Le Figaro Histoire N°6

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NUMÉRO 6 – FÉVRIER/MARS 2013 – BIMESTRIEL

É É R R O O

LES ROMANOV EN 9 ÉNIGMES CRIMES, COMPLOTS, CHÂTIMENTS NICOLAS II, TSAR MALGRÉ LUI LES FANTÔMES D’IEKATERINBOURG LINCOLN, DE L’HISTOIRE À L’ÉCRAN

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Crédits photos : © Design Pics / GraphicObsession - Gettyimages / SantiMB / Roevin


ÉDITORIAL © BLANDINE TOP.

Par Michel De Jaeghere

© DR/L'HOMME NOUVEAU.

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JACQUES HEERS POUR MÉMOIRE

l ne fréquentait pas les studios de télévision où se bousculent tant de gloires passagères. Il leur préférait le cabinet de travail où s’élabore une œuvre dans la patience et le recueillement. Jacques Heers s’est éteint le 10 janvier, à l’âge de 88 ans. Il avait été, durant de longues années, titulaire de la chaire d’histoire médiévale à la Sorbonne. Il était membre fondateur du conseil scientifique du Figaro Histoire, et l’un de ses derniers articles aura été celui qu’il avait consacré, il y a quelques mois, dans nos colonnes, à Jacques Cœur, à l’occasion de la publication du roman historique de JeanChristophe Rufin. Il laisse derrière lui une œuvre immense. Christophe Colomb y croise Marco Polo, Machiavel, Louis XI ou Gilles de Rais ; le clan des Médicis y côtoie la famille des Borgia, les négriers en terres d’islam, les volontaires de la première croisade, les Barbaresques en Méditerranée. Servi par une écriture élégante, allusive, une intelligence des êtres et des situations qui semblait porter à leur quintessence les vertus de l’esprit français, il avait poursuivi, de livre en livre, une même tentative de délivrer l’histoire des idées convenues, des préjugés intéressés. Etranger au manichéisme, il se méfiait des coupures historiques, des grands tournants commodes pour opposer l’ombre à la lumière. Sa grande affaire était de dénoncer les anachronismes qui nous conduisent à plaquer des jugements faciles sur la complexité des faits. De pointer, avec une rare lucidité, les déformations que les modes intellectuelles imposent d’âge en âge à la relecture du passé. De ramener à la mesure, au sens de la nuance, notre appréhension de l’histoire. Elève de Fernand Braudel (il avait préparé sous sa direction sa thèse sur Gênes au XVe siècle), assistant de Georges Duby, il n’avait conservé de la « nouvelle histoire » qu’un penchant pour les fresques ambitieuses, qui font leur place à l’économie et à l’évolution des sociétés : la naissance du capitalisme ou la condition des esclaves et des domestiques au Moyen Age. Il s’en

était écarté par goût de raconter des histoires et de brosser des portraits. Il avait refusé de choisir entre le tableau des civilisations et le récit des grands événements, l’écho que faisaient résonner en lui, aussi, les épopées. Indifférent à tout snobisme, il était de ces historiens qu’anime la passion de transmettre, plus que celle de briller. Il la tenait, sans doute, de son propre itinéraire, qui avait quelque chose d’une légende républicaine : il avait commencé, en 1945, comme simple instituteur. Passant successivement sa licence d’histoire, le Capes, l’agrégation, soutenant dix ans plus tard sa thèse, il avait franchi, une à une, les étapes d’une carrière universitaire qui l’avait conduit d’Aix-en-Provence à Alger, Caen, Rouen, Nanterre, jusqu’à la consécration de son élection à la direction du département d’études médiévales de Paris-IV. Historien de la Méditerranée, il avait dénoncé, en précurseur, la surestimation du rôle de l’islam andalou dans la redécouverte de la pensée grecque en Occident, soulignant au contraire celui de Byzance et des chrétiens d’Orient dans la transmission du savoir de l’Antiquité. Spécialiste de l’histoire médiévale, il avait développé l’idée que la périodisation qui nous a conduits à opposer le Moyen Age à la Renaissance relevait d’une relecture idéologique sans fondements dans les faits. Il avait consacré au sujet un essai au titre provocateur : Le Moyen Age, une imposture ; l’un de ces maîtres livres dont on peut être sûr qu’ils passeront l’épreuve des années. Il n’était pas seulement membre de notre conseil scientifique. Il avait été le tout premier, il y a plus de dix ans, à nous suggérer l’idée de lancer Le Figaro Histoire. C’est dire la part que nous prenons à sa disparition, à la peine qui doit être celle de ses proches. Jacques Heers ne se contentait pas de défendre, par sa science, son élégance, sa précision, sa générosité discrète, son art exquis de la conversation, une certaine idée de la civilisation. Il en était la vivante incarnation. !

