser les leviers de la transforma,on sociétale.
Les condiDons d’un projet populaire de transformaDon territoriale issues de la thèse en urbanisme
Via une immersion dans six quar,ers populaires du Hainaut franco-belge, la recherche navigant entre architecture, urbanisme, sociologie et anthropologie, inves,gue les puissants paradoxes socio-spa,aux qui caractérisent ces quar,ers pour interroger le projet urbain. Elle démontre que les projets de transforma,on urbaine, souvent théma,ques (rénova,on énergé,que des logements, remaillage viaire du quar,er) exacerbent les violences sociales, psychologiques et spa,ales déjà installées dans ces quar,ers. Elle ques,onne les modèles de concerta,on citoyenne qui ont tendance à disqualifier la parole des habitants des quar,ers populaires, et ce, malgré l’injonc,on actuelle à par,ciper. Elle part de la marge pour penser la ville et s’aQaque à un enjeu majeur de l’avenir de nos villes : les inégalités sociales et territoriales provoquées non seulement par les formes urbanis,ques héritées du passé, mais étonnamment, par les poli,ques d’inser,on urbaine et sociale en vigueur. Construire un projet populaire soutenable de transforma,on territoriale dépend de deux condi,ons. La première est la compréhension par les acteurs de la ville de trois tensions qui expliquent les paradoxes observés : celle entre l’espace, le sens et l’affect qui y est aQaché, celle entre le quar,er cage qui enferme et le quar,er cocon qui protège, celle entre le s,gmate et les mul,ples iden,tés présentes. La deuxième condi,on est l’iden,fica,on puis la valorisa,on des ressources qui ressortent de ces tensions, matériaux indispensables à la fabrica,on de la ville qui inclut et apaise.
Les condiDons de l’adhésion à l’économie de la foncDonnalité issues de la thèse en sciences économiques et de gesDon
L’économie de la fonc,onnalité (EF) vend l’usage d’un bien, par opposi,on à la vente classique du bien en lui-même. En meQant un bien à disposi,on de plus d’un seul client, dans l’espace et/ou dans le temps, ce modèle économique intensifie les usages d’un même bien, contribuant ainsi poten,ellement à une dématérialisa,on systémique de l’ac,vité économique. Cependant, ce modèle peine à recruter un nombre suffisant de consommateurs pour être viable. Ainsi, la seule existence d’offres alterna,ves ne garan,t pas que les consommateurs se tourneront vers des modèles économiques plus soutenables.
L'originalité de ceQe recherche et son innova,on résident dans le fait que ce ne sont pas les comportements individuels, mais bien les pra,ques établies perpétuant l’ordre social qui cons,tuent l’unité d’intérêt et d’analyse de ceQe recherche. En ce sens, l’un des résultats de ceQe thèse mène à la recommanda,on aux décideurs poli,ques de développer un espace public porteur d’un nouvel ordre social et propice à des changements de pra,que de consomma,on : des bibliothèques élargies. Les bibliothèques communales pourraient cons,tuer un point d’ancrage per,nent. Ces lieux sont déjà perçus par les consommateurs comme des lieux d’accès à l’usage d’objets, les infrastructures existent et elles ont déjà ajouté dans leurs missions d’être des lieux d’ac,vités, de rencontre et de sociabilité. Ainsi, élargir les bibliothèques pourrait permeQre de sa,sfaire des besoins par l’accès à l’usage d’un panel d’objets (vêtements, ou,ls, meubles, pe,ts électroménagers …), tout en proposant de nouvelles formes de sociabilité non liées à la consomma,on. Ces lieux permeQraient aux consommateurs de se familiariser aux offres EF et d’expérimenter l’EF sans trop d’engagement.
Le collecDf et la sociabilité comme moteur du changement
Les recherches dans des domaines si dis,ncts meQent en avant une dimension essen,elle qui appuie les démarches de soutenabilité : le collec,f et la sociabilité comme moteur du changement.
La recherche en urbanisme a montré que les microtrauma,smes quo,diens (Jamoulle et Lahaye 2014) vécus par les popula,ons des quar,ers populaires et exacerbés dans le cadre de travaux de rénova,on pourraient être valablement aQénués si les lieux qui représentent le patrimoine social des quar,ers cons,tuaient véritablement le cœur des projets urbains. Ainsi, les maisons de quar,er, appuis sociaux souvent incontournables, source de sécurité et lieux de solidarités, les clubs spor,fs de quar,er, lieux de mixité sociale et porte d’entrée pour un public extérieur, ou encore certains espaces publics, bien qu’inhospitaliers vus de l’extérieur, sont des éléments fondamentaux pour la construc,on d’un projet d’avenir soutenable. C’est souvent dans ces lieux que la mobilisa,on citoyenne locale s’exprime, soit au travers d’un travail informel (rémunéré ou non) (Collec,f Rosa Bonheur 2019) soit au travers d’ini,a,ves innovantes d’échanges de services, de forma,on et de construc,on de projets.