CONSEIL SCIENTIFIQUE. Président : Jean Tulard, de l’Institut. Membres : Jean-Pierre Babelon, de l’Institut ; Marie-Françoise Baslez, professeur

d’histoire ancienne à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Simone Bertière, historienne, maître de conférences honoraire à l’université de Bordeaux-III et à l’ENS Sèvres ; Jean-Paul Bled, professeur émérite (histoire contemporaine) à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Jacques-Olivier Boudon, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Maurizio De Luca, ancien directeur du Laboratoire de restauration des musées du Vatican ; Jacques Heers (†), professeur émérite (histoire médiévale) à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Nicolaï Alexandrovitch Kopanev, directeur de la bibliothèque Voltaire à Saint-Pétersbourg ; Eric Mension-Rigau, professeur d’histoire sociale et culturelle à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Arnold Nesselrath, professeur d’histoire de l’art à l’université Humboldt de Berlin, délégué pour les départements scientifiques et les laboratoires des musées du Vatican ; Dimitrios Pandermalis, professeur émérite d’archéologie à l’université Aristote de Thessalonique, président du musée de l’Acropole d’Athènes ; Jean-Christian Petitfils, historien, docteur d’Etat en sciences politiques ; Jean-Robert Pitte, de l’Institut, ancien président de l’université de Paris-IV Sorbonne, délégué à l’information et à l’orientation auprès du Premier ministre ; Giandomenico Romanelli, professeur d’histoire de l’art à l’université Ca’ Foscari de Venise, ancien directeur du palais des Doges ; Jean Sévillia, journaliste et historien.

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Au

Sommaire EN COUVERTURE ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

8. Lincoln, de l’histoire à l’écran Par Geoffroy Caillet 16. Cinéma Par Geoffroy Caillet 18. Enée à la porte des songes Entretien avec Paul Veyne. Propos recueillis par Jean-Louis Voisin 24. Le cléricalisme, voilà l’ennemi ? Par Jean Sévillia 26. Côté livres 32. Sur la route de Tombouctou Par Jean-Louis Thiériot 34. Qui a tué Ramsès III ? Par Marie Zawisza 36. Paris système D Par Marie-Amélie Brocard 39. Expositions Par Albane Piot 40. Patrimoine Par Sophie Humann En partenariat avec

44. Guerres et paix Par Francine-Dominique Liechtenhan 52. Les tsars maudits Par Jean-Louis Thiériot 62. Michel, naissance d’une dynastie Par Francine-Dominique Liechtenhan 66. Les Romanov en 9 énigmes Par Irina de Chikoff 76. Nicolas II, tsar malgré lui Par Hélène Carrère d’Encausse, de l’Académie française 80. Les fantômes d’Iekaterinbourg Par Irina de Chikoff 88. Ferro, la contre-enquête Par Frédéric Rouvillois 90. Un tsar en ambassade 94. Annales d’une dynastie Par Albane Piot 100. Bibliothèque des Romanov