La recherche sur l’économie de la fonc,onnalité a montré que les consommateurs sont par,culièrement arrés par les offres d’EF qui proposent d’être des lieux de rencontre et d’échange et pas uniquement des magasins qui se limitent à vendre l’usage d’objets habituellement achetés. Ce n’est pas le service dématérialisé (acheter l’usage d’un objet) qui
arre, mais la promesse immatérielle de rencontre, de se trouver dans un lieu d’échange de savoirs ou de compétence, dans un lieu convivial. En ce sens, parmi les 6 offres d’EF étudiées avec les consommateurs, celle qui est ressor,e, à l’unanimité, comme la plus arrante, l’était parce qu’elle donne l'impression d'être un projet humain et qu'elle se propose de rassembler des personnes ayant un hobby, une passion commune. Tous les par,cipants ont été arrés par les services associés à ceQe offre : c'est un lieu de rencontre où il est possible de par,ciper à des forma,ons, où une transmission de savoir et une entraide entre par,cipants ont lieu et qui con,ent un atelier, un lieu physique pour travailler ensemble.
Via des méthodes différentes et des théma,ques à priori sans lien direct, nos recherches démontent que ce qui fait sens pour les citoyens, se révèle être, dans nos cas d’étude, ce qui crée du lien. Mais, si la dimension de la sociabilisa,on semble centrale pour envisager les changements de pra,ques, sa prise en compte en tant qu’élément central de concep,on de projet urbains ou économiques, demande un changement de paradigme dans la pra,que des professionnels, en par,culier des urbanistes, posi,onnés davantage en tant qu’accompagnateurs de projets citoyens plutôt que concepteurs exclusifs de la ville
L’interdépendance des ODD
Les deux recherches présentées impactent par,culièrement 4 des 17 objec,fs de développement durable définis par l’ONU: la luQe contre les inégalités (objec,f n. 10), contre la pauvreté (n.1), le développement de villes et communautés durables (n. 11) ainsi que la consomma,on et la produc,on responsables (n.12). Mais ce qui ressort indubitablement de ceQe analyse croisée est l’interdépendance des différents objec,fs. En proposant de miser sur les services et équipements existants tels que les bibliothèques afin d’élargir le champ de l’économie de la fonc,onnalité, c’est la valeur de centralité en urbanisme qui est appuyée. En effet, les villes et quar,ers organisés autour d’équipements et services de proximité vecteurs de lien sont des villes davantage résilientes, qui acheminent vers une réduc,on de l’étalement urbain et qui facilitent le report modal de la voiture vers les transports en commun et les modes ac,fs de déplacement.
Méthodes, intuiDons et transdisciplinarité
La thèse sur les projets urbains développe des méthodes systémiques pour comprendre la parole habitante dans toute sa complexité. Pragma,ques, les techniques développées ne font pas fi de mécanismes habituels d’analyses territoriales (sta,s,ques sociales et économiques, cartographies historiques, morphologiques et fonc,onnelles), mais diversifient les approches anthropologiques plaçant les récits habitants au cœur des analyses et des solu,ons. Organisés autour de ques,onnements simples tels que le déroulement de la vie de quar,er, les moments de rencontre avec les habitants ont fait émerger une mul,tude de sujets aussi complexes que féconds, s’éloignant systéma,quement des ques,ons posées. La méthode induc,ve-abduc,ve (Luckerhoff et GuillemeQe 2012) engendre un ques,onnement scien,fique au départ du terrain sans hypothèse préalable, mais des situa,ons d’analyse construites via un allez-retour con,nu entre le terrain et les écrits scien,fiques de plusieurs disciplines.
La thèse portant sur l’économie de la fonc,onnalité a mobilisé une méthodologie qualita,ve prenant la forme de trois groupes de discussion pour appréhender précisément les aspects
tacites et les influences inconscientes des pra,ques habituelles ainsi que les freins et leurs importances rela,ves face à l’adhésion aux offres EF. CeQe méthodologie est jus,fiée par le fait que c’est l’aspect confronta9onnel (Maréchal and Holzemer, 2018 ; Browne, 2016) de ces rencontres qui permet de faire saillir des éléments, tels que les normes et construits socioculturels qui enferment et pérennisent les pra,ques habituelles, qui ne seraient pas forcément appréhendables dans le cadre plus classique de l’entre,en individuel unique. En effet, l’une des vertus de la confronta,on réside dans le fait qu’en laissant plusieurs consommateurs confronter leurs ressen,s, il devient plus facile de repérer les blocages de types génotypiques : les blocages qui touchent à la structure causale d’une pra,que plutôt qu’à sa manifesta,on observable (c.-à-d. blocages phénotypiques) (Maréchal et Holzemer, 2018). Mais la spécificité méthodologique qui a permis de meQre en évidence un résultat inaQendu (celui de la nécessité de créer des lieux de sociabilisa,on comme vecteur de modifica,on de construits socio-culturels) est celle d’avoir laissé des temps longs d’échange entre les par,cipants. Ainsi, le fait d’avoir laissé la porte ouverte à des discussions qui sortaient des ques,ons spécifiques de la thèse a précisément permis de meQre en évidence un vecteur d’effec,vité de la transi,on
Les deux thèses montrent que c’est là où on ne l’aQend pas qu’apparait la force mobilisatrice de la transi,on, ce qui requiert une méthodologie qui permet des échanges non programmés. Il est peu probable que les résultats ici discutés émergent d’un processus habituel de concerta,on citoyenne de projet urbain. Ces processus et leurs mécanismes laissent peu de place à la parole libre et disqualifient systéma,quement celle des habitants des quar,ers populaires.
Les méthodologies de recherche expérimentées permeQent au chercheur de se libérer, dans la mesure du possible, de ses hypothèses de départ et de ses proposi,ons de réponses, en se rendant disponible pour saisir à la réalité telle qu’elle est vécue. CeQe posture facilite la compréhension des mécanismes inconscients qui animent les par,cipants et définissent leurs pra,ques. Elle demande humilité et esprit cri,que, mais semble féconde en vue d’envisager des solu,ons ancrées de transforma,on sociétale.
Enfin, les difficultés liées à la transdisciplinarité et éprouvées dans les thèses (résistances académiques, risque de superficialité …) sont propor,onnelles au nombre de portes qu’elle ouvre en ma,ère de nouvelles recherches, d’opéra,onnalisa,on du changement de cap sociétal, mais aussi de développement d’une vision à 360° au départ de la parole habitante.
Bibliographie
Browne, A. (2016). Can people talk together about their prac,ces? Focus groups, humour and the sensi,ve dynamics of everyday life, Area, vol. 48 (2), pp.198–205.
Jamoulle, P. et Lahaye, W. (2014). Les disposi9fs de résilience sociale quand les communautés sont fragilisées. L’exemple des cercles collec9fs d’épargne, Revue du Redif. Vol. Familles fragiles, vulnérabilité et résilience, n° 7, pp. 23-35.
Luckerhoff, J et GuillemeQe, F. (2012) Méthodologie de la théorisa9on enracinée. Québec : Presses Université du Québec.
Maréchal, K. et Holzemer, L. (2018), Unravelling the 'ingredients' of energy consump9on: Exploring home-related prac9ces in Belgium, ERSS, vol. 39, pp. 19-28.
Muylaert, C. (2023). Vê9thèques versus fast fashion – Dévoiler les verrouillages aux changements de pra9ques habituelles de consomma9on pour mieux les dépasser et favoriser le déploiement de l’économie de la fonc9onnalité dans le secteur de l’habillement [Doctoral thesis, ULiège - Université de Liège]. ORBi-University of Liège. hQps://orbi.uliege.be/handle/2268/304810
Romariz Peixoto, L. (2023). Les condi9ons du projet populaire. Paradoxes socio-spa9aux et tensions en Hainaut franco-belge. Thèse de doctorat, UMONS. Orbi-UMONS. hQps://orbi.umons.ac.be/handle/20.500.12907/46046
Collec,f Rosa Bonheur (2019) La Ville vue d’en bas. Paris : Édi,ons Amsterdam.
Pierre WALCKIERS (UCLouvain)
Sciences, narra0ves et arguments dans les négocia0ons sur les ressources géné0ques dématérialisées : un regard cri0que et holis0que sur nos rela0ons avec l'(agro)biodiversité
Les avancées technologiques et scien,fiques sont en passe de révolu,onner la bioéconomie, les systèmes alimentaires et la santé publique à divers niveaux. En examinant la ges,on des semences et leur dématérialisa,on comme études de cas, ceQe recherche analyse le rôle des sciences en tant que jus,fica,on dans les domaines poli,que et juridique.
Dans la première par,e de notre étude, nous explorons l'impact de ces avancées scien,fiques sur les mécanismes d'équité Nord-Sud du droit interna,onal des ressources géné,ques, qui sont actuellement confrontés à la « dématérialisa,on » des ressources géné,ques (Aubry et al., 2022). Les ressources géné,ques sont réglementées au niveau interna,onal depuis 1992 par la Conven,on sur la diversité biologique (CDB) et divers traités, conven,ons et instruments spécialisés tels que le Traité interna,onal sur les ressources phytogéné,ques pour l'alimenta,on et l'agriculture (TIRPAA) de 2001 pour les semences. De nombreuses règles et principes émergent de ce cadre réglementaire, notamment la souveraineté des États sur leurs ressources géné,ques et les mécanismes d'accès et de partage des avantages (APA). Cependant, ces instruments sont désormais confrontés à l'u,lisa,on croissante de l'Informa,on de Séquence Numérique (Digital Sequence Informa,on - DSI). Au cours des deux dernières décennies, il est devenu possible de séquencer et de « dématérialiser » les ressources géné,ques à des fins de recherche et commerciales, sans nécessairement déclencher de mécanismes APA ou de compenser les popula,ons autochtones et les communautés locales pour leur conserva,on de la biodiversité agricole. CeQe évolu,on scien,fique suscite d'importantes controverses poli,ques et juridiques quant à l'inclusion des DSI dans le champ d'applica,on de ces instruments. Bien que ceQe ques,on soit à la fois juridique (en termes de champ d'applica,on des traités) et poli,que (en termes d'équité NordSud), les discussions ont souvent été dominées par des considéra,ons techniques et scien,fiques, ce qui favorise une stricte sépara,on entre les ressources géné,ques « physiques » et « intangibles ».