L’ESPRIT DES LIEUX

104. Les aventuriers du temple perdu Par Geoffroy Caillet 112. Le palais du peuple Par Robert Colonna d’Istria 116. Un siècle d’or en clair-obscur Par Michel De Jaeghere 126. Les voyageurs du mésozoïque Par Sophie Humann 130. Amazones.com Par Vincent Tremolet de Villers

Société du Figaro Siège social 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris. Président Serge Dassault. Directeur Général, Directeur de la publication Marc Feuillée. Directeur des rédactions Alexis Brézet. LE FIGARO HISTOIRE. Directeur de la rédaction Michel De Jaeghere. Rédacteur en chef Vincent Tremolet de Villers. Grand reporter Isabelle Schmitz. Enquêtes Albane Piot. Chef de studio Françoise Grandclaude. Secrétariat de rédaction Caroline Lécharny-Maratray. Rédacteur photo Carole Brochart. Editeur Sofia Bengana. Chef de produit Emilie Bagault. Directeur de la production Sylvain Couderc. Chefs de fabrication Philippe Jauneau et Patricia Mossé-Barbaux. Responsable de la communication Olivia Hesse.

Le Figaro Histoire est imprimé dans le respect de l’environnement.

LE FIGARO HISTOIRE. Commission paritaire : 0614 K 91376. ISSN : 2259-2733. Edité par la Société du Figaro. Rédaction 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris. Tél. : 01 57 08 50 00. Régie publicitaire Figaro Médias. Président-directeur général Pierre Conte. 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris. Tél. : 01 56 52 26 26. Photogravure Key Graphic. Imprimé par Roto France, rue de la Maison-Rouge, 77185 Lognes (France). Janvier 2013. Imprimé en France/Printed in France. Abonnement un an (6 numéros) : 29 € TTC. Etranger, nous consulter au 01 70 37 31 70, du lundi au vendredi, de 7 heures à 17 heures, le samedi, de 8 heures à 12 heures. Le Figaro Histoire est disponible sur iPhone et iPad.

CE NUMÉRO A ÉTÉ RÉALISÉ AVEC LA COLLABORATION D’HÉLÈNE CARRÈRE D’ENCAUSSE, FRANCINE-DOMINIQUE LIECHTENHAN, IRINA DE CHIKOFF, JEAN SÉVILLIA, JEAN-LOUIS THIÉRIOT, GEOFFROY CAILLET, FRÉDÉRIC ROUVILLOIS, JEAN-LOUIS VOISIN, ROBERT COLONNA D’ISTRIA, SOPHIE HUMANN, MARIE-AMÉLIE BROCARD, MARIE ZAWISZA, PHILIPPE MAXENCE, FRÉDÉRIC VALLOIRE, MAXENCE QUILLON, BÉATRICE AUGER, PASCALE DE PLÉLO, BLANDINE HUK, SECRÉTAIRE DE RÉDACTION, VALÉRIE FERMANDOIS, MAQUETTISTE, MARIE VARNIER, ICONOGRAPHE ET CAMILLE DE LA MOTTE. EN COUVERTURE. © FINEARTIMAGES/LEEMAGE. © JEANNE MANIN © DREAMWORKS II DISTRIBUTION CO., LLC. ALL RIGHTS RESERVED. © GEOFFROY CAILLET. © MDJ.


ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

© DREAMWORKS II DISTRIBUTION CO., LLC. ALL RIGHTS RESERVED. © GILLES MERMET/LA COLLECTION.. © ANC. COLL. PH. DOUBLET/ADOC-PHOTOS. © DASSAULT SYSTÈMES.

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LINCOLN DE L’HISTOIRE À L’ÉCRAN

LE REGARD D’UN HISTORIEN SUR LA FRESQUE QUE STEVEN SPIELBERG CONSACRE AU PRÉSIDENT ABRAHAM LINCOLN. ON Y DÉCOUVRE DERRIÈRE LES DISCOURS VISIONNAIRES LA COMPLEXITÉ DE LA POLITIQUE AMÉRICAINE.