La seconde par,e de ceQe recherche réexamine l'u,lisa,on d'arguments et de récits « techniques » ou « scien,fiques » dans des forums poli,ques ou juridiques, en examinant leurs rôles, leurs fonc,ons et leur instrumentalisa,on. Bien que des poli,ques fondées sur des preuves scien,fiques soient souhaitables, il est important de cri,quer une approche exclusivement scien,fique ou technique de ques,ons qui ont à la fois des dimensions techniques et sociales. Dans le domaine agricole, nous observons une tendance à la technicisa,on à la fois des pra,ques agricoles et de leurs jus,fica,ons poli,ques, ce qui peut conduire à une dépoli,sa,on des enjeux. Face à ceQe tendance, nous proposons une « approche rela,onnelle » de ces instruments pour repoli,ser ces ques,ons techniques et aborder une approche plus holis,que des ressources géné,ques (englobant leurs éléments tangibles, intangibles, mais également sociaux-culturels). CeQe approche tentera de réconcilier les objec,fs du développement durable concernés par ces ques,ons, parfois mis en concurrence, notamment : la ges,on durable (environnementalement, socialement) des
pra,ques agricoles (Planet, People, Prosperity, Par,cipa,on, ODD-1, 2, 6, 8-10, 12-15), l'inclusion des popula,ons locales et la reconnaissance leur savoir tradi,onnel (People, Par,cipa,on, ODD-5, 10), une approche commune des ressources géné,ques et un partage juste et équitable des bénéfices issus de leur u,lisa,on (Prosperity, Planet, ODD – 1, 4-5, 8, 10), et la juste prise en considéra,on des ques,ons sociales dans des domaines techniques (People, Par,cipa,on, ODD- 16).
Bibliographie
Aubry, S. et al., « Bringing access and benefit sharing into the digital age », PLANTS, PEOPLE, PLANET, 2022, vol. 4, n° 1, pp. 5-12, disponible sur hQps://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ppp3.10186 (Consulté le 11 février 2022).
Symposium HERA 2024 | L’apport de la recherche systémique aux enjeux de société. Partage et échange autour des méthodologies, résultats, leviers et freins
Chris/ne FRISON (ULiège)
Approche de recherche décoloniale et féministe pour soutenir la conserva0on de la biodiversité agricole
Les mécanismes d'accès et de partage des avantages (APA) - où l'accès aux semences agricoles (généralement dans les pays en développement) est négocié contre les avantages u,lisés pour des ac,ons de conserva,on - ont été créés pour aQénuer les profondes inégalités entre les pays et les acteurs de la biodiversité, qui trouvent leur origine dans l'histoire coloniale de la collecte et de l'u,lisa,on des ressources phytogéné,ques. Toutefois, ces inégalités sont actuellement menacées par des innova,ons technologiques telles que l'informa,on séquen,elle numérique (ISN), qui modifient la nature de la recherche et du développement dans le domaine de la biotechnologie. Les ISN ravivent la luQe pour l'APA entre le Nord et le Sud pour le contrôle des ressources géné,ques. Il est donc urgent d'analyser les ques,ons en jeu en écoutant tous les acteurs impliqués dans la conserva,on de la biodiversité agricole et dans l'innova,on rela,ve à l’ISN.
CeQe contribu,on explore comment une nouvelle approche mobilisant une lecture décoloniale et féministe du droit de la conserva,on de la biodiversité peut contribuer à aQeindre les objec,fs interna,onaux des lois sur la conserva,on de la biodiversité, de l'u,lisa,on durable et de l'APA juste et équitable. CeQe approche répond à la ques,on du changement de paradigmes pour un droit plus protecteur de la biodiversité agricole.
CeQe contribu,on s’appuie sur le nouveau projet ERC « DecoLawBiodiv ». En creusant les racines du fossé Nord/Sud en ma,ère d'APA, il espère (1) rendre compte des interac,ons entre les acteurs, y compris les jeux de pouvoir dans les arènes de négocia,on ; (2) meQre en évidence la compréhension qu'ont les mul,ples groupes d'acteurs des concepts, droits et obliga,ons clés en ma,ère d'APA ; et (3) examiner minu,eusement les processus de négocia,on à l'aide d'une len,lle décoloniale et féministe. L'originalité théorique de DecoLawBiodiv réside dans l'étude holis,que de l’ISN dans le cadre juridique et ins,tu,onnel de l'APA, basé sur le marché, à l'aide de la théorie de la transforma,on des conflits. L'originalité méthodologique est de mobiliser la méthode de recherche du « cercle de dialogue de la sagesse » (méthodologie de recherche décoloniale et féministe développée en Colombie) dans 3 études de cas (Bolivie, Inde, Afrique du Sud) afin de transformer le conflit APA/ISN en une compréhension et un sou,en mutuel entre les acteurs et de conduire à une co-créa,on décolonisée de connaissances pour un régime juridique interna,onal efficace de conserva,on de la biodiversité agricole.
Anthony RICOTTA (UCLouvain)
La par0cipa0on citoyenne au guichet des administra0ons de première ligne : la proba0on en Belgique francophone comme cas d’étude
Les interac,ons administra,ves, lieux de rencontre entre agents de première ligne des administra,ons de l’État et citoyens (Goodsell, 1981), cons,tuent ce qui se rapproche le plus d’un échange direct entre la popula,on et l’appareil éta,que (Brodkin, 2012). Aussi, le traitement que reçoivent les citoyens aux guichets des administra,ons affecte substan,ellement la légi,mité et la confiance aQribuées à l’État et ses ins,tu,ons (Moynihan & Soss, 2014). Bien plus qu’un rôle d’implémenta,on stricto sensu, les agents de guichet des administra,ons façonnent les poli,ques publiques selon la réalité de terrain qu’ils rencontrent (Brodkin, 2012 ; Lipsky, 1980/2010).
Les travaux qui s’intéressent à ces objets ont longtemps négligé les citoyens, dépeints comme passifs (par ex. Lipsky, 1980/2010 ; ProQas, 1978), pour se pencher sur les spécificités de la fonc,on des agents de guichet (par ex. Tummers et al., 2015). Une série de travaux a toutefois récemment présenté (par ex. Bartels, 2013 ; Prior & Barnes, 2011 ; Samanta & Hand, 2022) les interac,ons administra,ves comme des « processus collabora,fs et négociés » (Hand & Catlaw, 2019, p. 2, trad.). Les citoyens, tout comme les agents, par,ciperaient au façonnement de l’ac,on publique lors de ces échanges (Hand & Catlaw, 2019). Ainsi, ce pourrait être des canaux de par,cipa,on citoyenne (voir Bartels, 2014).
Comment les citoyens par,cipent aux interac,ons administra,ves reste toutefois un point d’interroga,on. La liQérature existante suggère des pistes à explorer : les contraintes (par ex. le stress ou les exigences à remplir) que représentent ces interac,ons pour les citoyens (par ex. Herd & Moynihan, 2018 ; Peeters & Campos, 2021), ou encore les ressources dont ils disposent pour y faire face (par ex. Christensen et al., 2020 ; Döring, 2021 ; Gilad & Assouline, 2022), sont suscep,bles d’influer sur leurs modalités de par,cipa,on. Ce faisant, nous nous appuyons sur la liQérature sur le fardeau administra,f (voir Moynihan, Herd & Harvey, 2015) – qui étudie les premières – et celle sur les ressources administra,ves (voir Döring, 2021 ; Gilad & Assouline, 2022) – qui étudie les secondes – comme grille de lecture de la par,cipa,on citoyenne à ces interac,ons.
Nous abordons ceQe ques,on dans un secteur singulier pour son caractère puni,f : la proba,on en Belgique francophone. Un objec,f de réhabilita,on des proba,onnaires y est poursuivi. Il est aQendu qu’ils s’inves,ssent ac,vement dans leur mesure probatoire. Outre leur rôle de supervision du respect des condi,ons imposées, les agents de proba,on ont également une fonc,on de sou,en aux proba,onnaires, en vue d’une vie conforme aux normes et soutenable (voir DeLude, Mitchell & Barber, 2012 ; Robinson & Raynor, 2006). Les popula,ons confrontées à une mesure probatoire sont, en effet, souvent précarisées et marginalisées. Elles doivent être aidées en vue de réduire leur précarité, en trouvant des aides sociales ou un emploi. Aussi, l’enjeu qui sous-tend la par,cipa,on des proba,onnaires à la mise en place de leur mesure probatoire, par les interac,ons qu’ils ont avec leur agent de proba,on, est également d’assurer la compa,bilité entre leurs besoins et l’ac,on judiciaire.
La recherche s’appuie sur le suivi de 39 proba,onnaires lors d’interac,ons avec leur agent de proba,on. Une approche qualita,ve mul,méthodes (Mik-Meyer, 2020) est implémentée. Nous avons assisté et étudié 70 interac,ons administra,ves entre ces proba,onnaires et les 14 agents de proba,on responsables de leur dossier. Nous avons ensuite conduit une quarantaine d’entre,ens avec la plupart de ces acteurs. Une analyse théma,que (Braun & Clarke, 2021) a été menée sur l’ensemble des données.
Les résultats présentent différents types d’interac,ons administra,ves probatoires. Lors des interac,ons mécanisées, des proba,onnaires dociles, qui ont peu de prise sur l’interac,on et la mise en place de leur mesure judiciaire, font face à des agents qui ont un traitement procédural. Les interac,ons renversées voient des proba,onnaires protestataires interagir avec des agents de proba,on distants et flexibles dans leur traitement : ils parviennent ainsi à avoir une prise sur l’implémenta,on de leur mesure judiciaire. Les interac,ons antagonistes impliquent une confronta,on entre agents de proba,on et proba,onnaires récalcitrants : ces derniers ne parviennent pas à s’assurer un contrôle substan,el sur leur mesure judicaire. Enfin, lors des interac,ons administra,ves réciproques, les proba,onnaires collaborent avec leur agent de proba,on : leurs contribu,ons sont considérées comme centrales à la mise en place de la mesure judiciaire.