18 E

NTRETIEN AVEC PAUL VEYNE LA RENCONTRE

ÉTINCELANTE ENTRE LE PLUS GRAND POÈTE DE LA LITTÉRATURE LATINE ET L’UN DE NOS PLUS GRANDS HISTORIENS DE L’ANTIQUITÉ ROMAINE. DANS UN ENTRETIEN EXCEPTIONNEL, PAUL VEYNE REVIENT SUR SA TRADUCTION DE L’ENÉIDE DE VIRGILE.


34 Q

UI A TUÉ RAMSÈS III?

LE PHARAON A-T-IL ÉTÉ VICTIME DE LA « CONSPIRATION DU HAREM »? A-T-IL PÉRI LA GORGE TRANCHÉE ? UNE ENQUÊTE SCIENTIFIQUE DE HAUTE VOLÉE ÉCLAIRE D’UN JOUR NOUVEAU LA MORT DE RAMSÈS III EN DONNANT LE MOBILE DU MEURTRE ET L’IDENTITÉ DE L’ASSASSIN.

ET AUSSI

CINÉMA LE CLÉRICALISME, VOILÀ L’ENNEMI ? CÔTÉ LIVRES SUR LA ROUTE DE TOMBOUCTOU PARIS SYSTÈME D EXPOSITIONS PATRIMOINE


À

L’A F F I C H E Par Geoffroy Caillet

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

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Sans rien renier du mythe qui entoure le président le plus révéré de l’histoire américaine, Steven Spielberg livre avec Lincoln un film rigoureux sur l’exercice du pouvoir aux Etats-Unis.

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ue le chemin du président le plus acclamé de l’histoire américaine ait fini par croiser celui d’un des plus grands conteurs de Hollywood n’a rien d’une surprise. S’agissant de Lincoln, la tendance intrinsèque du cinéma à suivre à la lettre la cote de popularité des hommes et des événements a toujours fonctionné à plein. Sitôt que Hollywood parla, ce fut pour lui donner une voix. En 1930, le film éponyme de David W. Griffith prenait ses libertés avec l’histoire, mais traçait du président américain un portrait qui servit longtemps de référence. Une demi-douzaine d’autres suivirent, signés John Ford (Je n’ai pas tué Lincoln, 1936, et Vers sa destinée, 1939, où Henry Fonda campait un jeune Lincoln décrit par Ford comme « un sacré plouc d’avocat de Springfield »), Anthony Mann (Le Grand Attentat, 1951) ou Robert Redford (La Conspiration, 2011). En privilégiant le personnage de son

assassin, le partisan sudiste John Wilkes Booth, la plupart évacuaient sans autre forme de procès la dimension politique du président. Quant à l’horrifique Abraham Lincoln, chasseur de vampires, sorti en 2012, son titre permettait au moins de savoir à quoi s’en tenir sans bourse délier. Cette filmographie en trompe-l’œil laissait toute latitude à Steven Spielberg pour bâtir un Lincoln à la hauteur politique du seizième président des Etats-Unis. Pour un cinéaste rompu à l’exploitation des mythes, elle comportait aussi une tentation : celle de réaliser la biographie spectaculaire à tendance hagiographique, version illustrée et fatalement sirupeuse des innombrables ouvrages consacrés au personnage. La bonne surprise de Lincoln, c’est que Spielberg y évite globalement un travers auquel il a sacrifié ailleurs dans sa représentation de l’histoire, du très maîtrisé Il faut sauver le soldat Ryan (1998) au mineur Cheval de guerre

(2011). Bien mieux : il tire son meilleur atout de n’être jamais là où on l’attend. Tournant le dos au biopic, Lincoln n’est pas davantage un film sur la guerre de Sécession, ni sur l’abolition de l’esclavage. Comme le relève l’historien André Kaspi, spécialiste des Etats-Unis et auteur d’une formidable histoire des présidents américains, «c’est un film sur l’exercice de la politique ». GUERRE En haut : en octobre 1862, le président Abraham Lincoln (au centre) rencontre le major Allan Pinkerton (à gauche) et le général George B. McClellan au camp de l’Union d’Antietam Creek, dans le Maryland. Le 17 septembre 1862, avait lieu à Antietam l’une des batailles les plus meurtrières de la guerre de Sécession (1861-1865). A droite : Daniel Day-Lewis dans le rôle de Lincoln inspectant le champ de bataille.