L’analyse révèle l’importance du rapport que ces proba,onnaires entre,ennent à la jus,ce (voir Ewick & Silbey, 1998) dans le poids que revêt leur mesure probatoire – i.e., dans le fardeau administra,f ressen, (voir Moynihan et al., 2015) – et, en conséquence, dans leur par,cipa,on aux interac,ons avec leur agent de proba,on (voir Peeters & Campos, 2021 ; Soss, 1999). Certains craignent la jus,ce et sont stressés à son contact (i.e., charges psychologiques –Moynihan et al., 2015) : ils se montrent dociles. D’autres en sont cri,ques et vivent leur sanc,on comme une injus,ce (i.e., charges psychologiques – Moynihan et al., 2015) : dépendamment du traitement de leur agent de proba,on, ils se montrent principalement protestataires ou proac,fs. Une poignée d’entre eux éprouve un ressen,ment envers la jus,ce. Leur mesure probatoire et les condi,ons imposées sont démesurément lourdes à leurs yeux (i.e., charges de conformité – Moynihan et al., 2015) : ils se montrent récalcitrants à les respecter. La contrainte que revêt, pour les proba,onnaires, leur mesure probatoire – i.e., le fardeau administra,f perçu (voir Moynihan et al., 2015) – est, tantôt, un obstacle à leur par,cipa,on ac,ve à sa mise en place (par ex. du fait d’un stress majeur). Tantôt, au contraire, elle pousse à leur affirma,on et favorise leur emprise sur son implémenta,on (par ex. du fait d’un sen,ment d’injus,ce ou de lourdes condi,ons).
La recherche montre que les proba,onnaires par,cipent de facto au façonnement de l’ac,on judiciaire sur le terrain. Par leurs modalités de par,cipa,on, ils orientent les dynamiques qui gouvernent les interac,ons administra,ves avec leur agent de proba,on. Cela contribue, en conséquence, à l’emprise qu’ils ont sur l’implémenta,on de leur mesure judiciaire. Dans certains cas, cela pourrait favoriser le respect des condi,ons imposées et le recours à l’aide proposée par leur agent de proba,on. In fine, c’est suscep,ble de par,ciper à leur réintégra,on et à la pacifica,on de la société.
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JulieUe Van Ypersele (ULB)
Du produc0visme au post-produc0visme, l’emploi convenable en transi0on
Le GIEC appelle au remplacement de notre économie fondée sur la croissance du PIB par une économie axée sur le bien-être et l'équité pour répondre à la crise environnementale et clima,que [1]. Dans ceQe perspec,ve, la reconceptualisa,on du travail au-delà du produc,visme apparait comme un élément décisif dans l'élabora,on de scénarios pour la transi,on écologique [2, 3, 4]. Or, les recherches existantes qui proposent une telle reconceptualisa,on se cantonnent à un niveau théorique et sont insuffisamment concrètes et étayées pour que leurs résultats puissent être réappropriés et mis en œuvre [5]. Pour pallier ce déficit, plusieurs auteurs invitent à repenser concrètement le travail à par,r des possibilités objec,vement réelles déjà présentes dans le droit social belge, qui par,cipe à la défini,on et à l’organisa,on du travail [6].
C’est de ceQe invita,on que la présente contribu,on entend se saisir. Dans un premier temps, nous retraçons l’émergence, les transforma,ons et la diffusion des paradigmes produc,viste et post-produc,viste. Dans un deuxième temps, nous élaborons au départ de cet historique une grille d’analyse permeQant de raQacher les mécanismes juridiques étudiés à l’un ou l’autre paradigme. Classer ces mécanismes, c’est-à-dire meQre au jour « les visions du monde encodées dans le droit » [7], n’est pas une opéra,on mécanique et requiert de recourir à une méthodologie cri,que. C’est la raison pour laquelle nous avons, sur la base d’un large éventail d’études socio-historiques, iden,fié cinq critères qui caractérisent l’un et l’autre paradigmes et qui doivent faciliter et objec,ver le départage entre mécanismes juridiques produc,vistes et post-produc,vistes. Enfin, dans un troisième temps, nous démontrons la fécondité de ceQe grille d’analyse en l’appliquant à un mécanisme clé du droit social, celui de l’emploi convenable en droit de l’assurance chômage.
L’analyse de ce mécanisme, érigé en prototype pour meQre à l’essai la tension conceptuelle opposant le paradigme produc,viste et post-produc,viste, montre que les concep,ons héritées du premier paradigme prévalent largement sur celles nourrissant le second. Dans ceQe vision dominante, quelques brèches non-produc,vistes sont cependant repérées, ravivant la concep,on d’un humain doté de convic,ons, non en,èrement déterminé par des comportements marchands, et dont la valeur des biens et services qu’il produit ne dépend donc pas uniquement de la loi du marché. Il reste que ces brèches demeurent l’excep,on, qu’elles sont interprétées strictement par les autorités et que la charge de la preuve repose sur l’assuré social qui entend s’en prévaloir. C’est la raison pour laquelle la présente contribu,on propose, à par,r du droit en vigueur, trois pistes d’interpréta,on ou de réforme post-produc,viste, à même d’élargir ces brèches. Elle montre ainsi que l’étude fine et systéma,que du cadre juridique existant permet de déceler des « utopies latentes » [8], c’està-dire des excep,ons au paradigme dominant d’ores et déjà présentes et à par,r desquelles il est possible d’élaborer des proposi,ons qui sont des « possibilités objec,vement réelles » [8] d'émanciper le travail du produc,visme.
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Louis GOLARD (UCLouvain)
Co-auteurs : Jérôme Louveaux, David Bol
Revue de concepts u0les à l’évalua0on des impacts environnementaux d’une technologie
IntroducDon
À l’heure actuelle, il est essen,el de maitriser les impacts environnementaux de nos modes de vie et, notamment, de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) [1, 2]. Ce défi majeur nécessite une transi,on rapide et juste, que nous devons essayer d’imaginer et de planifier.
L’objec,f de ceQe courte communica,on est d’établir une revue non-exhaus,ve de plusieurs concepts pouvant aider à l’évalua,on des impacts environnementaux des technologies et à la planifica,on de la transi,on. Plus spécifiquement, nous montrons comment appliquer ces concepts aux technologies de l’informa,on et de la communica,on (TIC) qui génèrent actuellement entre 2 et 4% des émissions mondiales de GES [3]. Cela est illustré par deux direc,ons de recherches où nous tentons de considérer conjointement les contraintes physiques, les évolu,ons technologiques, et les rela,ons systémiques entre agents économiques.
Concepts uDles à l’évaluaDon d’impacts environnementaux
Concept #1 : analyse du cycle de vie
L’analyse du cycle de vie (ACV) est une méthodologie structurée et standardisée qui vise à quan,fier les impacts environnementaux poten,els d’un produit (bien ou service) répondant à une fonc,on définie, au cours de son cycle de vie complet : extrac,on des ma,ères premières, fabrica,on, distribu,on, u,lisa,on et élimina,on en fin de vie [4]. L’intérêt de l’ACV est de considérer plusieurs indicateurs environnementaux pour différents types d’impacts poten,els : sur l’environnement, sur la biodiversité, sur la santé humaine… L’ACV est généralement u,lisée dans le but de communiquer sur les impacts d’un produit commercial, d’améliorer son design (écodesign), ou de supporter une décision. En effet, l’ACV est un ou,l u,le pour déterminer le meilleur produit parmi plusieurs produits qui répondent à une même fonc,on, et pour iden,fier quelle étape du cycle de vie d’un produit est la plus impactante pour l’environnement. Il existe aussi des méthodologies similaires pour évaluer les impacts sociaux du cycle de vie d’un produit (ACV sociale) [5] ou le cout économique d'un produit tout au long de son cycle de vie (coût du cycle de vie) [6].
Concept #2 : soutenabilité environnementale absolue
Bien que l’ACV soit un ou,l u,le pour améliorer la performance environnementale rela,ve d’un produit (son éco-efficience), elle ne permet pas d’évaluer directement si ceQe performance est suffisante et acceptable dans le contexte des fron9ères planétaires [7], qui définissent de manière globale et absolue un espace de fonc9onnement sécurisé pour l’humanité sur Terre [1, 2]. Dans ceQe perspec,ve globale et absolue, on parlera de soutenabilité absolue [8, 9]. L’enjeu est alors de combiner la perspec,ve de soutenabilité rela,ve (étudiée selon une approche ascendante) avec la perspec,ve de soutenabilité absolue
(étudiée selon une approche descendante). Par exemple, et se demandant quel principe d’alloca9on [10] serait le plus juste pour distribuer le budget carbone restant [11], permeQant de respecter l’Accord de Paris, entre tous les habitants de la planète, actuels et futurs ?
Concept #3 : approches de modélisaDon des impacts environnementaux
En ACV, et plus largement en écologie industrielle, deux approches de modélisa,on des impacts environnementaux existent : apribu9onnelle et conséquen9elle [4, 12, 13]. L’approche aQribu,onnelle cherche à es,mer quelle part des impacts environnementaux globaux peuvent être aQribués à la fonc,on étudiée. Quant à elle, l’approche conséquen,elle cherche à es,mer comment la réalisa,on de la fonc,on étudiée influence les impacts environnementaux globaux. L'enjeu principal de la modélisa,on aQribu,onnelle est alors d’arriver à subdiviser les impacts de certains procédés indivisibles lorsqu’ils permeQent de réaliser différentes fonc,ons, parfois impossible à séparer physiquement. CeQe approche repose donc sur des règles d’alloca9on des impacts : selon la masse des produits, selon leur valeur économique… De son côté, l’enjeu principal de la modélisa,on conséquen,elle est d’arriver à déterminer (théoriquement) quelles seraient les conséquences d’une décision ou d’une modifica,on liée à la fonc,on étudiée sur les impacts environnementaux globaux, et ce, dans un système technique, économique et social régi par un grand nombre de rela,ons dynamiques et interdépendantes.