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© HERITAGE IMAGES/LEEMAGE.

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31 janvier 1865, du treizième amendement à la Constitution abolissant l’esclavage dans tout le pays, et la fin de la guerre de Sécession, le 9 avril suivant, cinq jours avant l’assassinat de Lincoln. Cette chronologie resserrée passe mécaniquement sous silence le contexte politique des années précédentes. Depuis la Constitution de 1787, l’opposition entre Nord et Sud était le talon d’Achille de la jeune nation américaine. Marqué par une mentalité protectionniste, le Nord profitait particulièrement de l’industrialisation qui avait pris son essor au milieu du XIXe siècle. Adepte du libre-échange et traditionnellement tourné vers l’Europe, le Sud tirait sa prospérité de la culture du coton, appuyée sur le travail des esclaves. En 1830, le vote par un Congrès dominé par les Etats du Nord d’un droit de douane sur les importations européennes visant à protéger leur industrie naissante entraîne une menace de sécession de la Caroline du Sud. Dans De la démocratie en Amérique (1835), Tocqueville prédit dès lors une confrontation.

ÉGALITÉ Le 19 novembre 1863, au cimetière militaire de Gettysburg, Abraham Lincoln prononce son célèbre discours : « Il y a quatre-vingt-sept ans, nos pères ont donné naissance sur ce continent à une nouvelle nation, conçue dans la liberté et vouée à la thèse selon laquelle tous les hommes sont créés égaux… »

PAGE DE DROITE : © CORBIS. © EDITIONS TALLANDIER/DROITS RESERVÉS.

ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

Ordonné à une telle ambition, le film de Spielberg ne craint pas la complexité. Porté par un magistral Daniel Day-Lewis, son Lincoln est une œuvre exigeante, à la limite de l’austérité, absconse même à l’occasion dans sa représentation du système politique américain. « Qu’est-ce qu’un amendement ? Qu’est-ce que la Chambre ? Il y a une partie du film que les étrangers ne peuvent comprendre, ni même les Américains qui ne sont pas au fait du processus législatif de leur pays. A cet égard, Lincoln est un film pour initiés», note André Kaspi. Les choix du scénario expliquent en grande partie ce résultat. Mûri de longue date par le dramaturge Tony Kushner, déjà auteur du Munich (2005) de Spielberg, il se fonde sur un court passage d’Abraham Lincoln, l’homme qui rêva l’Amérique, une biographie publiée en 2005 par la journaliste Doris Kearns Goodwin. De la vie et de l’œuvre du premier président républicain, élu en 1860 et réélu en 1864, il ne s’attache qu’aux quatre derniers mois, ramassés autour de deux événements : le vote par le Congrès, le

A partir de la guerre menée contre le Mexique de 1846 à 1848, la conquête de l’Ouest ravive la question de l’esclavage sur fond de rivalités économiques. Le Nord s’oppose à son extension dans les nouveaux territoires par crainte de priver de débouchés les machines produites par son industrie. Le Sud compte bien y trouver au contraire un soutien à son modèle économique déclinant. La décennie 1850 est celle du grand raidissement entre Etats libres et esclavagistes. En 1854, naît le Parti républicain, hostile à l’extension de l’esclavage et favorable au protectionnisme. Le 6 novembre 1860, la division des démocrates permet la courte victoire de son candidat à l’élection présidentielle, Abraham Lincoln, sur un programme exclusivement nordiste : élévation des taxes douanières, augmentation des fonds fédéraux pour le développement industriel, admission du Kansas comme Etat libre (où l’extension de l’esclavage serait donc impossible) de l’Union. Aussitôt, la


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