Il apparait donc clairement que le choix de l’approche à u,liser dépend de la ques,on de recherche : on va habituellement préférer l’approche aQribu,onnelle pour réaliser de la comptabilité et de la communica,on environnementale, et on va plutôt préférer l’approche conséquen,elle pour supporter les prises de décisions. Chacune de ces deux approches va impliquer des choix de modélisa,on différents, et affecter le périmètre du système étudié ainsi que le choix des données u,lisées pour les calculs. De notre point de vue, l’approche conséquen,elle est plus adaptée pour capturer les effets rebonds et autres effets indirects dans les études d’impacts environnementaux, ainsi que pour réaliser des études prospec,ves. Cependant, ce débat reste ouvert dans la communauté scien,fique.
Concept #4 : la prospecDve
La prospec9ve est une démarche rigoureuse qui permet d’imaginer et de planifier des scénarios dans le futur (à court, moyen, ou long terme) pouvant servir, entre autres, à étudier des scénarios de transi,on axés vers le développement durable et la soutenabilité absolue [14, 15]. Il existe trois grands types d’approches, répondant à des ques,ons différentes [16, 17] :
• Prédictive « Que va-t-il se passer ? » : prévision de ce qui se passera dans le futur, selon une probabilité ou vraisemblance estimée (subjectivement). En anglais, on parle de forecasting.
• Exploratoire « Que peut-il se passer ? » : exploration de scénarios considérés comme pouvant se produire, selon différentes perspectives et considérant des changements structurels plus profonds.
• Normative « Comment atteindre un objectif spécifique ? » : planification qui commence par définir les objectifs d'un futur (normativement) souhaitable, puis travaille à rebours pour identifier les actions qui permettraient d’atteindre ce futur depuis le présent. En
anglais, on parle de backcasting
ApplicaDon des concepts aux technologies numériques
Pour appliquer les concepts présentés ci-dessus aux technologies numériques, quelques éléments supplémentaires peuvent être mis en évidence. Tout d’abord, il est toujours important de définir précisément la ques,on de recherche, en par,culier son périmètre spa,al et temporel, ainsi que son objec,f (quan,fica,on d’impacts, support à la prise de décision, écodesign…) Il faut également bien définir l’objet de l’étude. En général, il nous semble préférable d’étudier des fonc,ons, qui perdurent dans le temps (ex. : communiquer entre humains à distance), plutôt que des produits ou technologies spécifiques, qui, eux, évoluent dans le temps (ex. : le téléphone filaire a remplacé le télégraphe, qui a lui-même été remplacé par le téléphone portable). Ensuite, nous recommandons de combiner les approches de soutenabilité environnementale rela,ve (ascendante) et absolue (descendante). Enfin, dans l’op,que de réaliser des études prospec,ves, il est toujours intéressant de considérer les tendances historiques pour choisir l’approche de prospec,ve la plus adaptée. Dans la suite de ceQe sec,on, nous illustrons tous ces éléments à l’aide de deux direc,ons de recherche sur lesquelles nous travaillons et avons travaillé.
Exemple #1 : éclairage public intelligent
Dans [18], nous avons réalisé l’ACV d’un réseau d’Internet des objets (IoT) pour l’éclairage public intelligent. Nous avons ensuite proposé d’inclure ses impacts dans le secteur spécifique où ce réseau joue son rôle (dans le secteur de l’éclairage public) et non pas comme une composante supplémentaire au secteur des TIC. Ainsi, nous avons pu comparer qualita,vement des stratégies prospec,ves de réduc,on d’impacts de l’éclairage public en Wallonie, en considérant le déploiement du système IoT, mais aussi pour d’autres scénarios déjà envisagés ou envisageables qui n’u,lisent pas ce système. Nous avons également discuté pourquoi il était important de considérer l’évolu,on du marché global d’IoT en plus de la vision unitaire proposée par l’ACV, au vu de la croissance rapide du nombre absolu d’unité d’IoT.
Exemple #2 : fourniture d’accès à l’Internet mobile
Dans ceQe direc,on de recherche, nous étudions la fonc,on de communica,on à distance entre humains, en considérant que ce besoin existe depuis plus longtemps que les technologies de communica,ons mobiles actuelles (ex : la 4G et la 5G). En l’occurrence, nous cherchons à évaluer les impacts environnementaux actuels de la fourniture d’accès à l’Internet mobile, et à iden,fier les différentes op,ons possibles pour les réduire dans le futur, comme montré dans [19] Dans une perspec,ve de soutenabilité absolue, nous u,liserons le backcas9ng pour proposer des trajectoires d’améliora,on des réseaux de communica,on mobile en fixant un objec,f absolu à respecter (un budget carbone) sur une certaine période L’idée sera alors d’iden,fier les techniques existantes qui seraient efficaces à implémenter, les direc,ons de recherches intéressantes à explorer, ainsi que les choix qui rendraient poten,ellement impossibles l’aQeinte de l’objec,f. En outre, nous cherchons à conserver une qualité de service acceptable socialement, économiquement, et juste, tout en s’abstrayant des trajectoires les plus probables souvent proposées par le monde industriel. Dans la pra,que,
ceQe approche nécessite de la créa,vité, des échanges avec les u,lisateurs et acteurs de terrain, et de penser hors des chemins baQus.
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